Chapitre 4, 1-25 : Quels outils utiliser ?        18.01.84

      Apprendre un métier !

 

Mes frères.

 

            Si nous faisons abstraction du titre qui est de rédaction tardive, nous remarquons que le chapitre 4° commence de façon abrupte, sans présentation, sans introduction : Avant tout aimer le Seigneur de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force.

            C'est une suite de propositions verbales, une énumération de formules groupées plus ou moins par affinités. Et nous devons attendre la fin du Chapitre pour apprendre que ce sont des instrumenta, 4,91, des instruments, des outils qui doivent être utilisés dans une officina, 4,98, dans un atelier en vue d'y exercer un art qui est de nature spirituelle.

 

            Le monastère, pour Saint Benoît, est donc un atelier dont les murs sont garnis d'une multitude d'outils qu'il faut savoir utiliser à bon escient suivant la pièce qu'on désire façonner. Vous avez déjà certainement vu de ces boutiques - j'emploie ce mot là parce que ça ressemblait à des boutiques - dans lesquelles travaillaient auparavant des menuisiers, ou des forgerons, ou des sabotiers.

            Maintenant tout cela paraît tellement loin quoiqu’on essaye de ressusciter ces petits artisanats. Et vraiment tout était garni d'outils au plus mystérieux pour les profanes. Et on voyait ces ouvriers savoir au moment opportun prendre tel outil pour faire telle petite chose à la pièce à laquelle il travaillait, le déposer, prendre un autre.

 

            Et c'est ainsi qu'on apprenait un métier par tradition. On était jeune, on regardait, et puis on s'essayait en petit. Et ainsi, après bien des gaffes naturellement, et des blessures qu'on se faisait à soi-même, on disait que le métier entrait dans le corps. Et celui qui avait un peu de talent, il était repéré. Et voilà, alors l'artisan lui donnait de petits trucs de métier.

            C'est ça le monastère pour Saint Benoît ! Vous avez un Maître qui est l'Abbé, et puis avec lui des ouvriers qualifiés qui sont les seniores spirituales, les anciens qui sont guidés par l'Esprit de Dieu. Et alors des apprentis qui sont les novices, et puis qui sont les moines et les frères. Et il y en a, voilà, on a repéré leurs qualités !

 

            Mais tout cela, j’y reviendrai plus tard. Nous ne sommes encore qu'au début. Et ces outils, lorsqu'il s’agit de la vie monastique, ils ont ceci de particulier : c'est qu'on ne doit pas les utiliser les uns après les autres, mais tous ensemble. Et nous comprenons alors que en fait il s’agit d'un seul et unique outil aux potentialités infinies.

            Quel sera cet outil unique ? ça, nous le découvrirons un jour. Mais je veux vous faire savoir qu’en fait, le véritable artisan qui sait manier cet outil, ce ne peut être que l'Esprit de Dieu. Comme il s’agit d'un art spirituel, c'est l'Esprit de Dieu qui est Maître en la matière. C'est lui qui possède cet outil et puis qui va en travailler. L'Esprit est, comme le dit l'hymne de la Pentecôte, il est le doigt de la main droite de Dieu.

 

            Et nous alors, là-dedans ? Eh bien nous, il nous est demandé de consentir à cette action de l'Esprit en nous. L'Apôtre Paul nous dit qu’il opère en nous, et le vouloir et le faire, les deux ! Il faut donc que nous soyons ouverts, que nous n'opposions pas de résistance, que nous ne dressions pas d'obstacles, qu'il n'y ait pas en nous un non, ou un oui mais, ou on verra, quand je serai plus sûr !

 

            Non ! Il nous est demandé de faire confiance et de consentir à laisser l'Esprit de Dieu agir en nous et par nous. Car, je l’ai déjà dit et je le répète, car je trouve cela tellement beau, Dieu est tellement humble et il nous aime tellement qu'il s'efface pour nous mettre en valeur. Son action est si discrète, si cachée qu'il nous laisse l'impression que c'est nous qui faisons tout le travail.

            Il faut donc avoir la lucidité, qui est une lucidité de foi, pour ne jamais perdre de vue que c'est lui qui fait tout, mais que sans nous il ne peut rien faire. Et c'est cela l'obéissance, c'est de consentir à ce que Dieu prenne ses outils, son outil, et qu'il commence à travailler en nous.

 

            Et il est symptomatique que le Chapitre suivant, le Chapitre 5 traite justement de l'obéissance. Saint Benoît dans l'élaboration de sa Règle suit une progression très logique. Il serait intéressant de l'étudier un jour car ce ne sont pas des chapitres qui ont été déposés là les uns à côté des autres au hasard.  Non, Saint Benoît a une idée. Et cette idée, il la suit.

            Et cette idée, c'est la transcription en Saint Benoît du travail que Dieu fait. Dieu ne commence pas par la fin. Il commence par le commencement. D'ailleurs le tout premier mot de la révélation Biblique c'est : Au commencement, Dieu fit …. Dieu demeure toujours logique avec lui-même. Et il est aussi logique dans son travail.

            Et Saint Benoît qui est l'homme de Dieu, qui est possédé par Dieu, lorsqu'il explique la façon dont Dieu va s'y prendre pour former un moine et un saint, il va aussi procéder selon un ordre logique. Mais la logique de la foi naturellement.

 

            L'obéissance va donc faciliter la besogne de Dieu et la nôtre aussi. Elle va nous prémunir contre un double danger. D'abord celui du découragement, car lorsqu'on se trouve devant cette multitude d'outils et qu'on voit le travail à faire, mais on n'a même pas envie de commencer parce que c'est trop, c'est beaucoup trop et c'est trop difficile.

            Il s’agit en effet d'enlever de nous tout ce qui est contraire à la lumière de Dieu. Et puis quand le travail est fait, il faut commencer à polir, à affiner notre intérieur. Mais ce n'est pas encore assez : il faut le métamorphoser, il faut le transformer, il faut le diviniser. Et alors là, c'est impossible !

            Donc, si nous avons le bon sens de nous abandonner par l'obéissance à Dieu qui va opérer en nous, à ce moment, nous nous mettons hors de portée du découragement.

 

            Mais aussi nous sommes gardés de ce qui est le contraire, c'est de s'imaginer que nous allons pouvoir tout faire nous-mêmes. Ce sera le pélagianisme avec à la limite l'orgueil de pouvoir dire : c'est par ma propre force que j'arrive à quelque chose.

            On m'a signalé dernièrement encore deux monastères comme ça - un situé en Belgique et un autre situé en France. Et un des deux, c'est un de notre Ordre - qui s'ouvrent, qui mettent des locaux bien aménagés à la disposition des adeptes de la Méditation Transcendantale, et puis d'autres du  Zen, le cours de Zen étant d'ailleurs donné par un moine Bénédictin.

            Oui, mais c'est ça, voyez la confusion ! Je vais par des méthodes naturelles arriver à entrer dans cet univers de Dieu, là où je serais unifié, où je serais un seul être avec lui, où je me dépasserais. Je sortirai de moi ou bien j’entrerai en moi pour trouver Dieu. Voyez quelle confusion !

 

            Mais si nous sommes fidèles à l'esprit de ce chapitre quatrième, cette erreur ne pourra pas se commettre parce que je sentirai trop qu'il n'y a que Dieu seul qui peut opérer en moi cette merveille de faire d'un paquet de chair que je suis un être spirituel, c'est à dire habité par l'Esprit et mû dans toutes ses démarches par l'Esprit même de Dieu. Voilà, mes frères, ce que je pensais vous dire ce soir.

            Donc l'obéissance, pour résumer, lorsque nous nous trouvons en face de tous ces outils qui sont là devant nous, mais l'obéissance, elle nous empêchera de renoncer et elle nous empêchera de nous imaginer qu'il nous est possible de réaliser des choses qui sont du domaine propre de Dieu.

 

            Vous verrez après cela, encore dans la logique de Saint Benoît, que devant cette merveille de l'obéissance, de la collaboration avec Dieu, mais il faut se taire, il faut admirer. Il faut faire le vide en soi pour écouter, être attentif, ne pas se laisser distraire par les bruits, par les paroles, par tout ce qui peut virevolter autour de nous.

            Et puis dans ce silence, alors se laisser pénétrer par Dieu et gravir avec lui lentement cette échelle de l'humilité. Vous voyez la courbe logique que suit Saint Benoît. Puis alors après viendra quoi ? Mais ça va s'épanouir dans la prière.

 

            Voilà, mes frères, c’est assez pour ce soir !

 

 

Chapitre 4, 25-50 : Quels outils utiliser ?      19.01.84

      Situations contrariantes !

 

Mes frères,

 

            Dans la première partie de ce que nous venons d'entendre, Saint Benoît donne une série de consignes et de conseils qui nous aiderons à faire face à des situations contrariantes qui, comme vous le savez, ne sont pas rares dans les communautés monastiques. Elles sont même, à mon avis, préparées par Dieu secrètement pour nous mettre à l'épreuve, pour voir ce qu'il y a en nous. Car c'est à ce moment-là que notre être profond vient en surface.

 

            L'homme animal, vous le savez, est toujours vivant en nous. Il juge et il réagit de manière naturelle, instinctive et toujours égoïste. Il peut nous entraîner dans deux attitudes qui sont chacune délétères. La première, c'est un repliement sur soi. Nous sommes toujours dans des situations qui nous sont contraire, donc qui nous heurtent, du moins à notre jugement. Car en soi, elles sont peut-être absolument innocentes. Et un repliement sur soi qui va engendrer une sorte de résignation rageuse, puis de la tristesse et finalement de la haine.

 

            Ou bien, ce sera une réaction d'agressivité. Ce sera la colère, la riposte, la vengeance. Mais dans l'un comme dans l'autre cas nous sommes victimes d'une passion et nous sommes réduits en servitude. Où est l'homme libre là-dedans ? L'homme libre, il est réduit à l'état animal. C'est pour cela que Saint Paul l'appelle l'omo animalis. Et l'animal, comme vous la savez, il obéit à ses instincts. Et ses instincts sont plus forts que lui. Et tels sommes nous lorsque nous nous laissons aller à ces passions.

 

            Saint Benoît nous dit de ne pas se mettre en colère, pas de vengeance, pas de fausse paix, pas rendre le mal pour le mal. Si on nous fait quelque chose qui à notre avis nous est contraire, et bien voilà, il faut le supporter. Il ne faut pas rendre le mal pour le mal.

            Si on dit du mal de nous, il ne faut pas en rajouter au sujet de celui qui répand des calomnies à notre sujet. Au contraire, il faut en dire du bien de celui-là. Car, même lorsqu'il dit des mensonges à notre sujet, en-dessous de ces mensonges il y a toujours de la vérité, quand ce ne serait que le fait tout brut et tout simple que Dieu permet ces attaques contre notre personne.

 

            Mes frères, faisons bien attention à ces réflexes qui peuvent être dangereux pour les personnes et pour une communauté car ils sont destructeurs, ils ne construisent pas, ils démolissent.

            Et puis ne l'oublions pas, nous ne sommes pas ici chez nous. Nous sommes chez Dieu. Or dans la maison de Dieu - puisque nous avons choisi d'y vivre - eh bien, nous nous sommes engagés implicitement par le fait que nous sommes venus ici, et explicitement le jour où nous avons renoncé à notre volonté, et même à la disposition de tout notre être, de nos sentiments, de nos affections, de notre coeur, de notre corps, lorsque nous avons remis tout cela au Christ en la personne de l'Abbé.

            Mais dès ce jour-là, nous nous sommes engagés, explicitement maintenant, à adopter les mœurs du Royaume de Dieu, de cette maison de Dieu qui est régie par d'autres lois que celles de l'instinct égoïste. Nous avons choisi de nous oublier, de tout supporter de la part des autres et de n'avoir rien à leur faire porter.

 

            Voilà, mes frères, les lois du Royaume ! Et le péché dans le monastère, c'est de ne pas vivre cela. Le vivre à la perfection, ce n'est peut-être pas possible. Nous avons toujours des faux pas, toujours des écarts, quand ce ne serait qu'à l'intérieur de notre coeur, même si ça ne parait pas au dehors.

            Un réflexe de pensée, une étincelle qui jaillit comme ça sous la violence du choc, et qui n'est pas de la lumière mais qui est quelque chose qui doit brûler l'autre. Car notre pensée contre l'autre brûle l'autre. Les esprits entre eux se communiquent, se parlent uniquement par un échange de pensées.

 

            Et voilà, vous voyez mes frères, dans le monastère on participe déjà d'une certaine manière de la nature angélique. Dans le Royaume de Dieu, il en est ainsi et les pensées sont ou bien porteuses de vie, ou bien porteuses de mort. Et dans le monastère donc, nous ne pouvons faire que transmettre la vie. Nous sommes des fils de Dieu. Nous vivons ensemble et nous devons avoir une conduite en rapport avec notre état.

            En plus, nous sommes dans un atelier. Je l'ai rappelé hier. Nous avons des instruments. Nous avons des outils. Nous devons nous en servir ou plutôt, nous devons permettre à l'Esprit de Dieu de s'en servir par nous. Ne dressons pas d'obstacle.

 

            Saint Benoît a prévu pour les situations difficiles des remèdes ou des réponses pour prévenir ou guérir nos réactions malencontreuses. Il faudrait les analyser en détail, prendre la première déjà par exemple : iram non perficere, 4,25. la colère...Mais enfin, ce sera pour une autre fois. Mais toutes ces consignes de Saint Benoît, tous ces remèdes peuvent se ramener à un seul. C'est un parti pris de vérité : vivre en conformité avec ce que nous sommes. Je le répète, nous sommes des enfants de Dieu.

            Et du fait de notre insertion dans la vie Trinitaire, nous avons en nous la possibilité d'adopter les mœurs de notre Père qui, vous le savez, est l'amour, qui est la bonté, qui répond toujours au mal par le bien, qui répond à la difficulté par la patience, qui répond au geste méchant par un surcroît de charité.

 

            Et nous sommes des frères qui partageons tous la même vie divine. Nous sommes consanguins. Oui, ce sang spirituel, il circule en chacun d'entre nous. C'est le même, il dérive de la Trinité. Il vient en nous. Il nous anime tous.

            Nous formons un seul corps. Et est-ce que à l'intérieur de notre corps physique, est-ce que les membres se détruisent les uns les autres ? Non, au contraire, ils s’aident. Et lorsqu'un membre est en difficulté, mais tous les autres le soutiennent, tous les autres le protègent. Ainsi doit-il en être entre nous.

            Donc ce parti pris de vérité : nous sommes des fils de la résurrection. Nous ne sommes pas des fils de l'affrontement, ni de la compétition. Voilà tout ce que veut nous dire ici Saint Benoît.

 

            Heureusement, mes frères, je dois le reconnaître et je dois le dire, c'est que dans notre communauté, il y a certes des situations comme je dis : heurtantes. C'est certains et c'est inévitable. C'est quasi quotidien !

            C'est ça la vie ! On se rencontre, et voilà parfois on se cogne.  Mais je dois dire qu'ici il y a tout de même toujours de bonnes réactions, du moins extérieurement. Il n'y a pas des orages formidables. Non, de petites histoires parfois, pas grand chose, ça passe si vite.

 

            Mais attention ! Il faudrait voir ce qui se passe à l'intérieur ? Et c'est jusque là que Saint Benoît veut nous conduire. Il faut que il ne se passe même rien à l'intérieur de nous. Il faudrait qu'il n'y ait pas le moindre jugement défavorable, pas la moindre pensée qui ne soit pas une pensée d'amour, qu'il y ait enfin en nous qu'un parfait équilibre surnaturel. C'est jusque là que Saint Benoît veut nous conduire, non seulement corriger notre extérieur, mais aussi rééquilibrer notre intérieur.

 

            Voilà, mes frères, je pense que en soi c'est possible. Ce n’est pas facile ! Mais si nous ouvrons notre être au travail de l'Esprit, il est certain que notre coeur deviendra pur. Il deviendra l'habitat de l'Esprit divin. Et à ce moment-là, ce que Saint Benoît espère pour nous sera arrivé comme c'était arrivé pour lui.

            Mes frères, nous sommes ici dans le monastère pour cela. Nous devons nous le répéter surtout lorsque nous connaissons un moment un peu plus difficile. Nous ne devons jamais le perdre de vue, ni pour nous-mêmes, ni pour les autres. Et dans toute la mesure de nos possibilités nous devons nous entraider par notre prière, par notre estime réciproque et aussi en évitant dans toute la mesure du possible les situations qui peuvent ennuyer les autres, qui peuvent les heurter, qui peuvent leur faire de la peine.

 

Chapitre 4, 51-77 : Quels outils utiliser ?      20.01.84

      La Babel monastique.

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît commence cette section par ce qu'on avait coutume d'appeler auparavant une méditation sur les fins dernières : la mort, avoir la mort chaque jour devant les yeux ; le jugement, craindre le jour du jugement ; le paradis, désirer la vie éternelle de toute l'ardeur de son être ; l'enfer, redouter l'enfer.

 

            Mais ne nous y trompons pas. Saint Benoît nous amène à un sommet et il donne à ses sentences plus d'ampleur comme s'il voulait nous faire admirer l'immensité d'un paysage merveilleux. Je vais vous dire maintenant une chose que je reprendrai plus tard, mais elle vient bien à sa place aujourd'hui parce que Saint Benoît nous a, à l'aide de ses sentences et de ses conseils, il nous a conduits au sommet d'une montagne.

            Le moine entend réaliser le projet des constructeurs de Babel : élever une tour dont le sommet pénétrerait à l'intérieur des cieux. C'est là une intention qui travaille l'humanité depuis l'origine, déjà chez le tout premier homme. Dans le paradis, il n’était pas encore content. Le paradis, ce n'était pas encore l'univers proprement dit de Dieu. Et il aurait bien voulu y entrer tout de suite.

 

            Oh, il n'avait pas à lever une tour puisqu'il était seul. Pour construire, il faut être en équipe. Il lui semblait qu'en cueillant un fruit, justement celui auquel Dieu lui avait interdit de toucher, il arriverait à l'endroit où ce fruit avait pris naissance, dans le domaine où l'on peut connaître le bien et le mal, là où on est comme Dieu.

            Et on dirait que Dieu amène des hommes dans le monastère afin que le projet qu'il a certainement lui-même inscrit dans le coeur de l'homme au moment où il l'a créé, que ce projet devienne réalité, mais selon des voies qui seront celles de Dieu et non pas les voies ridicules de l'homme.

 

            Et Saint Benoît prévoit une échelle qu'il suffira de gravir. La base de cette échelle repose sur la terre. Mais le haut de cette échelle arrive à la hauteur des cieux. Et il suffit lorsqu'on est au-dessus, d'une dernière enjambée, et on est chez Dieu. Voyez Saint Benoît ici : on approche de la fin de toute cette énumération de conseils qu'il nous donne et à nouveau il avive en nous ce besoin, ce désir. C'est pour ça que je vous disais qu'il nous conduisait sur un sommet d'où il nous fait admirer alors tout ce qui nous est promis.

 

            Le moine est donc un homme avide d'être transporté dans l'univers de Dieu. Il y est déjà, il y vit déjà par tout son désir, par son espérance. Et il s'offre à Dieu qui va l'y emporter. Saint Benoît nous le dit ici, mais en termes naturellement qui ne sont pas aussi clairs que ce que je viens de vous dire maintenant. Il le dit à l'aide de circonlocutions que j'aurais l'occasion de reprendre plus tard. mais comme nous avançons pas à pas dans la lecture de la Règle, il n'est pas possible de tout dire en quelques minutes.

            Le moine alors, en se laissant emporter par Dieu, mais il laisse derrière lui le monde et toute cette vie. Dans le fond, tout ce que la vie terrestre peut apporter, ça ne l'intéresse plus, il désire la vie éternelle de toute l'ardeur de son âme.

            Oui, c'est traduit ainsi ! Mais dans le texte, c'est omni concupiscentia spiritali, 5,43, c'est à dire que toute sa puissance de concupiscence, de convoitise, elle est devenue spirituelle, elle est saisie de l'intérieur par l'Esprit de Dieu. Et avec une force, une intensité irrésistible, elle porte le moine vers la vie éternelle, c'est à dire vers une entrée à l'intérieur de la Trinité pour participer parfaitement à cette vie Trinitaire dans l'amour, dans la joie.

            Et donc, c'est cela la vie éternelle ! Alors vous comprenez que dans ces conditions-là, toutes les babioles que peut apporter cette vie de misère que nous connaissons, mais ça n'intéresse absolument plus, c'est fini !

 

            Et se laisser emporter ainsi par Dieu, c'est l'obéissance. Ce n'est rien d'autre que cela. Il nous est impossible d'arriver là-bas. Il y a bien cette échelle, mais nous ne pouvons la gravir que si nous avons en nous la force même de Dieu. Ce n'est pas notre propre industrie qui nous permet de gravir même le premier échelon. Tout nous est donné ! Accepter cela, accepter ces cadeaux de Dieu jour après jour, c'est cela l'obéissance.

            Et c'est tellement beau qu'on se demande comment il soit possible de faire autrement. C'est ça l'aberration ! Tout ce que je dis maintenant. nous le savons, nous le croyons. Mais lorsque Dieu nous le donne, et bien. nous hésitons encore. Il faut que nous soyons vraiment malades - et nous le sommes - il faut le reconnaître.

 

            Qu'arrive-t-il donc au moine qui ainsi se laisse prendre, se laisse séduire par Dieu et travailler par lui ? Et bien, il commence à parcourir tout ce qui est au-delà du sensible, tout ce qui est plus loin que ce qui tombe sous les sens. Il commence à devenir un vrai contemplatif.       Il voit au-delà des apparences. Le regard de son coeur devient plus clair. Il devient plus vif. Il devient perçant. C'est le regard de la foi. C'est le regard même de Dieu qui scrute au-delà de ce que le charnel peut percevoir et comprendre. Il va donc explorer au-delà du sensible et il vit dans la lumière de Dieu.

            Et par contraste il comprend, il commence à comprendre que l'absence de Dieu, c'est de vivre à côté de ce que Dieu offre, s'y complaire dans cet à côté. C'est entrer dans une obscurité qui va s'épaissir. qui va se solidifier. qui va devenir l'obscurité absolue. C'est l'enfer !

 

            D'un côté, vous avez l'univers de la lumière, et de l'autre côté vous aurez l'univers des ténèbres. Ce ne sont pas des figures de style, ce ne sont pas des métaphores, c'est une réalité. Mais pour comprendre le caractère concret de cette réalité - c'est une chose qu'il faut presque mesurer pour le comprendre - il faut déjà commencer à voir cette lumière de Dieu qui est Dieu lui-même.

 

            C'est la même chose lorsque nous sommes dans un local bien éclairé d'une lumière très forte et que nous sortons à l'extérieur même dans une obscurité qui n'est pas entière. Mais nous avons alors vraiment la sensation d'entrer dans le noir. C'est la même chose pour celui qui commence à vivre avec Dieu : le péché l'effraye. Il voit ce que c'est que le péché.

