Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     01.05.85

      Tu parviendras !

 

Mes frères.

Trois fois par an nous parcourons le texte entier de notre Règle. Et aujourd'hui, nous terminons un nouveau cycle. Ce texte, nous ne le parcourons pas des yeux. Chacun pour notre part nous écoutons la lecture et notre oreille ne se lasse pas de l'entendre. Et notre palais ne se dégoûte pas de la savourer. Et nous découvrons toujours avec surprise des richesses nouvelles.

Le texte demeure immuable, mais c'est nous qui évoluons. C'est nous qui grandissons vers notre stature parfaite d'adulte dans le Christ. Si bien que notre cœur s'élargit et qu'il devient ce que les premiers moines appelaient intelligent. Il peut donc pénétrer à l'intérieur des paroles que nous entendons et y discerner des sens qui ne sont pas secrets mais qui nous apparaissent nouveaux parce que notre oreille est devenue plus fine, parce que notre cœur est devenu plus pur.

Derrière la Règle de Saint Benoît se dresse notre Père Saint Benoît, sa figure prestigieuse, majestueuse. Et devant la Règle se rassemble la multitude des saints moines et moniales qui nous ont précédés. Si bien que la Règle nous fait entrer dans une communion qui est vie éternelle. Nous devrions avoir un esprit de foi tellement aiguisé  que nous entendions la voix de Saint Benoît lui-même à travers celle du lecteur. Cela produirait sur nous une impression plus grande et plus profonde encore. Ses paroles alors s'inscriraient dans notre esprit en lettres de feu qui ne pourraient plus s'effacer. Ce serait indélébile. Nous deviendrions d'autres Benoît.

 

Et aujourd'hui, j'ai découvert un trait de son caractère qui m'avait échappé jusqu'à présent. On nous parle de Saint Benoît, on nous présente sa sagesse, son équilibre, sa discrétion, sa sainteté, enfin tout son amour, toutes les qualités qui en font le premier législateur de la vie monastique, le plus grand. Et aujourd'hui, à travers ce qu'il nous dit, en dessous, nous voyons son honnêteté.

Saint Benoît ne prétend pas avoir tiré le texte de sa Règle de son propre fond. Il en a recueilli les éléments ailleurs. Et dans son dernier chapitre, il nous donne ses sources, il nous donne ses références. Et là est son honnêteté. Il ne se fait pas passer pour ce qu'il n'est pas. Il est un écrivain honnête. Il nous dit les endroits où il a emprunté. Il le fait avec une simplicité qui est la marque de son humilité et de sa vérité profonde à lui.

 

Et ses sources, quelles sont-elles ? C'est d'abord les Pères du désert qui nous présentent une doctrine de perfection. Cette doctrine conduit le moine jusqu'au sommet, un sommet qu'on ne peut pas dépasser parce que c'est le sommet.

La seconde source, c'est l'Écriture. Elle vient en second lieu, l'Écriture, l'Ancien ou le Nouveau Testament qui nous tracent des routes absolument sûres, très droites, sur lesquelles notre vie peut avancer vers son épanouissement.

La troisième source, ce sont les Pères de l'Église, les vrais, pas les hérétiques. Non, les catholiques, ceux qui sont répandus partout, ceux qui sont universellement reçus. Et ceux-là, ils nous conduisent d'une course rapide jusqu'à notre Créateur. Ces hommes ont trouvé Dieu. Ils ont reçu le charisme de pouvoir rayonner sur toute l'Église leur sainteté et leur expérience.

Et sa quatrième source, c'est Cassien dans ses conférences, dans ses institutions ; Ce sont les vies des Pères ; C'est la Règle de Saint Basile. Et là, le moine a à sa disposition des instruments perfectionnés grâce auxquels il va devenir un ouvrier qualifié de la vertu.

 

Et Saint Benoît dispose ses sources en forme de chiasme. Les Pères du désert correspondent aux Pères de l'Église. Le sommet de la perfection et la rencontre de Dieu qui est ce sommet de perfection. L'autre branche du chiasme : l'Écriture et les Écrits des moines, les vies, Basile, Cassien. De part et d'autre des normes très sûres pour la conduite de notre vie et des instruments, des outils qui nous permettrons de travailler avec efficacité à ce qui nous est demandé. Cette construction en forme de chiasme, elle garantit la cohésion et la solidité de la Règle et de la vie qui se conforme à cette Règle.

 

Mes frères, Saint Benoît nous invite discrètement à le suivre. Ce dernier chapitre coiffe la Règle. Mais en même temps il lance, il nous lance au-delà d'elle vers des horizons insoupçonnés. La Règle ne se limite pas à ce qu'elle dit. Nous devons sentir ce qu'il y a en dessous de la Règle, ce qui porte cette Règle, ses racines, les sources de la Règle. Et Saint Benoît nous les donne ici.

Et dans son honnêteté, car c'est une marque d'honnêteté cela, dans son honnêteté il nous invite à faire le même cheminement que lui. Donc, à partir de la Règle remonter aux sources, nous imprégner de l'expérience des Pères du monachisme, faire un avec l'Écriture qui est la Parole de Dieu, qui est Dieu se mettant à notre portée, emboîter le pas aux Pères de l'Église et enfin, prendre en main les instruments que nous donnent ceux, les premiers, qui ont mis par écrit la façon dont la vie monastique doit être vécue.

 

Mes frères, je pense que ce que Saint Benoît dit ici est très beau. Cela nous montre le caractère humain de Saint Benoît, humain dans le sens de la bonté. Saint Benoît est un homme de cœur. Ce n'est pas, vous savez, une sorte de maître qui écrase ses disciples de sa vertu, de sa sainteté. Non, Saint Benoît est profondément humain. C'est un homme de cœur, très simple, très humble, foncièrement honnête.

Il nous dit : Voilà, je vous donne une Règle de vie. Mais moi, j'ai été la puiser là. Eh bien, accomplissez la même démarche que moi. Et comme moi vous arriverez. Comme il dit, le dernier mot de sa Règle, c'est un mot encourageant : pervenies, tu arriveras là où moi je suis, 73,26.

 

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     31.08.85

      Récollection du mois de septembre.

 

Mes frères,

 

Saint Benoît clôture sa Règle sur un point d'orgue. Il nous laisse en suspens devant les plus hauts sommets de la contemplation et de la vertu. Et il nous demande si notre ambition est de nous laisser transporter par Dieu jusque dans ces hauteurs, ces hauteurs où il habite avec ses anges et ses saints. Car ces sommets ne sont rien d'autre que son propre univers.

Saint Benoît nous avait lancés dans cette direction dès le premier mot de sa Règle où il nous demandait d'être attentifs, éveillés, d'écouter ce que l'Esprit nous dirait par les événements, par les supérieurs, ce qu'il murmurerait aussi immédiatement dans le secret de notre cœur.

 

Et en ce jour de notre récollection, nous pouvons nous poser une question : Est-ce que nous prenons Saint Benoît et, à travers Saint Benoît, le Christ lui-même au sérieux ? Avons- nous hâte de parvenir dans cette patrie qui est la nôtre ? Sommes-nous pressés de connaître le lieu de notre origine et d'y retourner ?

Pour Saint Benoît, il n'y a pas de problème. Il vient de nous le dire encore. C'est par une course directe, rapide, que nous devons retourner chez nous, car nous sommes nés chez Dieu. Nous sommes nés dans son cœur, au creux de son amour. C'est là qu'il nous tient encore maintenant, qu'il nous façonne. Mais nous sommes comme endormis. Et il attend que nos yeux s'ouvrent pour que enfin nous le reconnaissions, lui, notre Père, et que nous puissions partager parfaitement tout son bonheur.

