Mes frères,
Saint Benoît au chapitre dix-neuvième de sa Règle nous parlera des dispositions que nous devons apporter lorsque nous nous tenons en présence de Dieu et de ses anges, et que nous laissons couler sur nos lèvres les paroles des Psaumes. Mais il ne va jamais jusqu'à nous expliquer la raison d'être de l’office, son inspiration, sa finalité.
Pour lui, je ne dirais pas que c'est supposé connu, mais c'est un soin qu'il nous a abandonné, le soin de chercher et de découvrir nous-mêmes cette spiritualité de l’office divin. Lui, il se contente d'en établir les structures. A nous de les animer.
Cette spiritualité, nous la chercherons dans la Tradition de l'Eglise, même la plus primitive. Nous la découvrirons chez nos Pères dans la vie monastique. Nous devrons même analyser les racines vétéro-testamentaires de notre office. Mais vous comprenez que cela est une tâche énorme.
Des spécialistes s'y sont attardés. Nous pouvons recueillir les fruits de leurs recherches, mais nous devons toujours apporter notre part personnelle. Nous avons chacun notre sensibilité et la Tradition s'enrichit de ce que nous-mêmes pouvons découvrir, de ce que nous-mêmes vivons.
Car la Tradition n'est jamais une entreprise d'ordre purement intellectuel. Elle ne sort pas d'un cerveau. La Tradition est toujours l'expression d'une vie et d'une vitalité, une vitalité sous l'inspiration de l'Esprit de Dieu. Et cette inspiration palpite dans le coeur des moines d'aujourd'hui encore.
Il me semble que l'humanité dut-elle durer encore des millions et des millions d'années et les moines chanter les louanges de Dieu pendant toute cette période, je pense que la Tradition ne finirait pas de s'enrichir. Nous pouvons la découvrir en filigrane dans le texte de Saint Benoît car les structures qu'il nous a imposées dans sa Règle, et sur lesquelles d'ailleurs il nous laisse toute liberté comme il le dira plus tard, 18,62, ces structures sont elles-mêmes imprégnées d'une vision et d'une spiritualité.
Je vous en donne un exemple tout de suite. Il m'est venu à l'esprit après le souper. C'est encore tout chaud. Saint Benoît dit : Sept fois le jour, j'ai chanté vos louanges. Donc nous remplirons ce nombre sacré de sept...etc, 16,4. Puis au sujet de L’office de nuit : Je me levai au milieu de la nuit pour vous louer, 16,10. Conclusion : louons donc notre Créateur sept fois pendant la journée, et la nuit, levons-nous pour lui offrir nos louanges.
Ces deux versets rapportés ici par Saint Benoît sont empruntés au Ps 118. Lorsque le moine les prononce, il ...?…, ce n'est plus pour lui une formalité. Les Psaumes sont Parole de Dieu et les Paroles de Dieu sont reçues dans le coeur du moine qui leur donne une réponse, une réponse qui est un agir, une réponse qui est une conduite bien précise.
Si la Parole de Dieu récitée par le moine dit : Sept fois le jour j'ai chanté vos louanges, eh bien, le moine sept fois le jour se rendra à l'église pour chanter les louanges de Dieu. De même s'il dit : Je me lèverai au milieu de la nuit pour vous louer, le moine reçoit cette Parole, elle déclenche en lui un comportement, et il va se lever pendant la nuit pour louer Dieu.
Ce qui est vrai pour ces deux versets l'est pour tous les versets de tous les Psaumes. Les tous premiers moines recevaient ainsi les psalmodies. Ils la faisaient leur en ce sens qu'ils y répondaient par toute leur vie. Elles devenaient chez eux un moteur. Elles réglaient leur comportement le plus concret, tous les jours.
Elle doit encore être cela pour nous aujourd’hui. Et là, nous avons toute une spiritualité de l’office. Elle est peut-être un peu étrangère à notre mentalité d’aujourd'hui, car les premiers moines se comportaient différemment au cours de l’office : ils écoutaient. Il y en avait deux ou trois qui récitaient, qui psalmodiaient les psaumes, et les autres écoutaient.
