Mes frères,
Notre liturgie nocturne, notre liturgie célébrée au cours d'une nuit tend à insinuer que l'Incarnation s'opère, se poursuit dans l'ombre, dans le silence de l'inconnu.
Nous devons maintenant nous préparer à accueillir l’événement que nous allons réactualiser maintenant, que nous allons réactualiser encore dans le cours de la journée qui commence. Nous devons être prêt à l'accueillir afin qu'il puisse pénétrer en nous, et agir en nous, et réaliser en nous cette nouvelle incarnation du Christ qui est le but, le terme de notre vie chrétienne.
Alors, nous allons maintenant désencombrer et nettoyer les allées de notre coeur. Ainsi nos yeux seront plus clairs, nos oreilles seront plus attentives, et le mystère pourra agir en nous. Il pourra produire en nous tous ses effets et nous conduire un peu plus près du terme de tous nos espoirs : que le Christ soit enfin tout en nous.
Mes frères,
Les paroles que nous venons d'entendre sont tellement prégnantes et lourdes de mystère qu'il n'est pas possible à un homme de les porter. Ces paroles doivent réaliser en nous ce que Dieu leur a donné comme mission. Elles doivent entrer à l'intérieur, au plus profond de nous-mêmes, et là, commencer à fermenter, à faire lever en nous cette semence que Dieu a déposé dès le commencement du monde, et qui repose aussi en notre coeur. Et puis, insensiblement reproduire en nous ce mystère, ce mystère de l'Incarnation de Dieu et faire de nous des fils animés de la Vie qui est celle même de la Trinité.
Je vais simplement aujourd'hui, cette nuit et tantôt pendant la journée, effleuré un rien, un rien ce mystère. Il me semble que nous ne devons pas craindre de transcender d'un grand coup d'aile les espaces et les temps. La Parole de Dieu, elle enferme tout en elle, elle qui est créatrice, elle qui est rédemptrice, elle qui est divinatrice.
A la nuit où l'Incarnation de Dieu est devenue manifeste aux regards de tous, répond une autre nuit : celle où la chair de l'homme empruntée par ce Dieu a été engloutie pour jamais dans l'abîme de la divinité. A la nuit de l'Epiphanie de Dieu répond la nuit où Dieu devenu homme est ressuscité d'entre les morts, et a pris cette chair et pour jamais l'a transfigurée, l'a animée d'une vie autre, d'une vie nouvelle, la propre vie de la Trinité.
Les deux sont indissociables. Ils constituent un seul et même événement. Noël en est l'origine, et Pâques en est le couronnement. Et ainsi notre histoire est projetée en pleine lumière. Notre histoire devient elle-même lumière.
Ce peuple, dont parlait le prophète, et qui marchait dans les ténèbres, ces bergers qui faisaient la nuit auprès de leurs troupeaux ne serait-ce pas nous, mes frères ? Nous qui cheminons péniblement, qui travaillons dans la nuit, dans l'obscurité de notre coeur enténébré, nous qui sommes soumis à la vanité, nous, qui courons après des riens, nous, qui sommes accablés de soucis, qui sommes traqués par nos peurs, nous qui semons dans la chair pour récolter de la chair la corruption.
Dans nos mains, il ne reste quoi ? Rien, un peu de poussière, un peu de vent. Cette nuit même, dira un jour le Verbe de Dieu, cette nuit même on va te redemander ta vie. Et alors tout ce que tu as fait, pourquoi ? Pour qui ? Mes frères, nous savons maintenant. Nous devons en prendre conscience. Le temps de notre ignorance est passé ! Nous devons, nous, répondre au plan, aux projets que Dieu a sur nous.
Or, ce qu'il veut faire de chacun d'entre nous, de chacun des chrétiens, ce sont des témoins : témoins de sa présence parmi les hommes, de sa présence effacée mais infiniment puissante, présence de son amour patient, bienfaisant, présence de son action, son action divinisatrice, son action transfigurante, son action béatifiante.
Mais il ne pourra réaliser ce plan que si nous le laissons entrer en nous, que si nous le laissons évacuer de nous toute cette vanité, toute cette corruption, tous ces riens, que si nous le laissons prendre en nous la place, que si nous le laissons devenir en nous la vérité qu'il est. Ah si nous pouvions chacun d'entre nous être vrai, répondre chacun au projet que Dieu a formé ! Ce projet qui est son souci, car lui aussi a des soucis. Il a le souci de faire de nous des enfants, mais de vrais enfants qui vont alors transpirer sa vie, vraiment la transpirer. Elle coulera d'eux et elle pourra alors comme une eau se répandre. Et les hommes, nos frères, pourront venir s'y baigner, s'y laver, s'y abreuver.