            Et l'être de ce moine, alors - qui est déjà son être d'éternité, c'est à dire son corps spirituel - il vit chez Dieu déjà ; mais son corps charnel, lui, alourdit par le péché le cloue à terre. Si bien qu'il rencontre un désaxement, une désarticulation. Il est écartelé, distendu entre le ciel et la terre. C'est le conflit dont parle si bien Saint Paul :

            O, je sais très bien ce que je veux, la Loi de Dieu fait mes délices. Mais je sens en moi une autre loi qui répugne à celle de Dieu. Qui va donc me délivrer de ce corps de mort, de cette lutte ? Il n’y a qu’une seule chose, c’est la grâce du Seigneur Jésus qui va me pénétrer et me transformer en me rendant semblable au Christ lui-même.

 

            Eh bien le moine vit une expérience analogue. Et il va s'efforcer de maintenir un équilibre entre ses besoins normaux qui sont manger, boire, se vêtir, se reposer, se chauffer, enfin tout ce qu'il faut pour subsister, pour survivre et son être-ailleurs, l'intensité de son désir spirituel. Et c'est cela qu'on appellera l'ascèse. Ce n'est rien d'autre que maintenir ce sage équilibre.

            Nous ne pouvons pas nous suicider, mais nous devons déjà vivre ailleurs.  Et ce n'est pas si simple car le péché contamine nos facultés et il nous fait plutôt pencher vers la mort. Le péché, c'est une prédégustation de la mort, la mort qui est obscurité absolue et qui à la limite serait l'enfer.

 

            Voilà, mes frères, Saint Benoît nous dira donc que nous devons veiller à tous moments sur les actions de notre vie et ne pas avoir peur d'user des grands moyens. C'est la leçon que nous pouvons dégager aujourd'hui.

            Il y en a encore bien d'autres, vous comprenez. Mais à chaque jour suffit sa peine. Retenons pour cette fois que nous devons croire à tout ce que le Christ nous offre, que nous devons sans crainte l'accepter, que c'est non seulement pour notre salut mais que c'est notre joie pour maintenant avant d'être notre joie pour l'éternité.

 

Chapitre 4, 78-100 : Quels outils utiliser ?     21.01.84

      La miséricorde de Dieu.

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît termine l'énumération des conseils spirituels qu'il nous donne sur note dont nous avons entendu les premières mesures dès le début, à savoir l'amour. Il ne s'abandonne pas à des envolées lyriques. Mais ce sont des accords brefs, nets, pratiques qui s’affaissent sur une note poignante bien que très consolante, réconfortante pour nous. Et ne jamais. dit-il, désespérer de la miséricorde de Dieu, 4,90.

 

            Les hommes - il suffit de nous regarder - sont le plus souvent impitoyables les uns pour les autres. Dieu, lui, ne l'est jamais. Il a comme on dit des entrailles, des entrailles de mère. Et ses entrailles sont remuées, elles sont bouleversées, elles sont mises sens dessus dessous lorsqu'il regarde, lorsqu'il voit le malheur dans lequel s'enfonce le pécheur. Et ça, il ne peut le supporter. Dieu est malheureux de notre malheur. Et vous savez ce qui est arrivé.           Ce n'est pas nous qui l'avons aimé. C'est lui qui nous a aimés le premier. Et il a tellement compati sur notre sort qu'il a voulu devenir un homme. Nous l'avons chanté tous les jours à l'offertoire depuis le début de la semaine de l'Unité. Il s'est fait obéissant à notre place jusqu'à mourir pour nous, de notre main, sur une croix. Voilà, mes frères, l'amour qui nous est proposé en modèle. Est-ce qu'il habite notre cœur ?

 

            Oui, certainement en germe dans quelques coins de notre cœur. Mais occupe-t-il tout notre coeur ? Et est-ce qu'il nous donne aussi des entrailles qui sont remuées lorsque un de nos frères est malheureux, même malheureux par sa faute ? Un Abbé doit avoir des entrailles de ce genre. même s'il ne l'exprime pas extérieurement, qu'il ne sait pas l'exprimer, qu'il ne peut pas l'exprimer.

            Car il est des gestes de compassion à l'endroit d'un frère qui au lieu de le sauver, l'enfonce. Il y en a qui ne savent pas supporter qu'on les aime à la façon de Dieu. Alors il faut faire cela dans le secret. Dieu a souffert dans le secret. Il souffre maintenant dans le secret. Et lorsqu'il habite un cœur qui s'est donné à lui, et bien il souffre dans ce cœur.

 

            Autrefois on utilisait des expressions qui avaient leur senteur romantique mais qui enfin voulaient tout de même dire quelque chose. Vous savez qu'il y avait pas loin d'ici un petit couvent de Sœurs qu'on appelaient Victimes du Sacré-Cœur. Dans le fond, c'est ça qu'elles voulaient dire. Maintenant naturellement, c'est une terminologie qu'on n'accepte plus, qu'on ne comprend plus.

            Mais c'était cela ! Elles offrent leur coeur de femme à Dieu, au Christ, pour qu'il puisse trouver un lieu où souffrir à cause du malheur des hommes pécheurs. C'est cela ! Mais ce n'est pas seulement demandé à ces Sœurs. C'est demandé à chacun d'entre nous, à chaque chrétien, à chaque homme.

 

            Et c'est ce que Saint Benoît, à sa façon, nous explique à travers ce chapitre. Car toutes les consignes qu'il nous a données sont les facettes innombrables de l'amour. Quand on aime, il y a des choses qui se font et il y a des choses qui ne se font pas. Dans nos rapports avec Dieu, avec nos frères, avec nous-mêmes, l'amour doit devenir pour nous le mobile de toutes nos actions dès le début et au couronnement de notre agir.

            Nous devons suivre le mouvement musical que Saint Benoît a imprimé à tout ce Chapitre commencé par l'amour et terminé sur le sommet de l'amour qui est la miséricorde qui habite les entrailles de notre Dieu. Et dans l'entre-deux, il y a toute notre conduite pratique motivée et dirigée par cet amour.

 

            Et notre valeur personnelle, ne l'oublions pas, c'est uniquement notre amour. Saint Augustin a une belle parole que vous connaissez tous : Mon amour, c’est mon poids. Lorsque je serai placé sur la balance du jugement, le plateau descendra à la mesure de mon poids d'amour. Et nous n'emporterons jamais que lui. A notre dernier  jour, nous abandonnerons absolument. tout, mais tout ! Il faut bien se le dire. Nous ne prendrons rien avec nous, rien, sauf notre amour.

            Nous n'y pensons pas. Je veux dire que lorsque nous nous trouvons devant une situation concrète qui nous surprend, qui nous prend à l'improviste, nous n'avons pas le temps, le réflexe de mettre en rapport, et l'amour que nous allons peut-être laisser s'échapper, et la chose, le soi-disant bien qu'il nous semble que nous allons perdre.

 

            Eh bien, mes frères, il faut tout perdre, absolument tout, tout sauf l'amour. Si nous pouvions faire de cette vérité, de cette certitude, si nous pouvions en faire le mobile de toute notre conduite, je pense que nous deviendrions tellement légers, que nous serions emportés par l'Esprit jusque chez Dieu.

            Car notre amour, s'il est notre poids, si sur la balance il nous donne vraiment de la valeur, cet amour aussi comme il est l'Esprit même de Dieu, il nous rend léger. C'est quelque chose de paradoxal. C'est à dire que nous pouvons alors partir où nous voulons, nous laisser emporter où nous voulons.

            Aime et tait ce que tu veux ! Du moment que tu aimes, jamais tu ne commettras de bêtises, tu seras toujours dans la vérité. Mais attention, il s’agit ici du véritable amour. Il ne s’agit pas d'un petit sentiment subjectif d'amour. Il s’agit de se perdre à l'intérieur de la volonté de Dieu.

 

            Et alors, je voudrais pour clôturer cette fois-ci ce petit chapitre si important, redire, vous confier cette belle parole du Prophète Michée : Que te demande ton Dieu ? Mais que te  demande-t-il ? O, il te demande bien peu de chose - je paraphrase quelque peu - c'est de marcher dans l'amour avec ton Dieu.

            Donc, perds-toi dans son vouloir. Fais ce qu'il te demande. Aime-le, mais vraiment, sérieusement, par toute ta conduite. Et puis alors, aime d'un amour de tendresse tes frères, tous les hommes d'un amour de fidélité.

            En Hébreux, c'est être fidèle à ce qu'on a promis, être fidèle dans les relations qui se sont nouées. Et ça doit partir du cœur, ça doit partir des entrailles, ça doit nous engager dans tout notre être. Et ainsi, dit-il, tu accompliras humblement. toute justice. Dieu ne te demandera rien d'autre...

 

            Et c'est vrai, mes frères, pensons-y ! Cela devrait être écrit partout. Vous savez. les vieux trappistes, c'était encore comme ça quand je suis arrivé ici, les anciens s'en souviendront, il y avait des petites sentences sur des petits morceaux de bois qui étaient suspendues partout ici, dans les jardins, pour qu'on n'oublie pas. Aujourd'hui, ça paraîtrait désuet ! Mais c'était beau, je pense, parce que ainsi on avait devant les yeux de petites choses qui nous rappelaient que on est ici chez Dieu et que la grande loi de la maison de Dieu. c'est l'amour...

 

Chapitre 4, 51-77 : Quels outils utiliser ?      20.09.84             

      Entendre les Saintes Ecritures !

 

Mes frères,

 

            Je vais épingler une belle petite sentence que Saint Benoît met à notre disposition pour que nous puissions progresser rapidement vers les sommets où nous sommes appelés. Il  dit : Lectiones sanctas libenter audire, 4,65, Entendre volontiers les Saintes Ecritures.

 

            Je ne vais pas insister sur cette vraie attitude monastique qui est le fait d'écouter. j'en parle assez souvent. Des savants d'aujourd'hui se penchent assez bien sur le rôle de l'oreille pour l'équilibre de l'homme. 85% environ de l'énergie dont nous avons besoin pour vivre, pour travailler, pour nous conduire correctement viennent par le canal de l'oreille. Alors, voyez pour nous dans le contexte monastique, l'importance du chant sacré, de la modalité, du rythme. Je pense que nous avons déjà là une petite expérience.

            L'Office tel que nous l'avons maintenant est vraiment beau. A la fin de l'Office de nuit, nous avons chanté 12 Psaumes. Pouvons-nous dire que nous sommes fatigués ? Eh bien non, nous ne le sommes pas. Nous pouvons être fatigués au début, mais à la fin nous sommes reposés. Pourquoi ? Parce que ce chant qui est vraiment un chant sacré à introduit l'énergie en nous par le canal de l'oreille.

 

            Et on comprend alors pourquoi Saint Benoît voit le temps après l'Office de nuit, le temps après cette longue veille comme un temps idéal pour justement se livrer à de Saintes Lectures. Pourquoi ? Parce que toute notre énergie est en notre possession. Nous sommes comme une batterie d'accumulateurs. Et cette batterie d'accumulateur se charge par le chant sacré, par notre chant.

            Ne l'oublions jamais, c'est tellement important ! Et alors, j'en suis certain, moi j'en fais personnellement l'expérience, qu'il en est de même pour vous. Il suffit d'être attentif et de voir qu'il en est bien ainsi.

 

            Alors l'importance aussi des Saintes Ecritures, comme dit Saint Benoît, c'est à dire les lectures qui nous sont offertes au cours de la Liturgie, au cours de l'Office, au cours de l'Eucharistie, les lectures du réfectoires aussi. Mais également les leçons que nous recevons, c'est à dire l'enseignement, l'enseignement de l'Abbé, l'enseignement des célébrants lorsqu'ils font l'homélie, l'enseignement des conférenciers que nous recevons. Tout cela, nous devons, dit Saint Benoît, l'écouter libenter volontiers. C'est à dire plus précisément avec plaisir, le recevoir de bon cœur, de bon gré, avec un certain appétit.

 

            La Constitution no 59 nous parle de cela. Elle nous dit :

 

                   Après la profession monastique et durant tout le cours de la vie – tout le cours de la vie donc ! – les frères apprennent la philosophie du Christ.

 

            C'est à dire la sagesse que nous donne le Christ, le Christ qui est la sagesse du Père, la sagesse de Dieu. Nous devons nous initier à cette sagesse tout au long de notre vie.

 

Une formation continue est offerte tant à la communauté dans son ensemble qu’à chacun des frères selon ses possibilités. Celle-ci est solidement fondée sur la science biblique, patristique, liturgique, théologique et spirituelle.

 

            Voyez, c'est une obligation dans une communauté ! Ce n'est pas du facultatif, c'est une obligation. L'Abbé est tenu en vertu de ses responsabilités de veiller à ce que la communauté dans son ensemble reçoive une solide formation fondée sur la science biblique, patristique, liturgique, théologique et spirituelle.

 

A cette formation continue de toute la communauté contribuent la liturgie, les instructions de l’Abbé, les lectures et les conférences entendues en communauté ainsi qu’une bibliothèque pourvue de livres adaptés.

L’Abbé stimule tous les frères pour qu’ils s’adonnent activement à cette formation selon les dons propres de chacun par les moyens compatibles avec la vie monastique afin qu’ils parviennent à la plénitude de la vérité.

 

            Donc voilà, mes frères, je pense que sous ce rapport. nous sommes ici vraiment gâtés. Parce que notre liturgie, elle est saine, de bonne santé. Elle est correcte et elle est belle. Les retraitants qui viennent ici le disent à l'unanimité.

            En outre, nous recevons au cours de cette liturgie, des lectures qui sont des lectures très classiques. Il y a des lectures telles que l'Eglise le demande. Et nous entendons aussi des homélies. Et ces homélies sont bien construites. Elles nous donnent une nourriture abondante, une nourriture qui n'est pas de l'érudition mais qui vient du coeur de chacun, chacun selon ce qu'il est. Mais c'est toujours bien.          

            Il y a aussi les conférences que nous recevons sur des sujets variés. Vous avez pu prendre les feuillets qui vous donnent le programme pour l'année 84-85.

 

Chapitre 4, 51-77 : Quels outils utiliser ?      21.05.85

      Les fins dernières !

 

Mes frères,

 

            Aux temps héroïques de la Trappe, aux jours où les Pères Rédemptoristes faisaient trembler les communautés, il était indispensable que chaque retraite ou récollection compte une méditation sur les fins dernières: la mort, le jugement, le paradis et l'enfer. Un tel exercice, aujourd'hui, nous ne l'imaginons plus. Cela produirait une impression négative.

            Il nous semblerait que nous sommes enfermés dans un carcan qui nous empêche de vivre, qui nous permet tout juste d'étouffer. Le jugement ? On s'en fou ! La mort ? La mort, et bien après nous les mouches ! L'enfer ? Il n'y en a plus, tout le monde le sait. Il n'y en a jamais eu d'ailleurs ! Et le paradis ? Eh bien, le paradis, c'est pour tout de suite à condition d'avoir de l'argent !

 

            Voilà une atmosphère qui règne partout aujourd'hui, partout. On a l’hédonisme, l'érotisme, les romans, la TV et ses reportages, ses documentaires, son actualité ou bien ses films. Elle familiarise les gens avec le fait de la mort. Aujourd'hui, cela ne nous impressionne plus. Il y a trop d'accidents, il y a trop de guerres, il y a trop d'attentats.

            Tout cela fait que ces réalités pourtant fondamentales de notre existence ici sur terre deviennent des banalités. Et cette atmosphère qui se généralise infecte tout et elle nous infecte nous aussi, surtout les jeunes. Les anciens, c'est encore un peu différent. Mais les jeunes en sont tous malades. Ils n'en meurent pas tous, mais tous sont atteints.

 

            Or, pour Saint Benoît et pour son disciple, les fins dernières sont une réalité et il ne s’agit pas d'en rire. Saint Benoît nous dit : Craindre le jour du jugement - redouter l'enfer - désirer la vie éternelle de toute l'ardeur de son âme, (le paradis) - et avoir chaque jour devant les yeux la menace de la mort. On ne peut pas être plus précis.

 

            Remarquez que ces fins dernières sont au nombre de quatre. Or, le Père Prédicateur nous a rappelé que le chiffre quatre avait une valeur symbolique lourde. Il désigne l'universalité du réel créé au centre duquel, ou au couronnement duquel se trouve l'homme. Ce sont les quatre points cardinaux ; ce sont les quatre vents ; c'est le ciel, la terre, la mer, et ce qui est en dessous de la terre ; ce sont les quatre éléments qui constituent le monde, la terre, l'air, l'eau et le feu ; ce sont les quatre animaux qui portent le char de Dieu, ces quatre animaux qui ont une tête d'aigle, de lion, une tête de taureau ou une tête d'homme.

 

            Vous voyez que ce chiffre quatre nous montre, est symbolique de l'univers de l'homme. Et les quatre fins dernières – donc qui sont quatre - nous montrent que ces réalités que nous rappelle ici Saint Benoît embrassent la totalité de l'existence humaine dans son destin promis à l'éternité.

            Comment devons-nous réagir devant elles ? Elles nous font comprendre que la vie en soi, mais surtout la vie chrétienne, c'est à dire la vie greffée sur la personne du Christ ressuscité d'entre les morts - et la vie monastique se veut la perfection de cette vie chrétienne - c'est quelque chose de sérieux. On ne peut pas en rire. On ne peut pas rire de le vie. On ne joue pas avec elle. On ne s'en moque pas !

 

            Lorsque j'étais jeune, c'est à dire lorsque j'avais aux environs de vingt ans et que j’étais au travail, qu'il fallait travailler pour gagner sa vie, dans ce milieu de travail il y avait des hommes qui me paraissaient vieux, très vieux : ils avaient entre trente et quarante ans. Vous vous imaginez comme c'était vieux pour un qui n'en avait pas vingt ! Eh bien, je me rendais compte que ces hommes alors ne croyaient pas à la vie. Ils se moquaient de la vie.      C'était déjà le nazisme en Allemagne ; c'était le fascisme en Belgique ; c'était la guerre civile en Espagne ; c'était la guerre qui commençait en Europe Centrale. Peut-être qu'il y avait là une sorte de pressentiment de ce qui allait arriver et que, à l'avance déjà on se moquait de la vie parce que la guerre était aux portes. Je n'en sais rien, mais je m'en souviens encore.

 

            Et c'est pour ça que je dis qu'il ne faut pas se moquer de la vie. Il ne faut pas jouer avec elle. Quand on est entré dans la vie, on ne peut jamais plus en sortir. Le suicide est une illusion. On pense échapper à la vie, rentrer dans le néant. Mais c'est une illusion, il n'est plus possible.

            Le moine qui arrive à ne plus faire qu'un seul esprit avec la Personne du Christ ressuscité, celui-là, il sait très bien que la vie est éternelle parce qu'il la possède. Il sait qu'il ne mourra jamais et que ce que nous appelons, nous, la mort, c'est à dire cet événement d'ordre biologique que nous connaissons tous à l'avoir vu chez d'autres, mais que cette mort dans le fond, c'est un accident à côté d'autres. Mais la vie est autre chose que cela. La vie est au-delà de cette mort même si elle passe à travers.

 

            Mes frères, on ne joue pas avec la vie. La vie est un cadeau. Elle est un dépôt qu'on a reçu et qui nous rend solidaire de Dieu et du cosmos. Ce qu'il y a peut-être de plus beau dans cette expérience de la vie, mais de la véritable vie alors, de la vie éternelle, c'est de se sentir solidaire de Dieu, c'est à dire en communion avec lui, comme si Dieu avait besoin de nous pour être Dieu.

            Et ça, c'est quelque chose de très beau ! Et je me demande si ce n'est pas vrai ? Car Dieu a voulu devenir homme. Et en devenant homme, la théologie nous dira ou la philosophie, mais qu'il n'a rien ajouté à son être de Dieu. Peut-être bien ? C'est certain ! Mais ne faisons pas ces petites distinctions.

 

            Dieu devenu homme, eh bien c'est Dieu qui, à mon avis, est plus riche qu'avant. Il est plus heureux qu'avant. Il sait ce que c’est que cette créature qu’il a créée puisque il a voulu partager son état de chair, de matière.

            Mais en même temps alors, l'homme devient le partenaire de Dieu. Il devient dans le Christ solidaire de la vie divine et il en est heureux. Il y a là un échange amoureux entre Dieu et l'homme qui fait que les deux deviennent plus riches après qu'avant.

 

            Voilà, mes frères, ce que c'est que cette vie. Or c'est cela que Saint Benoît veut éveiller, raviver en nous, cette conscience qu'il veut raviver en nous, en nous demandant de penser à cette réalité que sont la mort, le jugement : c'est à dire le jour où on paraîtra devant Dieu, le jour où nos yeux s'ouvriront, et que nous comprendrons, que nous verrons quelle a été la trame de notre existence. Et alors le choix : sans Dieu ou avec Dieu ? C'est cela, mes frères, le sérieux de la vie .

 

            Maintenant dans la pratique, les fins dernières comme le voit Saint Benoît - ça vaut pour tous les hommes, mais enfin nous sommes dans un monastère - c'est vivre tout bonnement, tout simplement en présence de Dieu. Mais oui, si je pense à la mort, si je pense au regard que Dieu porte sur moi, au regard qui me juge dans ma vérité, si je pense à cette vie avec Dieu et ce que pourrait représenter une existence qui serait hors de la vie divine, si je suis toujours occupés avec ces choses-là, mais je vis en présence de Dieu.

 

            Et si je vis en présence de Dieu, ces réalités, elles me soutiennent, et elles me fortifient, même si je ne pense pas explicitement à elles. C'est ça la vie contemplative ! C'est vivre dans une communion consciente avec Dieu.

            Et on remarque alors qu'on est un être sacré. On devient un temple de Dieu. Nous approchons de la fête de la Pentecôte. L'Esprit de Dieu habite en nous. Nous sommes pneumatophore, nous sommes porteurs de l'Esprit. Et un homme qui est porteur de l'Esprit doit vivre selon l'Esprit et non plus selon ses tendances égoïstes et charnelles.

            Voilà toutes choses qui découlent de cette préhension du mystère de Dieu et de ses rapports avec l'homme, avec le monde des hommes, avec moi personnellement tout d'abord. Il y a aussi alors le respect de soi, le respect des autres, le respect de l'environnement.

 

            Mes frères, gardons bien toujours cela présent à la mémoire de notre coeur. Ne soyons donc pas effrayés par ces fameuses fins dernières. Peut-être qu'il y a eu autrefois des exagérations ? On en a fait un épouvantail. En fait, c'est quelque chose de très beau à condition de voir d'où elles procèdent et où elles nous conduisent. Elles procèdent du coeur de Dieu là où il n'y a que de l'amour, et elles nous conduisent jusque chez Dieu où on est immergé dans la lumière et dans l'amour.

 

Chapitre 4,51-77 : Quels outils utiliser ?       20.01.86

      Le désir de la Vie !

 

Mes frères,

 

            Ce soir, nous retrouvons ce que le Père Patrick de Wisques nous a enseigné la semaine dernière, à savoir qu’un désir violent, lancinant ronge et soulève l'âme du moine, un désir qui est déjà possession commencée, un désir qui comble, qui rassasie, mais qui en même temps éveille de nouveaux appétits. C'est le désir de la vie éternelle.

