Mes frères,
Si nous désirons contempler et admirer l'office bénédictin des Vigiles dans sa perfection, nous devons ausculter attentivement le cœur de toute la liturgie chrétienne, à savoir : la Vigile Pascale, cette nuit au cours de laquelle le Christ Jésus en ressuscitant des morts a définitivement brisé et anéanti le pouvoir de la mort. Au cours de cette nuit, on passe donc de la mort à la vie, de l'esclavage à la liberté, des ténèbres à la lumière, du deuil à la joie.
Cette Vigile Pascale qui est donc un zitkarôn, un mémorial, est revivifiée tout au long de l'année, le dimanche, c'est à dire tous les septièmes jours. Mais comme il n'est pas possible, disons, de la revivre telle qu'elle était au cours de cette nuit unique de la Pâques du Seigneur, on va l'étaler sur 24 heures, depuis les premières Vêpres jusqu'aux secondes Vêpres en passant par l'office des Vigiles et l'office des Laudes.
Je ne parle pas de l’Eucharistie. Je parle uniquement de l'office, car cette Vigile Pascale à donc deux ..... comme tout organisme qui se respecte ..... deux côtés pour bien l'équilibrer : l'Eucharistie et l'office. Je me tiens à l'office.
Cette Vigile Pascale est constituée de quatre parties. Et nous retrouvons chacune dans les quatre offices principaux que je viens de rappeler : Premières Vêpres, Vigiles, Laudes, et Secondes Vêpres. Je ne vais pas commencer à expliquer cela maintenant. J'espère qu'un jour cela fera l'objet d'une causerie ici par plus compétent que moi en ce domaine.
Les Vigiles, donc dominicales, sont le pendant, la revivance - ça se revit - de la seconde partie de la Vigile Pascale, c'est à dire cette veillée de prières et de lectures en attendant le retour du Seigneur, sa Parousie maintenant puisqu'il est ressuscité, en attendant qu'il se manifeste et qu'il nous emporte avec lui là où il est. L'office des Vigiles, ne l'oublions jamais, c'est cela ! Il faudra donc toujours lui conserver son caractère de prière nocturne. Enfin, ça, je le rappellerai tantôt.
Maintenant, cette Vigile du dimanche est donc une attente, une attente dans l'espérance, une attente dans - je ne dis pas dans une certaine fébrilité, ce n'est pas ça - mais une attente dans une certaine tension. Ce n'est pas une formalité dont on s'acquitte. Le Seigneur réellement arrive. Il se manifeste dans la foi à ce moment. A l'issue des Vigiles et même pendant les Vigiles, on sent qu’il s'approche et qu'il est là.
Il y a dans l'office de nuit, donc surtout du dimanche qui est le modèle, le type, il y a un sentiment que nous avons retrouvé longtemps dans la célébration Pascale Juive. Ils terminaient chaque année la célébration de la Pâque par un souhait : « l'an prochain à Jérusalem. » Donc l'an prochain, nous célébrerons la Pâque à Jérusalem de nouveau. Nous ne serons plus en exil.
Ils ont exprimé ce souhait pendant des siècles, et des siècles, et des siècles jusqu'au jour où c'est arrivé, où ils ont pu rentrer chez eux dans leur pays. Et c'est cela qu'il y a dans notre célébration nocturne. Il y a l'attente de quelque chose qui doit arriver. Si ce n'est pas pour nous, ce sera pour nos descendants spirituels. Mais un jour, le Christ reviendra...
Mais il reviendra aussi pour nous, mystiquement. Et ce sera alors - j'anticipe maintenant - ce sera surtout l'office de Matines, et puis dans la journée il y aura l'Eucharistie. Vous voyez ! Mais je n'ai pas le temps de déployer cette grande fresque. Nous sommes à l'office de nuit en rapport avec la chapitre qu'on vient de lire.
