Mes frères,
Si nous sommes disciples de Saint Benoît, nous devons nous efforcer de l'imiter en tout. Il ne suffit pas que nous assimilions spéculativement son enseignement, sa doctrine de vie, il importe que nous permettions à Saint Benoît de revivre en nous. Nous devons apprendre à nous comporter en tout comme lui.
Cela ne veut pas dire que nous devions copier servilement ses façons de faire. Nous ne devons pas nous abandonner à une espèce de mimétisme même spirituel. Il s’agit d'autre chose. Nous devons permettre et favoriser une transfusion spirituelle de manière à ce que l'âme de Saint Benoît nous façonne de l'intérieur de nous-mêmes à son image.
C'est une expérience de filiation spirituelle que nous devons tenter. Et elle n'est pas impossible. Si vraiment Saint Benoît est notre Père, c'est ainsi que les choses doivent se passer. Nous devons être ouverts devant lui, devant sa personne. Je ne parle pas devant sa doctrine, mais devant sa personne. J'aurais peut-être l'occasion un jour de mieux préciser ma pensée, mais je dois encore laisser mûrir.
Or aujourd'hui, nous observons un puissant courant de vie qui passe de lui en nous, vous allez voir ! Admirons et faisons nôtre le réalisme de Saint Benoît. Il n'a pas une vue idéalisante du moine. Il sait très bien que le moine est promis aux plus hauts sommets de l'ascension spirituelle. Et il l'encourage, son moine.
Mais il sait aussi que son disciple est un pécheur, que le moine porte en son cœur les racines de tous les vices et qu'il est exposé aux pires tentations. Il le sait ! Voyez les deux : un pécheur, et de l'autre côté un saint, un pécheur qui doit devenir un saint. Mais la plus grave de toutes les tentations est celle qui mine la charité et qui peut la détruire.
Mais Saint Benoît - maintenant aspect second de son réalisme - Saint Benoît, s'il est très lucide sur la condition du moine, est aussi foncièrement optimiste. Et c'est là que nous devons admirer sa clairvoyance, sa sagesse, sa sagacité. Car son optimisme est fondé sur une foi vigoureuse. Pour Saint Benoît tout est possible et rien n'est jamais perdu.
Et pour ce qui regarde cette tentation contre la charité, Saint Benoît place sa confiance dans la prière du Seigneur. Qu'est-ce qui a pu miner la charité, comme une eau qui mine un bâtiment et puis qui monte dans les murailles, qui les fait moisir, qui détruit toute l'infrastructure du bâtiment jusqu'à ce que le bâtiment se démembre et finisse par s'écrouler ?
Ce sont, comme il dit, les épines de scandale, ce sont les petites choses qui arrivent entre frères. Ce sont des épines, c'est pas terrible. Mais ça peut être une occasion de chute. Si l'épine n'est pas de suite retirée cela peut s'infecter, produire un abcès, une infection, aller très loin, très loin !
Eh bien Saint Benoît, lui, demande que le matin et le soir, aux deux offices charnières de la journée, que l'Abbé seul chante ou récite l'oraison dominicale, la prière du Seigneur. Pourquoi ? Voyez ici la foi de Saint Benoît: mais parce que l'Abbé tient dans le monastère la place du Christ. C'est donc ici, le Christ, dans la personne de l'Abbé, qui adresse une prière à son Père. Et dans cette prière entre autre, il demande que soient remises les fautes commises comme chacun des frères les remet.
Eh bien, lorsque le Christ demande quelque chose à son Père, c'est toujours exaucé au temps marqué, au temps voulu. C'est la raison pour laquelle Saint Benoît demande que cette prière soit récitée par l'Abbé. Parce que, alors, elle est efficace. Non pas à cause des mérites de l'Abbé, mais parce que par la bouche de l'Abbé, c'est le Christ qui prie son Père.
N'oublions pas que le monastère, c'est le Corps du Christ, que la communauté, c'est la Corps du Christ. Et la tête et la bouche de cette communauté, c'est l'Abbé dans la personne duquel se trouve la plénitude de la présence du Christ, la plus vivante, la plus consciente. Et alors, le Père ne sait pas résister. La prière est toujours exaucée, mais toujours, mais pas immédiatement, au temps voulu.
Voilà, mes frères, Saint Benoît a donc une confiance en Dieu qui du pécheur peut faire un saint. Et nous-mêmes, nous devons nous regarder avec les yeux de cette confiance, nous regarder nous-mêmes et nous regarder les uns les autres et nous dire : voilà, celui-là, il est encore un pécheur mais Dieu est en train d'en faire un saint. Et pour le Christ, tout est possible !
Mes frères,
Si après avoir progressé quelque peu encore dans notre étude de l’office tel qu'il est disposé par Saint Benoît nous nous arrêtons pour jeter un regard en arrière, nous remarquons une particularité propre à l’office de Laudes. Les autres Heures suivent les psaumes les uns après les autres tels qu'ils se présentent.
Pour l’office de Laudes par contre, Saint Benoît va prélever des psaumes à l'intérieur du Psautier et, il y ajoute un Cantique tiré, comme il le dit, des Prophètes. Je signale de suite que l’office de Complies aussi a une structure analogue à celle de l’office de Laudes. Mais pourquoi ces dispositions voulues par Saint Benoît pour Laudes ?
Saint Benoît est très logique dans ce qu'il fait et, c'est pourquoi nous devons toujours prendre garde à ne pas trop toucher à ce qu'il a construit. Car si l’office de Laudes marque un passage, s'il est lui-même lieu de passage entre un état et un autre état : d'un côté, l'obscurité et d'un autre côté, la lumière, il lui donne l'architecture qui rappelle un portique.
Vous avez deux piliers qui sont solides, qui sont immuables, qu'on retrouve dans tous les offices de Laudes. Le premier, les Psaumes 66 et 50, et l'autre pilier, les Psaumes dit de Laudes, c'est à dire 148, 149 et 150. Et cette disposition pour Saint Benoît, cette architecture est capitale. Pourquoi ?
Mais parce que l'homme est un être fragile, faible, pécheur qui est sauvé et transfiguré par grâce. Mais à ce moment-là, il devient pure louange de Dieu. Il devient signe du triomphe définitif de Dieu sur toutes les forces du mal quelles qu'elles soient.
Donc les deux piliers, d'un côté cette certitude que l'homme est pécheur, mais un pécheur qui peut être gracié, qui peut être transfiguré, divinisé. Et sur l'autre pilier, l'autre certitude, c'est que non seulement c'est possible, mais que c'est arrivé. Et ça arrive grâce à ce baptême, cette greffe de notre être sur la personne même de Dieu dans le Christ. Cette greffe, c'est justement le mouvement de passage d'un état à un autre.
