Chapitre 12 : Des Laudes du dimanche.          14.02.84

      Passer des ténèbres à la lumière !

 

Mes frères,

 

            Nous remarquons d'abord le nom donné par Saint Benoît à cet office. Il parle de matutini, ce qui est très expressif ! Ce sont les prières répandues devant Dieu au matin, c'est à dire au moment où la clarté du soleil commence à se répandre peu avant son lever. La nuit disparaît et lentement le jour approche. C'est l'aurore ou l'aube.

            Au lieu de le traduire par Laudes qui ne veut rien dire dans le contexte, il faudrait le traduire par office du matin ou office de l’aube ou office de l'aurore comme autrefois on avait la messe de l'aurore.

 

            Il y a donc là une transition entre la nuit et le jour, c'est l'entre-deux. L’office va donc marquer un passage. Et ce symbolisme est bien exprimé par la course du soleil tous les jours. Malheureusement c'est entièrement occulté aujourd'hui par nos horloges.

            Nous célébrons l’office de Laudes à 6,30 h. A un certain moment de l'année, ça tombe bien, nous sommes là à l'aube. Mais pendant une grande partie de l’année, c’est trop tôt ou bien c'est trop tard. Il faudrait pouvoir suivre la course du soleil pour célébrer l’office.

            Il paraît que le Père Adalbert de Vogué qui vit en ermite à la "Pierre qui vire" s'attache lui - il est tout seul et c'est facile - à suivre l'horaire de Saint Benoît d'après la course du soleil.

 

            Donc, tous les jours ça change ! Et c'est un casse-tête paraît-il. Nous ne sommes plus habitués, nous, à cela. Enfin, quand on est tout seul, cela peut se faire, mais pour toute une communauté ce serait plus difficile. Surtout par exemple lorsqu'il faut brasser, qu'il y a des déclarations à déposer, puis des clients qui arrivent, et les ouvriers. Nous sommes maintenant asservis au régime de l'horloge.

            Mais malgré tout, disons que la nature de l’office du matin n'est pas modifiée pour autant. Retenons que c'est un office qui marque un passage et revenons maintenant à notre Vigile Pascale, la Vigile pascale qui se revit chaque dimanche, mais étalée sur 24 h. Et pour Saint Benoît, aujourd'hui nous sommes toujours le dimanche.

            Reportons-nous à la nuit de Pâques. Nous avons les catéchumènes qui ont été éduqués pendant deux, trois ans. Ils ont vécu tout le carême pendant lequel ils se sont exercés à ce qui allait se passer au cours de cette fameuse nuit. Pour eux c'est une surprise, il faut bien se le dire. Ils ne l'ont jamais vécu. C'est la première fois qu'ils vont le vivre.

 

            Puis la nuit est arrivée. Ils ont veillé longuement, courageusement, dans la pénitence, dans la prière, dans l’espérance, dans l’attente. Et l’heure est arrivée. Nous entrons dans la troisième partie de la Vigile Pascale.

            Ces catéchumènes sont amenés à la fontaine baptismale. Ils sont dépouillés des vêtements du vieil homme et ils sont plongés dans l'eau de la fontaine. Et là, ils y meurent mystiquement. Ils sont noyés. C'est tout !

            Puis, ils en ressortent transfigurés, ressuscités, illuminés par une vie nouvelle. C'est l'homme nouveau qui sort. L'homme ancien du péché est resté dans l'eau. L'homme nouveau sort transformé. Ils sont devenus des membres du Christ. C'est la vie du Christ qui palpite en eux et qui va les conduire jusqu'au sommet de l'union avec Dieu. Les voici donc devenus chrétiens.

 

            Eh bien, l’office de Laudes, c'est le retour chaque dimanche de cet événement qui nous regarde personnellement. Dans la nuit de Pâques, puisque nous sommes déjà baptisés, on va tout de même reproduire le rite comme ça se fait maintenant : bénédiction de l'eau, aspersion, etc. Voyons-le ! Et ça va se revivre pour nous chaque dimanche au moment de l’office de Laudes. Il y a donc là une transition. Rappelons-nous toujours, resituons-nous toujours dans cette nuit de Pâques parce que c'est à partir de là qu'il faut tout comprendre.

