Chapitre 31.1-26 : Portrait idéal du cellérier.  08.03.84       

Voilà le cellérier !

 

Mes frères,

 

Dans les chapitres précédent, Saint Benoît nous a parlé des moines spirituellement rnalades et récalcitrants. Auparavant il nous avait au long et au large présenté l'Opus Dei et, encore plutôt, les grandes vertus monastiques à partir de la personne de l'Abbé.

 

Nous voyons donc le monastère comme cette salle du banquet évangélique où Dieu fait entrer tous ceux qu'il trouve, les bons et les moins bons, les meilleurs étant toujours pécheurs. Et s'ils s'imaginaient être exempts de péché, au moment où ils arrivent, Dieu s'arrangerait bien grâce à la pression de la vie commune, de leur ouvrir les yeux sur leur véritable état. Donc, personne n'a le droit de s'enorgueillir dans le monastère.

 

A partir d'aujourd'hui, nous allons voir au fil des chapitres vivre cette communauté. Et Saint Benoît ce soir nous présente celui qui sera comme le père de cette communauté, à savoir le cellérier. Il brosse de ce cellérier un portrait extrêmement vivant. Nous pouvons suivre le cellérier dans sa vie privée, dans sa vie intime, dans ses allées et venues. Et nous recueillons l'impression d’un homme très occupé qui s’occupe toujours des autres et qui ne vit pas pour soi.

 

Saint Benoît lui trouve une foule de qualités. Et ces qualités sont maintenues entre deux vertus capitales comme entre deux mains : la sagesse et la crainte de Dieu. Je pense que le Livre des Proverbes pourrait très bien devenir le livre de chevet du bon cellérier. Car pour le sage Israélite, craindre le Seigneur est le sommet de tout. Et cette crainte de Dieu lui inspire à tout moment le comportement qu’il convient, lui donne la perspicacité, l’intelligence, le discernement, l'intuition. Or, voilà bien le vrai cellérier !

 

Remarquez aussi, mes frères, l'affection que Saint Benoît porte à son cellérier. Il n'a pas à son endroit une seule parole de méfiance. Pour Saint Benoît il n'y a pas de problème, le cellérier doit être un saint. Il l'est du fait qu'il est cellérier.

Pensons aux rapports entre Saint Bernard et son frère Gérard. Si vous avez le temps, allez voir dans le sermon je ne sais plus combien, où il fait le panégyrique de son frère Gérard, mort. Il l'a conduit au cimetière. Là, vous avez le portrait, le tableau du cellérier idéal.

Et vous verrez les rapports qu'il entretient avec son frère, comment il est pour lui son bâton, son soutien, son .. ?.. . C’est celui qui permet à Bernard d'être Abbé. Voila le cellérier !

 

 

 

 

 


Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.09.03.84

      La maison de Dieu.

 

Mes frères,

 

A la fin de ce chapitre, nous recueillons ce que je considère comme le plus beau joyau de la Règle qui pourtant en compte déjà une riche collection : Que personne ne soit troublé ni contristé dans la maison de Dieu.

Le monastère est donc la maison de Dieu, le palais de Dieu, le temple de Dieu, là où Dieu a choisi d'habiter dans une nuée qui est lumière. Le monastère nous fait donc de suite penser à la tente  de réunion, au temple construit sur la colline de Sion, à la Nouvelle Jérusalem où Dieu sera à lui-même son propre temple.

 

Et voici que le moine habite chez Dieu. Il habite en Dieu. Il est déjà introduit dans le monde à venir. Nous ne devons pas avoir peur de regarder ainsi notre vocation. C'est la toute première fois dans la Règle que Saint Benoît use de cette parole la maison de Dieu pour désigner le monastère. A partir de là, on peut comprendre la conduite qui nous est demandée chez Dieu.

Si les moines répondaient parfaitement à leur vocation d'hôte de Dieu, d'habitant de la maison de Dieu, il me semble que le monde se couvrirait de monastères tellement les hommes seraient attirés. Les hommes ne pourraient faire autrement que de vivre dans un monastère.

A la fin du monde, la terre entière sera une maison de Dieu. Plus que la terre, même le cosmos, ce cosmos si beau dont on nous parle dans cette lecture au réfectoire. Il sera tout entier un temple de Dieu. Et tous les hommes y habiteront, et tous les hommes y seront heureux.

 

Mes frères, tel doit être le monastère maintenant. Il est chez Dieu l'éclat immaculé de la Lumière. Mais il n'y a aucune place pour le trouble ni pour la tristesse. Ce sont des choses incompatibles. Dans un monastère, chez Dieu, mais chacun doit être possédé par la paix et la joie même de Dieu, cette paix que le Christ nous a donnée, cette joie qui était la sienne et qu'il nous a donnée.

 

Alors, il y a tout de même une question: pourquoi voit-on encore dans des monastères des tiesses di morivnants. Car ça, ce sont des choses qui sont absolument incompréhensibles à moins qu'on ne fasse intervenir une action diabolique. C’est la seule explication !

Car si le monastère est la maison de Dieu, il est aussi une castra Dei, donc une forteresse qui est assiégée. Cette maison de Dieu est entourée d'un monde qui lui est hostile. C'est le monde qui est régit par le prince des ténèbres qui est l'absolu contraire de la lumière.

Et lorsque nous entrons chez Dieu, cette obscurité, nous la portons en nous. Car si nous sommes chez Dieu dans le monastère, même si l’Esprit de Dieu habite en  nous, il n'y est pas seul. Il est en compagnie d’un être malfaisant qui nous a infectés, qui nous a empoisonnés.

 

Voilà, mes frères, cette lutte qui est à l’intérieur de notre cœur, qui est à l’intérieur du monastère. Mais ça n’empêche pas que nous sommes tout de même chez Dieu. Il est nécessaire, il est indispensable que tout y soit organisé, que tout y soit ordonné pour que y règne l'ordre, la justice, la paix, pour que personne n’ait en conscience sujet d’être troublé ou d’être attristé.

Je dis en conscience, dans sa conscience pure et dans sa conscience droite, pas dans la conscience tordue par le péché, mais dans la conscience de fils de Dieu.

 

Voilà, mes frères ! A partir de là nous comprenons aussi que chacun doit collaborer à cette atmosphère de paix et de joie du monastère. Il faut que chacun s'oublie pour les autres. Est-ce que c'est tout de même demander beaucoup lorsque on croise quelqu'un dans les cloîtres, de lui adresser un sourire et un regard, au lieu de passer à côté ignorant souverainement tout le monde ? Cela jette un froid, cela jette un trouble cela.

Non, mes frères, quand nous nous rencontrons, comme Saint Benoît le demande, comme notre coutumier le demande, mais qu'on s'adresse un petit regard, un petit salut qui veuille dire : je suis heureux de vous rencontrer. Vous m'apportez quelque chose. Je vous donne aussi le meilleur de moi-même. nous sommes ici chez Dieu.

 

Voyez, mes frères, chacun doit y mettre du sien jusque dans des petits détails aussi simples que celui-là. Et ainsi, respectant la discipline de la maison de Dieu, je pense que dans la mesure humainement possible, nous pourrons dire que notre monastère est une maison de Dieu.

 

Chapitre 31,1-26 : Portrait idéal du cellérier.  08.03.85

      Un signe de ralliement !

 

Mes frères,

 

Lorsque on parcourt la Règle de Saint Benoît comme nous le faisons fidèlement jour après jour, on rencontre des paysages aux visages violemment contrastés. Parfois, on a le sentiment de se trouver dans un paradisus claustralis, un paradis comme aujourd'hui par exemple. A d'autres moments, on se demande si on n'est pas tombe dans une caverne de brigands comme ce fut le cas les premiers jours de cette semaine.

Cela ne doit pas nous étonner, car le monastère est la réduction à l'échelle locale de la grande Eglise qui est tout ensemble sainte et pécheresse. Il est aussi le reflet en gros plan de notre propre cœur qui est tout ensemble temple de l'Esprit mais aussi refuge de satan.

 

Le monastère est une portion du Royaume de Dieu, nous le savons. Ici, nous ne sommes pas chez nous. Nous sommes vraiment chez Dieu, dans son Royaume, chez lui. Et nous nous imaginerions facilement que chez Dieu, on ne peut trouver que de la sainteté. Mais en fait, ce monastère, cellule du Royaume de Dieu, est habité par des pécheurs donc par des hommes qui ont encore partie liée avec l'égoïsme, mais des hommes qui ont décidé de se convertir, donc de passer de l'égoïsme à la charité, à l'amour.

Le monastère va donc se présenter comme un hôpital pour maladies ou pour malades spirituels, comme un champ de bataille où l'on lutte contre les passions, contre les esprits, contre les pensées, contre tout ce qui en nous est brouillon, tout ce qui en nous est mauvais. C'est aussi un lieu de repos pour les fils de Dieu, pour  ceux qui sont déjà admis à contempler la lumière qui est Dieu. Et il est tout cela ensemble.