Et nous comprenons que ces deux piliers portent un fronton qu'on peut voir, en forme d'arc roman par exemple, et qui n'est autre que l'amour et la fidélité de Dieu, sa miséricorde et sa grâce. Rappelons-nous que pour rappeler aux hommes que la colère de Dieu était terminée, que le péché était oublié, que Dieu était réconcilié avec l’homme, il tendrait, dit-il, son arc dans le ciel aux jours de nuées.
Maintenant, il y a les autres psaumes et le cantique ? Que se passe-t-il ? Eh bien eux, jour après jour, ça change ici. Chaque, ils sont là, ils se présentent devant ce portique et ils le traversent. Nous avons d'abord deux psaumes qui sont tous les deux choisis parce qu'ils font allusion au matin, à l'aurore, à la lumière qui se lève, à la joie que procure le lever d'un jour nouveau rempli de promesses. Ces deux Psaumes sont là, ils s'avancent devant nous et nous avançons avec eux. Ils sont sur nos lèvres. Ils signifient que l'obscurité se dissipe. La clarté naît. Elle se répand.
Mais ça ne va pas encore plus loin. Ils sont toujours, la plus grosse partie de ces psaumes est toujours rattachée à l'état antérieur. Avec eux nous ne franchissons pas encore le portail, mais nous y arrivons, nous sommes en dessous du portail. Ce portail a une certaine profondeur, naturellement. Imaginons le portail d'entrée de notre Abbaye.
Puis vient le Cantique. Et avec le Cantique, tout change. Car Saint Benoît a choisi des Cantiques qui sont tous des chants de victoire, qui sont des acclamations de triomphe après une lutte qui a été dure mais qui a abouti à un triomphe qui est celui de Dieu dans l'humanité, qui est celui de Dieu dans un homme particulier, dans une personne pour laquelle Dieu a voulu devenir homme et mourir, pour chacun d'entre nous comme si chacun était le seul homme au monde.
Ce n'est donc pas quelque chose de, on n'est pas noyé dans une masse impersonnelle. Non, c'est chacun en particulier aimé, sauvé, mais y mettant du sien et participant et à la lutte et à la victoire. C'est donc avec le Cantique qu'on arrive de l'autre côté du portique et que le passage s'opère.
Mais une fois, maintenant, qu'on est de l'autre côté ? Mais à ce moment il n'y a plus place que pour l'allégresse et Saint Benoît va le signifier aussi dans le déroulement de son office. Que trouvons-nous alors ? Mais de l'autre côté, nous trouvons l'Hymne et ensuite le Cantique Benedictus. Vous voyez que la place de l'Hymne dans l’office de Saint Benoît, elle est à ce moment-là.
Naturellement je suis Saint Benoît, ici. Je n'entre pas dans un office qui a été remanié et puis qui, encore ma foi, essaye de s'approcher de Saint Benoît et qui en fait l'a quitté ! Pour Saint Benoît, il est dans la logique que après cet effort, après cette Vigile, cette longue Vigile de pénitence, de conversion, d'attente, de tension, après cette démarche qui nous a conduit jusqu'au bord, jusqu'à la porte de la lumière, et puis la grâce de Dieu qui nous fait franchir ce porche de lumière et qui nous ouvre alors de l'autre côté les espaces immenses d'une joie inaltérable dans la vie incorruptible, c'est à ce moment-là qu'il faut commencer à chanter l'hymne. Car l'Hymne va célébrer cette victoire de Dieu et cette victoire de l'homme dans la personne du Christ.
Car dans la personne du Christ, c'est l'homme aussi qui est vainqueur en même temps que le Dieu. Et vous sentez bien qu'il est illogique de placer cet hymne avant le psaume 50. Cela ne va pas, il y a là quelque chose qui est, il n'est pas à sa place !
Maintenant remarquons que Saint Benoît dans le fond, il n’innove rien, rien du tout. Il le dit à deux reprises dans ce chapitre. Il dit d'abord : On va, donc après le Psaume 50, on va en chanter deux autres, secundum consuetudinem. 13,8 selon la coutume, à savoir le lundi, etc...Selon la coutume ! Mais de quelle coutume s’agit-il ? Il s’agit de la coutume en usage à l'Eglise de Rome. Il va le rappeler à la fin lorsqu'il dit : les autres jours on dira un Cantique tiré des Prophètes comme les psalmodie l'Eglise de Rome, 15,18.
Oui, et les documents sont là pour le prouver, Saint Benoît ne veut pas être un réformateur. Il veut être ce qu'on dirait aujourd'hui un traditionaliste, mais dans le bon sens du mot. Il prend ce que une Tradition, qui est déjà longue avant lui, lui offre. Cette Tradition, elle est porteuse de vie. C'est celle de l'Eglise de Rome, c'est à dire la première de toutes les Eglises. On pourrait essayer de remonter pour voir à quel moment ça a commencé ?
Mais ça, ce n'est pas mon affaire. Mais ce qui est encore remarquable, c'est que cette coutume de ces psaumes et de ces cantiques se retrouve aussi dans l'Eglise d'Orient. C'est donc une coutume qui est propre à l'Eglise comme telle dans son ensemble, dans sa totalité.
Voilà donc quelque chose, ici, qui montre le respect de Saint Benoît, et son esprit de foi qui lui dit que la vie se trouve là dans cette Tradition, dans ce que lui apporte son Eglise à lui. Il ne veut pas dans son monastère faire quelque chose qui sortirait de ses études, de ses réflexions et de tout ce qu'on veut. Non, Saint Benoît se nourrit à la source. Il mange le pain que lui offre Dieu dans l'Eglise, dans son Eglise à Lui.
Donc voilà, mes frères, vous sentez qu'il y a là tout de même des problèmes sérieux qui se posent si nous voulons être fidèles à notre Tradition. Est-ce que nous sommes des cisterciens ou est-ce que nous n'en sommes pas ? Dans le fond, le problème, il est là. Les cisterciens, qu'ont-ils voulu faire ? Ils ont voulu retrouver ceci parce que dans leur monastère et à Cluny, mais ça c'était développé. On avait ajouté, surajouté ! Enfin, ils voulaient revenir à ce que voulait Saint Benoît.
Est-ce que nous autres nous sommes toujours animés de cet esprit ? Ou bien est-ce que nous voulons être des novateurs, c'est à dire inaugurer une tradition qui maintenant ne sera plus cistercienne dans le sens noble du terme. Le problème est là. Et ce problème, je vous l'ai posé le premier jour et je vous le livre encore.....
