Mes frères,
Les deux chapitres précédents ont ménagé une discrète transition vers une section de la Règle qui va plus spécialement traiter de l'organisation de la communauté. Les doyens veillent sur les frères réunis en groupes de dix. Et en même temps, ils partagent le fardeau de l’Abbe. Il y a ainsi un passage de l'Abbé aux frères, de l'Abbé à la communauté.
Le sommeil permet au moine de se replonger chaque jour dans le mystère de la Vigile Pascale. Et en même temps, il favorise une croissance en Dieu. Il y a ainsi un passage de l'Opus Dei à la communauté.
Maintenant, nous trouvons une suite de huit chapitres qui concernent les frères malades spirituellement. Avouons que c'est une drôle d'entrée en matière pour parler d'une communauté. Je subodore là-dessous un nouveau mystère qui est à la fois inquiétant et rassurant.
Inquiétant, parce que on se demande comment il est possible de rencontrer des situations pareilles ? Des frères récalcitrants, désobéissants, orgueilleux, murmurateurs ! Comment est-il possible de rencontrer cela chez des hommes qui sont appelés par Dieu, qui ont renoncé à tout et à eux-mêmes et qui ont solennellement promis de travailler à la conversion de leur conduite ?
Un monastère n'est-il pas un haut lieu de sainteté et de vertu si il est la maison de Dieu ? Est-il possible, est-il concevable de rencontrer des individus pareils dans une communauté ? Et Saint Benoît commence par parler de cela ! C'est assez inquiétant et réfrigérant !
Mais d'un autre côté, c'est rassurant. Cela nous montre que Dieu sait travailler avec toutes sortes de matériau et qu'il n'est jamais à court d’imagination et de moyens. Avec des pierres, avec des cœurs aussi durs que des pierres, il est capable de fabriquer des fils d'Abraham, c'est à dire des hommes qui sont possédés et mus par une foi comparable à celle d'Abraham, c'est à dire capable de transporter les montagnes.
Dieu seul peut opérer de tels prodiges. Lui seul peut faire passer un riche à travers le trou d'une aiguille. Donc, voilà qui est notre Dieu, Il n'a pas besoin d'un matériau bien préparé. Non, pour Lui, il prend le tout venant. Ensuite, ça nous apprend aussi qu'il. n'est pas requis d'être un saint pour entrer dans le monastère.
Attention ! Il se trouve dans des communautés, des hommes profès solennels qui doivent voter pour l'admission d'un novice. Si ce novice n'est pas arrivé a la fin de son noviciat au delà des plus hauts sommets de l'union mystique, c’est une boule noire. Mais oui, on trouve ça dans les monastères.
C'est pas tout à fait juste ! Un monastère n'est pas un cénacle qui groupe une élite spirituelle ou une élite humaine. Ce n'est pas un petit groupement d'hommes super intelligents. Il paraît qu'il n'y a dans le monde entier que au grand maximum deux cent hommes qui ont un quotient intellectuel maximum. Ce n'est pas ceux-là qu'on va trouver dans les monastères, du moins d'après ce que Saint Benoît nous dit ici !
Non, mes frères, le monastère n'est pas ouvert aux seuls hommes parfaits, parfaits spirituellement, parfaits intellectuellement, parfaitement équilibrés. Non, Dieu va chercher ses disciples, il va chercher ceux qu'il veut transfigurer, partout, dans tous les milieux, à tous les niveaux. Il n'est donc pas étonnant qu'on rencontre dans les monastères des situations comme celles dont nous parle Saint Benoît aujourd'hui.
Retenons donc cela, cette première leçon que nous pouvons retirer du fait que Saint Benoît commence par un Code pénitentiel ou disciplinaire comme il l'appelle quand il nous parle de la communauté. Ce n'est pas, attention, encore une fois je le répète, ce n'est pas pour nous effrayer. Ce n'est pas parce que Saint Benoît serait un bon adjudant qu'il donnerait d'abord les châtiments et toutes les peines. Non, ce n'est pas cela !