 

Mes frères, un pas énorme, décisif est franchi lorsque nous sommes mordus, rongés par la nostalgie de cet univers nouveau. A ce moment-là, notre regard se détourne de tout ce qui jusque là l'attirait, le séduisait, le distrayait, l'occupait sur place. A partir de ce moment, tout devient facile, tout devient léger. Le moine se met à accélérer le pas, puis à courir. Les obstacles ne l'effrayent plus. Il saute au-dessus ou bien il les traverse. Il devient comme un esprit. C'est sa nature spirituelle qui prend le dessus et il passe à travers les murailles que le démon, pour l'empêcher d'arriver, ne cesse de construire devant lui.

Et c'est ainsi, mes frères, que la vie monastique apparaît dans ce qu'elle a de paradoxal. Elle est tout à la fois un labeur et un repos. Un labeur immense, car il faut travailler sur soi, avec Dieu naturellement, mais on n'est pas purement passif. Saint Benoît met toute une série d'instruments à notre disposition, et on apprend à s'en servir. Ce n'est pas de l'automatisme. Il faut devenir un bon ouvrier, il faut devenir un artisan qui fait sortir des ses mains une œuvre belle.

Elle sera peut-être grossière aux yeux du monde ? Mais sous le regard de Dieu, ce sera une merveille car à l'intérieur de la main du moine, c'est celle de Dieu même qui va travailler. Mais c'est un labeur énorme, car il faut abandonner sa technique à soi pour acquérir celle de l'Esprit Saint. Il faut donc sortir de soi-même, il faut s'oublier, il faut se laisser franchement mourir par petits morceaux.

 

Mes frères, cette pratique est quelque chose de très beau et en même temps de douloureux, car il faut travailler à sa propre naissance, une nouvelle naissance, une naissance qui sera une conversion. Saint Benoît nous l'explique très bien. Il faut se détourner de certaines convoitises charnelles pour laisser grandir en soi une nouvelle convoitise d'ordre spirituel, surnaturel. Et un être nouveau surgit, lentement. Mais ce n'est pas  sans douleur, ce n'est pas sans souffrance, ce n'est pas sans arrachement.

Et là encore, ce labeur est immense. Mais en même temps, on goûte un repos sans limite. Un repos, pourquoi ? Mais parce que le cœur qui est pris, émerge dans cet univers nouveau et il baigne dans la lumière. Il est rassasié, il est comblé. Il peut se passer en surface encore de formidables remous. C'est inévitable dans ce labeur et cette naissance. Mais dans les profondeurs, c'est la propre paix de Dieu.

 

Mes frères, ce repos, cette vie, nous pouvons la voir pour ce qu'elle est vraiment. Et ceci, ça va pouvoir être comme une image, mais en fait, c'est une réalité. Le moine de Saint Benoît donc qui s'abandonne à sa vie, à ce courant de vie qui est en lui, il remarque un jour qu'il se trouve à l'intérieur d'une bulle de lumière. Et cette bulle, elle est d'une fragilité extrême. Elle est plus fragile qu'une bulle de savon. Un rien semble devoir la faire éclater et disparaître. Et on se trouverait là tout nu, désemparé. Mais non, cette bulle de lumière dans sa fragilité extrême au regard de la chair, elle est plus solide que tous les univers.

Mes frères, là c'est le lieu de notre repos. Si bien que ce paradoxe s'inscrit dans l'être même du moine de Saint Benoît : un travail immense et un repos sans limite. C'est ce que les anciens et surtout les premiers cisterciens appelaient le labor, et surtout, ce mot qui a fait fortune, l'otium, le loisir. On a toujours l'impression de ne rien faire, d'avoir énormément de temps à perdre, et pourtant on est toujours souverainement pris et occupé.

 

Mes frères, il se produit alors à l'intérieur du moine un passage, un passage d'un état où l'on est plein de soi, à un autre état où on est plein de Dieu. On passe de l'égoïsme à la charité. Et cette désappropriation, ce transfert, s'opère très lentement, progressivement. C'est l'essence même de notre labeur. Et lorsque cette désappropriation approche de sa fin, alors je puis dire comme l'Apôtre Pau l: « Mais ce n'est plus moi qui vit, c'est un autre qui a pris en moi toute la place, c'est le Christ lui-même qui vit en moi. » Alors, nous comprenons que nous sommes à l'intérieur de cette bulle de lumière qui n'est rien d'autre que la personne même de notre Christ qui nous tient.

 

Voilà, mes frères, la grande aventure à laquelle nous sommes appelés. Et Saint Benoît l'a déployée sous nos yeux tout au long de ses 73 chapitres, plus le Prologue. Et voilà, jour après jour, à la mesure de la grâce qu'il nous donne, nous nous efforçons de suivre cette route qu'il nous a tracée. Nous marchons, nous essayons de courir, parfois nous courons, mais jamais nous ne devons revenir en arrière.

Et nous comprenons que notre vie est un mystère. Elle est un mystère qui n'est rien moins que le mystère même de la vie divine en nous, et de la vie divine en elle-même, de cette vie Trinitaire qui est, aux yeux des hommes, pure folie, mais qui opère des miracles et fait surgir devant nos yeux et en nous, l'impossible.

 

Mes frères, aujourd'hui, nous avons dans la première partie de notre journée célébré discrètement la fête de Marie sous son titre de Médiatrice de toutes les grâces. Cela veut dire que ce labeur et ce repos, nous le trouvons toujours - que nous le sachions ou que nous l'ignorions, ça ne change rien à l'affaire mais il vaut mieux le savoir que de l'ignorer - nous le trouvons donc toujours par le canal de la Mère de Dieu, de cette Mère du Christ qui est la nôtre. Car si le Christ doit vivre en moi totalement, ce ne peut être que parce que la Vierge Marie l'enfante en moi.

Il n'est pas question, ici, de s'abandonner à de petites dévotions. Ce n'est pas cela que je veux dire. Mais je vois quelque chose de viril : nous n'avons pas peur de regarder la Vierge Marie comme notre mère, comme celle qui nous obtient tout, celle par le canal de laquelle cette métamorphose, cette transfiguration de notre vie peut s'opérer.

Voilà, mes frères, nous pouvons penser à cela au cours de notre récollection de demain. Vers la moitié du mois de Septembre, nous rencontrerons la fête de la Croix glorieuse. Oui, c'est dans cette croix que se réalise notre victoire, dans notre désappropriation, dans la mort à nous-mêmes pour la naissance à une vie nouvelle qui n'est rien d'autre que le partage de la Vie Trinitaire.

 

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     01.05.86

      Les deux paliers de la vie monastique.

 

Mes frères,

 

Au mois de Février, nous avons parcouru ensemble une conférence du Père Chrysogone de Gethsémani sur la Réforme Liturgique entreprise et menée à bien par les Fondateurs de Cîteaux. A cette occasion, le Père Chrysogone faisait remarquer que nos Pères, dans leur souci de fidélité à la Règle de Saint Benoît, avaient voulu retourner aux sources auxquelles Saint Benoît lui-même avait puisé. Et pour ce faire, ils s'étaient référés au Chapitre 73° dont nous venons d'entendre la lecture.

Cette approche de nos Pères Fondateurs est encore normative pour nous aujourd'hui. Une lecture superficielle de ce Chapitre 73° fait apparaître immédiatement que pour Saint Benoît, donc aussi pour nos Pères de Cîteaux, la vie monastique est un mouvement, une course à deux paliers.

Le premier palier, Saint Benoît l'appelle un initium,73,5, un commencement, un début. C'est la Règle qu'il a rédigée et qu'il nous propose. Si nous l'observons, nous serons pour Saint Benoît, donc pour nos Pères également, d'excellents débutants. Nous prenons un bon départ. Nous montrons que nous avons une honestas morum, 73,5, donc une conduite honnête. Cela, c'est le premier palier !