Voila mes frères, ce que devrait être un chrétien dans le monde d'aujourd'hui. Car nous le savons, plus que jamais le monde est déchiré par la violence, le monde est tenaillé par ses angoisses : de quoi demain sera-t-il fait au plan politique, au plan économique ? Partout, n'est-ce pas, des hommes meurent. Ils meurent de faim, ils meurent de misère. D'autres par contre écrasent et s'enrichissent et s'alourdissent de plus en plus. Et pour tous, l'issue sera la même : cette nuit, on va te redemander ta vie. Et alors pourquoi ?
Mes frères, nous devons être ainsi dans le monde des témoins de cet amour de Dieu pour les hommes, des témoins de ce projet de Dieu qui veut faire de chacun des hommes un autre lui-même. Si nous pouvions seulement réaliser ce que cela veut dire ! Mais là, encore une fois, c'est un mystère trop lourd pour nous. Mais il veut pour réaliser son plan, il veut que chaque chrétien devienne une lumière, que triomphe en lui, que triomphe en nous la Lumière. Dés l'instant où il est apparu dans une chair d'homme, dès le premier instant il était un enfant, rien du tout. Et cet enfant de rien récapitulait déjà en lui toute l'humanité, même au-delà de l'humanité, le cosmos tout entier, mais l'humanité, le monde tel qu'il est avec ses misères, avec ses peines et aussi avec ses crimes.
Cet enfant avait été fait péché, afin de volatiliser tout ce péché. Mais cet enfant a grandi, est devenu un adulte. Et puis il est mort, broyé par ce péché. Mais à ce moment, Dieu qui l'a conduit jusque là à travers une obéissance parfaite, absolue, totale, à travers un amour inconcevable, Dieu à ce moment l'a repris, il lui a rendu la vie. Mais rendre la vie est encore mal exprimer la vérité. Il lui a conféré une vie autre, cette vie éternelle dont nous portons en nous la semence, je l'ai dit tantôt.
Mes frères, il veut Dieu, il veut ce Christ, que chacun d'entre nous devienne ainsi un microcosme comme lui l'a été. Et c'est possible. C'est possible si nous laissons triompher en nous la Lumière. La Lumière, c'est à dire sa Vie, son Amour, sa Grâce. Cette Lumière qui est prémices, qui est promesse de cette Lumière qui au-delà des malheurs, des cris et des pleurs attend chacun des hommes sans aucune exception.
Mes frères, le Christ qui est né un jour dans une chair d'homme, le Christ qui maintenant ressuscité, transfiguré, domine plus que jamais l'univers entier, Lui, qui le porte dans le creux de sa main. Mes frères, il est ici dans notre assemblée, il est ici parmi nous, il est ici devant nous.
Oh, s'il pouvait nous ouvrir les yeux pour que nous le voyions - les yeux de notre coeur, les yeux de notre esprit - pour que nous puissions alors l'acclamer sans fin, nous donner à lui, nous livrer à son mystère pour qu'il puisse réaliser en nous son projet : faire de nous les images, les répliques parfaites de ce qu'il est. Et ainsi nous pourrions devenir pour le monde ce que le monde attend,ce que le monde espère : la Lumière, l'Amour, la Vérité, l'Espérance.
Mes frères, vous allez penser peut-être : tout cela, c'est de la folie !! Mais NON, c'est le plan de Dieu, c'est la sagesse de Dieu, sagesse qui est peut-être folie aux yeux des hommes ; mais ce qui est impossible à nous, n'est-ce pas possible à Dieu ? Livrons-nous donc à cet amour dont nous réactualisons aujourd'hui le gage !
Et ainsi, mes frères, comme le dit Saint Benoît, à travers les difficultés de cette vie, nous confiant à cet amour de Dieu, nous parviendrons jusqu'à la gloire qui nous attend, non seulement nous, mais aussi avec tous nos frères les hommes.
Mes frères,
Au cours de cette nuit, Dieu s'est manifesté à nous sous les traits d'un petit enfant. Jusque là est descendu le réalisme de l'Incarnation. Et maintenant nous allons contempler le Christ dans la splendeur de sa génération éternelle. Et ainsi le mystère nous encercle, nous enserre de tous côtés.
Demandons à la Vierge Marie, la Mère de Dieu, à tous les saints, à tous ceux-là qui voient déjà Dieu, qui vivent dans son intimité, demandons-leur d'intercéder pour nous, afin que Dieu daigne éclairer les routes de notre coeur pour que nous puissions accueillir avec reconnaissance toute l'ampleur du mystère de Noël.