Cette attente nocturne donc, puisque elle est la réplique de la Vigile Pascale, elle devra avoir 12 psaumes et 12 lectures suivant le schème de l'ancienne Vigile Pascale, celle qui était célébrée de cette façon à l'époque de Saint Benoît et jusqu'au début de ce siècle. Il y eu une réforme à ce moment-là qui a commencé à diminuer et à ramener la Vigile Pascale à ce qu'elle est maintenant et où il n'y a plus 12 leçons et 12 psaumes.
Il y a là, ma foi, quelque chose, à mon sens, qui a été perdu. Mais enfin, c'est arrivé et nous devons en prendre notre parti. Mais pour ce qui est de l'office, ça reste, du moins pour nous, pour Saint Benoît.
Et alors de là, il découle quelques principes. D'abord, c'est que l'office des Vigiles du dimanche - je dis bien du dimanche - est plus long que les autres jours. Il est de plus longue durée. Pourquoi ? Parce que c'est une véritable Vigile.
La Vigile Pascale, si elle était célébrée dans sa perfection, elle prendrait toute la nuit depuis le soir jusqu'au moment où le soleil se lève. Mais comme nous sommes très faibles, elle dure tout de même en tout 4 heures. Et ce n est déjà pas mal !
Mais dans les monastères orientaux, là, on y passe toute la nuit. Il est vrai qu'ils ont peut-être moins de choses à faire que nous ? Je ne sais pas comment ils s'organisent dans la pratique? Saint Benoît le sait. Il le dit. Il commence par là.
Le dimanche on se lèvera pour les Matines un peu plus tôt que les autres jours, 11,1, parce que ça doit durer plus longtemps. Alors donc, cet office devra compter 12 psaumes. 12, pourquoi, pourquoi ce chiffre 12 ? C'est 2 x 6. On trouve ça également chez les Orientaux, toujours 12 = 2 X 6. Il y a une mystique du chiffre 12. Il marque la plénitudo tempore, c'est la plénitude des temps. C'est arrivé !
Et pourquoi la plénitude des temps ? Parce qu’il y a là deux fois le comput de 6 jours, les 6 jours de la création. Après les 6 Jours, la création est achevée, terminée. Dieu peut se reposer en se félicitant de son travail. Et deux fois cela, ça nous fait douze. Il y a d'abord ce point de vue là.
Mais il y en a encore un autre : ce 12 marque l'achèvement, et la solidité, et la pérennit6 du Peuple de Dieu qui se constitue, qui grandit et qui va vers sa taille parfaite d'adulte dans le Christ. C'est le Corps du Christ qui s achève. Il y a 12 tribus d'Israël. Il y a 12 Apôtres ( l'Eglise).
Il y a une cité, la nouvelle Jérusalem, qui a douze fondations et qui a douze portes. Et la femme parfaite qui apparaît dans le ciel, qui est l'Eglise et qui en même temps est la femme Marie, la Reine de toutes les femmes et de toute l'humanité. Elle porte sur sa tête une couronne de 12 étoiles, la perfection de tout.
Un office de Vigiles sera donc parfait lorsque on aura clos le cercle de douze psaumes, chacun représentant une étoile, un apôtre, un fondement, une pierre, une porte. Voyez ! Vous avez là quelque chose qui est achevé, qui est complet, quelque chose qui est beau.
Et Saint Benoît, lui, il y tient parce qu'il précise à deux reprises 6 psaumes : après avoir chanté comme nous l'avons disposé ci-dessus, 6 psaumes et le verset, 11,5. Voilà donc une première série de 6.
Alors après, pour le second Nocturne, après les leçons, 6 autres psaumes suivront d’affilée avec leurs antiennes, 11,11. Voilà, il y tient !
Mais il y tient beaucoup parce qu'il précise : si jamais on s'était levé trop tard, 11,27, Voilà, une distraction du sonneur. Il ne faut pas oublier que c'est l'Abbé qui est responsable de tout ça. C'est lui qui est le sonneur. Mais il délègue son pouvoir à un frère sur lequel il peut compter ; mais enfin, tout homme est faillible. Il est arrive un accident. Le frère a oublié que c'était dimanche et il a sonné à l'heure habituelle. On s’est levé trop tard. Que faire alors ? Alors, Saint Benoît dit : Surtout, pas toucher aux Psaumes. Il faudra abréger la durée des Leçons et des Répons. Mais le chiffre 12 demeure invarié.