Mes frères,
Saint Benoît, pour nous parler de l’office des Laudes, même en semaine, use du qualificatif de solennité. C'est là un nouveau trait de son esprit et de son génie car vraiment les Laudes sont un office solennel. Elles nous rappellent le moment où nous passons des ténèbres à la lumière, du péché à l'amour, de la mort à la vie.
Vous savez que dans la Vigile Pascale, l’office des Laudes occupe le moment où nous renouvelons nos vœux de baptême, c'est à dire où nous commémorons le moment où nous avons été greffés sur la Personne du Christ ressuscité et où nous participons à sa mort et à sa résurrection.
Mes frères, l’office des Laudes est ainsi à l’intérieur de notre journée le moment où vraiment nous sommes à l'intérieur du cœur de notre vie monastique. Car, si nous sommes appelés au monastère, c'est afin de pouvoir dès cette vie participer à la résurrection du Christ, ne plus vivre pour nous, mais vivre pour lui, vivre pour les autres et ainsi connaître cet avant-goût du monde à venir qui est promis à tous les hommes de bonne volonté.
Je voudrais en contraste vous présenter une position moderne qui se situe aux antipodes. Elle est défendue par un professeur, jeune, frais émoulu de l'Université Grégorienne de Rome et qui enseigne l'Ancien Testament dans un séminaire belge.
Pour lui, il est totalement aberrant et déplacé de terminer le chant ou la récitation des psaumes par le Gloria Patri. Pourquoi ? Mais parce que, d'après lui, les psaumes se rapportent à l'Ancien Testament. Ils n'ont rien à voir avec le Nouveau Testament. Les psaumes sont une prière juive, donc non chrétienne et, il est inconvenant de les terminer par une doxologie trinitaire.
Là, mes frères, vous avez un point extrême du divorce entre la science et la foi, entre la technique exégétique et la spiritualité. Voici rayée d'un coup de langue toute la Tradition Patristique et Liturgique de l'Eglise. Je racontais cela au Père de la Potterie à Laval. Et il me disait : « Cela ne m'étonne pas parce que ce sont des attitudes que l'on rencontre de plus en plus fréquemment. C'est tragique ! Et l'on se prépare des lendemains terribles si on ne réagit pas. » Et je pense qu'il a raison.
Un peu avant de mourir, le Chanoine Gerfaut disait qu’on allait vers une désacralisation totale de la Bible. Et on y va, c'est presque une fatalité. Il y a des attitudes qui sont moins tranchées naturellement. Mais elles n'en sont pas moins dangereuses. Je vais vous en présenter deux :
Les psaumes, mais on les respecte. Les psaumes, mais on les fait passer sous le scanner pour en étudier, en admirer les moindres détails. Puis on les place derrière une vitrine. Et là, on peut continuer à les examiner. Mais on n'y touche pas, on ne les utilise plus.
Un liturgiste belge connu - il écrit dans les revues - parvient à organiser des offices des Vêpres sans utiliser un seul psaume. Et ça, c'est la liturgie d'aujourd'hui dans une assemblée, donc pas à titre privé !
Vous avez aussi des psaumes - on les rencontre même dans les revues qui sont ici - ce qu'on appelle des psaumes pour aujourd'hui.
Ce sont des psaumes qui chantent les malheurs et les espérances des hommes de notre temps, la révolte des noirs sud-africains, l'amertume des chômeurs, la détresse des jeunes, la révolte des exploités, la révolution en route en Amérique du Sud.
Or, ces ‘’ psaumes ’’ entre guillemets sont chantés dans des célébrations liturgiques aujourd'hui. Ce sont les psaumes qui répondent à la mentalité et aux besoins de notre temps. Eh bien, vous voyez à quelle distance nous sommes de Saint Benoît.
Le Père de la Potterie me faisait remarquer que, pour lui, c'est dans les monastères que se trouvait le salut. Et je pense que nous devons tenir ferme à ce que nous possédons : cette Parole de Dieu, c'est pas une parole d'homme. Cette Parole de Dieu qui nous est confiée, c'est Dieu Lui-même - ne l'oublions pas - qui se présente à nous sous la forme d'un écrit.
Il s'est coulé dans des mots humains avant de se présenter à nous dans une chair humaine. Naturellement, il y a une différence, il ne faut pas les confondre, mais malgré tout, c'est la Parole de Dieu.
Mais voilà, assez pour ce soir. Maintenant vous voyez un peu, vous comprenez un peu mieux ce qui se passe. Vous voyez un peu quel est notre devoir. Et un de ces jours, j'irai encore un peu plus loin pour présenter d'autres choses encore, qui sont déjà un peu plus anciennes, qui datent de quelques années, mais qui n'ont pas encore perdu leur actualité aujourd’hui.
Mes frères,
L'Humilité de la prière se nourrit d'une double vérité : la conscience aiguë d'être enfoncé dans le péché et la certitude absolue d'en être libéré un jour. Il s'agit donc d'opérer un passage de l'esclavage à la liberté, d'une espèce de mort à la vraie vie. N'ayons pas peur, mes frères, n'ayons jamais peur d'être lucides sur notre état. Le Christ lui-même nous a dit que la vérité était génératrice de liberté.
Les passions attisées par le péché qui nous habite nous entraînent dans mille misères : des misères avec nous-mêmes, elles ne nous laissent pas goûter la paix du cœur, notre cœur est toujours agité ; des misères avec nos frères contre lesquels les passions nous dressent, même et surtout en pensées ; des misères avec Dieu que l'on quitte à tout bout de champ.
Mes frères, ce n'est pas cela s'appeler vivre, parce que c'est le triomphe en nous de la partie animale : l'homme psychique, l'homme livré à lui-même dont nous parle l'Apôtre Paul, l'homme sous le joug du péché, l'homme replié sur lui-même.
Vous savez que certains saints ont obtenu de Dieu le don des larmes. Mais c'est parce que ils ont une lucidité exacerbée sur leur propre état et sur l'état des autres hommes. Ils ne peuvent supporter cette vie. Ils voient trop la misère générale dans laquelle on est enfoncé. Et alors, ils en pleurent.
Et ils en pleurent aussi parce qu'ils voient Dieu, Dieu qui patiente, qui doit supporter tout ça, et Dieu qui en souffre. C'est dans leur cœur la propre souffrance de Dieu, cette souffrance qui rend Dieu inquiet de l'homme, comme l'a rappelé Frère Jacques dimanche, et qui force Dieu à s'occuper de nous, à devenir l'un d'entre nous pour tenter de nous en sortir.
