Mes frères,
Nous voyons que Saint Benoît règle l'ordonnance des repas comme une liturgie. Et ainsi, nous sentons que pour lui il n'y a pas d'hiatus entre le geste de la prière et le geste du manger et du boire. C'est pourquoi il est toujours très important de garder présent à l'esprit le but que Saint Benoît désire nous faire atteindre. Il y fait 'une toute brève allusion encore ici : pour que, dit-il, les âmes soient sauvées. 41,12. Et n'allons pas dévaluer cette expression du salut de nos âmes !
Lorsque j'ai commencé à expliquer le premier apophtegme de Saint Antoine, j'ai bien expliqué en quoi consistait le salut que recherche le moine. C'est toujours cela qui est l'objectif primordial, premier, unique. Et c'est-à-dire : rencontrer le Christ, devenir avec lui un seul esprit. Donc, tout doit être ordonné dans cette direction, également les repas et les heures des repas.
Mes frères,
Il y aurait beaucoup à dire, et de belles choses, à propos de ce chapitre. Par exemple, sur l'unité de la vie monastique qui n'est pas une collection d'observances, mais qui est ascension dans la découverte d'un mystère. Mais, ça nous conduirait trop loin, et un devoir plus urgent nous sollicite, à savoir : apprendre quelques antiennes.
Je voudrais seulement attirer votre attention sur un détail. Saint Benoît, vous le savez, considère le murmure comme une faute grave. Il dit au chapitre 34,11 : Avant tout, que jamais n’apparaisse le vice du murmure pour quelque raison que ce soit, ni en paroles, ni en un signe quelconque. Que si quelqu'un en est reconnu coupable, il sera soumis à une correction sévère.
Le murmure est une forme de révolte contre Dieu. Vous savez qu'il a été le péché par excellence des Israélites dans le désert. C'est le murmure qui leur a fermé l'accès à la terre promise. Le murmure conduit inéluctablement à la mort. Il établit une solution de continuité entre Dieu et le moine. La grâce ne sait plus passer. La grâce, même si elle part de Dieu pour rencontrer le moine, mais elle tombe dans un vide qui est se murmure. L'homme se ferme à Dieu.
Et pourtant, pourtant Saint Benoît connaît un murmure juste, et c'est ici dans ce chapitre. C'est le seul endroit de toute la Règle. Il parle de justa murmuratio, 41,13, c'est à dire un murmure qui est donc en conformité avec la justice.
Si un moine se présente devant Dieu avec ce murmure-là, il sera non seulement acquitté, mais il sera félicité car il est dans la justice. Et ce murmure juste, pour Saint Benoît, il peut surgir à l'occasion d'un défaut d'harmonisation entre l'heure du repas et le travail en période estivale.
Vous allez dire : Ce n'est rien du tout ! Si, c'est beaucoup, parce que cela dénoterait dans le chef de l'Abbé un défaut de discrétion. L'Abbé n'a pas le droit de surcharger les frères, de les écraser sous prétexte de pénitence, sous prétexte d'ascèse, sous prétexte de régularité parfaite jusque dans le dernier détail.
Si les frères commençaient ensembles - il ne s’agit pas d'un cas isolé, mais d'un murmure général - dans des conditions pareilles, ce serait un murmure juste et le responsabilité reposerait sur l'Abbé seul. Saint Benoît, pour éviter un tel mal, édicte une règle d'or. Je la rappelle : A l'Abbé de modérer toutes choses, toutes, et de les disposer de telle sorte que les âmes se sauvent et que les frères accomplissent leur tâche sans motif légitime de murmure. 41,11.
Voilà, mes frères, nous reconnaissons bien là notre Père Saint Benoît toujours parfaitement équilibré. Et voilà, je me recommande à vos prières, pour que à tous petits pas je me rapproche de ce grand modèle de perfection de façon à ce que tous, ici dans la maison de Dieu, n'aient jamais l'occasion de murmurer, mais bien plutôt de s'épanouir et d'être toujours contents.
Mes frères,
Voici le seul endroit où Saint Benoît parle d'un murmure légitime, Iusta murmuratio, dit-il en 41,13. Un murmure qui est juste, c'est à dire qui est selon la justice, qui est conforme au droit. Habituellement, nous l'avons vu, lorsqu'il parle du murmure, il y voit une chose pernicieuse car le murmure détruit la relation entre Dieu et l'homme et il conduit le moine à la ruine.