 

            Désirer, dit Saint Benoît, la vie éternelle de toute l'ardeur de son âme, 4,53. Je traduirai plus textuellement dans un instant. Saint Benoît parle de la vie éternelle. Nous ne pouvons comprendre correctement en quoi consiste cette vie éternelle. Ce n'est pas le prolongement de la vie que nous avons maintenant, c'est une vie autre, d'une autre nature. C'est une vie qui est pleine. Elle est parfaitement consciente. Elle est perpétuellement jeune. Elle n'est jamais fastidieuse, mais elle est toujours neuve, toujours fraîche.

 

            Notre vie terrestre, mais nous la sentons fluctuer. A l'instant, on me disait : aujourd'hui a été pour moi une journée de cafard ! Mais je comprends bien ça, et c'est très heureux d'avoir des journées de cafard car ça nous permet de désirer avec plus d'ardeur cette vie autre qui n'est pas différente de Dieu lui-même. C'est une vie incorruptible. Il n'est pas possible, encore une fois, d'en parler correctement. Elle est l'amour, elle est Dieu-même. Dieu n'est pas distinct de sa vie.

 

            Et c'est pour cette vie-là que nous sommes créés. Et c'est celle-là, comme nous dit Saint Benoît, que nous devons désirer omni concupiscentia spirituali, 4,54. C'est traduit : de toute l'ardeur de son âme. Oui, c'est vrai ! Mais c'est pas ça que nous dit Saint Benoît. En fait, il dit textuellement : désirer la vie éternelle de toute la force de notre concupiscence spirituelle, concupiscentia spirituali.

            Il existe donc une concupiscence qui est bonne. Et cette bonne concupiscence annule, éteint la concupiscence pernicieuse, mauvaise, celle qui conduit à la mort qui est la concupiscence de la chair. La concupiscence spirituelle, elle a sa source dans l'Esprit de Dieu et elle y retourne. Elle nous y emporte. Il suffit de se laisser porter par elle.

 

            Il faut bien comprendre que Dieu ne détruit jamais ce qu'il a fait. Il ne détruit pas la nature. Il y a en nous une concupiscence qui est attachée à notre être de chair. Donc, elle nous porte vers les choses qui sont, voilà, qui sont en accord avec ce que nous sommes, c'est à dire des êtres blessés par le péché et voués à la mort.

            Eh bien, Dieu ne nie pas ce qu'il a fait. Mais sur cette énergie qui est en nous, il greffe son propre Esprit. Et au lieu de diriger nos puissances de désir, de convoitise et de concupiscence vers la chair, il les dirige vers lui. Et ainsi, nous réalisons notre vocation d'homme, mais d'homme complet, donc d'hommes voués à partager le sort même de Dieu.

 

            En pratique, nous sommes dans une situation conflictuelle. Saint Paul en a très bien parlé. Il y a donc cette concupiscence de la chair qui procure un plaisir mais un plaisir éphémère, et qui finalement conduit à la mort. Pourquoi conduit-elle à la mort ? Mais parce que le plaisir qu'elle donne est éphémère. C'est un plaisir qui est destiné à cesser. Et la concupiscence, de plaisir en plaisir, finit. toujours par périr avec la chair qui la porte.

 

            Pour la concupiscence spirituelle, il en va tout autrement. La concupiscence qui vient de l'Esprit, elle porte en elle un avant-goût d'infini, un avant-goût de quelque chose qui ne finira pas. Peut-on appeler cela un plaisir ? une jouissance ? Peut-être bien ? Oui !

            Les spirituels parleront d'une fruition, fruitio Dei. Comment traduire cela en français ? C'est : imaginons une jouissance qui n'ait rien de déréglé, qui n'ait rien d'anormal, mais qui soit extrêmement pure, qui soit quasi divine. Car réellement c'est divin parce qu'elle vient de l'Esprit. C'est la fruitio Dei, c'est le bonheur, c'est la jouissance, c'est le plaisir, la joie, la plénitude que goûtent les élus qui voient Dieu face à face dans le ciel, donc qui sont devenus un seul esprit avec Dieu, un seul esprit avec le Christ.

            Voilà la concupiscence spirituelle. Et à mon avis, elle dure toute l'éternité. Elle est rassasiée à chaque moment mais, comme je le disais tout à l'heure, au même instant de nouveaux appétits sont ouverts. Il n'y a donc jamais de fastidium, d’ennuis. Il n'y a jamais de dégoût. Non, c'est toujours neuf, c'est toujours frais.

 

            Voilà la différence entre les deux concupiscences. Mais nous dans la pratique, nous sommes entre les deux. La concupiscence de la chair est là avec ce qu'elle apporte tout de suite. Mais tout au fond de nous, il y a ce désir de voir Dieu, de le rencontrer, de faire un avec lui. Et voilà, nous sommes toujours à devoir choisir, à devoir lutter. C'est toute l'ascèse monastique. Ce n'est rien d'autre que cela.

            Et le moine, on pourrait dire que c'est un artiste qui s'efforce de mettre toutes ses énergies au service de cette concupiscence spirituelle, de ce désir de la vie éternelle qui est la rencontre même de Dieu et l'union intime, vraiment un dans l'autre avec Dieu. Ce n'est plus moi qui vit, c'est le Christ qui vit en moi.

 

            Et ce Dieu qui est devenu homme, pour pouvoir me prendre en lui, est à son tour comblé, comme si le fait que je suis avec Dieu apportait un supplément de bonheur à Dieu. Et je pense qu'il doit en être ainsi. C'est cela la vie éternelle. Et c'est cela que Saint Benoît nous demande de désirer de toute la puissance de notre concupiscence spirituelle, de notre convoitise spirituelle.

 

            Voilà, mes frères, et imaginons encore une fois que nous soyons tous ainsi. A ce moment, c’est le corps ecclésial de notre communauté qui sera porté par cette convoitise spirituelle. La communauté sera parfaitement une.

            Et étant parfaitement une, elle serait dans la grande Eglise terrestre, ici, qui est maintenant divisée, dispersée, elle serait un élément de ralliement dans l’invisible. Et à partir de là, des forces d’unité rayonneraient dans tout le Corps du Christ, son Corps terrestre.

 

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      21.01.86

      Accomplir les préceptes !

 

Mes frères,

 

            La vie monastique n'est pas un vague sentimentalisme qui flatterait la religiosité  d'hommes foncièrement pieux. Ce n'est pas non plus une spéculation sur de grands principes théologie spirituelle. Non, elle est ceci, comme nous le rappelle Saint Benoît ce soir : accomplir tous les jours par ses œuvres les préceptes du Seigneur. La formule latine est bien frappée : praecepta Dei factis cotidie adimplere, 4,78.

 

            La vie monastique est donc une praxis soutenue, humble, persévérante, fidèle. Dieu nous fait connaître ses volontés, ses praecepta. Ce sont des ordres, des commandements, on n'a pas discuter. Ils sont à prendre tels qu'ils nous sont présentés. Avec Dieu on ne discute pas, ce sont des praecepta.

            Il nous est demandé de les accomplir adimplere, dit le texte. Il y a une nuance qui se trouve aussi présente à l'intérieur du mot français accomplir, mais qu'il est important de préciser.  Il faut les accomplir jusqu'au bout, adimp1ere, les accomplir. Il faut les achever entièrement, les ordres du Seigneur. Il ne faut pas commencer, faire à moitié et dire : c'est bon pour Dieu.

            Non, il faut aller jusqu'au bout. Dieu attend un travail achevé, bien fait. Comme je l'ai rappelé hier par exemple, à la doxologie, on se relève quand on dit amen. On va jusqu'au bout de la doxologie. On ne se relève pas quand elle est au trois-quarts finie. Non, jusqu'au bout, c'est ça adimplere.

 

            Et par des faits, par des œuvres, par des actes, factis, dit Saint Benoît, 4,78. C'est à dire que ça doit être inscrit dans le concret. Ce n'est pas seulement dans l'intention qu'on doit obéir aux ordres de Dieu. L'enfer est pavé de bonnes intentions. Non, ce que Dieu attend, ce sont des facta, c'est à dire des faits, des choses bien réelles, bien concrètes. Et cela, tous les jours, cotidie, quotidiennement. Donc jour après jour, sans se lasser.

            C'est austère, c'est austère ce que Dieu nous demande, ce que Saint Benoît nous demande, mais ça nous installe dans notre vérité, donc au coeur de l'humilité. Cela nous rappelle que nous sommes des créatures, des hommes bien faibles, des hommes voilà. Nous avons été créés non pas pour nous tourner les pouces, mais pour travailler.

 

            Le travail est un acte cultuel dans la vie monastique comme il l'était pour Dieu. A l'origine, il a créé l'homme. Il l'a placé dans son jardin de plaisance pour que l'homme y travaille, pour qu'il l'entretienne et que travaillant, il rende un culte à Dieu. Le culte est un travail, et tout travail manuel est un acte cultuel. Donc nous voilà installés dans notre vérité de serviteurs de Dieu.

 

            Mais Dieu entend faire de nous autre chose que des serviteurs. Il veut faire de nous ses enfants, c'est à dire nous faire participer à sa vie, nous rendre des dieux.  Voilà, il ne faut pas avoir peur d'utiliser le mot. Il veut nous diviniser, nous rendre semblable à lui. On a été créé à son image. Mais Dieu aussi, lui, il ne nous demande que ce qu'il fait. Dieu adimplet aussi son travail. Il le pousse jusqu'au bout, son travail. Son image, l'image parfaite, ce sera être un autre Dieu.

            Il y a ici toute une théologie. Mais c'est cela la beauté de la vie humaine qui nous est révélée dans la Personne du Christ et que bien peu d'hommes connaissent aujourd'hui. Mais tout ça, c'est un cadeau, c'est une grâce.

 

            Eh bien voilà, mes frères, ce que Dieu nous offre. Ne le rejetons pas. Et pour montrer que nous sommes d'accord avec lui, et bien, tout ce qu'il nous demande, tout ce qu'il nous prescrit, faisons-le jusqu'au bout, bien !

 

Chapitre 4, 1-24 : Quels outils utiliser ?        19.05.86

      Splendeur de la charité !

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît, dans le chapitre quatrième, met à notre disposition un large éventail d'outils qui nous permettrons d'exercer l'art spirituel. Il convenait qu'il nous mit entre les mains les plus important d'entre eux, à savoir l'amour de Dieu et l'amour du prochain.

            Ces deux instruments sont comme des gants qui donnent vigueur à nos poignets, qui donnent souplesse et agilité à nos doigts. Si nous n'avons pas ces gants pour manier les autres instruments, notre travail est perdu d'avance.

 

            Le Christ lui-même nous a dit que le commandement de l'amour renfermait à lui seul toute la Loi et les Prophètes. Il est donc très facile à l'homme de vivre, de vivre en homme, de vivre en fils de Dieu. Il lui suffit d'aimer.

            Mais dans la pratique ça ne va pas de soi parce que nous sommes pécheurs, nous sommes des êtres tordus, repliés sur eux-mêmes, crispés. Tout au fond de nous nous ne sommes pas parfaitement heureux et nous rendons les autres malheureux. Le travail de conversion consistera donc en un passage, en une Pâque qui nous conduit de l’égoïsme à la charité, d'un état de maladie à un état de santé, d'un état de mort à la vie.

 

            Et cette conversion, nous ne pouvons pas la négliger. Elle fait pour nous l'objet d'un vœu spécial. Nous collaborons avec le Christ qui nous a appelés, qui veut nous guérir, qui veut nous donner sa vie, qui veut nous associer à sa mission. C'est pourquoi Saint Bernard appelait le monastère une scola caritatis, une école. Mais il entendait école dans le sens où le Moyen-Age comprenait ce mot. C'est donc un établissement d'enseignement supérieur où on apprend un art, et en occurrence l'art sublime de l'amour.

 

            Cet amour de charité, cette agapè, elle nous rend semblable à Dieu. Cet amour devient en nous bouillonnement de vie divine comme c'est chez Dieu. Le Père Lambert nous en a parlé longuement. Saint Jean a été séduit par la vision de cet amour. Il l'a vu briller dans le regard du Christ. Il l'a admiré dans les moindre gestes de ce Jésus, un homme comme nous mais qui en même temps était Dieu lui-même. Et Jean n'a pu s'en détacher. Et il nous dit et il nous répète : Eh bien, venez voir !

            Il faudrait, mes frères, que chacun d’entre nous, nous puissions dire aux hommes que nous rencontrons : Mais venez voir, venez voir ce que moi je vois ;  venez voir ce que moi je vis. Regardez-moi et vous aurez vu, et vous aurez compris et vous ne pourrez plus vous détacher de cette expérience.

 

            Saint Benoît use d'une expression similaire. Il parle de scola Domini servitii, Pr.107. Cela peut se traduire de deux façons . Une première : Une école où on apprend à servir le Seigneur. Donc le Seigneur, en l’occurrence le Christ Jésus, est tout pour nous. Nous sommes à son service. Il peut tout nous demander. Jamais nous ne dirons non. Le Prédicateur l'a bien expliqué aussi : le fait de dire non ne marque pas la liberté d'un homme mais son esclavage. Tandis que l'homme qui dit oui, c'est un homme qui est libre, libre intérieurement, libre extérieurement. Voilà donc servir le Seigneur !

 

            Mais on peut le comprendre d'une autre façon qui est aussi très belle : apprendre à servir comme le Seigneur lui-même a servi. C'est à dire aller jusqu'au bout de l'amour, jusqu'au bout du don de soi aux autres. Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu'on aime. Voilà servir les autres à la manière du Seigneur, leur laver les pieds comme lui-même a lavé les pieds de ses disciples ; être en-dessous des autres, se savoir dans le fond du coeur en-dessous des autres, donné aux autres ; voilà, c'est cela aimer à la manière du Seigneur .

 

            Et c'est aussi la vraie noblesse d'un homme, une noblesse qui le marque indélébilement pour l'éternité, cette charité exprimée dans le service des frères. Mais un tel moine, il est présence du Christ dans le monde. Il est lumière. Il est vie éternelle.

            Mais attention ! En même temps, par sa seule présence, il condamne le monde et ses agissements. Vous savez, ce monde, le monde qui est le lieu de la convoitise, de l'esprit de domination, de la jouissance, du repliement sur soi, de l'égoïsme.

            Eh bien, ce monde-là est condamné par la présence d'un moine dans lequel brille la flamme de l'amour. Mais alors cet homme, ou bien il sera aimé follement par certains, ou bien il sera haï férocement par d'autres, comme le Christ.

 

            Mes frères, nous devons prendre ainsi le risque de l'amour. Et comme Saint Benoît nous le propose, je le répète, l'amour, c'est cette paire de gants, un gant pour chaque main, qui nous permet d'être vrais, de vivre en vérité notre vocation d'homme, notre vocation de chrétien, notre vocation de moine, notre vocation de fils de Dieu. Et alors, tout ce que nous ferons, tout ce que Saint Benoît va détailler au cours de ce chapitre, tout aura un sens - sinon ce n'en a pas - et un sens pour une valeur d'éternité.

 

Chapitre 4, 25-20 : Quels outils utiliser ?      20.05.86

      Exigence de vérité !

 

Mes frères,

 

            Il y a une petite remarque que nous adresse Saint Benoît. Il dit : non multum edacem, 4,41. Il ne faut pas être un grand mangeur ! Cela me rappelle que nous avons reçu les résultats de l'enquête menée par les diététiciens de l'Université de Gand. C'était rédigé en flamand. Cela a p -té traduit en français. Maintenant ce doit être bien tapé par notre expert en dactylographie. Et puis après, je le présenterai à la communauté. Pas grand mangeur. Cela viendra en son temps !

 

            Mais dans la ligne de ce que nous avons vécu au cours de la retraite, il me semble que la charité pour Dieu, la charité pour le prochain ne peut être vécue que si la vérité a poussé à l'intérieur du coeur des racines profondes et solides. Un homme qui aime, c'est un homme foncièrement vrai.

            L'amour est gratuité et la vérité est gratuite. Le monastère est un endroit où partout doit transparaître la vérité : dans les personnes, dans la liturgie, dans les constructions, dans les façons de parler, de vivre, dans le travail, en tout. Le monastère est le lieu de la vérité.

 

            Et Saint Benoît nous le rappelle lorsqu'il nous dit : veritatem ex corde et ore proferre, 4,31. On le traduit : Dire la vérité de cœur comme de bouche. Oui, c'est une traduction approximative. Saint Benoît dit plus précisément que le moine est un homme dont le cœur est établi dans la vérité. Et la vérité monte de ce cœur jusqu'au niveau de la bouche et de là elle s'écoule.

            Elle est mise à la disposition des autres. C'est le verbe proferre, c'est présentée, offerte aux autres. Mais elle vient du cœur d'un homme qui l'offre à son entourage. Voilà le geste d'un véritable moine. Et nous comprenons que c'est aussi un geste de grande charité.

 

            Mais la vérité ne peut être que le fruit d'une rencontre et d'une métamorphose, car la vérité est une personne vivante. Ce n'est pas une abstraction philosophique. Ce n'est pas non plus un concept éthique. C'est une personne. C'est la seconde Personne de la Sainte Trinité. C'est le Verbe de Dieu devenu homme. C'est le Christ Jésus qui a dit : Moi, je suis la vérité. Et on devient vrai soi-même lorsque on laisse le Christ vivre librement en soi.

            Je suis vraiment moi-même lorsque je suis dans la vérité, c'est à dire lorsque je suis conforme à la vision que Dieu porte de moi dans son cœur. A ce moment je suis vrai. Donc, lorsque je laisse ma vérité cachée dans le cœur de Dieu, lorsque je la laisse prendre possession de moi et jouer librement en moi.

 

            Mais cette vision que Dieu porte dans son cœur et qui est ma véritable personne, ce n'est autre que l'image du Christ ressuscité d'entre les morts. Il est le premier né de la création et nous devons tous lui ressembler par une partie de notre être. Mais ça, vous le savez aussi bien que moi.

            Le chemin vers la vérité, ce sera donc un abandon confiant à l'amour que Dieu a pour nous. Dans la pratique, cela signifiera toujours ce comportement tellement beau qu'est l'obéissance. La vérité pénètre en nous par le canal de l'oreille. J'entends la vérité avant de la voir. La vérité m'invite. Elle entre en moi.

            Et ma réponse à cette invitation, c'est mon obéissance. L'Apôtre dira que nous devons faire la vérité. Elle ne nous transforme pas sans notre accord, sans notre réponse. Faire la vérité, c'est offrir son être à la vérité, la laisser prendre possession de nous en y répondant, en faisant ce qu'elle nous demande.

 

            Maintenant, par une aberration qui marque la gravité de nos maladies spirituelles, reconnaissons-le, nous avons instinctivement peur de la vérité. Nous avons le sentiment que la vérité nous heurte, qu'elle nous écrase, qu'elle nous empêche de vivre.

            Alors, nous allons nous protéger d'elle. Nous la repoussons. C'est un constat qui ne date pas d'aujourd'hui. L'Apôtre Saint Jean le disait déjà : les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière. Ils ont préféré le mensonge à la vérité.

 

            Il y a dans l'univers un être qui est le père du mensonge- le Prédicateur nous en a parlé - cette puissance satanique qui tend des pièges sur notre route, qui nous accuse, qui est le diabolos, celui qui disperse tout, qui casse tout, qui met la brouille partout, celui qui falsifie tout, qui jette de la poudre aux yeux. C'est le père du mensonge. Il est menteur par nature.

            Et le péché d'origine, c'est une certaine complicité avec lui. Le péché originel, c'est une petite connaturalité avec le démon. Nous lui avons donné notre accord une fois. Je ne sais pas comment, mais c'est arrivé. Et depuis lors, nous avons des accointances avec lui. Si bien que la vérité nous fait peur et que nous nous en protégeons.

 

            C'est remarquable ! Si vous voulez regarder sincèrement à l'intérieur de votre conscience, vous le reconnaîtrez, tout comme moi je le reconnais en ce qui concerne ma propre personne.

            Et se livrer à la vérité, eh bien, ça demande du courage. Et pourtant, c'est la vérité seule qui peut nous conduire à la liberté. Lorsque je suis dans ma vérité, à ce moment-là, je suis libre de toutes les pressions qu'on peut exercer sur moi.

            Voyez le Christ au moment le plus tragique de sa vie, lorsque son sort dépendait d'un homme qui était là devant lui. Il a dit : Moi, je suis venu en ce monde pour rendre témoignage à la vérité. Eh bien, il en est mort, mais il n'est pas revenu en arrière. Il n'a pas essayé d'échapper. Il a été vrai jusqu'au bout. Et c'est la raison pour laquelle il a aimé jusqu'au bout.

 

            Et bien, mes frères, la lutte du moine, c'est un combat pour la vérité. O ce n'est pas pour la vérité, vous savez, défendre de grandes causes d'aujourd'hui dans le monde. Non, mais c'est une lutte dans la vérité à l'intérieur du cœur et dans la conduite vis à vis des autres, dans la relation avec Dieu, que nous soyons toujours dans l'axe de ce que Dieu voit de nous pour notre bonheur. Cela, c'est notre lutte !

 

            Mais alors, nous devons lutter contre ce père du mensonge qui voit que nous lui échappons. A ce moment-là, il met tout en œuvre. C'est la grande lutte du moine. Eh bien, mes frères, nous devons nous y entraider. C'est beaucoup, beaucoup. Etre tout seul dans cette lutte, ce n'est pas facile parce que nous sommes tellement faibles, et puis nous avons tellement peur. Mais lorsqu'on est en groupe, qu'on est là comme une armée, alors c'est la fraterna ex acie de Saint Benoît, une armée rangée en bataille, et alors nous sommes forts.

            Nous allons donc toujours nous entraider, mes frères, pour grandir et nous épanouir au sein de la vérité.

 

Chapitre 4, 51-77 : Quels outils utiliser ?      21.05.86

      Enraciné dans la vérité !

 

Mes frères,

 

            L'exploration de l'univers divin sous la conduite de Saint Benoît est une grande joie pour le coeur. Nous avons entrepris jour par jour, soirée par soirée, un voyage passionnant qui nous révèle, qui nous réserve de belles, de magnifiques surprises. Jugez-en encore aujourd'hui.

            Mais d'abord, avant-hier, nous avons admiré les splendeurs de la charité. Hier, nous avons été confrontés aux exigences de la vérité. Et aujourd'hui, nous voici placés devant une puissante et violente antithèse. Ecoutez : Craindre le jour du jugement, redouter l'enfer, désirer la vie éternelle de toute l'ardeur de son âme, avoir chaque jour devant les yeux la menace de la mort. 4, 51-55.

 

            Nous avons donc d'un côté l'enfer et de l'autre la vie éternelle. Nous avons craindre, redouter et de l'autre côté désirer de toute l'ardeur de son âme. Il faut dire que lorsque on contemple ce tableau, l'effet produit est saisissant. Mais il faut s'arrêter devant le tableau. Il faut l'admirer. Il faut le laisser nous pénétrer de ses effluves. Nous ne devons pas essayer de le maîtriser. Nous ne devons pas trop l'analyser. Nous devons être dans l'attitude du contemplatif qui reçoit.

