Noël 1980

 

 

Temps de Noël : Messe de Minuit.               25.12.80

      1. Introduction à la célébration :

 

Mes Frères et mes amis,

           

Réunis cette nuit en cette église de Saint Remy, je vous invi­te à partager la joie de la création entière. Vous l'avez entendu, l'histoire a un sens. Elle est dirigée, elle est orientée vers une plénitude, vers un accomplissement, un achèvement, vers l'heure où Dieu grâce à l'Incarnation de son Verbe sera tout en tout, où le cosmos sans rien excepter sera pure luminescence de la gloire de notre Dieu.

Réjouissons-nous, mes frères, car nous avons notre place dans cette oeuvre de Dieu. Nous sommes déjà à notre tour appelés Fils de Dieu. Nous sommes appelés et nous sommes Fils de Dieu en vérité ! L'étincelle de la divinité est déposée en nous et elle ne demande qu'à percer notre chair pour illuminer, comme une petite étoile, l'univers.

Ecartons de notre coeur tout ce qui ne serait pas en harmonie avec la grâce de cette nuit. Nos errements, nos péchés, prenons-­les et jetons-les dans la fournaise de la miséricorde de Dieu.

2. Homélie :

Mes Frères,

 

En ouvrant cette Eucharistie, je faisais allusion au plan de Dieu et à la place qu'il nous avait réservée. Il me semble que cet­te Nuit bénie pourrait être ainsi l'occasion de nous interroger sur notre identité, de nous demander ce que nous sommes venus faire dans ce monastère ?

Certes, une multitude de réponses pourraient être avancées ! Mais cette Nuit, il en est une, à mon avis, qui s'impose : le moine est un homme dévoré par le désir de voir le Christ Sauveur, Verbe de Dieu, né dans la mystérieuse obscurité d'une Nuit sans pareille, Verbe de Dieu naissant encore à tout moment dans le secret des coeurs affamés de lumière et de vie.

            Voir le Christ, c'est avoir transcendé les affres de la mort et être entré en possession de la vie impérissable. Voir le Christ ? Mais comment est-ce possible ? N'est-ce pas douce folie ?

A cela je répondrai qu'il n'est pas de folie qu'un homme pos­sédé par l'amour ne soit prêt à courir. Mais qu'est-ce que l'Amour ?

Aimer, c'est vivre hors de soi, c'est vivre pour l'autre et dans l'autre. A la limite, c'est se perdre dans l'autre jusqu'à deve­nir avec lui un seul être. Je verrai donc le Christ lorsque je l'aimerai, lorsque je me serai perdu pour lui, lorsque je lui aurai laissé en moi toute la place au point que je serai devenu avec lui un seul esprit. Ce ne sera plus moi qui vivrai, c'est lui qui vivra en moi. Alors, je le verrai...

 

Toute notre ascèse, mes frères, consiste donc à permettre au Christ de naître en nous, de sorte que notre vie soit un Noël per­pétuel et que nous soyons lumière, et origine, occasion de joie pour les hommes sans exception, croyants et non-croyants.       Lumière ? C'est à dire présence de la vérité absolue et de l'éternité.   Lumière, car humble révélation du salut universel.

Cette vocation à la vision de Dieu, mes frères, elle n'est que la plénitude de l'appel lancé à tous les chrétiens, à tous ceux qui sont greffés plus profondément sur la personne du Christ. Notre rassemblement Eucharistique de cette Nuit, qui groupe les frères de Saint Remy, leurs hôtes, leurs amis, en rappelle l'évi­dence. Nous sommes tous appelés à cette vision du Christ. Soyons donc heureux et fiers d'être des chrétiens.

A l'occasion de la Noël, on échange des voeux. Permettez-moi de formuler les miens. Ils seront très simples : Puisse aujourd'hui et tous les jours qui viendront notre lu­mière briller au regard de tous les hommes que nous rencontreront. Qu'elle brille dans notre regard, qu'elle brille dans notre con­duite, qu'elle manifeste la présence du Christ Amour, qu'elle soit l'expression de notre attente, de notre espérance et qu'elle apporte à tous joie et réconfort. Qu'elle soit aussi pour la gloire de notre grand Dieu et Sau­veur Jésus Christ. Et qu'elle soit pour nous la certitude que bien­tôt nous aurons la joie de le voir.

                                                                                                                             Amen.

 

Temps de Noël : Messe du jour.                 25.12.80*

      1. Introduction à la célébration :

 

Mes frères,

            Par la naissance merveilleuse du Christ en nos coeurs, nous devenons Fils de la Lumière. Pourtant nous le savons, il subsiste en nous bien des recoins ténébreux qui portent nom : égoïsme et péché. Etalons-les en présence du Seigneur ! Il les voie, il les com­prend car il a voulu revêtir la faiblesse de notre nature.

            Implorons sa miséricorde, et avec confiance entrons dans la célébration de cette Eucharistie.

2. Homélie :

 

Mes Frères,

           

La solennité de Noël arrive à son midi. Rien d'étonnant donc si on nous parle encore de lumière, de visions et de paix. Le Christ nous apparaît maintenant dans le poids redoutable et fascinant de sa divinité. Et pourtant, si nous avons pris attention à ce que nous disait l'Apôtre, nous percevons déjà les prodromes de la résistance qu'il allait rencontrer, qu'il rencontre encore hélas aujourd'hui, qu'il rencontrera toujours.

            L'homme est à ce point malade qu'il ne peut supporter longtemps la présence de ce qui devrait le combler. L'Apôtre se permet trois coups de pinceau extrêmement discrets mais qui suffisent pour distiller l'inquiétude et laisser présager le drame. Pour le comprendre, nous devrions savoir ce qu'est la Lumière véritable dont il nous parle.

Pour le savoir, il faudrait que nous soyons nous-mêmes devenus Lumière. Il faudrait qu'elle nous habi­te, qu'elle rayonne de nous, que nous la connaissions par l'inté­rieur d'elle-même. Mais enfin, contentons-nous d'une approche quelque peu céré­brale.

 

La lumière, c'est le rayonnement de la divinité, la multiplici­té infinie des énergies divines. Elle n'est pas distincte de l'être de Dieu. En un mot, elle est l'Amour dans sa vivifiante beauté. L'Apôtre contemple cette Lumière, au sein des ténèbres cosmi­ques, dans le monde des hommes, parmi les siens, ceux qu'elle avait préparé, qu'elle avait choisi pour en faire comme le nid dans lequel elle allait se reposer.