Le murmure juste, dont parle ici Saint Benoît, l'est dans le chef des murmurateurs, des frères qui murmurent ici ensemble. Ce n'est pas un seul, c'est toute la communauté qui murmure. Cela n'enlève rien à la nature pernicieuse du murmure.
Mais il doit tout de même, ce murmure, être mauvais dans le chef de quelqu'un. Eh bien ce sera chez l'Abbé. Il est pernicieux pour l'Abbé. Pourquoi ? Mais parce que l'Abbé, par son défaut de discrétion, par un souci mal éclairé de l'Observance et par la dureté de son cœur, n'adapte pas l'horaire des repas. Il écrase les frères sous le poids du travail et il les pousse à bout.
Le responsable de ce murmure, c'est donc l'Abbé. Et il en répondra devant le tribunal de Dieu car le Christ a dit : Malheur à celui par qui le scandale arrive. Le scandale est arrivé. Les frères ont murmuré. C'est un malheur ! Mais attention ! Maudit celui par qui le scandale arrive. Et c'est l'Abbé !
Voyez, mes frères, comme Saint Benoît n'est pas tendre. Il n'est pas tendre du tout. Et dans ses jugements, il est toujours très correct. Il ne dit pas : Moi je suis Abbé, donc a priori tous les droits sont du côté de l'Abbé.
Ah non, dit Saint Benoît, les droits peuvent être du côté des frères. Et voici un cas ici. C'est bien la preuve que Saint Benoît était un saint. Il voit les choses comme Dieu les voit, et il réagit comme Dieu lui-même réagit.
Alors, mes frères, ayez toujours une petite prière pour l'Abbé parce qu'il devra répondre devant Dieu de tout ce qu'il décide. Et il est un homme entouré de faiblesse comme n' importe qui. Ses vues sont limitées. Même s'il fait son possible pour que le Christ vive en lui, pour être sous la mouvance de l'Esprit Saint, la chair est toujours là qui peut à certains moments le perturber et l'aveugler. Donc il est nécessaire qu'il soit porté par la prière de tous ses frères.
Mes frères,
La vie monastique bénédictine ressemble à une toile étroitement tissée. Elle est constituée d'une multitude de fils mais, lorsqu’on la regarde, elle se présente sous la forme d'une unité indéchirable. Nous le voyons encore aujourd'hui. Nous remarquons la conjonction étroite entre les heures des repas et le Temps Liturgique. La pratique fondamentale du jeûne s'adapte parfaitement à la pratique non moins fondamentale de la liturgie.
De Pâques à la Pentecôte, les frères dîneront après l’Office de Sexte. Il n'est pas possible de jeûner parce que l'Epoux est présent. Il est ressuscité d'entre les morts. Il nous entraîne dans son ascension. Il déverse sur nous la plénitude de son Esprit. Si notre cœur est attentif et pur, il peut voir la lumière qui émerge du Christ ressuscité et …?…
De la Pentecôte au 14 Septembre s'introduit un autre mode de présence, plus discret, comme dans un miroir nous dit l'Apôtre Paul. D'ailleurs, à partir de la mi-juin les jours commencent à décliner. On entre insensiblement dans une période nouvelle qui sera une période d’obscurité. On va donc commencer a jeûner.
On prendra son repas le mercredi et le vendredi après l’Office de None. Les autres jours, on va le prendre encore après l’Office de Sexte. Mais Saint Benoît est un homme discret. Il ne veut pas accabler les frères. La Loi est au service des hommes, ce n’est pas l'inverse.
Si donc les nécessités du travail l'exigent, on prendra chaque jour son repas après l'Office de Sexte. Nous sommes dans une économie de type agraire. Il faut travailler au dehors. Et ceux parmi nous qui ont connu cette époque héroïque et belle savent que c'est extrêmement lourd de travailler aux champs lorsque le soleil tape dur et que les bottes de foin ou les fourchées de foin sont lourdes. Et il fait encore beaucoup plus chaud dans les greniers et les fenils !
Du 14 Septembre au Carême, là, on est vraiment installé dans le jeûne. Oh prendra toujours son repas après l'Office de None. L'obscurité s'installe. On connaît le Christ. On perçoit sa présence toujours, mais dans les ténèbres de la foi. Puis, lorsque le carême s'amorce - on va donc traverser tout l'hiver - lorsque le carême commence, alors jusqu'à Pâques, on prendra son repas après les Vêpres. On est entré dans le mystère du désert, dans la lutte de l'attente.
