Chapitre 70 : Corriger les autres !               28.04.86

      Sous la conduite d’un maître.

 

Mes frères,

 

Il est bon de nous retrouver en compagnie de notre Père Saint Benoît et de nous laisser conduire par lui sur les routes du Royaume. Lorsque notre main est dans la sienne, on est en sécurité, on est en paix, on peut marcher allègrement sans souci. Le secret de la réussite d'une vie monastique est justement d'avancer sous la conduite d'un Maître.

Nous devons savoir que nous sommes en pays étranger, dans des régions inconnues que nous devons découvrir, que nous devons explorer. Il est donc normal, il est logique de choisir un guide et de nous confier a sa perspicacité. Quelque soit l'ancienneté d'un moine dans un monastère, quelque soit son expérience, il doit toujours être un disciple. Il doit le rester jusqu'à son dernier souffle, fut-il l'Abbé.

 

Saint Benoît le rappelle avec vigueur à la fin de son Prologue où il dit : Ne nous écartant jamais de son enseignement - des préceptes divins, ici, l'enseignement de Dieu - persévérant jusqu'à la mort dans la pratique de sa doctrine au sein du monastère, participons par la patience aux souffrances du Christ et méritons d'avoir une place dans son Royaume.

Lorsqu’on le traduit en français, c'est : ne nous écartant jamais de son enseignement. Or, c'est en latin : Ab ipsius  numquam magisterio discidentes, P, 117. Voyez, c'est ce magisterium. Il faut toujours dans la vie spirituelle se trouver sous la guidance d'un Maître.

Courir, quitter la main de ce Maître, donc commencer à courir seul, cesser d'être disciple, voilà ce que Saint Benoît appelle la présomption. Il y fait allusion en ce chapitre 70. Il y revient 32 fois dans sa Règle : deux fois sous forme nominale et trente fois sous forme verbale.

 

C'est que la présomption représente un danger grave, un péril sérieux pour le moine. Il nous dit ici qu'il faut éviter dans le monastère jusqu'à l'occasion de présomption. 70,3. L'Abbé doit essayer, du moins dans la mesure de ses possibilités, de ses moyens, de ne pas mettre le moine en danger de succomber à la tentation de présomption. Pourquoi ?

Mais la présomption n'est rien d'autre que la vanité en acte. C'est l'orgueil en exercice. On a de soi une opinion avantageuse, surfaite même. On va donc s'arroger des pouvoirs et des droits qu'on n'a pas. Dans notre chapitre, ici, ce sera le droit d'excommunier ou de frapper un frère.

 

Dans le monastère, l'Abbé seul a le droit d'excommunier. Pourquoi ? Mais parce qu'il occupe dans le monastère la place du Christ, et seul le Christ peut porter un jugement sur une personne. Lorsque l'Abbé excommunie un frère, il agit in persona Christi, ou plutôt, il laisse la Christ agir à travers sa personne.

Il faut donc que d'abord l'Abbé soit un disciple parfait du Christ par l'entremise de notre Père Saint Benoît. A ce moment-là, s'il est fidèle, s'il a été fidèle toute sa vie, c'est vraiment le Christ qui va agir par lui. Mais dans le monastère, un autre frère ne peut pas usurper ce pouvoir. Alors voyez, c'est de la présomption. On se prend pour ce qu'on n'est pas.

 

Le contraire, maintenant, de la présomption, c'est la modestie, c'est l'humilité. C'est avoir de soi une opinion juste. C'est être enraciné dans la vérité. C'est porter sur soi un regard lucide. Ce n'est pas un regard qui va entraîner la tristesse ou le dépit. Non, c'est un regard d'indulgence, un regard d'humour. C'est prendre un certain recul par rapport à soi. C'est ne pas se prendre au sérieux. C’est cela la modestie !

Le moine modeste, un frère modeste sera sympathique aux autres. Il est de commerce agréable. Il inspire confiance parce que la modestie est le symptôme de la vertu. Oui, la présomption au contraire, elle rend le frère qui en est victime, elle le rend odieux, elle le rend ridicule. Tout le monde s'en aperçoit, sauf le frère en question.

Mes frères, cette présomption, elle met les autres en fuite. Elle crée le vide autour du frère. Et c'est peut-être alors ce vide créé autour de lui qui finira par lui ouvrir les yeux. Peut-être ? Ce n'est pas encore certain!

 

Il faudrait avoir le talent de Saint Bernard pour dresser le portrait d'un moine présomptueux. Il l'a probablement fait dans les degrés de l'orgueil. Mais pour le faire, il faudrait en avoir sous les yeux. Il y en a-t-il dans notre communauté ? Ne fut-ce qu'un ? Écoutez, c'est comme dans la fable de La Fontaine : tout le monde en est atteint. Nous le sommes tous, reconnaissons-le, tous un peu. Pourquoi ? Mais parce que nous ne sommes pas encore au 12° degré d’humilité.