Et dans ce monastère - réalité donc très complexe - Saint Benoît a placé un drapeau, un guide, un signe de ralliement, un abri. Et c'est le cellérier. Pour Saint Benoît, le cellérier est un homme libéré parce que Dieu occupe en son cœur toute la place, et avec Dieu tous les frères. Saint Benoît énumère les qualités du cellérier. Je suivais en latin pendant qu'on lisait en français. Que c'est édulcoré comme traduction !

Le cellérier du monastère, il est maturis moribus, 31,2. Donc, c'est un homme qui a atteint la maturité humaine. Ce n'est plus un gamin ni un gosse. C'est un adulte arrivé à sa pleine maturité. Il est sobre. Il n'est pas grand mangeur. Il a vaincu la gourmandise. C'est le combat, le combat le plus dur, le tout premier ! Il faut d'abord se colleter avec l'esprit de gourmandise avant de pouvoir affronter les autres. Mais chez le cellérier, c'est fait, il est vainqueur !

Il est non elatus, 31,4. Ce n'est pas un fanfaron. Il n'a pas une haute idée de sa personne. Il ne regarde pas les autres de haut. Il ne marche pas avec la tête en l'air. Non! Il est non turbulentus, 31,5. Ce n'est pas un qui sème le trouble autour de lui. C'est ça turbulentus.

Il est non iniuriosus, 31,5. Cela ne veut pas dire qu'il ne lancerait pas des injures à la tête des gens. Non, c'est autre chose. Cela veut dire ceci : c'est qu'il ne fait tort à personne. Il n'est pas cause, ou facteur plutôt, d'injustice, de choses qui sont contre le droit, contre la vérité.

Il n'est pas tardus, 31,5. Ce n'est pas un qui traîne, un qui fait sentir que c'est lui qui a les clefs, et qui se fait prier, qui se fait supplier pour donner quelque chose. Il n'est pas prodigus, 31,6, pour dire : oui, mais moi j'ai tout à ma disposition, donc je fais tout voler. Prodigue!

 

Or, ces qualités qui sont remarquables, elles sont tenues ensembles par deux mains indissociables. C'est la sapientia et la timor Dei. Il est en premier lieu comme dit Saint Benoît, sapiens, c'est à dire c'est un homme sage. Et il est sage pourquoi ? Voici en dernier lieu parce que timens Deum, parce qu'il craint Dieu.

Vous avez là, vous retrouvez là cette fameuse sentence qui est empruntée aux Psaumes : initium sapientiae timor Domini. Le commencement et en même temps le sommet de la sagesse, c'est la crainte de Dieu.

 

Vous avez ici un exemple, un très bel exemple dans la Règle de Saint Benoît de ce qu'on appelle un break-up. Il n'y a pas de mot correspondant en langue française. C'est pour cela qu'on utilise en exégèse scripturaire le mot anglais. Cela signifie que c'est brisé en deux. C'est une brisure. Vous avez la sentence : le commencement de la sagesse, c'est la crainte du Seigneur. Cette sentence-là, on l'élargit, on la coupe en deux. Et à l'intérieur des deux, on introduit toutes sortes d'autres qualités. C'est ce que Saint Benoît fait. Il est sage, puis il a la maturité, etc., et puis finalement il craint Dieu.

C'est tout à fait comme une tartine. Vous avez deux tranches. A l'intérieur de ces tranches on met du beurre, et puis on met de la confiture, et puis on met encore du fromage, et puis on met encore du miel, et tout ça un sur l'autre. Et puis alors on remet les deux tartines ensemble. C'est ce que  vous avez ici. Et ça, c'est la technique du break-up.

 

 

Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.09.03.85

      Faire le bonheur des autres.

 

Mes frères,

 

Quand le cellérier doit donner à un frère une chose que ce frère a demandée, il ne doit pas le faire avec hauteur. Il y a une façon de donner aux autres qui est très désagréable. On peut leur faire sentir à ce moment-là qu'ils sont dépendants, qu'ils sont inférieurs, que leurs besoins sont suspendus à la bonne volonté d'un autre. Et cela, c'est extrêmement odieux.

Le Christ nous dit quelque part : Les grands de ce monde font sentir leur pouvoir - et ça, c'est un esprit qui ne doit jamais entrer dans un monastère - mais vous, n'oubliez pas que celui qui parmi vous est le plus élevé, celui-là doit être le serviteur de tous, donc aux pieds de tous.

C'est pour ça que Saint Benoît dit d'abord : humilitatem ante omnia habeat, 31,27, avant tout, qu'il ait l'humilité. Le cellérier doit être un homme humble. Il est le serviteur, il est la chose de tous. Son rôle, sa mission première, c'est de servir. Il doit se laisser manger par les autres. Il doit s'offrir en nourriture aux autres. Et pour cela, il doit être appétissant.

 

Saint Benoît, je l'ai dit hier, nous le présente comme une bonne tartine : deux tranches, et entre les deux tranches il y a toutes sortes de choses succulentes, si bien qu’on a envie de prendre cette tartine et de s'en nourrir.

Voilà, c'est cela le cellérier ! On doit éprouver un plaisir à aller chez lui pour lui demander quelque chose. Il doit faire le bonheur des autres. Et son bonheur à lui, c'est de rendre les autres heureux. Et c'est possible pour le cellérier parce qu’il est empli de la crainte de Dieu qui le rend sage.

Donc les deux tartines, l'une c'est la crainte de Dieu et l'autre c'est la sagesse. Cette crainte de Dieu le rend sage parce qu'il sait qui est Dieu, qui il est lui-même, et ce qu’il a à faire, ce qu'il lui est demandé. Il est emplit de cette crainte de Dieu. Dieu, il l'a toujours devant les yeux. C'est le premier degré d'humilité.

 

Il est un gestionnaire dans le monastère. Il devra rendre compte et il ne détourne rien à son profit. Il est donc à la fois désintéressé et il est pauvre. Ce sont des grandes qualités. Le cellérier doit être un homme sécurisé à l'intérieur de lui-même. Il n'a pas besoin d'amasser des choses pour créer une atmosphère ou une ambiance autour de lui dans laquelle il se sentirait bien. Non, il est bien dans sa peau. Et étant bien dans sa peau, il n'est pas nécessaire de monter tout un théâtre autour de lui. Il est désintéressé et il est pauvre.

 

            Voilà, mes frères, il n'a plus ainsi de volonté de puissance aussi, et il n'a pas de désir de jouissance. Voilà beaucoup de choses qui lui sont demandées, qui sont exigées de lui. C'est pourquoi il faut toujours bien prier pour le cellérier. Et pas seulement pour lui, mais aussi pour tous ceux qui partagent ses responsabilités, c'est à dire tous les chefs d'emplois.

Et si nous passons ainsi de l'un à l'autre, finalement nous sommes tous impliqués dans l'affaire, même les novices. Le novice lui-même a déjà vis à vis de ses compagnons de noviciat des responsabilités.

Mes frères, voilà, nous porterons tout cela avec nous pour la paix de la communauté et pour le bonheur de chacun de nos frères.

 

 

 

 

 

Chapitre 31,1-26 : Portrait idéal du cellérier.  08.07.85

      Etre rempli de la crainte de Dieu.

 

Mes frères,

 

Cette fois je ne parlerai pas du cellérier du monastère car il y a encore quelques petites questions à régler. Je dirais simplement ceci : il faudrait que toutes les qualités reconnues par Saint Benoît au cellérier soient présentes chez les frères sans exceptions, du moins à un certain moment de leur âge physique.

En effet, tout ce que Saint Benoît dit du cellérier peut se ramasser en une formule : il faut que le frère choisi pour cet emploi soit un timens Deus, 31,6, qu'il soit un homme rempli de la crainte de Dieu. Or cela, c'est le tout premier degré d'humilité, nous l'avons vu.

C'est la passerelle qui nous permet de nous élever jusqu'à Dieu, jusqu'au plus haut sommet, là où il n'est pas possible d'aller. Alors on décroche et on s'en va chez Dieu, et on est arrivé là où on espérait se rendre, là où on est appelé.

 

Voilà, mes frères, ne l'oublions pas ! Ne nous contentons pas d'une honnête médiocrité, mais soyons toujours tendus vers l'avant. C'est cela l'objet de notre vœu de conversion. Et en soi, ce n'est pas difficile. Il suffit d'être honnête. Rien que cela ! Etre un homme honnête, c'est à dire un homme qui sait se tenir, un homme qui est fidèle à ce qu'il a promis, un homme qui n'a qu'une parole et pas deux.

Voilà le cellérier ! Voilà ce que chacun des frères va devenir ! On n'est pas ainsi quand on arrive dans le monastère, même si on s'imagine être un brave garçon. Mais on le devient au terme parce que la personne entière est transformée par la grâce.

 

 

Chapitre 31,1-26 : Portrait idéal du cellérier.  07.11.85

      La sagesse du cellérier.

 

Mes frères,

 

Nous venons de l'entendre, la première qualité exigée du cellérier, c'est la sagesse. On choisira pour cellérier du monastère un des frères qui soit sage. Cette sagesse est un certain goût spirituel qui permet au cellérier de discerner infailliblement ce qui est bien et ce qui est mal.