Donc, voilà d'abord un principe, deux même : l'office des Vigiles est plus long, puis il y a toujours douze psaumes. Mais en semaine, maintenant ? Eh bien en semaine, on garde toujours le caractère de veillée nocturne. Il faut donc que cela se passe dans l'obscurité, pas à la lueur du jour. Il faut qu'il fasse noir autrement on ne veille pas. Mais, dit Saint Benoît, là, il va adapter les Leçons et les Répons, les Lectures donc et les Répons suivant les périodes de l'année : ce sera en hiver ou ce sera en été.
Il n'y aura que trois Leçons au lieu de quatre. Et en été, on va supprimer tout. Il y aura des petites choses récitées par cœur. Pourquoi ? Parce que rnétéorologiquement les choses sont telles que les nuits étant plus courtes, il faut ça. Mais pas le dimanche ! C'est pour ça que le dimanche il faudra se lever plus tôt, et même beaucoup plus tôt l'été, pour avoir tout fini avant qu'il ne commence à faire clair. Mais les psaumes, on n'y touche pas. Ce sera toujours 12 Psaumes.
Et enfin, remarquez que l'office de Vigile constitue avec l'office de Laudes une unité. C'est encore apparent le dimanche où Saint Benoît dit : aussitôt l’Abbé ajoutera l’hymne Te decet laus puis, la bénédiction donnée, on commencera les Laudes, 11,27. Tout de suite, on enchaîne, comme c'était auparavant ici, un après l'autre.
Lorsqu’on voit ce qui est dans la Vigile Pascale le pendant de l'office de nuit et le pendant de nos Laudes, on comprend qu'il doit en être ainsi. Il n'y a pas de hiatus, il n'y a pas de rupture, ça coule, ça va de l'un à l'autre. Les Laudes sont la transition, le passage.
Et voilà, alors en hiver Saint Benoît dira que les nuits sont tout de même beaucoup plus longues. Il y aura malgré tout un espace entre les deux. Mais qu'est-ce qu'on va faire? On va le consacrer à quoi ?
Mais à la méditation des Psaumes, de tout ce qu'on a entendu, ou on devra apprendre, on devra répéter, on devra marmonner tout cela à voix basse. En été, un tout petit intervalle pour les besoins de la nature et puis on recommence. Mais le dimanche, pas question de besoins de la nature, ça doit continuer !
Voyez, vous avez là toute une mystique de l'office, toute une théologie de l'office et de la liturgie qui est très, très, très belle.
Et voilà ! En réfléchissant à tout cela, je vous le dis, il y a ma conscience qui est de plus en plus torturée et je me dis que c'est tout de même malheureux de passer à côté de tout cela. Est-ce que le moment ne serait pas venu de rendre vie à cette Tradition pour que nous autres nous puissions vivre aussi vraiment, et attendre et espérer que le Christ se présente aussi à nous ; dans notre cœur d'abord par sa lumière et son amour, et puis après lorsqu'il le voudra, à nos yeux éblouis, nos yeux de chair. Et voilà, à ce moment-là, on est avec lui pour toujours.
Mes frères,
Les gens du monde font la grasse matinée le dimanche matin. Saint Benoît, lui, prévoit que son disciple se lèvera le dimanche en pleine nuit comme d'habitude, mais plus tôt encore. Il y a pour cela une raison d'ordre pratique. Vous la connaissez : l'office du dimanche est plus long, même beaucoup plus long qu'en semaine. Or, il faut avoir terminé au même moment. C'est à dire qu'il faut commencer l'Office de Laudes lorsque les premières lueurs de l'aube se dessinent à l'horizon. Il est donc nécessaire de se lever plus tôt. Cela se comprend.
Mais il y a aussi et surtout une raison d'ordre mystique. Et celle-là est la plus importante. La nuit du dimanche est la nuit de la résurrection du Seigneur. Le moine va donc se lever plus tôt parce qu'il désire avec une ardeur que j'oserais qualifier de juvénile, de candide, de pure, il désire être le témoin dans son coeur de la résurrection du Seigneur.