Or, les ténèbres ne l'ont pas saisie. C'était à prévoir ! Quelle communion peut exister entre les ténèbres et la Lumière ? Aucune ! Les hommes ne l'ont pas connue. Oui, les hommes, ils ont des yeux pour ne pas voir. Et les siens ne l'ont pas reçue ! Il n'y a pas de place pour la Lumière dans les coeurs remplis d'eux-mêmes. Rappelez-vous ce que nous a dit cette nuit un autre Evangéliste : Il n'y avait pas de place pour eux ! Il n'y avait pas de place pour la Lumière !

 

Mes Frères, une question ? Et tout cela, ne s’agirait-il pas de moi, de vous, de chacun d'entre nous ?            La Lumière est partout présente, mais elle brille avec une intensité particulière sur le visage de mon frère. C'est mon attitude face à mon frère qui me classe et qui me juge. Si j'accepte le frère, je m'ouvre à la Lumière. Elle m'enva­hit et me transfigure ; si je refuse mon frère, je chasse la Lumière. Elle me quitte et me voilà plongé dans les ténèbres.

Et ainsi nous voyons se construire l'équation fatale. Nous voyons se mettre en route l'engrenage qui allait broyer dans ses dents le Christ, Lumière. Et cette équation, la voici : nous devrions toujours l'avoir présente devant nous : refus = expulsion = meurtre. Le même Apôtre sera clair lorsqu'il nous dira : Celui qui éprou­ve de l'aversion pour son frère, celui qui le chasse de son coeur, celui-là est un meurtrier, et il doit savoir que la vie de Dieu n'habite pas en lui et qu'il est installé dans la mort.

Mes frères, efforçons-nous d'être comptés au nombre de ceux qui acceptent la Lumière. Et nous le serons si nous préparons dans notre coeur une place pour notre frère.  A notre tour, nous serons appelés Fils de Dieu, car nous au­rons été avec notre frère engendrés par l'Amour qui est Dieu.

Et nos voeux, ceux que nous échangeons en ce jour de Noël, ils prendront tout leur sens. Ils signifieront une communion dans la même Vie qui est la Vie de Dieu et qui est l'Amour. Et nos voeux atteindront une efficacité qui portera jusqu'aux limites de l'infini.

 

                                                                                                           Amen.

 

Temps de Noël : Fête de Saint Etienne.         26.12.80

La non-violence.

 

1. Introduction à l'Eucharistie.

 

Mes frères,

 

Le diacre Etienne a-t-il personnellement connu le Christ ? Personne ne nous le dit. Une chose est certaine : s'il ne l'a pas connu selon la chair, il l'a certainement connu selon l'Esprit. Et là, nous pouvons le rejoindre ! Malheureusement les yeux de notre coeur sont couverts de la taie du péché. Demandons au Seigneur de nous guérir ! Il le peut ! C'est pour les pécheurs qu'il est venu.

 

2. Homélie.

 

Mes frères,

 

Quand je pense au martyr du diacre Saint Etienne, je ne puis m'empêcher de sentir l'odeur et le goût de la violence qui coule comme une lave volcanique partout dans le monde. Ses victimes ne se comptent plus. Cela descend au rang de fait divers. Et pourtant, chacune d'elle porte imprimée en elle le visage bafoué du Christ.

Des cercles de plus en plus larges, surtout parmi les jeunes, découvrent que un des traits essentiels du Christianisme authenti­que est la non-violence, qui n'est pas impuissance douceâtre, ré­signée, mais qui est force, comble de force dans le refus catégo­rique de céder à la haine et à la vengeance.

 

Le non-violent sait qu'il expose sa vie. Mais il sait aussi que la mort n'est pas le dernier mot d'une vie qui semblerait, au regard des hommes, s'abîmer dans l'échec. Non, dans ces conditions, la mort est le témoignage de l'amour invaincu qui est fusion dans l'être de Dieu et paradoxalement sau­vetage des bourreaux.

Le diacre Etienne qui voyait les cieux ouverts, qui contem­plait la Lumière de Dieu et Jésus ressuscité debout dans la gloire, Etienne, il est le prototype du non-violent qui s'endort en Dieu sans le moindre sentiment de haine pour ses meurtriers.

 

Mes frères, la non-violence, elle est aujourd'hui l'expression moderne de l'amour. Lorsqu'elle arrive à son sommet, à sa perfec­tion, elle s'identifie à la sainteté. A ce moment, c'est le Christ qui revit son mystère de mort et de résurrection dans un homme, un homme qui s'est donné à lui sans réticence, qui n'a pas retiré sa confiance ni sa Foi. Saint Benoît fait de la non-violence le quatrième degré de son échelle d'humilité. Je ne vais pas entrer dans les détails. Je citerai simplement une toute petite expression, deux mots : tacita conscientia, 7,35.

Le moine humble, c'est à dire le moine vrai, lorsqu'il est vic­time d'une injustice ou d'une agression, impose le silence au déchaînement des pensées et aux mouvements de révolte. Il va même plus loin. Il prend sur lui l'inconscience ou le péché de l'autre. Il le prend sur lui pour l'expier à sa place. Et ainsi, il imite son Sauveur, le Christ, auquel il s'est donné.

 

Mes frères, le martyre de Saint Etienne nous interpelle puis­samment. N'allons pas nous boucher les oreilles, sinon nous signe­rions que nous sommes du côté des bourreaux. Mais plutôt, apprenons à contrôler nos réactions et à suivre le Christ en faisant nôtre le petit conseil de Saint Benoît qui dit : caritatem non derelinquere, 4,26.   Ne jamais abandonner la charité, cet amour qui nous rend l'autre plus cher que nous-mêmes.

            Et alors, nous serons vraiment des disciples du Christ, des Fils de Dieu et des porteurs de Lumière.

                                                                                                   Amen.

 

Temps de Noël : Fête de Saint Jean.            27.12.80

Il vit et il crut !

 

1. Introduction à la célébration.

 

Mes frères,

 

L'Apôtre Saint Jean, c'est pour nous d'abord, son Evangile et ses lettres dans lesquelles il nous révèle que Dieu est Amour. C'est tellement beau que nous osons à peine y croire. Avant d'entrer dans cette Eucharistie, demandons au Seigneur Jésus, lui l'éternellement jeune, de nous fortifier, de nous donner l'audace de croire.

 

2. Homélie.

 

Mes frères,

 

S'il est une violence qui conduit à la mort et les victimes et les bourreaux, il en est une autre qui débouche sur la communion et sur la vie. La première emprunte le chemin de la facilité. Elle frappe, elle tue, elle détruit, elle saccage, autant de signes d'une indé­niable faiblesse.

