Mes frères,
Il est manifeste que Saint Benoît ne cherche pas à favoriser pour son disciple une réussite au plan humain. Pour lui, le terme de la vie monastique ne réside pas dans un succès d'ordre temporel. Il se situe ailleurs. Il n'est pas sur cette terre. Il faut le chercher à l'intérieur même de Dieu, dans le cœur de la Trinité, dans ce que nous appelons le Royaume des cieux qui est la participation à la propre vie de Dieu, une participation consciente.
Toute forme de vanité va donc être pour Saint Benoît une sorte, de narcissisme, donc un repliement sur soi qui va automatiquement entraîner un blocage. L'homme devient myope. Il ne voit plus que sa propre personne. Sa myopie peut s'aggraver et devenir de la cécité. Il va perdre de vue le but principal de sa vie.
Alors Saint Benoît, lui, il va tirer son disciple, il va le tirer de ce péril. Il va entreprendre une opération de sauvetage. Et ce sera radical pour lui. Il le retire de son emploi quel que soit le préjudice matériel ou financier que doive subir le monastère. Il est en effet préférable que le monastère soit en difficulté plutôt qu’un frère ne soit arrêté dans sa progression vers Dieu.
Il y a chez Saint Benoît une logique qui nous paraît déraisonnable. Et c'est vrai, parce que la sagesse qui est chez Dieu, elle est folie pour les hommes. Il est certain que le rôle de l'Abbé doit être en outre d'abord de veiller à ce que les frères ne soient pas gênés dans leur progression vers le Royaume de Dieu, vers le monde à venir, et gênés par eux-mêmes. Gênés, non pas parce qu'ils trouvent dans le monastère, parce que dans le monastère, tout est organisé pour aider le moine à courir vers Dieu. Mais l'obstacle est dans la personne, dans le cœur.
Et je vous dis, Saint Benoît emploie des moyens qui sont radicaux. Il lui suffit, comme il le dit ici : il faut exercer son métier cum omni humilitate, 57,3, en toute humilité. Cela veut dire que l'artisan dans le monastère, le chef d'emploi doit être vraiment possédé par l'humilité. Comme on serait possédé par le démon, on doit être possédé par l'humilité. On est possédé par les 7 démons, ou les 8 démons que vous connaissez. Mais un chef d'emploi, lui, il doit les avoir mis à l'extérieur de lui, ou les avoir maîtrisés en lui par cette humilité qui est devenue maîtresse de son cœur.
Mais vous allez dire : alors, il faut être un saint pour exercer un emploi ? Non, pas nécessairement, mais il faut vouloir le devenir. Alors on reçoit la force nécessaire de la part de Dieu, et en plus on est protégé par le Père du monastère qui va prémunir le moine contre ses propres faiblesses en utilisant comme ceci des moyens sévères. Voyez ! C'est une véritable opération chirurgicale ici ! Il faut enlever un abcès tout de suite, sinon ça va devenir un cancer.
Alors, pour aller à la réussite totale de sa vie, cette fois-ci, il suffit d'une humble obéissance au vouloir de Dieu. Mais la réussite et totale de la vie, c'est la métamorphose de l'être. Ce n'est plus un être étroitement humain et charnel, comme le dit Saint Paul, mais un être qui est devenu spirituel. Il est guidé par l'Esprit de Dieu qui anime toutes ses facultés.
Et pour être cela, il suffit de se laisser porter par ce même Esprit, par ce Dieu qui seul connaît la route qui va vers lui. Et alors, on apporte au monastère, à l'Eglise et au monde même les véritables richesses qui sont d'ordre divin et qui jamais ne peuvent s'altérer. Voilà, Saint Benoît, il pèse les deux et il choisit.
Voilà mes frères, il ne faut pas vivre pour soi mais pour Dieu et pour les autres. Et c'est cela le début de l'humilité, et le sommet de l'humilité ; et à qui le fait, l’indicible beauté de notre vie monastique.