L'organe de cette sagesse, c'est le palais de ce corps mystérieux qui se construit en nous et qui est destiné à la vie éternelle. Ce corps nouveau a des yeux qui voient la lumière de Dieu. Il a des oreilles qui entendent les chants divins. Il a un palais qui goûte le bien, qui le reçoit avec plaisir, qui le déguste, qui en extrait toute la saveur, qui l'assimile à la substance du corps.

Mais le même palais rejette instinctivement tout ce qui est mauvais, tout ce qui est mal, tout ce qui n'est pas en conformité avec la nature divine, avec la sagesse de Dieu. Finalement ainsi, le cellérier est pétri de sagesse. En lui il y a un élan toujours actif qui le porte à choisir et à faire ce qui est meilleur.

Il y a dans le début de ce chapitre une référence implicite mais certaine - et on peut dire que chez Saint Benoît elle est intentionnelle - au Chapitre 11° du Prophète Isaïe, là où nous est présenté le rejeton de Jessé, ce Messie sur lequel reposera l'Esprit de Sagesse et d'Intelligence. Et finalement, il sera rempli de la crainte de Dieu.

Nous avons la même chose ici. Le cellérier sera un homme sage….etc., et finalement rempli de la crainte de Dieu. C'est donc un homme possédé par l'Esprit de Dieu. Il repose sur lui un Etre qui est l'équilibreur, disons, du cosmos, ce cosmos qui est créé par le Verbe de Dieu, mais qui est maintenu dans sa cohérence et dans sa consistance par l’Esprit.

 

La Sagesse dont est animé le cellérier, sagesse qui est à l'origine disons de son agir, sagesse qui va s'épanouir en crainte de Dieu - et entre les deux, comme entre deux mains, toute sa vie est tenue - mais cette sagesse qui en réalité englobe tout, elle n'est pas naturellement la sagesse selon les valeurs mondaines.

C'est la sagesse dont nous parle l'Apôtre Paul, qui est la sagesse de Dieu. Elle peut être parfois et souvent folie au regard des hommes, au regard de la raison. Cette sagesse obéit à des critères qui ne relèvent pas de ce monde-ci. Ils sont des critères qui ont cours dans le Royaume de Dieu. Et ici, nous sommes toujours ramenés, et encore une fois, à cette réalité fondamentale : c'est que le monastère est la maison de Dieu.

Saint Benoît le dit en conclusion de ce chapitre. Nous le verrons demain. Il dit : Que personne ne soit troublé, ni contristé dans la maison de Dieu. Le premier mot du chapitre, c'est le cellérier ; le dernier mot, c'est maison de Dieu.

 

Mes frères, cela suppose que non seulement le cellérier en soit convaincu, mais tous les frères. Il faut que s'opère en chacun de nous une conversion dans la manière de voir, de sentir, de goûter, de décider, de juger, d'agir, encore une fois, non plus selon les normes de ce monde-ci, mais suivant les critères du monde à venir, donc de ce Royaume dans lequel nous devons évoluer, et qui est implanté dans la maison de Dieu enracinée en un lieu, le monastère.

Mes frères, nous devons ainsi nous ouvrir à cette sagesse qui va nous transfigurer. Il y a là une décision que nous devons prendre dans le secret de notre cœur. Et puis, nous devons monnayer cette sagesse nouvelle jour après jour, et instant par instant dans notre vie. Et voilà, celui qui nous montre la route sur cette route, c'est le cellérier.

Maintenant, voilà une pensée qui peut venir tout de suite : Celui que nous avons comme cellérier, mais c'est tout à fait ça ! Ou bien on peut dire : Il en est encore loin !

 

Alors, mes frères, soyons sages comme lui doit être sage et disons-nous que lui et chacun d'entre-nous, nous devons nous convertir à cette sagesse de Dieu. Vous verrez que dans ce chapitre, Saint Benoît reste toujours à ce niveau. Il ne dit pas que le cellérier doit être un expert en affaires, qu'il doit sortir d'une école de gestion, ni qu'il doit savoir mener une entreprise agricole ou brassicole, ou n'importe quoi, qu'il doit être un financier expert.

Non, non, non, simplement il doit être sage pour que dans la maison de Dieu personne ne soit contristé, ni troublé, mais que déjà chacun des frères puisse y goûter la paix qui ne vient pas du monde, mais qui vient de Dieu, une paix qui reste même en dessous des tentations, de toutes les épreuves, des souffrances qui nous viennent de nous-mêmes, de notre fond mauvais, qui nous viennent du démon, qui sont permises par Dieu. Pourquoi ? Mais pour nous obliger à sortir de nous et à nous convertir à cette sagesse nouvelle.

 

Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.08.11.85

      L’humilité du cellérier.

 

Mes frères,

 

Si le cellérier est empli de sagesse divine, il est tout à fait normal qu'il possède en plénitude la vertu d'humilité. L'Ecriture nous parle fréquemment de la sagesse de Dieu. Nous savons qu'elle est la personne même de Notre Seigneur Jésus-Christ. Pourquoi ? Parce que la Sagesse, c'est Dieu dans l'expression qu'il donne à l'extérieur de ce qu'il est. Elle est donc identique à la Parole de Dieu.

Et cette Parole de Dieu, elle a voulu devenir homme. C'est à dire que Dieu a laissé de côté, qu'il a abandonné, qu'il a quitté sa condition. Il a voulu prendre la forme de cette créature qui est l'homme. Il s'est vidé de lui-même. Et devenu homme, il a appris ce que c'était que l'obéissance. Il est descendu au plus bas de l'humilité en disparaissant dans la mort.

 

Voilà donc ce que nous avons aux deux extrémités : la Sagesse de Dieu dans la Personne du Verbe, et à l'autre extrémité, l'humilité de Dieu dans la Personne du Verbe incarné, le Seigneur Jésus.

Et lorsque Saint Benoît nous dit ici que le cellérier doit avoir avant tout l'humilité, il ne fait que consacrer une évidence. Les deux sont inséparables : humilité et sagesse. On peut même dire que l’humilité est le degré suprême de la Sagesse.

Remarquons ici une nuance très importante : Saint Benoît ne dit pas que le cellérier doit être humble. Il dit qu'il doit avoir de l'humilité : habeat humilitatem.

 

L'humilité est donc la seule et unique chose que le cellérier ait le droit de posséder. Mais à l'intérieur de cette possession, il ne se possède plus lui-même. Il est devenu la propriété des autres, de Dieu et de ses frères, qui vont pouvoir disposer de lui, disons, librement. Et là, il rejoint la condition du Seigneur Jésus qui a voulu devenir dulos, serviteur, esclave des hommes qui ont disposé de lui jusqu'à le faire mourir.

Voilà donc ce à quoi peut s'attendre le cellérier. Cela ne veut pas dire qu'il va mourir physiquement, mais il devra mourir à lui-même. Et ça, il ne peut pas y échapper s'il est vraiment le cellérier de Saint Benoît. Toutes choses, il les verra donc, non de son point de vue à lui, mais du point de vue de Dieu et des frères. Et ainsi, il est sage.

En d'autres termes, Saint Benoît attend du cellérier qu’il soit un saint. Et par là même, il nous donne à entendre que nous-mêmes, nous devons devenir des saints. Disons que le cellérier est le modèle. Et les frères doivent regarder le cellérier pour voir comment se comporter les uns avec les autres, à l'endroit des autres. Et ainsi, tous ensembles deviennent des saints.

A ce moment, le monastère devient, mais vraiment, la maison de Dieu. Il est le paradis. Dieu trône dans cette maison. Il a sa cour dans ces quelques saints qui représentent mystiquement l'ensemble des saints.

 

Eh bien, mes frères, nous devons tous nous soutenir dans cette marche vers la sainteté et veiller à ce que personne ne soit laissé de côté, que personne ne reste en arrière. C'est pourquoi, comme nous le dit Saint Benoît ailleurs, nous devons marcher lentement.

La caravane doit prendre le pas du plus faible. Il faut que ceux qui sont forts désirent faire davantage, et il ne faut pas que les plus faibles soient découragés. Et ainsi, encore une fois, personne ne sera troublé, ni contristé dans la maison de Dieu.

 

 

Chapitre 31,1-26 : Portrait idéal du cellérier.  08.03.86

      Le cellérier Gérard.

 

Mes frères,

 

Nous avons vu que Saint Bernard avait été l'artisan d’une importante réforme liturgique à l'intérieur de l'Ordre Cistercien naissant. C'est un travail qui a dû exiger une énorme dépense d'énergie, beaucoup de fatigues, beaucoup de soucis. N'oublions pas qu'à côté de cela, Saint Bernard était aussi sollicité pour diverses missions à l'intérieur de l'Ordre ou de l'Eglise.

Il avait surtout la charge d'une communauté comptant des centaines de moines et de convers, 800 au moins. Il était aussi le Père Immédiat d'une nombreuse filiation. Voyez le nombre des Visites Régulières.

