Chapitre 8 : Des divins offices de la nuit.       10.02.84

      Nécessité de l’office divin !

 

Mes frères,

 

            Ce chapitre et les douze suivants traitent de l'organisation du service divin. Ils sont assez techniques et ils tranchent nettement sur tout ce que nous avons vu jusque aujourd'hui.           Et cependant, à mon sens, ils sont à leur place. Car une spiritualité vraie est toujours incarnée dans un cadre solide et précis. Entre ce que nous avons vu et ce que nous allons voir, il n'y a pas de fossé. Les deux s'appellent, se complètent et se confirment.

 

            Car Saint Benoît qui est un praticien de la vie monastique, il suit un développement logique qui épouse le mouvement de la vie et du réel. Il ramène toute l'ascèse monastique à l'ascension d'une échelle. Et sur ces échelons, il dépose tout ce qui constitue l'ascèse exigée du moine : l'obéissance, le silence, la lutte contre les tendances égoïstes, etc.

            Et alors, il sait que c'est une entreprise difficile et humainement impossible. Il va donc dans la rédaction de sa Règle appliquer un principe qu'il a posé dès les premières lignes du Prologue. Et je le rappelle d'abord en latin : in primis, ut quidquid agendum inchoas bonum, ab eo perfici instantissima  oratione deposcas, Pr.12. C'est à dire : avant tout, demande à Dieu par une très instante prière  qu’il  mène à bonne fin tout bien que tu entreprendras.

 

            Saint Benoît va donc nous parler à présent de la prière. Il nous a offert tout ce que Dieu attend de nous, tout le travail du moine en collaboration avec Dieu qui va le conformer, lui le moine, de plus en plus à la personne du Christ Il veut le Christifier.     

            Mais c'est là une entreprise qui est beaucoup trop forte pour l'homme pécheur, abandonné à lui-même. Que doit donc faire le moine ? Il doit prier, supplier Dieu de lui venir en aide, de l'aider, et cela par une prière très instante.

            La vie du moine doit baigner dans la prière comme son corps baigne dans l'atmosphère. La prière doit être une activité spontanée chez lui comme la respiration. Elle doit être commandée presque sans qu'il le sache. S'il arrête de prier, il s'asphyxie et il meurt comme s'il arrêtait de respirer.

 

            Et c'est pourquoi il fallait, c'était requis, que Saint Benoît immédiatement après le chapitre de l'humilité commence avec une série de chapitres qui organisent la prière du moine. Car cette prière du moine doit être communautaire. Pourquoi ?

            Parce que l’Esprit de Dieu repose sur la communauté qui forme un Corps, le moine n'est plus isolé. Non, il est une cellule d'un Corps. C’est donc le Corps qui va prier  et qui va donner au moine sa santé et sa force pour lutter contre les puissances diaboliques, contre les pensées, contre les vices, et qui va lui permettre de s'ouvrir à ce que Dieu attend de lui.

            C'est donc le Corps qui vit ! Mais le Corps naturellement ne sera vivant que si chacun de ses membres fait son devoir. Il faudra donc que tous ensembles prient. Ce sera l'Opus Dei que Saint Benoît va maintenant nous détailler dans toute son ampleur. C'est en Corps qu'on monte sur cette échelle et c'est en Corps qu'on doit prier.

 

            Voilà, mes frères, vous voyez la transition logique entre ce que nous avons vu et ce que nous allons voir. Je le répète, ce sont des chapitres d'un caractère très technique sauf les deux derniers qui expliquent un peu comment spirituellement il faut aborder cette prière commune. Mais pour le reste, ils vont paraître assez secs.

            Mais Saint Benoît les prend tels qu'il les a trouvés à son époque Il les adapte quelque peu et nous les présente. Je ne vais pas entreprendre une étude historique de tout cela, cela demanderait trop de travail. Peut-être qu’un autre plus habile et plus instruit que moi en ce domaine pourrait le faire ? Mais je vais chaque fois essayer de retirer ce qui est spécifiquement bénédictin, monastique, et voir ce qui nous manque, nous, maintenant...

 

 

Chapitre 8 : Des divins offices de la nuit.       11.10.85

      Durant l’hiver !

 

Mes frères,

 

            Saint. Benoît. ouvre la section de sa Règle consacrée à l'office divin sur un mot porteur d'une charge symbolique énorme : hiemis tempore, durant l'hiver. Cette mise en évidence du mot hiver est symptomatique d'une spiritualité et d'une réalité. L'hiver, c'est la saison de l'obscurité et du froid.

