Chapitre 54 : Peut-on recevoir quelque chose ? 06.08.87

      Pas de cadeaux !

 

Mes frères,

 

Ce que nous venons d'entendre est une confirmation et une illustration de ce que je vous ai dit hier. Saint 8enoît n'a pas connu Gabriel Marcel, mais il est de la même veine philosophique et spirituelle. Vous savez que les anciens moines s'appelaient les " vrais philosophes ", ceux qui avaient découvert la véritable sagesse de vie.

Mais à première vue pour l'homme charnel, recevoir ou donner des menus présents paraît bien anodin même dans un monastère. Si nous nous abandonnions à la pente de notre cœur perverti, tordu, blessé, nous taxerions volontiers Saint Benoît d'étroitesse d'esprit. Est-ce que le moine n'est pas un  adulte ? Et dépendre de l'Abbé pour des choses aussi petites, n'est-ce pas s'infantiliser ?

Et pourtant, Saint Benoît est formel, intransigeant, intraitable. Pourquoi ? Mais parce que on sent dans cette affaire des petits cadeaux qu'on touche un principe fondamental de la vie monastique, un principe qui ne souffre absolument aucun compromis.

 

Recevoir et donner librement, même de petits objets, c'est se conduire en propriétaire. Or, si on veut s'ouvrir entièrement à Dieu, se laisser transformer, transfigurer par lui, donc réussir sa vie spirituelle et sa vie d'homme, on ne peut absolument pas se comporter en possesseur de quoi que ce soit. Agir autrement serait s'engluer insensiblement dans les marécages de l'avoir. Or vous savez que l'avoir est opposé à l'être. Plus j'ai, moins je suis ; moins j'ai, plus je suis. Si je n'ai plus rien, absolument rien, alors je suis vraiment, je ressemble à Dieu qui ne possède rien parce qu'il est.

En outre, ce serait encombrer son cœur et créer en soi des zones d'indisponibilité. On commence avec un rien - un tout petit cadeau qu'on reçoit, ou bien qu'on refile à un confrère - on commence avec un rien et on termine à l’intérieur d'un filet dont on ne peut pas se dépêtrer. C'est ce

que Saint Benoît dit ici : ut non detur occasio diabolo, 54,13. Il ne faut pas tenter le diable, il ne faut pas lui donner l'occasion de mettre le grappin sur nous. Et voilà ce qui explique la sévérité de Saint Benoît !

 

Il veut donc protéger son disciple d'un péril grave. Il désire l'acheminer vers la liberté parfaite : ne rien avoir, ne rien posséder. Ne pas se posséder soi-même non plus ! Etre entièrement ouvert, disponible à tous et à toutes. Et en même temps, dépendre de tous.

Cette disponibilité est le signe de la liberté, mes frères, de la liberté parfaite. Le jour où nous commençons à goûter ce qu'est cette liberté spirituelle, je pense qu'il n'est plus possible alors de s'attacher à quoi que ce soit. On a brisé les liens. On sait ce que c'est.

Je pensais encore dernièrement en entendant Monsieur Habachi nous expliquer tout ça, je pensais au Père Emmanuel Kolbe qui a donné sa vie pour un autre dans ce camp de concentration. Mais il l'a fait parce que il était entièrement libre, autrement il n'aurait pas pu le faire. Et il a trouvé quoi ? Mais il possédait déjà la vie. Et vous savez que cet homme pour lequel il a donné sa vie, il a survécu. Il vit peut-être encore maintenant ? Il a été témoin.

 

Et voilà, c'est ainsi que Saint Benoît veut nous conduire à la transfiguration de notre être. Nous allons fêter la Transfiguration dimanche, parce que c'est une fête du Seigneur et qu'elle peut être fêtée le dimanche. Et ainsi les gens du monde sauront qu'il existe au moins une fête de la Transfiguration. Mais dans d'autres monastères, on la fête aujourd'hui.

C'est la fête, c'est le sommet de notre vie : être transfiguré en Dieu. O, cela ne veut pas dire qu'on va lancer des éclairs ni opérer des miracles, mais on sera devenu comme lui dans le secret de son cœur. Et tout cela paraîtra au dehors parce qu’on sera entièrement disponible aux autres.

Et toute la place donc, mes frères, doit être réservée à Dieu pour une communion qui est le prélude de la vie éternelle, et qui est déjà la vie éternelle. Voilà ce qui explique la sévérité et l'intransigeance de notre Père Saint Benoît.

 

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