 

Aujourd'hui, il y a une Congrégation Espagnole affiliée à l'Ordre quant au spirituel - ce sont des cisterciennes aussi - qui demande l'intégration à l'Ordre Cistercien. Cette Fédération compte 27 monastères, ce qui cause de nombreux problèmes : 27 monastères de moniales espagnoles en une fois ! Elles suivent tous les Us de Cîteaux. C'est exactement la même vie. Mais pourquoi des problèmes ? Mais il faut des Pères Immédiats, des aumôniers...

Eh bien, au temps de Saint Bernard, Saint Bernard n'hésitait pas. Toute la Congrégation de Savigny comptant 30 monastères s’affiliait d'une seule fois à la Fédération de Clairvaux. Voyez un peu l'audace de ces hommes alors, et le caractère timoré des moines d'aujourd'hui !

Ils ne disposaient guère de moyens techniques. Il n'y avait pas d'automobile ; il n'y avait pas de chemin de fer ; il n'y avait pas d'avion ; il n'y avait pas de Postes comme aujourd'hui ; il n'y avait pas de Télégraphe ; il n'y avait pas de Téléphone. Pour se déplacer, ils avaient leurs jambes ou un cheval, et par tous les temps. Il n'y avait pas d'imprimerie : ils devaient tout copier à la main. Pas de machine à écrire, pas d'électricité, vous vous rendez compte !

 

Eh bien, ces hommes entreprenaient des choses extraordinaires parce qu'ils avaient construit leur vie sur le Christ qui était capable de tout réaliser. Ils ne comptaient pas sur leurs propres forces. Et aujourd’hui, voilà, on s'appuie trop sur soi, sur les moyens techniques qui sont à notre disposition, sur la vigueur de notre intelligence.

Eh bien tel était Saint Bernard ! Et il avait encore le temps de s'occuper de liturgie. Et avec son énorme filiation, il devait faire la Visite Régulière tous les ans, à moins qu'il ne délégua quelqu'un d'autre. Mais c'étaient des monastères qui comptaient des dizaines et des dizaines de moines au moins. Cette Visite Régulière ne se faisait pas en trois jours. Enfin voilà, c'était la belle époque !

 

Mais pour mener à bien toutes ces tâches qui étaient malgré tout surhumaines, Saint Bernard avait heureusement à côté de lui un homme qui était son cellérier. Le cellérier, son Frère Gérard, que nous connaissons surtout par le sermon que Bernard a improvisé après les obsèques de Gérard, un sermon peut-être le plus beau, certainement le plus poignant de tous.

Et c'est ce Gérard qui a permis à Bernard de mener à bien toutes les tâches qui lui étaient demandées.

 

 

Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.10.03.86

      Cellérier = saint !

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Mes frères,

 

Si notre père Saint Bernard a pu s'acquitter de la tâche surhumaine que le Christ avait posé sur ses épaules, c'est parce que il avait à ses côtés pour le porter, pour le soutenir, pour compenser sa faiblesse comme il le dit lui-même, un cellérier admirable en la personne de son frère Gérard.

Saint Benoît a dû faire une expérience analogue car il a dû connaître lui aussi un cellérier modèle. Il en parle avec une admiration contenue, presque avec vénération. Il n'y a pas de doute, pour Saint Benoît, le cellérier doit être un saint. C'est lui qui, dans l'obscurité, au cœur d'une profonde humilité, permet à son Abbé d'être Abbé.

 

Et cela transparaît à travers une toute petite incise: Curam gerat de omnibus, 31,8. dit Saint Benoît, le cellérier portera le souci de toute chose. Cet omnibus englobe tout : le matériel, le moral, le spirituel. Car dans le monastère, soit directement, soit indirectement, tout, mais absolument tout a un impact spirituel.

Il est impossible d'être un véritable moine si on ne découvre pas que dans le monastère tout est rayonnant de lumière divine. Je pourrais m'attarder, par exemple ceci : Saint Benoît dira encore que tous les objets du monastère, tout ce qui constitue le capital mobilier du monastère, les meubles, comme dit Saint Benoît ici la substance, tout cela doit être regardé par le cellérier comme s'ils étaient les vases sacrés de l'autel, 31,22. Il n'y a pas de différence pour Saint Benoît.

Naturellement, ici, il ne faut pas dire maintenant : les vases sacrés de l'autel, mais c'est rien du tout ! Non, c'est pour bien indiquer que dans le monastère tout appartient à Dieu, et tout est d'ordre spirituel.

 

Si bien que le cellérier, c'est un exemple de vie monastique intégrée et réussie. Cet oiseau rare existe-t-il ? Certainement, certainement ! Il a certainement existé pour Saint Benoît. Il a existé pour Saint Bernard.

Existe-t-il à Rochefort ? C'est encore trop tôt pour le dire. Saint Bernard a dit tout cela dans un sermon après le décès de son cellérier. Attention! Je ne veux pas aller pousser les choses si loin. Mais tout de même...

 

Aujourd'hui, il faut au cellérier adjoindre ses aides, à savoir le caissier et le comptable, parce que c'est devenu tellement complexe la gestion matérielle d'un monastère que maintenant il faut des adjoints. Eh bien, je dois tout de même dire que ici, j'ai l'esprit tranquille et le cœur tranquille parce que, et le frère Marc, et le frère Ghislain, et le Père Roland s'acquittent de leur mission avec un tel cœur, avec un tel soin, un tel dévouement, un tel esprit surnaturel et une telle compétence, que je suis parfaitement tranquille et vous aussi, j'en suis certain. On est tranquille.

Alors, une telle union fait qu'il est possible d'être heureux. On n'a pas d'inquiétude au cœur. C'est pourquoi je suis bien content de les remercier tous les trois et de leur dire notre confiance à tous.

 

 

Chapitre 31,1-26 : Portrait idéal du cellérier.  08.03.88

      Le cellérier idéal !

 

Mes frères,

 

Il apparaît que notre Père Saint Benoît désire que le frère qui sera un père pour la communauté soit d'abord et surtout un saint. Il esquisse à larges traits la figure du cellérier idéal. Je me demande si on l'a jamais trouvé quelque part ? Peut-être, si nous en croyons Saint Bernard, son frère Gérard ?

Mais vous savez qu'une fois que la personne est décédée, on enjolive toujours instinctivement ses traits. Mais malgré tout, ce Gérard a été inscrit au rôle des bienheureux. Donc nous pouvons faire pour une fois toute confiance à son frère Bernard.

 

Avec le cellérier de Saint Benoît, on est en confiance. Auprès de lui on est rassuré : le présent est protégé, l'avenir est garanti. Il est possible de vivre avec Dieu et pour Dieu sans se soucier de rien. C'est le cellérier qui prend tout sur lui. Il est vraiment un père pour tous, et même pour son Abbé. Il est un artisan de paix. Et grâce à lui le monastère devient vraiment un paradisus, un jardin, un lieu où on reçoit les prémices de la béatitude éternelle.

Ce sera possible à condition, comme le dit Saint Benoît, que la vie spirituelle du cellérier soit solidement construite sur la crainte de Dieu. Cette crainte de Dieu doit imprégner les pensées, les paroles, les actes du cellérier qui sera, par la force des choses, un contemplatif possédé par Dieu, vivant uniquement pour Dieu, pour le Christ qu'il découvre dans chacun de ses frères.

Et sur ce roc inébranlable de la crainte de Dieu vont s'édifier toutes les qualités naturelles du cellérier. Il s'est opéré en lui une mise en ordre qui fait de lui un bel échantillon d'homme. Lorsqu'on regarde le cellérier, on doit pouvoir y reconnaître la personne même du Christ, cet homme nouveau qui a retrouvé sa pureté première. La grâce ne détruit pas la nature, elle la perfectionne.

 

Ecoutez ce qu'en dit Saint Benoît, mais une fois que c'est traduit en français, c'est toujours un peu édulcoré. Voilà : il est maturis moribus, 3l,3. C'est traduit par sérieux. Mais non, il est arrivé à la pleine maturité de son caractère. Ce n'est plus un gamin !

Il est sobrius, 31,3. Sobre, oui, mais pas seulement sobre question de nourriture ou de boisson, c'est la sobrietas des moines, c'est la ... ? … Il sait toujours être vigilant, attentif aux besoins des autres, aux besoins de Dieu lui-même qui est le Maître de l'endroit, de cet endroit dont le cellérier a reçu la gérance.

 

Cette sobriété, alors, va prendre un sens second qui est qu'il n'aura jamais l'estomac chargé. Parce que s'il est rempli de nourriture et de boisson, son attention va s'endormir, s'engourdir. Il ne pourra plus être ouvert aux autres. Les autres vont être une gêne pour lui. Il sera : non multum edax, 31,4. Il ne mangera pas beaucoup, frugal. Non elatus, 31,4, il ne s'élèvera pas au-dessus des autres. Il ne sera pas hautain. Il ne va pas les regarder de haut.

Non turbulentus, 31,5, Il ne sera pas un trublion, un brouillon comme il est dit ici. C'est vrai, un qui met le trouble partout où il va. Quand on voit arriver le cellérier, on se dit: 0 là, là, qu'est-ce qui va encore se passer ? Cela allait si bien, il va tout embrouiller. Il ne faut pas que ce soit un homme de ce genre.