Mes frères,
Si nous pouvions écouter dans la langue hébraïque originale les paroles que le prophète Isaïe vient de nous adresser, nous remarquerions une expression d'une audace stupéfiante. Elle a été entièrement laissée de côté dans la traduction. Elle apparaît comme un diamant serti sur une plaque d'or pur. Vous allez en juger.
Les guetteurs sont postés sur les décombres de Jérusalem, et ils regardent Dieu qui revient à Sion. Dieu avance, il est de plus en plus proche, il est tout proche. Et voici le joyau : les guetteurs voient Dieu les yeux dans les yeux. Et alors ils ne savent plus se tenir, ils trépignent de joie, ils commencent à danser.
Mes frères, c'est là le vieux rêve de l'humanité, celui que nous portons incrusté, imprimé au fond de notre âme, au fond de notre être : voir yeux de Dieu, plonger le regard dans les yeux de Dieu et y puiser la Vie, la Paix, le bonheur, l'assouvissement sans fin.
Tout ce que vivent les hommes, depuis l'héroïsme le plus pur jusqu’au déferlement de toutes les cruautés possibles, tout cela n'est qu'une tension éperdue vers les yeux de Dieu ; que nous l'acceptions, ou que nous le refusions ; que nous le reconnaissions, ou non ; que nous construisions, ou que nous détruisions.
Il n'y a rien à faire, il nous est impossible d'échapper à ce destin qui fait partie constitutive de notre être. C'est peut-être une recherche ardente, amoureuse, persévérante ? Ou bien ce sera un cauchemar atroce dont on ne peut s'éveiller. Il n'y a rien à faire !
Mes frères, lorsque je dis, lorsque l'Ecriture dit : voir les yeux de Dieu, ce n'est pas une figure de style, ce n'est pas une façon symbolique d'exprimer une réalité hors de notre portée. Dieu qui s'est fait homme, le Christ Jésus, Dieu dans une chair d'homme, il avait des yeux. Et ces yeux, il ne les tenait pas cachés derrière des verres fumés. Ces yeux, chacun pouvait les voir. Et ce qui est extraordinaire, chacun peut les voir encore aujourd'hui. Si Dieu a voulu se faire homme, c'est pour que les hommes puissent enfin voir ses yeux.
Et ses yeux sont des sources. Des ses yeux jaillissent sans fin des fleuves de lumière, des fleuves de vie, des fleuves d'amour. Et ces fleuves se répandent dans l'univers entier. Ils le portent. Et nous pouvons, si nous le voulons, nous y baigner, nous y purifier. Nous pouvons y puiser la Vie Eternelle.
Mes frères, si Dieu nous a retirés d'entre les hommes, s'il nous a invité à vivre dans sa maison, chez lui, avec lui, c'est parce qu'il attend que nous devenions uniquement oeil. C'est déjà cela que nous enseignent les premiers initiateurs de la vie monastique : des hommes qui puissent être un oeil. Un oeil capable de fixer l'oeil de Dieu. Mais pas un oeil pour soi seul, oeil aussi pour l'humanité.
Et l'humanité, par cet oeil, peut se plonger dans l'oeil de Dieu, s'y perdre, et puis en ressortir transformée, image déjà de l'humanité à venir. Et n'allez pas penser que c'est là songe creux. Le Verbe de Dieu s'est fait chair. Il a fixé sa tente parmi nous. Il a déambulé parmi nous. Il est mort comme chacun d'entre nous mourra. Mais il n'est pas mort comme nous mourrons exactement. Il est mort en poussant l'obéissance à son Père jusque là.
Et son Père, alors, l'a ressuscité, lui a donné la Vie Nouvelle, cette Vie qui brille dans ses yeux, qui brillait déjà, qui brille plus que jamais maintenant, et je le répète, se déverse jusqu'à nous. Il s'est fait chair pour cela. Et dans quelques instants, nous allons manger la chair et boire le sang de ce Fils de Dieu. Dieu va assimiler sa substance à la nôtre, et ses yeux vont devenir nos yeux. Et nos yeux, devenus siens, vont recevoir la puissance de regarder les yeux de Dieu.
Mes frères, nous avons vu sa gloire, disait l'Apôtre. Et il disait encore : Dieu, personne ne l'a jamais vu. Mais maintenant, dans le Christ nous le voyons. Les yeux de Dieu, personne ne les a jamais découverts. Maintenant dans ceux du Christ, nous pouvons admirer la beauté d'un regard Divin.