Mes frères,
Nous retrouvons à la fin de ce chapitre la sentence fameuse prise par l'Ordre Bénédictin : Ut in omnibus glorificetur Deus. Pour qu'en toutes choses Dieu soit glorifié, pour qu'en toutes choses Dieu apparaisse dans la clarté de sa lumière, de sa beauté ; que tout homme soit saisi d'admiration et de crainte, qu'il soit transporté de joie et d'espérance et qu'il trouve sécurité pour le présent et pour l'avenir ; et qu'ainsi tout homme perçoive dans le geste du moine la présence du monde nouveau, de cet univers de Dieu où règne, non pas le profit mais l'amour et où il fait bon vivre pour l'éternité.
Voilà, mes frères, ce que dans les pratiques commerciales le moine devrait manifester. Car, notons-le, il est significatif que Saint Benoît parle de cette glorification de Dieu à propos des choses matérielles, des relations de commerce.
Pourquoi ? Mais l'absence d'un esprit de lucre montre à l'évidence que le cœur du moine est ailleurs. Il n'est pas sur cette terre, mais il est chez Dieu. La terre, c'est un lieu de passage, c'est le lieu d'une Pâque, c'est le lieu d'une métamorphose de l'homme, d’une croissance vers la sainteté, vers la vie divine.
La terre est un lieu provisoire de séjour. Elle est ce désert dans lequel l'homme doit vivre une quarantaine d'années symboliques pour aborder finalement sur la terre définitive, cette terre transfigurée qui est celle du Royaume de Dieu, qui est Dieu lui-même. Dieu a voulu devenir homme afin que l'homme ne soit pas dépaysé lorsqu'il se trouve chez Dieu. L’amour, la condescendance de Dieu va jusque là.
Si nous étions immédiatement introduits dans l'espace Trinitaire, mais nous ne saurions pas comment nous tenir. Mais notre humanité y est déjà dans la personne du Christ. Nous sommes greffés sur le Christ lui-même, et lorsque nous sommes dans la vie intra-trinitaire, nous sommes un peu chez nous. Tout cela paraît très beau ! Ce sont des mots qui résonnent. Cela éveille une petite image, mais la réalité maintenant?
Eh bien, la réalité, elle est infiniment plus belle encore. La vie contemplative nous permet déjà de la goûter lorsque nous sommes fidèles et que la métamorphose de notre cœur s'opère. Et le symptôme de cette transfiguration, nous le trouvons dans un chapitre comme celui-ci, dans cette petite touche que Saint Benoît apporte aux relations entre le monastère et le monde pour la question des affaires.
Le moine est donc sur terre comme dans un désert, terre qui est pourtant extrêmement belle. Mais voilà, par son cœur, par l'élan de tout son être, il est déjà chez Dieu. Et ce doit être signifié dans la vie concrète, dans la vie pratique. Cette façon d’agir du moine bénédictin idéal dans les relations d’affaires est un appel discret mais éloquent aux séculiers, comme dit Saint Benoît saecularibus. C’est bien traduit. Il faut vendre un peu moins cher que les séculiers.
Naturellement aujourd’hui ce n’est plus possible parce que tout de suite il y a des lois de pratique de commerce, de concurrence, etc., qui interviendraient pour interdire cela. Ce serait une façon de détourner la clientèle et de faire fortune.
A ce propos, j’ai appris cet après-midi à la brasserie que à Rochefort, dans la même rue il y a deux cafés, disons un café chic et un café populaire. Et dans le café chic, je paie 80 Fr. le verre de 8°, mais tenez-vous bien, au café d’en face, au café populaire je ne vais payer que 33 Fr. Mais voilà, un est un café fréquenté par les gens chics qui ont de l’argent, et l’autre par des populos, des pareils à nous si nous allons au café.