 

            Et dans nos offices, et peut-être davantage encore dans celui de Laudes, nous mettons en œuvre notre vœu de conversion des mœurs. C'est comme si ce jour-là, à cette heure-là, nous prononcions à nouveau nos vœux de baptême, les promesses, nos engagements, notre profession de foi baptismale. Et puis à côté de cela, dans son prolongement, notre profession de foi et notre engagement monastique.

            Nous sommes passés de la nuit - voyez, nous sortons de la nuit ! - de la nuit du péché à la clarté de la grâce, c'est à dire de la vie divine. Nous avons abandonné la domination du démon pour nous donner au joug du Christ que nous prenons sur nous, un joug si léger ! Nous sommes donc devenus des hommes libres des esclaves que nous étions. Nous étions enténébrés et nous voici devenus des êtres de lumière. Nous étions morts et nous sommes passés à la vie.

 

            Voyez, il y a toujours ce passage de l'un à l'autre ! Eh bien, l'entre-deux de ce passage, c'est  l’office de Laudes. Et c'est bien dessiné dans sa structure. Vous avez d'abord le Ps 66 qu'il faudra reprendre chaque jour. C'est un Psaume qui invite l'univers entier à se tenir devant Dieu et à recevoir de lui sa bénédiction. Le soleil se lève. Il va apparaître. Il répand sa lumière sur l'univers entier.

            Ici, il y a donc une invitation cosmique. Le Christ est venu pour chacun d'entre nous, mais aussi pour tous les hommes, pour le cosmos, les êtres visibles et invisibles. Tout est sauvé par le Christ.

 

            Bon, nous savons cela, nous y avons réfléchi pendant tout l’office de nuit où nous avons, à travers nos deux fois six Psaumes, revécu la création, toute l'Histoire du Salut jusqu'à l'heure à laquelle on est arrivé, c'est à dire la plénitude des Temps. On y arrive maintenant.

            L’office de Nuit est donc marqué d'une note de pénitence dans le sens de la metanoïa : un besoin de repentir, un besoin de conversion parce que on est encore malgré tout oppressé par la nuit et par les ténèbres.

            On arrive au bout. Et c'est le Psaume 50 qu'il faut reprendre chaque jour, le Psaume 50 qui est donc le Psaume pénitentiel par excellence du repentir, et de la conversion, et de l'appel à la miséricorde de Dieu. ,

 

            De là, on va passer - donc nous sommes a ce passage - on va passer aux psaumes de louanges, les derniers, les trois psaumes laudate. On va commencer. On va louer. Et ça, c'est le terme auquel on arrive.

            A ce moment-là, on est transformé, devenu des hommes nouveaux. On a le droit de s'adresser à Dieu et de louer, et de ne rien faire d'autre que de le louer, de le remercier, de le bénir, de chanter sa reconnaissance.

            Maintenant entre les deux, il y a ce passage, donc de l'obscurité encore, de la pénitence, à la clarté, la pleine clarté, la pleine lumière de l'action de grâce et de la joie. Il y a le lever de la lumière. Et vous avez les Psaumes de lumière. Le dimanche, vous avez les Psaumes 117 et 62.

 

            Lorsque la lumière, voyez, elle se répand, le soleil va se lever, alors on chante ce qui est le chant de Laudes par excellence, un des sommets de la Vigile Pascale, c'est le chant des Trois Enfants dans la fournaise. Ils sont dans la fournaise de l'épreuve, dans la fournaise, oui, de la calamité suprême. Ils sont en train de mourir, là, dans ce feu.

            Mais ils y sont vivants. Et de là, ils appellent, ils invitent à leur concert la création toute entière. Tout passe en revue, tout est passé en revue pour venir admirer le prodige que Dieu opère en eux. Puis, ils sortent vivants de la fournaise.