Il est nécessaire, mes frères, que la prière nocturne d'hommes enténébrés débouche finalement sur la lumière, sinon ce serait l'échec de notre vie. Il faut que cette prière aboutisse à quelque chose. C'est le mouvement spontané de l'humilité.
Je parle toujours, je le rappelle, de l'humilité de la prière. Je suis un pécheur. Je le sais. J'en prends conscience chaque jour davantage. Mais je sais que Dieu a pris sur lui mon péché et que bientôt il me donnera sa vie qui est lumière et charité. Alors, nous retrouvons le sens pédagogique de notre Père Saint Benoît.
En pédagogue avisé, il passe des Vigiles nocturnes à la prière matinale. Il peut opérer ce passage, il doit même le faire car la conscience de notre péché ne peut nous accabler outre mesure. Elle ne peut pas nous désespérer. Et une délivrance nous est offerte, cette délivrance dont nous avons besoin.
Tout cela, mes frères, Saint Benoît l'évoque dans ce passage des prières nocturnes à une prière matinale. Et voyons comment il procède, il nous le rappelle aujourd'hui dans le détail. Il prend appui et il prend élan sur l'aveu du péché - donc le Psaume 50 - pour mettre sur nos lèvres les Psaumes de lumière. Il les a détaillés ici. Dans tous ces Psaumes, il est question de la lumière matinale.
Lumière matinale d'abord de l'aurore qui se lève, mais aussi lumière matinale ..... ..... ....., cette prière qui nous a été apportée par un homme qui est Dieu en personne. La lumière du Christ - c'est ce que Saint Benoît veut nous dire, et nous devons le croire - la lumière du Christ se lèvera un jour pour nous avec autant de certitude que la lumière du soleil.
D'ailleurs, le véritable soleil, c'est le Christ, lui qui est la lumière née de la lumière inaccessible et qui est capable de transformer l'homme en lumière. Le soleil naturel, il est là, c'est certain. Sans lui, nous ne pourrions pas vivre. Il est caché maintenant par les nuages. Nous le sentons. Nous ne sommes pas bien dans notre peau car à cette saison-ci, le soleil devrait être là.
Eh bien, ce soleil qui est indispensable à notre vie, il est pour notre œil, pour l’œil de notre foi, il est le signe et le symbole d'un autre soleil, ce soleil qui est le Christ Jésus ressuscité des morts.
Ah mes frères, quelle joie, quel soupir de soulagement lorsque les yeux du cœur peuvent enfin voir cette lumière. Ils ne peuvent pas regarder le soleil qui est le Christ parce qu'ils en seraient éblouis. C'est impossible, on ne peut pas regarder ce soleil. Mais ils voient tout de même la lumière qui est diffusée par ce soleil.
Et alors la foi, cette foi qui est toujours obscure - nous le savons que trop - cette foi, eh bien, elle commence à s'éclairer et elle cesse presque à être la foi que nous connaissons habituellement pour passer déjà à un mode de vision qui est celui de l'éternité.
Eh bien, nous devrons dans notre prière, dans le passage de notre prière de la nuit à la prière du matin, nous devrons savoir que cette grâce nous sera donnée un jour, ou bien dès cette vie, ou bien, mais alors certainement, dans l'autre vie.
Et nous voyons que cette prière matinale finit par s'épanouir comme une louange. Ce sont les psaumes laudate ou les psaumes Alléluiatiques comme on dit. Il n'y a plus en eux aucune trace de péché, d'aveu. Ils ne font que chanter leur gratitude pour la victoire définitive sur le péché et sur le mal. Ils ont une saveur d'Apocalypse.
Lorsque nous arrivons à ces Psaumes, faites bien attention ! Nous sommes vraiment déjà de l'autre côté de la frontière du temps. Nous sommes, voilà nous sommes déjà dans l'éternité. C'est la raison pour laquelle il est indispensable de les chanter soit dans leur version longue, soit dans une version abrégée. Mais ils doivent être là, parce qu’à ce moment-là, tout est acquis.
Voyez, mes frères, comme Saint Benoît nous conduit, comme Saint Benoît nous enseigne et comme il nous encourage. Il nous fait ainsi revivre chaque jour en quelques heures - depuis que nous nous levons jusqu'au moment où nous achevons l’office des Laudes - il nous fait revivre tout le mouvement, toute la ligne de notre existence humaine.
Alors, qui que nous soyons, mes frères, et où que nous soyons, ne l'oublions pas. La sainteté est pour nous si nous nous laissons emporter par le dynamisme de notre foi et si la vraie prière, celle ici de notre Père Saint Benoît, est notre respiration.
On va dire : « Oui, mais il y en a qui ne peuvent pas venir à l’office de Nuit, à cause de leurs occupations par exemple, ou de leurs infirmités ! » Et bien, ça n'a pas d'importance, par le cœur ils y sont. Ils sont ailleurs par obéissance. Et alors ils sont une cellule du Corpus Monasterii et nous y sommes pour eux. On est tous solidaire dans le monastère.
Et bien, maintenant nous irons à l'église remercier Dieu pour les grâces qu'il nous accorde. Nous ne connaîtrons jamais assez notre bonheur. Je ne veux pas comparer notre bonheur à celui des gens du monde. Loin de là. C'est un bonheur précieux aussi.
Mais le bonheur que Dieu nous accorde, c'est cette faveur de lui être infiniment proche et de lui être semblable, c'est à dire que nous ne vivons plus pour nous, mais nous vivons pour Lui et pour nos frères.
Mes frères,
Saint Benoît demande que matin et soir le supérieur dise l'oraison dominicale au milieu de l'attention générale. Mais pourquoi Que se passe-t-il donc ?
Remarquons d'abord que nous avons ici pour la première fois une allusion à un office du soir. Cela signifie que la prière doit englober la journée, l’embrasser comme elle enveloppe et embrasse la nuit. Il n'y a rien dans notre vie, dans l'étalement de nos journées et de nos nuits qui ne doive échapper à la prière. Notre prière doit devenir perpétuelle.
L'idéal du moine aux origines de la vie monastique, était le frère parvenu à l'oratio continua, à la prière continue. Cela ne signifie pas qu'il ait récité des prières à longueur de jour ou de nuit. C'est son être qui était devenu prière. Il était devenu prière à cause de l'humilité dans laquelle ce frère était descendu.
Et sa respiration, tout ce qui se passait dans son cœur, tout ce qui lui passait par la tête avait rapport à Dieu, avait rapport à l'avènement du Royaume de Dieu dans le monde, mais d'abord dans le cœur de cet homme. Nous voyons ici chez Saint Benoît une trace de cet esprit, de ce désir.