Mes frères, en ces jours de Noël, pensons un peu à cette vocation qui est la nôtre. Je pense que si nous pouvions avoir suffisamment de foi, de confiance et d'amour, il suffirait d'une seule Eucharistie pour en une fois nous dégager de la vanité, nous dégager de l'égoïsme, nous libérer de cette involution constante sur nous-mêmes ; une seule Eucharistie pour nous projeter hors de nous et nous permettre d'accueillir cette lumière et d'être enfin autre, d'être enfin ce que un jour toute l'humanité sera.
Mes frères, portons cette espérance en nous aujourd'hui. Et puis ne la perdons pas, conservons-là tous les jours de notre vie, et sachons que Dieu accorde toujours aux hommes autant qu'on en espère.
Amen.
Mes frères,
Le but ultime de toute vie humaine, c'est de connaître Jésus Christ. Lui-même l'a révélé à ses disciples au moment où il se séparait d'eux. Il disait en s'adressant à son Père : La Vie Eternelle, c'est qu'ils te connaissent, Toi le Dieu unique et véritable, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ.
Mes frères, quelle audace et quelle autorité dans la bouche de cet homme ! Car ne l'oublions jamais, Jésus, s'il était le Verbe de Dieu, était aussi un homme comme vous et moi. A ce moment, il avait une conscience parfaite de son identité. Il savait qu'il était Dieu tout en étant homme.
Mais alors, chez ses auditeurs, chez ses disciples, quel acte de foi, quel saut périlleux qui les lançait dans un univers autre que le leur, un univers où ils allaient se découvrir étranger, où ils allaient devoir chercher leur route à tâtons presque comme des aveugles. L'Esprit du Christ viendrait un jour en eux et les habiterait. Mais malgré tout ils seraient toujours des étrangers chez Dieu, tout en devenant des fils de Dieu.
Mes frères, cette connaissance de Jésus le Christ n'est pas une connaissance d'ordre spéculatif. Elle est une connaissance par voie de communion à l'être divino-humain de Jésus. Et cette connaissance, elle est infusée dans l'homme, elle se soumet l'homme et elle le transforme insensiblement de fond en comble.
L'homme devient branché sur le Christ. Il devient avec lui un seul Esprit et il commence à accomplir des actions nouvelles, des actions spirituelles, des actions divines, des actions dont le dénominateur commun sera l'amour. Amour de Dieu, Dieu passionnément aimé, mais amour de Dieu se manifestant, se dévoilant aux regards de tous dans l'amour du frère, quelque soit ce frère.
Mes frères, il y a dans le récit Evangélique que nous venons d'entendre un petit trait sur lequel je voudrais m’arrêter un instant. Il y a dans le temple, y faisant ses dévotions, un inconnu. Et cet inconnu reçoit dans ses bras le Fils de Dieu, cet Enfant Jésus âgé de six semaines. Marie a confiance, elle le lui donne. Et c'est un inconnu !
Jésus est enfant, ça veut dire qu'il est incapable de parler. Or il est le Verbe de Dieu. Qu'arrive-t-il alors ? Cet homme le tient dans ses bras et voici qu'ils deviennent UN, et cet homme, et l'enfant. Et voici que l'enfant qui ne sait pas parler va s'exprimer par la bouche de cet homme, et il va révéler qui il est. Il est Salut, il est Lumière, et il est Gloire. Il est le resplendissement de la Gloire de Dieu, et c'est pourquoi il est la Lumière du monde.
Et ainsi il peut apporter aux hommes le salut. Et les trois, gloire, lumière et salut, c'est la VIE. Il est la Vie, dit-il, cette Vie qui va donner aux hommes la liberté, qui va leur permettre d'aller, de venir, d'avoir un espace où respirer, de s'épanouir, de devenir eux-mêmes en devenant des fils de Dieu parfaits.
Mes frères, voici maintenant la petite notation. Il est dit que le père et la mère de l'enfant étaient plongés dans l'étonnement, dans l'ébahissement admiratif. Et c'est encourageant pour nous.
Voici donc que l'Immaculée Marie, que cet être d'élite qu'était Joseph, ce sont les parents de cet enfant et ils apprennent encore sur lui ! Eux aussi doivent entrer lentement, progressivement, dans la connaissance de Jésus, leur fils. Et la suite de l'entretien leur dévoile que cette connaissance passerait par de grandes souffrances.
Mes frères, n'avons-nous pas là le tracé de notre route à la suite du Christ, ce Christ que nous apprenons à connaître en étant de plus en plus axé et greffé sur lui. Dans un instant, lui-même va venir en nous comme nourriture. Il va nous donner un surcroît de connaissance et d'amour. Mes frères, déjà maintenant remercions-le, manifestons-lui au fond de notre coeur notre reconnaissance et notre gratitude.
Amen.
