Mes frères,
Nous pouvons nous poser une question : pourquoi un rang à garder dans le monastère ? Pourquoi cette structure ? Est-ce que ça ne fait pas aristocratie, moyen-âge, pire encore : romanité ? Aujourd'hui, mais les jeunes, ça aime le coude à coude, on partage tout, c'est la démocratie, c'est le groupe qui décide. Mais pourquoi donc aujourd'hui encore un rang à garder dans le monastère ?
Eh bien, c'est parce sue la congregatio, pour reprendre le terme de Saint Benoît, la foule même petite qui est rassemblée dans un lieu déterminé, forme un corps, le corpus monasterii, 61,19, ou bien une armée rangée en bataille, une fraterna acies, 1,11, ou bien un édifice, une maison, la domus Dei, 31,42 - 53,47 - 64,16.
Nous allons ce soir rapidement voir en quoi le monastère est un corps et ce que cela implique comme ordo, comme ordre. Si le monastère est un corps, comme le dit Saint Benoît au chapitre 61 - c'est le seul endroit d'ailleurs où il parle du Corps qu'est le monastère et où il invite l’Abbé à ne pas associer au Corps du monastère, à ne pas greffer sur le corps du monastère un moine étranger qui serait reconnu vicieux - si donc le monastère est un corps, il a une âme, une âme commune. Et cette âme c'est la Caritas c'est l'Amour, c'est l'Esprit Saint qui anime chacune des parties de ce grand Corps.
Il est un corps, il a donc une chair aussi, c'est à dire une certaine sensibilité qui est façonnée, qui est entretenue, qui est aiguisée par le lieu où vit ce corps. Donc par le sol, par le climat, par la culture ambiante, par la Tradition. Cette sensibilité est une certaine façon de réagir aux événements qui touchent le corps, une certaine façon de voir le monde, de voir l'Église, de voir l'Ordre monastique auquel on appartient.
Si le monastère est un corps, il a aussi des membres. Et ces membres ont à l'intérieur de ce corps leur place, leur fonction selon leurs aptitudes. Pensez au corps que décrit Saint Paul. Chaque petite Église locale est un corps. Puis vous avez le grand corps de la grande Église où chacun a une fonction bien spécifique qu’un autre ne peut pas remplir.
Et enfin, le corps du monastère a une tête qui est le Christ, rien moins que le Christ qui est vu dans la personne de l'Abbé. Saint Benoît le dit ici : Abbas uices creditur agere, 63,31. Il en parle aussi au chapitre 2,5 lorsqu'il présente la personne de l'Abbé. Je ne m'arrête pas là-dessus, ce sera pour une autre occasion.
Donc ce grand corps qui a une âme, qui a une chair, qui a des membres, qui a une tête, il vit, il respire, il travaille, il se développe, il grandit, il a ses maladies, il a ses crises et il a aussi ses joies. Il est la réplique du grand Corps mystique qu'est l'Église et même au-delà de l’Église, la grande Église, l'humanité entière qui devient Corps du Christ, qui est en train d'être travaillée, d'être divinisée.
Eh bien sans ordre, c'est à dire sans des rangs, sans une structure, sans un plan, sans une organisation, il n'y aurait pas de corps. Il y aurait un tas, il y aurait une juxtaposition plus ou moins en équilibre. Cela ne vivrait pas. Ce serait un cadavre et, ça se désagrégerait. Voilà pourquoi ce doit être un corps, le monastère ! Voilà pourquoi dans le monastère il doit y avoir un ordre. C'est parce que c'est un corps vivant et pas un tas.
Et la santé du corps maintenant, elle dépend de la santé des membres. Il y a entre les membres une interdépendance, une sympathie, une compassion. Lorsqu’un membre souffre, tous les autres souffrent, le corps entier souffre. Si un membre est à l'honneur, mais le corps entier est à la joie. Il y a une - c'est beaucoup plus qu'une solidarité - c'est une réaction qui est spontanée, qui est instinctive. Alors, c'est un véritable Corps.