Voyez comme la pratique du jeûne chez Saint Benoît épouse le cycle liturgique et comment elle nous permet d'assumer notre insertion à l'intérieur d'un système météorologique qui ne dépend pas de nous.
Les hommes ont déjà réussi à faire énormément de choses, mais ils n'ont pas encore réussi à arrêter ou à freiner le mouvement de la terre autour du soleil, ni la rotation de la terre sur elle-même. Cela arrivera peut-être un jour, je ne sais pas ? Mais alors, il faudra revoir les règles du jeûne telles que Saint 8enoît les définit.
C'est aussi dans des détails comme ceux-ci qu'on voit la beauté et le réalisme de l'Incarnation. Nous ne sommes pas des êtres qui essayons d'échapper aux contraintes charnelles, ni aux contraintes physiques, ni psychiques. Non, elles font partie de notre être, elles font partie de notre richesse. Nous les épousons, nous ne les rejetons pas. Nous en sommes heureux et nous les utilisons pour entrer dans la grande chorégraphie que Dieu et le Christ, lui qui est le chorégraphe suprême, nous présente et dans laquelle il nous invite.
La vie monastique est donc essentiellement une. Elle n'est pas une collection d'observances, mais elle est une croissance dans la découverte d'un mystère, propre mystère de Dieu, Dieu dans son être et Dieu dans son dessein, Dieu dans son oeuvre. Et une oeuvre de création qui se poursuit jour après jour à travers ces cycles de la nature ; oeuvre de restauration : en hiver, il semble que tout se perd, que tout se détruit, tout se fige, tout meurt. Mais au printemps, tout va reverdir, tout va de nouveau déployer les richesses qui sont en germe dans tout ce qui vit.
Il y a donc toujours à l'intérieur de la nature une restauration. Et cette restauration n'est pas un retour à quelque chose qui commence, qu'il faut reprendre au début. Non, c'est à partir d'un nouveau pallier que cette restauration s’opère, qu’il …?… …?… à la poursuite de la création. Et puis, il y a la grandeur de la divinisation, ce Verbe de Dieu qui habite l'univers et qui le pousse, qui le conduit vers la plénitude de sa réussite jusqu'à cette heure où Dieu sera tout en toute chose.
Si bien que l'Office Divin, dans ces cycles successifs et spiranoïdes, renvoie l'image du cosmos en devenir. Donc, les cycles liturgiques reviennent toujours au même point, mais chaque fois un étage plus haut, comme un escalier en forme de spirale. Et cela nous renvoie l'image de ce cosmos qui grandit vers son point final, vers son point omega où il rencontrera Dieu.
Et le cosmos est récapitulé dans l'homme qui se nourrit et se développe physiquement - nous avons ici toutes les heures des repas - et spirituellement dans les cycles liturgiques qui eux-mêmes sont rythmés par le cycle de la lune et par le cycle du soleil, les cycles lunaires marquant les mois et le cycle solaire marquant les années.
Mes frères, il n'est rien dans l'organisation de notre vie telle que Saint Benoît l'a prévue qui soit laissé au hasard. Saint Benoît était un saint. Il portait en lui l'Esprit de Dieu. Il avait assimilé toute la Tradition monastique. Si bien qu'il vibrait à tout ce qui se passait dans le monde.
Je parle du monde dans sa beauté. Je ne parle pas de la malice des hommes, mais du monde matériel. Et il le voyait comme un immense temple, un temple dans lequel se déroulait la liturgie de la création, de la restauration, de la divinisation dont je parlais tout à l’heure, et le moine étant le prêtre de cette liturgie. Il est devenu prêtre par son baptême. Et il est là, tout le monde, tout l’univers est résumé en sa personne. Et à travers la Iiturgie, et à travers le simple fait de se nourrir, il remplit son office.
Mes frères, il y a ici ...?… dans notre vie une multitude de détails qui nous permettent de mieux saisir l'ampleur de ce qui nous est demandé, et aussi l'incomparable beauté qui est nôtre et dans laquelle nous sommes entraînés jusqu'à devenir des rois, des princes.
Mes frères,
Saint Benoît consacre quatre chapitres à l'ordonnance des repas. Et si on pense aux semainiers de cuisine, on pourrait ajouter un cinquième. Ce qui ressort en général, c'est la bonté, l'équilibre, la discrétion de Saint Benoît.