Ils écoutaient. Ils ne disaient rien. Ils ne dormaient pas, ils écoutaient, ils accueillaient en eux ces Paroles. Puis, lorsque le psaume était terminé, dans un silence de tous, chaque moine alors répondait intérieurement à ce qu'il avait entendu. Puis la psalmodie continuait.
Il y avait donc là un dialogue engagé entre l'Esprit de Dieu et le coeur du moine. Aujourd'hui, tout le monde chante, les chœurs se répondent. C'est une autre façon de procéder, mais l'essentiel demeure toujours vrai. Le psaume est d'abord une Parole que Dieu nous adresse, Parole qui attend notre réponse. Si nous répondons en nous servant des Paroles même, qui sont inspirées, ce n'est que mieux. Vous voyez le progrès qui s'est réalisé !
Mais prenons bien garde ! N'oublions jamais que dans la psalmodie, nous engageons notre vie, pas seulement la nôtre, mais aussi la vie de tous ceux que nous portons dans notre coeur, c'est à dire la vie de l'Eglise entière, la vie de tous les hommes qui sont maintenant présents sur la terre. Mais nous savons déjà aussi, nous l'avons découvert, je l'ai longuement expliqué ici, que L’office Divin était la reprise hebdomadaire et même quotidienne de la Vigile Pascale.
Cela signifie que L’Office Divin, l'Opus Dei nous emmène dans un univers qui n'est pas le nôtre. Cet Office nous saisit tels que nous sommes maintenant dans notre condition de pécheur et il nous emmène en espérance là où nous serons un jour dans la pleine réalité de notre vérité, c'est à dire chez Dieu. Nous serons ressuscités d'entre les morts.
L’office Divin est un mouvement, il est un exode, il est un passage dans lequel nous sommes entraînés. Si bien que conduit ainsi chez Dieu par lui, nous sortons de nous et nous nous ouvrons à une réalité nouvelle.
Aujourd'hui, Saint Benoît nous place devant une fenêtre et il nous invite à regarder. Il nous parle d'un nombre sacré, un sacratus numerus, 16,4 qui est le nombre 7. Il y a là quelque chose de très, très beau qui va nous montrer que notre office entraîne non seulement notre propre personne mais l'univers matériel tout entier. Mais je ne vais pas commencer avec ça aujourd'hui. Je n'aurai pas terminé. Je laisserai cela pour demain.
Encore simplement un petit détail qu’on m'a fait remarquer aujourd'hui. C'est le cas de L’office de Laudes. L’office de Laudes est tout entier un office de lumière. Nous savons que dans les structures Pascales de L’office, Laudes est le moment où nous passons de l'obscurité à la lumière, où nous passons mystiquement du péché à la sainteté, de la mort à la vie. Eh bien, le premier verset du Psaume 66 contient le mot illumine.
Dieu nous illumine. Le Ps 66 est l'unique psaume dont le premier verset parle de cette illumination, que Dieu nous illumine. Et le tout dernier verset du Benedictus nous parle aussi que Dieu nous illumine.
Nous avons donc là une inclusion. On commence : Que Dieu nous illumine, puis on arrive au moment où Dieu nous a illuminés, Tout L’office de Laudes est ainsi englobé dans 1a lumière de Dieu.
Et cette 1umière de Dieu qui est bien présente, et qui est l'Esprit Divin rayonnant dans la personne nu Christ ressuscité, cet Esprit qui est présent avec nous dans l’office, dans les hymnes, à ce moment-là cet Esprit nous saisit et nous emporte à notre insu là d'où il vient - c'est à dire la Personne même du Christ - en nous transformant.
C'est pourquoi, mes frères, il est utile je pense d'être informé de ces choses pour que nous soyons attentifs à ce que nous disons, à ce que nous chantons, à ce que nous faisons.
C'est ainsi que par toutes petites touches, il est possible de dégager une spiritualité de L’office Divin. Mais cela se fait un peu comme ça au hasard des rencontres, au hasard des découvertes, et au hasard un peu des grâces qu'on reçoit.
Mes frères,
Saint Benoît fait allusion au nombre sacré de 7 et il nous demande de nous lever au milieu de la nuit pour louer notre Dieu. L'ambition magnifique de Saint Benoît et de ses prédécesseurs dans la vie monastique est en fait de louer Dieu sans arrêt. Mais, humainement, pratiquement ce n’est pas possible.