Il est donc important que chacun des membres veille à sa santé parce que la santé, Je le répète, de chacun des membres est la condition de la santé du Corps. Or, veiller sur sa santé, c'est pratiquer l'ascèse, une ascèse corporelle, une ascèse spirituelle. C'est toujours être en état de vigilance pour ne pas permettre à la maladie de s'emparer de nous surtout je parle ici de la maladie spirituelle, de la maladie morale.
Mais il y a aussi l'inverse. La santé du corps fortifie les membres. Et nous avons alors, et pour le corps entier et pour chacun des membres, ce que Saint Benoît nous disait hier : magis ac magis in Deum proficiat, 62,9. Il progresse, il croît, il se développe de plus en plus en Dieu, c'est à dire in Deum, c'est à l'accusatif, vers sa pleine stature d'un être qui participe à la vie de Dieu.
Mais voilà, mes frères, pour ce qui regarde l'armée rangée en bataille et la maison de Dieu, ce sera pour une autre fois.
Mes frères,
Le texte que nous venons d'entendre dégage un parfum qui nous rappelle le chapitre que Saint Benoît consacre au bon zèle. Il n'est rien dans le monastère qui ne soit harmonie, concorde, paix, bonheur de vivre. Chacun est à sa place, heureux pour lui-même, heureux pour les autres.
Il y a des iuniores et des priores, 63,25, il y a des jeunes et il y a des anciens. Il y a des minores, 63,26, et il y a des maiores, 63,36, comme dit Saint Benoît. Il y a même des seniores. Regardez un peu ! En français, on traduit toujours cela par jeunes et anciens, et Saint Benoît a cinq mots. Et chacun a une petite nuance, chacun, c'est un petit bonhomme comme dans une bande dessinée.
Et au sommet, assurant la cohésion de l’ensemble, il y a l'Abbé qui est cru tenir la place du Christ, 61,31. Saint Benoît dit la même chose au chapitre deuxième quand il parle de l'Abbé. Et il nous donne ainsi une image idyllique de la maison de Dieu.
Pour lui, c'est une évocation du ciel avec ses ordres, avec sa liturgie. C'est une des raisons aussi pour lesquelles nos liturgies doivent toujours être belles, ordonnées, parce que toute notre vie monastique est une liturgie puisque nous commençons ici la vie qui sera la nôtre pour l'éternité. C'est une école où on apprend à servir le Seigneur dans les choses les plus concrètes, les plus banales. Mais c'est un entraînement, une éducation à ce que nous serons plus tard après la résurrection d'entre les morts.
Saint Benoît entend donc nous diriger vers un idéal de beauté. Et tout le monde y est engagé, chaque frère personnellement et la communauté dans son ensemble. Et un sentiment doit habiter les cœurs et motiver la conduite, c'est l'honneur, l'honneur qu'on doit à soi-même et aux autres. Dans ces quelques lignes, le mot honneur revient à quatre reprises.
Il faut, dit Saint Benoît, se prévenir d'honneur les uns les autres, 63,40. Il emprunte cette maxime à l'Épître aux Romains. Et cet honneur, ce n'est pas une simple politesse naturelle, les païens font cela ; les païens entre eux. Non, l'honneur dont parle ici Saint Benoît, l'honneur qu'on se doit les uns aux autres, il a sa source dans la foi dans une vision surnaturelle et divine des hommes. Et tout d'abord en présence de l'Abbé qui dans le monastère occupe la place du Christ. Et ce n'est pas rien pour lui ! Et puis dans les relations avec les frères, les relations des frères entre eux.
Voyez ! Quelque chose qui aujourd'hui dépasse nos mœurs qui sont malgré tout sécularisé à outrance : lorsque des frères se rencontrent, n'importe où, wicumque, 63, 35, le plus jeune demande la bénédiction de son ancien. Voyez un peu cela ! Pourquoi demande-t-il la bénédiction de son ancien ? Parce que dans l’ancien, il vénère le Christ qui est là sur son chemin.
