Chapitre 22 : Du sommeil des moines.            29.10.85

      Se laisser marcher dessus !

 

 Mes frères,

 

Saint Benoît ouvre ce chapitre sur une prescription singulière à laquelle il semble attacher une grande importance: les moines dormiront chacun dans un lit, à part. N’allons pas penser à de mauvaises choses ! Ceux qui veulent commettre le péché en trouvent toujours l'occasion  et au besoin, ils la créent.    

Non, Saint Benoît, ici, prend ses distances à l'endroit d'une coutume qui était très prisée dans le désert où, là, les moines pratiquaient avec zèle ce qu'on appelle la …….. c'est à dire l'action de dormir à même la terre, éventuellement dans un trou prenant la forme du corps, creusé dans la terre ou dans le sable. Et pour les moines du désert, c'était la coutume. Pour eux, c'était une part importante de leur ascèse et de leur pauvreté.

 

Le fait donc de dormir ainsi par terre, en contact avec le sable ou l'humus, surtout si c'est dans un petit trou, rappelle au moine sa condition mortelle. Il est déjà comme mort, enfoui dans la terre, dans la poussière dont il a été formé.

Et le matin, pour l’Office, quand il se lève de terre, il imite à sa façon le geste du Christ surgissant de son tombeau et commençant une vie nouvelle. Aussi leur pauvreté : ils ne disposaient de rien, ils dormaient, voilà, vêtus tels qu'ils étaient.

Ils sentaient aussi leur solidarité avec la matière dont ils étaient tirés, cette matière qui est tout à la fois accueillante, qui leur prépare là une couche, mais en même temps hostile parce qu'elle est dure.

 

Eh bien, mes frères, nous voyons encore ici un trait magnifique de cette vertu de discrétion tellement vantée par Saint Benoît. Il déplace l'accent. Il ne s’agit plus ici, pour Saint Benoît, de dormir à même le sol, à même la terre mais de devenir soi-même terre et sol. On ne dort plus par terre, mais on se laisse marcher dessus. On devient sol, on devient terre. Voyez la transposition ! Nous sommes maintenant dans l’humilité. L'idéal n'est pas de réaliser des prouesses ascétiques, mais d'entrer dans cet oubli de soi, dans cette mort à soi qui est l'humilité.

 

Voilà, mes frères, un petit mot de consolation avant de prendre notre sommeil. N'allons pas maintenant nous dire que nous sommes tellement relâchés, nous qui dormons dans de vrais lits encore tous différents de ceux de Saint Benoît. Et pas seulement chacun son lit, mais chacun sa chambrette.

Voilà, il faut sacrifier à la débilité des natures d'aujourd'hui. Mais ça doit nous inciter à porter toute notre énergie sur l'aspect spirituel de notre vie qui est, je le dis d'une façon très brutale, je l'ai dit tantôt et je le répète, nous laisser marcher dessus par Dieu d'abord, et puis par nos frères. Donc devenir humble, celui auquel on, peut tout demander.

 

 

 

 

 

Chapitre 22 : Du sommeil des moines.            29.10.87

      Comme une armée…

 

Mes frères,

 

Nous savons que l'esprit et le cœur de Saint Benoît étaient pétris de Culture Biblique. Nous en trouvons encore un exemple aujourd'hui. Vous vous rappelez que le Peuple d'Israël au cours de sa  marche à travers le désert était réparti en groupes de mille, de cent, de cinquante et de dix ayant à leur tête des Anciens de bon sens et de confiance qui pouvaient expédier ce qu'on appelle aujourd'hui les affaires courantes. Il était sorti d'Egypte, suivant le texte Biblique, 600.000 hommes de guerre sans compter les femmes et les enfants et une foule, un ramassis de gens non-israélites.

 

La communauté monastique est loin d'être aussi nombreuse. Elle est tout de même, dans l'esprit de Saint Benoît, une miniature de ce Peuple d'Israël en marche. C'est pourquoi il divise la communauté en groupes de dix. Et à la tête de chaque groupe il place un doyen en chef de dizaine.

C'est ainsi que nous pouvons contempler la communauté monastique comme un Peuple ou une armée pérégrinant à travers le désert de cette vie vers une terre de lumière où elle trouvera le repos dans l'amour. La communauté avance comme en ordre de marche escortée par ses chefs de dizaine, armée contre les attaques sournoises de l’ennemi qui est dans le désert, Amalec, c'est à dire Satan.