 

            Voyez ! Là, nous avons le symbolisme du baptême. Ils sont entrés, ce n'est plus dans une fournaise maintenant mais dans ce puits, dans ce trou rempli d'eau et ils en sortent transfigurés. Après cela, on peut chanter les louanges de Dieu. Voyez le dessein !

            Et vous sentez que l’office que nous appelons Laudes aujourd'hui mais que je vais appeler l’office de l'aurore, il a une structure bien définie par la Règle antérieure d'ailleurs à la Règle de Saint Benoît - je pense que Saint Benoît y fera une petite allusion demain - et qu'il est malencontreux d'y toucher parce que si on y touche, on démolit tout.

            Si on touche aux Psaumes de l’office de Nuit et à ceci, mais on démolit tout un bâtiment. Et avec les morceaux qui restent, on essaye de reconstruire quelque chose qui est piteux à côté de la magnifique cathédrale ou du palais que représente alors la liturgie de l’office telle que Saint Benoît nous la donne.

 

            Voilà, mes frères, encore une petite chose comme ça pour aujourd'hui. Vous comprenez ? Donc, l’office de Laudes, fin des Vigiles, ça colle, Psaume 50, on passe des ténèbres à la lumière, puis la louange de Dieu.

            Et la preuve que vraiment à ce moment-là on est arrivé au septième jour, ou même au huitième jour dans la lumière de l'éternité, c'est qu'il faut réciter une leçon de l'Apocalypse qui est la découverte de ce qu'il y a au-delà du sensible, au-delà de la plénitude des temps lorsque le royaume du cosmos aura été remis au Christ et à ses fidèles.

 

 

Chapitre 12 : Des Laudes du dimanche.          15.06.85

      Une hymne à la résurrection !

 

Mes frères,

 

            Le moine contemplatif doit porter sur le monde le regard d'un poète, le regard de celui qui avec un amour infini façonne une œuvre dont la beauté fera l'enchantement des siècles de l'éternité. Dieu a tant aimé le monde parce que lui, il est un artiste.

            Et nous devons avec une insistance inlassable demander à Dieu de nous donner ses propres yeux, ses propres mains, son propre cœur pour que nous puissions à notre tour regarder et aimer le monde à la manière de Dieu.

            Ceci pour vous faire comprendre que toute véritable liturgie est cosmique. Elle est un chant qui monte de la créature vers le Créateur, de la beauté créée vers la beauté incréée.

            Cela parait très fort dans l’office de Laudes qui est le plus élaboré de tous. Il faudrait l'analyser longuement. Mais je n'en ai guère le loisir aujourd'hui. Ce sera pour la prochaine fois, c'est à dire, si Dieu nous prête vie, le 15 Octobre. Si je l'oubliais, rappelez-le moi !

 

            Cet office de Laudes, il s'élève de l'homme au Créateur en emportant le cosmos tout entier. De l'homme, il y a d'abord une invitation à ce que le monde entier se tienne devant Dieu pour l'adorer, pour l'acclamer, pour le remercier. Puis l'homme revient sur lui-même. Il se voit tel qu'il est devant Dieu. C'est le Psaume 50. C'est le Psaume du douzième degré d'humilité. Donc c'est l'homme dans sa vérité.

            Et puis, il passe alors des ténèbres qui sont siennes à la lumière qui est Dieu. Il passe du temporel à l'éternel. Il passe de l'entropie à laquelle il est soumis à la transfiguration qui lui est promise. Ce sont les psaumes de lumière, le Cantique comme le dit Saint Benoît, les Laudes, les Psaumes où toute la création est invitée à chanter la louange de Dieu. Et puis ainsi jusqu'au bout. Il suffirait.....mais attendons le 15 Octobre !.

 

            L’office de Laudes est donc une hymne à la résurrection, à la résurrection dans laquelle nous sommes entraînés et dans laquelle nous-mêmes entraînons l'univers entier. Il faut en avoir conscience, car c'est notre rôle dans le monde, cette conscience éveillée de ce qui se passe. On voit donc que c'est la liturgie qui structure l'univers et qui lui donne un sens.