La seconde se glisse par les sentiers étroits qui porte nom : patience, endurance, souffrance. Elle témoigne d'une force peut commune, d'une force qui lui vient d'ailleurs. L'Apôtre Jean est le premier à avoir exploré ces régions nou­velles. Les puissances d'agressivité qui vivaient en lui, il les diri­geait comme d'instinct vers des objets qui lui étaient extérieurs. Rappelons-nous le feu du ciel sur les Samaritains, ses intrigues pour souffler aux autres Apôtres la première place.

Puis, dans une seconde partie de sa vie, à partir d'un moment bien précis, cette agressivité, il la dirige vers un objectif va­lable cette fois, la forteresse d’égoïsme qui lui barre l!accès à la vie véritable. Les deux versants de sa vie ont basculé et se sont inversés à l'instant où  il vit et il crut !

Jean était le seul parmi les Apôtres à avoir été le témoin de la mort du Christ et du constat de décès dressé par le soldat qui avait d'un coup de lance ouvert la poitrine du Christ. Et c'est le même Jean qui, le premier dans le tombeau vide, crut à la résurrection du Christ, et comprit. En un éclair, tout prenait sens pour lui et les paroles, et les actes au Christ, et l'histoire du monde, et son destin person­nel à lui...

 

Il lui faudrait des années pour creuser cette découverte. Et au terme de sa vie, il ne pouvait plus s’empêcher de nous en livrer le secret et la grille d'interprétation. Il nous disait que Dieu est Lumière, Dieu est communion, Dieu est Vie, Dieu est Amour. Et tous ces trésors qui dépassent nos facultés d'appréhension et de compréhension, ils sont tous en­fermés en la Personne du Christ Jésus ressuscité des morts. Et ils sont à notre disposition aujourd'hui encore...

Le bouleversement chez Jean avait été spectaculaire ! Il n'était plus question pour lui de disputer aux autres la première place, la meilleure, pour lui tout seul. Non, il n'avait plus qu'une préoccupation : partager avec tous la plénitude de sa joie...

 

Mes frères, à la suite de Jean, avons-nous à notre tour expérimenté­ un ébranlement qui nous jette pour toujours hors de nous­-mêmes ? Si oui, tout s'est écroulé en nous et autour de nous et il ne reste plus que pauvreté, oubli de soi, obéissance, silence. Et devant nous, sous nos yeux, s'est allumé une Lumière éblouis­sante, fascinante, la Lumière de Dieu. Et en nous commence à travailler une force, la force de l'Es­prit qui nous fait nous lancer à l'assaut du Royaume de Dieu dans la troupe de ces violents que rien n'effraie ni ne rebute.

Mes frères, c'est cela la vie contemplative ! Il faut oser mou­rir avec le Christ pour ressusciter avec lui le plus vite pos­sible, dès cette vie. Est-il donc irréalisable ce rêve de voir le Christ, de baigner en nous sa paix et sa joie, dans sa lumière, de recevoir tout ce qu'il nous a promis ?

 

Mes frères, il faut oser partir, sans regarder en arrière, vers les terres où règne un seul Roi, Dieu, des terres où la Vie est la nourriture de chaque jour, des terres où il n'est plus possible que d'aimer, de vivre en communion les uns avec les autres, des terres où le voile entre ce que nous appelons l'au-delà et ce par de ça où nous vivons, ce voile insensiblement s'amenuise et se déchire.

Mes frères, au départ de cette aventure prodigieuse, il n'y a rien qu'une chiquenaude : il vit et il crut, mais il faut le doigt de Dieu.

 

                                                                                            Amen.

 

 

 


Temps de Noël : Fête de la Sainte Famille.     28.12.80

      La Trinité.

 

1. Introduction à l'Eucharistie.

 

Mes frères,

 

Le dimanche consacré à la Sainte Famille de Jésus, Marie et Jo­seph est une invitation à nous interroger sur les valeurs de commu­nion dans le partage d'un même idéal ? L'idéal, pour nous, se con­crétise dans une recherche persévérante de la volonté de Dieu.

Nous allons renouveler nos forces, rafraîchir notre esprit en nous replongeant symboliquement dans l'eau de notre baptême. Et nous demanderons à Dieu de nous purifier des attaches désordonnées à nos petits vouloirs personnels.

 

2. Homélie.

 

Mes frères,

 

L'épisode dont nous venons d'entendre la lecture aurait pu être écrit aujourd'hui. Que de familles arrachées à leur foyer par la persécution, par la guerre, par des événements, des catastrophes naturelles. Pensons à ce récent tremblement de terre dans le Sud de l'Italie.

            Ici, ce qui lance cette toute jeune famille sur les routes de l'exil, c'est la haine. Un homme a pris peur, un vieux tyran. Il a pourtant tout pour être satisfait. Il a le pouvoir, i1 a la faveurs des empereurs, il a l'argent, il a la réussite tempo­relle. Et pourtant il est habité par la peur parce qu'il ne con­naît pas Dieu.

 

Mes frères, nous devons prendre garde de ne pas nous retrouver dans la peau et dans l'âme de cet Hérode ! Nous vivons parmi d'autres hommes. Nous vivons parmi des frè­res. Et il y a en chacun, sur le visage de chacun, une flamme, un éclair. C'est un reflet de la Face de cet enfant, de cet enfant qui était Dieu, qui a grandi, qui est devenu un homme, qui toute sa vie a été poursuivi, et qui finalement a succombé sur une croix.

Mes frères, nous devons choisir. Nous serons cet homme. Nous le serons et comme lui nous grandirons en sagesse, en taille, en grâce devant Dieu notre Père et devant les hommes nos frères. Nous ne rendrons jamais l'injure pour l'injure, ni le mal pour le mal. Mais nous accepterons tout et nous le dissoudrons dans la fournaise d'amour qui est l'Esprit et qui nous habite. Et ainsi, nous deviendrons le coeur d'une Famille. Nous aurons avec nous des hommes et des femmes, dispersés dans le monde, dans l'invisible. Car la Famille de Dieu, aujourd'hui, elle s'étend à l'humanité entière.

Et à partir de nous se répandent des rayons de cet amour qui soudait entre eux Jésus, Joseph et Marie. Et ainsi de proche en proche se répandra, s'étendra le Royaume de Dieu. L'exemplaire type de cette Famille que Dieu veut édifier, c'est la Trinité.