Dans l'ancien, la vie divine est sensée être plus élevée, plus puissante, plus agissante que dans un plus jeune. Il y a donc intérêt à ce que le jeune demande la bénédiction de l'ancien, car la prière d'un ancien a beaucoup plus de chance d'être exaucée et il s'opère alors une sorte de transfusion de vie divine de l'ancien sur le jeune.
Et quand on parle de jeune et d'ancien, comme Saint Benoît nous le dit au début de ce chapitre, ce n'est pas l'âge calendrier qui détermine. On vient au monde quand on entre au monastère. On entre chez Dieu, donc on s'éveille à la vie Divine consciente, pleinement consciente. Lorsqu’on entre dans le monastère, c'est le jour de notre naissance.
Donc, je puis avoir 50 ans quand j'arrive dans le monastère, je serais toujours le cadet de celui qui entre juste avant et qui a vingt ans. Voyez, tout est renversé ! Dans le monastère, on obéit à des lois qui ne sont pas celles du monde. Ne l’oublions jamais ! Les ordres sont bouleversés.
Les relations fraternelles dans le monastère ne seront donc jamais triviales. La trivialité s'introduit facilement dans les monastères aujourd'hui. A mon sens, ça a toujours été, mais ça prenait des formes différentes. Aujourd'hui, on est vite à tu et à toi, on est vite copain-copain. Non, ce n’est pas ça le monastère! Pas de trivialité, pas de copinage, pas non plus de relations guindées comme au théâtre. Non, il faut être naturel.
On m'a signalé, je vous le dis comme ça, un jeune Abbé de notre Ordre, jeune parce que moins ancien que moi et même plus jeune d'âge aussi, on m'a dit qu'il se promenait dans son monastère avec un habit qui a une traîne. Oui, son habit derrière traîne par terre. Cela fait très bien, cela fait épiscopal, cela fait très cardinalice, capa magna.
Mais c'est guindé, cela ! Et si un Abbé est ainsi, voyez un peu comment les frères doivent être. Non, ce n'est pas du tout ce que Saint Benoît demande. C'est la simplicité, mais dans des relations empreintes d'un respect immense, d'un respect surnaturel né de la conscience qu'on a d'être chez Dieu.
A mes frères, si on poussait jusqu'au bout les conséquences de ce que Saint Benoît nous dit ici, et bien nous n'oserions jamais avoir une pensée qui ne soit pas une pensée de charité, de respect, d'estime, d'honneur vis à vis des frères. Car l'honneur que nous nous devons les uns aux autres, il doit d'abord prendre naissance à l'intérieur de notre cœur.
Voilà pour aujourd'hui, mes frères ! Et ainsi, jour après jour nous avançons vers la fête de Noël qui justement va être pour nous d'un si grand secours. Car Dieu lui-même a voulu devenir homme. Il a voulu devenir l'un d'entre nous, un homme tout simple, un ouvrier. On dirait presque un homme qui n'avait pas beaucoup d'instruction. Il n'a pas fréquenté les écoles, dira-t-on plus tard, alors d'où lui vient toute cette science ?
Mais non, voilà, c'était le fils de Dieu. Il a été tout simple. Et voyez le respect infini qu'il a pour les autres hommes. Eh bien, permettons-lui de reprendre naissance en nous de façon à ce que ses sentiments habitent notre cœur et que notre monastère puisse vraiment être un lieu où on s'aime, où on s'estime, où on se respecte, où Dieu est vivant et où le Christ peu pleinement s'épanouir dans le cœur de chacun.
Mes frères,
Le chapitre dont nous venons d'entendre la lecture laisse apparaître un des soucis majeurs qui tourmentent le cœur de Saint Benoît, à savoir le maintien, l'affermissement, la croissance de la paix. Ce n'est pas sans raison que la devise de la famille bénédictine se résume par le mot Pax, Paix.
Saint Benoît connaissait la définition de la paix donnée par les anciens : la paix est la tranquillité de l'ordre. Mais pas n'importe quel ordre : pas un ordre fondé sur l'arbitraire, sur la force, sur la violence ; pas un ordre qui écrase, qui opprime, qui asservit.