Eh bien, il ne faut pas prendre à la lettre ce que nous dit Saint Benoît, mais il définit un esprit. Donc, c’est un appel aux séculiers, c’est à dire aux gens de ce monde qui s’imaginent, même sans l’exprimer, qu’il faut vivre éternellement dans ce monde-ci. Alors ils s’installent. On trouve ça dans les psaumes : Ils se construisent des maisons qui seront finalement leurs demeures d’éternité. Eh bien, c’est ça ! Mais le moine, lui, il ne s’attache pas à ces choses-là. Son cœur est ailleurs.
Et ce détachement annule toutes les formes d’égoïsme et d’exploitation de l’homme par l’homme. Cela annonce déjà, ça manifeste la primauté du spirituel sur le charnel. L’Apôtre nous dit : d’abord le charnel, puis le spirituel. C’est vrai ! On vit d’abord selon la chair, puis on s’en dégage et on finit par vivre selon l’Esprit de Dieu.
Faisons bien attention aux Lectures Evangéliques du Temps Pascal. C’est toujours le même thème qui revient, ce passage de la chair à l’esprit et finalement, la transfiguration du monde, de la matière qui doit être assumée en Dieu et devenir pure lumière.
Mes frères,
Saint Benoît, nous le savons, défend toujours avec âpreté la pureté de l'idéal monastique. Il ne tolère aucun compromis avec l'erreur. Il peut parfois nous paraître dur, sévère, intransigeant. On retrouve en lui l'esprit du prophète Elie qui brûlait de jalousie pour le Seigneur des armées.
La vie monastique est le contraire de l'idolâtrie. Saint Benoît rejette toutes les idoles. Et une d'entre elles, c'est l'idole de l'autosatisfaction, nous le voyons encore dans ce chapitre. On n'entre pas au monastère pour y exercer son métier ou un métier quelconque. On n'y entre pas pour faire montre de son savoir, de son habileté, de son intelligence. Non, on ne désire pas devenir une sorte de bienfaiteur de la communauté. A la base de la vie monastique, il y a la gratuité.
On vient dans le monastère pour y chercher Dieu. Saint Benoît nous le rappellera demain. C'est à dire pour marcher sur la rude, l'austère voie de l'obéissance, pour mourir à son égoïsme, à ses penchants charnels. On vient au monastère pour accueillir les dons de la grâce et le plus grand de tous qui est la vie divine.
Le moine est foncièrement un mendiant. Par après, il est venu dans l'Eglise ce qu'on appelle les Ordres Mendiants, donc ces Ordres nouveaux ne vivaient plus du travail des mains comme le faisaient les moines. Ils attendaient leur subsistance des fidèles qui les prenaient en charge et qui les entretenaient. : Est-ce pour cela qu'ils allaient échapper aux pièges dont nous parle ici Saint Benoît : donc qu'on s'élève, qu'on s'enorgueillit de ce qu'on sait faire ?
Mais non, le mal ne se trouve pas dans le fait de gagner sa vie par son travail, ou bien de vivre des bienfaits, des aumônes, des cadeaux que fait la communauté des fidèles en rétribution des services spirituels qu'on lui rend. Non, le mal se trouve dans le cœur et c'est de là qu'il doit être chassé. On entre dans le monastère pour servir.
On se veut le serviteur des autres et non pas leur maître. Et j'emploie maître ici dans le sens primitif, leur professeur. On ne vient pas au monastère pour enseigner aux autres à travailler. Au contraire, on a tout à apprendre. On est le serviteur en tout domaine.
Et Saint Benoît le signifie nettement ce soir par de très fines allusions. Saint Benoît est un artiste. Il nous parle ici à trois reprises de l'Art: faciant ipsas artes, 57,3 - pro scientia artis suae, 57,5. - erigatur ab ipsa arte, 57,7. C'est plus qu'un métier, c'est un art !
Or, Saint 8enoît est peut-être un des plus grands artistes spirituels que l'Eglise ait connu. Il nous dit qu'il importe avant tout de travailler en toute humilité : cum omni humilitate, 57,3. Cela signifie que l'humilité doit littéralement imprégner toute la personne, le cœur, l'intelligence, les mains, le corps qui travaille. Tout doit être imprégné d'humilité.
