Chapitre 17 : Combien de psaumes le jour ?     21.06.88

      L’union du ciel et de la terre.

 

Mes frères,

 

            Hier, nous nous sommes arrêtés au nombre considéré par Saint Benoît comme sacré, à savoir le 7. Si nous regardons le chiffre 7 dans la lumière de la symbolique juive primitive, vers l'époque du Christ, nous voyons qu'il exprime l'union du ciel et de la terre. Il est en effet composé des chiffres 4 et 3, 3 représentant le monde de Dieu et 4 le monde des hommes. Dans ce sens-là, 7 est un chiffre porteur de sacré.

            Mais nous pouvons aller plus loin. Si nous respectons le nombre 7 pour notre louange divine, nous nous insérons dans le rythme cosmique que nous sacralisons et que nous guidons vers sa plénitude. Reportons-nous encore à l'époque Biblique, puisque Saint Benoît se réfère à la Parole de Dieu qui nous est rapportée par le psaume 118 : 7 fois le jour, j'ai chanté ta louange.

 

            La rotation de la lune autour de la terre dure environ 29 jours ½. Si je divise cette durée par 4, j'arrive à 7 jours et quelques heures. Rappelons qu'à cette époque, encore à celle de Saint Benoît, les heures étaient élastiques suivant que l'on se trouve en hiver ou en été, heure de jour ou heure de nuit. C'est indifférent !

            Les hébreux ont deux mots pour parler du mois. Le premier signifie à proprement parler : rotation de la lune autour de la terre, ou lunaison. Ou un second mot qui signifie : nouveauté, ou à proprement parler : nouvelle lune. Les psaumes aussi nous rappellent que la nouvelle lune est l'occasion d'une fête.

 

            Attention ! Ne pensons pas à la nouvelle lune de notre époque qui est totalement invisible. La nouvelle lune pour les hébreux et encore les juifs aujourd'hui, c'est le moment où apparaît un mince filet argenté dans le ciel, le tout tout premier.

            A ce moment-là, il y avait un veilleur - maintenant tout est calculé météorologiquement, astronomiquement - un veilleur qui dans le ciel remarquait cela. Il le signalait à un préposé qui embouchait la trompette en corne de bélier et qui annonçait la nouvelle lune.

            A ce moment-là, c'est une célébration liturgique qui adore le Seigneur, qui le remercie, et qui attend de lui la surprise qu'il réserve dans le mois nouveau qui commence. Les fêtes en Israël sont toujours réglées par le mouvement de la lune. Cela nous est encore rapporté dans un psaume : Toi qui a placé la lune qui règle les temps, c'est à dire qui règle les fêtes en Israël. Prenons la fête de Pâques par exemple, c'est le 14 Nisan, c'est à dire juste à la moitié du mois, c'est la pleine lune de printemps. Je rappelle seulement ce détail.

 

            Maintenant la semaine : pour la semaine, ils ont un mot qui signifie durée de 7 Jours. Notons que le mot français semaine signifie la même chose : une durée de 7 jours. Si je veux maintenant prononcer un serment, je vais jurer par le chiffre 7. Car un serment, ou prononcer un serment, c'est une racine tirée de 7. Il n'y a pas de mot français correspondant, mais le mot allemand existe.

            Si bien, mes frères, que nos 7 réunions communautaires diurnes pour la prière, pour la louange de Dieu, elles nous immergent dans le flux cosmique. A ce moment-là, nous sommes un avec l'univers, et nous sommes la voix du cosmos, et nous sommes sa réponse aux invitations du Créateur. Le monde est en face de Dieu un partenaire qui, pendant des durées inimaginables pour nous, a été un partenaire potentiel, un partenaire en attente.

 

            Dieu attendait l'heure où ce partenaire deviendrait conscient et pourrait entrer en communion avec lui. Dès que l'homme a surgi, ce dialogue a pu s'amorcer. Dieu a pu parler à l'univers et l'univers a pu lui répondre. Il s'est installé un échange. Puis nous connaissons le reste : l'incarnation de Dieu qui devient un élément de l'univers et qui, en même temps, entraîne cet univers dans sa propre vie à lui. Et au terme alors du projet divin, Dieu sera parfaitement tout en toute chose.