La paix ne peut être le fruit d'un ordre nazi. Vous connaissez le contenu d'un télégramme qu'un général envoyait à Hitler : La paix règne à Varsovie ! Quand il avait tout anéanti. Ce n'est pas cet ordre qui peut créer et entretenir la paix. C'est un ordre fondé sur la justice. Je rappelle la devise du Pape Pie XII : Opus justitiae pax. La paix est une œuvre de justice, est l’œuvre de la justice, le travail, le fruit, le résultat de la justice.
Grâce à cette paix, grâce à cet ordre, chacun reçoit ce qui lui revient, chacun est content de la place qu'il occupe, chacun est satisfait, comblé, rassasié. C'est le ………. biblique, le rassasiement, le contentement. C'est la paix que Dieu seul peut donner, lui qui est le Juste. Et la justice de Dieu n'est pas nécessairement la justice des hommes.
Il s'agit du vrai Dieu, il ne s'agit pas d'une idole sur laquelle nous projetterions nos désirs de justice : qu'on me fasse justice à moi, qu'on fasse justice à mon monastère, qu'on fasse justice à ceci et à cela. Non, c'est la justice qui vient de Dieu, Dieu qui aime tous les hommes et qui établit la justice dans les cœurs, qui remet de l'ordre dans les cœurs d'abord. Et à partir de là, l'ordre et la justice peuvent se répandre dans la société, dans le monastère.
Mais Saint Benoît nous dit que justement dans le monastère l'ordre et la paix dépendent au premier chef de l'Abbé. Et là, il est sévère ! Il sait que l'Abbé est un homme qui peut se laisser entraîner par la sympathie, par le favoritisme, par l'autoritarisme aussi. Et il le met en garde. L'Abbé n'est pas un potentat. Comme le dit Saint Benoît, il ne jouit pas d'un pouvoir arbitraire.
L'Abbé est le représentant du Dieu de la paix, le représentant du Créateur qui dispose tout avec ordre et sagesse. Et, comme le dit encore Saint Benoît, il songera sans cesse aux comptes qu'il devra rendre à Dieu de toutes ses décisions et de tous ses actes. Il ne dit pas : de quelques décisions, de quelques actes, mais de tous !
Mais là, mes frères, permettez-moi une petite parenthèse. Ce que dit Saint Benoît ici de l'Abbé, il le dit aussi de chacun des frères. Il n'y a pas que l'Abbé qui devra rendre compte de chacune de ces décisions, de chacun de ses actes, tout le monde y passera. Heureusement, c'est cela la justice, Dieu est miséricordieux et indulgent, mais il est juste. Il rétablira toute chose.
Alors ceci dit, Saint Benoît définit une norme à laquelle chacun devra se tenir, à commencer par l'Abbé. Les frères, dit-il, occuperont chacun le rang déterminé par la date de leur entrée. Et cela, quelque soit leur âge ou leur dignité, 63,2. Il y aura cependant des exceptions. Par exemple, le mérite de la vie ; ou bien un moine étranger qui vient fixer sa stabilité dans le monastère et qui est un homme de vertu. Il devrait être le dernier. C'est un ancien déjà peut-être dans la vie monastique. Il est chevronné. Eh bien, l'Abbé pourra le placer à un rang plus élevé que celui de la date de son entrée. Ou bien une décision de l'Abbé, justifiée toujours, par exemple le Prieur, ou les Doyens, ou le prêtre.
Mes frères, retenons ceci parce que ça vaut pour tout le monde : finalement la paix sera toujours le fruit de la vérité et de l'humilité qui règne parmi les frères et qui régissent leur vie. Si un frère n'est pas vrai, si ce frère profite, est un profiteur, en secret, en cachette parfois - par exemple après Complies, il n'y a plus personne, je vais aller dans le frigo et je vais me servir - faut pas penser, il sera toujours vu une fois ou l'autre!