Non iniuriosus, 31 ,5. Il ne sera pas porté à l'injure. Il ne dira pas du mal des autres. Ce n'est pas seulement l'insulte qu'on lance à la figure de l'importun, mais c'est de faire injure, c'est à dire de porter atteinte aux droits que les autres ont, à leur réputation, à leur bon renom.

Non tardus, 31,5. Il ne va pas dire : Oui, oui, oui, je m'en occupe et trois jours après on est toujours en train d'attendre. Tardus ! Non prodigus, 31,6. Il ne doit pas jeter tout par la fenêtre, l'argent

par la fenêtre. Il ne sera pas comme Saint Benoît dit plus loin, un dissipateur des biens du monastère.

 

Et alors naturellement, voici le fondement de tout : timens Deum, 31,6, voici la crainte de Dieu. Et au sommet règne la sagesse qui couronne et régit toute l'activité du cellérier au service de ses frères. C'est la toute première chose que va dire Saint Benoît : qu'il soit sapiens, 31,3, que ce soit un homme sage.

La sagesse, comme l'a bien découvert Saint Bernard, c'est le sapor boni, c'est le goût, la saveur de ce qui est bon. Le palais du cellérier est tellement pur, est tellement propre qu'il sait immédiatement distinguer ce qui est bon et ce qui est mauvais. Il a un sens infaillible de la vérité, de la justesse et de l'équilibre. C'est cela la sagesse, le palais du cœur qui sait de suite voir ce qui doit être écarté et ce qui doit être accepté.

Donc, le cellérier sera, en vertu de la crainte de Dieu, comme le dit Saint Benoît encore, ce sera un homme de jugement, de discernement et d'intelligence. Tout cela est inclus dans le concept de sagesse. Si bien que nous voyons dans le cellérier un moine accompli qui est un modèle et un encouragement pour tous.

 

Maintenant, nous allons nous demander : Et le nôtre ? Eh bien, il vaut mieux se taire que d'en parler. Car si on en parle, on risque de le faire trébucher dans l'orgueil et alors il risque de devenir hautain, brouillon, etc. Si on n'en parle pas, il va dire : Mais dans le fond, qu'est-ce qu'on pense de moi ? Eh bien, il n'est pas encore arrivé à l'idéal de Saint Benoît.

Encore une fois, cet idéal est tellement élevé qu'on n'y accède qu’avec la sainteté. Cela peut toujours venir, cela doit venir ! On peut presque dire que si on est fidèle à Dieu, cela viendra certainement. Mais ce que nous pouvons faire déjà, c'est remercier notre frère Marc qui fait tout de même bien les choses avec son tempérament qui est le sien.

Remarquons que Saint Benoît quand il parle du cellérier ne parle pas de compétences d'ordre technique, c'est uniquement des qualités d'ordre spirituel et des qualités humaines qui sont transfigurées par l'Esprit- Saint. Voilà donc ce vers quoi le cellérier doit tendre. Mais pas seulement le cellérier, aussi chacun des frères.

 

Maintenant nous irons ensemble à l'église et nous remercierons Dieu de nous avoir donné un cellérier bien dévoué qui est malgré tout un père, je m'en aperçois moi-même, et je pense qu'il en est ainsi de chacun d’entre-nous.

Et nous demanderons à Dieu de nous le garder encore bien longtemps. Et nous lui demanderons aussi de nous aider chacun et tous à devenir des moines parfaits dans lesquels le Christ puisse reconnaître son visage.

 


Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.09.03.88

      L’humilité du cellérier.

 

Mes frères,

 

Nous remarquons que Saint Benoît maintient l'estime excellente qu'il nourrit pour son cellérier. Sans doute avait-il dans sa communauté un frère qu'il lui a suffis de regarder vivre pour être inspiré dans la rédaction de ce chapitre.

Le cellérier est l'ombre de l'Abbé projetée sur le matériel. Le cellérier agit en tout comme le ferait l'Abbé lui-même et il n'outrepasse pas ses pouvoirs. Il aura soin de tout ce que l'Abbé lui aura  prescrit et ne s'ingérera pas dans ce qu'il lui a défendu, 31,33. Il reste donc à sa place.

 

C'est pourquoi sa grande qualité sera l'humilité. Avant tout, qu’il ait l'humilité, 31,27. Et cette humilité va resplendir comme un rayon sur l'Abbé et sur les frères, un rayon qui sécurise, qui montre la route, qui réchauffe le cœur, qui encourage.

Le cellérier ne vit pas pour lui, il vit pour les autres. C'est cela le secret et la beauté de l'humilité. Il s'oublie pour soulager l'Abbé dans ses soucis d'ordre temporel et pour faciliter la vie aux frères, pour que les frères soient heureux. Voilà donc le cellérier !

 

Il y a cependant un danger qui le guette. Et Saint Benoît est lucide. Il y fait discrètement allusion ce soir : c'est de profiter de la situation pour faire sentir son pouvoir. Pratiquement cela consisterait à faire découvrir aux autres qu'on dépend de lui, ou bien qu'on le dérange. Comment peut-il faire sentir qu'on dépend de lui ?

Eh bien, en tardant à servir les frères. Saint Benoît lui dit que la portion qui revient aux frères, il faut la leur donner, sine mora, 3l, 34, sans retard. Eh bien, je me fais quémander. On doit venir plusieurs fois chez moi pour obtenir ce dont on a besoin. Le frère doit sentir qu'il dépend de moi. Cela, c'est un danger pour le cellérier !

 

Il peut aussi faire sentir qu'on le dérange! Saint Benoît utilise pour cela le mot typhus. Il dit : sine aliquo typho, 31,34. Ne pensons pas à la maladie qu'est le typhus. Le typhus, c'est une fièvre et le typho est un mot grec que nous retrouvons dans le français typhon, un typhon.

Donc, c'est traduit ici par : la fièvre. C'est un peu ça, mais ce serait plutôt une fumée qui monte à l'esprit, qui fausse les choses, qui fait en même temps monter la passion, qui crée l'énervement, qui enclenche la colère, alors les paroles méchantes, les regards mauvais.

C'est cela le typhus latin. C'est vrai, c'est une certaine fièvre qui s'empare du cellérier et qui lui fait perdre contenance. Cela ne doit pas arriver. Pourquoi ? Parce que ça mettrait en fuite les frères qui préfèreront alors se passer, se priver du nécessaire et de l'indispensable plutôt que d'affronter un monstre pareil.

 

Donc là, voyez, il y a un risque malgré tout. C'est toujours la maladie de ceux qui détiennent l'autorité : s'en servir comme d'un hochet. Je connais une situation comme ça, où un frère qui était très bien dans sa communauté, mais vraiment bien, a été élu Abbé. Mais du coup qu'il est devenu Abbé, c'est un autre homme. Il perd la tête. Tout le monde doit savoir qu'il est l'Abbé. Il utilise son pouvoir. Il le gonfle. Il se gonfle lui-même en même temps. Et naturellement il commet une foule de bêtises. Et en plus de cela les autres Abbés s'écartent de lui, si bien qu'il se trouve seul.

C'est une histoire vécue, alors attention, mes frères ! Cela pourrait arriver pour nous quelque soit le petit degré d'autorité que nous détenons. Ce qui est dit du cellérier ici vaut pour tout le monde. Et alors ça, naturellement, c'est le contraire de l'humilité. Et un cellérier qui serait comme ça ne serait pas un vrai cellérier ; et un Abbé qui serait comme ça ne serait pas un véritable Abbé. Un frère dans une charge qui devient ainsi a cessé d'être un frère.

 

Et, comme je le disais hier, remarquons que Saint Benoît ne parle pas de la compétence qu'il faut avoir pour être cellérier, mais uniquement de ce qui est le plus important, c'est à dire la charité. On pourrait prendre comme exemple, on doit prendre comme exemple le Bienheureux Gérard qui  était le cellérier de Saint Bernard. Ce serait utile de relire le panégyrique que Saint Bernard en a fait au Chapitre en interrompant brusquement le commentaire du Cantique des cantiques.

Et on voit que si Bernard a pu être Bernard, c'est grâce à son frère Gérard qui permettait à Bernard de jouir de la plus grande liberté parce que Gérard avait pris sur lui tout ce qui regarde la direction du temporel. Son frère n'avait aucun souci à se faire, il ne devait même plus y penser. Gérard était l'Abbé pour tout ce qui regarde l'organisation du monastère. Ils ne faisaient qu'un, ces deux-là. C'est pourquoi la place de cellérier est tellement importante dans un monastère, c'est la plus importante, je pense.

 

Je ne dis pas cela maintenant pour faire perdre la tête à notre frère Marc. C'est une chose qui vaut en soi. Si c'était un autre, je dirais la même chose, mais en rappelant qu'il importe d'être à la hauteur d'une telle confiance. Et que pour nourrir en soi cette humilité qui est fondamentale, cette crainte de Dieu dont Saint Benoît parlait hier, et pour entretenir cette sagesse de vie, il faut beaucoup, beaucoup prier. Le cellérier doit être un contemplatif, un homme qui vit habituellement dans la présence de Dieu, qui permet à l'Esprit Saint de prendre possession de son cœur et de le conduire comme il l'entend.