Notez en second lieu que l'Abbé est appelé le Prior. On traduit ici par le Supérieur, mais en fait c'est le Premier. Il ne cesse pas d'être Abbé, d'être le Vicaire du Christ. Il l'est plus que jamais. Mais ici, il agit en tant que tête du Corpus Monasterii. Il en est solidaire. Il en est le premier responsable. Il en va de lui comme du Christ qui est la tête de l'Eglise, cette Eglise pour laquelle il a donné sa vie et de laquelle il répond devant son Père.
Vous voyez donc ici l'Abbé en tant que tête du Corps qu'est cette Communauté, en tant que tête de la Communauté et en tant que Vicaire du Christ, le voilà qu'il chante l'Oraison Dominicale. C'est la prière improvisée par le Seigneur Jésus, la prière qui résume toute prière et qui est toujours exaucée.
Et l'Abbé, ici, comme Saint Benoît le demande, il récite cette prière comme confession d'un état de pécheur. Il dira l’Oraison Dominicale à cause des épines de scandale qui ont accoutumé de se produire, 13,26. Il existe un péché collectif de la communauté, et sur ce péché collectif germent des épines, des épines qui blessent la charité, des épines qui blessent les frères, qui les font tomber.
Eh bien, ces épines-là doivent être arrachées, elles doivent être étouffées. Et c'est la raison pour laquelle l'Abbé, qui est solidaire de ses frères, va réciter l'Oraison Dominicale, je le répète, en tant que tête de la communauté, mais en même temps en tant que Vicaire du Christ.
Vous voyez comme Saint Benoît voit les choses avec justesse. Si l'Abbé est Vicaire du Christ, il doit réciter cette prière parce que le Christ étant tête de l'Eglise, le Christ est tête de la communauté. Et il est tête de la communauté en la personne de l'Abbé. Et si l'Abbé récite cette prière du Seigneur, il prend sur lui le péché de ses frères comme le Christ a pris sur lui le péché de tous les hommes.
Et le chant de cette Oraison dominicale est à mon avis, ....... que vous soyez d'accord, c'est le moment solennel de la célébration. Et Saint Benoît est probablement de cet avis car il dit que tous doivent écouter, omnibus audientibus, 13,25. Donc audire, pour Saint Benoît, demande, exige une attention spéciale. L'oreille doit être tendue.
Il faut écouter comme on écoute quelque chose de beau, quelque chose qu'on a envie d'écouter parce que ça réjouit le cœur et ça élève l'âme. Cela réjouit le cœur parce que on sait à ce moment que on peut tout demander à Dieu ; et ça élève l'âme parce que ça arrache l'âme à son égoïsme et à sa bassesse.
Voilà, mes frères, Saint Benoît nous ramène à la vérité de notre condition. Il met dans notre cœur une prière humble, cette prière que l'Abbé dit tout seul. Mais il le dit - je ne le répéterai jamais assez - en tant que tête solidaire de tout le Corps. Et cette prière humble, si elle est bien écoutée dans la foi et dans l'amour, par cette prière on fait confiance à Dieu et on fait confiance aux autres, et on retrouve la confiance en soi.
On fait confiance à Dieu pour lequel on est dans le monastère, Dieu qui sait tout pardonner. On fait confiance aux autres parce que du fond du cœur on leur pardonne les torts qu'on a pu leur avoir fait, et on retrouve confiance en soi parce que étant de nouveau en harmonie avec Dieu et avec les frères, on est dans la charité et on peut de nouveau grandir et s'épanouir.
Mes frères, Saint Benoît est vraiment celui qui peut nous conduire là où nous sommes attendus. Dans trois mois, dans quatre mois plutôt, nous va revenir encore ce chapitre qui est déjà venu combien de fois ?
Eh bien, chaque fois que je retrouve un chapitre de la Règle, il me semble que c'est pour la première fois que je le lis. J'ai oublié tout ce que j'ai pu dire avant. Pour la première fois je le rencontre et ça me paraît chaque fois tellement beau.
Et cela, parce que il y a dans le cœur de Saint Benoît des richesses inépuisables. Elles ont été placées par notre Christ pour nous afin que nous soyons de vrais fils de Saint Benoît et que nous devenions de vrais enfants de notre Dieu.
Mes frères,
Saint Benoît dans sa sollicitude paternelle a caché des perles infiniment précieuses sous la lettre de sa Règle. A nous de les découvrir et de nous en parer. Il y en a encore une aujourd’hui, et parmi les plus belles. Peut-être demeure-t-elle dissimulée à nos yeux ?
Il n’y a rien de plus pernicieux en effet que l’accoutumance. Le voile de l’habitude, de la lassitude - car on entend toujours répéter la même chose - finissent par engendrer l’indifférence. On n’entend plus, ne voit plus, la tête et le cœur divague au loin.
Il en est de même durant la célébration de l’Opus Dei. Au lieu d’écouter la Parole de Dieu et de nous laisser imprégner, fertiliser et féconder par elle, bien souvent notre cœur est ailleurs.
C’est une des faiblesses de notre condition charnelle. Nous ne devons pas nous en étonner, ni nous en scandaliser. Le Christ lui-même a fait l’expérience de cette fragilité, de cette vulnérabilité, si bien qu’il nous comprend par le dedans. Mais enfin, soyons tout de même attentifs et prudents et ne laissons pas les choses aller trop loin.
Un adage de la philosophie antique est Fais ce que tu fais ! Sois bien à ce que tu fais et non pas à autre chose car la vérité, le lieu de rencontre avec Dieu est ici et maintenant. Il n’est pas dans le passé, il n’est pas dans un avenir incertain, il est ici et maintenant.
Rappelons-nous cette petite parabole que le Christ nous a encore répétée il y a quelques jours : Cette nuit même, on te réclamera ton âme ! Et alors, tout ce que tu as amassé, pour qui sera-ce ? Voyez ! C‘est pour ça, soyons à ce que nous faisons !
Car, ce ne sont pas les soucis du lendemain, pour soi ou pour les autres, ce ne sont pas les divertissements imaginaires parce que la vie serait trop dure, qui vont nous conduire à la vérité toute entière. C’est uniquement le Christ auquel nous nous attachons de toutes nos forces qui est la Vérité, et la Vie, et le Chemin.
Mes frères, je répète là des choses que nous connaissons, des choses qui sont des évidences. Mais il est bon de nous les remémorer de temps à autre parce que elles sont fondamentales dans toute vie chrétienne humaine et surtout monastique.
Eh bien, aujourd’hui, Saint Benoît nous présente un joyau très, très précieux. Il nous ouvre en effet la voie royale du pardon. Pardonnez-nous, dit-il, comme nous pardonnons, 13,29. Est-ce que nous nous rendons compte de ce que nous disons ? Vraiment, nous nous mettons nous-mêmes le couteau sur la gorge, oui ! Et alors, pensez-vous que le pardon soit facile ?