            Et cette contemplation produit un effet de crainte. On va veiller à toute heure sur les actions de sa vie. On va donc bien se conduire. Il ne s’agit pas ici d'être écrasé par une sorte de sur moi, donc d'impératif catégorique de la morale. Non, on se trouve placé en face de sa vérité.

            Si bien que le moine est un homme lucide. Il ne se paye pas de mots. Il sait que dans la vie il n'est pas seul. Dieu l'accompagnera partout : tenir pour certain qu'en tout lieu Dieu nous voit. 4,57. Et il s'avance vers un terme obligé qui est la mort : avoir chaque jour devant les yeux la menace de la mort. 4,55.

 

            Mes frères, nous ne pensons pas, nous, à la mort. Or demain - et demain, vous savez, ça arrivera très vite - nous serons tous des cadavres. Cela ira très vite, même les plus jeunes. Qu'est-ce que c'est que quelques années ? Nous y arriverons et, à ce moment-là, on ne s'occupera plus de nous. Il ne faudra pas huit jours pour que nous soyons oubliés.

            Oui, l'année suivante, il y aura encore le jour du décès une messe anniversaire. Et puis ce sera fini, on sera gommé. Oui, chaque année, au réfectoire, il y aura une petite notice. Et on aura un sourire amusé. Si nous sommes sérieux, nous aurons une pensée de prière.

 

            Voilà, mes frères,  la réalité brutale, cynique. Et cela parce que nous n'avons pas conscience que nous allons mourir, nous.  Je ne veux pas vous effrayer ici, loin de là ! Mais je suis devant ce tableau de Saint Benoît. Je suis placé entre les deux : l'enfer et la vie éternelle, puis en face le jugement et moi. Que va-t-il m'arriver ?

            Mais il m'arrivera ce qui m'arrive maintenant, car le jugement tombe sur moi aujourd'hui, à toute heure. Il ne faut pas penser : ça ne fait rien, à la dernière minute j'aurai le temps de ceci ou cela. Pas du tout, si je ne l'ai pas aujourd'hui, je ne l'aurai pas alors.

            Eh bien, le moine, c'est un homme qui refuse de se saouler et de se droguer par toutes sortes d'imaginations ou de faux-fuyants. Il regarde la réalité en face. C'est un homme enraciné dans la vérité, ne l'oublions pas, enraciné dans la vérité. A ce moment-là, il est ce qu'on peut appeler un homme et la perspective de la mort ne l'effraye pas. Pourquoi ?

            Mais parce qu’il désire la vie éternelle de toute l'ardeur de son âme, comme il est traduit ici. Mais le texte latin est un peu différent. Il dit : omni concupiscentia spirituali, 4,53. Il désire la vie éternelle de toute la concupiscence, de toute la convoitise qui habite son esprit.

 

            Il existe donc, mes frères, une convoitise qui est saine. C'est la convoitise spirituelle, celle qui est déposée en notre coeur par l'Esprit Saint lui-même et qui éveille en nous un désir véhément de rencontrer Dieu, de le voir, et de participer pour toujours à sa vie: le désir d'être divinisé. Si donc ce désir habite mon coeur avec une telle véhémence, il éteint en moi toute convoitise charnelle et, à ce moment-là, la mort ne m'effraye pas. Pourquoi ?

            Parce que je suis déjà mort. Je suis déjà passé de la mort à la vie. La preuve que je suis passé de la mort à la vie, c'est que j'aime les frères, dira Saint Jean. Et c'est vrai, je les aime. Et à ce moment-là, je n'ai plus à craindre le jour du jugement.

 

            Mais Saint Benoît dit : il faut le craindre. Et c'est vrai ! Il y aura toujours un petit frisson parce que ce n'est tout de même pas rien de se trouver comme ça brusquement, brutalement devant Dieu. Mais je n'en aurais pas peur, car tel il est là où il vit maintenant, mon Dieu le Christ, tel je suis dans le monde aujourd'hui. Nous sommes comme le disais le prédicateur, en connivence. Nous nous sentons l'un l'autre. Nous vivons l'un par l'autre.

            Si bien, mes frères, que un moine qui est dans ces dispositions, il marche sereinement vers le terme de sa vie en veillant à toute heure sur ses actions. Il est un veilleur. Il sait toujours où il pose le pied et il le pose toujours au bon endroit. Il est toujours dans l'axe de la volonté divine.

 

            Si bien, mes frères, que de ce tableau si violemment antithétique se dégage une douce impression de paix. Et vraiment, le moine est un homme qui vit dans la paix. Il est installé dans la paix parce que étant parfaitement abandonné à la volonté de Dieu, ce n'est plus lui qui vit, c'est le Christ qui vit dans son coeur. Et rien ne peut le troubler, rien ne peut l'atteindre.

            Vous vous rappelez cette belle parole de Thérèse d'Avila : que rien ne te trouble, que rien ne t'épouvante, tout passe. Mais là où toi tu vis déjà, là c'est la paix pour toujours, c'est la propre paix de Dieu dans la vision de la lumière et dans le rassasiement du coeur.

 

            Eh bien voilà, mes frères, c'est vers ce magnifique destin que nous avançons. Et vous voyez que sous la conduite de Saint Benoît, nous rencontrons des choses qui valent la peine d'être admirées, d'être contemplées, des choses pour lesquelles il vaut vraiment la peine de risquer tout.

 

Chapitre 4, 1-24 : Quels outils utiliser ?        18.09.86

      Aimer le Seigneur Dieu !

 

Mes frères,

 

            Habituellement Saint Benoît ouvre les chapitres de sa Règle par quelques mots d'introduction qui présentent brièvement, très brièvement le sujet qui sera abordé. Ici, il commence de façon abrupte. Il dit : Avant tout aimer le Seigneur Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toute sa force.

            Puis il énumère une longue liste de sentences qui sont apparemment sans liens. Il ne s'entoure donc d'aucunes précautions oratoires. On a l'impression qu'il veut gagner du temps, qu'il désire frapper de grands coups.

 

            Pour Saint Benoît, le moine ne doit pas s'égarer dans des théories fumeuses. La vie monastique est un art qui s'apprend par la pratique. Il ne s'apprend pas dans les livres. Il ne s'apprend pas à coups de dialogues ni d'échanges.

            Non, il s'apprend au pied du mur. Il n'y a donc pas de temps à perdre dans des discussions oiseuses. Il faut agir vite, et agir très vite même. Il dira souvent: Il faut se hâter, il faut courir. La fin est toute proche, elle est déjà présente et bientôt il sera trop tard.

 

            Mes frères, le moine est un homme qui n'a pas de temps à perdre. Il est un homme pressé, même s'il fait tout calmement, posément, après mûres réflexions et prières, après avoir pris conseil afin d'être certain que la volonté de Dieu repose sur lui.

            En dépit de ses apparences, le moine est un homme qui court, est un homme qui presse le pas. Pourquoi ? Parce que le Royaume de Dieu est à la portée de sa main. Son ambition est d'y entrer de suite. Il voudrait déjà être mort. Et c'est pourquoi il hâte l'heure de sa mort.

            Non pas par toutes sortes de pratiques inconsidérées, mais l'heure de sa mort à lui-même : mourir à son égoïsme, mourir à tout centrement sur soi. Non, il veut mourir à son moi préfabriqué pour ressuscité à l'intérieur de son moi-source, c'est à dire à l'intérieur de la Sainte Trinité.

 

            Saint Benoît est donc le disciple fidèle des initiateurs du monachisme et, il est entièrement imprégné de l'esprit de l'Evangile, de l'esprit de l'Apôtre Paul, de l'esprit de l'Apocalypse. Pour l'Evangile, pour Paul, pour l'Apocalypse, tout est déjà arrivé, tout est déjà présent, tout est déjà accompli. Et je me trouve devant la porte et je frappe pour que ce soit aussi accompli en moi.

            C'est cela, mes frères, les instruments du bon travail. Et c'est la raison pour laquelle Saint Benoît ouvre son chapitre exabrupto, d'un coup, directement. Il nous lance comme un projectile à l'intérieur de la lutte pour que vite, rapidement nous traversions tous les obstacles, toutes les murailles et que nous arrivions chez Dieu.

 

            Le point de départ, c’est l’amour de  Dieu et du prochain. Et c'est aussi un point d'arrivée, car nous n'aimerons parfaitement Dieu que lorsque nous serons devenus un seul esprit avec lui. Avant tout, aimer le Seigneur Dieu.

            Lorsque Saint Benoît parle du Seigneur Dieu, il a en vue d'abord le Christ Jésus, et à travers Lui la Sainte Trinité. Dans leur formulation initiale, ces paroles se trouvent sur les lèvres même de Jésus. Elles ramassent, comme il le dit lui-même, tout l'Ancien Testament et elles condensent tout le Nouveau Testament.

 

            Cette formule définit la raison d'être de la création entière et de l'homme qui est d'être un immense chant à l'amour qui est Dieu, un immense chant d'amour. Il faut que la création entière devienne amour comme Dieu lui-même est amour. Le moine est celui qui aime. Il est le lieu où sur terre se condense l'amour.

            Un moine qui n'aime pas, mais c'est un moine qui est encore en route. Il aime, voilà, mais pas encore parfaitement. Il est en route. Et Saint Benoît le presse. Il ne faut pas perdre de temps. Il faut arriver à l'amour parfait. Un moine qui n'aimerait pas, c'est une monstruosité, ça ne va pas ensemble. C'est pas un moine alors ! Un moine est toujours mordu par l'amour. De façon imparfaite ? de façon parfaite ? Cela c'est le cheminement de chacun.

 

            En tout cas, pour Saint Benoît, c'est la personne entière du moine qui est prise. Aimer le Seigneur Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toute sa force. Il n'y a donc pas de partage, c'est tout ! On ne retient rien pour soi. Le coeur, c'est le siège de l'affectivité, le siège de l'intelligence. C'est le siège du jugement, c'est le siège de l'amour. Et bien, tout ce qui est du coeur doit être dirigé vers l'amour du Seigneur Jésus, toute son âme aussi.

            L'âme, c'est le souffle qui vient des profondeurs et qui dessine la personnalité de chacun. Nous sommes notre souffle. Nous sommes notre âme. Il faut que le souffle qui vient de nous soit un jour l'Esprit Saint en personne.

            Le souffle de Jésus, c'était l'Esprit Saint. Il est bien dit : il dirigea, il lança sur ses disciples son souffle. Et il leur dit : « Recevez l'Esprit Saint ! » Il faut que nous soyons tellement pétris par l'Esprit que nous le respirions. Alors nous devenons lumière comme l'Esprit est lumière.

 

            Et puis, il faut aimer le Seigneur Dieu de toute sa force, c'est à dire de la somme de toutes ses énergies. C'est la force physique, c'est la force psychologique, c'est la force intellectuelle, c'est la force affective, c'est la force volontaire. Enfin tout ce qui nous fait tenir debout, tout cela est au service de l'amour.

            Voyez, mes frères, comme c'est beau. C'est très exigeant, mais c'est beau. Et c'est là que se trouve notre bonheur, c'est là que se trouve notre paix, c'est là que se trouve la plénitude de notre vie. Et notre unique service dans le monastère, c'est donc cet amour, l'amour du Seigneur Dieu et l'amour du prochain comme soi-même.

 

            Mais voilà, c'est certain, la meilleure façon d'aimer son frère, d'aimer l'homme, c'est de souhaiter que lui aussi puisse aimer Dieu de tout son être et qu'ainsi, à l'intérieur d'une communion on devienne tous ensemble le Corps du Christ, c'est à dire le Corps de Dieu. Et Saint Benoît alors commence une longue liste qui n'est que la concrétisation de cet amour.

 

            Eh bien, mes frères, aujourd'hui plus que jamais le monde a besoin d'hommes qui soient le lieu de l'amour. Vous ne savez peut-être pas tout ce qui se passe maintenant. Un exemple encore : hier, en fin d'après-midi, des terroristes on fait exploser à Paris, à l'intérieur d'un grand magasin, un bombe. Cela a été un carnage épouvantable. Des tués et puis des dizaines et des dizaines de blessés, graves, légers, de toutes sortes. Alors voyez derrière cela : les deuils, les invalidités, les estropiés, les orphelins. Voilà, tout ça dans l'intention délibérée de tuer.

            Voyez, mes frères, il est dit ici : honorer tous les hommes, 4,10.  Eh bien voilà, il y a des hommes aujourd'hui dont le propos est de tuer et de déshonorer, et de faire des malheurs et des malheureux. Il n'y a rien de plus horrible. Et ça se répète à Paris à peu près tous les deux, trois jours depuis quelques semaines. C'est terrible !

 

            Alors vous comprenez, mes frères, que nous, ici, nous mettions dans le monde un énorme poids d'amour pour compenser cette haine diabolique qui s'empare de certaines personnes. Voyez que notre devoir est grand ; notre devoir, il est pressant. Nous ne pouvons pas, nous n'avons pas le droit de reculer car la guerre qui se livre maintenant est une guerre entre le bien et le mal, entre l'amour et la haine.

 

            Mes frères, nous devons être aux premières lignes de cette guerre avec l'amour qui sera notre seule arme. Et c' est l'arme absolue, c'est l'arme invincible car c'est celle même de Dieu. C'est Dieu lui-même dans son être et dans sa vie.

 

 

Chapitre 4, 25-50 : Quels outils utiliser ?      19.09.86

      Quelle sorte de colère ?

 

Mes frères,

 

            Le premier outil que Saint Benoît confie à nos mains ce soir dans l'espoir que nous deviendrons experts dans son maniement, est celui-ci : Iram non perficere, 4,25. Ce qui doit se traduire : ne pas aller jusqu'au bout de sa colère, ne pas conduire sa colère jusqu'à son terme.             Et quel est bien le terme de la colère ? Le terme de la colère, c'est la vengeance. On a dit que la vengeance était un plat qui se mangeait froid. La vengeance, c'est la colère à froid. Saint Benoît le sait.

            Et pour nous aider à pratiquer correctement ce premier conseil qu'il nous donne, il en ajoute un second : Iracundiae tempus non reservare, 4,26. ne point se réserver un temps pour la vengeance, cette colère froide qui dure et qui attend son heure. Voilà, c'est cela ne pas perficere, ne pas conduire sa colère à sa perfection, achever sa colère.

 

            Mais la colère, en soi, n'a rien d'extraordinaire ni de mauvais. Elle est inévitable. C'est un mouvement spontané de la partie irascible de l'âme. Lorsque quelqu'un ou quelque chose nous fait du tort, ou semble devoir nous en faire, nous réagissons instinctivement par la colère en pensées, en paroles ou bien en actes. On veut écarter ou détruire le danger vrai ou supposé.

            Le contraire de la colère, c'est la convoitise qui est le mouvement de la partie concupiscible de l'âme et qui nous porte vers un objet pour nous l'approprier et y trouver notre plaisir. Donc, la colère écarte, la convoitise se jette dessus.

 

            Voyez, mes frères, nous sommes mus par des instincts qui ont été inscrits dans notre nature pour nous permettre de vivre. Si nous n'avions pas en nous cette défense qu'est l'agressivité, mais nous serions écrasés par tout ce qui nous entoure. Nous ne verrions pas le danger et nous ne l'écarterions pas. Nous ne pourrions rien entreprendre parce que nous aurions toujours peur.

            De même, si nous n'avions pas en nous cette convoitise, cette concupiscence, mais nous ne pourrions même pas nous nourrir. L'anorexie, qui est une maladie mentale par laquelle on ne se nourrit plus, arrive lorsque la partie concupiscible de notre être s'est endormie. Nous n'avons même plus de goût pour la nourriture, nous ne la désirons plus, nous ne la recherchons plus et alors, nous mourrons.

 

            La colère peut être légitime. On l'appellera une sainte colère. C'est l'indignation en présence d'une injustice que nous subissons nous-mêmes ou plutôt que nous voyons infliger à d'autres. En présence de faits qui portent atteinte à l'intégrité morale, à l'intégrité physique d'autrui, alors nous nous indignons, nous nous mettons en colère. C'est une sainte colère, une colère que le Christ connaissait.

            Vous vous rappelez cette petite scène relatée dans l' Evangile de Saint Marc. Jésus se trouve dans la Synagogue le jour du Sabbat, et il y a là un homme infirme de la main. Et Jésus demande : Est-il permis le jour du Sabbat de faire du bien ou de faire du mal ? de sauver une âme ou de la perdre ? Et tout le monde garde le silence.

            Alors, promenant sur eux un regard de colère, attristé par l'aveuglement de leur coeur, il dit à l'homme : Viens ici devant !  Etends ta main ! Et l'homme fut guéri. Alors tous furent remplis de rage dans la synagogue et ils cherchaient le moyen de le faire périr.

 

            Vous avez là deux colères: la sainte colère devant la méchanceté de ces hommes, devant leur aveuglement. Et puis alors vous avez la mauvaise colère qui s'enflamme en présence d'un bienfait et qui veut faire mourir l'auteur du bien. Vous avez là les deux.

            Mais la sainte colère, elle se convertit toujours en bienveillance. Elle ne rend pas le mal pour le mal. Jésus n'a pas tiré vengeance de ces hommes, au contraire, il a pris sur lui leur péché. Il a dit : Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font !  Il a subit l'injustice, il ne l'a jamais fait subir aux autres.

 

            Et maintenant, ce qui est pernicieux, donc ce qui conduit quelqu'un à la perte, c'est l'installation dans un état de colère. C'est cultiver la rancune, le ressentiment et préparer la vengeance, attendre le bon moment. Et cet état de colère se manifeste de multiples façons.

            Je vais vous donner quelques exemples. Vous allez vous y reconnaître comme je les tire de mon expérience personnelle. Mais il doit arriver un moment dans notre vie où tout cela est dépassé, où ne subsiste plus en notre cœur qu'une sainte colère lorsque l'occasion légitime s'en présente.

 

            Donc l'installation dans un état de colère, ceci : on interprète en mauvaise part tout ce que fait l'autre qui, soit disant, nous a causé quelque tort. On ne sait plus porter sur lui un regard de bonté. On voit tout de travers. On interprète en mal tout ce qu'il dit, ce qu'il fait. Au moment de l'oraison, par exemple, ou pendant la prière des Psaumes, ou bien pendant la Lectio Divina, ou pendant le travail, enfin à un moment où notre attention vigile se relâche quelque peu, le visage de ce frère apparaît et on sent le bouillonnement de la colère qui voudrait recommencer. Vous voyez, une colère qui dure !

            Ou bien encore, on l'évite ou on le fuit,  ce frère. Si on le voit déboucher au coin d'un cloître, on va partir par l'autre côté pour ne pas le rencontrer, ne pas devoir le saluer. Si par malheur on n'a pas pu s'échapper, on passe à côté de lui plongé dans un recueillement. Comme ça, on ne doit pas s’apercevoir qu'il est là ; ou bien alors, on l'agresse en pensées.

 

            Une autre façon, plus grave encore, c'est de dire du mal de ce frère. Dire du mal, cela passe de la pensée sur la langue. C'est si facile de dire du mal de quelqu'un. C'est beaucoup plus difficile d'en dire du bien. Mais n'oubliez jamais ceci, n'oubliez jamais : lorsque on dit du mal de quelqu'un, on révèle par ses paroles le mal qu'on porte en soi.

            Car le mal que nous voyons chez le frère, c'est le nôtre. Le frère est un miroir qui nous renvoie notre propre image. Et lorsque je ne puis dire que du bien du frère, c'est qu'il n'y a plus dans mon coeur que de la lumière. Je ne vois plus que du bien en lui. Or ses fautes, ses péchés sont toujours apparents, mais je ne les vois plus comme Dieu ne les voit plus. C'est cela un cœur lumineux !

 

            Et puis alors, le plus grave de tout, à l'occasion on se venge. Voilà la colère qui arrive à son terme : on se venge. Comment ? Mais c'est tout simple : on ne rend pas service. Voilà, on aurait l'occasion, mais on ne le rend pas. On ne l'a pas remarqué, on ne l'a pas vu ! Si si, on l'a bien vu mais on fait semblant de rien .

            On ne rend pas service ou bien on joue un mauvais tour, ce qui n'est pas une farce innocente - attention, c'est autre chose, ça - mais vraiment un mauvais tour pour mettre l'autre dans l'embarras et dans la misère. Cela, c'est la vengeance à froid. Et ça, c'est très grave ! C'est grave, on est allé jusqu'au bout.

            Et c'est cela que Saint Benoît dit : Faut pas faire, iram non perficere ! Pourquoi ? Parce que cette installation dans cet état de colère, c'est vraiment contre l'amour. Cela commence à être une sorte de petit péché contre l'Esprit, vous voyez, quelque chose qui n'est pardonné ni dans ce monde-ci, ni dans l'autre. C'est l'installation à côté de l'amour, en dehors de l'amour, en dehors de Dieu, en dehors de l'Esprit-Saint.

            Et alors, vous voyez, on ajoute à la masse de haine qu'il y a dans le monde. On ajoute et on surajoute quand, comme je le disais hier, le moine doit être le lieu où habite l'amour et à partir duquel il peut rayonner.

 

Chapitre 4, 51-77 : Quels outils utiliser ?      20.09.86

      Le jour du jugement !

 

Mes frères,

 

            Depuis deux jours, nous prenons le premier outil que Saint Benoît nous présente. C'est une excellente habitude et nous ferons de même aujourd'hui, quoique ce soit un outil dont le maniement n'est pas tellement facile. Jugez-en plutôt : Craindre le jour du jugement !  Cela nous paraît tellement dépassé aujourd'hui !

            Et pourtant il s’agit du grand jour du jugement dernier, ces assises solennelles au cours desquelles tout sera mis en pleine lumière. La crainte de cet instant est puissamment évoquée dans la séquence Dies irae, dies .... On la chante comme hymne à la fin de l'année liturgique. Le jour du jugement, c'est aussi le jour où nous rendons compte individuellement de nos agissements. C'est l'heure de la mort où toute la vérité sera faite sur notre vie.

 

            Eh bien, Saint Benoît nous dit qu'il faut craindre ce jour où nous serons jugés. Le moine vit dans la crainte de ce jour. Tout au début déjà, Saint Benoît nous dit que nous devons en tout temps avoir un tel soin d'employer au service de Dieu les biens qu'il a mis en nous, que non seulement il n'ait pas lieu comme un père offensé de priver ses fils de leur héritage, mais encore qu'il ne soit pas obligé comme un maître redoutable et irrité de nos méfaits, de nous livrer à la punition éternelle tels de très mauvais serviteurs qui n'auraient pas voulu le suivre pour entrer dans la gloire. C'est ce que Saint Benoît nous dit au début du Prologue 15.

