Mes frères,
Pourquoi cette ponctualité dans l'annonce des Offices ? Eh bien, c'est parce que les Heures liturgiques sont la respiration du Corps que constitue le monastère. Or la respiration est scandée. La respiration chez l'homme est indispensable et doit se faire selon un certain rythme.
Si ce rythme s'interrompt, si on fait de l'..?.., comme on dit, si on oublie de respirer, si les réflexes ne sont plus normaux, l'intoxication s'introduit dans l'organisme et la vie est en danger de mort. C'est d'ailleurs le signal quand on cesse de respirer.
Il faut donc que l'Office divin soit célébré régulièrement aux heures prescrites parce que c'est lui qui conserve et qui entretien la santé de notre corps. Et quand je dis notre corps, je vois la communauté que nous formons qui est cellule vivante du grand Corps mystique dont le Christ est la tête.
Ma sœur, mes frères,
Vous aurez peut-être remarqué avec moi que dans ce très court Chapitre de notre Règle, il était question de l'Abbé à trois reprises. Cela nous signifie que l'Abbé est partout présent dans le monastère, mais cela ne veut pas dire qu'il est inquisiteur, qu'il va surveiller.
Non, il est présent par l'impulsion qu'il donne à la communauté. Il est présent par l'esprit qu'il infuse et surtout il est présent par l'amour qu'il porte à tous les frères. Il est vraiment alors Abba dans le sens étymologique. Il est la tête, il est le chef qui est un synonyme de tête, il est le cœur, il est l'âme, il est le père. Tous les frères vivent de lui et par lui parce que dans le monastère il tient la place du Christ.
Je dis là des choses qui sont objectives. C'est vraiment ainsi que Saint Benoît et toute la Tradition voient la personne de l'Abbé. Naturellement c'est un idéal qui n'est pas inaccessible parce qu'il faut toujours tendre vers lui et l'atteindre plus ou moins même s'il y a des erreurs, s'il y a des chutes. Il n'est pas inaccessible parce que dans la Tradition nous découvrons des Abbés qui répondent à ce modèle.
L'un de ceux-ci était Saint Benoît, mais il n'était pas le premier. Et je pense que dans une communauté, les frères, les sœurs, doivent instamment demander à Dieu que l'Abbé soit en bonne santé spirituelle, c'est à dire qu'il réponde bien aux critères définit par Saint Benoît, car c'est un gain pour les frères, c'est un gain pour chacun.
Si la tête est en bonne condition, les membres le seront aussi. Par contre si la tête est malade, il y aura des troubles dans les membres. On ne peut pas être dissocié de l'ensemble. Nous formons un Corps et c'est surtout - encore une fois - de la bonne santé de la tête que dépend la bonne condition du Corps entier. Un des prédécesseurs de Saint Benoît dans cet idéal de l'Abba était Macaire le Grand ou Macaire l'Egyptien.
Si bien que rencontrer un tel homme était un besoin, une grâce, un désir même si ces rencontres étaient parfois pénibles. Mais pourquoi étaient-elles désirées ?
Mais parce qu’elles étaient chaque fois source de renouveau. Le frère était pris là où il était et il était élevé plus haut jusqu'à ce qu'un jour il se trouve à l'étage supérieur là où se trouve son Père, à l'intérieur de la création nouvelle où il perçoit toutes les choses non plus à la façon d'un homme charnel mais d'un homme divinisé, à la façon de Dieu lui-même.
Il entre alors dans le projet de Dieu. Il le voit. Il l'a fait sien, il y a été introduit et ma foi il ne peut plus rien faire d'autre que d'être sur terre l'instrument de ce plan divin. A la limite, le bonheur suprême doit être de vivre auprès d'un tel homme.
On le voyait dans le désert. L'apophtegme que nous sommes en train d'étudier depuis bien longtemps déjà ne parle que d'Evagre seul. Mais il en est d'autres où nous voyons toute une collection qui se trouve autour de l'Abba, et qui l'écoute, et qui lui pose des questions, et qui reçoivent chacun la réponse qu'il attend. C'est donc là une congregatio, une sorte de troupeau qui s'est rassemblé et qui reçoit la vie de son pasteur.