            Dans un contexte de civilisation agraire comme c'était en général à l'époque de Saint Benoît, c'était le moment où les activités étaient ralenties. C'était un temps de patience et d'attente. On se préparait au printemps, à de nouveaux mois de labeur. Il fallait gagner cette nouvelle saison, car si on n'y arrivait pas, et bien c'était la mort.           

            Nous ne connaissons plus ces cycles. C'était très animal. Donc pendant le printemps, l'été, l'automne, on recueillait sa nourriture pour pouvoir subsister pendant les mois d'hiver.

 

            Saint Benoît va transposer cette réalité météorologique dans la vie spirituelle. Depuis le péché, l'homme est enfermé dans la nuit. Il connaît la peur. Il a peur de la mort. Il connaît la solitude. Il connaît le trouble, l'angoisse.

            Cela, nous ne le savons que trop aujourd'hui. Personnellement, j'ai le sentiment que cette peur grandit. Elle s'étend. Elle atteint tout le monde depuis les enfants jusqu'aux vieillards. Et de quoi a-t-on peur ?

            On a peur de tout. On a peur de la crise. On a peur du chômage. On a peur de la guerre. On a peur de l'atome. On a peur des terroristes. On a peur des cambrioleurs. On a peur des accidents de la route. On a peur de la maladie. On a peur du cancer. On a peur de tout.

 

            Et pour exorciser cette peur, et bien on se protège par des assurances, toutes sortes d'assurances. Les compagnies d'assurance font fortune aujourd'hui. Ou bien, on essaie d'échapper à cette angoisse en se plongeant dans les divertissements. C'est une tentation d'exorciser la terreur. Mais ce ne sont que des feux follets. Les jeunes surtout, ils organisent de plus en plus des réunions.

            Quand je dis les jeunes, ce n’est pas seulement les tous jeunes, mais des personnes bien mariées, d'une quarantaine d'années. On organise de plus en plus parce qu’on a besoin de se trouver ensemble dans un endroit où il y a de la musique, où il y aura une bonne nourriture, où il y aura là quelque chose qui pendant quelques heures va chasser cette angoisse qui pèse. Mais lorsqu'on quitte le restaurant, lorsqu'on quitte la salle, on se retrouve dans le noir.

 

            Or le moine, qu'est-ce que c'est ? Eh bien le moine, c'est un homme qui lutte contre la nuit et contre le prince de ces ténèbres. Cela, c'est vrai pour Saint Benoît et c'est vrai pour toute la Tradition monastique.

            Et voyez ! Si Saint Benoît, son tout premier mot c'est l'hiver lorsqu'il commence à parler de l'office divin, c'est pour nous dire que le moine est un homme debout, un homme qui se lève en pleine nuit pour veiller, pour percer les ténèbres. Il ne les nie pas, mais il les combat. Le moine doit être dans ces ténèbres une percée de lumière par la pureté de sa vie, par la luminosité de son coeur et puis par sa prière.

 

            Et sa prière, elle sera adressée naturellement à Dieu, à Dieu qui est le Maître du cosmos, Dieu qui a compati au péché des hommes, qui l'a pris sur lui, qui s'est fait homme. Il s'est revêtu de cette chair de péché. Il est descendu dans ces ténèbres jusqu'au plus profond des enfers, l'enfer de l'homme. Et voilà, c'est à ce Dieu qu'on adresse la prière.

            Et c'est une prière qui, après le péché, a été inspirée par Dieu à quelques hommes pour que ce soit la vraie prière, une prière de louange adressée à Dieu, une prière de repentance, une prière d'appel, et aussi une prière qui est un cri de guerre.

 

            Mes frères, il faudra revenir là-dessus. Mais retenons déjà pour ce soir que le moine est un homme qui a vaincu l'obscurité. Et pour le prouver, il se lève en pleine nuit. C'est là quelque chose qui est plus que symbolique parce qu’il y a une démarche, une démarche qui coûte. Et cette démarche, elle est déjà un signe de victoire parce que la plus profonde obscurité, c'est celle de la mort.

            C'est l'ultime étape du péché : la mort. Et dans cette obscurité, tout le monde y entre. Mais le moine sait qu'il n'y restera pas. Il surgira de cette obscurité dans la lumière qui est Dieu. Et ce geste de surgissement, donc de résurrection, il le pose chaque nuit.

 

             Voilà, mes frères, c'est ainsi que nous commenceront notre série de chapitres sur l'office divin.

 

 

Chapitre 8 : Des divins offices de la nuit.       12.06.86

      La discrétion de Saint Benoît.