            Est-ce que nous devons le prendre au sérieux, Saint Benoît ? Vous savez, aujourd'hui on en rirait volontiers. Et lorsque Saint Benoît va nous parler de l'humilité, il insistera encore. Le premier degré d'humilité sera d'avoir toujours devant les yeux la crainte de Dieu, comment l'enfer brûle pour leurs péchés ceux qui méprisent Dieu, et comment d'autre part la vie éternelle récompense ceux qui le craignent. 7,29. Cela c'est le premier degré d'humilité !

 

            Mais le dernier degré d'humilité, donc le sommet de l'échelle, là vraiment, c'est le plus beau : se sentant à tout heure chargé de ses péchés, le moine se voit déjà traduit devant le tribunal redoutable de Dieu, 7,170. Voyez, c'est bien une constante de la spiritualité monastique cette crainte du jour où nous paraîtrons devant Dieu.

            Alors, comment faire ? Eh bien, il faut vivre tout de suite devant Dieu. Si j'en ai l'occasion, lorsque nous arriverons au douzième degré d'humilité, je vous expliquerais certaines choses qui me sont apparues dernièrement.

 

            Cette crainte du jugement de Dieu, ce n'est pas une terreur paralysante, une sorte de perpétuel complexe de culpabilité. C'est plutôt une espérance libérante, car le moine - et je pense que ça, il faudrait essayer de le retenir - le moine n'a d'autre richesse que la miséricorde de Dieu.

            Si je suis riche de cette richesse-là, à ce moment-là, j'ai réussi ma vie, ma vie de moine et ma vie d'homme. Mon unique richesse, c'est la miséricorde de Dieu. Je ne puis me prévaloir de rien d'autre que de lui avoir donné ma foi et ma confiance.

            A ce moment-là, je suis entré dans les champs immenses, dans les espaces immenses de la liberté. Je ne compte plus sur moi, je compte sur ma miséricorde de Dieu et sur la confiance que je lui fais.

 

            Voyez, mes frères, craindre le jour du jugement, c'est cela que ça veut dire si nous voulons creuser l'expression de Saint Benoît et si nous voulons comprendre le maniement de cet outil. On entre alors dans la lumière de ce Dieu qui est amour, et la lumière nous fait prendre conscience de notre péché.

            Mais n'oubliez pas encore ceci : la lumière de Dieu nous montre notre péché, mais déjà racheté. Elle ne nous montre pas notre péché pour nous enfoncer, pour nous humilier mais pour nous libérer. Elle nous montre le péché mais racheté. Vous avez toujours cette présence du Christ qui a pris sur lui notre péché.

 

            Et n'oubliez pas encore ceci : avec Dieu, on ne découvre jamais son péché qu'à travers le pardon. Si je ne découvre pas mon péché à travers le pardon que Dieu m'accorde, je n'ai pas encore découvert mon péché. J'ai découvert de la déception sur mon compte, j'ai découvert de l'humiliation devant les autres, je suis encore tout centré sur moi. Ce n'est pas encore mon péché.  Mais mon péché, je le découvre à l'intérieur du pardon que Dieu me fait de ce péché. Alors je suis dans la vérité et je sais ce qu'est le péché.

 

            Voyez, mes frères, à quelle hauteur et en même temps à quelle profondeur nous devons atteindre. Et le jour du jugement, ici, et bien ce n'est pas le jour de la terreur, c'est le jour de la plus grande joie parce que à ce moment-là, je suis vraiment baigné dans cette lumière de mon Dieu qui est amour et miséricorde et qui m'a déjà tout pardonné.

            Et craindre alors le jour du jugement comme nous dit Saint Benoît - parce qu'il parle tout de même de crainte qu'est-ce que ça voudrait dire ? Eh bien, ça signifie entre autre ceci - je ne prétends pas dire absolument tout, il faut peut-être en laisser encore pour une autre foi ? - cela voudrait donc dire : craindre de ne pas s'y être suffisamment préparé à cette rencontre avec la miséricorde de Dieu, avec cette joie immense d'être vrai dans le pardon qu'on reçoit de ses multiples péchés.

 

            On inaugure, on ouvre l'Eucharistie tous les jours en disant: Voilà, il faut reconnaître qu'on est pécheur. Cela devient une petite formule stéréotypée qui est très facile. Et puis voilà, on est presque distrait, et celui qui la dit et celui qui l'écoute. Mais non, essayons !

            A ce moment-là nous entrons dans le mystère de la miséricorde de Dieu, de cet amour qui pardonne le péché avant même qu'il soit commis. Et déjà nous sommes présents à ce jour du jugement, jugement au moment de ma mort, jugement de tous les hommes au jour de Dieu.

            Mes frères, nous devons presque nous secouer un petit peu. Si nous sommes distraits à ce moment-là, c'est parce que nous ne connaissons pas encore notre péché.

 

            Voilà, mes frères, ainsi nous terminons notre semaine et je pense que nous la terminons bien puisque nous la terminons à l'intérieur de la lumière de notre Dieu, à l'intérieur de la miséricorde, à l'intérieur de cet amour qui nous appelle, qui nous transfigure et qui veut nous voir tous unis en un seul corps.

 

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      21.01.87

      Fuir l’élèvement !

 

Mes frères,

 

            Si vous le voulez, nous allons ce soir examiner d'un peu plus près un instrument que Saint Benoît met à notre disposition. Comme tous les autres, il ne doit pas rester enfermé dans une caisse. Nous devons nous en servir, devenir expert dans son maniement.

            C'est un petit outil. Il est sans doute prévu pour les besognes délicates. Et c'est celui-ci, mais je vais d'abord le donner en latin : elationem fugere, 4,84, fuir l'élèvement.

 

            Remarquons d'abord que l'accent est mis sur fuir, prendre la fuite. C'est beaucoup plus que éviter l'élèvement ou bien se garder de l'élèvement. Il faut le fuir. Il s'agit de fuir à toutes jambes en présence d'un péril grave, d'un péril qui pourrait être mortel. Il n'y a pas d'autre salut que dans la fuite. La victoire, lorsqu'il s'agit de l'élèvement, n'est pas remportée au prix d'une lutte, mais elle est acquise par la fuite. C'est même le réflexe de fuite qui signe la victoire. Mais que faut-il fuir ? Et quel est cet ennemi tellement terrible ?

 

            Eh bien, c'est l'elatio. Mais qu'est-ce que c'est ? En français, c'est traduit par élèvement. En fait, l'elatio c'est l’excellente opinion qu'on a de soi-même. On se prend pour un personnage important devant lequel tout le monde doit s'incliner, que tout le monde doit encenser. Saint Benoît pour mieux nous aider à comprendre en parle au début du chapitre qui traite de l'humilité.

            Il dit ceci, c'est tout au début en 7,2 : L'Ecriture nous crie : quiconque s'élèvera sera humilié, et qui s'humilie sera élevé. En parlant ainsi, elle nous apprend que tout élèvement est une espèce d'orgueil. Et puis alors, il cite le Psaume 130 où nous voyons le péril mortel auquel nous expose l'élèvement : Mais que m'arriverait-il si je n'avais pas eu d'humbles sentiments, si j'avais exalté mon âme ?  7,11.

            Et voici le péril : Vous me traiteriez comme l'enfant qu'on enlève du sein de sa mère, 7,12. Donc n'étant plus nourri, le bébé n'étant plus nourri par sa mère, eh bien il meurt. Ce n'est pas plus difficile à comprendre que ça.

 

            Maintenant un exemple, un exemple de cet élèvement. Il y en a un très beau dans la Règle. C'est la prétention d'apporter quelque chose au monastère. Saint Benoît en parle au chapitre des artisans, de ceux qui exercent leur profession dans le monastère. Oui, j'apporte quelque chose au monastère. J'en tire vanité. J'en tire orgueil. Je m'élève à mes propres yeux. Il faut que les autres reconnaissent ma valeur. Voyez l'elatio !

            Je peux apporter quelque chose au monastère par mon travail, aussi par ma science ; mais aussi, et c'est là un péril beaucoup plus subtil, par ma soi-disant vertu. Je puis être dans le monastère quelqu'un de vertueux.

            J'ai lu ce matin, cela me revient à l'instant, une sentence du Talmud. Il dit ceci : Lorsque Dieu voit sur terre un homme suffisant, Dieu se dit: Il n'y a pas de place pour moi et pour lui ensemble sur la terre. C'est ça le péril  mortel ! A ce moment-là, Dieu s'en va. Il n'y a plus de place pour lui sur la terre.

 

            Alors, mes frères, vous comprenez que si on est tombé dans le piège de l'élèvement, il ne peut être question de conversion. On n'en a pas besoin. Si je suis tellement heureux de ma valeur, je ne vois pas du tout pourquoi je devrais changer puisque je suis un homme exceptionnel. Mais Dieu lui-même doit s'estimer heureux que je me mette à son service. J'ai presque le droit de traiter avec lui d'égal à égal. Cela revient à ce que je disais il y a un instant. Il n'y a pas de place pour lui et pour moi ensemble sur la terre. Un des deux doit partir, mais c'est Dieu !

 

            Et c'est Dieu qui se retire. Pourquoi ? Parce que Dieu est naturellement humble. Dieu est l'être le plus pauvre, le plus démuni qui existe. Lorsqu'il rencontre devant lui quelqu'un qui est suffisant, empli de lui-même, élevé, surélevé, mais Dieu se retire et il lui laisse la place. Alors dans ces conditions, la vie spirituelle, elle est ruinée à sa base. Il n'y en a plus parce que l'elatio, donc l'élèvement, il est le contraire, l'opposé, le contradictoire de l'humilité. On ne trouve pas les deux en même temps dans l'âme de quelqu'un.

 

            C'est pourquoi, mes frères, il faut fuir. Mais où faut-il fuir ? Il faut fuir et se cacher pour ne pas être retrouvé. Et il faut se réfugier dans l'obéissance, dans le silence, dans la prière. Mais surtout dans l'obéissance parce que là vraiment dans l'obéissance je suis à l'abri. Je suis caché en Dieu, dans la volonté de Dieu, et l'élèvement ne peut pas m'y retrouver.

 

            Mais voilà, mes frères, encore une autre façon d'y échapper, c'est la confession sacramentelle d'abord. On a des péchés. Ils ne sont peut-être pas terribles, c'est pas des grosses affaires, mais enfin on en a. Eh bien l'avouer en confession alors, en confession régulière. Et puis l'ouverture du coeur à son confesseur ou bien à un autre, dire voilà, il y a ceci qui est encore arrivé. Vous voyez, c'est ça !

            Alors ça, c'est aussi une forme de fuite devant l'élèvement. Et on entre ainsi dans l'humilité, l'humilité qui est la forteresse vraiment dans laquelle on est à l'abri et qui est le fondement sur lequel on peut édifier une vie spirituelle qui résiste à tout. Saint Benoît dira aussi : Celui qui entend mes paroles et les met en pratique, tous les bons conseils que le Christ nous donne, eh bien celui-là, il construit sa maison sur le roc, sur le roc de l'humilité qui est le contraire de l'élèvement.

            Et ainsi, mes frères, nous sommes en parfaite sécurité.

Chapitre 4, 25-50 : Quels outils utiliser ?      20.05.87

      De l’égoïsme à la charité.

 

Mes frères,

 

            L'entreprise monastique ne va pas de soi. Pour construire ensemble une petite Eglise, pour grandir ensemble en un seul Corps animé de la vie divine, il faut accepter de prendre une forme nouvelle. Il faut accepter de mourir à ce qu'on a et à ce qu'on est. Il est indispensable d'expulser hors de son coeur les vieux ferments, ces ferments de malice, d'envie, d'opacité pour revêtir les ferments nouveaux, le ferment de la sincérité, de la bienveillance, de la transparence.

 

            Saint Benoît n'est pas un naïf. Il sait très bien où on va. On va dans le monde à venir. On va vers un état d'homme métamorphosé, d'homme transfiguré. Et il sait très bien d'où on vient. On vient d'un état d'homme pécheur, d'un état d'homme replié sur lui-même, d'homme qui a peur.

            Et il ne s'agit pas seulement d'une démarche individuelle, mais d'une démarche collective. Au terme, mais alors tout au terme, c'est un seul Corps, un seul Corps formé de cellules saines, un Corps qui vit mais d'une vie qu'il reçoit d'ailleurs.

 

            Saint Benoît n'est pas un naïf. Il sait qu'il y a un monde entre l’égoïsme et la charité. Et pourtant, il y a un passage de l'un à l'autre. Ce passage, c'est vraiment un miracle. Il ne faut pas avoir peur d'utiliser ce mot dans son sens étymologique : quelque chose de merveilleux, quelque chose d'admirable, quelque chose de quasi inattendu.

            Il faut que s'ouvre devant nous, que se fende devant nous l'océan des tentations et des péchés pour que nous puissions le traverser à pied sec et monter de l'autre côté sur la rive, la rive, mais de la victoire, la rive de la charité et de l'amour.

 

            Ce passage de l’égoïsme à la charité, c'est une véritable Pâque. C'est la participation au mystère de Pâque, c'est notre façon pour aujourd'hui de participer au mystère de Pâque. Et attention ! Ce n'est pas là un jeu de mots, une analogie, un symbole. Non, n'est-ce pas, il faut vraiment risquer un départ.

            Nous trouvons un abri, une sécurité à l'intérieur de notre égoïsme. Il est une forteresse qui nous protège et d'où nous pouvons attaquer. Eh bien, il nous faut quitter cette citadelle et nous aventurer en rase campagne dans les plaines, mais alors sans limites de la charité. Nous devons nous y aventurer nus, désarmés, exposés à tous les imprévus, à tous les périls. C'est ce que Saint Benoît nous dit aujourd'hui.

 

            Regardez ! Par exemple : Ne pas donner une fausse paix, 4,28. - Ne point jurer, 4,30. - Ne pas rendre le mal pour le mal, 4,32. - Ne faire injure à personne. mais supporter patiemment celles qu'on nous fait, 4,34. - Aimer ses ennemis, 4,35. - Ne pas maudire ceux qui nous maudissent, mais plutôt les bénir, 4,36 - Souffrir persécution pour la justice, 4,37.

            On est donc l'objet d'attaques : ce sont des attaques réelles ou bien, disons, des attaques gonflées par notre imagination, par notre sensibilité. Mais au fond, cela n'a pas tellement d'importance, ce qui est important c'est la façon dont nous les vivons.

 

            Eh bien, il faut adopter une attitude nouvelle. Il faut être nu, désarmé devant tout ce qui nous entoure et nous offrir, vraiment comme le Christ s'est offert, à la mort en sachant bien qu'à l'intérieur de cette mort se trouve le lieu de notre transfiguration, de notre résurrection. Il faut vraiment choisir une autre vie dont la source est en dehors de nous. Elle n'est plus dans notre égoïsme. Elle n'est plus en nous, elle est chez Dieu. Mais je vous assure que c'est un comportement nouveau.

 

            Eh bien, Saint Benoît dans le chapitre quatrième, il détaille, il détaille cette pâque, cet Exode. Toute prescription de nature négative est un abandon de notre égoïsme, et toute prescription de nature positive est une entrée dans la charité.

            Il y a beaucoup plus de prescriptions de nature négatives, ça on le comprend. Il est d'abord nécessaire de sortir de nous avant de pouvoir poser le pied dans cette plaine de la charité. Nous devons traverser - comme je le disais tout à l'heure - l'océan des tentations et des péchés. Nous devons traverser indemne.

            Et même si nous avons peur, mais nous devons nous y aventurer. Si bien que cet exode est une mise en œuvre permanente de notre vœu de conversion. Il n'est pas un moment de la journée où il ne soit en exercice. Cette conversion donc ce retournement de notre façon de penser, de notre façon d'agir, c'est un véritable passage, c'est une Pâque, c'est une mort en vue d'une vie nouvelle.

 

            Nous devons apprendre, mes frères, à vivre en hommes ressuscités, non plus en hommes qui ont peur de vivre, c'est à dire qui se replient sur eux-mêmes, qui restent frileusement à l'intérieur de la forteresse de leur égoïsme, mais en hommes qui ont osé en sortir et puis qui, voilà, connaissent déjà les prémices de cette résurrection qui nous a été donnée dès notre baptême. Nous devons valoriser notre baptême. Nous devons valoriser cette vie qui a été déposée en nous et qui est la vie du Christ ressuscité.

 

            Mais cela, nous ne pouvons pas le faire seul. Nous devons le faire en groupe, nous devons le faire en communauté, nous devons le faire en Corps. Nous avons donc besoin d'une aide mutuelle, de nous aider les uns les autres. C'est une entreprise qui - comme je le disais au début - ne va pas de soi. Elle est difficile.

            C'est pourquoi nous ne devons jamais nous tirer des coups de fusil dans les jambes. Au contraire, nous devons être les uns pour les autres des encouragements, des fortifiants, parce que c'est aussi une façon d'exercer la charité. Et au terme, nous aurons la joie d'être vraiment un dans le Christ.

            Et lorsque nous sommes devenus un dans le Christ, tout ce qui appartient à nos frères nous appartient à nous et nous commençons à connaître cette richesse nouvelle qui est la richesse du partage de la même vie, la même vie qui prend des formes différentes chez chacun. Tout ce que je n'ai pas, eh bien, c'est mes frères qui le possèdent. Et si nous sommes un, nous sommes riches de toute la richesse des autres.

 

            Voilà, mes frères, ce qui nous est proposé et ce que Saint Benoît, bien discrètement, nous rappelle dans ce chapitre quatrième.

 

Chapitre 4, 1-24 : quels outils utiliser ?         18.09.87

      Aimer une personne !

 

Mes frères,

 

            Au cours de l'homélie que le Cardinal Hamer a faite mardi dernier à l'occasion de la Fête de la Compassion de Marie, il a eu une réflexion qui m'a frappé. J'ai reconnu en elle un des aspects les plus riches de notre vie contemplative. Il disait, vous vous en souvenez, que Marie gardait tous les événements et les méditait dans son cœur.

            Les autres vivaient ces événements. Marie pour sa part les revivait. Elle établissait sa demeure en eux. C'est grâce à eux qu'elle grandissait, qu'elle entrait toujours davantage en communion avec son Dieu, qu'elle connaissait mieux cet enfant qu'elle avait reçu. Cet événement constituait sa vie.

 

            Et voilà maintenant ce qui m'a frappé : Pour Marie comme pour nous si nous sommes de vrais contemplatifs - ceci, ce sont des paroles du Cardinal Hamer - tout est donné dès le premier instant, et tout est à découvrir au fil des jours.

            Avez-vous bien compris ? Marie, dès le jour où elle a dit oui à Dieu, tout son destin a été scellé, toute la richesse de sa vocation est entrée en elle et tout son destin d'éternité lui a été remis. Il lui restait alors à le découvrir jour après jour.

 

            C'est ce qu'elle faisait en conservant dans son cœur les événements qui la concernaient en les ruminant, en les méditant. Elle ne se fermait pas sur eux, mais elle s'ouvrait à eux. Elle élargissait son cœur à la dimension de ces événements et surtout à la dimension de l'amour qui portait ces événements.

            Si nous sommes de vrais contemplatifs, nous avons l'impression d'avoir commencé à vivre hier, et en même temps l'impression que tout est accompli. C'est exactement ce qui se passait pour Marie. Elle était entrée dans l'éternité. Elle était déjà au-delà du temps. Toute l'Histoire était ramassée en un point. Mais ce point s'élargissait tous les jours.

            C'est exactement la vie contemplative. Dès qu'on est entré dans le Royaume de Dieu, c'est ainsi qu'on vit les choses. Elle voyait donc toutes ces choses du point de vue de Dieu, de chez Dieu où elle se trouvait, où elle avait été introduite. C'était un acompte versé de suite sur la vie éternelle, acompte dont nous parle les premiers moines.

 

            Eh bien, Saint Benoît nous dit la même chose ce soir mais avec d'autres mots. Car si tout nous est donné en une fois au début et si tout est à découvrir au fil des jours, nous faisons l'expérience d'une vie en communion avec Dieu et nous découvrons enfin en quoi consiste l'amour, cet amour qui est l'essence même de Dieu. Dieu est amour !

            Et c'est à cela que Saint Benoît nous invite dès le premier mot de son quatrième chapitre : Avant tout, in primis, avant tout aimer le Seigneur Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force, ensuite le prochain comme soi-même, 4,2-4. Tout est contenu là-dedans. C'est la source de la praxis monastique dans sa totalité : aimer Dieu, aimer le Seigneur qui est Dieu, nous dit Saint Benoît.

 

            Cela se voit mieux en latin. In primis Dominum Deus diligere, 4,2. C'est aimer le Seigneur qui est Dieu - n'oublions jamais que lorsqu'on parle du Seigneur, c'est le Christ - aimer le Christ qui est Dieu, le Christ dans lequel habite la plénitude de la divinité, le Christ qui est un avec son père dans l'Esprit.

            Il nous est impossible, nous, dans l'économie actuelle, d'aller chez Dieu en faisant l'économie du Christ. C'est lui qui est le chemin, la vérité, la vie. On ne peut pas sauter au-dessus de lui ni même passer à côté. C'est toujours à travers lui. Lorsqu'on parle du Seigneur, voyons d'abord le Christ, puis dans le Christ voyons la Trinité.

 

            Il faut donc aimer un être personnel bien vivant. Il ne nous est pas dit en premier lieu de faire de la théologie. C'est facile de faire de la théologie. Il suffit d'avoir une petite bonne, une petite tête mais qui est bonne ; et puis de savoir consulter des livres et des ouvrages, et des références, etc. C'est pas difficile, il suffit d'avoir un peu d'allure.

            C'est pas ça que Saint Benoît nous dit ici. Il nous demande d'aimer Dieu, et d'aimer le Seigneur qui est Dieu. C' est un être bien vivant avec lequel il faut entrer en communion. C'est pas toujours facile d'aimer quelqu'un, parce que pour aimer quelqu'un, il faut savoir s'oublier soi-même. Aimer quelqu'un, c'est se donner à l'autre, ce n'est pas accaparer l'autre, ni le posséder, ni l'exploiter.

 

            J'ai fais de la théologie aussi, et pas trop mal. Je me souviens très bien : qu'est-ce qui arrive quand on fait de la théologie ? Eh bien, on a l'impression de posséder Dieu. On a prise sur lui. On sait tout sur Dieu. On sait tout. On peut très bien publier de magnifiques thèses sur Dieu. Mais c'est pas ça ici.

            Aimer Dieu, c'est se laisser capter par Dieu. C'est mettre toutes ses énergies au service de Dieu. Et cet être là, il a un nom et une qualité : c'est être Dieu. Il a un nom, Saint Benoît le donne ici : c'est le Seigneur, c'est le Kyrios. N'oublions pas, il lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, c'est ce nom Kyrios. Il est Dominus pour jamais.

            Et alors, quand on connaît l'arrière fond qui n'est pas arrière mais qui est premier, qui est ce fond Juif, le Christ a reçu le nom imprononçable. Personne ne peut le prononcer. On ne sait même plus comment on doit le prononcer. Mais on sait que c'est Adonaï. Et ça, c'est le nom.

 

            Et cet être a une qualité, c'est être ce Seigneur, ce Kyrios. Il est Dieu, il est le Theos. Le Theos, c'est la lumière. C'est ce qui nous permet de regarder, de voir, ce qui nous permet de nous mouvoir, ce qui nous permet de vivre.