Et cette humilité, elle est enracinée dans la permission ou dans l'ordre de l'Abbé. Et c'est ainsi qu'on est relié à Dieu par l'Obéissance. Il y a un influx divin qui passe de Dieu dans le moine qui travaille à son métier, et du moine qui se répand dans la communauté. Voilà l'ordre tel que Saint Benoît le désire et tel qu'il est en réalité. En dehors de cela, il y a du désordre.
Qu'arrive-t-il en effet si on s'élève à ses propres yeux, donc si on vient à s'enorgueillir parce que : pro scientia artis suae, 57,5, de ce que on sait faire ? Voilà, on commence à être fier de ce qu'on fait, et puis finalement ça grandit, ça gonfle et ça devient de l'orgueil. Au départ c'est une petite vanité,
et au terme c'est l’orgueil ! A ce moment-là, on cherche en soi-même la source de son agir, on ne la cherche plus dans la permission ou l'ordre de l'Abbé, c'est à dire on ne la cherche plus dans la volonté de Dieu, mais en soi. On va montrer ce qu'on sait faire !
Et à ce moment-là, on se coupe de Dieu et on se coupe de la communauté. Si bien qu'on met en péril sa vie spirituelle. C'est une sorte d'auto excommunication. On se met en dehors de la vie. Alors, puisque on n'a plus en soi l'amour, la gratuité, le don de sa personne gratuitement, à ce moment-là on n'est plus qu'une cymbale retentissante. On fait beaucoup d'esbroufe, on fait beaucoup de bruit. On est perdu dans les brouillards de l'illusion.
Alors ici, on trouve la rigueur de Saint Benoît. Il y a une seule chose à faire, dit Saint Benoît, il faut interdire à ce frère l'exercice de son métier. C'est fini, il ne le fera plus, il va rentrer dans le rang. Son métier l'avait mis un peu à part, c'est toujours ainsi. Car lorsqu'on a un emploi, on a tout de même une certaine autonomie à l'intérieur de son emploi. C'est normal. On ne doit pas venir à tout moment demander ce qu'il faut faire. On le voit. On exerce son métier, son art.
Eh bien c'est fini ! Puisque le frère est en train de dévier du droit chemin, Saint Benoît l'enlève de son emploi. C'est fini, il ne s'en occupe plus. Quant on voit ça, on peut se demander si c'est vrai ou non ? Je voudrais bien essayer une fois, mais il n'y a personne ici qui est dans le cas. Mais je me demande, si je me trouvais dans la situation, ce qu'il faudrait faire ? Quelle serait la réaction du frère ?
Eh bien, Saint Benoît nous donne ici la bonne réaction. Et sans doute que le frère a compris la leçon, parce qu'il s'humilie. Voilà, humiliato, 57,8, oui, il s'humilie. Donc le frère a compris. Il rentre dans l'ordre qu'il avait quitté. Il abandonne sa volonté propre pour revenir dans la volonté de Dieu. Et alors ? Eh bien, il donne l'ordre de retourner à l'exercice de son métier. Voyez comme c'est beau ! C'est à cela qu'on voit la finesse de cet art spirituel que doit exercer l'Abbé. Mais il faut aussi que le frère soit consentant.
Mais si le frère, maintenant, au lieu de dire : Voilà, je me suis trompé ! Si le frère veut défendre sa façon de faire, alors Saint Benoît prévoit le cas ailleurs et on entre dans le régime des insoumis, des récalcitrants, de ceux qui ne veulent pas entrer dans la volonté de Dieu, donc qui se révoltent contre Dieu, contre la communauté, contre tout le monde. Alors, il faut agir et aller beaucoup plus loin. Et ça pourrait aller, comme nous le dit Saint Benoît, jusqu'à l'expulsion. Pourquoi ? Mais parce que il n'a plus de raison d'être dans le monastère celui qui n'y est pas venu pour chercher Dieu.