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît est pour nous un guide débordant de dilection, un guide habité par une discrétion sans pareille, une discrétion qui n'est jamais prise en défaut. Il invite ainsi son disciple à gravir une mystérieuse échelle qui va lui permettre d'aborder au rivage du ciel. Il lui promet le summum du bonheur pour ici-bas et pour l'éternité.

            Mais en même temps, il veille aux besoins les plus naturels de ses moines: le sommeil, la nourriture, la détente. Il désire que son disciple soit bien dans sa peau. Il ne peut pas supporter la tristesse, la mélancolie, encore moins la neurasthénie et la dépression.

            Il est aussi admirable d'attention, vous allez en juger. Il ne craint pas, à propos de l'Office, d'appuyer sur un détail qu’on n’imagine absolument pas dans une Règle qui serait rédigée aujourd'hui. Il dit ceci : ut jam digesti surgant, 8,6. La digestion sera terminée au réveil. Ils se lèveront après avoir parfaitement digéré.

 

            Mais je trouve cela extraordinaire. Vous sentez que Saint Benoît n'est pas un théoricien de la vie monastique. C'est un saint. Il ose dire cela. Il y pense. Il veille à ce que les choses se passent ainsi. Pourquoi ?

            Mais si la digestion n'est pas achevée, au réveil on est lourd, on est vaseux. On est grincheux. On est somnolent. La journée est mal commencée. Elle va se poursuivre et s'achever tout aussi mal. Pour célébrer l'Office, il faut être éveillé, attentif. Il faut être léger. Il faut être avide. Il en va de même pour exercer nos autres activités de la journée.

            Le moine de Saint Benoît est un homme dégagé, épanoui, toujours en appétit. Cet appetitus spiritualis, cette avidité, cet appétit spirituel, appétit des choses de Dieu, de la lumière de Dieu, appétit de la volonté de Dieu. Mais si l'estomac est encombré, je n'aurai pas d'appétit spirituel. Mon appétit sera absent. Il n'est pas possible d'avoir de l'appétit.

 

            Voyez Saint Benoît. Il ne veut pas conduire à la sainteté la fine pointe de l'âme. Non, c'est le corps tout aussi bien que l'âme et que l'esprit qui doit être sauvé, qui doit être transformé. Saint Benoît est un vrai chrétien. Il fonde tout son enseignement sur la réalité de l'Incarnation. Le moine est un homme complet. Ce n'est pas un demi-homme. Un homme qui ne vit que dans son âme ou dans son cerveau, c'est un demi-homme.

            Vous voyez aussi l'importance du travail pour Saint Benoît. Le corps doit se fatiguer, pas seulement la tête, mais le corps, les mains, les jambes. On doit le soir sentir dans la musculature une fatigue. Heureux l'âge où on a mérité la pension civile. Mais enfin, au plan physique, ça se marque aussi. Quand on a dépassé la soixantaine, on ne peut plus réaliser les prouesses des vingt ans.

            Mais ça ne fait rien ! Il faut que chacun y passe. Il faut que chacun ait fait l'expérience et dégusté à fond le bienfait de l'exercice, de la gymnastique corporelle.

 

            Or, que le moine soit ainsi toujours épanoui et toujours en appétit, cela tient beaucoup du mode d'alimentation. Certainement, certainement ! A deux reprises la Visite Régulière a demandé que notre nourriture soit adaptée aux besoins d'aujourd'hui. Nous avons eu l'occasion de recevoir deux diététiciens qui ont procédé à une étude, une enquête, qui ont rédigé un rapport et qui nous l'ont transmis. Et ce rapport, je vais commencer à vous le présenter les prochains jours.

 

 

Chapitre 8 à 20.                                    16.10.94

      Comprendre notre Office Divin.

 

Mes frères,

 

            Nous l’avons entendu, Saint Benoît nous plonge à nouveau dans l’océan de l’office divin. N’ayons pas peur de nous y noyer, il est source de Vie éternelle. Il m’est venu quelques petites intuitions à ce sujet. Si vous le permettez, je vais vous en faire part ce matin.

            Il faut, pour comprendre notre office, partir de celui qui en est l’auteur, à savoir Dieu. Il est un Opus Dei, un travail, un chef-d’œuvre réalisé par Dieu lui-même. Or notre Dieu, notre Dieu est ordre, équilibre, harmonie, beauté ; il est parole, il est musique, il est mélodie, il est chant. Chez Dieu comme dans son univers, tout est chanté.