L'Abbé pourrait être une ascète extraordinaire, il n'a pas le droit d'imposer sa façon de faire à la communauté. II doit veiller à tous, aux vieillards, aux jeunes, aux malades, aux jours de grandes chaleurs, aux jours de grand travail. Il doit tout tempérer pour que les âmes se sauvent.
Cela signifie qu'il ne faudrait pas profiter des circonstances ou de son état personnel pour glisser dans la gourmandise, pour devenir exigeant, pour revendiquer des droits car, à ce moment-là, on ne sauve pas son âme. Non, l'essentiel, c'est toujours de grandir en Dieu et de le rencontrer le plus vite possible.
La nourriture est pour l'estomac, l'estomac n'est pas pour la nourriture. Mais l'un et l'autre glisseront finalement dans la corruption. Il ne restera rien, ni de l'estomac, ni de la nourriture. Et c'est pourquoi, l'Abbé idéal qu'est Saint Benoît s'efforce de modérer toutes choses. Temperare, dit-il 41,11.
C'est vraiment modérer, tempérer toutes choses, disposer pour que les âmes puissent se sauver et que les frères n'aient pas l'occasion de murmurer justement. C'est le seul endroit où Saint Benoît parle d'un juste murmure. L'Abbé ne doit pas pousser les frères à bout. Non, il doit toujours être très condescendant.
Et c'est une raison pour laquelle il est bon que l'Abbé ne soit pas un colosse. Il est préférable qu'il n'ait pas une santé de fer mais qu'il soit passé lui-même par la maladie, même qu'il la connaisse. Mais Saint benoît sait aussi que le plus grand danger peut-être qui guette le moine dans le monastère, c'est la gourmandise. Celui qui sait maîtriser sa bouche, comme celui qui sait maîtriser sa langue, celui-là - comme dit l'Apôtre Saint Jacques - c'est un homme parfait.
Et il y a deux sortes de gourmandises : ou bien s'empiffrer, se remplir le ventre sans fin, ou bien rechercher des choses délicates qui flattent le goût, ou bien encore les deux ensemble. Vous avez entendu, au réfectoire ce midi, Saint Bernard décrire la table des moines de Cluny à son époque. Ce n'était pas mal dit et, réellement, ça devait être ainsi. Mais que reste-t-il alors de la vie spirituelle ?
Nous ne devons pas non plus, comme je le disais tout à l'heure, profiter de l'occasion pour devenir exigeant. Saint Benoît nous a dit qu'il fallait servir de la viande aux malades tout à fait débiles, mais tout à fait, omnino debiles, 39,25.
Ce n'est pas parce que on a été malade, ou qu'on l'est plus ou moins, qu'on doit maintenant revendiquer comme un droit d'avoir de la viande tous les jours, et pas encore n'importe laquelle, presque des cuisses de grenouille, des trucs qu'on ne trouve pas facilement et qui coûtent des prix exorbitants, et qu'on exige. C'est ça, j'en ai besoin, sinon je vais passer de vie à trépas.
Ce qui va passer de vie à trépas, ce n'est pas le corps, mais c'est l'âme. Donc, mes frères, attention à ce défaut qui est, je vous le dis, extrêmement dangereux.
Il y a encore ceci, j'y pense tout de suite. Le fait de manger, l'alimentation, c'est un critère psychanalytique extraordinaire. Il suffit de voir comment quelqu'un se nourrit pour détecter ce qui se passe à l'intérieur de lui. Cela c'est infaillible, on se trahit au réfectoire.
Il suffit de regarder. Et le jugement qu'on porte alors sur l'intérieur du frère, son psychologique, ça, ça ne rate pas, c'est juste. C'est le fait de manger qui trahit l'intérieur de l'homme. Et c'est pourquoi les Anciens avaient toujours placé la gourmandise comme le tout premier des vices à extirper, le tout premier. C'est lui qui est révélateur de la valeur d'un homme.
Donc, faisons bien attention, mes frères ! Surveillons-nous et, si c'est possible, ne nous faisons pas remarquer. Parce que je pourrais dire des choses ici, comme ça, qui viennent de l'analyse que d'autres que moi ont faite de l'alimentation, qui sont très belles à entendre, mais qui pourraient nous donner des frissons ou des cauchemars.