Mais nous ne pouvons en rester là. Il y a un second. Et ce second palier, Saint Benoît l'appelle le celsitudum perfectionis, 73,9, le sommet de toute perfection. Et ce sommet de toute perfection, ce sont les doctrina culminae et virtutum, 73,26, ce sont les plus hautes cimes de la contemplation et des vertus. Nous devons en arriver là !

 

Ces deux paliers sont indissociables. Pour parvenir au second, il est indispensable de passer par le premier ; et le second suppose toujours la présence du premier. Il est de la vie monastique comme du TGV, du train à grande vitesse dont on parle de plus en plus. Ce train à grande vitesse, vous le savez, atteint une vitesse de 350 Km à l' heure. Lorsqu'il sera installé entre Paris et Bruxelles, il mettra Paris à une heure et demi de Bruxelles. Ce n'est plus a s‘en priver !

Eh bien ce TGV, je l'ai entendu expliquer par une personne compétente en la matière, ce TGV a donc deux vitesses. Une première vitesse avec des organes de locomotion classiques qui lui permettent d'atteindre la vitesse d'un train normal, d'un train express normal. Mais à ce moment-là, automatiquement se mettent en route de nouveaux organes de traction, et insensiblement, sans que les passagers s'en aperçoivent, ils portent la rame à la vitesse de croisière.

 

C'est tout à fait cela qui doit se passer dans notre vie. Lorsque nous observons bien la Règle de Saint Benoît, voilà, nous avons la vitesse d'un train express normal. Nous sommes vraiment de bons moines. On peut les donner en exemple. Mais si nous voulons nous laisser emporter par la puissance spirituelle, donc la puissance divine qui est en nous, voilà que se mettent en route des énergies divines déposées par Dieu en notre cœur et qui nous emportent sans même que nous nous en apercevions vers alors les sommets.

Ce sommet, le moine doit toujours l'avoir sous les yeux parce que cette vision, c'est elle qui est la bougie d'allumage. C'est à partir de ce sommet qu'arrive en nous l'énergie et il y a une réponse, une attraction de plus en plus puissante. S'il n'en va pas ainsi, Saint Benoît le dit carrément, nous sommes des négligents, nous sommes des paresseux, nous  démissionnons, 73,21.

Ce sommet, Saint Benoît le voit encore comme- la Patria caelestis, 73,22, la patrie du ciel. Cette patrie céleste, c'est une participation à l'état du Christ ressuscité. Dès que je suis parvenu à une conformité ontologique, surnaturellement ontologique avec la Personne du Christ ressuscité, je suis  au ciel. C'est cela le sommet accessible pour nous à condition que nous nous laissions emporter.

 

Mes frères, voilà, nous sommes arrivés au terme de notre Règle. Demain, nous allons recommencer le cycle. Et voilà, ce sera un encouragement pour qu’au moins nous soyons des moines honnêtes. Et comme nous sommes dans le Temps Pascal, c'est le moment de raviver en nous le désir de parvenir à la plénitude de notre vocation qui est si belle.

 

 

 

 

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     01.05.87

      Être disciple.

 

Mes frères,

 

Nous voici arrivés au 73° et dernier chapitre de notre Règle. Vous aurez peut-être observé avec moi un trait sympathique , encourageant de la physionomie spirituelle de notre Père Saint Benoît : Il conclut ce qu'il nous a longuement expliqué et il n'opère pas de retour sur lui-même. Il ne se mire pas dans son œuvre. Il n'est pas vaniteux. Il se retire humblement. Il s'efface. Il laisse la place à d'autres qu'il juge plus compétents que lui.

Il nous a initiés aux rudiments de la vie monastique, et maintenant il nous confie à des hommes qu'il estime meilleurs et plus saints que lui, ces hommes qui ont été ses maîtres à lui. Car Saint Benoît lui aussi a été un disciple, et c'est son expérience de disciple qu'il nous livre.

 

C'est ainsi, mes frères, que nous voyons se détacher tout au long de l'Histoire des générations de disciples qui par leur fidélité deviennent à leur tour et à leur place des maîtres autorisés. Ils deviennent des maîtres parce qu'ils ont été de parfaits disciples. L'autodidactisme n'existe pas dans la vie monastique. On ne s'improvise pas moine. On ne se crée pas moine. On reçoit son être monastique d'un autre. Et celui-là l'a encore reçu d'un autre.

Et nous voyons ainsi toute une chaîne qui va remonter jusqu'au Maître par excellence qui est le Christ, c'est à dire le Verbe de Dieu, celui qui seul a autorité pour parler en son propre nom. Lui seul peut s'exprimer sur le mode de moi : « Moi, je dis ! » Personne d'autre que lui !

Et c'est par le canal de cette tradition que la vie monastique se perpétue. Elle s'enrichit d'apports nouveaux, d'apports originaux avec les âges, avec les cultures. Et ainsi, elle rafraîchit son visage et une jeunesse éternelle lui est assurée.

 

Mes frères, nous ne devons jamais nous regarder nous-mêmes, ni en tant que personne, ni en tant que communauté. Regardons, admirons plutôt les autres et disons-nous que sur les traits que nous observons et que nous devons admirer, nous voyons surgir la jeunesse toujours renouvelée de l'institution monastique. Il y a, certes, un vieillissement aussi, oui, un vieillissement des personnes, un certain vieillissement des gestes ou des rites, enfin du cadre de la saisie globale de la vie monastique.

Et ça parce qu’elle est vécue par des hommes, des hommes limités, des hommes qui vieillissent, certes, mais en dessous de cela, il y a la jeunesse de l'Esprit, cet Esprit que le Christ a déposé dans notre cœur et qui doit jaillir en vie éternelle. Et c'est ce que nous devons essayer de percevoir sur le visage de nos frères, et sur le visage des communautés frères, des communautés sœurs plutôt. Ne nous arrêtons jamais à la croûte superficielle. Et cet Esprit du Christ ressuscité suscite sans fin de l'imprévisible, du jamais vu.

Imaginons que reviennent ici dans notre communauté des hommes qui ne nous ont jamais connus, ceux qui ont reconstruit Saint Rémy par exemple, voici cent ans. Ils trouveraient ici quantité des choses qu'ils n'avaient pas imaginées. Et pourtant, pourtant, dès qu'ils seraient entrés dans notre intimité, ils diraient : Mais ce sont vraiment nos descendants, nos enfants. Et c'est cela la jeunesse  de la vie monastique.

 

Et cet Esprit Saint, comme je le disais hier, c'est lui qui nous conduit vers la vérité toute entière telle que le Christ nous l'a promise. Et cette vérité entière, n'ayons jamais la prétention, pas plus que Saint Benoît ne l'avait, de la détenir à nous tout seul. Elle est beaucoup plus vaste. La vérité toute entière, c'est le Christ lui-même. Et ainsi, cet Esprit en renouvelant cette jeunesse spirituelle, notre jeunesse monastique nous fait goûter déjà les prémices de notre propre résurrection.

 

Eh bien, mes frères, Saint Benoît, pour clôturer, nous encourage. Il nous encourage, parce que pour lui il n'y a pas de difficultés. Il suffit de s'y mettre, voilà : accomplis, dit-il, accomplis cette petite Règle écrite pour des débutants, et cela, avec l'aide du Christ. 73,23. Et puis, considère-toi toujours toi-même comme un débutant. Quelque soit ton ancienneté, quelque soit ton expérience spirituelle, tu es toujours un débutant.