            Il est la lumière. Il est celui qui façonne le cosmos, celui qui le tient dans sa main, celui qui tournoie, qui est un tourbillon, le tourbillon des galaxies, celui qui entraîne tout dans une danse fantastique, et qu'il conduit vers lui, qui l'attire vers lui tout en le lançant dans l'espace, dans l'espace qui n'existe pas encore. C'est la dilatation du monde qui crée l'espace. Mais Dieu est au-delà de l'espace, et il l'englobe, et il le crée. Voilà le nom et la qualité de cet être personnel que nous devons aimer.

 

            Alors nous sommes invités à le contempler dans l'Histoire depuis la création jusque son achèvement déjà. Encore une fois, tout est donné et tout s'achève. L'achèvement arrive pour nous tous les jours. Chaque fois que je pose un acte d'obéissance, je rends présent la dernière heure du monde. Il ne faut pas oublier ça, l'importance de l'obéissance. L'obéissance est de nature eschatologique.

            Et puis alors ma propre Histoire que je contemple depuis ma naissance jusqu'à ma glorification. Voyez, encore une fois, tout est donné au début, et tout s'accomplit dès le premier instant, mais je dois l'actualiser heure par heure.

 

            Voilà, mes frères, comme vous le voyez, nous sommes invités à faire nôtre l'attitude de Marie qui contemplait les événements et les méditait dans la lumière de l'amour. C'est cela aimer le Seigneur Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toute sa force. C'est se laisser prendre par lui parce que on se donne à lui et qu'on sait très bien qu’en lui on trouve la réalisation parfaite, achevée, accomplie de ce qu'on doit être quand on reçoit son nom.

 

 

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      21.09.87

      L’atelier claustral.

 

Mes frères,

 

            L'un d'entre vous m'a demandé si Saint Benoît avait une raison particulière de parler des claustra monasterii, 4,99, des cloîtres du monastère plutôt simplement que du morasterium, le monastère, pour désigner l'atelier où le moine doit diligemment utiliser tous les instruments présentés dans notre chapitre quatrième ?

 

            Nous sommes dans un atelier. Un atelier en soi est un endroit fermé, un endroit protégé à l'intérieur duquel on peut travailler diligemment comme dit Saint Benoît, 4,98, consciencieusement, sans être dérangé par tout le monde.

            C'est autre chose que de travailler en plein air où les badauds viennent regarder, où les bavards viennent s'interposer, où les curieux viennent inspecter, où les spectateurs viennent juger. On est donc gêné de travailler à l'extérieur à moins que le travail ne demande de grands déplacements, qu'il faut travailler aux champs, mais c'est autre chose.

 

            Mais aujourd'hui, aujourd'hui on voit de plus en plus ce qu'on appelle la résurrection des métiers artisanaux. Cela veut dire qu'à l'occasion d'une foire ou d'une manifestation quelconque on voit de petits artisans en train de travailler comme on le faisait autrefois. Ils feront de la vannerie, ils feront du tissage, ils feront de la saboterie, de la ferronnerie, toutes sortes de métiers qu'on ne connaît plus aujourd'hui. Alors tout autour, il y a des curieux qui font leurs commentaires. Mais ça, c'est pour une foire, c'est pour une exposition, c'est pour le délassement des désœuvrés.

 

            Mais pour Saint Benoît, il s'agit d'autre chose, d'un atelier où on doit travailler avec diligence, diligenter, 4,96. Les claustra monasterii sont donc, définissent une qualité du monastère. Le monastère, ce n'est pas une maison pour vieillard retraité ? Non, le monastère, c'est un endroit où on travaille. Et tout le monde travaille, même les plus âgés travaillent. Ils exercent ou ils s'exercent à l'art spirituel.

            Et dans cet art, normalement on devient de plus en plus expert à mesure qu'on approche de sa véritable jeunesse, qu'on retrouve son moi-source, qu'on se rapproche du Dieu Créateur, du Dieu qui est Amour.

 

            Le monastère est donc défini par Saint Benoît comme un atelier par le fait même qu'il parle d'un claustrum, donc d'un endroit fermé, d'un endroit à l'intérieur duquel on n'entre pas, si ce n'est par une porte. Et encore, il s'agit de montrer patte blanche. Il y a à cette porte un frère qui veille sur la tranquillité des autres. C'est le portier.

            C'est un des rares endroits, ici, où nous pouvons comprendre qu'à l'époque de Saint Benoît existait déjà une clôture, donc un mur, ou une barrière, ou une cloison, enfin quelque chose qui séparait les frères du monde extérieur. A l'intérieur de cette clôture, de cette claustrum, on fait des choses qu'on ne pratique pas à l'extérieur.

 

            Mais on va dire : tous ces instruments dont parle Saint Benoît, ils regardent tous les chrétiens ? C'est certain, ils regardent tous les chrétiens, mais les chrétiens du monde se trouvent dans une situation défavorisée. Ils sont soumis à des foules de sollicitations venant de la chair - dans le sens large du terme - venant de l'extérieur.

            Tandis qu'à l'intérieur du monastère, à l'intérieur des claustra, on est à l'abri. On n'a pas l'occasion d'être dispersé, on n'a pas autant l'occasion d'être tenté. Si bien que, on peut de tout son coeur, encore une fois diligenter, utiliser avec de plus en plus d'habileté les outils qui sont suspendus dans cet atelier.

 

            L'entrée et la sortie de ces claustra ne sont pas permis sans contrôle. Pour entrer, il y a un portier. Mais pour la sortie ? Et bien, Saint Benoît l'a prévu. Il dira au chapitre 67 qu'il n'est permis à personne de quitter les claustra, les cloîtres du monastère sans une permission de l'Abbé. On ne peut donc pas déserter son travail. On doit y rester fidèle.

            Un détail encore : Saint Benoît utilise le mot diligenter. C'est traduit par diligemment. C'est bien traduit, mais voyons ce qu'il v a dessous : Il y a le verbe dilicere, il y a le substantif dilectio. C'est donc, ce travail dans l'atelier, c'est le fruit d'un choix préférentiel, comme la dilection, c'est le fruit d'un amour. On n'y est pas par contrainte. On y est par vocation. On y est par amour. On y est par choix. On l'a choisi.

 

            En parlant du novice, Saint Benoît dira : il faut lui lire la Règle deux, trois fois pour qu'il sache bien ce qui l'attend dans le monastère. Et s'il n'est pas capable d'y travailler, s'il ne se sent pas de taille à vivre sous la motion de l'Esprit, à entrer dans les finesses de l'art spirituel, et bien il peut partir, sans problèmes.

            A l'intérieur du monastère, il n'y a donc que des hommes qui veulent devenir des experts des choses spirituelles. Et quand je parle de spirituel, je ne pense pas à intellectuel, mais aux choses de l'Esprit divin.

 

            Maintenant, ces claustra monasterii peuvent être vus aussi comme le signe d'une réalité spirituelle. La communauté comme telle, les hommes qui composent la communauté, c'est une réalité, c'est un temple fait de pierres humaines. Et le mur d'enceinte de ce temple spirituel, c'est le feu de l'Esprit qui est amour.

            Vous vous rappelez cette vision du prophète Elysée. Son serviteur était effrayé en voyant les ennemis qui s'approchaient de tout côté. Et Elysée, lui, dit à Dieu : Mais ouvre-lui les yeux. Si bien que le serviteur tout comme Elysée voit les chars de feu qui entourent le prophète et qui le rendent inexpugnable.

            C'est la même chose ! Une communauté est ainsi entourée par l'Esprit de ce Dieu qui est amour. C'est pourquoi toute atteinte à l'unité d'une communauté, c'est faire une brèche à l'intérieur de ce mur de feu et permettre alors à l'ennemi de s'introduire. Si l'amour est notre mur d'enceinte, nous serons toujours, toujours à l'abri et nous pourrons sans difficultés travailler à cet Art spirituel.

 

            Cela nous montre aussi que le moine est un homme séparé - c'est d'ailleurs son premier mouvement : l'anachorèse - c'est un homme séparé, non pas livré à la paresse, mais séparé pour travailler à cette mission qui est de se transformer soi-même avec la grâce, avec le concours de l'Esprit Divin, de manière à partir de là travailler à la métamorphose du monde. Le moine ne se sépare pas par mépris.

            Il ne se sépare pas pour s'isoler, mais il se sépare pour être davantage avec les hommes ses frères. Parce que au moment où il entre dans cet atelier, à l'intérieur de son coeur il emporte avec lui, non seulement tous ceux qu'il aime, mais tous ceux que Dieu lui a confié dans le secret et qu'un jour, au jour de l'eschatologie, au jour de la révélation totale, il reconnaîtra pour siens.

 

Chapitre 4, 25-50 : quels outils utiliser ?       20.05.88

      La colère !

 

Mes frères,

 

            Les anciens moines, ceux qui sont les initiateurs de notre vie, ceux qui ont été inspirés par Dieu, disaient que la colère était la passion la plus dangereuse pour un moine car c'est par la colère que nous sommes semblables, que nous devenons semblable au démon.

            Pourquoi disait-il cela ? Parce que la colère embrouille l'esprit. Elle est la passion la plus violente qui soit en nous et c'est elle qui nous aveugle. Elle nous empêche alors de contempler la beauté et la pureté de notre Dieu, soit en lui-même, soit dans nos frères.

            Le démon, disaient-ils, est un être de colère. Il est en colère toujours. Il ne cesse pas d'être en colère. Il est en colère contre Dieu, il est en colère contre les hommes, il est en colère contre ses congénères les démons, il est en colère contre lui-même. Et c'est la raison pour laquelle il est si méchant.

 

            Attention ! Lorsque je parle de colère, je ne pense pas du tout aux tempéraments colériques qui ne sont pas des gens qui s'adonnent à la colère. Attention ! Il s'agit d'autre chose ici. Le Christ lui-même s'est mis en colère. Mais attention, ce n'était pas une colère diabolique, c'était une colère divine, c'est à dire une rudesse, une rudesse passionnée pour apporter un remède à une situation désastreuse.

            Rappelons-nous : il parle devant un auditoire d'hommes qui sont là, qui écoutent, mais qui attendent le moment de le prendre au piège. Et le Christ leur demande : Voilà, cet infirme, est-ce qu'il est permis de le guérir aujourd'hui en ce jour de Sabbat ? Et ces hommes ne disent rien. Ils ne réagissent pas. Alors, il promène sur eux un regard de colère.

 

            C'est le regard de Dieu ! Donc la colère de Dieu n'est pas une colère de passion. Elle est une colère de compassion, une colère de tristesse profonde. Tandis que le démon, lui, il a une colère de destruction.

            C'est pourquoi Saint Benoît nous demande ici en tout premier lieu de ne pas se mettre en colère. On peut sentir la colère qui monte, mais il ne faut pas aboutir à la perficere, 4,25. Il ne faut pas se laisser aller à la colère. Il ne faut pas se laisser dominer par elle. Il ne faut pas la parfaire, perficere.

 

            Et les Anciens avaient aussi cette remarque très judicieuse. Et je peux me l'appliquer à moi parce que il est très facile de tomber dans ce défaut ; cela m'est déjà arrivé quelques fois et c'est toujours très humiliant. Lorsqu'il faut corriger quelqu'un qui doit être corrigé, alors si ce quelqu'un ne réagit pas correctement, il ne faut pas alors que celui qui doit apporter la correction le fasse avec colère.

            Parce que, disaient-ils, il ne s'agit pas en corrigeant un autre de se laisser soi-même dominer par le démon. En voulant délivrer un autre, il ne faut pas soi-même tomber dans le piège. Parce que alors qu'arrive-t-il ? On est tous les deux pris dans le même filet.

 

            Mais voilà, mes frères, ce qui m'est passé par la tête ce soir. Et je me suis permis ces petites réflexions qui peuvent nous être très utiles. Essayons donc de demeurer maître de nous. Ce n'est pas du stoïcisme, ce n'est pas de l'indifférence. Mais cette maîtrise de soi doit trouver sa racine dans une profonde charité, c'est à dire un amour qui ne vient pas de nous, qui vient de plus loin que nous mais qui est en nous, et qui est la manifestation de la présence en nous de cet Esprit Saint qui est l'amour.

 

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      21.09.88

      Un outil performant !

 

Mes frères,

 

            Vous savez aussi bien que moi qu’aujourd'hui la main d’œuvre des artisans qualifiés coûte un prix fou. Et de plus, ces artisans deviennent toujours rares. Je pense aux menuisiers, aux carreleurs, aux paveurs, aux installateurs de chauffage central ou bien de sanitaire. Leurs prix sont exorbitants pour une bourse moyenne et les délais s'allongent de plus en plus.

            Cela n'a pas échappé aux Grands Magasins qui ont lancé le slogan :  Faites-le vous-même. Ils ont monté ce qu'on appelle des Brico-Center, donc des centres pour bricoleurs. On y fournit tous les matériaux nécessaires, le matériel nécessaire le plus polyvalent possible. On donne aussi des leçons gratuites aux sages pères de famille qui vont se lancer dans l'aménagement de leur maison ou la réparation de leurs installations. Cela rencontre un très grand succès.

 

            Eh bien Saint Benoît, lui, aujourd'hui, il nous met entre les mains un outil absolument performant, un outil qui est le condensé de la Tradition monastique originelle. Le moine qui possède cet outil et qui l'utilise, naturellement, qui ne le laisse pas dans un tiroir, c'est un moine achevé qui construit sa vie et qui entrera bientôt dans le Royaume de Dieu.

            Et voici cet instrument grâce auquel le moine pourra faire une foule de choses : praecepta Dei factis cotidie adimplere,4,78. Accomplir tous les jours par ses œuvres les préceptes du Seigneur.

            Vous allez dire : c'est tout simple, on le sait bien ! Oui, on le sait, mais ce n'est pas encore pour ça qu'on va utiliser cet instrument. Si on l'utilise, on est un vrai moine, c'est à dire un prakticos, un homme qui fait ; ou un operarius comme dit Saint Benoît, un ouvrier.

 

            Et le mot clef dans cette brève sentence de Saint Benoît, c'est factis. Praecepta Dei factis cotidie adimplere. C'est à dire que notre vie est faite d'actions, d’œuvres dont l'ensemble constitue un travail. Il s'agit d'édifier notre corps nouveau, notre corps spirituel. C'est nous qui devons le faire naître. Dieu donne sa grâce, il nous fait ce cadeau. Nous devons l'accepter et à partir de ce qu'il nous donne nous devons réaliser un travail.

            C'est donc tout un ..... qui est et spirituel et corporel car nous sommes des êtres incarnés. Nous ne devons pas nous échapper hors de notre corps et hors de la matière, ni hors de la chair. Nous devons permettre à la grâce de Dieu de purifier cette chair que nous sommes et à travers elle préparer notre chair nouvelle, notre chair spirituelle.

 

            Regardez l'échelle de l'humilité. Pour Saint Benoît, elle compte deux montants entre lesquels la prudence divine a inséré des échelons à gravir. Un de ces montants est notre corps et l'autre de ces montants est notre âme. Nous ne pouvons pas nous passer de l'un ni de l'autre, sinon les échelons de l'échelle ne tiennent plus. Il n'y a plus rien et nous sommes des êtres inutiles.

 

Chapitre 4, 51-77 : Quels outils utiliser ?      20.09.89

      Etre saint !

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît termine ce soir sur une petite note à travers laquelle on sent percer une pointe d'ironie: Ne pas vouloir passer pour saint avant de l'être. 4,76. Il est tellement agréable de se savoir estimé des autres et surtout des gens du monde. Ils ont instinctivement un respect pour l'habit monastique. Cela se constate encore aujourd'hui et très fort même. Mais nous ne devons pas en abuser et nous imaginer que nous sommes déjà parvenus à la sainteté.

 

            Cependant, les tous premiers chrétiens se décernaient le titre de saint. Cela revient au début des Actes des Apôtres et puis dans les Epîtres de l'Apôtre Paul. Et si nous pénétrons le fond de sa pensée, nous remarquons qu'il oppose deux types de sainteté.

            Une sainteté selon la  Loi. On peut être irréprochable en tout. Dans un monastère, on peut être irréprochable au plan de la régularité, de la serviabilité, pour tout, et ne pas être un saint. Il y a une sainteté qui est celle que confère l'observance de la Loi, une sainteté charnelle qui est destinée à périr avec la chair.

            Ce n'est pas de cette sainteté-là que nous parle l'Apôtre Paul, ce n'est pas de celle-là que se décernaient les premiers chrétiens, c'est d'une sainteté qui ne vient pas de l'homme, mais bien de Dieu. Elle est déposée en nous.

 

            Comme nous l'avons célébré aujourd'hui, nous sommes des temples, nous sommes des maisons, nous sommes des palais. Notre corps est une maison à l'intérieur de laquelle Dieu habite, la Sainte Trinité habite. Et tout au fond de cette maison, il y a une fontaine qui coule sans arrêt. C'est celle de l'Esprit qui doit alors se répandre au dehors et diffuser l'amour en tous lieux. C'est cela la sainteté !

 

            Les premiers chrétiens le savaient, eux qui avaient reçu l'Esprit Saint. Nous l'avons reçu aussi et nous ne devons jamais l'oublier. Nous sommes des saints. Nous le sommes en germe, nous le sommes en espérance. Il faut que nous le devenions totalement.

            Il faut que la vie divine nous transfigure de fond en comble, qu'elle nous donne un comportement nouveau, un jugement nouveau, une perception nouvelle des personnes et des choses. A ce moment-là, nous serons vraiment des saints et, comme nous le dit Saint Benoît, nous serons estimés tels avec plus de vérité.

 

            Mais à ce moment-là, cela nous laisse parfaitement indifférents parce que nous serons morts à toute approche charnelle. Et pour employer une terminologie plus technique, nous serons parvenus au sommet de l'échelle, cette fameuse échelle de l'humilité dont Saint Benoît va parler dans quelques jours.

            Et nous verrons cette conjonction extraordinaire à l'intérieur de notre coeur, de la sainteté et d'un état de péché. Nous ne serons pas seulement des pécheurs pardonnés, mais nous serons des pécheurs en acte. Et malgré tout nous serons transfigurés.

 

            Ce ne sera pas quelque chose qui sera posé sur nous comme un vêtement et qu'à l'intérieur ce serait de la pourriture. Non, mais c'est une sorte de cohabitation à l'intérieur de nous de la vie divine et d'un restant de vie, disons tordue, de vie qui n'est pas encore totalement divinisée. Et ce sera ainsi jusqu'à notre dernier souffle.  Mais il est nécessaire que cette petite parcelle de péché demeure en nous pour nous maintenir dans l'humilité qui permet, elle, à Dieu de nous enrichir de plus en plus de sa vie.

            Voilà, mes frères, ce que nous dit saint Benoît ici. Et vous voyez qu'il y a toujours des choses très belles, des choses nouvelles. Et nous devons nous en nourrir.

 

            Dimanche, nous célébrerons encore une fois la fête de la Dédicace, celle de notre église. Il faudrait que chacun pour notre part nous fassions bien attention aux antiennes que nous chanterons parce qu'elles sont vraiment extraordinaires. Au plan mélodique, c'est très simple. Mais au plan de la profondeur spirituelle, de la profondeur théologique et de l'appel qui nous est lancé à travers elles, c'est quelque chose de très beau.

            Essayons de ne pas l'oublier d'ici dimanche. Et pour ceux qui ne connaissent pas le latin, la traduction s'y trouve. Et c'est aussi accessible en français qu'en latin. Peut-être davantage encore ? Mais essayons de bien percer le sens des mots.

 

            Et aussi, pensons à cette hymne, cette hymne qui déploie devant nous ce que nous sommes ; ce que nous sommes corporellement, c'est à dire le Corps du monastère ; ce que nous sommes chacun individuellement, personnellement à l'intérieur de ce Corps ; et puis ce que nous sommes à l'intérieur de la création de Dieu qui est en train de devenir ce qu'on appelle son Eglise, c'est à dire le lieu de sa gloire.

            Nous avons les semences en nous. L'univers entier est ce temple de Dieu, mais l'univers en voie de transfiguration. Et ayons suffisamment d'acuité spirituelle et de foi pour déjà voir au-delà de l'accompli, de l'eschaton, du dernier jour, ce qui nous attend et qui est déjà mystiquement présent parmi nous.

 

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      21.09.89

      La jalousie !

 

Mes frères,

 

            Quand on a le bonheur d'entrer dans l'atelier d'un bon ouvrier, d'un bon artisan, on découvre toute une série d'outils qui sont rangés par degré d'utilisation ou par rang de taille. Il y en a des plus grands et il y en a qui sont tous petits. L'artisan les connaît tous. Il prend ce qui lui convient, celui dont il a besoin pour achever la pièce qui fera le contentement du client et qui sera un honneur pour lui.

 

            Saint Benoît nous a présenté son atelier avec tous les instruments, tous les outils qu'il met à notre disposition. Car nous sommes des apprentis et c'est lui qui est le Maître. Il désire faire de nous des ouvriers qualifiés, des artisans qui reçoivent leur certificat d'aptitude professionnelle.

            Nous devons donc avec grande diligence, jour et nuit, utiliser tous ces outils. Car le chef-d’œuvre que nous devons achever, c'est notre propre sanctification, c'est faire de nous une image de ce qu'est Dieu. Si bien que lorsque la Sainte Trinité nous regarde, elle se reconnaît sur nos traits, sur les traits de notre visage.

 

            Mes frères, nous ne devons pas hésiter à nous donner du mal pour apprendre, pour pratiquer et pour attendre, attendre d'être devenus des experts, encore une fois, dont Dieu sera fier.  Et il est un instrument, un outil qui vient de me frapper à l'instant parce que nous devons le manier avec dextérité. C'est celui-ci en latin : Zelum non habere, 4,81. Et en  français : Ne pas avoir de jalousie.

            La jalousie est un fléau qui nous guette à toute heure. Nous ne devons pas lui permettre d'entrer dans notre cœur. Car une fois qu'elle s'y introduit, elle le ronge et elle le ...?..., si bien qu'elle conduit l'homme, le moine a une espèce de mort. Et pourquoi jalouser ?

Mais on jalouse toujours quelqu'un. Pourquoi ?

 

            C'est très difficile à le dire. La jalousie est un vice - ce n'est pas un défaut, c'est un vice - qui ne s'analyse pas facilement.  Mais une fois qu'elle a pénétré dans le cœur de quelqu’un, elle l'aveugle totalement. Les qualités du frère, on ne les voit plus ou bien on les noircit. Par contre ses défauts, on les monte en épingle. On s’appuie, on appuie lourdement dessus. Si bien que le jugement que l'on porte sur quelqu'un devient totalement aberrant.

 

            L'exemple le plus frappant que nous connaissons tous de jalousie est celle dont fut victime Joseph, le fils préféré de Jacob. Et le garçon qui était tout jeune ne se doutait de rien. Son père l'aimait, il le favorisait, c'est certain, mais c'était le fils de sa vieillesse. Et voilà que les frères portaient un regard mauvais sur Joseph. Ils ne pouvaient plus lui parler normalement. Et lorsque l'occasion s'est présentée, ils se sont débarrassés de lui.