 

            Et notre Dieu n’est pas un Dieu muet : il parle, il ne cesse de parler. Et lorsqu’il se tait, son silence est encore parole. Et quand il parle, c’est à dire quand il chante et qu’il danse, alors il crée, il façonne. Puis il admire et il partage. Dieu étant amour ne peut rien garder pour lui. Et ce qu’il partage sans mesure, sans restriction, c’est sa propre vie, c’est son être dans ce qu’il a de plus secret. Il crée pour sa joie et pour celle d’un partenaire qu’il veut semblable à lui en tout, qu’il veut voir créer, chanter et danser comme lui.

            Si bien que la création finalement, c’est l’homme et surtout l’homme accompli, l’homme qui est tout à la fois parfaitement homme et parfaitement Dieu. La création, c’est le Christ Jésus et, en lui, nous comme ses membres et, en nous, le cosmos entier illuminé, transfiguré, divinisé. La création, c’est ultimement Dieu en toute chose, Dieu devenu tout en toute chose.

 

            Il nous est difficile d’imaginer ce que cela veut dire, mais nous pouvons peut-être le pressentir à l’intérieur de notre vie lorsque perdus à l’intérieur de sa volonté, nous sentons que peu à peu il s’empare de nous, qu’il nous transforme et qu’il devient tout, non seulement pour nous, mais tout en nous.

            Le moine doit donc devenir la création achevée, une création qui est tout entière lumière et amour. Le moine est donc un être cosmique. Il est un être eschatologique, en lui tout doit s’accomplir.

 

            Telle est, mes frères, notre vocation dans ce qu’elle a de plus beau et dans ce qu’elle a de plus exaltant. C’est bien autre chose que de réussir sa vie au plan humain. Non, quand on vient dans le monastère, on a tout laissé derrière soi et on se lance dans l’inconnu, l’inconnu qui est ce projet de Dieu, l’inconnu qui est pourtant bien connu car il est pressenti.

            Lorsque on est vraiment appelé par Dieu, le projet que je viens d’évoquer bien maladroitement devant vous, ce projet est déjà inscrit en nous et, il suffit de suivre ce dessein de Dieu pour savoir qui nous sommes et savoir qui il est, LUI.

            Eh bien, mes frères, pour connaître par l’intérieur le sens spirituel profond de l’office divin, nous devons toujours garder sous les yeux le tableau que je viens d’esquisser à grands traits.

 

            Dans ces moments privilégiés que sont les heures de l’office, nous accédons au sommet de notre vocation qui, je le répète, est cosmique et eschatologique. Cela signifie que l’univers entier est ramassé dans notre cœur, notre cœur qui est déjà d’une certaine manière la création achevée.

            Le moine devrait être témoin de la fin du monde. Et c’est une des raisons encore  pour lesquelles il abandonne tout. C’est fini, tout est derrière lui, la fin du monde est arrivée. Dieu est tout en toutes choses. Et c’est cela que par son être et par sa vie, il doit dire de façon silencieuse.

 

            Attention ! ça ne peut pas se jouer, ça ne peut pas être une comédie ! Non, ce doit être quelque chose que Dieu réalise et qui, à un moment donné, est là présent. Je suis certain que dans notre monde, il y a des hommes et des femmes qui sont ainsi. Sinon, ma foi, le projet de Dieu serait tombé dans le trou d’un échec.

 

            Alors, mes frères, essayons donc dans la mesure de nos petites forces - elles  qui sont toutes petites, qui sont insignifiantes, mais qui sont le nid de la puissance même de notre Dieu - efforçons-nous donc d’être l’écho, la parole, le chant, la danse du Créateur ; et aussi la promesse d’un avenir de gloire et de bonheur pour tous les hommes sans aucune exception.

            Il s’agit donc pour nous de croire et d’aimer, d’accueillir dans notre cœur l’amour qu’est Dieu lui-même et de le réverbérer dans tous les espaces.

 

            Voilà, mes frères, une vision de notre vie que vous allez peut-être juger idéaliste. Mais non, il ne faut pas avoir peur de viser haut, de viser au-delà de tout, de viser jusqu’au cœur de Dieu, car là est la vérité.

            Et un jour, si nous sommes fidèles, nous comprendrons et nous verrons qu’il en est bien ainsi.

 

 

Table des matières

Chapitre 8 : Des divins offices de la nuit.       10.02.84. 1

Nécessité de l’office divin !. 1

Chapitre 8 : Des divins offices de la nuit.       11.10.85. 2

Durant l’hiver !. 2

Chapitre 8 : Des divins offices de la nuit.       12.06.86. 3

La discrétion de Saint Benoît. 3

Chapitre 8 à 20.                                    16.10.94. 4

Comprendre notre Office Divin. 4