Mes frères,
Nous arrivons à la fin de l'année 1979. L'Organisation des Nations Unies avait décidé que cette année 79 serait consacrée spécialement à l'enfant. Dès maintenant, un peu partout, on s'efforce de dresser un bilan des réalisations de cette année de l'enfant, des résultats acquis. Il semble que malgré quelques lacunes, bien compréhensives, les résultats soient largement positifs. Mais il faudra que ces résultats se confirment dans les années à venir, ça ne peut pas être un feu de paille.
Il y a eu pendant l'année 79, vous le savez, des révélations effrayantes au sujet des enfants, du sort des enfants. Au Cambodge, il ne subsiste plus un seul enfant de moins de 5 ans. Ceux qui ont atteint les 10 ans maintenant sont condamnés à mourir dans les mois à venir. Vous savez que dans une petite République, oh c'est un Empire, l'Empire Centre Africain, le roi, l'empereur plutôt a massacré des enfants. Ce sont des choses qui aujourd'hui nous touchent très fort.
Pendant la guerre, les Nazis ont exterminés des centaines de millions d'enfants, systématiquement, pour tuer la race. Il existe encore dans nos régions, ici, des enfants qui sont maltraités, des enfants qui ne sont pas éduqués, des enfants anormaux, des enfants handicapés.
Et voila, aujourd'hui on le sait, on s'occupe d'eux. On essaye de les aider, de les sauver, de les faire se développer. On est très sensible à cet aspect. Et c'est un des résultats de cette année consacrée à l'enfant. Et ce qui se passe dans notre pays, se passe un peu partout dans le monde.
Et nous là dedans, mes frères ? Nous n'avons pas, nous, à nous substituer aux sociologues, ni aux mouvements familiaux. Et pourtant, vous vous en souvenez certainement, le 1° Janvier de l'année 1979 nous nous étions fixés un objectif dans le cadre de cette année de l'enfant : comment pouvions-nous devenir d'avantage des enfants pour le Royaume de Dieu ?
Et si nous sommes devenus plus enfant de Dieu, plus ces enfants qui entrent déjà dans ce mystérieux Royaume dont Dieu est le Roi...alors il va à partir de nous se diffuser dans le monde entier une énergie, l'énergie de l'Esprit qui va travailler sur lès coeurs de tous les hommes, et qui va leur permettre de mieux comprendre ce qu'est un enfant. C'est notre rôle, notre rôle apostolique, notre rôle missionnaire.
Et pendant toute l'année, nous nous sommes efforcés de réfléchir explicitement ou implicitement à cette mission qui est la nôtre de devenir, de redevenir, de devenir davantage des enfants, des enfants de Dieu, des enfants auxquels le Royaume est accessible tout de suite sans attendre la mort biologique.
Et nous avons d'abord essayé, à l'occasion de la lettre que nous a transmise le Père Abbé Général, de prendre en main et de polir le miroir de la Lectio Divina, ce miroir qui nous permet de voir d'abord qui est Dieu, Dieu qui dans son Verbe, dans sa Parole, se révèle à nous, surtout dans son Verbe incarné le Christ Jésus.
Il se révèle à nous, il nous montre qui il est, qui est celui qui nous appelle, qui est celui qui nous invite, qui est celui dont nous pouvons et devons partager l'intimité. Non pas comme si l'on était l'un à côté de l'autre nous regardant comme des chiens de faïence, ou presque, mais entrer dans l'intimité de Dieu en partageant sa propre vie par une communion, une transfusion de vie, la sienne, qui vient en nous parce que lui a pris la nôtre. Il a voulu devenir homme pour que nous autres nous puissions devenir Dieu.
Et alors dans ce miroir, nous avons découvert ce que nous sommes ; et aussi ce que nous sommes appelés à devenir, ce que nous essayons de devenir c'est à dire des enfants de ce Dieu. Le même sang circule en nous que dans ses veines à lui. Le même Esprit nous anime que son Esprit à lui. Cet Esprit que nous appelons saint parce qu'il nous fait produire des actions qui sont plus que humaines, qui sont de nature divine.
Et alors à partir de là nous avons essayé de comprendre que notre vie monastique était une vie d'enfant. Et nous en avons analysé les principales composantes : la vérité, la beauté, l'amour, la paix, tout ce qui se reflète dans le regard d'un enfant. Et ce qui est vrai d'un tout petit enfant des hommes est beaucoup plus vrai alors d'un enfant de Dieu. Car cette vérité, cette beauté, cet amour et cette paix, c'est la nature même de Dieu qui joue dans notre regard et dans nos yeux.
