Chapitre 56 : De la table de l’Abbé.             09.12.86

      Comment comprendre cette prescription ?

 

Mes frères,

 

Voici un petit chapitre, c'est le plus court de toute la Règle. Mais s'il est petit par son volume, il est grand par les enseignements qu'il contient. Je vais essayer ce soir de dégager l'un d'entre eux. A l'époque où Saint Benoît rédige sa Règle, son monastère forme un ensemble solidement structuré. Les bâtiments sont vastes. Il y a une église, il y a un réfectoire, il y a un dortoir, il y a des cloîtres, il y a des ateliers.

La communauté est nombreuse. Elle est répartie en dizaines, et à la tête de chacune de ces dizaines se trouve un doyen. Le tout est organisé. Rien n'est laissé au hasard, rien n'est abandonné à l'improvisation. La journée est réglée jusque dans le détail. L'Office Divin obéit à un Ordo minutieux. La Lectio, le travail, la réfection, le repos des frères, tout cela se fait à des temps précis, prévus. Saint Benoît a mis au point un code de politesse, un code disciplinaire aussi.

 

Eh bien, dans tout cela nous nous retrouvons. Il n'y a pas grand changement entre le monastère organisé par Saint Benoît et ce que nous vivons aujourd'hui. Il y a cependant une chose à laquelle nous n'aurions jamais pensé. Aujourd'hui, elle nous paraîtrait anormale, presque déplacée. C'est la mensa Abbatis, c'est la table de l'Abbé.

L'Abbé ne prend jamais son repas avec les frères. Il le prend toujours avec les hôtes et les pèlerins. C'est un principe fermement établi et défendu par Saint Benoît. Le texte latin est beaucoup plus fort que la traduction française. Mensa abbatis cum hospitibus et peregrenis sit semper, 56,3. On pourrait traduire : L'Abbé prendra ses repas avec les hôtes et les pèlerins toujours.

 

L'Abbé reçoit donc à sa table dans un réfectoire qui n'est pas celui de la communauté, qui n'est pas non plus celui de l'hôtellerie. C'est donc son réfectoire à lui. Il y reçoit les hôtes, donc ceux qui logent au monastère. Il y reçoit aussi les étrangers de passage. Il peut même y inviter quelques frères. Cela nous fait très fort grand seigneur ! Et pourtant, il ne s’agit pas de cela.

Comment donc comprendre cette prescription qui, pour Saint Benoît, revêt un caractère absolu,? Eh bien, laissons jouer ici pleinement notre foi. L'Abbé tient dans le monastère la place du Christ. C'est une vision de foi qui doit être vécue à fond.            La table de l’Abbé est donc, au regard de la foi, la table du Royaume, cette table à laquelle tous sont invités, les étrangers et les frères.

 

Il s’agit ici dans ce chapitre d’un geste véritablement eschatologique. Il a une valeur symbolique extraordinaire. Pour Saint Benoît comme pour l’Eglise de son temps, pour l’Eglise d’aujourd’hui, nous sommes entrés dans les derniers temps, nous vivons la fin des temps.

Et cette fin des temps est une réalité qui est symbolisée par le repas eschatologique. Etre invité au repas des noces de l’Agneau, c’est le suprême bonheur, c’est la félicité éternelle. C’est vers ce repas que nous marchons. Or, le voici dans le monastère présent par la table de l’Abbé, présidé par le Christ vivant en la personne de l’Abbé, le Christ accueillant tout le monde à cette table merveilleuse qu’est la sienne.

 

Donc voilà, mes frères, une petite leçon que nous pouvons retenir. Aujourd’hui, ce n’est plus possible de vivre cela. Pourquoi ? Parce que notre foi est endormie. Nous n’avons plus une foi éveillée comme à l’époque de Saint Benoît. Nous sommes devenus des égalitaristes, nous faisons de la démocratie. Nous ne faisons plus de la Christologie ni de la Christocratie. Voilà, regrettons-le ! Cela ne veut pas dire que nous devons recommencer demain, loin de là !

Dans les monastères bénédictin – certains du moins – on a essayé de trouver une voie moyenne. Donc les hôtes et les personnes de passage prennent leur repas au réfectoire de la communauté. Et avant de prendre ce repas, l’Abbé lave les mains de ceux qu’il accueille, puis il les invite. On a trouvé là un rite qui est mitoyen mais qui n’a tout de même pas l’éloquence de celui qui a été prévu ici par Saint Benoît.

 

Mais retenons ceci, mes frères, c’est que pour nous, pour notre propos d’aujourd’hui, c’est que nous vivons des réalités qui nous englobent et qui doivent nous faire sortir de nous parce qu’elles nous font entrer à l’intérieur du Royaume de Dieu. La vie monastique, c’est cela, ce n’est que cela ! Si elle n’est pas cela, eh bien, c’est une vie philosophique, des gens qui veulent bien vivre mais c’est païen encore avec une teinte de religiosité.

Non, le moine est transporté dans le Royaume de Dieu. Le monastère est une portion de ce Royaume et tout ce qui s’y fait doit avoir le retentissement du monde à venir.

 

Chapitre 56 : De la table de l’Abbé.             09.12.89

      Maître et disciples.

 

Mes frères,

 

Voici bien la preuve que la discipline dans un monastère n'est pas une chose qui va de soi. Il faut toujours qu'il y ait un ou deux anciens pour l'assurer. Je me demande si au ciel, dans le paradis, ce sera encore nécessaire ? Peut-être bien ? Il y aura certainement là une hiérarchie, non pas de mérites ni de vertus, mais de situation.

Et cette hiérarchie doit se constituer déjà à l'intérieur du monastère. Et c'est ce que nous appellerons la discipline. Donc, il y a un maître ou des maîtres et il y a des disciples. C'est cela que ça veut dire. Si les disciples sont ensembles, abandonnés entre eux, ils vont tourner en rond sans pouvoir sortir de leur narcissisme, sans pouvoir se libérer.

Table des matières

Chapitre 56 : De la table de l’Abbé.             09.12.86. 1

Comment comprendre cette prescription ?. 1

Chapitre 56 : De la table de l’Abbé.             09.12.89. 2

Maître et disciples. 2