Il n'y a rien de plus ridicule, mes frères, que de voir des débutants dans la vie monastique qui se considèrent comme des êtres achevés et puis qui portent un jugement sur tout. Notez bien que ce n'est pas terrible, c'est un défaut de la jeunesse. Mais alors, ce qu'il y a d'admirable, c'est de voir les anciens, eux ne se permettent jamais de juger et ils se considèrent toujours comme des débutants.  Ce n'est pas de l'infantilisme, c'est l'enfance spirituelle, la propre enfance de l'Esprit qui est en eux.

 

Eh bien voilà, mes frères, à l'exemple de Saint Benoît, déposons toute prétention et attendons tout de la grâce de Dieu et de l'Esprit qui nous est donné. Comme Saint Benoît le dit si bien : Si tu fais cela, tu parviendras avec la protection de Dieu - c'est dit en latin, on voit Dieu qui protège, Dieu qui est en action - eh bien, Dieu agissant comme protecteur, tu parviendras aux plus hautes cimes de la doctrine des vertus, c'est à dire de la contemplation et de la puissance.

 

Voilà, mes frères, c'est cela que je vous souhaite. Et comme on le disait dans la lecture au réfectoire, prions les uns pour les autres. Non seulement pour que nos péchés nous soient remis, pour que nos fautes soient oubliées par Dieu, mais aussi afin que nous ayons toujours le courage de croire, le courage d'espérer et le courage d'aimer.

 

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     31.08.88

      C’est notre tour, allons-y !

 

Mes frères,

 

Nous venons de l'entendre, la lecture de la Règle se termine aujourd'hui et, avant de nous quitter, Saint Benoît nous donne ses derniers conseils. Il nous montre des horizons immenses, les espaces infinis du Royaume. Il nous dit qu’ils sont créés pour nous, qu'ils sont notre héritage et qu'ils nous appartiennent. Et il nous invite à en prendre possession, sans crainte, avec l'audace des enfants de Dieu. Il nous fait remonter à la source de ce don fabuleux, le cœur de notre Dieu, et il nous présente la foule de ceux qui avant nous ont cru. Puis il nous dit : C'est votre tour, allez-y !

 

Mes frères, il ne nous est pas possible de nous installer ici-bas. Nous sommes des pé1erins, des voyageurs, et nous savons où nous allons : nous allons chez Dieu. Mais la route étant longue et nos forces limitées, nous empruntons un véhicule qui nous porte à destination. Et ce véhicule, c'est la volonté de Dieu. Voici que Dieu fait avec nous ce que le Patriarche Joseph fit pour son père et ses frères quand il les invita à descendre chez lui en Égypte. Il envoya des chariots qui allaient alléger le voyage et amener toute la famille jusqu'à lui, sans fatigue et sans danger.

La volonté de notre Dieu, elle est pour nous absolument tout. Elle est notre sécurité et elle est notre nourriture, et elle signe à l'avance la réussite de notre vie. Elle est vraiment le véhicule qui nous conduit à Dieu. J'irais même plus loin. Lorsque nous sommes dans la volonté de Dieu, nous sommes déjà chez Dieu car c'est en elle que Dieu se cache. C'est elle qui est tout à la fois la nourriture, le véhicule et la récompense de notre vie. Nous ne devons pas chercher plus loin : nous trouverons Dieu dans sa volonté, nous trouverons le Royaume dans la volonté de Dieu.

Cela n'apparaît pas encore clairement à notre regard, mais c'est parce que notre cœur n'est pas encore suffisamment pur. Mais, lorsqu'il sera arrivé dans la limpidité de la lumière, qui est déjà en lui, mais qui en aura pris possession entièrement, à ce moment-là, il verra que Dieu est dans sa volonté, que Dieu n'est pas distinct de sa volonté. Et lorsque nous sommes accrochés à celle-ci, nous sommes véritablement à l'intérieur de Dieu, c'est à dire au but de notre voyage, au terme de notre voyage.

 

Et alors, mes frères, nous garderons toujours buriné sur notre cœur le dernier mot de la Règle : pervenies, 73,26, tu arriveras. Ce dernier mot est une promesse et une garantie. Dans la mesure où nous nous attachons à lui, le meilleur de nous est déjà arrivé parce que l'espérance est la  manière à notre portée maintenant d'entrer en possession des biens qui nous sont promis. L'espérance, je le rappelle, c'est la vertu théologale qui nous fait participer à la Personne divine qui est l'origine de tout, c'est à dire le Père.

Et lorsque nous croyons sincèrement ce que nous dit Saint Benoît, à savoir que nous parviendrons à rencontrer Dieu, à être chez lui, si nous avons cette espérance chevillée à l'intérieur de notre cœur, nous sommes déjà arrivés au terme.

 

Alors, mes frères, ce qui nous est promis, c'est la communion avec les trois Personnes divines, avec le Christ, avec la multitude des saints. C’est la raison pour laquelle il ne nous est pas possible de nous installer ici-bas, c’est à dire dans les satisfactions sensuelles, charnelles - charnelles dans le sens très large du terme - ou intellectuelles, ou même faussement spirituelles.

Non, nous sommes lancés dans les espaces, dans les horizons dont je parlais au départ. C'est là que nous rencontrons Dieu en abandonnant tout ce qui pourrait nous alourdir, et surtout nos égoïsmes et nos passions.

 

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     31.12.89

      Fin de Règle et fin d’année !

 

t Mes frères,

 

Nous voici au dernier jour de l'année et de la décennie. A l'échelle du cosmos, cela ne représente rien, mais pour le cœur de notre Dieu, il y a là un trésor qui est mis en réserve pour le monde à venir. Pour Dieu, en effet, rien n'est petit. Tout pour lui est d'une importance extrême car tout est l’œuvre de sa main, tout est l’œuvre de son amour. Ainsi tout le bien que nous avons fait est inscrit par lui au registre de la vie, tandis que tout le mal que nous avons fait au cours de cette année est jeté par lui aux oubliettes. Tel est notre Dieu !

Il a, à la mesure de son être infini, une infinie faculté d'oubli. Lorsqu'il nous pardonne, pour lui, c'est fini, il a oublié. Chaque pardon est une recréation. C'est comme si nous sortions pour la première fois de son cœur et de son amour. : Il nous voit déjà dans la gloire auprès de lui. Et la vision qu'il a de nous, le rêve qu'il nourrit sans cesse à notre sujet, voilà ce qui nous crée, qui nous purifie et qui nous transforme. A nous de le croire et de nous laisser aimer.

Concrètement cela signifie : à nous d'entrer dans les linéaments de ses volontés de façon à ce que il puisse vraiment nous unir à lui et faire de nous le visage de ce qu'il est. Concrètement cela signifie que nous devons obéir. L'obéissance à Dieu est l'action la plus noble qu'un homme puisse poser ici bas.

 

C'est ce que Saint Benoît nous dit en nous lançant aujourd'hui dans la compagnie des saints. Il parle des enseignements des saints Pères, de la parole d'autorité divine, des saints Pères catholiques, des Conférences des Pères, des institutions de leurs vies, de la Règle de notre Père saint. Basile. Saint Benoît nous met dans la compagnie de tous ces saints. Cela peut paraître naïf de sa part, mais cette naïveté est payante si nous la faisons nôtre, si nous devenons semblables à ce petit enfant naïf, candide, ouvert. Alors le Royaume des cieux est pour nous.

Le sommet de la perfection spirituelle dans la rencontre de notre Créateur - je reprends ses propres termes - sont à notre portée si au lieu de nous regarder nous-mêmes, nous ouvrons nos yeux à la lumière qui divinise. Et je rappelle que dans l'état actuel du plan de Dieu, cette lumière, c'est la Personne de l'Esprit Saint qui remplit l'univers de sa présence.