Donc, soyons très prudents et ne nous faisons pas remarquer !
Ma sœur, mes frères,
Saint Benoît parle ici d'une chose très belle qui ne paraît pas du tout à l'intérieur de la traduction française. Il dit que l'Abbé doit être la providence, 41,11, de ses frères ; non seulement pour régler l'ordonnance des repas, etc., mais aussi à tout moment. C'est un idéal extrêmement élevé. Pour le réaliser pleinement, il faudrait être un saint. Et, c'est la providence non seulement de la communauté en son ensemble, mais aussi de chacun des frères.
Providence, cela signifie que il faut voir les choses pour l'autre ; providence non seulement à l'avance mais aussi pour l'autre comme si chacun des frères était myope. Et l'Abbé, lui, ayant une vue très claire, le propre regard du Christ dans les yeux, il pouvait alors décider pour chacun ce qui lui était le meilleur.
Mais alors en contrepartie, il faudrait que chacun des frères croie que vraiment l'Abbé exerce alors son rôle de providence. Et c'est la raison pour laquelle Saint Benoît emploie le mot credere. Donc, il faut que le frère croie que l'Abbé tient dans la communauté la place du Christ.
Voyez un peu à quelle hauteur se situe notre vocation monastique ! Nous ne sommes pas un simple groupement d'hommes qui poursuivent un idéal spirituel très élevé. Non, c'est carrément au niveau surnaturel que nous devons nous situer tous. Et ce n'est pas simple, nous ne le savons que trop.
Mes frères, mes sœurs,
Avez-vous remarqué l’insistance de Saint Benoît ? Il demande à deux reprises, une fois de façon positive et une fois de façon négative, que les repas soient pris toujours en tout temps à la lumière du jour. La lumière ne doit jamais manquer à l’heure des repas, dit-il, 41,18. Ce n’est pas la lumière artificielle mais la vraie lumière, la lumière du jour, la lumière du soleil.
Et il dit que il faut que à la clarté de la lumière, la clarté du jour, tout se fasse ainsi, 41,19-21. Cela vaut en carême pour le dîner car il n’y a qu’un seul repas. Les autres temps, cela vaut aussi pour le souper car il y a deux repas. Donc toujours ça doit se faire à la clarté du jour.
Eh bien, pourquoi, pourquoi ? Nous avons, nous, perdu la symbolique de la nuit. Nous l’avons perdue parce que maintenant nous disposons à volonté d’une lumière éclatante, plus brillante que le soleil à la limite. Auparavant on ne disposait que de pauvres lumignons. J’ai encore connu, moi, cette époque. J’ai vécu toute mon enfance sans la lumière électrique. On ne savait pas ce que c’était !
Je comprends un peu mieux ce que Saint Benoît demande ici. Mais aujourd’hui dans notre contexte socioculturel, il nous est difficile de comprendre pourquoi Saint Benoît insiste tellement pour que tout se fasse pour les repas à la lumière du jour. Si je vous le demandais, je pense que vous donneriez tous votre langue au chat !
Eh bien, c’est parce que : pour ce qui regarde les repas depuis la plus haute antiquité, la nuit est le lieu des excès et des débauches. Ecoutez ce que dit l’Apôtre Paul aux Thessaloniciens. C’étaient des gens civilisés. La Grèce à l’époque, c’était la lumière du monde.
Frères, vous n’êtes pas dans les ténèbres, vous êtes tous des fils de la lumière, des fils du jour. Nous ne sommes pas de la nuit, des ténèbres. Alors, ne nous endormons pas comme font les autres mais restons éveillés et sobres. Ceux qui dorment, ils dorment la nuit ; ceux qui s’enivrent, s’enivrent la nuit. Nous au contraire, nous qui sommes du jour, soyons sobres ! Revêtons la cuirasse de la foi et de la charité avec le casque de l’espérance du salut ! 1Th. 5, 4-8.
Lorsqu’il dit que ceux qui dorment, dorment la nuit, ce n’est pas le sommeil paisible des travailleurs qui ont dû peiner pendant la journée ; ce sont ceux qui dorment sous le poids de l’ivresse. ils se cachent, ils sont entre eux, voyez, la nuit !
Les repas doivent être pris à la clarté du jour. Nous sommes des fils du jour, pas des fils des ténèbres. Et il insiste encore dans sa lettre aux Romains où il dit ceci en Rm. 13, 11-14. C’est un texte que nous connaissons parce que nous en entendons la proclamation au cours d’un Office. Je ne sais plus lequel, mais nous l’entendons souvent.