 

Vous avez le Père. Vous avez un élément qu'on peut qualifier de féminin, qui est l'Esprit ou l'Amour. Rappelons qu'en langue Hébraïque, le mot Esprit est du genre féminin. Tout ça s'est per­du dans nos langages à nous. Et puis il y a le Fils.

A partir de là, nous avons notre propre personne qui partage cette vie Trinitaire. La part masculine qui est en nous, qui sera pour affronter les difficultés, pour les vaincre, pour ne jamais se laisser écraser par le mal.

Et puis il y a notre part de féminité qui sera tendresse, qui sera accueil, qui sera ouverture, et qui saura donner sa vie pour les autres.

 

Mes frères, la Famille, nous la portons d'abord en nous. Et puis nous l'étendons à nos proches. Et à partir de là, nous l'étendons à tous les frères. Essayons aujourd'hui d'avoir cet idéal devant les yeux, de le porter en nous, de le faire grandir pour qu'il se réalise. Telle est la volonté de Dieu. En elle nous devons nous perdre. Ce sera le salut du monde et notre propre résurrection.

 

                                                                                                           Amen.

 

Partage du Chapitre Général : Moines ?         28.12.80*

1.   Rapport Anglo-Américain.

 

Mes frères,

 

Dans sa lettre Pascale, le Père Abbé Général nous demandait si comme objectif premier de notre recherche spirituelle nous pla­cions la prière continuelle ? Il nous demandait si toutes nos for­ces étaient polarisées vers cet idéal ? Et il constatait que l'as­pect contemplatif de notre vie n'était pas suffisamment mis en relief.

 

Trois groupes d’Abbés se sont interrogés à ce sujet au Chapitre Général : deux de langue Anglaise et un de langue Française. Je vais commencer aujourd'hui par vous faire part de leurs conclusions. Elles sont très intéressantes et nous sentons que c'est un problème qui agite bien des esprits aujourd'hui. Et pas seulement dans le monde des jeunes, mais aussi chez les anciens car ça remet en question l'enseignement qu'ils ont reçu lorsqu'ils étaient encore jeunes...

D'abord le premier groupe Anglais, de langue Anglaise plutôt, donc Anglo-Américain. Je reconnais les réflexions et le style d'un Abbé Américain dont je vous ai parlé, c'est l'Abbé de Mepkin, qui était vraiment un homme qui sort de l'ordinaire. C'est un enthou­siaste, malgré son âge car il est déjà loin dans les soixante. Ils commencent par constater un fait qui est au fond une la­palissade.

 

...La raison d'être d'un Ordre contemplatif, c'est de former des contemplatifs...

 

Hors de cela on peut le supprimer ! Que fait-il dans l'Eglise ? Que fait-il sur terre ? RIEN ! Il manque son but ! Première cons­tatation donc. Et ils posent la question :

...Pourquoi existerait-il ?

           

Voyez, c'est clair, c'est net ! Mais encore une fois c'est une lapalissade tellement c'est évident. Pourtant, il y en a encore aujourd'hui qui le conteste. Qu'ils aillent dans un autre Ordre alors qui n'est pas contempla­tif. Il n'en manque pas dans l'Eglise.

 

...C'est l'Eglise qui appelle les Ordres contemplatifs à cette mission.

 

Pourquoi ? Mais parce que le contemplatif est indispensable et à l'Eglise, et au monde. Il est sur la terre présence vivante du Royaume de Dieu. Il ne faut pas l'oublier ! Le contemplatif est un homme qui, comme Saint Etienne à l'heure de son martyr, voit le ciel ouvert. ­Il contemple la Lumière de Dieu, il voit le Christ ressuscité. Et cette Lumière qu'il voit, il la capte, il la reçoit en lui et il la disperse dans le monde. Il est comme ces miroirs pa­raboliques qu'on rencontre maintenant le long des routes à certains endroits, et qui captent l'énergie solaire. Puis qui renvoient cette énergie électromagnétique qui transporte tout : et les sons, et les images, et la vie.

C'est cela le contemplatif ! Si l'humanité en était privée, elle dépérirait ! Elle retournerait au stade de l'animalité, et du végétal, et du minéral, ce serait fini ! L'évolution vers la transfiguration du cosmos en Dieu serait bloquée et la régression s'amorcerait. Naturellement Dieu prend bien garde qu'il y ai sur terre tou­jours des contemplatifs. Mais s'il y a des Ordres Contemplatifs, c'est pour former des gens à cela, à cette mission.

 

Le contemplatif aussi, il est Amour puisque ce n'est plus lui qui vit, que c'est le Christ qui vit de plus en plus en lui. Dans sa chair s'établit un contact direct, immédiat avec le divin, avec le monde de Dieu, sans intermédiaire. C'est l'incarnation de Dieu qui se poursuit dans un homme, dans des hommes puisqu'il n'yen a pas qu'un seul sur la terre !

Il y a donc là une réalisation nouvelle du plan de Dieu qui veut que l'homme soit un être divinisé, rayonnement et révélation d'amour pour les autres. Et ainsi de proche en proche dans l'invi­sible, cette vie divine, cet amour se communique, se transmet.

 

...Le contemplatif est aussi un point où se concentre la force de gravitation spirituelle sans laquelle le cosmos se disloquerait...

 

Il Y a là une force ! Voyez la gravitation ! C'est cela qui tient les êtres les uns à côté des autres, qui fait que l'univers soit une harmonie, soit un chant et une beauté. Si cette force de gravitation universelle vient à se dissoudre, mais encore une fois, tout disparaît, tout s'écroule.

            Dans le monde de Dieu, le contemplatif, il concentre en lui cette force de gravitation, et tout gravite autour de lui. Ce qui ne veut pas dire qu'il est égocentrique ? Non, mais c'est Dieu qui vit en lui. Or, tout gravite autour de Dieu. Il est indispensable que l'incarnation de Dieu s'achève, se poursuive, s'accomplisse. Mais c'est du réel, cette incarnation ! C'est dans des êtres de chair ! Or c'est cela une des missions du contemplatif !

Repose donc sur chacun d'entre nous, et sur les communautés comme telles, et sur les Ordres contemplatifs, une lourde responsa­bilité. C'est cela que les Abbés ont redécouvert en y réfléchis­sant. Et c'est cela qu'ils demandent qu'on transmette à tous les membres de l'Ordre.

 

...Le contemplatif est également un homme toujours en voie de développement...