Il nous est donc demandé de choisir entre l'égocentrisme, le repliement sur soi, le narcissisme, et l'ouverture à Dieu, et aux frères, et à l'extase, c'est à dire vivre en dehors de nous, vivre dans la volonté de Dieu et dans son amour et non pas peureusement, frileusement dans nos petits vouloirs mesquins. Saint Benoît aujourd'hui veut nous secouer, nous bousculer, nous arracher à l'illusion. Il veut nous accrocher à la vérité qui est Dieu, qui est son projet sur nous, qui est son rêve sur nous. Et Dieu, lui, ne recule jamais.

 

Nous sommes aujourd'hui au dernier jour de l'an. Demain va commencer une nouvelle année. Il en est comme ça pour Dieu. Il ne recule jamais, il croit en nous jusqu'au bout. C'est cela qui est merveilleux chez Dieu, c'est que malgré toutes les désillusions que nous lui infligeons, il nous garde sa confiance. En cette fin d'année, mes frères, pensons-y, réfléchissons-y !

Et puis, gardons courage. Nous sommes faibles, fragiles, inconstants, mais lui, il est amour. Et il s'est fait homme pour épouser notre faiblesse, notre fragilité, pour sentir dans sa chair d'homme ce que c'est que d'être affligé de toutes sortes de maux, de toutes sortes d'épreuves et finalement de la mort. Mais il a voulu vivre tout cela exactement comme nous afin de nous prendre avec lui, chez lui, et de faire de nous des dieux.

 

Mes frères, il y a là quelque chose d'extrêmement beau, d'extrêmement encourageant. Si nous voulons ne pas avoir peur, ne nous regardons pas, ne regardons pas tout ce qui nous arrive, ne regardons même pas nos péchés. Regrettons-les, certes, mais ne nous appesantissons pas sur eux.  Mais regardons plutôt Dieu, sa beauté, sa lumière, Dieu présent dans ce Christ qui est vraiment la révélation de ce qu'il est. Et puis voilà, laissons-nous rêver, laissons-nous penser par lui. Et, comme le dit Saint Benoît : nous arriverons aux sommets les plus hauts de la contemplation et de la vertu.

 

 

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     01.05.91

      Une Règle pour débutant !

 

Mes frères,

 

Saint Benoît est bien modeste lorsque il qualifie son œuvre de minima inchoationis regula, 73,23, une toute petite Règle qui est juste bon pour dégrossir quelque peu des débutants de la vie monastique. N'allons pas nous imaginer que Saint Benoît succomberait à une fausse humilité et qu'en réponse il attendrait des applaudissements. Non, il a bien conscience d'avoir puisé largement auprès de ses prédécesseurs et il ne soupçonnait absolument pas le sort extraordinaire qui serait réservé à sa Règle.

 

A mon avis, et je pense ne pas me tromper, l'Histoire a largement prouvé que la Règle de Saint Benoît avait été inspirée par Dieu, c'est à dire que Saint Benoît était un Prophète qui vivait sous l'inspiration divine et qui a exprimé son expérience en quelques chapitres. Il n'est pas dans toute sa Règle, mes frères, il n'est pas un seul mot qui ne soit l'écho de la Parole de Dieu, pas un mot qui ne soit le miroir de la Tradition Patristique et Monastique la plus pure. On pourrait les prendre les uns après les autres et rédiger des volumes de commentaires.

Ce serait un magnifique travail de Lectio pour un moine, que je qualifierais de retraité, donc pour un ancien à la fin de ses jours. Il n'est plus bon a rien dans le monastère qu'à être une lumière et un exemple, une parole vivante. Et cet homme alors, chargé d'une longue expérience spirituelle, pourrait procéder à ce travail avec beaucoup de patience. Ce serait un monument unique.

 

Voilà, prenons un tout petit exemple, le tout premier mot de la Règle : ausculta, Pr,2, Écoute. Mais aussitôt vient à l'esprit le Psaume 44 : Écoute ma fille, regarde, tends l'oreille, oublie ton peuple et la maison de ton père, le Roi sera séduit par ta beauté. Eh bien voilà toute la vie monastique en un verset. Et Saint Benoît n'y a peut-être pas pensé quand il a écrit ce mot ausculta, mais il y en a un qui y pensait, c'était l'Esprit de Dieu.

Il préparait le cœur des disciples de Saint Benoît à s'ouvrir à toute  cette beauté que Dieu dans son amour met à la disposition des hommes qui veulent bien l'écouter, qui veulent bien ouvrir l'oreille de leur cœur et savoir que Dieu est séduit par la beauté qu'il a déposé dans le cœur humain.

 

Et alors, c'est de suite, mes frères, les épousailles mystiques : le Roi, la princesse et l'innombrable descendance. Et nous voici transportés à l'intérieur du Cantique des cantiques qui est, vous le savez, le chant Pascal par excellence. Alors nous sommes entraînés dans la vie, dans la passion et la résurrection du Christ et nous voici alors au pervenies, 73,26, le dernier mot de la Règle. On arrive.

Et aussitôt dans ce mot pervenies apparaît la figure de notre Père Abraham qui est parti à l'aventure sans savoir où il allait, simplement attentif à la Parole de Dieu. Et il parvenait toujours là où il était attendu, et finalement à l'intérieur de ce pays, sur cette terre qui devait devenir le lieu de son repos pour lui et toute sa race. Et dans cette terre, il y avait une autre terre.

Et nous voici dans le monde apocalyptique, la terre que le Christ lui-même a promise à ceux qui seront doux de cœur, à ceux qui lui ressembleront, cette terre que nous-mêmes recherchons encore aujourd'hui et qui est l'être même de l'homme-Dieu présent dans la personne du Christ.

Mais voilà, mes frères, une petite approche comme ça qui me passe maintenant par la tête, mais on peut ainsi continuer, et approfondir, et retrouver sa propre expérience. On voit alors que la vie monastique, c'est bien autre chose que du Droit Canonique, bien que le Droit Canonique soit indispensable. Mais il est lui-même, pour être vrai il est de nature spirituelle et mystique car il est le support charnel, osseux, il est le squelette d'une vie qui se veut solide et qui se veut vraie.

 

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     31.12.91

      Quelques questions ?

 

Mes frères,

 

Nous voici arrivés à la fin de notre Règle, nous arrivons à la fin de l'année et nous arriverons au terme de notre vie. Il y a là, me semble- t-il, une parole prophétique puissante que l'Esprit Saint nous adresse par la bouche de notre Père Saint Benoît. Notre saint législateur nous interroge, le Christ nous interroge, notre conscience nous interroge : Que faisons-nous de notre vocation monastique ? Qu'avons-nous fait de cette année ? Que faisons-nous de la Règle que nous avons promis d'observer ?

 

Saint Benoît nous pose, vous allez voir, vous l'avez entendu, des questions bien précises. Nous allons écouter l'Esprit Saint s'adresser à nous par sa bouche. Nous sommes ici dans le monastère. Nous y avons été appelés. Mais , que cherchons-nous vraiment ? Sommes-nous mordus par le désir de Dieu, le désir de le rencontrer, le désir de le voir, le désir de partager , sa vie en plénitude, le désir d'être toujours avec lui ? Désirons-nous parvenir recto cursu, 73,14, à notre Créateur ? Voulons-nous arriver sur les sommets de la perfection ? Avons-nous l'ambition d'être des moines achevés ?