C’est l’heure de vous arracher au sommeil, le Salut est maintenant plus près de nous qu’au temps où nous avons cru. La nuit est avancée, le jour est arrivé. Laissons-là les œuvres de ténèbres et revêtons les armes de la lumière. Comme il sied en plein jour, conduisons-nous avec dignité. Point de ripailles ni d’orgies, pas de luxures ni de débauches, pas de querelles ni de jalousies, mais revêtez-vous du Seigneur Jésus Christ et ne vous souciez pas de la chair pour en satisfaire les convoitises !
Voyez toute cette symbolique de la nuit et de la lumière ! Lorsque nous entendrons proclamer cette Parole au cours de l’Office, maintenant nous en comprendrons mieux le sens. Le moine est un fils de la lumière et du jour, pas un enfant de la nuit et des ténèbres.
Il est un fils de la lumière parce qu’il vit dans la sobriété : il veille, il est vigilant, il est attentif. Vous savez que les anciens moines étaient appelés les Pères neptique, les Pères qui savent veiller, les Pères qui savent vivre comme sont dans l’état qui est le leur en pleine lumière des hommes dont le cœur est pur et qui rayonnent la lumière jusque dans leur regard.
Nous devons aussi marcher dans l’honnêteté comme nous le disait l’Apôtre Paul. Il ne faut pas que notre cœur soit enténébré. Si nous entretenons à l’intérieur de nous des pensées contraires à la charité, nous sommes des gens malhonnêtes. C’est une tentation, je le sais bien, mais nous ne devons pas y céder. Saint Benoît nous en donne le remède.
Lorsqu’une telle pensée contraire à la charité vient à s’infiltrer à l’intérieur de notre cœur, nous devons de suite la saisir et la briser d’un seul coup contre la pierre, cette pierre étant le Christ, et le Christ étant présent dans l’Abbé ou dans le Père Spirituel.
Il faut être sobre, vigilant parce que nous sommes des combattants. Nous ne sommes pas des embusqués dans le monastère, non, nous sommes dans une citadelle, la maison de Dieu qui est assaillie de tous côtés.
Mes frères, même si la lettre de notre Règle est perdue de ces repas pris à la lumière du jour, nous devons en conserver l’esprit. Plus tard, et ce plus tard peut être très proche car nous ne savons pas, ne connaissant ni le jour ni l’heure de notre mort – n’ayons pas peur d’utiliser le mot – nous entrerons alors dans un autre univers, un univers qui est celui du Christ ressuscité dans la Jérusalem nouvelle. Et là, il n’y a plus de nuit.
Il est remarquable lorsque le voyant de l’Apocalypse décrit la Jérusalem nouvelle qu’il contemple, il n’y a plus de nuit. Il n’y a donc plus de possibilités de commettre le péché. Les fils de la lumière vivent alors sans cesse en toute sécurité au sein d’une lumière qui les nourrit et dont ils sont les enfants.
Eh bien, mes frères, nous devons, nous, porter dans notre cœur cette espérance, cette espérance qui est le ressort, le moteur de notre vie, voir la beauté de Dieu, voir la lumière de Dieu, voir le Christ ressuscité. Et pour cela : ouvrir notre cœur à l’action de l’Esprit ; épouser de tout notre être la volonté de Dieu ; nous plonger à l’intérieur de l’obéissance ; être à l’écoute des cadeaux que Dieu désire nous faire chaque jour.
Et ainsi, petit à petit nous nous préparons et, à l’heure voulue, nous serons plongés totalement à l’intérieur de cet univers où il n’y a plus de nuit. Voilà, mes frères, c’est le souhait que je formule pour chacun d’entre nous.
Table des matières
Chapitre 41 : Des heures des repas. 20.07.85
Chapitre 41 : Des heures des repas. 19.11.85
Chapitre 41 : Des heures des repas. 20.03.86
Chapitre 41 : Des heures des repas. 19.11.87
Heures des repas et Temps Liturgiques.
Chapitre 41 : Des heures des repas. 20.07.90
Chapitre 41 : Des heures des repas. 20.03.93
L’Abbé est la providence des frères.
Chapitre 41 : Ténèbres ! 19.11.97
Symbolique de la nuit et de la lumière.