 

L'idéal, mes frères, serait que chacun dans la communauté puisse devenir Abbé ou cellérier, ou enfin n'importe quel emploi, je laisse de côté les questions de compétences. Le choix ne se ferait qu'à partir de la compétence car alors on serait une communauté de saints.

On dira: Mais on s'ennuierait parce qu'il ne, se passerait rien ! Je ne sais pas si on s'ennuierait. Je pense qu'il se passerait beaucoup de choses, des choses très belles. Et ce sera notre bonheur dans le ciel, dans la lumière de Dieu, où il ne se passe rien, rien que des merveilles et des miracles. Espérons que nous y serons tous bien vite ! Qu'est-ce que c'est que quelques années ? Nous y serons demain !

 

 

Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.09.07.88

      Ce chapitre est pour tous !

 

Mes frères,

 

A partir de ce que Saint Benoît nous dit du cellérier, nous comprenons qu'il entend faire du monastère une réplique du Jardin d'Eden. L'air qu'on doit y respirer, c'est l'humilité : Avant tout, qu'on ait l'humilité, 31,27. Personne ne se prend au sérieux, personne ne regarde les autres de haut, chacun reste à sa place. Chacun est au service de tous, chacun se juge inférieur à tous.

La règle, c'est le silence. Ce n'est pas le mutisme, un mutisme morbide, un mutisme rageur. Non, c'est le silence qui permet de converser avec Dieu, un silence qui est admiration éperdue en présence de l'indicible.

Le silencieux, c'est un contemplatif. Le bavard, c'est exactement le contraire. Il ne sait pas ce qu'il fait, il ne sait pas ce qu'il dit. Il ne sait pas ce qu'il fait dans un monastère. Il n'y est pas à sa place.

Il faut oser le dire, et à bon entendeur, salut !

 

Mais s'il faut parler ? S'il faut parler, on dit de bonnes paroles. Une bonne parole est plus précieuse que le plus beau des cadeaux, dit l’Ecriture, Si 18,17. Les bonnes paroles réjouissent le cœur, elles le nourrissent, elles rendent l'homme meilleur.

Et ce sont des paroles qui ne viennent pas de la passion, qui ne viennent pas de l'égoïsme, du désir de possession, de domination ou de perversion de l'autre. Non, elles viennent des profondeurs de Dieu. Ce sont des paroles qui sont créées par l'Esprit qui habite le cœur du frère, de bonnes paroles.

 

Et dans le monastère, comme dit Saint Benoît ici : chacun fait son travail dans l'ordre et la paix. On ne se mêle pas des affaires des autres. On ne s'ingère pas dans ce qui est défendu. Non, chacun est à sa place. Si bien que tout est accordé à la volonté de Dieu. On n'en dévie ni à droite ni à gauche comme les enfants d'Israël quand ils traversaient les terres de Moab ou d'Edom. Ils avaient promis : nous n'irons ni à droite, ni à gauche. Nous suivrons la grande route et nous ne nous en détournerons pas. Nous n'irons pas marauder !

Si bien que tout se passe dans la plus grande charité. On remplit son office l'âme en paix. Aequo animo, dit Saint Benoît, 31,37. C'est plus que l'âme en paix, c'est une image. C'est l'image d'un lac tranquille. 

Le cœur est semblable à un étang tranquille. Il y a bien de toutes petites vagues qui montrent que l'Esprit de Dieu souffle à la surface de ce cœur, l'Esprit de Dieu qui habite aussi le cœur. Mais il n'y a pas de tempête. Aequo animo, l'âme tranquille.

 

Si bien qu'on peut vaquer tous ensembles au service des frères et à la contemplation des merveilles de Dieu. Les deux vont ensemble. En par- faite harmonie on regarde Dieu et on est au service des frères dans les- quels on rencontre aussi le Christ.

Si bien que les journées s'écoulent dans le calme, dans la sérénité, dans la joie, et elles ont une saveur d'éternité. Quand on est novice ou jeune profès, on peut se dire, 0 là, là ! Vivre 50 ans, 60 ans comme ça, ici, tous les jours ! Est-ce que c'est possible? Qu'est-ce que je vais devenir ?

 

            Non, lorsqu'on vit avec Dieu, dans la présence de Dieu, les journées ont une saveur d'éternité. Le temps est assumé et il n'y a pas de projections inquiètes dans un avenir que l'on sait caché dans le cœur de notre Dieu qui est amour. On reçoit la durée jour par jour comme un don dans lequel est cachée la vie, la vie éternelle. Il y a dans les journées une saveur d'éternité. C'est à cela qu'on voit que le monastère peut être un paradisus claustralis. Et personne - comme le dit Saint Benoît, et c'est si beau ! - personne n'est troublé, ni contristé. 31,42. On est chez Dieu, dans sa maison. On est dans son ciel.

 

Mais la maison de Dieu, nous le savons, c'est Dieu lui-même. Dieu est en lui-même sa propre maison, lui qui est amour, lui qui est lumière, lui qui est paix. Et vivre dans la maison de Dieu, c'est vivre en Dieu. Et c'est pour cela que la maison de Dieu est un ciel, sinon elle deviendrait une prison.

 

Il appartient à chacun, mes frères, et pas seulement au cellérier qu’il en soit ainsi. Ce serait trop beau et trop facile si le cellérier uniquement devait être un homme de cette qualité, s'il appartenait seul au cellérier de s'arranger pour que le monastère soit vraiment une maison de Dieu, un ciel, un paradis, un eden. Non, non, c'est le devoir de chacun d'y veiller. Et alors, nous allons demander au Seigneur de nous aider à réaliser cet idéal. La prière confiante obtient tout.

Je suis passé tantôt à l'église avant les Vêpres, longtemps avant les Vêpres, et il y avait déjà un autre qui était là dans le fond, assis dans le fond. Eh bien, ça fait plaisir quand on voit un ancien qui est assis à l'église. Il est là. Que fait-il ? Que dit-il ? Que pense-t-il ? Cela n'a pas d'importance, il est chez Dieu. Il se laisse réchauffer, illuminer par Dieu. Il prie. C'est cela la vraie prière.

Et lorsqu'il sort de l'église, il n'est plus le même que quand il est entré. La vie de Dieu a grandi en lui. Son cœur est plus pur et, voilà, ce frère va après être davantage au service de la communauté et il sera un créateur de ciel pour les autres.

 

C'est pourquoi, mes frères, n'ayons pas peur de perdre du temps à l'église, d'aller là. Je sais bien, on est parfois très occupé, mais quelques minutes, deux minutes, cinq minutes, une minute, un quart d'heure, enfin le temps dont on dispose, passer à l'église, dire bonjour au Christ qui est là, reprendre conscience de ce qu'on est, de ce qu'on fait, reprendre conscience de l'endroit où on vit, du mystère dans lequel on est plongé. Et puis alors repartir pour être de nouveau au service des autres c'est à dire au service du Christ dans les frères.

 

Oui, la prière, la prière dans notre vie, ne l'oublions jamais, non seulement elle est essentielle, mais elle est le but final, cette fameuse prière continuelle qui était l'idéal des tous premiers moines, et qui est atteint lorsque ce n'est plus nous qui vivons en nous mais que c'est le Christ qui vit en nous. Nous sommes vides de toutes formes d'égoïsme, nous sommes devenus temple de l'Esprit Saint. C'est le Christ qui vit en nous. Alors nous sommes devenus prière continuelle, nous sommes maintenant ce que lui était alors.

 

 

Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.08.11.88

      Ni troublé, ni contristé !

 

Mes frères.

 

Saint Benoît nous dit quelque chose de magnifique : que personne ne soit troublé ni contristé dans la maison de Dieu, 31,42. Or, nous entrons dans le monastère avec nos problèmes psychologiques et même spirituels. Ce sont des infirmités, des handicaps que nous traînons toute notre vie, aussi contraignant que si nous n'avions qu'une jambe ou qu'un bras, ou que si nous étions aveugles ou sourds.

Cela peut être pour nous une source de tristesse. Pourquoi ? Mais parce que nous ne faisons pas confiance en Dieu. Il a permis que les accidents se produisent - encore une fois ils sont absolument inévitables - Nous devons donc nous accepter tels que nous sommes. C'est, à mon avis, le premier degré d'humilité.

 

En effet, c'est le résultat du respect que nous manifestons à Dieu. lui nous a aimés tels que nous sommes. Nos défauts, nos complexes, nos traumatismes font notre charme aux yeux de Dieu. Eh bien, ils doivent faire aussi notre charme à nos propres yeux à nous. Mais portons sur nos frères le regard que Dieu porte sur eux, et acceptons tout bonnement leurs défauts et leurs failles.

Et même à la limite, acceptons leurs vices. Ils ne sont jamais bien graves naturellement. Il faut les extirper, ces vices, mais c'est souvent une opération chirurgicale très délicate. Eh bien, en attendant, acceptons-les, même s'ils nous énervent. Il ne faut pas qu'il y ait dans la Maison de Dieu quelqu'un qui soit contristé.