Voilà les questions qu'il nous pose, est-ce cela le moteur de notre vie ? Pour que ce soit vraiment ce moteur, nous devons avoir renoncé à tout le reste. Ce n'est pas tellement facile parce que ça colle à notre peau. Nous sommes tellement conditionnés par tout ce qu'on nous a appris depuis que nous sommes au monde. Nous sommes tellement enfoncés à l'intérieur d'un comportement charnel très beau peut-être mais tout de même enfermé, emprisonné à l'intérieur de ce monde ci.

Alors, désirons-nous nous échapper, nous évader, nous laisser prendre et emporter un peu comme le prophète Élie qui fut enlevé dans un char de feu ? Espérons-nous ce prodige, ce miracle sous une forme adaptée à notre condition d'aujourd'hui ? Voulons-nous être d'authentiques contemplatifs ?

 

Eh bien, voyons ce que nous dit Saint Benoît. Il nous dit donc recto cursu. Cela signifie d'une course rapide, directe, sans détours, sans perte de temps. Voulons-nous être légers, très légers, de plus en plus légers pour, comme il dit, festinare, 73,22,  c'est à dire courir à toute allure, en toute hâte. Ce n'est possible que si nous sommes débarrassés de tous les poids, de tous les fardeaux qui peuvent peser sur nous. Nous devons arriver à la nuditas facultatum comme disaient les Anciens, à être débarrassés de tout, à être nus de tout, dans un état de nudité.

Voilà jusqu'où doit être conduite notre pauvreté, notre esprit de pauvreté. A ce moment-là nous devenons légers. Nous pouvons non seulement courir mais aussi nous envoler. Le moindre souffle de l'Esprit nous emporte comme une plume légère là où il désire nous conduire. Il y avait de ces prophètes aussi dans l'Ancien Testament qui tout à coup étaient enlevés, on ne les voyait plus. Ils avaient été emportés par un ange, emportés par l'Esprit. Naturellement ce n'est pas à prendre au pied de la lettre mais tout de même, nous devons voir ce qui spirituellement s'opérait en eux. Ils étaient vraiment emportés chez Dieu.

Et, à partir de là, ils pouvaient parler car ils avaient vu des choses qu'il n'est pas permis, qu'il n'est pas possible, comme dit l'Apôtre Paul, à un homme de restituer parfaitement. Ils ne pouvaient alors que balbutier quelques mots qui malgré tout étaient informes. Et alors, les auditeurs les prenaient pour des fous. Le prophète dans l'Ancien Testament, on l'appelle le fou bien souvent. Et bien, est-ce que nous sommes prêts, nous, à partager un sort très envieux certes, ~ mais nous devons y mettre le prix?

 

Saint Benoît nous demande aussi si nous voulons parvenir sur les sommets de la perfection ? C'est le terme qu'il utilise : celsitudo perfectionis, 73,9. Et la perfection, c'est devenir un seul esprit avec le Christ, que notre respiration soit l'Esprit Saint. Ce n'est pas là quelque chose qui soit hors de notre portée car nous savons très bien que nous sommes un temple de l'Esprit, que la Sainte Trinité habite dans notre cœur.

Et il peut très bien arriver que de façon un peu, disons, consciente on en arrive à participer au mouvement Trinitaire qui s'opère en nous, qui s'y opère tout le temps ; mais le plus souvent, c'est à notre insu, hors de notre conscience. Mais il peut se faire que nous en ayons conscience et que nous devenions à notre niveau, que nous devenions la source par laquelle l'Esprit Saint se diffuse, se répande au dehors. L'aspiratio (la spiratio) Spiritus Sancti peut très bien s'opérer à l'intérieur de notre cœur. Voilà, ça, c'est un des sommets de la perfection.

Et puis, connaître la transfiguration au point que n'être plus qu'amour et lumière. Cela existe dans nos monastères, ça existe. Naturellement ce n'est pas publié dans les Collecta et ce n'est pas inscrit sur le dos du moine ou de la moniale parce que Dieu cache ses saints. Il les dissimule peut-être sous des défauts. Mais voilà, la personne qui est là, elle se place tout derrière, mais en réalité elle est vraiment là où est le Christ, avec lui transfigurée.

 

Saint Beno1t nous demande aussi si nous voulons pervenire ad creatorem nostrum, 73,14 ? Voilà, donc parvenir, arriver jusqu'à notre Créateur ; donc  le voir, l'écouter, vivre avec lui, vivre comme lui,  partager sa béatitude, sa paix, son pouvoir. Car notre Créateur n'est pas jaloux. Il n'est pas un riche, il est la pauvreté même et tout ce qu'il a , tout ce qu'il est, il nous le donne. Voilà !

Mais est-ce que ça nous intéresse ? Pervenire, arriver jusque là, est-ce que ça nous intéresse ? Est-ce que nous ne sommes pas retenus par des choses matérielles, par des choses fut-ce même intellectuelles, par notre petit moi que nous idolâtrons ? Est-ce que nous voulons, encore comme nous dit Saint Benoît, être de vrais moines, des moines bene viventes et oboedientes, 73,18, des moines étrangers aux pratiques mondaines ?

Et les pratiques mondaines, vous le savez, c'est user, voilà de ruses pour arriver à une petite fin purement terrestre, purement matérielle ; les pratiques mondaines, c'est la dissimulation, c'est la ruse. Est-ce que nous sommes ouverts ? Est-ce que nous sommes transparents ? Est-ce que nous sommes limpides, ce qui est le contraire des pratiques mondaines ? C'est ça un vrai moine !

 

Est-ce que nous sommes morts à nous ? Est-ce que nous vivons pour les autres dans l'humilité, dans la douceur, dans la compassion ? Lorsque notre regard rencontre celui d'un frère, est-ce que ce frère peut se dire : « Je suis aimé, je ne suis pas jugé, je suis accueilli, je suis chez moi dans le cœur de mon frère ? Voilà les vrais moines ! Est-ce que nous avons, comme le demande encore Saint Benoît, l'honestatem morum, 73,5, - ce qui n'est pas facile à traduire - cette manière de vivre qui est honnête, qui correspond à la vérité de notre état, de notre vocation ? Une manière de vivre qui est toujours un initium dit encore Saint Benoît, qui est toujours un commencement, car la vie divine, la vie éternelle, elle est toujours à ses débuts.

C'est ça un des prodiges de l'éternité. On a toujours l'impression de commencer. Donc il n'y a jamais de fastidium, il n'y a jamais d'ennuis, il n'y a jamais de dégoût parce que c'est toujours un commencement, c'est toujours une première fois, c'est toujours une surprise, c'est toujours un émerveillement. Est-ce que nous en sommes là ? Voilà de vrais moines !

Maintenant sommes-nous - on peut résumer tout ça - sommes-nous des êtres de feu ? Ou bien sommes-nous de flasques mollusques ? Qu'est-ce que nous sommes ? On dira, Saint Benoît le dit, ferventes, ce qui veut dire fervent, mais en réalité ça veut dire être de feu, brûlant. Alors Saint Benoît n'y va pas par quatre chemins, il parle de paresse, il parle de négligence, il parle de mauvaise vie, desidiosis male viventes negligentes, 73,21.

 

Eh bien mes frères, voilà matière à un bel examen de conscience. Alors pour bien nous situer, disons-nous que nous sommes dans l'entre deux. Nous ne sommes pas de mauvaise vie, mais nous ne touchons pas encore les sommets. Nous sommes des perigrini, nous sommes encore en voyage, nous sommes encore en pèlerinage, nous sommes encore sur la montée, dans la côte.

Alors, en ce dernier jour de l'année, en ce dernier Office que nous allons chanter ensemble, et bien reconnaissons notre faiblesse, remercions Dieu pour les grâces reçues et confions-nous à sa miséricorde. Renouvelons en nous l'ambition de notre arrivée dans le monastère, allumons-là de nouveau à cet amour qu'est notre Dieu, lui qui veut nous prendre pour nous donner tout de lui, tout ce qu'il est. Encore une fois, regrettons d'être encore empêtrés trop dans les soucis charnels et promettons-lui de faire notre possible, tout notre possible jour après jour dans l'humilité et d'aller ainsi jusqu'au bout.