Et un tel frère est un facteur de malaise dans une communauté. Il rendra compte à Dieu de ce qu'il fait. Il pense qu'il échappe aux hommes ? Mais non, il a déjà été repéré. On ne lui dit rien, pourquoi? Parce qu'il est capable de tout. C'est comme un animal. Vraiment, il est régi par un instinct animal et il va donc réagir peut-être comme un animal !
Vous voyez jusqu'où cela peut aller ! Alors des éléments pareils dans une communauté, cela crée le trouble. On le sent, cela rayonne un malaise.
Mes frères, prenons bien garde ! Ne tombons pas dans des vices pareils parce que c'est un vice. Ne tombons pas là-dedans. Soyons toujours vrais, c'est ça que je veux dire, vrais dans notre conduite, vrais dans notre cœur. Et à ce moment-là, nous connaîtrons les bienfaits de l' humilité. Nous permettrons à Dieu de mettre de l'ordre en nous. Et cet ordre qui est en nous va comme une contagion, une bonne, une saine contagion, il va se diffuser autour de nous. Et il y aura toujours ainsi dans la communauté une saine et tonifiante atmosphère.
Mes frères,
Il est normal et même nécessaire que dans le monastère, comme dans toute société organisée, règne un ordre d'après lequel chaque moine trouve sa place et puisse travailler à la croissance, et d'abord au maintien de l'ensemble. Saint Benoît définit trois critères : la date d'entrée, le mérite de la vie, et la décision de l'Abbé.
Le critère le plus logique est la date de l’entrée, c'est la date à laquelle on est agrégé au Corpus monasterii. C'est donc la date d'une naissance, car on ne vivra plus seulement de façon naturelle, on va commencer à vivre comme des enfants de Dieu promis au partage d'une gloire qui est celle même du Christ.
Donc, tous les avantages qu'on tient de la nature, de la famille, de la culture, de la race, tout cela disparaît, tout cela ne compte plus dès qu'on est entré chez Dieu. Là, il y a uniquement la densité de vie surnaturelle qui bouillonne dans le cœur.
On est donc greffé sur cette vie nouvelle. Il faudra la laisser grandir, se développer en nous et, c’est une véritable naissance. C'est pourquoi Saint Benoît dira que celui qui est entré à la seconde heure sera le cadet de celui qui est entré à la première, parce qu'il est venu au monde une heure plus tard, au monde de Dieu.
Donc, au moment où j'arrive dans le monastère, donc où je viens au monde de Dieu, où je nais au monde de Dieu, je suis le plus jeune. Je vais donc occuper le dernier rang. Je vais accepter tout avec reconnaissance et humilité. Je reviens alors à ce que je vous ai rappelé ces derniers jours. L'idéal serait de demeurer toute sa vie dans ces dispositions : se considérer toujours comme le plus jeune, comme celui qui vient d’entrer le dernier.
Le rang que nous occupons, même si parfois avec les années qui s'écoulent et les nouveaux qui arrivent, j’ai l'impression de monter en grade - appelons cela ainsi – de monter en rang, d'occuper un ordre supérieur, en fait dans l’intime de mon cœur, je dois toujours revenir à la dernière place. C'est ce que le Christ nous a enseigné lorsqu’il a voulu laver les pieds de ses disciples.
Il s'est mis, lui, à la dernière place. Il a dit : « Voilà, vous devez faire la même chose chacun pour votre part. Dans votre groupe d'apôtres, chacun se considérera comme le dernier, celui auquel on peut tout demander, celui qui étant le plus jeune est au service de tous, qui n’a aucune prétention à élever. »
Et cette organisation basée sur la date de l'entrée n’est pas rigide, ni statique. L'Abbé doit être ouvert au souffle de l'Esprit. Et pour cela, il doit être mort à lui-même, à toute façon humaine de voir et de juger. Il a donc la possibilité de modifier cet ordre basé sur la date d’entrée, sur la date de naissance. Il peut - et cela arrive - conférer un emploi qui détermine un rang nouveau, du moins en certains endroits du monastère, aujourd'hui par exemple, le chantre. Il est normal que le chantre ne se trouve pas à sa place à son rang d'ancienneté, mais qu’il occupe un endroit d’où il puisse vraiment diriger et entraîner le chœur.