 

Mes frères, nous pourrions inscrire cela à l'intérieur de notre cœur de manière à ce que vraiment, lorsqu'un frère nous croise dans le cloître où n' importe où, qu'il se sente réchauffé, qu'il puisse se dire : Au moins en voici un qui m'estime. Et alors, si on peut dire cela de tous ceux qu'on rencontre, le monastère devient un petit paradis.

Non, il ne faut pas qu'on soit contristé chez Dieu. Qu'on soit contristé chez les hommes, d'accord, les hommes sont cruels entre eux. Ce sont des hommes. A l'extérieur du monastère, c'est le domaine du prince de ce monde qui est menteur et assassin depuis les origines. Mais chez Dieu ?

Eh bien, chez Dieu, il faut que tout le monde se sente bien. il faut que tout le monde soit heureux d'être comme il est, avec une grande espérance, en se disant que lorsque nous serons alors dans la lumière de Dieu, dans son Royaume, ce sera encore infiniment mieux.

 

Et ainsi, mes frères, nous devons croire cela. Si nous ne le croyons pas, eh bien cela fait partie aussi de notre maladie spirituelle. Mais ne soyons pas contristés. il peut arriver une heure avant notre mort que nous nous en rendions compte. Eh bien, ce sera encore une réussite !

 

 

Chapitre 31,1-26 : Portrait idéal du cellérier.  08.07.89

      Le dernier recours !

 

Mes frères,

 

Nous avons entendu la lecture de ce chapitre par le titulaire de l'emploi. Il exécute sa fonction de lecteur avec une telle aisance que je viens à me demander s'il ne médite pas ce chapitre tous les jours. On a l'impression qu'il le connaît par cœur !

Il est un détail qui vient de me frapper et qui montre l'importance de la charge du cellérier, mais aussi le poids que cette charge peut exercer sur les épaules de quelqu'un. C'est ceci curam gerat de omnibus 31,8.

Qu'il ait soin de tout, est-il traduit. Cela signifie bien davantage. Omnibus d'abord, c'est un pluriel : de toutes les choses. Et puis, c'est la fameuse cura. Il doit en avoir soin, mais ce doit être son souci. C'est cela la cura.

Le cellérier est dans le monastère l'homme sur lequel tous - depuis l'Abbé jusqu'au dernier des frères - peuvent se reposer. Quelque chose ne va pas, le cellérier l'arrangera. On a besoin de quelque chose, le cellérier se le procurera. On n'est jamais ennuyé quand on a à sa disposition un bon cellérier. On peut dormir sur ses deux oreilles, il a toujours cela même dont on a besoin.

Il est donc un homme à tout faire. Il est aussi un homme qui sait tout. Il est vrai qu'aujourd'hui cela devient tellement difficile que le cellérier ne peut pas être initié à tout en même temps. Il a besoin d'aide. Mais cela ne fait rien, il est tout de même le dernier recours. Lorsqu'on n'en sort plus au plan matériel, le cellérier est toujours là de réserve. C'est la curam gerat de omnibus.

 

 

Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.09.07.90

      Troublé, contristé ?

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Mes frères,

 

Voici déjà quelques mois, l'un d'entre vous m'avait demandé ce que signifiait le nemo perturbetur neque contristetur in domo Dei, 31,41. Que personne ne soit troublé, ni contristé, dans la maison de Dieu ? Voici l'occasion de répondre à cette question.

 

Nous devons d'abord situer l'endroit qui est toujours le même. La maison de Dieu, c'est l'endroit où Dieu habite. Il y est chez lui de plein droit. C'est la maison où nous habitons au titre d'invités, d'hôtes, au titre d'enfants aussi. Car notre vocation est de vivre en plénitude notre qualité d'enfant de Dieu, c'est à dire de laisser s'épanouir en nous la vie divine qui est purement et simplement, et uniquement amour.

Dans la maison de Dieu ne doit régner que l'amour, la charité, le service mutuel, la paix. Il suffit de museler son égoïsme et ses passions de manière à laisser toute liberté aux énergies divines. Et ainsi, la maison de Dieu devient vraiment le paradis claustral où nous trouvons tout le nécessaire.

 

Personne, dans la maison de Dieu, - comme le dit Saint Benoît - ne peut être rongé de tristesse, ni troublé dans son cœur. Perturbetur, dit-il, nemo perturbetur, 31,34. Le terme latin est extrêmement fort. C'est une image, c'est un tableau vivant : une tempête s'élève et agite l'âme et le cœur. Les flots des pensées se jettent sur le moine et le projettent en tous sens. Il ne voit plus clair. Il se pose mille questions. Il commence à chavirer, il commence à se noyer. Voilà la perturbatio !

C'est autre chose que la conturbatio. Ce sont toutes nuances sémantiques. Dans la perturbatio, on est - comme je l'ai dit il y a un instant - projeté en tous sens sur une mer déchaînée.  La conturbatio, c'est plutôt un resserrement sur soi de plus en plus fort. Elle dégénèrera en angoisse, tandis que la perturbatio fait éclater la personne.

 

Maintenant nemo contristetur ? On est plongé par la tristesse dans l'obscurité. On est vidé de son enthousiasme. La vie n'a plus de sens. On se ronge, on se replie sur soi. Et à la limite, on glisserait dans la dépression. Voilà la contristatio !

C'est plus que la tristesse, que la tristitia. Il y a une tristesse selon Dieu qui est saine. On prend conscience de son être de pécheur, des péchés qu'on commet. C'est la sainte tristesse qui nous fait entrer dans l'humilité et qui nous pousse dans la conversion.

 

Tandis que la contristatio, c'est tout autre chose. Comme je viens de le dire, c'est un abattement qui est facilement l'origine d'une dépression nerveuse et aussi, et surtout, une dépression d'ordre spirituel. On n'a plus foi en la vie, on n'a plus foi en personne. On perd son allant comme si l'Esprit de Dieu s'était envolé, comme si on avait expiré la vie divine, qu'il ne reste plus à l'intérieur qu'un amoncellement de soucis qui rongent l'homme et qui le conduisent à sa perte. C'est la tristesse selon le monde qui est mortifère. Eh bien, et la perturbatio, et la contristatio, c'est exactement le contraire de ce que on est en droit de trouver dans la maison de Dieu.

 

Et maintenant, comment les contrer ? Eh bien, Saint Benoît donne une indication qui est en soi extrêmement simple. Il suffit qu'il y ait à l'intérieur du monastère une saine organisation. Il faut que les choses soient bien organisées et bien gérées. Comme il le dit : on donnera et on demandera aux heures convenables ce qui doit être donné et demandé. 31,40.

Il faut donc se discipliner au niveau communautaire et au niveau personnel. Il ne faut pas permettre à l'anarchie de prendre place en notre cœur et de devenir le moteur de notre vie et puis, à partir de là, le moteur de la vie communautaire.

Non, il faut un ordre, une organisation. Saint Benoît a très fort appuyé sur l'organisation de la vie commune, sur son ordonnance, sur le rang à garder. Tout cela, afin d'y maintenir la paix et de veiller à ce que les occasions de trouble et de tristesse soient écartées dans toute la mesure du possible.

 

Cette discipline, personnelle et collective, c'est une forme très belle de respect, d'une charité. Car dans la communauté, il y a des droits et des devoirs de tous les côtés. Il s'agit ici du cellérier. Le cellérier doit être à la disposition de la communauté, de chacun des frères. Il doit fournir tout ce dont on a besoin pour mener une vie équilibrée, saine.

Mais attention ! Il a aussi des droits. Il a droit à son repos. Il a droit à sa Lectio Divina. Il a droit à son travail personnel. On ne doit pas venir lui demander n'importe quoi, n'importe quand, sauf cas d'extrême urgence. Mais alors, ce doit être très rare. Non, chacun des frères doit respecter les droits du cellérier. Et le cellérier de son côté doit respecter les droits et les besoins de chacun des frères.

Et c'est à l'intérieur de cet équilibre, qui exige de la part de chacun une grande charité, un grand respect, une estime mutuelle et même la chasteté et la pudeur, c'est donc à l'intérieur de cet équilibre que va être, que va fleurir la vie divine et que sera écarté et la tristesse, et le trouble.

 

Alors voilà, mes frères, Saint Benoît, et puis aussi la sagesse humaine, et la sagesse divine demandent que chacun s'oublie, que chacun soit maître de soi, que chacun se discipline et se maîtrise. Et alors, le cellérier, pour sa part, remplira son office aequo animo, comme dit Saint Benoît 31,38, l'âme en paix. Donc son âme qui reste égale à elle-même. La tempête de tout à l’heure ne s'y soulève jamais. Et d'un autre côté, les frères, eux, ne seront pas scandalisés. Comme dit Saint Benoît, 31,34, non scandalizentur.