Comme il nous le dit pervenies, c'est une promesse d'arriver au terme, de parvenir là où nous sommes attendus, c'est à dire de parvenir au plus intime des relations Trinitaire, là où nous verrons le Père, où nous serons devenus un seul esprit avec le Christ et où nous respirerons l'amour et la lumière.

 

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     01.05.96

      Une honnêteté morale !         

 

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît use dans le chapitre conclusif de sa Règle d’une expression empruntée au monde païen de l’époque. Elle a été traduite édulcorée et ça nous donne une certaine rectitude morale. En fait, il s’agit d’une honestas morum, 73,5. Il est question d’honnêteté, pas de rectitude.

            Vous savez que dans le monde païen, l’idéal était de devenir un homme beau et bon, parfaitement honnête dans toute sa conduite. On pouvait le regarder, c’était une référence, c’était un exemple. Et Saint Benoît nous dit que le moine doit lui aussi devenir un honnête homme dans toute sa conduite, honestas morum, 73,5.

 

            Mais que faut-il entendre par honnêteté ? On est honnête, me semble-t-il, lorsqu’on est vrai, lorsqu’on est en harmonie avec soi-même, en harmonie avec Dieu, avec les autres. Être en accord avec soi, c’est coller le plus possible, le mieux possible à son nom. Nous sommes uniques au sein de la création. Lorsque Dieu nous a appelés à l’existence, il pensait à nous depuis toujours. Nous sommes arrivés. C’est pour lui un événement extraordinaire. C’est le point de départ de nouvelles créations. Si le rêve de Dieu sur nous se réalise, c’est tout un univers de beauté, et de santé spirituelle, et de santé morale qui va se déployer et, qui va conduire la création toute entière plus près de son achèvement.

 

            Dieu prononce notre nom. Dieu a sur nous des vues qui ne sont pas des vues ambitieuses. Non, ce sont des vues extraordinaires. Il veut nous rendre semblable à lui. Il veut faire de chacun de nous un dieu, mais pas un dieu par analogie. Il veut nous faire participer sans réserve à sa nature, à ce qu’il est. Il veut tout nous partager, il veut tout nous donner.

            Et si nous nous abandonnons à ce projet magnifique de Dieu sur nous, alors nous sommes honnêtes ; nous sommes en accord avec ce que réellement nous sommes. Nous avons retrouvé notre moi-source. Notre moi-source se trouve à l’intérieur de nous, mais il est Dieu qui nous habite.

 

            Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas aller boire à des sources, ou aller manger à des râteliers qui se trouvent en dehors de nous et qui peuvent être extrêmement agréables et capiteux. Non, nous devons nous abreuver, et nous devons manger à notre Dieu ; c’est lui que nous mangeons.

            Il y a une expérience qui nous échappe peut-être ? Lorsqu’on aime vraiment quelqu’un, on voudrait le manger, on voudrait se l’assimiler. Ce n’est pas une question d’effusion, c’est une question d’union tellement intime que l’on se mange l’un l’autre. On doit pouvoir dire : « Ce n’est plus moi qui vit, mais c’est toi qui vit en moi. » Et l’inverse aussi.

Eh bien, mes frères, c’est ce que Dieu fait avec nous, c’est ce que le Christ fait avec nous. C’est cela l’Eucharistie. Laissons de côté toute la théologie mais voyons la réalité. Dans l’Eucharistie, lorsque nous la vivons correctement, nous mangeons Dieu, nous mangeons le Christ. Cela a le goût du pain, cela a le goût du vin et, en réalité, c’est le Christ dans sa chair et dans son sang. Dans ce qu’il y a en lui de plus intime, nous mangeons Dieu.

 

            Dieu ne peut pas pousser l’amour plus loin que de se laisser manger par l’homme. Et à ce moment-là, si nous sommes attentifs à cette beauté sans pareille et, si nous répondons à un tel amour par un don de nous que nous voulons absolu mais qui est toujours, hélas, enrobé de faiblesses, à ce moment-là il n’y a pas d’erreur, il n’y a pas d’échec possible, nous devenons des honnêtes hommes.

            Et vivant ainsi en accord avec nous, vivant en accord avec le rêve que Dieu a sur nous – car nous sommes un rêve de Dieu, un rêve vivant – nous pouvons alors vivre en harmonie et en accord avec les autres. Nous nous apercevons à ce moment-là que nous sommes interdépendants, que nous sommes tous reliés les uns aux autres.

Nous ne sommes pas des entités hétérogènes, roulant les unes sur les autres sans jamais se rencontrer mais se heurtant. Non, nous voyons que la source de vie qui se trouve en nous se trouve aussi chez l’autre. Et notre souci sera d’aider l’autre à réaliser aussi pleinement son nom, à être lui aussi une nouvelle aventure pour Dieu, et une aventure qui doit réussir, et qui réussira.

            Nous allons donc nous établir dans la justice, dans la vérité, dans la charité à l’intérieur du corps que nous formons et, nous aiderons les autres à devenir honnêtes et à le rester. C’est toute autre chose qu’une civilité mondaine, profane ; c’est la réalité du corps que nous formons tous, le corps dont la tête est le Christ et dont l’âme est l’Esprit Saint.

 

            Mes frères, voilà, me semble-t-il, ce que nous pouvons découvrir sous cette petite expression de Saint Benoît honestas morum. C’est cela qu’il attend de nous. Mais vous vous rendez compte que c’est déjà un sommet ; et pour Saint Benoît, c’est un commencement, un initium, 73,5. Et il a raison, c’est en même temps un sommet et un commencement car Dieu, lui, il est toujours en état de commencement.

            Aujourd’hui, ce n’est pas la même chose que hier. Lorsque le matin nous nous levons et que nous nous rendons à l’Office, c’est un nouveau commencement aussi important en soi que le premier commencement de la création du monde. Dieu est le commencement, il est le principe. « Je suis l’alpha et l’omega. » disait-il, « Je suis le commencement et la fin. »

Mes frères, l’expérience spirituelle dépasse, et de loin, tout ce que nous pouvons imaginer. Et comme je viens de partager avec vous ce soir, sous des tous petits mots de notre Règle, des mots sur lesquels nous glissons presque sans nous en apercevoir, il y a des trésors, il y a des grâces, il y a des promesses auxquelles nous ne pouvons pas rester insensibles.

 

            C’est ainsi que Saint Benoît clôture sa Règle. Il nous dit : « Si, avec l’aide du Christ, tu veux bien aller jusqu’au bout de la petite Règle que je viens de présenter, alors sous protection de Dieu, tu parviendras sur les sommets de la doctrine et des vertus. La doctrina, 73,25, c’est l’enseignement ; la doctrina, c’est la connaissance ; et la doctrina, c’est l’amour qui vont s’exprimer dans une vie vertueuse, c’est à dire une vie honnête, spirituellement honnête et humainement honnête.

 

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     31.08.96

      Partager la gloire de Dieu.

 

Mes frères,

 

            Dans le chapitre conclusif de notre Règle, il est question de sommet : celsitudo culmina, dit Saint Benoît en 73,9 et 73,26. Il y est question de réussite. Nous ne sommes pas venus dans le monastère pour y dépérir mais pour jouir d’une surabondance de vie. Le moine doit être un homme vivant. Il ne doit pas être un mort ambulant mais un vivant qui doit donner aux autres le goût de vivre.