 

            Car la jalousie, si nous la voyons dans ses profondeurs, elle enfante le crime. On veut se débarrasser de la personne. C'est pour ça qu'on la jalouse, elle gêne. Elle est une ombre sur notre propre perfection, elle nous porte ombrage. Alors elle ne peut pas être sur notre route. Alors on l'enlève, on l'enlève à coups de langue ; on l'enlève à coups de regards ; on l'enlève à coups de gestes. Mais c'est ce qui est arrivé avec Joseph. Disons que c'était providentiel, oui, mais tout de même qu'est-ce que cet homme n'a pas dû souffrir ?

 

            Mais la plus grande victime de la jalousie, ce fut le Christ Jésus lui-même. Pilate savait très bien que c'est par jalousie que les juifs l'avaient livré. Mais ces hommes qui étaient pourtant des sages en Israël, qui étaient des savants, des Docteurs de la Loi, qui étaient les théologiens, les juristes de l'époque, qui étaient des directeurs de conscience de leurs compatriotes, ils ne pouvaient pas supporter ce Jésus qui venait les gêner, qui venait les troubler, qui était vraiment comme un cheveu dans leur soupe traditionnelle.

            Et alors, ils ont usé de tout. Ces hommes qui étaient pourtant honnêtes gens sont devenus des menteurs, sont devenus des assassins. Et le plus grave de tout, c'est qu'ils avaient bonne conscience. Ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Ils étaient aveuglés par la jalousie.

 

            Mes frères, prenons bien garde de ne pas nous laisser prendre à ce piège. Et si jamais nous sentons la jalousie commencer à chatouiller notre cœur, écartons là de suite parce que c'est une brûlure. Et si on ne la chasse pas à l'instant, elle produit une blessure. Et par cette blessure alors le venin s'introduit et ça devient une infection dont on n'est plus maître.

 

Chapitre 4, 1-24 : Quels outils utiliser ?        18.01.90

      L’unité.

 

Mes frères,

 

            Les instruments de l'Art Spirituel que Saint Benoît nous présente ce soir nous aident à comprendre ce que nous devons faire pour fortifier l'unité du Corps que nous constituons, et pour la rétablir si une déchirure venait à la blesser. Et ce qui est valable de notre petite Eglise monastique l'est également de la grande Eglise du Christ. Celle-ci, nous ne le savons que trop, est déchirée, douloureusement meurtrie par les scissions qui se sont opérées en son sein depuis des siècles.

            J'en cite quelques unes : le monothéisme, le Nestorianisme, la grande rupture de 1054 entre l'Eglise d'Orient et l'Eglise d'Occident, au XVI° siècle, l'émiettement provoqué par les réformateurs. Et aujourd'hui, il en est encore, rappelons-nous Monseigneur Lefèvre et les intégristes.

 

            Nous implorons pendant cette semaine - et l'univers chrétien avec nous - nous implorons Dieu de nous donner la grâce de vaincre nos égoïsmes et de nous ouvrir à une charité authentique qui nous permettra de retrouver l'unité perdue. Cela prendra encore des millénaires. Mais nous devons, avec beaucoup de patience, croire que le désir du Christ finira par être réalisé.

 

            Mes frères, nous œuvrons donc à notre place en maintenant l'unité dans notre coeur et entre nous. Et Saint Benoît nous met à notre disposition - comme je le disais au début - des instruments, des moyens. le premier est de nous oublier nous-mêmes pour suivre le Christ. Abnegagre, 4,12,  dit le texte latin, c'est tout autre chose que se renoncer.

            C'est se renier soi-même, c'est dire non à soi-même de manière à pouvoir dire oui à quelqu'un qui est le Christ. La paix du corps ecclésial, c'est la Personne du Christ Jésus ressuscité d'entre les morts. Et notre souci constant devrait être de lui être uni de manière à ne plus faire qu'un seul être avec lui, uni par la volonté, uni par l'intelligence, uni par l'affectivité, uni par toutes les fibres de notre être.

            Tel doit être le souci, la sollicitudo du moine. Pas la poursuite de petites affaires personnelles ? Non, devenir un seul être avec lui. Et pour cela, comme le dit Saint Benoît, nous devons nous renier nous-mêmes. Nous devons dire non à nos désirs égoïstes et à nos ambitions charnelles et dire oui à tout ce que lui désire de nous et qu'il nous manifeste à chaque instant.

 

            Mes frères, le Christ Jésus ressuscité doit être vraiment l'alpha et l'oméga, le commencement et la fin de toutes nos pensées et de toutes nos actions. Voilà donc le premier instrument, le premier moyen de reconstituer, ou de maintenir plutôt, de fortifier l'unité en nous et entre nous.      

            Et le second moyen qui est l'âme du premier, c'est celui-ci : aimer le Seigneur Dieu de tout son coeur, de toute son âme et de toute sa force. Concrètement cela consiste à nous recevoir de lui et à nous restituer à lui en faisant sa volonté heure par heure. Nous n'existons plus par nous-mêmes ni pour nous-mêmes.

            Le centre de gravité de notre vie et de notre être n'est plus en nous, il est en Lui et dans nos frères. Et ainsi, le renoncement, le reniement de notre propre personne s'accomplit et, insensiblement, nous sommes transformés, nous sommes transfigurés. Nous devenons un avec le Christ et avec Dieu.

 

            Et ce ne sont pas là de belles paroles, c'est une réalité ! Celui qui la vit en est certain, il le sait. Et lorsque les saints nous le disent, nous devons les croire, même si nous sommes encore bien loin. Eux aussi ont été très loin, et ils ont été de plus en plus proches jusqu'à se fondre en Dieu.

            Nous devons non seulement aimer Dieu de tout notre être, mais aussi aimer nos frères comme nous-mêmes, dit Saint Benoît, en désirant pour eux ce que nous désirons pour nous, en nous oubliant pour eux et en leur cédant toujours la première place. Est vraiment un prince dans le Royaume celui qui se fait le serviteur de ses frères, toujours à la manière du Christ.

 

            Mes frères, ce programme est possible si nous ouvrons notre coeur à l'Esprit Saint et si nous nous laissons mouvoir par lui. L'homme qui est né de l'Esprit, il est comme le vent: on ne sait pas d'où il vient et on ne sait pas où il va.

            D'où vient-il ? Il vient des profondeurs de Dieu. Il est aimé, il a été aimé dès avant la création du monde. Et où va-t-il ? Il ne le sait pas lui-même et pourtant il le sait très bien. Il va de plus en plus loin dans les espaces de la Trinité. Et voilà sa vie : il est porté par le souffle, par la respiration de Dieu qu'est l'Esprit Saint.

 

            Mes frères, si nous nous abandonnons à cette espérance et à ce désir que Dieu place en nous alors la même vie circule entre nous et le Corpus monasterii. Le Corps que constitue notre monastère demeure en bonne santé, et cette santé ne cesse de se fortifier.     

            Nous mettrons en pratique, si vous le voulez bien, au cours de cette semaine, avec plus d'application les conseils que vient de nous donner saint Benoît. Et ainsi, nous apporterons notre petite pierre à la reconstruction de l'unité des chrétiens. Elle sera bien modeste, cette pierre, mais dans le projet de Dieu, elle est indispensable.

 

            Mes frères, un petit programme pour ces quelques jours qui vont suivre. Il n'est pas bien difficile. Tout concrètement et tout - je dirais presque pour employer un terme péjoratif - tout bêtement il consistera à faire avec plus d'amour la volonté de notre Christ en entrant dans tout ce qu'il nous demandera avec plus de vigueur, non pas de vigueur physique, mais de vigueur spirituelle. Cette puissance - encore une fois - ne vient pas de nous, mais elle est celle de Dieu se déployant en nous.

 

Chapitre 4, 25-50 : Quels outils utiliser ?      19.01.90

      La colère !

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît nous recommande de ne point nous mettre en colère. Je rappelle que pour les anciens moines la colère était le péché par excellence. C'est la colère qui empêche le moine de prier. En effet, la prière n'est possible que si on devient semblable à Dieu qui est doux et humble, qui est compatissant et compréhensif.

            Par contre, la colère est une agression. C'est un mécanisme d'autodéfense. L'homme se met en colère parce qu'il a peur. Il veut écarter un frère parce que ce frère lui porte ombrage, parce que ce frère lui révèle qui il est. C'est cela qui est important.

            Nous ne pouvons pas supporter qu'un autre, par le simple fait d'un geste, d'une parole, d'une action, enfin n'importe quoi, qu'un autre nous révèle le défaut ou le péché qui est en nous, même si le frère ne s'en doute pas.

 

            En d'autres termes, ce que nous voyons de défectueux et de contraire chez les autres se trouve en nous. Le frère est mon miroir et c'est lui qui me renvoie mon image. Alors, à ce moment-là, il s'enclenche en moi des mouvements de colère. Je veux briser le miroir dans lequel je me vois. Je rejette le frère et je rejette Dieu. Il se produit de tels troubles en moi qu'il m'est absolument impossible de prier. C'est fini, il y a une rupture entre Dieu et moi parce qu'il y a une rupture entre le frère - mon miroir - et moi.

 

            Et les anciens moines étaient très attentifs à ce phénomène. Nous aurons sans doute l'occasion d'en parler plus longuement à un autre moment, mais je vous le dis déjà maintenant.  Attention ! Il ne s'agit pas ici de colère violente. Non, tout se passe dans le coeur et personne n'a rien vu au dehors.

            Il y a des gens qui sont colériques et ma foi, il faut les prendre comme ils sont. Mais il ne s'agit pas de cette colère-là. C'est de l'autre, celle qui empoisonne la conscience et qui surgit surtout à certains moments privilégiés comme l'Office ou bien l'Oraison. C'est alors que ça monte.

 

            Et Saint Benoît nous dit encore ici quelque chose de très beau. Si on voit en soi quelques biens, il faut le rapporter à Dieu et non à soi-même. Par contre il faut se reconnaître toujours comme auteur du mal qui est en soi et se l'imputer, 4,47.

            Il ne faut pas croire à partir de là que l 'homme serait naturellement mauvais, qu'il n'aurait en lui que du mal. Et si par hasard il découvre du bien, ce n'est pas de lui, ça vient de Dieu. Il n'y aurait donc que du mal dans l'homme ?

            Ce n'est pas cela que saint Benoît veut dire. Il est certain que le mal que nous commettons ne nous est pas inspiré par l'Esprit Saint. Il vient de notre fond égoïste, de notre fond malicieux. Il faut donc en toute vérité nous l'imputer.

 

            Et le bien alors qui est en nous, nous ne devons tout de même pas le nier ? Non, il est là ! Mais à ce moment, lorsque nous sommes dans la vérité, dans le bien, dans la lumière, à ce moment-là, nous avons repris contact avec notre condition originelle, c'est à dire nous devenons l'homme beau et bon que Dieu a créé à l'origine. Nous sortons de sa main, nous sommes son œuvre, nous sommes l'objet de son amour.

            Et dans ce sens-là, tout le bien qui est en nous doit être rapporté à lui parce que c'est lui qui est notre créateur, qui nous a créés bon. Mais comme nous avons trébuché dans le péché, si nous voyons du bien en nous, c'est parce qu'il ne nous a pas abandonnés et nous a recréés bons. En terme de théologie, nous dirons : il nous a rachetés. Le Christ est venu pour nous prendre et pour décalquer sur nous son image de lumière.

 

            Mais voilà, mes frères, deux petites choses qui me sont passées par la tête pendant que j'écoutais la lecture de ce chapitre. J'avais l'intention de retourner dans notre désert en compagnie de nos amis Macaire et Evagre le Pontique. Mais voilà, Saint Benoît nous a présenté quelque chose et ce n'est pas plus mal. Et nous nous rendrons à l'église pour remercier Dieu de nous éclairer, de nous conduire et de nous bénir.

 

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      21.01.91

      Le péché contre l’amour.

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît clôture ce soir la liste qu'il a dressée des outils spirituels dont le moine doit se servir pour mériter de la part du Seigneur cette récompense extraordinaire qu'il a préparé pour ceux qu'il aime.

 

            Il existe encore bien d'autres outils que ceux que saint Benoît vient de détailler à notre intention. Ils sont tous d'ailleurs l'explication, ou l'élucidation, ou la mise en pratique des deux premiers : aimer le Seigneur de tout son coeur. de toute son âme. de toute sa force. et ensuite le prochain comme soi-même. 4, 2.

 

            Il n'existe au fond, mes frères, qu'un seul péché. C'est le péché contre l'amour. Ne pas aimer, c'est se placer en dehors de la réalité car l'unique réalité c'est Dieu et Dieu est amour. Nous devons apprendre l'art sublime de l'amour. C'est cela l'art spirituel.

            Et tous ces instruments que nous utilisons nous permette de grandir, de nous perfectionner dans la pratique de cet art. C'est l'amour de Dieu, mais aussi l'amour des autres et l'amour de nous-mêmes.

 

            Il n'existe qu'une seule loi, le Christ lui-même l'a rappelé: c'est cette loi de l'amour. C'est très facile à dire, c'est infiniment plus difficile à pratiquer. Et pourtant, ne nous faisons pas d'illusions. Comme Saint Jean de la Croix l'a bien rappelé, au soir de notre vie nous serons jugés sur l'amour et sur rien d'autre. Et l'amour, comme l'a dit saint Augustin, sera notre poids, notre valeur.

 

            Regardons un peu qui nous sommes, mes frères, voyons ce qu'il y a dans notre coeur, dans notre regard, dans nos pensées et implorons le Seigneur les uns pour les autres afin qu'il nous purifie totalement et qu'il fasse de chacun de nous une flamme de lumière et une flamme d'amour. Ce serait tellement beau.

 

Chapitre 4, 1-24 : Quels outils utiliser ?        19.05.92

      1. Aimer Dieu de tout son cœur !

 

Mes frères,           

 

            Le premier instrument des bonnes œuvres consiste, comme nous le rappelle ici Saint Benoît, en ceci : avant, in primis, en tout premier lieu, aimer Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toute sa force, 4,2. Qu'est-ce que ça peut vouloir dire ? Ce peut être creusé à l'infini. Mais ce que nous pouvons d'abord retenir, c'est que aimer le Seigneur Dieu de tout son coeur, de toute son âme, de toute sa force - mais tout, c'est tout - ce n'est pas encore suffisant. Ce n'est jamais qu'une étape, qu'un étage. Il faut aller plus loin encore, infiniment plus loin.

 

            Nous sommes encore ici à l'intérieur de nos capacités. Nous les épuisons puisque c'est tout de nous qui aime Dieu. Mais c'est encore un amour à la mesure de l'homme. Or nous devons ultimement, finalement, lorsque nous sommes parfaitement accomplis, nous devons aimer Dieu de l'amour dont lui-même s'aime.

            Ce n'est donc plus nous qui aimons. C'est l'Esprit Saint qui a pris possession de nous dans notre totalité et qui aime alors à travers nous. C'est une sorte d'incarnation de l'Esprit en nous, si bien que nous respirons l'Esprit Saint, nous respirons Dieu en tant qu'il est amour. Si bien que Dieu s'aime lui-même à travers nous.

 

            Mais on pourrait dire : Mais alors Dieu est égoïste, il s'aime à travers nous ? Mais non, Dieu est amour. Il ne peut pas être autre qu'amour puisqu'il est Trinité, puisqu'il est une communion à l'intérieur de relations qui constituent les Personnes dans leur identité vraiment la plus intime.

            A ce moment-là, lorsque nous sommes arrivés à l'étage supérieur où tout de nous aime Dieu, à ce moment-là l'Esprit nous prend et nous élève à l'intérieur même de la Trinité. Si bien que c'est nous, totalement nous encore qui aimons Dieu, mais nous sommes devenus Dieu, entièrement divinisés.

 

            Saint Benoît le dit, ça, dans ses termes à lui, mais ailleurs. Il le dit au sommet de la fameuse échelle de l 'humilité, où il dit que après avoir gravi tous ces degrés d'humilité le moine parviendra bientôt à cet amour de Dieu qui, s'il est parfait, bannit la crainte.

            Donc à ce moment-là, le premier instrument des bonnes œuvres est accompli par nous à la perfection: amour parfait. Alors, il va plus loin. Voici le plus loin auquel je faisais allusion : C'est la grâce que notre Seigneur - Dominus - daignera manifester par le Saint Esprit dans son serviteur purifié de ses défauts et de ses péchés. 7,188.

 

            Donc. mes frères, n'allons pas trop vite nous imaginer que nous sommes parvenus au sommet de notre vie monastique parce que vraiment nous pouvons nous rendre témoignage que nous sommes au service de nos frères, que nous les aimons, que nous n'avons pas une pensées contre eux, que vraiment notre être le plus vrai de nous est à leur service, si bien que nous nous recevons d'eux dans tout ce que nous sommes. Et à travers eux, nous aimons le Christ, en eux nous aimons Dieu.

            N'allons pas penser que nous sommes parvenus au sommet . Non, c'est la plate-forme de lancement qui va nous permettre alors de partir plus haut, de nous laisser happer par Dieu, de nous laisser emporter par Lui. Là, dit-il, on le verra bien, il n'y a plus rien à dire. Le Saint Esprit, dignabitur demonstrare, 7, 188, va pouvoir le montrer.

 

            Donc, je pense que c'est pour nous, ces considérations-ci, c'est pour nous un sujet encore supplémentaire d’humilité. Mais ça ne doit pas non plus nous décourager parce que cette prise de possession de nous-mêmes par l'Esprit Saint en fait commence dès le début. Mais lorsqu'on est arrivé à la plate forme supérieure, l'Esprit Saint est totalement libre de nous emporter là où naturellement nous ne pourrions jamais arriver.

 

            Il y a encore bien d'autres choses à dire, mais voilà, ça ne sera pas pour aujourd'hui. Je continuerai demain ou après, nous verrons bien, parce que il est tout de même intéressant de voir un ou l'autre détail auquel on ne pense pas et qui nous permettrons vraiment d'aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme et de toute notre force. C'est ce tout qui est important.

 

Chapitre 4, 25-50 : Quels outils utiliser ?      20.05.92

      2. Mais aimer aussi les frères ! [1]

 

Mes frères,

 

            Ce que Saint Benoît nous dit ici, se reconnaître toujours comme auteur du mal qui est en soi et se l'imputer, 4, 50, est un sommet de pratique spirituelle. Il s'agit de rejeter sur soi le blâme et ne jamais dire : Oui, c'est arrivé, mais c'est de la faute de telle ou telle circonstance. Non, c'est prendre sur soi le blâme. En soi, ce n'est rien d'extraordinaire, mais dans la pratique c'est très difficile car instinctivement nous voulons protéger à nos propres yeux notre image de marque.

 

            Le Christ Jésus, lui, n'y a pas été par quatre chemins. Lui qui était dans la forme de Dieu, qui était absolument étranger à l'univers du péché, il a pris sur lui tous les blâmes, tous les péchés des hommes. Il s'est fait vraiment péché.  Eh bien, quand nous serons arrivés à ce niveau, je pense que nous serons prêts à être cueillis pour être transplanté dans ce magnifique jardin clos qui est son coeur, qui est le ciel.

 

            Si vous le voulez bien, ce soir, nous allons descendre des hauteurs célestes sur lesquelles nous nous étions élevés hier en espérance. Et nous allons nous demander comment dans notre condition actuelle d'être fragile, vulnérable, pécheur, il nous est possible d'aimer Dieu de tout notre coeur, de toute notre âme et de toute notre force ? Puisque Dieu nous le demande, puisque Saint Benoît nous le présente, ce doit être possible. Mais comment nous y prendre ? Et d’abord , qu'est ce que cela signifie ?

 

            Notre être entier doit être saisi par l'amour de Dieu. Il ne peut pas y avoir de place en nous pour un autre amour. Mais alors, comment concilier avec ce que Saint Benoît nous dit encore : aimer le prochain comme soi-même, 4,4 ? Je dois aimer mon prochain pour lui-même, tel qu'il est, en toute lucidité. Je dois être prêt à me sacrifier pour lui. Je dois lui donner toujours la première place. Je dois me placer à la seconde place, toujours derrière lui. Mais alors, comment en même temps aimer Dieu de tout son coeur ?

            J'ai entendu un jour ce reproche qui m'était fait à moi, à moi en tant que chrétien : Vous, les chrétiens, vous aimez le Christ dans les hommes; mais nous, les incroyants, nous aimons l'homme pour lui-même. Oui, mais comment alors concilier les deux ?

 

            Eh bien, l'homme, le frère qui se présente à nous et que nous aimons pour lui-même sans même penser à Dieu, ce frère, cet homme, c’est une apparition du Christ ressuscité, du Christ de nouveau en voie de résurrection. Si bien que lorsque j’aime mon frère d'un amour total - même si je n'en ai pas conscience - c'est le Christ que j'aime en lui, c'est le Christ que j'atteins, c'est Dieu que j'atteins. Il n'y a absolument aucune distinction possible entre l'amour de Dieu et l'amour du frère. C'est un seul et même acte.

            Maintenant attention ! Si je n’aime pas le frère, si dans mon cœur je le déprécie, je le méprise, je le condamne, si je me juge supérieur à lui, attention, à ce moment-là je me juge supérieur au Christ. C'est le Christ que je condamne, c'est le Christ que je méprise.

 

            Je pense que à cela tout de même nous devons réfléchir. Et ce sera un stimulant qui nous mettra en garde contre les faux pas dans ce domaine de la relation fraternelle, et qui en même temps nous apprendra à prendre peu à peu conscience que le frère quel qu'il soit, c'est toujours le Christ en voie de résurrection qui se présente à moi et que je dois aimer de tout mon cœur, de toute mon âme et de toute ma force. Donc, c'est Dieu que l'on aime toujours partout en tous et en tout.

            Et cet amour ne cesse pas de se dilater. Car puisque c'est un véritable amour, cet amour vient de Dieu, il est Dieu lui-même, il est l'Esprit qui prend possession de mon cœur, de mon âme, de ma force et puis qui, insensiblement, leur donne une force nouvelle.

 

            Les anciens cisterciens ont été attentifs à ce phénomène de la forma, de la forme. Donc, notre forme primitive qui était exacte image de Dieu, elle a été déformée par le péché, par l’égoïsme, par la crispation sur soi, par la peur.

            Il faut donc que nous permettions à l'Esprit de nous réformer, et puis de nous transformer de manière à ce que nous retrouvions non seulement notre forme primitive qui était d'être à l'image de Dieu, mais que nous soyons même au-delà et entièrement divinisés.           Donc, il faut aller jusqu'à une métamorphose qui fait de nous vraiment ce que Dieu rêve, c'est à dire d'autres Lui. Alors l’Esprit Saint devient notre respiration comme il est la respiration de Dieu.