Et quand nous serons au douzième degré d'humilité, nous ne penserons plus à tout cela. Nous avons donc toujours chez nous une petite idée favorable de notre personne, une image un peu flatteuse. Ce n'est pas mortel ? Non, cela fait partie de notre cheminement. Mais voilà, nous sommes ainsi, et ne quittons donc jamais la main de notre Père Saint Benoît. Soyons prudents, laissons-nous conduire.

Et si nous sommes fidèles, si nous lui ouvrons notre cœur, si nous sommes confiants, il nous débarrassera de la présomption. Il nous rendra modestes. Il nous rendra humbles, nous serons heureux et nous rayonnerons le bonheur autour de nous.

 

Chapitre 70 : Corriger les autres !                               28.12.86

      La présomption !

 

Mes frères,

 

Voici un chapitre qui, à première vue, paraît bien anachronique. Il n'est plus guère question aujourd'hui dans les monastères, ni d'excommunications, ni de châtiments corporels. Et pourtant, si nous y regardons de plus près, Saint Benoît nous donne ici un enseignement riche, précieux et pratique. Si bien que ses paroles me semblent parfaitement d'actualité. Pour y voir clair, il faut, comme bien souvent avec lui, se référer à la toute première phrase qui sonne, ici, comme une maxime. Il nous dit : Il faut éviter dans le monastère toute occasion de présomption, 70,3.

 

Il s’agit donc ici de la présomption. Mais qu'entend-on par là ? Le présomptueux est un homme qui dans le fond est un voleur. Il s'approprie un bien qui ne lui appartient pas. Il détourne à son profit une qualité, un pouvoir qui appartient de droit à un autre. Et pourquoi agit-il ainsi ? Parce qu’il s'estime meilleur que les autres. La présomption s'apparente à la vanité et à l'orgueil, et c'est pourquoi elle devient rapidement un larcin. Elle trahit la haute opinion qu'un frère a de lui-même et en même temps la piètre image qu'il se fait des autres.

Maintenant, voyons la forme que cette présomption peut prendre aujourd'hui. Le frère présomptueux ne frappe pas ses frères à coups de bâton, il les frappe à coups de langue. Il se constitue le gardien farouche de l'orthodoxie monastique et il s'instaure l'éducateur des frères soit disant négligeant. Il fait la leçon à tout le monde car il est à l’affût des moindres erreurs qu'il qualifie immédiatement de dérèglement. Le meilleur résultat qu'il atteigne, c'est qu'il se rend insupportable et odieux à tous.

 

N'allons pas penser que ce soit rare. Allez, descendons dans notre cœur. Quel regard portons-nous sur les autres ? Est-ce que parfois, pour ne pas dire bien souvent, leur conduite, leur attitude, leur démarche ne nous énerve pas ? Et à l'intérieur de notre cœur monte la fermentation des pensées. Si ces pensées franchissent la barrière de nos lèvres, à ce moment, voilà, nous tombons sous le coup du chapitre septantième de Saint Benoît. Nous commençons à frapper notre frère de notre langue, soit disant pour le remettre sur le bon chemin, pour lui apprendre à bien se tenir.

Mes frères, attention, la présomption est un vice vraiment pernicieux, vice qui introduit le trouble dans une communauté, la division même. Quand au frère devenu vraiment présomptueux, il finit par se fermer sur lui-même car il se situe au-dessus des autres. Il est sur une plate-forme où il voit tout, où il juge tout. Et puis alors de là, il lance ses ukases. Donc, il se met au-dessus des autres.  Voyez, c'est toujours la vanité et l'orgueil qui sont en lui. Et voilà : comme il est seul enfermé dans son autosuffisance, il s’asphyxie, spirituellement et il dépérit.

 

Alors, mes frères, on comprend la sévérité de Saint Benoît, car lorsqu'il s'agit de ce vice de la présomption, il quitte la procédure habituelle de la correction. Il ne fait pas en privé la remarque au frère. Non, immédiatement il le reprend en public. Ceux qui commettent ces fautes seront repris devant tout le monde tout de suite, 70,8. C'est le seul endroit, je pense, dans la Règle où cela arrive. Pourquoi? Afin que les autres en conçoivent de la crainte. Il faut que chacun prenne conscience que c'est quelque chose de très sérieux.

Donc voilà, mes frères, prenons bien garde ! C'est que, comme je l'ai dit tantôt, notre cœur n'est pas entièrement pur et notre regard n'est pas parfaitement lumineux. Attention à notre façon de voir les choses et de les juger. Est-ce que nous les voyons avec le regard du Christ ? Est-ce que nous les jugeons comme Dieu les juge ? Ne nous faisons pas le défenseur de Dieu, ne nous faisons pas son avocat, ne prenons pas sa place, car de la présomption on débouche vite dans le fanatisme.

 Donc, prenons bien garde !

Table des matières

Chapitre 70 : Corriger les autres !               28.04.86. 1

Sous la conduite d’un maître. 1

Chapitre 70 : Corriger les autres !                               28.12.86. 2

La présomption ! 2