Alors il joue sur les nombres sacrés de 3, 4, 7 et 12. Il les entremêle de façon à ce que mystiquement la louange que nous faisons monter vers Dieu s'étende sur les 24 heures de la journée. Nous devons, chacun pour notre part, reproduire ce qui se passe dans le monde à venir, dans la création nouvelle ou dans le ciel si vous voulez.
Pour la Tradition monastique primitive telle qu'elle nous a été rapportée par Evagre le Pontique, le moine est à l'écoute de ce qu'il entend chanter dans le monde de Dieu. Et il le laisse entrer dans ses oreilles et le fait repasser sur ses lèvres. Ce sont des actions de grâces, des louanges, des supplications, des actes de repentance. Il se souvient de ce qu'il a entendu rapporter dans l'Apocalypse où les quatre animaux qui se tiennent les tous premiers devant le trône de Dieu, chantent le Sanctus et ils ne connaissent aucun repos, aucune halte ni de jour ni de nuit. Et les 24 vieillards qui sont devant eux chantent au même rythme. Et ainsi de proche en proche cela vient jusqu'à nous.
Cluny avait essayé de concrétiser ce désir et quasiment ce besoin. Dans le monastère de Cluny, des équipes de moines se relayaient pour chanter comme ça leur Dieu 24 heures sur 24. C'était la fameuse Laus perennis.
Mais ce n'était pas tout à fait juste parce que, pour que ce fut vraiment l'écho de ce qui se passe dans le ciel, ce sont les mêmes hommes qui auraient dû ainsi chanter 24 heures sur 24. Si bien que Cîteaux a supprimé cette façon de faire. Il est revenu à la Tradition classique de Saint Benoît mais ..... ....., nous devons par notre participation ainsi intelligente à l’office sept fois le jour et une fois la nuit, reproduire dans la mesure du possible ce qui se passe là-haut près de Dieu.
Et encore une fois, c'est le jeu mystique de tous ces nombres sacrés cui nous permet de réaliser cela dans la foi, ce que nous désirons, devenir chacun pour notre part pure louange de Dieu, non seulement par notre chant mais surtout par notre gestualisation et surtout par la pureté de notre coeur que nous offrons à la lumière en toute confiance.
Mes frères,
Il est une chose qui s'est peu à peu évanouie depuis l'époque de la renaissance païenne et que le réformateur protestant au temps ...?... ...?... a essayé de sauver. Et cette chose, la voici : c'est de prendre au sérieux la Parole de Dieu et de construire sur elle notre vie.
Et pour cela, il faut d'abord croire que Dieu existe. Non pas le Dieu des philosophes et des théologiens, mais le Dieu Vivant. Il faut croire que nous venons de Lui. Il est notre Créateur et nous vivons de son Esprit.
Et il faut croire que nous sommes en communion avec Lui. Que nous le voulions ou bien que nous le repoussions, nous ne pouvons pas y échapper. Il n'est pas un despote, il n'est pas un tyran, il n'est pas un autocrate, non, il est l'Amour et nous baignons en lui.
C'est tout cela qu'il faut croire pour prendre au sérieux la Parole de Dieu. Il faut nous pénétrer de cette évidence. Il faut savoir qu’épouser la Parole de Dieu clairement manifestée est la seule et unique voie qui conduit à l'épanouissement de la personne. Il n'en est pas d'autres.
Saint Benoît nous le dit encore avec insistance aujourd'hui. Il nous fait entendre la Parole de Dieu et il en tire une conclusion. Donc, dit-il, ergo, donc voilà ce que Dieu nous dit, donc voilà ce que nous allons faire. Pour lui, il n'y a pas l'ombre d'un doute, il n'y a pas la moindre hésitation.
Et cette Parole pour lui est tellement importante qu'il la répète. Nous ferons comme l'a dit le prophète : "Sept fois le jour j'ai chanté vos louanges." 16,3. Puis un peu après il dit : 'est de ces heures du jour que le prophète a dit : " Sept fois le jour j'ai chanté vos louanges." 16,8.