 

            Déjà maintenant, si vous voulez être attentifs - c'est là un privilège du contemplatif - vous verrez, vous remarquerez, vous observerez une étincelle de divin dans toutes les choses depuis la plus grande jusqu'à la plus petite. Tout est chargé de divin déjà maintenant du fait même que tout est créature de Dieu. Maintenant au terme, encore une fois, cette présence divine dans les choses, dans la matière deviendra éclatante, deviendra lumineuse parce que la matière sera entièrement purifiée.

 

            Mes frères, notre louange diurne nous entraîne dans ce projet fantastique dont nous sommes responsables puisque nous sommes la voix, la conscience, les yeux et les oreilles du cosmos en face de notre Dieu. Et tout cela est implicitement contenu dans le chiffre 7. Les Anciens en avaient conscience. Nous, nous sommes devenus des mathématiciens. Nous avons mathématisé toutes les choses. Nous avons perdu ou laissé s'atrophier en nous ce sens de la perception de la vie de tout et du langage que nous offre la beauté des choses, de la création.

 

Chapitre 17 : Combien de psaumes le jour ?     21.10.95

      Le chant du cosmos.

 

Mes frères,

 

            Nous venons encore de le comprendre, pour Saint Benoît, la psalmodie mes plus précisément les psaumes constituent le squelette, la colonne vertébrale, le cœur de l’Office Divin. Il y a même un endroit de sa Règle où il parle de psamodiae quantitas, 10,4. C’est intraduisible littéralement en français. On pourrait le traduire le bloc infrangible de la psalmodie. La psalmodie forme un bloc.

            On peut, si la nuit est plus courte en été, si on s’est levé en retard – un accident est toujours possible – on peut abréger les lectures, les répons, mais on ne peut jamais toucher à la quantitas, au bloc que forment les psaumes, 11,30.

 

            Je l’ai déjà expliqué, mais il est toujours bon de le redire : les psaumes sont Paroles de Dieu. Lorsque nous les récitons, lorsque nous les chantons, nous écoutons cette Parole de Dieu. Elle frappe nos oreilles. Elle pénètre à l’intérieur de nous. Même si nous sommes distraits, la Parole de Dieu est efficace en elle-même ; même si nous ne comprenons pas, elle est toujours Parole de Dieu. C’est à dire qu’elle est présence concrète du Christ ressuscité lui qui est la Parole de Dieu.

            Et c’est ainsi que le Christ touche, avec infiniment de délicatesse, qu’il touche nos oreilles et puis qu’il pénètre en nous et, même sans que nous le sachions, insensiblement mais certainement il transforme notre cœur. Donc, voilà pourquoi la psalmodie forme un bloc auquel on ne peut pas toucher.

 

            Le reste, Saint Benoît le détaille encore ici, les antiennes, les leçons, les hymnes, les répons, les litanies, tout cela, c’est le cadre dans lequel la prière des psaumes – car les psaumes sont aussi prière – reçoit sa tonalité et son sens. Ils sont comme une orchestration qui donne à la psalmodie sa beauté et sa force.

            Cet ensemble, maintenant, nous donne une place à l’intérieur d’un chant immense qu’est le chant du cosmos. Il y a des psaumes où nous invitons la nature créée inanimée ou même vivante, où nous l’invitons à chanter avec nous la louange du Créateur et du Rédempteur.

 

            Il y a donc un chant cosmique. La création entière chante. Et l’homme qui est un produit de cette création, qui est la création, la matière devenue consciente d’elle-même, l’homme est par excellence la voix qui permet à ce chant de se répandre partout et de toucher le cœur de Dieu.

            Le Christ qui est le Verbe de Dieu, qui est à l’intérieur de la Trinité, pour ce chant, il a voulu devenir lui-même matière pour que ce chant du cosmos soit divin. C’est donc aussi à travers la personne du Christ ressuscité que nous chantons les psaumes et en plus tout ce qui orchestre ce chant des psaumes.

 

            C’est pourquoi, dans toute la mesure de notre faiblesse humaine, il faut que l’Office Divin soit beau. Je sais bien qu’il y a des limites et que ces limites sont parfois très étroites. Mais ça ne fait rien, à l’intérieur de ces limites il faut que ce soit beau parce que cela monte d’un coeur qui a soif de pureté, qui tend vers la pureté, qui s’ouvre à la puissance transfiguratrice de l’Esprit Saint. Et c’est pourquoi c’est beau !