Saint Benoît est un père. Saint Benoît ne vit plus comme un homme, c'est le Christ qui vit en lui. Il est très lucide, mais il est très ouvert à tous. Il est réaliste. Il nous dit dès le départ que le monastère est une clinique et que l'Abbé doit être un médecin.
Or, nous avons eu une expérience ces derniers mois de ce qu'est un médecin. Nous l'avons eue avec le Frère André. Pendant prés de quatre mois, un médecin avec quelques infirmières à lutté jour après jour pour sauver le frère André, pour le tirer du trou dans lequel la maladie l'enfonçait. C'est cela un bon médecin !
Et c'est ainsi que doit être un Abbé. Il ne doit jamais désespérer. Il doit lutter jusqu'au bout, non seulement pour tirer du trou un frère qui serait tombé, mais aussi pour conduire tous ses frères vers les sommets de la connaissance et de la vertu, comme dit Saint Benoît.
Car en fait, si nous voulons être sincères, nous sommes tous malades. Et le moine qui est arrivé au sommet de l'humilité, c'est celui-là qui dit : Mais oui, ma foi je n'ai pas à me vanter. Quand je regarde autour de moi, c'est encore moi qui suis le plus affligé.
Voilà, mes frères, une bonne entrée en matière lorsqu'il faut parler de la communauté.
Mes frères,
Pour nous aider à mieux assimiler la grâce de la retraite, je me suis dit que je pourrais placer en regard de la personne du Christ tel qu'il nous l'a présenté, le portrait du moine qui est en révolte contre sa communauté. Saint Benoît nous le dessine ce soir. Donc, deux portraits : celui du moine et en face celui du Christ.
Notre moine, ici, il est d'abord contumax, 23,2. Il est arrogant, il est hautain, il est opiniâtre. Il n'y a que ses idées qui comptent. Il veut être le seul à occuper toute la place. Il sera donc de suite contemptor, comme dit Saint Benoît, 23,5. Il va regarder et traiter avec un souverain mépris la Règle, les Anciens, l' Abbé et ses frères. Il est rempli de lui-même. Dans son cœur il n'y a place que pour lui.
Il sera donc, comme le dit Saint Benoît, 23,3, superbus. Nous savons que la superbia, la superbe, l'orgueil, c'est - comme nous l'a appris Saint Bernard - c'est l'amour de sa propre excellence. On ne se découvre que des qualités. On est plus qu'un ange, on est un petit dieu. Il ne manque rien. On n'a besoin de rien. On n'a rien non plus à donner car on est riche. Voilà la superbia !
Et l'orgueilleux est tout naturellement inoboediens, 23,2, désobéissant. Donc il n'en fait qu'à sa tête. Il n'a rien à lui dire. Il n'a rien à lui apprendre. Il se laisse conduire par ses propres jugements, par sa propre volonté. Il a un projet qui est l'épanouissement de sa propre personne suivant des normes que lui-même se pose. Il est désobéissant !
Et alors pour couronner le tout, il sera murmurans, 23,3, murmurateur, comme on le traduit. Il s'en prend à tout le monde et à tout ce qu' on fait. Il n'est jamais content. Il sera contrarius, 23,4. Il est contre, délibérément contre.
C'est plus, ici, qu'un défaut psychique, vous savez, un homme infantile qui peut être très âgé, attention ! Quand on est affligé d'infantilisme, on le reste jusqu'au bout. Un homme infantile dit toujours non. Il est toujours contre, c'est un des traits de l'infantilisme. Donc prenons bien garde !
En face maintenant de ce moine dépravé, nous avons la personne du Christ telle que nous l'avons vue au cours de cette retraite. Le Christ, lui, il s'est vidé de lui-même. Il est un être kénosé. Il s'est tellement vidé que dans son cœur il n'y a plus de place que pour nous. Et en cela il a prouvé qu'il était Dieu.