Eh bien, à mon avis, un des actes les plus onéreux et les plus difficiles qui soit, c’est de pardonner. Nous pardonner à nous-mêmes d’abord, car comment pouvons-nous pardonner aux autres si nous ne nous pardonnons pas à nous-mêmes ? Cela ne veut pas dire que nous devons être indulgents vis-à-vis de nous-mêmes, non, mais nous pardonner à nous-mêmes !
Et pardonner à nous-mêmes, c’est pardonner à ceux qui nous ont faits tels que nous sommes ; c’est à dire nos parents, nos grands-parents, nos ancêtres en remontant indéfiniment jusqu’à Adam. Et puis, pardonner aussi à tous ceux que nous avons rencontrés, toutes les circonstances dans lesquelles nous avons été enfoncés malgré nous. Il faut pardonner à tout ce monde pour nous pardonner à nous-mêmes.
Et alors, nous nous acceptons tels que nous sommes dans notre état actuel. Et nous acceptant tels que nous sommes, nous acceptons aussi les autres tels qu’ils sont et, nous leur pardonnons à l’avance, pas seulement après, mais aussi à l’avance.
Eh bien, mes frères, un pardon d’une telle qualité, c’est à proprement parler un acte divin. Il n’est pas possible à l’homme, aussi parfait qu’il soit, de poser un acte de cette nature. Il dépasse les capacités de l’homme.
Dieu nous a pardonné à nous dans le Christ. Cela veut dire que le Christ est le pardon incarné de Dieu. Et il ne faut pas oublier ce que ça représente : ça représente pour le Christ Jésus la mort sur une croix. Il a fallu que Dieu aille jusque là pour nous pardonner dans le Christ.
Car pardonner, c’est prendre sur soi la faute que l’autre a commise à notre endroit. C’est ça la difficulté ! C’est pas seulement dire : « C’est bon comme ça ! Allez, on efface, on oublie et puis on continue ». Non, c’est prendre sur soi l’offense reçue. C’est ce que Dieu a fait. Mais alors on en meurt !
Le Christ est mort physiquement. On en meurt psychologiquement parce que on devient autre, c’est à dire que notre égoïsme reçoit le coup de la mort. Et ce n’est pas simple parce que notre égoïsme, notre ego, c’est nous, c’est notre sécurité. Eh bien, on n’a plus de sécurité, alors c’est une espèce de mort. C’est tout cela que Dieu nous dit dans la personne du Christ mourant sur une croix.
Mais ça ne s’arrête pas là. Il y a après cela la résurrection du Christ. Le Christ Jésus ne se ressuscite pas tout seul, c’est Dieu qui le ressuscite, Dieu son Père. Et la résurrection, c’est le signe du pardon accordé. C’est complet, c’est achevé et Dieu s’affirme comme Dieu, c’est à dire comme celui qui peut pardonner.
Nous allons en rester là pour ce matin, mes frères. Il faudrait creuser un peu ce mystère : en quoi consiste le pardon ? C’est déjà aujourd’hui quelques petites touches, mais je pense que nous pouvons encore aller plus loin. Et notre joyau que nous avons découvert, c’est un diamant bien taillé, avec beaucoup de facettes.
Et chaque facette reflète la lumière avec des nuances différentes, des nuances de plus en plus riches. C’est cela que nous essayerons de contempler dans les jours qui viennent et dans la mesure où Dieu nous ouvrira les yeux.
Mes frères,
Il y a quatre mois, j'avais épinglé à votre intention une perle cachée par Saint Benoît dans le terreau de sa Règle. Je n'ai plus eu l'occasion de vous en parler. Je vais vous en détailler la beauté. Il s'agit, vous l'avez peut-être compris, il s'agit du pardon mutuel.
Saint Benoît demande à l'Abbé de réciter, en entier, et au milieu de l'attention générale, l'oraison dominicale, à cause des épines de discorde qui ont accoutumé de se produire, 13,21. Alors il en arrive à pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons, 13,29. Et je vous disais que le pardon des offenses n'allait pas de soi. C'est un acte difficile et même très difficile. C'est à proprement parlé un acte divin.
Je ne sais pas si je vous ai dit cela, mais un grand philosophe et en même temps psychologue français enseigne que le pardon est indigne de l'homme. C'est une lâcheté. L'homme doit prendre sa revanche. Il doit faire en sorte que l'offense qu'on lui a faite soit rachetée. C'est presque oeil pour oeil, dent pour dent qui est une limitation du droit de vengeance. Il ne faut pas aller plus loin. Et ça, dirait-on, c'est un principe du droit naturel : l'homme doit se venger.
Je me souviens, pendant la guerre, que les allemands avaient écrit sur certains murs en grandes lettres à la chaux : la vengeance arrive ! Ils allaient prendre leur vengeance contre les bombardements qui étaient effectués sur les villes allemandes.
Oui, et cette vengeance, dans leur esprit, c'étaient les bombes volantes. Nous avons expérimenté les V1 et les V2, mais ça allait beaucoup plus loin, il y avait les bombes V3, V4, V5, V6...et la dernière étant la bombe atomique. Heureusement cela s'est terminé à temps pour nous ! Voyez la vengeance !
Le pardon est a proprement parlé un acte divin. Nous devons permettre à Dieu d'achever en nous le pardon qu'il nous a donné dans le Christ. Pour bien sentir la difficulté du pardon, rappelons-nous toujours que pour pardonner, Dieu a dû mourir sur une croix. Et la résurrection, c'est la manifestation du pardon accordé.
Mes frères, en quoi consiste le pardon ? D'abord, le Christ nous a fixé une norme. Nous devons pardonner comme Dieu nous pardonne. Plus exactement il dit que Dieu va nous pardonner comme nous pardonnons. Mais nous pouvons retourner la sentence et je le fais : nous devons pardonner comme Dieu nous pardonne.
Or, le fait équivalant - il n'y a pas de fait qui marque le pardon - c'est un pardon qui reste encore au stade humain. C'est déjà bien, c'est déjà beau, parce que déjà à ce niveau-là, c'est Dieu, c'est le Christ qui en nous exerce la puissance du pardon. Mais nous devons aller plus loin.
Nous ne devons pas pardonner comme un homme habité par le Christ pardonne, mais comme Dieu lui-même pardonne. Il faudra que nous réfléchissions à cette façon de pardonner qui est celle de Dieu. Nous devons laisser le pardon de Dieu affluer en nous et se répandre à flots sur les autres.