 

Voilà, je pense que maintenant celui qui m'a posé la question, et qui est ici, est satisfait de l'explication que j'ai donnée. Demandons au Seigneur de nous aider à être vraiment des hommes possédés par l'Esprit de Dieu et par la charité de manière à ce que personne parmi nous ne connaisse ni le trouble, ni la tristesse et que nous puissions, en paix et dans le respect mutuel, grandir jusqu'à la pleine stature de notre taille adulte dans le Christ.

 

 

 

 

Chapitre 31,1-26 : Portrait idéal du cellérier.  08.03.92

      La grâce de l’obédience.

 

Mes frères,

 

            La charge de cellérier est vraiment redoutable. Quel est le moine qui peut réunir toutes les qualités que Saint Benoît attend d’un homme fragile, vulnérable, soumis aux passions, aux humeurs comme chacun d’entre nous ?

 

            Et pourtant, la grâce de Dieu peut opérer un tel prodige. Il suffit, comme je le rappelais hier, de recevoir l’obédience en toute confiance, tel qu’on est, sachant que lorsque Dieu confie une mission, il donne toujours en surabondance la grâce pour pouvoir l’accomplir.

            Il y aura toujours des failles, il y aura toujours des faiblesses, mais c’est uniquement pour nous rappeler et pour rappeler au cellérier en premier lieu qu’il est un homme et que connaissant sa propre fragilité, il comprendra celle des frères.

            Et la comprenant, il compatira à leur demande qui tombe parfois mal à propos et, il trouvera dans son cœur et dans son humilité la parole de réconfort, la bonne parole, la parole de vie qui dépasse les dons les meilleurs.

 

 

Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.09.07.97      

      Un bonheur qui se paye !

 

 

Mes frères,

 

            Nous venons d’entendre une phrase de notre Père Saint Benoît qui me semble la plus belle de toute sa Règle : Que personne ne soit troublé ni contristé dans la maison de Dieu, 31,41.

            Une telle sentence lui a certainement été inspirée par son expérience et surtout par la communion qu’il entretient avec son Créateur, et avec son Rédempteur. Car Dieu ne nous a pas créés pour faire de nous des êtres frustrés. Il veut nous combler, nous rassasier au-delà de tout l’imaginable.

 

            Lorsque dans un monastère quelqu’un est troublé, quelqu’un est contristé, il y a là une sorte de contradiction dans les termes. C’est une chose qui ne doit pas, qui ne peut pas arriver. C’est un paradoxe insoutenable : chez Dieu, dans la maison de Dieu, on ne peut pas être triste !

            Notons que Saint Benoît insiste bien sur le caractère, j’ose dire, divin du monastère. C’est une maison de Dieu. Ce n’est pas un lieu quelconque où sont réunis des hommes qui ont le même projet qui est de chercher Dieu. Non, c’est un endroit absolument sacré.

 

            Rappelons nous que cette expression maison de Dieu se trouve pour la première fois dans les Ecritures sur les lèvres de Jacob qui a passé la nuit à Béthel, qui signifie maison de Dieu et qui au cours d’un songe a vu une échelle dressée jusqu’au ciel avec des anges qui montaient et qui descendaient.

            A son réveil, surpris, étonné, rempli d’admiration et de crainte, il se dit : Mais je suis ici dans une maison de Dieu, l’endroit est sacré. Et il élève la pierre qui lui a servi d’oreiller, il en fait une stèle et la consacre en versant de l’huile sur son sommet. Et il dit : Voilà, ce lieu est une maison de Dieu.

 

            Eh bien, mes frères, le monastère est une maison de Dieu et, dans la maison de Dieu, on doit être heureux. Attention ! Il ne s’agit pas ici d’un bonheur facile ; c’est un bonheur qui doit se payer. C’est un bonheur, je ne dit pas que c’est un bonheur qu’on doit mériter car il n’est pas possible de le mériter, c’est un cadeau qu’on reçoit de Dieu. Mais notre nature pécheresse, notre nature blessée, notre nature malade doit le payer.

            Il se cache derrière des renoncements, il se cache derrière un dépouillement. Et ce bonheur est atteint de manière inébranlable, imperturbable lorsque le dépouillement est achevé, lorsque on s’est tellement vidé de soi que c’est le Christ lui-même avec tout son mystère qui a pris possession de la personne et qui vit à l’intérieur du moine.

 

            Tout peut arriver alors, tout, absolument tout, cela ne change rien à la paix profonde, au bonheur immense qui est là parce que c’est le propre bonheur de Dieu qui se déverse sans fin et sans limite à l’intérieur du cœur. Même si on doit rencontrer la croix, des souffrances très dures, ça ne change rien à cet état de bonheur et de paix parce que c’est le Christ qui souffre tout cela dans le moine qui va dire comme l’Apôtre Paul : C’est vrai, mais j’achève en ma chair ce qui manque à la passion du Christ. Ce n’est pas du masochisme, non c’est du mystère.

 

            Eh bien pour Saint Benoît, le moine ne peut être troublé ni contristé par les circonstances du lieu, c’est à dire par des négligences, par une organisation qui ne serait pas bonne, par un défaut d’amour de la part  …… 

            Et ici, remarquons que Saint Benoît ne met pas en cause le cellérier. Au contraire, c’est le cellérier qui ne doit pas être troublé ni contristé. Et pour cela, il faut que les frères lui demandent ce dont ils ont besoin aux heures convenables, pas n’importe quand, pas à n’importe quel moment. Ils ne doivent pas le déranger à tout propos.

            Et c’est réciproque ! Il faut à ce moment-là que le cellérier donne de bon cœur ce qui est demandé. Et si le frère demande une chose hors de portée, à ce moment-là, il faut lui donner une bonne parole plutôt que de lui dire un peu brutalement qu’il ferait mieux de s’adresser ailleurs.

 

            Mes frères, je pense que nous devrions toujours avoir présent à notre conscience cette parole de Saint Benoît. La charité qui règne entre nous et qui est bien réelle s’épanouirait davantage encore et on goûterait mieux encore le bonheur de vivre chez Dieu, de vivre dans sa maison. Mais tout cela ne peut se réaliser que si nous sommes de plus en plus enracinés dans la foi. Il faut oser croire, il faut prendre le risque de la foi.

            La raison, le cerveau, tout ce qui se passe dans la tête peut être vrai à un certain niveau. Dans la maison de Dieu, tout n’est pas parfait ; à l’intérieur de notre vie, tout n’est pas parfait. Si on se laisse entraîner par des raisonnements purement humains, on peut très bien petit à petit sombrer dans un désarroi qui rend la vie insipide, qui peut la rendre odieuse. Car il n’est pas possible de vivre correctement dans la maison de Dieu si on se laisse conduire par des rêves et des jugements humains.

 

            Mes frères, nous allons fêter Saint Benoît après demain. Ici, il nous permet de toucher la beauté et la tendresse de son cœur. Saint Benoît n’est pas mort, il est entré dans la plénitude de la vie. Il veille sur chacun de nous. Il est notre guide, il est un ange gardien pour chacun.

            Donc, n’ayons pas peur de le remercier, n’ayons pas peur de lui demander ce dont nous avons besoin. Et surtout, qu’il nous donne à chacun un cœur semblable au sien, un cœur de tendresse, un cœur de tendreté comme on disait en vieux français, un cœur sensible, un cœur qui sait aimer, un cœur qui sait aider.

 

            Voilà, aussi je pense que lui-même sera heureux de pouvoir nous accorder ce que nous espérons de sa bonté. N’oublions pas qu’il est le Père de notre vocation.

 

Table des matières

Chapitre 31.1-26 : Portrait idéal du cellérier.  08.03.84. 1

Voilà le cellérier ! 1

Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.09.03.84. 2

La maison de Dieu. 2

Chapitre 31,1-26 : Portrait idéal du cellérier.  08.03.85. 3

Un signe de ralliement ! 3

Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.09.03.85. 4

Faire le bonheur des autres. 4

Chapitre 31,1-26 : Portrait idéal du cellérier.  08.07.85. 6

Etre rempli de la crainte de Dieu. 6

Chapitre 31,1-26 : Portrait idéal du cellérier.  07.11.85. 6

La sagesse du cellérier. 6

Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.08.11.85. 8

L’humilité du cellérier. 8

Chapitre 31,1-26 : Portrait idéal du cellérier.  08.03.86. 9

Le cellérier Gérard. 9

Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.10.03.86. 10

Cellérier = saint ! 10

Chapitre 31,1-26 : Portrait idéal du cellérier.  08.03.88. 11

Le cellérier idéal ! 11

Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.09.03.88. 13

L’humilité du cellérier. 13

Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.09.07.88. 14

Ce chapitre est pour tous ! 14

Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.08.11.88. 16

Ni troublé, ni contristé ! 16

Chapitre 31,1-26 : Portrait idéal du cellérier.  08.07.89. 17

Le dernier recours ! 17

Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.09.07.90. 18

Troublé, contristé ?. 18

Chapitre 31,1-26 : Portrait idéal du cellérier.  08.03.92. 20

La grâce de l’obédience. 20

Chapitre 31,27-42 : Portrait idéal du cellérier.09.07.97. 20

Un bonheur qui se paye ! 20