 

Cela veut dire que sa capacité pneumatique spirituelle se di­late à l'infini. Sa divinisation n'est jamais terminée car il doit recevoir en lui la plénitude de Dieu. Son organisme se dilate toujours et ce sera ainsi toute l'éternité. A tel point qu'un homme qui expérimente ce fait, il a l'im­pression d'être toujours au début de sa vie. Il lui semble tou­jours commencer. Il est fasciné par ce qui est devant lui ; et au fur et à mesure qu'il avance, il oublie ce qui est derrière.

C'est l'expérience de Saint Paul qui dit : Oubliant ce qui est derrière, moi, je cours en avant vers ce que je vois, qui est Dieu, qui est la Trinité. Et c'est ainsi que cet homme demeure éternellement jeune ! Et l'humilité, c'est cela ! Nous autres, nous voyons plus facile­ment l'humilité du côté humain, ce qui apparemment nous empêche, ce qui cause souffrance, ce qui cause difficulté.

Mais en réalité, l'humilité, c'est quelque chose de positif. C'est cette éternelle jeunesse qui fait que nous ne nous retour­nons jamais sur nous. Il n'y a pas de retour sur nous. Non, nous sommes toujours tendus vers ce qui arrive, vers l'avant. Et je vais vous citer, ici, deux petits apophtegmes pour illus­trer cela. Je les ai lus il y a quelques jours. Et ça m'est revenu lorsque je relisais ce rapport Anglo-Américain.

 

Ils sont attribués à un certain Abba Sisoès. Sisoès, est un nom qui signifie la fleur. Il faut voir un bourgeon qui s'ouvre. Il y a une belle fleur bien colorée, bien odorante qui s'ouvre. Voilà ce non Sisoès.

 

...Un frère interrogea Abba Sisoès, disant : Comment as-tu abandonné Scété ( le désert de Scété) étant avec Abba Or, et es-tu venu demeurer ici ?

 

Sisoès, la fleur, le bourgeon qui s'ouvre, vivait à Scété en compagnie de l'Abba Or. Or, Or veut dire lumière. Voyez les deux ! Vous avez l'Abbé qui était la Lumière, et son disciple qui était la fleur. Il a abandonné Scété pour venir sur la montagne de Saint Antoine. Donc voyez un peu, il a voyagé du sud d'Alexandrie à la mer Rouge. Il a traversé le désert.

 

...Alors le vieillard dit : Au moment où Scété commença à être fréquenté...

 

C'est à dire où les gens du monde commençaient à venir à Scété pour voir ce qu'il s'y passait et pour demander toutes sortes de conseils. Alors dit Sisoès :

 

...alors j'ai entendu dire qu'Antoine était mort. Et je me suis levé et je suis venu ici sur la montagne. Et trouvant le lieu paisible, je me suis assis un petit peu.

...Le frère lui dit : Depuis combien de temps es-tu ici ? Le vieillard lui dit : Depuis 72 ans...

 

Vous sentez la pointe ! C'est un petit peu ! Pour Sisoès, il est arrivé hier ! Je me suis assis un petit peu parce qu'il y fai­sait agréable. Puis quand on lui pose la question : Oui, mais ?  Alors c'est depuis 72 ans que je suis assis ici. C'est cela, vous voyez, le contemplatif! Il ne sait plus. Il est éternellement jeune. Et il a dû quitter Abba Or à l'âge de 20 ans.

Maintenant un second apophtegme. Il est là-bas sur la monta­gne d'Antoine:

 

...Abba Sisoès était assis un jour sur la montagne d'Abba Antoine. Et son disciple tardant à venir, il ne vit personne pendant 10 mois. Or, pendant qu'il marchait dans la montagne, il rencontra un Pharanite qui chassait des bêtes sauvages...

 

Un Pharanite, c'est donc un habitant du désert de Phâran, ou de Pâran, comme on dit maintenant.

 

...Et le vieillard lui dit : D'où viens-tu ? Et depuis combien de temps es-tu ici ? Il répondit : En vérité, Abba, je suis sur cette monta­gne depuis 11 mois, et je n'ai vu personne que toi. Entendant cela, le vieillard rentra dans sa cellule et se frappa la poitrine en disant : Voilà Sisoès, tu as pensé que tu avais fait quelque chose, mais tu n'es même pas arrivé au niveau de ce séculier...

 

Le séculier était seul dans la montagne depuis 11 mois, et Sisoès pensait avoir fait quelque chose parce qu'il était là seul depuis 10 mois.. .Voyez, c'est cela ! Voilà le contemplatif.

 

...Ce qu'il y a aussi chez lui, c'est que les potentia­lités naturelles se développent à l'unisson de ses puis­sances spirituelles.

 

C'est l'homme entier qui grandit en Dieu. Ce n'est pas seule­ment ce que nous appellerions son âme. Non, c'est tout son être à l'unisson. Si bien que cet homme retrouve une sorte de virginité Adamique. Je veux dire qu'il redevient ce qu'était le premier hom­me avant son péché.

Adam est mort, après son péché, à l'âge de 930 ans, nous dit la Bible. S'il n'avait pas voulu faire sa vie suivant ses idées personnelles, s'il n'avait pas mangé du fruit défendu, s'il n'avait pas désobéi, il n'aurait pas connu la mort. Il serait toujours resté jeune. Cette virginité Adamique, c'est cette jeunesse éternelle re­trouvée.

 

Et les premiers moines dans leur simplicité espéraient retrouver cet état premier de l'homme. Et d'une certaine façon ils y arrivaient. Car, comme ce n'était plus eux qui vivaient, mais le Christ qui vivait en eux, ils retrouvaient l'éternelle jeunesse du Verbe de Dieu. Et ils étaient ainsi déjà parvenus au delà de la mort. Et c'était tout leur être !

Et c'est pour cela qu'on nous les représente, par exemple : On dira que Saint Antoine, au moment de sa mort à 120 ans - donc 3 X 40 comme Moise, trois fois arrivé au sommet de la perfection - ­donc à 120 ans, il n'avait pas perdu une seule dent. C'est par toutes petites choses ainsi qu'on essayait de signifier que voilà il était toujours jeune. Mais, elles étaient usées ! Il n'y avait que ça, car toutes étaient là !

 

Alors, voilà ce que constatent encore nos Anglo-Saxons. Ce doit être Américain ceci  :

 

...Nombre de moines ne paraissent pas permettre à leur dimension humaine et spirituelle de se développer. Ils sont "trappistes" pour les observances, et même anti­contemplatifs…

Donc, on a constaté ça ! Donc, c'est un fait ! Cela existe ! Cela doit peut-être bien exister aux Etats-Unis. Et peut-être bien, oui, encore dans les pays Anglo-Saxons, en Irlande par exemple. Je l'ai remarqué, parce que les Irlandais et les Anglais, mais surtout les Irlandais, sont contre le nom Trappiste. C'est pour eux quelque chose de ODIEUX, c'est le mot qu'ils utilisent.