Le bonheur suprême serait donc de vivre en permanence auprès d'un tel homme. Cela existait à l'époque du désert où ces Grands Abbas avaient ce qu'on appelle un serviteur, c'est à dire un frère qu'ils avaient choisi, qui était bien en accord avec lui, qui était tout entier dévoué, qui partageait toute son existence, tous ses soucis, tous ses espoirs.
Et alors ce frère était vraiment envié par les autres. Et par contagion, il devenait lui-même un saint. Car vivre avec un tel homme, c'est une sorte d'avant-goût du ciel où Dieu est vu dans la personne du Christ et de ses saints. Naturellement il est facile ici-bas de disserter sur le bonheur qui nous attend là-bas dans ce lieu mystérieux qu'est le ciel. Je dis un lieu, non pas dans le sens philosophique du terme parce que un lieu dans ce sens là, c'est quelque chose de matériel, de circonscrit. On peut le cerner.
Ce lieu du ciel, c'est une personne - je l'ai déjà dit bien souvent - c'est la Personne du Christ Jésus ressuscité d'entre les morts. C'est en lui que nous voyons Dieu et c'est à partir de lui que nous recevons Dieu. Et autour du Christ, rayonnant de sa Personne, il y a la lumière qui est l'Esprit Saint.
Alors, vivre dans cette vision, vivre de cette audition parce que ce n'est pas le silence, ce n'est pas un bruit, c'est un chant - appelons ça ainsi -, c'est une mélodie, mais voilà, c'est ça le bonheur du ciel. Dieu est vu dans le Christ et puis dans ses saints qui sont tous là autour de lui et qui vivent de lui.
Dieu n'est pas vu directement.
Depuis qu'il s'est fait homme, il sera toujours vu dans la Personne du Christ. Et ça nous suffit plus que tout parce que vous vous rappelez cette parole, je pense qu'il la disait à son ami Philippe : Celui qui me voit, il voit le Père. C'est à travers le Christ que nous le voyons.
Eh bien, vivre auprès d'un ami de Dieu qui est tout entier dans la vision du Christ ressuscité et de sa Lumière, et qui la respire, et qui la mange et puis qui la rayonne dans ses paroles et dans tout son être, mais voilà : c'est le bonheur du ciel. C'est cela et rien d'autre.
Je pense que dans le subconscient des gens du monde, ils voient le monastère comme l'endroit où se fait cette expérience. Lorsque Saint Bernard parlait du paradisus claustralis, c'était cela certainement qu'il visait, un jardin clos à l'intérieur duquel il n'y a plus que des hommes transfigurés ; et comme au ciel, en se regardant les uns les autres, on voit Dieu. Oui, je le redis, ce doit être dans le subconscient des gens du monde. Et lorsque nous répondons à l'appel de Dieu, je pense bien que c'est encore - là aussi dans notre subconscient - ce que nous cherchons, ce que nous espérons recevoir.
Naturellement dans la pratique, comme Saint Benoît le dit, le monastère c'est plutôt un hôpital où on soigne les maladies spirituelles et psychiques des frères et même physiques. C'est tout cela. Mais attention ! Cela n'empêche pas que dans le cœur de chacun brille la flamme de l'Esprit et que sur le visage de chacun apparaît le visage du Christ quelque soit ce visage. Il y a donc là toujours un fondement de vérité dans le fait que le monastère est ici sur terre, pour les gens du monde et pour nous qui y vivons, vraiment une sorte d'apparition de ce que sera le ciel un jour.
Voilà, vous allez dire que je suis très optimiste, que je suis un utopiste. Et bien sincèrement je ne le pense pas. Car, si ça n'arrive pas parfois comme nous l'imaginerions, dans l'espérance et dans le cœur de chacun, c'est bien réel. Et c'est cette lumière, cette flamme que nous devons avoir la lucidité de reconnaître afin de remercier notre Dieu de toutes les grâces qu'il nous accorde, et à côté desquelles bien souvent nous passons sans les voir. Et nous négligeons alors de lui dire merci.
Table des matières
Chapitre 47 : Annoncer l’œuvre de Dieu ! 27.07.89.
La respiration du corps monastique.
Chapitre 47 : Annoncer l’œuvre de Dieu ! 27.07.89.