            Le khorêgos, je l'ai déjà dit tant de fois, c'est le Christ ressuscité. Donc, c'est lui qui dirige toute cette immense liturgie cosmique. Mais le liturge, c'est l'homme et plus spécialement un être choisi parmi ses frères et qui est le moine contemplatif. Voilà, mes frères, une belle vision, qui est juste, et qui doit nous habiter, et qui doit nous animer.

 

            On comprend alors que pour Saint Benoît, lorsqu'on est debout à l’office Divin, ou même lorsqu'on est assis au moment où on doit être assis, il faut toujours que l'on soit en éveil. c'est à dire que on soit attentif. On ne peut jamais avoir une attitude extérieure ou intérieure relâchée.

            On est là en fonction - c'est ça la liturgie - député par le cosmos pour que nous soyons celui qui prend cet univers et qui lui permet de savoir qu'il est aimé de Dieu, qu'il est en train d'être métamorphosé par Dieu jusqu'au jour où Dieu sera tout en toute chose.

            Mais alors, ce sera un autre type de liturgie. Ce sera la liturgie qui nous est dévoilée à travers les mystères de l'Apocalypse où il n'y a plus alors que reconnaissance, et acclamation. et joie.

 

 

Chapitre 12 : Des Laudes du dimanche.          15.10.85

      Et completum est !

 

Mes frères,

 

            Je suis émerveillé en parcourant la Règle de notre Père Saint Benoît. Il y a déjà tant d'années que j'en entends la lecture au Chapitre au point que je la connais presque par cœur. Et pourtant, elle me réserve à tout moment des surprises, ce soir encore.

            Vous allez voir que Saint Benoît est à la fois un génie et un saint. Il nous expose la façon de célébrer l’office de Laudes le dimanche, donc le jour où nous rappelons, où nous revivons, réactualisons la résurrection du Christ. Et nous observons un passage, une montée de l'Ancien Testament vers le Nouveau Testament.

            C'est comme un bouton qui s'ouvre dans la lumière et dans la chaleur de cet amour qui est Dieu et qui brusquement laisse admirer sa fleur, la fleur qui est d'une beauté tellement ravissante qu'on ne peut plus en détacher le regard. Et cette fleur, c'est le Christ lui-même, ressuscité des morts, vainqueur pour jamais du péché et de la mort, intronisé Roi de la création pour l'éternité. .

 

            Voyez, on passe brusquement sans transition de la fin du Psautier, le Psaume 150, que tout ce qui respire chante louange au Seigneur. On est là, et puis brusquement on saute dans l'Apocalypse, d'un coup. Il n'y a plus de temps. On est à l'intérieur de l'éternité. On participe à la royauté du Christ sur le cosmos. Mais sur le cosmos aussi, comment dire, achevé, le cosmos achevé. On est par la résurrection du Christ immédiatement transporté au-delà de la fin du monde. On est dans l'Apocalypse. C'est fini !

 

            Et nous avons conscience alors que l'histoire, notre histoire à nous, elle est une. Il n'y a pas de fragments qui seraient indépendants les uns des autres. C'est la même histoire, et cette histoire était déjà accomplie dès le commencement. Rappelons-nous que le Christ était l'Agneau immolé avant la création du monde.

            Et lorsque tout est achevé, c'est encore en voie d’accomplissement car on est dans l'éternité. Cet Agneau égorgé avant le commencement du monde, c'est Lui qui est toujours, qui apparaît comme égorgé mais triomphant pour l'éternité.

            Mes frères, pour bien prier notre office divin, mais je dirais presque surtout l’office de Laudes du dimanche, il faut être possédé par l'Esprit de Dieu. Il faut être animé par cet Esprit. Il faut vivre de la vie divine. Sinon, ça paraît, ça paraît presque absurde l'amoncellement des choses qui nous paraissent à nous, dans notre logique d'homme, désordonnées.