Tous les jours, au début de l'Eucharistie, nous nous reconnaissons pécheurs et nous implorons le pardon de Dieu sur nous. Chacun le fait pour son compte et l'assemblée le fait pour elle en tant qu'Eglise.
Mais nous devons aussi à ce moment-là aussi dans notre cœur penser aux autres, à ce qu'ils nous ont fait, à ce que nous leur faisons. Et puis, que le pardon aussi recouvre tout le monde, qu'il y ait comme un réseau de pardon qui se tisse entre nous comme un filet de pardon.
Et ainsi, nous sommes devant Dieu une communauté, une assemblée, une Eglise qui attend de lui la pureté, qui attend de lui un pardon qui efface tout.
Luther avait une Proposition qui à l'époque était reconnue comme hérétique. Il disait que Dieu couvrait les fautes ; il les couvrait, mais que dans le fond elles étaient toujours là. Il les couvrait pour ne plus les voir, mais elles étaient toujours en dessous. Nous n'allons pas faire une querelle de mots, une dispute de théologiens. Mais on pourrait comprendre ça de cette façon-ci - je pense que c'est cela qu'il voulait dire puisque maintenant il y a eu une déclaration commune reconnaissant que, ma foi, les Propositions Luthérienne étaient tout de même suffisamment catholique -.
Donc qu'il voulait dire que en dessous il reste toujours que nous sommes des pécheurs et que la faute malgré tout, elle est toujours en nous, elle est toujours latente en nous, elle attend toujours le moment de redresser la tête et puis de se manifester. Nous devrions être pardonnés une fois pour toutes de manière à ce que nous ne retombions plus dans le péché. Mais ça, ce ne sera possible que dans le monde à venir.
Et comme Saint Benoît le dit bien, au sommet de sa fameuse échelle, le moine qui est parvenu à la porte de la sainteté, il ne peut que répéter le sentiment qui est en lui que il est toujours un pécheur. Il pèche à longueur de journées parce que voilà, il n'est pas parfaitement ajusté aux vouloirs de Dieu, à la lumière de Dieu, à la sainteté de Dieu. C'est ça !
Donc il est fatal que le péché qui est en nous nous mette alors dans des situations de pécheur et que nous nous heurtions les uns les autres. C'est ça que nous devons nous pardonner. Le fait de ne pas pardonner l'autre, de ne pas nous pardonner, eh bien, ça nous arrête dans notre marche. Nous restons bloqués.
Attention ! ça nous alourdit, on devient comme du plomb et on ne sait plus avancer. Tandis que le pardon, lui, il nous libère, il nous dégage, il nous rend plus léger, il nous donne des ailes.
Alors, pour Saint Benoît, les Offices de Laudes et des Vêpres ne devront jamais se conclure sans que le supérieur dise, en dernier lieu, en entier, et au milieu de l'attention générale, l'oraison dominicale, 13,25. Mais pourquoi, pourquoi cela ?
Mais tout simplement parce que dans le monastère, l'Abbé tient la place du Christ. Et le Christ, par la bouche de l'Abbé, rappelle le devoir impérieux du pardon. C'est l'oraison dominicale, c'est l'oraison qui nous a été enseignée par le Christ. Donc le Christ de nouveau, de nouveau nous dit : " C'est ainsi que vous ferez, et c'est ainsi que vous vous pardonnerez."
Il y a maintenant quand on ouvre les premières pages de l'Ordo, on s’aperçoit que l'oraison dominicale devrait être dite par toute la communauté, la communauté entière comme ça se fait durant l'Eucharistie. Je pense que à ce moment-là, c'est la communauté qui demande, voilà, que le pardon mutuel puisse s'exercer.
Mais à mon avis, il y a là un défaut. D'ailleurs bon nombre de communautés ne pratiquent pas ainsi et ont conservé la façon de faire de jadis. C'est que l'oraison dominicale, lorsqu'elle est récitée, elle doit l'être par l'Abbé parce que, encore une fois, c'est le Christ une nouvelle fois qui nous dit : Voilà comment vous devez faire !
Mes frères, nous comprenons alors que notre vie, si elle n'est pas construite, édifiée sur une vision permanente de foi, elle peut s'infléchir, elle peut dévier vers des comportements trop naturels et trop charnels. Mais il n'est pas possible de rester toujours au niveau de la foi ! Et c'est là encore une des sources du péché, une des expressions du péché.
Mais voilà, c'est ainsi, nous ne devons pas le prendre au tragique. Non, nous devons l'accepter et nous dire que Dieu nous aime à travers notre péché. Et il nous aime tellement qu'il a voulu être fait péché sans jamais le commettre, être fait péché de manière à pouvoir prendre tout sur lui et nous en débarrasser une fois pour toutes.
Mais cette fois pour toutes, elle ne peut pas être instantanée. Elle ne s'opère qu'à l'instant où nous sommes définitivement libéré d'une ...?... ...?... ...?... . Nous avons reçu notre ...?... ...?... et nous pouvons vraiment alors être libres d'aimer.
Mes frères,
Avant de quitter pour quelques mois la disposition prévue par Saint Benoît pour l’Office Divin, je voudrais faire un petit saut en arrière et revenir à l’endroit où il prescrit à l’Abbé de réciter l’oraison dominicale au milieu de l’attention générale, et cela à cause, dit-il, des épines de discorde qui ont accoutumé de se produire, 13,27. S’il fallait traduire littéralement, ce serait : des épines qui font tomber, des scandalorum spinae, 13,26.
Mais en quoi consistent ces épines ? C’est cela qui pourrait être intéressant. Saint Benoît ne le dit pas. Il suffit d’entrer dans notre cœur, de voir ce qui s’y passe, pour y reconnaître ces épines. Ce qui dit épine, dit piqûre ! Et une piqûre, elle peut s’envenimer si l’épine n’est pas extraite tout de suite, et si la plaie n’est pas soignée.
Si cette épine qui fait tomber n’est pas de suite extraite de la plaie, il risque de s’introduire une dysharmonie, un défaut d’harmonie entre ma vie personnelle, ma vie monastique, ma vie de solitude et la vie commune. Car, l’épine qui s’est fixée dans mon cœur, elle a été introduite à la suite d’un incident – nous allons un peu voir de quoi il peut s’agir – et elle peut me mettre dans un état de peur, oui, et d’autoprotection vis-à-vis des autres. Ici, ce qui peut être finalement blessé, c’est la vie commune, c’est l’harmonie à l’intérieur de la communauté.