Donc voilà, mes frères, pour Saint Benoît, il y a toujours le prima du salut et du progrès spirituel du frère. C'est très beau ! Et lorsqu'on voit cela, qu'on y réfléchit, et qu'on examine sa propre vie, il me semble que c'est encourageant parce que l'idéal monastique est tellement beau, est tellement lumineux qu'on ne peut pas tolérer que sur lui il y ait de l'ombre, qu'il y ait des taches. Or, cet idéal désire s'incarner en nous.
Et alors, Saint Benoît nous donne encore aujourd'hui un petit filon pour bien réussir. Et c'est d'être gratuit dans ce qu'on fait, mais une gratuité entière. On ne s'appartient plus, on appartient à Dieu et jamais on ne se reprend.
Mes frères,
Ecoutons Saint Benoît : Si un des artisans venait à s’enorgueillir de ce qu’il sait faire, se persuadant qu’il apporte quelque profit au monastère, on lui interdira l’exercice de son métier et il ne s’en occupera plus, 57,7. Nous voyons que Saint Benoît demeure fidèle à la ligne qu'il s'est tracé. Il entend que le moine reste libre. Rien ne peut l'encombrer.
Saint Benoît exige de son disciple une désappropriation totale. Les biens immatériels : le savoir, la science, le pouvoir que cela donne, le prestige aux yeux des autres, à ses propres yeux, tous ces biens immatériels sont plus dangereux que les biens matériels si on s'y attache. Ils sont plus dangereux parce qu'ils sont à l'intérieur de nous. Ils font partie de notre être, de notre personne.
Si bien que Saint Benoît est radical comme toujours. Il ne s'amuse pas à jouer avec le feu. Sa rigueur est le signe de son amour. Et il faut du courage pour aimer et pour se laisser aimer ainsi. Dieu ne nous aime pas autrement. Les épreuves qu'il nous envoie ou qu'il permet ont toujours une valeur thérapeutique.
La mesure que prend Saint Benoît à l'égard de cet artisan qui commence à s'enorgueillir de ce qu'il sait faire, de ce qu'il fait rentrer dans la caisse du monastère, cette mesure sévère - nous le comprenons - est pour guérir le frère de cette maladie. C'est pour lui permettre de se dégager d'une glu qui l'empêche d'avancer. C'est donc une preuve de l'amour de Saint Benoît pour ses frères.
Maintenant, quelle est la réaction de celui-ci ? Saint Benoît lui suggère de s'humilier, donc de rentrer dans le rang, de ne plus s'élever au-dessus des autres. Et à ce moment-là, l'Abbé pourra lui commander de retourner à son travail. Voyez, mes frères, lorsque se trouve en jeu un produit matériel et un dégât spirituel, il ne faut pas hésiter : le matériel doit être sacrifié.
Eh bien, il faut de l’héroïsme pour cela. Il faut de la ...?..., il faut de la sainteté dans le chef de l'Abbé. Il doit voir les choses non plus comme un homme, mais déjà comme un Dieu. Il doit être élevé au-dessus de toutes les contingences matérielles. Dans le fond, c'est logique. Il faut tout de même mourir, et quand on meurt, on laisse tout là. Eh bien, autant le laisser là tout de suite. Mais attention ! Il faut tout de même bien comprendre l'intention de Saint Benoît. Il ne peut pas ennuyer son disciple, il ne peut pas le persécuter.
Auparavant, disons à la fin du siècle dernier, il était de bon ton d'humilier les gens systématiquement pour les prévenir contre l'orgueil. Nous connaissons l'histoire de Bernadette Soubirous. Qu'est-ce qu'elle n'a pas du souffrir dans son couvent pour justement qu'elle n'ait pas l'occasion de s'élever au-dessus des autres sœurs, elle qui avait vu la Vierge Marie, elle qui était devenue une célébrité. Eh bien elle était systématiquement brimée, humiliée.