C'est ce vieux rêve de l'homme, dont j'ai parlé dernièrement, de plongez son regard dans les yeux de Dieu et alors d'y boire, d'y boire à satiété jusque l'assouvissement ; mais un assouvissement qui ne cesse jamais, comme le dit le Christ, d'y boire la vie, d'y boire le bonheur, mais un bonheur qui ne faiblit pas et qui ne fait que s'amplifier.
Voila mes frères, l'enfant, l'enfant que nous essayons de devenir, l'enfant qui est le moine qui vit son idéal avec conviction sans jamais faiblir. S'il y a des chutes, comme c'est toujours possible, et comme c'est fatal, ce sont des chutes d'enfant. Un enfant peut tomber, il ne se casse pas un membre. Il est souple, il se redresse, il rebondit comme une balle et il reprend sa course, il reprend son jeu. Voilà mes frères, ce qu'est un enfant de Dieu !
Et alors, en face de Dieu, avec Lui, dans sa famille, dans sa maison que nous habitons, nous avons essayé de découvrir quelle était notre place. Et notre place, c'est l'admiration, c'est la confiance, c'est la demande, c'est l'ouverture. Un enfant pose des questions, un enfant a besoin de son père, de sa mère pour vivre. Alors il lui demande. Le Christ l'a si bien dit : Si un de vos enfants vous demande un oeuf, allez-vous lui donner un scorpion ? Ou s'il vous demande un poisson, allez-vous lui donner un serpent ? Non, vous lui donnez de bonnes choses.
Eh bien, l'enfant de Dieu ne se gêne pas avec Dieu. Il demande à Dieu, il parle à Dieu, il dialogue avec Dieu. Et c'est tout l'aspect si beau de notre Opus Dei. Nous y avons longuement réfléchi, et ce n'est pas encore terminé, loin de là. Mais nous avons vu que dans cette maison où Dieu nous invitait, nous devons être comme des enfants bien élevés. Un enfant est chez lui dans sa maison, et pourtant il est chez ses parents. Il n'est pas encore le propriétaire du bien. Il ne le sera peut-être jamais. Espérons qu'il ne le sera jamais, que ses parents vont vivre très, très longtemps, et que lui alors aura déjà son bien lorsque ses parents partiront.
Eh bien, nous sommes, nous, dans la maison de Dieu, ainsi des enfants. Mais des enfants respectueux, des enfants qui se tiennent à leur place, des enfants qui savent qu'ils ont été adoptés. Au départ ils étaient des serviteurs, ils étaient des esclaves. Mais Dieu les a formés, et Dieu a mis en eux sa vie. Il les a faits évoluer, il les a faits grandir, il les a transformés. Mais eux n'oublient jamais qui ils sont et c'est cette belle vertu de la xenitheia dont la fleur est l'humilité.
Voila mes frères tout ce à quoi nous avons réfléchi au cours de cette année. Et comme vous le voyez, ça essaye de nous faire grandir dans notre être d'enfant de Dieu. Et maintenant à la fin de cette année, quel est le résultat de tout cet effort, de cette ascèse, de toute cette réflexion, de cette recherche ? Eh bien, je pense que le résultat est nettement positif.
Allez, regardez vous chacun en particulier. Et puis alors regardez l'ensemble des frères. Il est un fait certain : c'est que maintenant nous sommes plus vrais, nous sommes plus simples, nous sommes plus souples, nous sommes plus spontanés dans nos rapports fraternels, et aussi dans nos rapports avec Dieu.
Il y a une certaine raideur, une certaine distance qui s'est assouplie ou bien qui a diminuée. Nous sommes devenus plus naturels, plus enfant, mais surnaturellement-naturel, si je puis m'exprimer ainsi, utiliser ce paradoxe. Plus surnaturellement ouvert les uns aux autres parce que nous sommes d'avantage ouvert à Dieu.
Nous ne devons pas être de ces esprits grognons qui diront : Oui mais, ça c'est encore rien à côté de tout ce qui reste à faire. Oui, laissons les grognons à leurs grognements, il n'y en a pas parmi nous, je l'espère ! Mais nous sommes tout de même lucides et nous savons bien que nous ne sommes pas encore au bout de notre évolution, au bout de notre métamorphose, de notre transfiguration.
Il y a encore beaucoup à faire et nous ne relâcherons pas notre recherche ni notre effort ; ça ne peut pas être une tension nerveuse qui nous fait craquer. Non, ce doit être un effort pour plus de souplesse, pour avoir une aisance plus grande dans la respiration, pour plus de liberté. Mais pour cela nous demanderons à Dieu de nous aider, que son Esprit continue à reposer sur nous, que notre communauté devienne cette famille dans laquelle chacun peut grandir. Je vais essayer peut-être tantôt d'en toucher un mot au cours de l'Eucharistie.