            Et ça va aussi se traduire, s’exprimer dans une beauté concrète. Et c’est ce que nous nous efforçons de faire avec des hauts et des bas. Mais malgré tout, je suis certain que Dieu, voyant notre bonne volonté, trouve que c’est beau !

 

            Il s’agit donc ici non seulement du chant de la création matérielle, mais aussi toute cette partie du cosmos qui est l’humanité : les hommes qui doivent travailler, les hommes avec leurs joies, les hommes avec leurs peines. Tout cet ensemble monte, forme une hymne.

            Il y a là des lamentations, il y a des appels au secours, il peut même y avoir des révoltes et des malédictions. Mais non, tout cet ensemble, c’est le chant du cosmos et nous en sommes l’organe.

            Eh bien nous autres, toutes ces peines, nous les laissons retentir en nous. Nous ne sommes pas ici de vieux garçons qui se tiennent à l’abri de la misère des autres. Non, n’est-ce pas, nous sommes – je dirais – le réceptacle de toutes ces souffrances comme le Christ l’a été mais à notre petite mesure - mais malgré tout, toujours Lui en nous pour les prendre en nous – et puis voilà, les offrir telles qu’elles sont sans essayer de comprendre.

            Si bien, mes frères, que pour Saint Benoît, le moine est un louangeur de Dieu par toute sa vie. Car il n’est pas possible d’être aussi sensible aux peines du monde, et aux joies du monde, et aux appels du monde si l’être entier n’est pas ouverture, si l’être entier n’est pas décrispation, s’il n’est pas toujours tendu vers l’autre.

            Donc je vis décentré. Il faut avoir quitté son égoïsme pour trouver sa véritable source de vie ailleurs de soi, chez Dieu, chez le Christ, dans les hommes. Nous sommes solidaires de tous.

 

            Le moine est le contraire du repliement sur soi, il est dilatation. C’est le mot qu’utilise d’ailleurs  Saint Benoît, dilatatio corde, Pr 114. Le cœur se dilate sans fin. Donc le moine par toute sa vie bien concrète est un louangeur de Dieu, par les pensées secrètes de son cœur.

            Tout ce qui n’est pas juste, tout ce qui n’est pas bon, tout ce qui n’est pas pur, tout ce qui n’est pas amour, tout ça il l’écarte. Il ne permet pas que ça entre à l’intérieur et surtout, il ne permet pas que ça prenne source à l’intérieur du cœur. Donc, il aspire au moment où le cœur sera parfaitement pur et ça, dans le secret, dans les pensées secrètes de son cœur.

 

            Alors, par son agir au service des frères, oui c’est ça, au service à l’intérieur de son emploi mais aussi à l’occasion quand on voit une petite chose qu’il faut faire. Oui, ne pas avoir peur, quand ce serait de ramasser une peluche qui est par terre. Je sais qu’il y en a. Je ne vais pas citer son nom, mais il y en a un ici qui sait faire ça, des petites choses, voyez, des petites histoires ainsi au service des frères par son agir.

            Et puis alors par ses paroles, non pas jeter de l’huile sur le feu, mais des paroles de charité, des paroles de dédramatisation, des paroles de concorde, des paroles de paix. Eh bien tout ça, ça permet au moine d’être de plus en plus un louangeur de Dieu. Si bien que le chant de ses lèvres devient l’expression de ce qu’il est dans les profondeurs.

 

            Et alors comme ça, il s’efforce d’être toujours de mieux en mieux dans le réel bien concret, ce petit morceau d’univers qui est relié à Dieu à travers la personne du Christ, ce petit morceau d’univers qui est comme une fleur qui boit la beauté et la puissance de l’Esprit Saint. Mais à ce moment-là, il réalise sa vocation. Il est à sa place dans le monastère et il a une mission irremplaçable, indispensable à remplir pour le Salut du monde.

Table des matières

Chapitre 17 : Combien de psaumes le jour ?     21.06.88. 1

L’union du ciel et de la terre. 1

Chapitre 17 : Combien de psaumes le jour ?     21.10.95. 2

Le chant du cosmos. 2