Ce sera la même chose pour le prieur. Il doit occuper la place après l’Abbé, même si, ce qui n'est pas en soi impossible, il était le dernier arrivé dans la communauté. Imaginons une communauté où il n'arrive plus personne pendant des années et des années. Il y en a comme ça en France qui restent sans recrutement pendant des dizaines d'années. J'en ai entendu un au Chapitre Général disant qu’ils venaient d'avoir une Profession Solennelle, la première depuis 34 ans. Regardez un peu ! Alors là, vraiment, le dernier arrivé pourrait très bien être un jour le Prieur ou l'Abbé.
Alors, Saint Benoît prévoit aussi le cas d'un moine qui vient d'ailleurs, d'un autre monastère. Il peut le placer à un rang plus élevé que celui de son entrée. Mais il n'y est pas obligé. Il doit veiller ici, regarder le mérite de la vie de cet homme. Ce moine étranger mérite peut-être, par exemple, de trouver dans le monastère qui l'a adopté le rang d'entrée qu'il avait dans le monastère qu'il a quitté. Voilà toutes choses qui sont laissées au discernement spirituel de l'Abbé.
L'Abbé doit veiller surtout à ne pas jeter le trouble dans sa communauté, car les dispositions injustes ou fantaisistes perturbent la paix. Et il y a de ces tempéraments qui pourraient très bien avoir le besoin de manifester leur, disons, valeur ou leur autorité en prenant toutes sortes de dispositions comme ça arbitraires. Cela peut arriver dans le chef d'un Abbé.
Naturellement si ça se produisait, il faudrait veiller au grain. C'est pour cela que dans notre Ordre il y aura des Visites Régulières pour voir si tout se passe suivant les prescriptions de la Règle et du Droit de l'Ordre. Ces dispositions injustes altèreraient la santé spirituelle des frères et de la communauté. Dans la maison de Dieu, ne l'oublions pas, chacun à sa place. Et la place de chacun, c'est la meilleure. Et c'est une place où on doit se découvrir au service de tous.
On a lu au réfectoire - il y a quelques semaines, je pense - un article assez long sur justement ce chapitre 63° de Saint Benoît, sur le rang à garder dans la communauté. Et nous avons appris que c'est une disposition qui est bien antérieure à Saint Benoît et qui existe pratiquement depuis toujours dans le monde monastique. Et la raison fondamentale est toujours celle-ci : c'est le fait d'une nouvelle naissance. On entre dans un univers nouveau, on accède à une vie nouvelle.
Le jour où je suis accepté, où je reçois l'habit, mais surtout le jour où je fais ma profession solennelle, où définitivement je suis intégré à la communauté, ce jour-là devrait être ambivalent. C'est le jour de ma mort au monde et à ses mœurs et c'est le jour de ma naissance à une vie qui ne sera plus conduite selon les mœurs humaines, mais selon les normes du Christ et celles de l'Esprit. Malheureusement, nous sommes tellement faibles et nous oublions ces réalités, ces évidences.
C'est pourquoi, mes frères, essayons chaque fois que nous en avons l'occasion, comme aujourd'hui, comme ce soir encore, de réfléchir à cela, de voir dans notre comportement, si dans notre cœur il n'y a pas comme cela des ferments de l'élévation qui nous font perdre de vue la raison pour laquelle nous sommes dans le monastère.
Alors reprenons-nous, mettons en œuvre notre vœu de conversion. C'est pour notre bien, c'est pour celui de la communauté, celui de l'Église et même celui du monde entier.
Table des matières
Chapitre 63, 25-fin : Du rang à garder. 19.12.83
Chapitre 63, 25-fin : Du rang à garder. 19.12.86
Chapitre 63, 25-fin : Du rang à garder. 19.08.87
Chapitre 63, 1-24 : Du rang à garder. 18.04.88