Pourquoi ? Parce que ça leur rappelle justement que les anciens Trappistes étaient anti-contemplatifs. C'était un Ordre pénitent. On y entrait pour faire pénitence pour ses péchés. Et puis voilà, on essayait au moins d'entrer dans le Purgatoire, de ne pas aller en enfer. Et pour cela : souffrir, travailler, se Fatiguer du moins communautairement ! Parce que il est certain que derrière on se rattrapait de beaucoup de façon pour tout de même se faciliter et se rendre agréable la vie.

Mais le résultat alors ? - Il y en a encore qui vivent comme ça maintenant - Le résultat, c'est qu'on ne permet pas aux dimen­sions humaines et spirituelles de se développer. Donc, on forme des hommes spirituels atrophiés et des êtres humains diminués, rabou­gris. C'est terrible cela !

 

...Le nouveau style de vie cistercien n'est pas encore mis en place...

 

Cela rejoint un peu ici la remarque du Père Abbé Général qu'on n'insiste pas suffisamment sur l'aspect contemplatif de notre vie. Nous ne sommes pas des cisterciens. Et quand on pense cisterciens, il faut voir Saint Bernard, ces premiers hommes de Cîteaux, ces saints ; ça c'étaient de vrais cisterciens ! Mais on en est encore loin !

On fera du cistercien, mais au plan historique, archéologique, mais on ne s'engage pas. En fait, on reste encore Trappiste dans le sens péjoratif du terme. Les nouvelles structures ne sont pas encore en place. Il faut donc que les hommes changent, qu'ils se convertissent. Alors ils disent :

 

...Il faut enseigner la valeur de la vie contemplative à ceux qui viennent, aux nouveaux; et les aider à les assimiler en vue de l'engagement total de la personne.

 

C'est la personne totale qui s'engage!

 

...Nous devons avoir de la souplesse. Et cela donne à l'Abbé et au Maître des novices un espace pour la re­cherche des valeurs contemplatives...

 

Il ne faut donc pas vouloir à tout prix faire entrer tout le monde dans le même cadre préfabriqué, avoir une boite, et si je suis petit, je serai à l'aise dans la boite. Et si je suis plus grand, et bien je vais étouffer dans la boite.

Non, que chacun soit libre de se développer humainement et spirituellement suivant ce qu'il est. Mais toujours dans la ligne contemplative de l'Ordre cistercien. C'est pour cela qu'il faut laisser à l'Abbé et au Maître des novices de la souplesse. La direction spirituelle, la formation spirituelle est personnali­sée maintenant mais toujours dans la même ligne.

 

...Nous devons avoir une orientation qui procure aux hommes de larges horizons...

Il faut de l'espace aux hommes ! C'est cela encore. Ils doi­vent être attirés par ce qui est en avant et non pas toujours être retenu, avoir une corde au cou. S'ils vont un peu trop vite, on les retire en arrière, on les étrangle, on les jette par terre ! Non, il faut de larges horizons, de l'espace où ils peuvent respirer, vivre spirituellement et humainement aussi. Les besoins de l'un ne sont pas les besoins de l'autre.

 

...Nous devons être franchement contemplatifs...

 

Et écoutez ici ce qu'ils disent encore !

 

...Face aux courants actuels, si nous voulons être com­pétitifs à côté des voyages vers l'Orient...

 

Et l'Orient, ici, il faut l'entendre dans un double sens : Il y a le Proche-Orient et il y a l'Extrême-Orient. Vous avez maintenant partout une vague de retour vers le By­zantinisme. Vous en voyez combien de jeunes, et de moins jeunes encore, qui viennent ici à notre église. Il suffit d'avoir l'oeil ouvert : vous les verrez, comme on dit, faire le signe de croix à l'envers au début de l'Office. Mais voilà, ce sont des garçons, des hommes qui ont été sé­duits par la spiritualité Orientale, Grecque, Russe, Slave... Pourquoi ? Parce que nous autres, nous n'avons plus rien à leur donner ! C'est terrible, ça !!!

Vous avez alors l'autre Orient, l’Extrême-Orient. Vous aurez des jeunes qui partent au Népal, dans l'Himalaya, aux frontières du Tibet. Dans le vrai Tibet, ils ne peuvent pas entrer parce que les Chinois sont là aux frontières. Mais enfin ils vont là. Et que deviennent-ils ? Ils deviennent Bouddhiste. Il y en a qui vont s'abreuver à la spiritualité Japonaise, du Zend, du Yoga. C’est bien, il y a une certaine discipline là-dedans ! Cela va bien, il y a une sorte d'ascèse à laquelle nous pouvons emprunter quelques éléments qui sont d'ailleurs présents dans notre spiri­tualité à nous mais un peu oubliés.

Mais non, Pourquoi ? Mais parce que ici, il n'y a plus de contemplatifs. On n'en forme plus. On formera des cérébraux, des intellectuels, mais pas des hommes qui de tout leur être s'ouvrent à Dieu pour que Dieu puisse entrer en eux, les transformer ; qu'ils puissent, eux, voir Dieu et être des hommes achevés, parfaits. ils vont là pour devenir des spirituels Orientaux !

 

...Les hommes ont faim de ce que nous pouvons offrir ! Et si nous creusions notre spiritualité monastique et cistercienne, nous serions franchement compétitifs...

 

Mais hélas, il y a toujours chez nous une certaine peur. Il fut un temps où parler de contemplation ou de mystique suscitait non seulement le sourire, mais des ricanements dans les communautés cisterciennes. C’était à l’époque où on parlait de Trappiste. Et il n'y a pas tellement longtemps ! J'ai encore connu ça ici, chez l'un ou l'autre ancien, qui sont morts maintenant, et qui seraient plus que centenaires.

Eh bien, c'est cela qui effraye les hommes, les jeunes aujourd'hui. Mais si nous sommes franchement contemplatifs, si dans toute notre vie nous pouvons nous présenter devant eux comme des hommes heureux, des hommes chrétiens, des hommes christifiés, des hom­mes qui croient et qui sont donnés à leur idéal, alors, il ne sera plus nécessaire de courir au Mont Athos, ou de courir en Roumanie, ou d'aller aux Indes pour trouver Dieu. Dieu est ici !