 

Aujourd'hui, ce soir, nous voyons cette armée payant son tribut à la fatigue et au sommeil. Cependant elle va demeurer pendant la nuit sous la vigilance de ses doyens. Les moines en effet vont reposer par dix ou par vingt avec des anciens qui veilleront sur eux.

Nous avons donc à nouveau l'image d'un camp, d'un campement plus précisément qui évoque les haltes d'Israël dans le désert. Au moment de la halte, les tribus étaient disposées autour de la tente de réunion, trois tribus à chaque point cardinal.

Si bien que c'était là un ordre rigoureux qui laisse encore aujourd'hui une impression de puissance. Au centre, le Seigneur qui est le guide de la marche, le protecteur. Et puis dans un ordre quasi liturgique, à chaque point cardinal trois tribus toujours les mêmes.

 

Et lorsque le matin au moment où la colonne de nuée se lève, se dresse au-dessus de la tente de r'union, on démonte cette tente, les lévites chargent l'Arche sur leurs épaules et la caravane reprend sa route mais suivant un ordre bien déterminé : d'abord les trois tribus, puis les trois autres, puis les trois autres. Et ainsi la marche reprend.

Nous avons donc là une liturgie, une procession. Lorsque nous processionnons à travers notre cloître à certaines grandes fêtes, nous devrions avoir en tête cette vérité qui est encore évoquée ici, que nous constituons un corps d'armée qui s'avance protégé contre les attaques de l'ennemi vers une terre qui nous est promise, un ailleurs qui est le Royaume de Dieu où nous trouverons enfin après avoir vaillamment combattu le repos pour l'éternité.

Il nous manque peut-être cette Culture Biblique qui était le milieu quasi naturel de Saint Benoît, et encore de nos Pères cisterciens. Nous allons chercher trop facilement les éléments de notre spiritualité dans des Traditions qui sont étrangères à la vie monastique ou à notre Ordre. C'est peut-être là un détail auquel nous pourrions réfléchir.

 

Et voilà que le repos nocturne du moine ne peut pas être l'occasion d'un relâchement ou d'une débandade dans le désordre. Les moines sont groupés par dix ou par vingt - donc deux dizaines - sous la vigilance de leur doyen, donc de leur chef de dizaine. Nous retrouvons ici l'image de ce campement où tout est bien ordonné, ou tout est parfaitement protégé. On ne peut pas craindre les attaques, les assauts, les terreurs de la nuit.

Voyez ! Ces moines de Saint Benoît chantant avant d'aller se reposer le Psaume 4, le Psaume 90, où on parle de cette veille, de cette veillée au cours de la nuit. Les moines se reposent mais quelqu'un veille sur eux. Ils forment tous là des carrés solides et l'ennemi ne peut pas s'approcher. L'ennemi est tenu à l'écart, l'ennemi a peur.

 

Saint Benoît nous dit aussi que les moines seront toujours prêts, même lorsqu'ils dorment, parce que - encore une fois - ils forment un corps organisé qu'ils marchent ou qu'ils reposent, mais qui jamais ne quittent des yeux du cœur le terme de la marche qui est Dieu et son Royaume.

Vous sentez que pour Saint Benoît le moine n'est pas un préretraité, un pré pensionné. C'est un homme qui ne vieillit pas. Au contraire, il est en état de jeunesse comme l'a bien découvert Maurice Zundel. C'est au moment de notre naissance que nous sommes des vieillards. Lorsque nous progressons vers Dieu, nous retournons vers notre source et nous allons vers notre vraie jeunesse que nous découvrons lorsque nous ne faisons plus qu'un seul esprit avec Dieu.

 

C'est ce souffle, cette ardeur, cet enthousiasme que nous percevons à travers des prescriptions aussi, je dirais qu'on pourrait appeler désuètes aujourd'hui, et que nous trouvons chez Saint Benoît lorsqu'il règle le sommeil de ses moines. Naturellement, aujourd'hui il n'est plus possible d'aller dormir par groupes de dix ou de vingt, tous ensembles, vêtus avec une courroie, c'est à dire avec une ceinture de cuir ou une corde aux reins comme des soldats qui se reposent ainsi, prêts à s'éveiller et à combattre même en pleine nuit. Ce n'est plus possible aujourd'hui, mais nous devons tout de même conserver cet esprit et ne pas voir dans le repos nocturne une occasion de relâcher notre vigilance.

 

Table des matières

Chapitre 22 : Du sommeil des moines.            29.10.85. 1

Se laisser marcher dessus !. 1

Chapitre 22 : Du sommeil des moines.            29.10.87. 2

Comme une armée…... 2