Vous savez que les imaginations, les traumatismes hérités de la petite enfance, les susceptibilités, les soupçons, le démon aussi, ils peuvent gonfler démesurément un incident mineur. Il importe donc d’appliquer de suite le remède. Et pour Saint Benoît, c’est le pardon. Nous y reviendrons tantôt. Mais en quoi consistent ces épines qui peuvent nous faire tomber ?
Eh bien, ce sont tout simplement les conflits relationnels inhérents à toute vie commune. Ils surgissent inopinément à partir d’un geste, d’une parole, d’un regard, d’une attitude. Ce n’est pas parce que je pense que cela est bien, ce n’est pas parce que ce que je dis ou fait procède d’une intention droite que automatiquement autrui va le recevoir comme tel. Sa réaction pourra être tout autre. Elle pourra être négative et même agressive.
Nous avons chacun notre personnalité, chacun notre façon de voir, de sentir, de réagir. En toute innocence, un conflit peut surgir et, tout peut se passer à l’intérieur du cœur. Il n’est pas nécessaire que cela s’exprime au-dehors.
Et généralement, la source de ces conflits relationnels se trouve dans un quiproquo. J’ai voulu dire ou faire ça, et l’autre, il a entendu ou il a vu une partie de ce que j’ai dit ou fait, ou même il a peut-être compris le contraire. Voilà un quiproquo !
Sur ce défaut d’harmonie entre le dire et l’entendre, entre le dit et l’entendu se greffe alors facilement des pensées et des agir divergents entre les deux personnes. C’est le lieu idéal pour les agressivités refoulées et pour les défoulements agressifs.
Il m’arrive parfois d’entendre cette réflexion : « Vous avez dit ça ! ». Je n’ai jamais dit ça, mais l’autre a compris ça. Vous voyez, c’est ainsi ! Et je vous le dis encore une fois, tout cela est parfaitement innocent mais cela peut être la source d’une infection entre les deux personnes.
Et ce sont donc des conflits en tout genre, anodins, minimes, infantiles, idiots, empoisonnants, déstabilisants, opiniâtres, toutes sortes de conflits relationnels. Cela ne veut pas dire que l’on ne s’aime pas, loin de là ! Ce qui se passe en communauté se passe aussi à l’intérieur d’une famille, à l’intérieur d’un couple pourtant bien uni. C’est inhérent à notre nature et bien souvent, c’est infantile et idiot ! Mes frères, nous sommes comme ça, et l’admettre, c’est déjà distiller un petit baume sur la plaie. Si on n’y prend pas garde, alors comme je le disais, ça pourrait s’infecter.
Maintenant pour Saint Benoît ? Eh bien pour Saint Benoît, la manière de couper court aux pensées et aux mises en scènes qui pourraient, si elles n’étaient pas stoppées, tourner à la faute, c’est qu’il ne faut pas tant éplucher le quiproquo, mais il faut se tourner vers Dieu. Il faut donc faire comme le passereau qui s’est échappé du piège, qui s’est échappé du filet : il est libre.
Et il faut prier Dieu en son pardon, le prier de nous pardonner, de nous donner la grâce du pardon mutuel. L’oraison dominicale dite, comme Saint Benoît le prévoit, par le supérieur, donc par l’Abbé, par celui qui, dans le monastère, au regard de la foi, tient la place du Christ ; l’oraison dominicale dite en dernier lieu à Laudes et à Vêpres, mais en dernier lieu, en entier, au milieu de l’attention générale.
Il faut faire silence, c’est l’oraison dominicale. Ce n’est pas n’importe quelle oraison. Ce n’est pas une oraison de l’Eglise comme il y en aura après. Non, c’est l’oraison du Seigneur. C’est la sienne, donc il faut vraiment y prêter attention. Eh bien, cette oraison, alors, elle devrait retentir à nos oreilles et nous désencombrer mentalement et nerveusement des pensées entretenues au sujet des autres.
Donc, l’oraison dominicale prévue par Saint Benoît et dite par l’Abbé, elle nous replace dans la vérité de ce que nous sommes. C’est à dire que nous sommes des pécheurs, des êtres fragiles, faibles, vulnérables, des êtres instables et, cette oraison dominicale, elle est un appel au secours. Elle implore le pardon, le pardon pour nous, le pardon pour les autres.
Alors, nous nous enracinons dans la vérité et nous désamorçons toutes les pensées qui pourraient fermenter à l’intérieur de notre cœur. Nous laissons tout tomber. Nous décrochons de l’épine et nous nous installons chez Dieu, là où est notre véritable lieu, où est le lieu de notre vérité, de notre paix et le lieu de notre avenir.
Pour terminer, je dirais ceci : l’oraison dominicale, si elle est bien vécue par chacun, si elle est bien vécue communautairement, elle est le lieu idéal pour nous délivrer de ce mal qu’est la mesquinerie. La mesquinerie, c’est un mot qui vient de l’hébreu et qui signifie étymologiquement la pauvreté. Le mesquin, c’est l’homme qui est pauvre. Mais dans la langue française, cela a pris un tout autre retentissement. Le mesquin, c’est celui qui est pauvre en personnalité, c’est celui qui est pauvre en jugement, c’est celui qui est pauvre en véritable intelligence.
Et alors, cet homme-là, il n’est pas bien dans sa peau, il voit le mal partout. Il reçoit, il lui semble recevoir des injures de tout côté. C’est la mesquinerie ! C’est le contraire de ce que doit être un moine.
Le moine doit être un homme noble, un homme aux vues larges, un homme au cœur ouvert, un homme qui sait comprendre les autres, un homme qui ne se laisse pas facilement déranger par ce qu’il voit. Pourquoi ? Mais parce que dans son cœur vibre la puissance de l’amour, exactement le contraire de la mesquinerie.
Eh bien, mes frères, pour nous guérir de ce mal, faisons attentions à l’oraison dominicale, laissons-la entrer dans notre cœur ; ouvrons nous à elle ! Et nous verrons qu’elle produira des fruits de salut pour chacun, des fruits de salut pour la communauté. Il ne peut pas en être autrement car c’est l’oraison du Seigneur !
Table des matières
Chapitre 13 : Des Laudes aux jours ordinaires. 17.06.85
Chapitre 13, 1-22 : Des Laudes ordinaires. 15.02.84
Chapitre 13 : Des Laudes aux jours ordinaires. 16.10.85
Chapitre 13, 1-22 : Des Laudes ordinaires. 16.07.87
Chapitre 13, 23-fin : Des Laudes ordinaires. 17.06.87
Chapitre 13, 23-fin : Des Laudes ordinaires. 23.10.94
Chapitre 13, 12-fin : Des Laudes ordinaires. 16.02.95
Chapitre 13, 23-30 : Des Laudes ordinaires. 25.06.96