Nous avons besoin de cette famille. En dehors d'elle, il n'est pas possible de devenir un homme. On risque alors d'être de ces enfants "loup", vous savez, qui sont élevés comme ça. Il paraît que ça existe, élevé par un loup dans la nature, alors ils deviennent des petits animaux et lorsqu'on les recueille dans une famille humaine, après quelques semaines ils meurent parce qu'ils ne savent pas vivre.
Nous avons besoin, nous aussi, d'être accueillis dans une famille et de nous y intégrer. Attention à ce mal qu'est cette marginalité qui ferait qu'on pourrait s'imaginer pouvoir vivre dans une communauté sans recevoir la nourriture de la communauté des frères !
Mais alors, vous voyez, nous avons encore beaucoup à faire. Mais nous sommes déjà des enfants de Dieu, et nous en avons conscience, et l'éternité ne nous fait pas peur, ça va durer sans fin.
C'est cela la vie éternelle, c'est une croissance continue en Dieu. Mais Dieu, lui, il n'a pas de limite. Dieu, il est Dieu. L'éternité ne nous fait pas peur et nous savons que nous nous dilaterons tous à sa mesure.
Mes frères,
La liturgie de ce jour oriente nos regards vers ce qui fut la famille terrestre de Jésus. Et elle les élève vers cette immense famille dont il est devenu la tête. Interrogeons-nous quelques instants sur nos relations, sur la qualité de nos relations à l'intérieur de cette famille divino-humaine qui est devenue la nôtre, et implorons notre pardon pour nos faiblesses si fréquentes encore.
Mes frères,
Il est une évidence qui s'impose à nous à partir de l'exemple de Jésus au sein de sa famille humaine, à partir de l'enseignement de l'Apôtre, à partir de l'expérience accumulée au cours des siècles : il n'est pas possible d'aller vers Dieu en franc-tireur. Nous devenons fils de Dieu au sein d'une famille, à condition d'3tre incéré dans une famille ; mais pas n'importe quelle famille, cette famille qui est unique, dont l'origine et l'aboutissement est la Trinité des Trois Personnes Divines.
Et cette famille, elle se révèle comme une communion de vie dans un Corps, un Corps structuré, un Corps organisé, un Corps qui croît, qui se développe, qui va vers sa stature adulte ; et un Corps dont la tête est le Christ, ce Verbe de Dieu, ce Verbe de Dieu qui devait séjourner chez son Père, car il est toujours chez son Père. Même lorsque ayant adopté un corps d'homme il séjourne parmi nous, il est toujours chez son Père.
Et cette famille sur laquelle nous devons être greffés, depuis les temps Apostoliques on l'appelle l'Eglise. Sainte Thérèse d'Avila proclamait fièrement qu'elle était fille de l'Eglise. Cette Eglise lui apportait la Vie Divine, hors laquelle il lui était, à elle Thérèse, impossible de subsister. C'est dans cette Eglise qu'elle réalisait son rêve de petite fille : voir Dieu !
Mes frères, une communauté monastique est une petite cellule de cette Eglise. Elle est une véritable Eglise. Elle est la réplique de la grande Eglise. Sur cette cellule d'Eglise qu'est la communauté monastique repose la puissance de l'Esprit. Dans ses veines circule le sang du Christ ressuscité. Cette communauté Eglise se construit, s'édifie par l'Eucharistie. En communiant à la chair divinisée du Christ, chacun des membres prend sa place en fonction de la mission qui est la sienne dans le Corps. Il y prend sa place, et tous se structurent en partageant l'identique Vie Divine.
Et cette communauté, cellule d'Eglise, elle s'épanouit dans l'Amour, un amour attentif, délicat, lumineux. Un amour qui apporte paix et joie à travers les peines, à travers les misères de tous les jours.
Mes frères, la cellule mère de la grande Eglise demeure à jamais la famille de Nazareth, qui est la jonction entre la Trinité et chacune des petites cellules qui constituent la grande Eglise. En elle, dans cette famille de Nazareth, l'enfant divin grandissait, se fortifiait, prenait conscience de sa véritable identité. Il posait des questions, il donnait des réponses, il devenait un homme. Dans notre famille monastique, chacun de nous doit aussi grandir, se fortifier, acquérir sa stature adulte en Christ.
Mes frères, nous répondrons chacun les uns des autres devant Dieu et devant les hommes. On parle beaucoup de coresponsabilité aujourd'hui, mais la coresponsabilité première, véritable, elle est celle-là : la charge que nous avons les uns des autres, la santé de nos frères, notre santé à nous, leur croissance harmonieuse, leur épanouissement plénier en Dieu, que la Vie Divine puisse s'emparer d'eux,les transformer, les transfigurer.