Il sait que cette résurrection est le gage de la sienne, donc d'une victoire sur le péché et sur la m mort. C'est pour cela qu'il est entré dans le monastère. Et c'est surtout au cours de l'office de nuit du dimanche qu'il va réaliser sa vocation de veilleur, sa vocation d'espérant et sa vocation de vainqueur.
En espérance, il vit sa propre résurrection. Il ne fait plus qu'un seul corps, un seul esprit avec le Christ, et il ressuscite avec Lui. Il est déjà en train de ressusciter avec lui.
Il est donc normal que le dimanche, la nuit du dimanche, il la passe presque sans dormir. La nuit idéale est celle de la Vigile Pascale, et chaque dimanche on la revit. Mais naturellement, il y a la faiblesse humaine. On ne sait pas rester éveillé à longueur de nuit même une fois par semaine. C'est au-delà de nos forces.
Mais on va tout de même se lever plus tôt, ou du moins ne pas se lever plus tard. Moi, j'ai encore connu le temps où on se levait 1/4 heure ou 1/2 heure plus tôt pour l'office de nuit du dimanche.
Maintenant, nous voyons que Saint Benoît prévoit douze leçons, douze lectures suivies de douze répons. Alors une petite question, ici, qui est d'ordre historique plutôt : Comment déterminer la longueur de ces lectures pour tomber juste ? Car, aussitôt l'office de nuit terminé, l'Abbé donne le bénédiction et on commence l'office de Laudes. Il n'y a donc pas d'intervalle. Comment faire pour tomber juste, donc déterminer la longueur de ces lectures ?
Eh bien, dans le Cîteaux primitif, c'était l'affaire du chantre, c'était sa mission. Et comment procédait-il ? Eh bien, il y avait une chandelle, une candela, qui servait à éclairer le pupitre sur lequel se trouvait le livre. Le chantre pratiquait des incisions dans la cire. L'intervalle entre deux incisions marquait la longueur d'une lecture. Le lecteur regardait. Et lorsqu'il arrivait à la hauteur de l'incision, c'était fini. Il devait arrêter n'importe où. Alors, on comprend qu'il terminait sa lecture en disant : Mais Toi, Seigneurs, prends pitié de nous !
Maintenant, ces lectures, elles sont arrangées et disposées avant. Elles s'arrêtent au bon endroit. Mais alors non, il fallait s'arrêter à l'endroit déterminé par le chantre sur la chandelle. C'était, vous voyez, l'office du chantre à cette époque, quelque chose de très sérieux. Cela exigeait de l'expérience, du doigté, du discernement, de la charité. Pas seulement pour diriger le chœur, mais pour calculer la longueur des lectures. A côté de ça, le chantre aujourd'hui, c'est presque une sinécure. Il n'a plus que l'occasion de produire sa belle voix et d'entraîner le chœur. Mais alors, c'était bien plus grave !
Et nous avons difficile aujourd'hui de nous imaginer ce que ça représentait parce que aujourd'hui nous avons des heures mathématiquement divisées en soixante minutes de même longueurs. Il y a même pour ne pas se tromper, soit au bras, soit dans la poche, un petit signal électronique qui vous dit :attention, c'est le moment !
Mais alors, non. Ces heures étaient élastiques, plus courtes ou plus longues, été, hiver, suivant la course du soleil. Eh bien, le pauvre chantre devait tenir compte de tout cela pour déterminer la longueur des lectures. Peut-être aussi devait-il tenir compte de la qualité de la cire ? Voyez un peu ! Et il n'avait pas d'ordinateur pour calculer tout cela. Il avait tout cela dans sa tête et dans ses doigts. Il fallait vraiment être un chantre pour réaliser ces prodiges.
Eh bien aujourd'hui, nous avons tellement de facilités ! Voyez un peu la somme d'énergies qu'il ne fallait pas pour organiser un office, à l'époque du premier Cîteaux, pour toute la communauté. Eh bien, aujourd'hui, à côté d'eux, nous sommes des ploutocrates, des gens riches en tout domaine.