Mes frères, ce n'est pas le fait de chanter la louange de Dieu sept fois le jour et une fois la nuit qui est important. Ce qui est capital, c'est de calquer notre vie sur ce que Dieu demande. S'il demandait de chanter ses louanges cinq fois par jour, eh bien, nous les chanterions cinq fois. S'il demandait de les chanter dix fois par jour, nous les chanterions dix fois. Mais voilà, Dieu a choisi le nombre sept parce que, comme dit Saint Benoît, c'est un nombre sacré. Je ne reviendrai pas là-dessus, nous le savons suffisamment.
Mais voilà, faisons un petit examen de conscience : quand nous avons quelque chose à faire ou à décider, quand nous nous trouvons devant un choix à poser, ouvrons-nous notre Bible pour y chercher la réponse ? Ou bien nous appuyons-nous sur des raisonnements tirés de notre fond ? Notre sagesse est-elle celle de Dieu ou celle des hommes ?
Nous vivons dans un monde de plus en plus déchristianisé et nous sommes imprégnés de cette Culture de plus en plus païenne. Nous ne devons pas nous laisser contaminer jusqu'au bout. Nous devons réagir. C'est pour cela que nous sommes dans le monastère.
Oui, c'est pour prendre le contre-pied de ce qui se passe dans le monde. Le monde s'appuie sur la puissance de son savoir et de ses techniques. Nous, nous devons prendre appui sur la Parole de Dieu, sur ce que Dieu nous demande.
C'est la position même définie par l'initiateur de la vie monastique. Vous savez que Saint Antoine entrant dans l'église de son village entend une Parole de Dieu. Il l'attrape au vol car il sait que c'est pour lui que cette Parole a été prononcée. Sans hésiter, il rentre chez lui, il met de l'ordre dans ses affaires et il va dans le désert.
La vie monastique est construite sur la Parole de Dieu, uniquement sur la Parole de Dieu. Même toute la partie matérielle de notre vie doit être construite sur la Parole de Dieu. Pourquoi ? Mais l'univers entier est tenu dans l'existence par le Verbe de Dieu.
Nous devons ouvrir les yeux de notre coeur à cette vision de foi. Nous venons encore de le chanter dans l'hymne des Laudes. Mais prenons garde à ce que nous disons ! Est-ce que nous nous engageons ? Ou bien est-ce que ça flotte un peu comme ça à la surface de notre esprit ?
D'où l'importance de la Lectio Divina dans une vie monastique, de la lecture de la Bible, de l'écoute de la Parole de Dieu. Cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas lire autre chose, nous devons lire même des choses profanes. Car au regard de la foi tout est sacralisé, au nom de la raison tout est profané. Et nous devons toujours prendre le contre-pied de ce que le poids de la chair voudrait nous inspirer.
La Lectio Divina, c'est d'abord, d'abord l'écoute de la Parole de Dieu. Lire la Bible, ne pas avoir peur d'y consacrer de longs moments. Et puis à côté et en second lieu, faire d'autres lectures qui doivent nous permettre d'affiner notre esprit et de mieux pénétrer ce que Dieu nous dit, ce que Dieu nous demande. Nous ne devons pas meubler notre intellect, ce n'est pas nécessaire, mais chercher ce que Dieu dit et ce que Dieu attend.
Voilà, mes frères, retenons ceci : c'est que en dehors de ce que Dieu demande, ce n'est jamais que perte de temps et cela conduit fatalement à une impasse. Pour Saint Benoît, pour toute la Tradition monastique, pour Dieu lui-même naturellement qui en est l'inspirateur, lorsque on suit la route de la volonté de Dieu, on finit par arriver dans les espaces sans limite de la liberté, la propre liberté de Dieu.
Tandis que si on suit la route de sa volonté propre, c'est une route qui se rétrécit de plus en plus jusqu'à tomber dans une impasse. Et cette impasse, qu'est-ce qu'elle est ? Eh bien, c'est la muraille du renfermement sur soi.
Voilà, mes frères, nous avons choisi la première route et ensemble nous y marchons sans faiblir.
Table des matières
Chapitre 16 : Des divins offices du jour. 20.06.88
Chapitre 16 : Des divins offices du jour. 19.02.91
Chapitre 16 : Des divins offices du jour. 19.02.95
Prendre au sérieux la Parole de Dieu !