 

            Maintenant, entre ce commencement qu'est la longue préparation depuis la création jusqu'à l'avènement du Christ, puis la dernière révélation du Christ après la fin du monde, il y a l'entre-deux. Et cet entre-deux, alors, c'est le temps d'une croissance, d'une lutte, le temps des joies et des peines, le temps de la prière, le temps de l'espérance.

            Et ça est marqué dans l’office par une succession de petits points : ce sera le Répons, ce sera l'Hymne - on est dans le Nouveau Testament -, ce sera le Verset, ce sera le chant du Benedictus, ce sera la litanie Kyrie eleison. Et on avance vers cet accomplissement.

            Et alors Saint Benoît, voilà encore son génie, il clôture son chapitre sur un mot qui est totalement évacué dans la traduction française. On ne peut vraiment réaliser ces choses-là qu'en latin, je pense. Il dit : et completum est. Voilà, c'est fini, c'est complet, c'est achevé, c'est parfait, c'est accomplit ! Dieu est tout en toutes choses. Le Christ est ressuscité. Il n'y a plus que lumière, que vie, qu'amour.

 

            Mes frères, voyez que l’office des Laudes du dimanche est celui qui traduit le mieux l'histoire du monde qui est une prodigieuse aventure d'amour et le projet monastique qui récapitule cette histoire dans la vie d'un homme.

            Vous allez dire : « Tout ça, c'est de la poésie ! » Eh bien oui, c'est de la poésie. Il faut être poète pour être moine et cela n'empêche pas de faire de la bière. Mais la bière qu'on fait doit être aussi un poème. Un verre de Trappiste, c'est tout un poème !

            Et la vie d'un moine est un poème. La création est un poème. Dieu lui-même est un poème. Il faut être en vibration avec cette nature profonde de Dieu-artiste pour suivre Saint Benoît, pour vivre la liturgie, comprendre ce qu'est l’office et goûter alors cette perle qu'est l’office des Laudes du dimanche.

 

 

Chapitre 12 : Des Laudes du dimanche.          15.06.87

      L’humilité de la prière.

 

Mes frères,

 

            En nous hissant au douzième degré de l'humilité, Saint Benoît nous a conduits à l'humilité du regard. Maintenant, il entend nous initier à l'humilité de la prière. Nous avons posé le regard sur Dieu au sommet de cette échelle. Nous avons découvert l'univers qui est celui de notre Dieu. C'est un univers de charité. Dieu ne vit pas pour lui, Dieu vit pour les autres. Je le rappelle, Dieu n'a de consistance que dans la mesure où il se dépossède, où il ne se possède pas. C'est cela l'essence du Mystère Trinitaire.

 

            Nous posons donc le regard sur Dieu, puis nous le reportons sur nous-mêmes et sur nos frères. Et nous voyons que si Dieu est lumière et amour, nous-mêmes et les autres, nous sommes ténèbres et crispation. Notre Dieu naturel, c'est le péché et la peur. Nous sommes repliés sur nous et nous ne vivons pas vraiment.

            C'est visible, mes frères, dans la façon de nous tenir. On peut de suite repérer dans notre façon de marcher, dans notre façon de parler, de regarder, enfin de nous comporter, nous pouvons de suite voir si nous vivons dans la peur ou si nous vivons dans la liberté.

 

            Regardons le tableau que présente le moine parvenu au sommet de l'humilité et nous verrons un homme vraiment libre. Pourtant il a conscience de se tenir sous le regard de Dieu, un regard qui le perce et qui le juge.

            Mais, encore une fois, il sait que ce n'est pas un regard de condamnation, mais que c'est un regard de compassion et de bienveillance, un regard qui guérit. Le regard de Dieu, ce n'est pas un regard qui tue. En effet, un seul peut nous guérir de nos malheurs, c'est Dieu lui-même. Il a voulu prendre sur lui nos misères et il est devenu un des nôtres justement pour nous libérer.

 

            Nous ayant donc donné l'humilité du regard, Saint Benoît maintenant nous initie à l'humilité de la prière. La prière d'hommes enténébrés va jaillir au cœur de la nuit. Il ne peut en être autrement. Les nuits d'hiver d'abord qui sont longues, opaques, glaciales, puis les nuits d'été qui se font plus courtes, plus légères, plus chaudes déjà.