On ne fait plus ça aujourd'hui, au contraire. On ne peut plus le faire. Ce que Saint Benoît, ici, veut, c'est extirper l'orgueil, la vanité dans le cœur du moine. Il est légitime d'être content, d'être heureux de ce qu’on a fait pour les autres. C'est un signe de bonne santé spirituelle. C'est un signe qu'on est bien équilibré au plan humain quand on a du goût pour son travail.
On a préparé un bon plat à la cuisine. On se réjouit déjà de le voir disparaître dans la bouche des frères. Et puis après, il y en a un qui dira : C'est tout de même bien malheureux qu'on n'en a pas plus souvent ! Mais ça fait plaisir au cuisinier et il l'a mérité. C'est bien, il faut le faire, c'est de bonne santé, une santé spirituelle.
Ce n’est pas pour ça que maintenant il va s'enorgueillir. Il ne faut pas avoir peur de prendre des risques. Dieu lui-même se félicite quand il a bien travaillé. Lorsqu'il s'est mis en route pour créer le monde, chaque jour au soir il disait : « C'est tout de même bien ! » Et quand il a eu fini : « Parfait, c'est très bien ! » Il n'y avait personne pour l'écouter, alors il se le disait à lui-même, mais comme ils étaient trois dans la Trinité, ils s'applaudissaient l'un l'autre.
Donc, mes frères, la fierté n'est pas l'orgueil lorsqu'elle s'enracine dans l'obéissance et dans une saine charité. Elle va de pair avec le détachement. Vouloir dire : 0 mais ce que je fais, ce n'est pas bien ! C'est toujours à moitié ! Oui, oui, vous dites ça, mais je sais très bien comment je travaille, ça pourrait être mieux ! Tout cela pourrait être le signe d'un complexe, vous comprenez. Non, non, non, non, non, quand c'est bien, c'est bien ; mais quand c'est mal, c'est mal ! Quand le plat est raté, il faut pouvoir le dire : c'est raté ! Tant pis, on fera mieux par après.
Et alors l'Abbé, l'Abbé, il doit avoir soin, il doit avoir à cœur de remercier, de congratuler les frères à l'occasion, en privé ou en public. Vous savez que je le fais. Je pense que c'est aussi un bel acte de charité parce qu’à ce moment-là, l'un et l'autre on s'enracine dans la vérité. Et hors de la vérité, il n'y a rien qui vaille.
Mais ce qui est mauvais et hautement nocif, c'est la forme d'avarice qui se glissé sous l'orgueil. Ici, Saint Benoît y fait une discrète allusion en disant : ...se persuadant qu'ils apportent quelque profit au monastère, 57,6. Mais ça peut être aussi dans le chef d'un frère qui ne fait pas entrer d'argent dans le monastère. Il y est peut être entré de l'amertume. C'est aussi ça une forme de détournement. Alors ce n'est plus de la vertu. C'est une parodie de la vertu, un simulacre de vertu.
Et c'est cela que Saint Benoît veut à tout prix combattre. C'est de ce péril qu'il veut prémunir, qu'il veut défendre son disciple. Car on est possédé par ce qu'on croit posséder. On n'est plus libre. On devient esclave. On n'avance plus. On devient lourd alors que le moine doit être un être aérien. C'est ça la vie angélique aussi. Il est tellement désencombré, tellement libre que voilà, encore un rien et il s'envolerait. C'est cela, il est libre !
Et c'est ainsi que lorsque un frère commence à se prendre les pieds dans cette misère, alors vite, vite, vite, l'Abbé doit intervenir pour le tirer d'affaire. Et c'est ce que fait Saint Benoît ici.
Table des matières
Chapitre 57 : Des artisans du monastère. 10.12.84
Une participation consciente à la vie de Dieu.
Chapitre 57 : Des artisans du monastère. 10.04.86
Qu’en tout Dieu soit glorifié !
Chapitre 57 : Des artisans du monastère. 10.12.86
Chapitre 57 : Des artisans du monastère. 10.08.87