            Un moine triste est un triste moine, nous dit le Proverbe, et c’est vrai ! Il s’agit bien entendu de la tristesse qui n’est pas selon Dieu car il y a une saine tristesse qui empêche le moine de se répandre au-dehors, de s’y livrer à des bouffonneries qui regardent de la vantardise. C’est une tristesse qui lui est infusée par l’Esprit Saint.

            Il prend conscience qu’il est un pécheur et qu’il est complice de tous les péchés qui se commettent dans le monde. Et cela le place dans une attitude de vérité en face de Dieu. C’est la tristesse, la sainte tristesse du douzième degré d’humilité !

 

            Le Christ nous a légué sa paix et sa joie. Il nous l’a dit : « Je vous donne ma paix, je vous donne ma joie. Pas celles que le monde peut donner, mais les miennes. Et je vous les donne toutes entières, je ne garde rien pour moi. Je partage tout sans réserve ».

            Les siècles sont parsemés d’exemples de vies monastiques réussies et d’encouragements. Saint Benoît les détaille à plaisir. Je ne vais pas les reprendre, nous venons de les entendre. Ce que lui-même a connu et vécu, il nous le partage en toute confiance. Il est un vrai Père, il est un véritable Abbé. Un Abbé digne de ce nom ne garde pas jalousement pour lui certains secrets, disons, de sa vie personnelle. Il donne tout comme le Christ par sa parole et son exemple. Il ne se réserve rien.

 

            Eh bien ce soir, je voudrais ajouter une petite note, toute petite. Je voudrais vous remettre une perle très belle qui ne vient pas de moi, je l’ai découverte chez Maurice Zundel. La valeur d’une communauté monastique, à quoi se mesure-t-elle ? Nous le savons, elle se mesure à son degré de charité, à la vigueur de la vie divine qui habite les membres de cette communauté. Elle ne se mesure pas au succès social de cette communauté, à ses performances économiques, ni au nombre de ses novices, ni à d’autres critères empruntés aux collections de ce monde. Non, elle se mesure à l’intensité de la charité qui vibre à travers tout le corps du monastère.

 

            Mais cette valeur, elle se manifeste plus spécialement là où on ne penserait pas la chercher. Et voici la perle, la voici. Essayez de la retenir car elle est extraordinaire. Elle dit tout et elle est juste. Une communauté vaut ce que vaut la solitude de chacun. Cela peut paraître antinomique : on parle de communauté puis on parle de solitude. Plus la solitude de chacun est parfaite, plus la communauté est réussie. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? Comment comprendre ? Eh bien, nous allons contempler quelques instants cette perle.

            Le Christ veut nous communiquer la gloire qu’il avait avant que le monde fut. C’est sa dernière, sa toute dernière prière : « Père, donne leur en partage la gloire qui était mienne déjà avant que le monde fut ! » Et çà, c’est le cadeau qu’il entendait nous faire.

 

            Mais en quoi consiste cette gloire ? Ce n’est rien de fantastique, ce n’est rien qui pourrait attirer les regards sur nous. Cette gloire est infiniment discrète. Elle n’est rien d’autre que Dieu dans sa Trinité, Dieu amour habitant au plus intime de nous. C’est cela la gloire !

            A ce moment-là, notre vie est identifiée avec celle du Christ et le ciel tout entier vient en nous car, là où est la Trinité, là est le ciel. Et non seulement le ciel, un ciel vide qui serait uniquement habité par Dieu, mais le ciel peuplé, le ciel habité. L’âme du juste est le ciel de Dieu, disait déjà Saint Grégoire. C’est cela la gloire qui nous est donnée.

 

            Eh bien, celui qui reçoit Dieu comme ça dans son cœur, il voit son cœur s’ouvrir à l’infini et devenir présence à tous les hommes. Non pas seulement présence aux hommes habitant déjà le ciel de Dieu, mais aussi aux hommes qui luttent, qui combattent, qui souffrent, qui commettent des péchés, qui commettent des crimes peut-être ici sur la terre, à tous les hommes sans exception. Et au fond du cœur, au fond de son cœur, ce moine est seul en présence de la lumière. Il est seul avec Dieu. Et c’est là que se trouve le paradoxe.

Evagre le Pontique l’avait déjà remarqué. Il disait : « Le moine est un homme séparé de tous et uni à tous » Il est seul avec Dieu, avec Dieu Trinité, avec Dieu amour et en même temps il est présent à tous les hommes.             Dans cette solitude où il a été introduit, il reçoit son nom, un nom unique, un nom irremplaçable, un nom qui n’est pas interchangeable, un nom que personne ne connaît sinon Dieu et lui.

 

            Maintenant, mes frères, si chacun dans une communauté est dépositaire d’un tel trésor, chacun devient pour les autres le bien par excellence, le bien divin, le seul véritable bien. Essayons de nous représenter une communauté où chacun des membres est ainsi investi par la Sainte Trinité ! Mais alors, chacun est pour les autres le seul véritable et unique bien.

            C’est le seul bien véritablement commun parce que chacun porte dans son cœur un tel trésor. Et c’est alors que la communauté se construit. Elle ne se construit pas à partir de l’extérieur mais à partir de l’intérieur, à partir du plus intime de chacun, là où chacun est seul, absolument seul avec son nom unique, à l’intérieur de la lumière, en présence du Dieu Trinité. A ce moment-là, on communie tous ensemble au même suprême, on communie à la beauté par excellence et on communie au bien que chacun éprouve comme son secret le plus précieux, le plus intime, dans son cœur, au plus profond de sa personne.

 

            Mes frères, la communauté atteint donc toute sa valeur quand chacun communie au plus intime de son cœur, de manière unique, irremplaçable, dans une solitude amoureuse totale à la gloire de Dieu, à la vie Trinitaire, au seul vrai bien véritablement universel. C’est exactement la situation qui sera la nôtre après la résurrection des morts, après notre transfiguration. Et si on est venu au monastère, c’est pour commencer cette expérience ici-bas sur terre. Et on la fait, cette expérience, quand on est véritablement appelé à des degrés divers.

            Comme dans le monde des hommes, il y a des bébés tout petits, puis il y a des adultes, puis il y a des vieillards. On n’arrive pas en un instant à l’âge adulte, non, il y a une croissance. C’est la même chose ici. Dans la communauté, tout le monde participe au même charisme, au même trésor, mais à des degrés divers. Et il faut permettre à l’Esprit Saint de cultiver ce trésor pour que finalement il ne fasse plus qu’un avec la personne, que chaque personne soit un véritable trésor.

            Et c’est la raison pour laquelle une communauté vaut ce que vaut la solitude de chacun, une solitude bien entendue, chacun étant seul au plus intime de lui avec son nom unique en présence de la Sainte Trinité qui habite le cœur, un cœur qui se dilate, un cœur qui devient un ciel, le propre ciel de Dieu ; et non seulement avec Dieu, mais avec tous les saints.

 

            Mais voilà, mes frères, une petite préparation à notre récollection de demain.

Table des matières

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     01.05.85. 1

Tu parviendras ! 1

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     31.08.85. 2

Récollection du mois de septembre. 2

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     01.05.86. 4

Les deux paliers de la vie monastique. 4

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     01.05.87. 6

Être disciple. 6

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     31.08.88. 7

C’est notre tour, allons-y ! 7

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     31.12.89. 8

Fin de Règle et fin d’année ! 8

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     01.05.91. 10

Une Règle pour débutant ! 10

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     31.12.91. 11

Quelques questions ?. 11

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     01.05.96. 13

Une honnêteté morale ! 13

Chapitre 73 : Tout n’est pas dit dans cette Règle.     31.08.96. 15

Partager la gloire de Dieu. 15