Et cette somme d'énergie que nous ne dépensons plus à des détails pareils, eh bien prenons-la et utilisons-la pour que notre office soit toujours plus beau, plus vrai, plus nourri, plus nourrissant aussi pour chacun d'entre nous. Nous devons vraiment compenser de cette façon-là, je pense, et pas seulement pour notre propre satisfaction, parce que ça demande, je dirais, quand même un renoncement certain, mais pour que Dieu soit mieux connu, soit mieux aimé dans la gratuité, dans la pureté.
Personne ne le sait, mais lui le sait. La cours céleste le sait. Et nous formons avec eux tout ce que je viens de lire ce soir dans l’Epître aux Ephésiens : un seul Corps, une seule Eglise, une seule foi, un seul baptême. Et nous sommes déjà alors transplantés dans ce monde nouveau, ce monde à venir qui est notre véritable patrie.
Mes frères,
Saint Benoît ne parle qu'une seule fois explicitement de la Sainte Trinité, au chapitre neuvième que nous avons lu avant-hier, où il dit : Au moment où le chantre entonne le Gloria, tous se lèveront de leur siège par honneur et révérence envers la Sainte Trinité. 9,14. Le texte latin est beaucoup plus expressif. Il faut remarquer les deux mots : dum incipit cantor, mox omnes surgant, 9,14. Donc, lorsque le chantre commence à dire, aussitôt tous se lèvent. Il n'y a donc aucun intervalle.
C'est là une disposition foncière chez le moine. Nous la retrouvons encore aujourd'hui où Saint Benoît dit : dum incipit mox omnes surgant, 11,10. Lorsque le chantre commence à dire Gloria, aussitôt tous se lèvent avec révérence.
Mais c'est encore beaucoup plus vrai au chapitre cinquième, là où Saint Benoît dit que le moine vraiment obéissant suit d'un pied si prompt l'ordre donné, qu'il n'y a pas d'intervalle entre la parole du supérieur et l'action du disciple, toutes deux s'accomplissant au même moment. Ainsi agissent ceux qui aspirent ardemment à la vie éternelle. 5,20.
Voyez quelle légèreté est nécessaire si on veut chercher Dieu vraiment. Et notre ascèse consistera justement à nous délester, à devenir de plus en plus souples. Si bien que aussitôt que on entend le premier mot du Gloria, on est déjà debout. Et la même chose partout pour notre obéissance.
C'est cela ! On ne vit plus pour soi, on vit pour ce Dieu auquel on s'est donné. Et ici, donc au moment où le chantre entonne le Gloria, on se lève comme on le fait quand une personne importante apparaît. Imaginons un instant que le Cardinal Hamer entre à l'instant. mais aussitôt nous nous lèverions tous par honneur et par révérence envers sa personne.
Saint Benoît est un croyant orthodoxe, mes frères, et il attend que ses disciples soient de la même veine que lui. Pour lui, la Trinité Sainte est le tout de sa vie. Mais il faut bien savoir ce que représente cette Trinité.
La solennité de ce jour ne commémore pas un événement comme la Noël, Pâques, l'Ascension, la Pentecôte ; la solennité de la Sainte Trinité, c'est la fête onomastique de notre Dieu. Aujourd'hui, nous ne célébrons pas un dogme, mais nous congratulons une Personne à l'occasion de sa fête. Nous acclamons le nom de Dieu, nous lui rendons grâce.
Et Saint Benoît ne s'y trompe pas. Il se lève par honneur et révérence envers une personne quand on commence à prononcer son nom. Et pas seulement une personne, mais bien plutôt une communauté de personne. Car Dieu, dans la Trinité de ses personnes et dans l’unité de sa nature, est l’exemplaire d’une vie – pour nous donc – l’exemplaire d’une vie humaine achevée, accomplie, ….. .