Voilà mes frères quelques petites conclusions préliminaires de ces Anglo-Américains. A une autre occasion, nous essayerons d'aller encore un peu plus loin. Vous voyez que la réflexion au Chapitre Général a tout de mê­me été profonde. Mais ça, c'était très bien quand on était entre soi. Ce sont des hommes qui se réunissent, qui sont intéressés par la question et qui parlent.

 

Temps de Noël : Oracle de Siméon.              29.12.80

      Amour ou aversion ?

 

1. Introduction à l'Eucharistie :

 

Mes frères,

 

Demandons au Seigneur d'ouvrir nos coeurs aux largesses dont il veut nous enrichir à l'occasion de l'anniversaire de sa nativi­té. Et regrettons amèrement la débilité de notre conscience.

 

2. Homélie :

 

Mes Frères,

 

Les paroles de Siméon séparent l'humanité en deux. Et ces pa­roles sont décisives comme toutes celles que Dieu lance dans le monde par la bouche de ses prophètes. L'Oracle de Siméon signifie ceci : Les hommes se jugent eux-­mêmes à travers leur prise de position en présence du Christ Lumiè­re du monde.

Attention ! Soyons sur nos gardes ! N'allons pas imaginer qu'il est question ici d'opinion philosophique ou théologique comme s'il était simplement question de se situer, de se mouvoir au niveau de la réflexion ? Il s’agit bien d'autre chose.      Et c'est l'Apôtre Jean qui nous donne une clef qui nous per­met de comprendre. Et c'est extrêmement simple :

Mon attitude face à mon frère met à nu les secrets de mon cœur ! Si j'aime mon frère, je suis dans la Lumière et la Vie de Dieu palpite en moi. Si j'ai de l'aversion pour mon frère, je suis dans les ténè­bres et les puissances de mort dominent sur moi.

 

Amour, Aversion ! Il ne s’agit pas de sentiments, mais de ce qui sort du cœur : pensées, gestes, actions dans le concret des relations quotidiennes. Et ceci vaut pour tous les hommes indistinctement, quelque soit le lieu où ils séjournent. C'est ainsi que le Christ compte des amis qui s'ignorent. Et il se trouve aussi de faux chrétiens, des menteurs, comme dit l'Apôtre.

Et ici, nous retrouvons en Saint Jean la violence qui était au départ de son tempérament, qui n'a pas été annulée, mais qui s'est convertie et qui maintenant ne lui permet pas de transiger avec la vérité. Transiger serait trahir la Christ et occulter la Lumière. Jean est dur parce qu'il veut tirer les hommes de leur sommeil. Il voit de ses yeux, il est le témoin oculaire de ce que Siméon contemplait de loin : Le Christ présent parmi les hommes et le Christ signe de division. 

 

Mes frères, Saint Benoît nous dit que Dieu est patient avec nous. Il attend que nous le prenions au sérieux. Aujourd'hui encore dans cette liturgie, il nous parle ouvertement. L'entendrons-nous ? L'écouterons-nous ? Le moine est un neptique, un vigilant, un attentif, un éveillé. Sommes-nous des éveillés ? Est-ce que nous nous rendons compte que notre frère c'est le Christ et qu'il n'y a pas à en sortir !

Mon avenir éternel gravite autour du visage de mon frère. Ai-je les yeux ouverts pour reconnaître le Christ ? Et si je le reconnais, vais-je me dresser contre lui ? Que va-t-il sortir de mon cœur ? Ses secrets les plus personnels et les plus intimes, ils seront mis à nu, et sous le regard de Dieu, et sous le regard des autres aussi. 

 

Mes frères, dans un instant le Christ va nous nous unir à lui. Il va nous rassembler en un seul Corps, qui est le sien. Puisse-t-il maintenant nous plonger tous dans sa Lumière et nous y garder jusqu'à notre dernier souffle...

 

                                                                                                                       Amen.

 

Temps de Noël : Le message d’Anne.             30.12.80

Homélie : Contemplatifs ?

 

Mes frères,

 

Anne parlait de l'Enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem. ­Elle était soulevée par l'enthousiasme de sa Foi, elle ne pouvait se contenir. Pour elle, c'était assez et c'était trop. Assez, car ses espérances les plus folles étaient comblées. Trop car son coeur était devenu petit, et il débordait. Elle devait partager sa joie., Il fallait que le plus grand nombre, tous si possible, entre dans la plénitude de cette joie.

 

Mes frères, vous savez que le Chapitre Général s'est demandé si dans notre Ordre existait aujourd'hui de vrais contemplatifs ? Des contemplatifs authentiques ? Des hommes qui ont reçu un choc à la fois doux et terrible, un choc qui les a jetés à terre et rendus aveugle, un choc qui leur a donnés des yeux nouveaux qui maintenant regardent l'invisible.

Tous voyaient un enfant de 6 semaines dans les bras de sa mè­re. Anne, seule, contemplait la Lumière du monde. Cette Lumière en laquelle sont cachés tous les trésors de la sagesse et de la con­naissance.

Tous voient un univers de matière, du vivant, de l'intelligi­ble. Le contemplatif seul, admire la Jérusalem nouvelle, patiemment, amoureusement construite par le Créateur. Cette Jérusalem, l'épou­se de l'Agneau, nimbée de gloire, immergée dans la Lumière.

 

Mes Frères, notre capacité d'étonnement et d'émerveillement, elle qui fait les poètes et les contemplatifs, est-elle fraîche, juvénile, toujours neuve ? Est-elle adaptée, est-elle accordée à la Lumière, à l'enfance, à la transparence de cette ville : Jéru­salem, cette cité de cristal,  jeune de l'éternelle jeunesse de Dieu ? Le contemplatif est l'oeil lumineux du cosmos. Sans lui, Jéru­salem ne serait pas éblouie par la beauté de son époux et elle ne se connaîtrait pas elle-même. Il est un tourment peu commun, c'est de voir des choses que personne ne voit, de se trouver désorbité par rapport aux autres, étranger, de plus en plus étranger.

            Le monde a ses lois qui s'appellent convoitises de la chair, convoitises des yeux, orgueil de la puissance. Le contemplatif était, hier, dominé par ces lois. Mais l'en­fant, mort et ressuscité, l'en a délivré. Et lui-même devenant à son tour un enfant sait que désormais il est libéré pour toujours ! Mais malheur à lui ! Désormais encore il sera seul car il a perdu de vue le troupeau qu'il suivait.

           

Mes Frères, des contemplatifs de cette trempe, s'en trouvent­-ils encore dans nos monastères ? C'est là le secret de Dieu ! Mais une chose est certaine, si nous avons le courage de nous laisser vaincre par le Christ dans une joute d'amour, le cou­rage de redevenir enfant, alors ce sera demain notre part. Bientôt, nous promet Saint Benoît !