Car Dieu, comme nous l'a si bien dit Monsieur Habachi à propos de Zundel, Dieu ne possède son être de Dieu que dans la mesure où il le donne, où il le partage. Si Dieu voulait retenir pour lui une fraction même infime de son être, de ce qu'il est, il ne serait pas Dieu. Il serait un habitant du panthéon païen. Il ne serait pas Dieu.
Voici donc le Christ qui s'est vidé pour nous laisser en lui toute la place. Il s'est aussi abaissé devant nous. Et lorsque le Christ a posé un acte - je pense ici à l'acte du lavement des pieds où il s'est fait l'esclave de ses disciples - lorsque le Christ a posé un acte, cet acte est immédiatement éternisé. Cela veut dire que aujourd'hui encore le Christ est notre esclave.
Il se place en dessous de nous. Nous sommes des pécheurs, nous ne valons pas grand chose. Nous avons une certaine valeur certes, mais nous ne valons tout de même pas grand chose par rapport à ce que le Christ est. Eh bien, lui, il s'est mis en dessous de nous. Et c'est ainsi qu'il nous porte, c'est ainsi qu'il nous aide à marcher, à grandir.
Voyez un peu, mes frères, à partir de là ce que Saint Benoît attend d'un Abbé qui doit être le vicaire de ce Christ. L'Abbé, pour bien faire, doit être aussi vidé de lui-même. Il doit se sentir vraiment en dessous de tous, mais sincèrement, pas pour jouer la comédie, mais dans le fond de son cœur. Dans le fond de son cœur, il ne se place jamais avant un autre frère, même si dans le rang il doit marcher le premier.
Alors, le Fils a poussé l'amour au-delà des limites du concevable, car il s'est fait pour nous nourriture. Il se donne à manger, et cela, pour que nous devenions ce que lui est. Car nous sommes ce que nous mangeons, nous sommes ce que nous respirons. Lorsque nous le mangeons, lui, nous devenons ce qu'il est.
Il ne nous est pas possible, nous, de nous donner en nourriture à nos frères. Nous pouvons donner notre temps, notre travail, notre amour, notre corps, notre dévouement, tout, mais une chose que nous ne pouvons pas faire, c'est leur donner notre chair à manger.
Eh bien, le Christ Dieu, lui, il a réussi cette merveille. Et ça, c'est l'amour au-delà du concevable. Le Christ est donc l'antithèse parfaite de ce moine qui ne porte plus que le nom de moine. D'un côté, un homme rempli de lui-même, ne vivant plus que pour lui et de l'autre côté, le Christ vidé de lui-même n'existant que pour les autres.
Eh bien, mes frères, nous avons le choix, nous. Heureusement personne parmi nous ne ressemble au moine malheureux que nous présente ce soir Saint Benoît. Mais prenons tout de même garde! Car nous ne sommes pas meilleurs que les autres. Et comme le dit l'Ecriture : Celui qui est debout, qu'il prenne bien garde de ne pas trébucher et tomber.
Et pour rester à l'abri d'un tel désordre, eh bien, attachons-nous à ce Christ qui ne vit plus pour lui. Soudons-nous à lui tous ensemble de manière à ne plus former avec sa personne qu'un seul corps. Alors nous comprenons mieux l'expression de Saint Benoît du Corpus monasterii. Le monastère est un corps lorsque tous ses membres sont soudés à la Personne du Christ et deviennent un seul être avec lui, un seul corps avec lui.
Voilà, mes frères, une petite leçon que nous pouvons retenir en conclusion de notre retraite. En toute simplicité j'ai partagé avec vous ce qui m'est passé par la tête et qui a traversé mon cœur. Je vous le donne. Faites-en votre nourriture. Et ayez une petite pensée pour celui qui parmi vous doit tenir la place du Christ afin qu'il n'ait pas un jour à s'entendre dire : “ Qu'au-tu fait ? Qu'as-tu fait ? ”
Table des matières
Chapitre 23 : De l’excommunication. 01.03.84
Le monastère est une clinique.
Chapitre 23 : De l’excommunication. 29.02.88