Mes frères, nous répondrons de cela les uns pour les autres. Mais cette coresponsabilité, nous l'assumons en pleine responsabilité avec foi et amour, car nous savons que la grâce de Dieu repose sur nous, chaque jour et pour jamais.
Amen.
Mes frères,
En ce dernier jour de l'année, en la dernière Eucharistie de cette année, nous allons ensemble remercier le Christ pour toutes les faveurs dont il nous a comblés. Nous allons aussi lui demander de nous prendre en pitié.
A l'exemple de l'Apôtre Pierre, nous pouvons dire que nous l'aimons. Mais nous devons le dire avec une grande humilité. Tout ce qui est bien en nous est un don de son amour. Et lui, lorsqu'il voit en nous du mal, et ce mal est encore, hélas, trop vivant, il le prend sur lui.
Mes frères,
En ce dernier jour de l'année la liturgie nous parle de la dernière heure, ce moment où tout sera fixé, décidé pour l'éternité. Et par un retournement qui lui est familier, elle nous projette au commencement, à l'origine de tout.
Fin et commencement se rejoignent dans la Personne du Verbe Incarné, dans la Personne de Jésus le Christ, celui que nous adorons comme Dieu. Lui qui était hier, qui est aujourd'hui, qui est pour les siècles ; Lui qui est le créateur, Lui qui continue à créer l'univers, Lui qui le sanctifie, Lui qui nous a appelés, Lui qui veut faire de chacun de nous une réplique parfaite de ce qu'il est.
Mes frères, l'histoire de l'homme est ainsi lentement absorbée dans l'éternité par une progressive divinisation de l'univers. Et cette merveille elle s'opère à travers chacun des hommes. Si nous pouvions être ouverts, entièrement ouverts à ce travail de l'Esprit de Dieu, cet Esprit qui est le doigt avec lequel le Verbe, le Christ continue à créer et à sanctifier.
L'écrivain sacré fait allusion à l'anti-christ, à une multitude d'anti-christs, ces anti-christs qui s'éjectent d'eux-mêmes sous la silencieuse pression de l'Esprit. Nous ne devons pas maintenant faire de l'apocalyptique et essayer de savoir qui sont ces anti-christs. Leur apparition coïncide avec la levée de la dernière heure.
Mes frères, soyons lucides et clairvoyants. Les anti-christs, ils nous habitent, nous les portons en nous. Ils ont une certaine face de notre être. Le combat spirituel auquel nous nous livrons journellement les démasque et les force à rentrer dans le néant d'où ils sont sortis. Et concrètement, l'anti-christ, c'est cette part de mensonge que nous continuons à porter en nous.
Mes frères, en ce dernier jour de l'année, remercions Dieu, remercions-le pour le don de sa vérité et de sa grâce qu'il nous fait à tout moment dans la Personne du Christ. Il nous a donné par Lui la puissance de devenir enfant de Dieu et nous le devenons, et nous le sommes devenus un peu plus depuis le début de cette année.
Et pour cela nous devons à tout moment, mais surtout aujourd'hui en ce dernier jour, nous devons remercier Dieu, nous devons remercier le Christ, nous devons remercier l'Esprit. Bientôt mes frères, - c'est ce bientôt de la dernière heure, ce bientôt eschatologique, ce bientôt qui est déjà présent puisque le Christ est ici présent parmi nous et qu'il vit en nous - bientôt nous serons en Lui tout entier lumière, beauté, amour et paix.
Alors mes frères, ne pactisons jamais avec le mensonge. S'il serpente encore en notre coeur, c'est en intrus, c'est en ennemi et nous devons toujours lutter contre lui. L'heure est proche où nous en serons délivrés, nous en serons délivrés pour toujours. Et nous en serons délivrés lorsque nous entendrons Dieu nous dire par la bouche du Christ : Voici, je fais en toi toutes choses nouvelles. Mes frères, le moine, vous le savez, c'est un écoutant, c'est un vigilant, c'est un homme attentif, c'est un homme éveillé. Il attend que ces Paroles du Christ sonnent à ses oreilles.
Mes frères, nous ne devons pas nous endormir. Ce dernier jour de l'année est la promesse de l'année qui va s'ouvrir demain. Alors terminons cette année dans une fervente action de grâce, terminons-là dans l'espérance tout en sachant que les dons de Dieu sont sans repentance, et que ce qu'il a commencé en nous, il l'achèvera ; il le poursuivra jusqu'à la plénitude, jusqu'au moment où il n'y aura plus que Lui qui vivra en nous.
Amen.