 

                                                                                                             Amen.

 

Temps de Noël : Le MEMRA de Dieu.            31.12.80

          Homélie :

 

Mes frères,

 

Nous devrions nous pencher longuement sur l'Hymne magnifique qu'est le Prologue de Saint Jean. Il faudrait l'ausculter de l'in­térieur, être soi-même pure hymne à la louange de Dieu afin d'être consonance parfaite avec elle.

Aujourd'hui, je voudrais me permettre de jeter un regard fur­tif mais combien respectueux et retenu sur les abîmes incandescents du mystère que Saint Jean ouvre aujourd'hui devant nous. Excusez-moi si je vais user d'images quelques peu insolites afin d'essayer d'évoquer ce que j'aurais un instant aperçu.

 

Dieu vit. Et dans les profondeurs de Dieu, dans ses entrailles qui sont bonté, amour, tendresse, don de soi, partage, dans les entrailles de Dieu germe un projet, une pensée, une parole, un "memra". Je m'arrête à ce mot Araméen qu'utilisait certainement Saint Jean quand il s'exprimait dans sa langue maternelle. Il dérive d'une racine qui est tout un tableau, une scène vivante que nous devons laisser jouer en nous jusque dans notre musculature.

            Et cette racine esquisse un mouvement de bas en haut, une élé­vation, une ascension, une montée. Voyons donc ce "memra" qui germe au fond des entrailles de Dieu et qui monte. Il arrive à la hauteur du coeur, du coeur de Dieu. Et là, il se charge d'effluves qui sont les inimaginables énergies divines. Il monte encore. Le voici sur les lèvres de Dieu. Et il se répand au dehors en une vapeur qui devient l'ineffable beauté du cosmos.

 

Oui mes frères, l'univers est un discours ordonné, équilibré, harmonieux que Dieu nous adresse,  par lequel il nous dit quelques secret de son être mystérieux. Chaque créature, inanimée, vivante ou intelligente, porte en elle une étincelle de divin qu'est ce "memra" primitif. Les anciens moines, les tous premiers étaient attentifs à lire ce Livre que Dieu avait écrit pour eux. Ils contemplaient ce qu'ils appelaient les "logoï" des êtres, cette Parole qu'ils déchif­fraient avec une attention jamais lassée. C'est dans le Livre de la nature, de l'univers, de la création qu'ils faisaient une bonne part de leur Lectio Divina.

 

Mes frères, comme nos sens doivent être atrophiés aujourd'hui, nous qui n'y comprenons quasiment plus rien ! Mais le plus merveilleux n'est pas dit. Il a fallu que Jean nous l'apprenne. Dans le sein de Dieu, dans la profondeur des profondeurs, au lieu de l'inaccessible absolu, naît une "memra" unique, une Pa­role par laquelle Dieu se dit à lui-même qui il est.

Et cette Parole qu'il se dit pour lui tout seul, elle est tel­lement vraie, tellement réelle, tellement adéquate à son être divin, qu'elle est une Personne, une Personne divine entièrement distincte de la Source et pourtant consubstantielle à elle. C'est de cette Parole première, de cette Parole divine qu'ont été envoyés, qu'ont germé toutes ces multitudes infinies de Paroles qui sont devenues la création que nous pouvons admirer aujourd'hui.

 

Mais un jour, au jour fixé dans le projet divin, cette Parole ­divine, ce "memra" créateur - car rien de ce qui est, n'a été fait sans lui. Il est pour ainsi dire sorti hors de Dieu tout en ne le quittant pas - il a voulu, il a pris chair dans la chair d’une femme toute pure, d'une vierge. Et lui-même s'est fait chair. Il est devenu homme.

Il est apparu aux regards de tous les hommes de son temps, de son pays, de son village, de sa famille. Dieu, homme parmi les hommes. Et par un retour extraordinaire des choses, il a permis que notre nature humaine accède au niveau du divin et que nous, chair, nous puissions devenir à part entière des dieux.

 

Mes frères, l'Apôtre Jean nous dit : Nous avons vu sa gloire. Eh bien, nous ne sommes pas défavorisés par rapport à lui. Les yeux de notre coeur purifié peuvent aujourd'hui même, à cet instant ­dans notre assemblée, voir la Personne du Verbe Incarné, de ce Christ Jésus parvenu au terme de sa course à travers la mort et la résurrection. Lui qui est la Vie, lui qui est la Lumière du monde, il nous est donné à nous, si nous le voulons, de le regarder aujourd'hui des yeux de notre corps spirituel en voie de formation.

Mes Frères, nous sommes greffés sur cette Personne divine. Avec elle, nous partageons, et la Vie, et le Corps, et la destinée,­ avec elle, si nous y consentons, nous travaillons à l'achèvement, à l'accomplissement de ce travail auquel Dieu se livre depuis la chiquenaude initiale ou le premier "memra" est sorti de sa bouche.

 

Mes Frères, je voudrais que nous comprenions deux choses en cette fin d'année, à cette charnière entre deux années de notre vie. D'abord la noblesse de notre destinée. Et n'allons pas cra­cher sur elle ! Nous sommes des enfants de Dieu. Nous partageons la Vie divine. Nous sommes en voie de divinisation. Notre coeur peut devenir lumineux, rayonnant d'une pureté telle que la divini­té qui l'habite transparaisse au dehors et puisse ainsi comme de proche en proche allumer toutes ces étincelles, les ranimer pour que un jour - encore une fois au jour voulu par Dieu - la création entière soit le vase qui laisse paraître, transparaître, éclater la gloire de Dieu.

            A ce moment, Dieu sera tout en tout et son" memra ", le Christ Jésus, sera le coeur du monde. Et nous, nous serons dans ce coeur la cellule qui lui donne joie, qui lui donne plénitude de bonheur.

 

Et ensuite, mes frères, nous devrions comprendre que tout péché est une forme de mensonge. Lorsque je pèche, je mens à Dieu et je fais passer Dieu pour un menteur...ce qui est le som­met du sacrilège. Et je me mens à moi-même, car je renie mon être véritable, la vérité que je suis.

Mes frères, il n'est rien de plus laid au monde que le men­songe, et tout péché est une forme de mensonge. Nous allons à nouveau dans cette Eucharistie revivre ces mystères de création, d'incarnation, de divinisation. Puissions­-nous y entrer et ne jamais en sortir.

 

                                                                                                                 Amen.