Cela signifie que si nous voulons réussir notre vie monastique, et alors notre vie chrétienne, notre vie humaine toujours, nous devons nous-mêmes devenir en tout semblables à une des Personne de la Trinité. Ce sera le Christ Jésus. Mais à l'intérieur du Christ-Jésus, nous touchons immédiatement la Personne de l'Esprit Saint et la Personne du Père. Saint Athanase nous l'a bien expliqué au cours de l'Office de nuit. Celui qui possède le Fils, possède le Père, et il possède l'Esprit.
Maintenant, que se passe-t-il au sein de la Trinité ? En Dieu, chacune des Personnes se reçoit des autres et se donne aux autres. Si bien que Dieu existe, Dieu a de la consistance dans la mesure où il se donne, dans la mesure où il se dépossède. Dieu sera donc le modèle insurpassable de l'humilité et de la pauvreté.
On nous l'a expliqué la nuit dernière, mais on doit toujours y revenir. Dieu est l'être le plus démuni, le plus pauvre qui existe, car aucune des Personnes de la Trinité ne se possède elle-même. Elle est entièrement reçue des autres et elle se restitue immédiatement aux deux autres. Mes frères, voilà notre Dieu .
Mais maintenant pour nous, par rapport à nous il en est encore de même. Et ceci est extrêmement important pour notre vie contemplative. C'est l'explication de beaucoup de choses étranges qui se passent à l'intérieur de notre cœur, et aussi de notre intellect, c'est à dire de tout notre être humain à la fois esprit et corps.
C'est que pour nous Dieu existe dans la mesure où il s'évanouit, où il disparaît, où il devient inexistant. C'est à ce moment-là que Dieu est pour nous vraiment ce qu'il est.
Dans le déploiement d'une vie contemplative, il y a pour ainsi dire deux phases. D'abord cette phase de disparition de Dieu. A ce moment-là notre intellect perd pied. Il est obligé pour survivre de se perdre lui-même, de laisser tomber toutes ses sécurités rationnelles pour entrer dans l'obscurité de ce qu'on appelle la foi.
A ce moment-là, il entre à l'intérieur de Dieu, ou plutôt, c'est Dieu qui prend possession de cet intellect. Si bien que c'est un éblouissement fantastique mais qui est en réalité reçu comme une obscurité absolue. Et ça, c'est la première phase.
Puis, lorsque le moine a continué à travailler, à marcher, à tout faire, comme si à ce moment-là peu à peu cette sorte d'obscurité, ce brouillard se dissipe, et le jour commence à se lever. Une lumière apparaît, et c'est la lumière de l'Esprit Saint.
Mais il n'y a plus de mots dans notre univers pour dire alors ce qui se voit. Et Dieu demeure toujours, toujours verbalement inexprimable, ineffable. Mais ce sera une connaissance identique à la connaissance que Dieu a de lui-même et notre nourriture pour toute l'éternité. Et c'est ainsi. Mais encore une fois, il n'y a aucun mot pour le dire. La connaissance de Dieu est au-delà du vocabulaire.
Si bien, mes frères, que lorsque Dieu vient en nous dans la Trinité de ses Personnes, il nous entraîne dans la vie qu'il est, et dans un gouffre qui est aussi le sien, qui est le gouffre de l'humilité et de la pauvreté. C'est pour nous comme une mort. Mais nous savons que c'est en réalité un océan de charité et une plénitude de gloire.
Et en conclusion nous pouvons dire, mes frères, que la fête d'aujourd'hui, qui est la fête du nom de Dieu, qui est la fête de Dieu dans son être et dans sa vie, c'est aussi la fête de notre vocation. Si bien que nous nous retrouvons.
Et nous pouvons aussi nous congratuler les unes les autres. Car si nous sommes des chrétiens, si nous sommes des fils de Dieu, si nous sommes des contemplatifs, la propre vie de Dieu bat en nous et le nom de Dieu est imprimé sur notre être.
Table des matières
Chapitre 11 : Des Matines du dimanche. 13.02.84
Chapitre 11 : Des Matines du dimanche. 14.10.85
Chapitre 11 : Des Matines du dimanche. 14.06.87