            Et le moteur de cette prière nocturne, c'est l'espérance, une espérance tenace, persévérante, une espérance qui se nourrit d'une confiance toujours renouvelée. N'oublions pas que le moine commence à entrevoir qui est Dieu. Et c'est cette vision crépusculaire qui allume en lui et qui entretient cette flamme de l'espérance qui ne s'éteint pas, qui ne se relâche pas. Elle devient finalement certitude de recevoir le salut, c'est à dire d'être libéré des entraves de l’égoïsme et de pouvoir entrer pour jamais dans les espaces de la charité.

 

            Mes frères, il est nécessaire que nous fassions un jour cette expérience. Pour le peu de situations que j'ai déjà rencontrées depuis que je suis en charge d'Abbé, j'ai observé que les symptômes les plus irrécusables d'une fin de vie, quelque soit l'âge de la personne, c'est ce passage de l’égoïsme à l'amour.

            Cela peut s'opérer au cours des derniers mois, des dernières semaines ou même des dernières heures, mais vraiment c'est quelque chose de très beau à suivre. C'est le signe d'une vie monastique qui a peut-être été une série de luttes et une série de chutes et de relèvements, mais qui finalement arrive dans ce campus, dans cet espace où on découvre le véritable amour parce que il a fini par triompher dans le cœur.

            Ce n'est pas une approche intellectuelle, ni cérébrale, philosophique ou théologique, vous voyez, ou scientifique ? Non, c'est quelque chose qui est vécu, qui est connu parce que on le possède.

 

            Alors hier, Saint Benoît s'est étendu longuement sur la nuit du dimanche. Pourquoi ? Mais parce que la nuit du dimanche, c'est la nuit de Pâques rendue présente, visible au regard de notre foi. C'est au cours de cette nuit de la Pâque que s'opère le passage de la mort à une vie nouvelle. Et la puissance de résurrection qui est présente dans la nuit de la Pâque, elle s'étend à toutes les autres nuits.

            Les, enfin, je ne vais pas encore faire une petite digression là-dessus, ce sera peut-être pour demain ou un autre jour, sur la véritable affection que les vrais contemplatifs ont toujours eu pour la nuit, pour la période nocturne de leur prière. Mais enfin, laissons ça de côté parce que nous devons encore aller à l'église.

 

            Donc notre prière nocturne, elle sera une prière qui prend appui sur le sacrifice du Christ. Donc la prière de la nuit des dimanches, elle devient exemplaire pour la prière de toutes les autres nuits. Lorsque nous sommes réunis pour l’office des Vigiles, notre prière prend appui sur la Pâque du Christ, sur le sacrifice du Christ. Et elle est humble. Ce sera l'humilité de la prière.

            Elle est humble parce qu'elle sait qu'elle reçoit sa force de la prière sacrificielle d'un autre, donc du Christ, c'est à dire de Dieu lui-même qui a voulu devenir l'un des nôtres pour que nous puissions, nous, devenir un compagnon des trois personnes de la Trinité.

 

            Voilà, mes frères, cela suffit pour ce soir. Demain, je ne sais pas ce que je vais vous dire. je n'en sais encore rien. L'Esprit Saint me l'inspirera certainement car il ne peut nous laisser sans nourriture, moi le premier. Et vous voyez que sans rien retenir pour moi, je partage toujours ce que dans sa bonté Il veut bien m'inspirer.

 

Table des matières

Chapitre 12 : Des Laudes du dimanche.          14.02.84. 1

Passer des ténèbres à la lumière !. 1

Chapitre 12 : Des Laudes du dimanche.          15.06.85. 3

Une hymne à la résurrection !. 3

Chapitre 12 : Des Laudes du dimanche.          15.10.85. 4

Et completum est !. 4

Chapitre 12 : Des Laudes du dimanche.          15.06.87. 6

L’humilité de la prière. 6