 

            Et voilà, l'amour atteint en nous sa perfection et Dieu est lui-même présent dans notre cœur, dans notre âme, dans toutes nos puissances spirituelles, intellectuelles et même physiques. Donc, tous les gestes qu'on pose, tous les actes qu'on pose, toutes les paroles qu'on dit, tout cela devient amour. Le moteur, l'origine et l'accomplissement de tout cela, c'est l'Esprit Saint, c'est l'amour.

            Attention ! Nous sommes toujours à notre niveau, à notre petit niveau, donc faillible et pécheur. Il y a toujours des erreurs, il y a toujours des fautes, mais je dirais presque qu'elles sont sans importances parce qu'elles sont toujours dans l'axe de la vérité. C'est la vérité de notre être actuel. Nous ne sommes pas des anges, nous sommes des hommes. Et aussi longtemps que nous serons des hommes ici, et bien nous serons exposés à l'erreur, c'est à dire au péché. Donc, nous sommes bien dans notre vérité. Et Dieu en est contant, et Dieu en est heureux.

 

            Alors voilà, cet amour qui prend ainsi possession de nous et qui nous réforme en nous transformant, en nous métamorphosant, il est donc vraiment l'essence de notre béatitude éternelle. Il est le commencement et l'accomplissement de ce que Grégoire de Nysse appelait une epekthase, une epekthase sans fin.

            Donc, quand on a atteint un certain niveau, il y a devant nous de nouveaux espaces qui s'ouvrent. Et puis on est de nouveau attiré par eux, et puis on se lance en eux. Et ainsi d'epekthase en epekthase, de montée en montée, d'ascension en ascension on arrive à l'intérieur de Dieu.

            Et ça dure ainsi toute l'éternité parce que la dilatatio, la dilatation de notre cœur et de notre être, de notre âme, de notre force, elle se dilate sans cesse à la mesure de Dieu, c'est à dire à l'infini. Et c'est justement en cela que consistera notre bonheur éternel. Eh bien, autant commencer tout de suite. Je pense que c'est une des raisons pour lesquelles nous sommes ici.

 

Chapitre 4, 51-77 : Quels outils utiliser ?      20.01.93

      La mort.. .. ..

 

Mes frères,

 

            Je remarque une fois de plus que le texte latin de notre Règle n'a pas été correctement traduit. Il est dit : Avoir chaque jour devant les yeux la menace de la mort, 4,55. 0r, il n'est pas question de menace, simplement avoir la mort suspendue devant les yeux chaque jour. La mort n'est pas menaçante ; la mort est un événement naturel, aussi naturel et normal que le sommeil. La mort peut être une amie, une sœur.

 

            Je me souviens de la visite que nous avons reçue, avant hier, de deux infirmières du Foyer Saint François de Namur. Une est âgée de 33 ans, mariée, mère de quatre enfants ; l'autre est célibataire, âgée de 25 ans. Eh bien, voilà des filles - et d'autres, leurs compagnes - qui passent leur existence à préparer à la mort des hommes, des femmes, entrés dans la phase terminale d'un cancer.

            Eh bien, elles ont parlé de leur expérience et, il est apparu que ces deux filles étaient littéralement, véritablement possédées par 1'Esprit Saint, possédées par l'amour, par la charité. Elles disaient elles-mêmes que si on n'avait pas une foi vivante, il était impossible de tenir plus de 15 jours dans ce Foyer car ce serait pour y devenir fou.

            Mais, dès qu'on s'est ouvert à l'Esprit de Dieu, lorsque on se laisse envahir par l'amour et qu'on commence à contempler la lumière de la création nouvelle, à ce moment-là on peut aider les autres à assumer leur mort et leur vie, cette vie absolument nouvelle. Il faut, disaient-elles, que les personnes qu'on leur confie meurent dans la paix, dans un sentiment de bonheur et même de joie.

 

            Ce fut le cas de notre frère Bernard. Elles le faisaient remarquer encore, et le frère Nicolas l'a vu comme moi, mais le visage du frère Bernard était tout souriant, un sourire sur les lèvres. Il est mort heureux.

            Eh bien, c'est vers cet acheminement qu'elles conduisent leurs malades ; mais elles doivent, elles-mêmes, y être arrivées sinon leurs efforts seraient inutiles. Nous sommes donc là en présence d'un amour actif, généreux, qui est réel et, qu'on voudrait voir régner entre tous les membres d'une communauté monastique.

 

            Comme le dit Saint Benoît, ici, avoir la mort suspendue devant les yeux chaque jour, moi, je le comprends dans un sens, le sens là-bas du Foyer Saint François, que nous devons nous donner les uns aux autres la vision d'hommes qui ont franchi les portes de la mort, qui sont au-delà de la mort parce qu'ils sont entrés dans la plénitude de la vie, de la vie de Dieu qui est amour.

            Et, je lisais, ce soir, quelques lignes de la première Epître de Saint Paul aux Thessaloniciens. Et j'ai été frappé par ces mots que je connaissais déjà, mais quand on les retrouve comme ça, c'est toujours comme si on les entendait pour la première fois. Saint Paul disait aux Thessaloniciens qu'il n'avait rien à leur apprendre parce que ils étaient théodidaktos au sujet de 1'agapè, de la caritas ; c'est à dire qu'ils étaient enseignés directement par Dieu sur l'art de s'aimer les uns les autres.

            Et c'est bien vrai ! Le véritable amour - qui est Dieu lui-même - ne peut pas s'apprendre dans des livres. C'est autre chose qu'un amour naturel de sympathie entre des personnes qui s'accordent. Non, l'amour, c'est Dieu lui-même et c'est lui qui doit nous apprendre cette science sublime.

 

               Et il le fait, et il est capable de le faire parce que il habite nos cœurs. Nous avons reçu 1'Esprit Saint le jour de notre baptême, le jour de notre confirmation ; nous participons à 1'Eucharistie tous les jours ; la puissance de Dieu vient en nous à tous ces moments-là. Il suffit, il suffit de se laisser enseigner par l'Esprit qui habite nos cœurs. Et à ce moment-là, non seulement on sait ce que c'est qu'aimer, mais on pratique cet amour et, c'est lui, c'est l'Esprit Saint qui le pratique en nous.

 

            Eh bien, c'est ça, mes frères, qu'on touche du doigt, que j'ai touché moi-même très fort dans ce Foyer Saint François et, que j'ai encore perçu très nettement dans ces deux filles de lundi dernier. Eh bien, quelle leçon pour nous, mes frères !

            Alors, essayons de nous laisser instruire comme ça mystérieusement mais bien réellement par ce Dieu qui habite nos cœurs et qui veut que nous soyons les uns pour les autres le spectacle, oui, l'exemple de personnes qui ont vaincu la mort parce que ils sont entrés dans l'amour.

 

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      21.01.93

      Le sommet de l’humilité !

 

Mes frères,

 

            A l'instant même, en entendant énoncer le dernier instrument qui est mis à notre disposition pour arriver à la sainteté, ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu, 4, 90, me vient cette étincelle : c'est le sommet de l'humilité ! Saint Benoît ne le dit pas, mais c'est vraiment ainsi.

            Au douzième degré, nous avons le moine qui est pénétré par la certitude qu'il est un pécheur, donc qu'il est perdu, qu'il est livré à lui-même, à ses propres forces. Il n'arrivera jamais à rien. Pis que cela, il est foncièrement à l'écart de Dieu, il est pécheur et il s'en remet entièrement à la miséricorde de Dieu. Il dit : Seigneur, prends pitié de moi , C'est à dire : exerce envers moi ta miséricorde. Mais pour en arriver là, il faut deux choses, la conscience de deux choses.

            Il faut d'abord la conscience qu'on est un pécheur. Eh bien, regardons ce qui se passe en nous, mais nous n'avons pas conscience d'être des pécheurs. Nous avons peut-être conscience de commettre des péchés, ça, c'est certain ; mais que nous sommes foncièrement pécheurs, c'est à dire opposés à Dieu et à côté de Dieu, ça, nous ne l'avons pas.

 

            Donc, cet état de pécheur, lorsque on en prend conscience, on est arrivé au sommet de l'échelle de l'humilité. Et c'est là que Dieu veut insensiblement nous conduire. Donc, ne nous effrayons pas, ne soyons jamais étonnés si nous commettons toutes sortes d'erreurs, si petit à petit notre suffisance se trouve rognée, érodée jusqu'à ce qu'elle soit aplatie et qu'il n'y ait plus rien de suffisance en nous.

            A ce moment-là, nous sommes vraiment à notre niveau, à notre place, et nous pouvons commencer à prendre conscience que par nous-mêmes nous ne pouvons faire que des bêtises. Attention ! 0n peut parfaitement réussir dans son emploi, dans des affaires, partout, mais il s'agit d'autre chose. Ici, il s'agit de ce que nous pouvons faire au niveau spirituel.

 

            Et alors, la deuxième chose dont nous devons prendre conscience, c'est de cette miséricorde de Dieu. Je pense que nous mettons toujours des limites à ce que Dieu est. Instinctivement, nous projetons sur Dieu les qualités que nous espérons trouver dans un homme, que nous espérons trouver en nous.

            0r avec Dieu, nous sommes dans un ordre autre, non seulement différent, mais autre. C'est une altérité absolue. Et Dieu est amour, Dieu est miséricorde et, il n'y a absolument aucune, aucune limite.

 

            Il y a le petit mot de Luther qui a été terriblement retourné contre lui : Pèche fortement mais que ta foi soit encore plus grande ! Dans le fond, c'est ceci, c'est à dire que la conscience que nous avons de notre péché, elle appelle une conscience encore plus puissante du fait que Dieu est amour. Et on se jette alors à corps perdu dans cet amour et on devient automatiquement un saint. Et c'est ça que Dieu attend, c'est çà et ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu parce que alors, c'est fini, on se perd...

 

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      22.05.93

      Pas de nanisme spirituel !

 

Ma sœur, mes frères,

 

            Les instruments spirituels dont nous a parlé abondamment Saint Benoît ne sont rien d'autre que les innombrables facettes de la caritas, de l'amour : la charité envers Dieu et envers le prochain.

            Certaines de ces facettes ont un caractère négatif : il ne faut pas faire ceci, il faut éviter de faire cela. D'autres ont un caractère positif : il faut faire ceci ou cela. L'amour est donc un chemin qui permet d'éviter le mal et de faire le bien, et ainsi de grandir, de se développer, d'arriver à sa taille adulte.

            Le mal est une sorte de poison, c'est un climat pollué qui empêche notre organisme spirituel de fonctionner normalement, qui peut l'atrophier, qui nous maintient dans une sorte de nanisme spirituel. 0n reste des nains, on ne se développe pas.

 

            Et pour Saint Benoît, il ne s'agit pas de spéculer sur la nature de l'amour, mais de descendre avec lui dans les détails concrets de la vie. La charité doit devenir l’expression spontanée quasi naturelle de la vie de l'Esprit en nous. Au sommet de l'échelle de l'humilité, il nous parlera de quasi naturaliter, 7,183.

            Les choses qui nous paraissaient difficile au début, on fini par les faire de façon quasi naturelle. C'est devenu notre seconde nature, c'est devenu notre véritable nature. Quoi ? Mais la charité, c'est à dire l'Esprit Saint en nous. C'est dans ce sens qu'il faut entendre ce qu'il appelle 1'artis spiritalis, 4,91 ; c'est l'art de vivre sous la mouvance de 1 'Esprit Saint.

 

            Remarquons que le dernier instrument ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu, 4,90, forme inclusion avec le premier instrument. Le premier est positif : il faut aimer le Seigneur de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force, 4,2 ; tandis que le dernier est négatif : il ne faut jamais désespérer de la miséricorde de Dieu.

            Si bien que la dilectio Dei, il s'agit de diligere Dominum Deum, 4,2. C'est la question que Jésus posait à Pierre au bord du lac : « Est-ce que tu m'aimes ? » En français, on traduit toujours aimer, mais Jésus utilise aussi le mot diligere.

 

            Donc cette dilection qui a une connotation d'amitié, de tendresse, de tendreté plutôt qui fait qu'on s'attache à quelqu'un parce que voilà, tout simplement on l'aime. Dans l'amour, amare, il y a une queue, je ne dirais pas de volontarisme, pourtant c'est inscrit dans la volonté. 0n aime, j'aime parce que j'aime.

            Tandis que la dilectio, ça vient du cœur. C'est très féminin, c'est maternel. 0n aime et on protège aussi parce que on ne veut pas perdre celui qu'on aime et on veut qu'il devienne, qu'il devienne toujours plus beau, toujours plus grand, toujours plus aimable.

            Eh bien çà, c'est le premier instrument !

 

            Il y a alors le dernier qui est de ne jamais désespérer de la miséricorde de Dieu. Vous savez que la miséricorde de Dieu, dans l'Ancien Testament, ce sont les entrailles de Dieu. Dieu est saisi aux entrailles, jusque là ! Alors ça devient irréfléchi, ça devient instinctif, ça devient spontané. Les entrailles de Dieu sont retournées, sont bouleversées lorsque, voilà, il regarde l'homme ; non pas l'homme comme ça abstrait, mais chacun de nous dès qu'il voit que nous sommes parfois malheureux par notre faute.

            Eh bien, cette dilectio de Dieu doit être, comme Saint Benoît vient de nous le dire, absolue ; elle est totalitaire. C'est de tout son coeur, de toute son âme, de tout son esprit, de toute sa force : on ne peut rien en distraire. Elle est donc l'objet d'un choix radical, définitif, irrévocable. Et ce choix est monnayé à travers toutes les circonstances de la vie. Ce sont alors tous ces instruments de l’art Spirituel.

 

            Et ce choix, il est soutenu, il est nourri, il est fortifié par une foi aussi absolue en la miséricorde de Dieu car, nous sommes des pécheurs, nous le resterons toujours. Croître dans l'humilité, croître en Dieu, c'est prendre de plus en plus conscience qu'on est un homme pécheur et qu'on commet des péchés.

            Eh bien, cette foi en la miséricorde de Dieu doit être également absolue. Cela veut dire que quoi qu'il arrive, dut-on sombrer dans la trahison, la miséricorde de Dieu sera encore plus forte et nous devons donc, nous, ne jamais la lâcher.

            Lorsque Saint Benoît dit qu'il ne faut jamais désespérer de la miséricorde de Dieu, je suis moralement certain qu'il a l'histoire de Judas derrière la tête. Lui, il a désespéré de la miséricorde : mon péché est trop grand que pour être pardonné ! Nous ne devons jamais dire ça !

 

            Alors, voyez donc ce qui se passe à l'intérieur de notre vie. Nous sommes attirés en avant par Dieu qui est devant nous, Dieu que nous contemplons, Dieu que nous trouvons de plus en plus beau, de plus en plus séduisant ; et Dieu que nous aimons toujours mieux , auquel nous consacrons tout notre être. Nous sommes attirés en avant.

            Et puis - le dernier instrument - nous sommes poussés à l'arrière, nous sommes poussés à l'arrière par notre Dieu qui est tendresse. Il n'est pas possible de ne pas arriver à quelque chose parce que et c'est en avant et c'est en arrière.

 

            Je me souviens d'une petite histoire qui m'a été racontée car je ne m'en souviens pas du tout. C'est quand j'ai commencé à marcher. Eh bien, pour me décider à risquer le coup de marcher, on avait mis un morceau de chocolat sur le bord d'une chaise. Et j'étais là, il y avait quelqu'un derrière et le morceau de chocolat devant. Est-ce que j'allais marcher ou non ? Voyez, c’était ça !

            Eh bien, toutes proportions gardées, c'est ce que Dieu fait avec nous. Mais lui, ce n'est pas un morceau de chocolat, c'est lui, lui dans sa beauté, lui dans sa dilectatio. Et en même temps il y a derrière, si on tombe, eh bien il est là pour nous rattraper. C'est ça les ruses des mères, mais ce sont les ruses de Dieu.

 

            Alors notre vie ainsi toute entière, elle est donc cachée dans notre amour - qui vaut ce qu'il vaut naturellement car même si notre bonne volonté est entière, nous sommes toujours faillibles - et dans la miséricorde de notre Dieu qui, elle, est infinie.

            Donc vous voyez, mes frères, ma sœur, que nous sommes certains, certains d'arrivés là où Dieu nous appelle.

 

Chapitre 4, 1-24 : Quels outils utiliser ?        29.05.94

      Avant tout, aimer Dieu !

           

Mes frères, [2]

 

            Pour illustrer la solennité de ce jour, nous pourrions peut-être nous arrêter quelques instants sur le premier instrument que Saint Benoît met à la disposition de son disciple dans l’atelier spirituel qu’est le monastère.

            Et ce premier instrument, le voici : avant tout, aimer le Seigneur Dieu de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force, 4,2. Cette formule est empruntée à la prière par excellence de tout juif pieux, le fameux Ecoute Israël !

            Mais Saint Benoît y introduit une nuance qui est capitale. Il dit : avant tout, aimer le Seigneur Dieu , tandis que la formule du Deutéronome dit en 6,5 : aimer le Seigneur ton Dieu.

 

            Nous allons, si vous le voulez bien, procéder à une petite analyse d’ordre sémantique. Saint Benoît dit : le Seigneur Dieu, le Seigneur qui est Dieu. Ce n’est donc pas un concept, c’est un être personnel qui a un nom propre le Seigneur et un qualificatif Dieu.

            Ce nom, Seigneur, si nous le voyons dans le grec, nous le connaissons, c’est Kyrios. Combien de fois par jour ne chantons-nous pas : Kyrie eleison, Seigneur prends pitié ! En hébreux, nous le connaissons aussi, c’est Adonaï qui est un pluriel.      

            Et puis Dieu en grec, nous le chantons le jour du vendredi-saint : Theos. En hébreux nous le savons aussi, c’est El. Pour comprendre ce nom et goûter cette qualité, nous devons embrasser du regard toute l’Histoire Biblique depuis la création du monde jusqu’à son achèvement.

 

            Le Seigneur ? Nous allons découvrir des choses très belles qui vont mieux nous faire comprendre qui est notre Dieu dans sa Trinité. Le mot Adonaï vient d’une racine qui, dans son premier sens, signifie être humble, être soumis, se soumettre, se plier à quelqu’un d’autre naturellement ; mais immédiatement le second sens est celui-ci : dominer, diriger, gouverner et juger.

            Donc, dans l’être de Dieu, il y a deux composantes qui se fondent et s’appuient l’une sur l’autre. Elles vont être mises en évidence. Lorsque le Seigneur Jésus a lavé les pieds de ses disciples, il a bien dit : « Je suis le Kyrios, je suis le Seigneur, je suis votre Maître, vous le savez. Eh bien, je me suis trouvé au milieu de vous  comme le doulos, comme le serviteur, comme celui qui s’est abaissé jusqu’à vous lavez les pieds. Et c’est parce que je vous lave les pieds que je suis le Kyrios.

 

            Alors, vous avez la fameuse hymne  de l’Apôtre Paul aux Philippiens : « Etant dans la condition de Dieu, il ne s’est pas accroché à ses privilèges divins. Mais non, il s’est vidé de lui-même et il a pris la condition d’esclave. Et c’est pourquoi Dieu, alors son Père, l’a élevé et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom, le fameux nom de Kyrios, Adonaï. Ph 2, 6-11.

            Voyez  ! Il y a là à l’intérieur de l’être de Dieu un mouvement que nous ne devons pas craindre d’épouser. Et Saint Benoît exige de l’Abbé qu’il entre dans ce mouvement. Il lui dit qu’il est Dominus. Il est le seul dans le monastère qu’on peut appeler Dominus, Domnus Abba, 63,32. Mais, dit-il, ce sera à condition de servire multorum moribus, 2,85. donc de se mettre au service des caractères de chacun. Et je vous assure que dans une communauté, même d’un petit nombre, c’est toute une collection.

            Il ne peut donc pas imposer son tempérament aux autres. Il doit humblement, discrètement, amoureusement se mettre au service des aptitudes, des capacités, des limites, des fautes, des péchés, des défaillances de chacun de ses frères.

 

            Alors, ce Seigneur a un qualificatif qui est Dieu. Or, si nous prenons le mot grec Theos, il signifie la lumière vivante, vivifiante qui voit tout. La racine .......... veut dire : celui qui voit, celui qui contemple, celui qui regarde. A son regard rien n’échappe, pourquoi ? Parce qu’il est la lumière.

            Il y a dans le nom grec de Dieu cet élément de luminosité, de lumière, mais une lumière qui pénètre tout, à laquelle rien n’échappe. Saint Benoît vient de nous le rappeler, il est présence ; cette lumière étant présence jusqu’à l’intérieur de nos désirs.

 

            Et puis, si je vois maintenant le terme hébraïque El pour dire Dieu, alors là c’est la force omnipotente et terrifiante. C’est le tourbillon, c’est le cyclone qui dans le désert commence à tournoyer et à emporter des trombes de sable jusqu’à l’intérieur des nuages ; et elles vont retomber et recouvrir tout. Rien n’y échappe à cet ouragan ! Nous en avons parfois ici l’expérience, mais c’est rare. Et quand ça arrive, vous connaissez les dégâts que ça peut produire. Eh bien ça, c’est Dieu dans sa puissance !

 

            Mais l’union des deux, maintenant : le Seigneur qui est Dieu, c’est l’amour qui permet tout et qui peut tout. Il peut tout permettre parce qu’il est l’amour. Et il aura toujours le dernier mot, non pas parce qu’il aura été le plus puissant, mais parce qu’il aura été le plus patient, et le plus humble, et qu’il peut tout.

            Et qui peut tout précisément parce que étant l’amour, étant la lumière, étant le souffle, il pénètre le coeur de chacun ; et là, dans le secret, avec une douceur infinie, il travaille jusqu’à l’instant, le dernier instant où il métamorphose la personne.

            Alors là, nous retrouvons cette réalité de l’hymne de Saint Paul aux Corinthiens cette fois-ci, où il fait le portrait du Dieu Amour. L’amour fait ceci, et ça, et ça. Voilà ! Et nous le connaissons et nous l’admirons.

 

            Alors Saint Benoît dit : avant tout, in primus, 4,2. C’est donc là un présumé indispensable. Il faut aimer le Seigneur qui est Dieu. Pour nous, concrètement c’est le Seigneur Jésus qui est Dieu. Et le Père alors ?

            Oui, il est aussi le Seigneur, et il est Dieu aussi. Mais dans notre condition actuelle et probablement durant toute l’éternité, nous voyons le Père lorsque nous voyons le Christ Jésus. C’est en lui que nous voyons le Père. Qui me voit, voit le Père. Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? Qui me voit, voit le Père. Inutile de vous le montrer, quand vous me voyez, vous le voyez, Lui. Donc il faut d’abord avant de commencer aimer le Seigneur Dieu.

 

            Mais Saint Benoît n’emploie pas le mot amare mais diligere, et ce n’est pas innocent parce que diligere veut dire d’abord choisir, eligere. Il faut choisir entre deux. Il faut choisir entre le Seigneur Dieu et soi, et le monde.

            Donc il y a le moine dans sa condition de faiblesse, disons dans sa condition narcissique, égocentrique, dans sa condition d’homme rempli de peurs et en face le Seigneur Dieu. Il faut donc choisir entre soi et entre Lui. Et c’est le présupposé indispensable.

 

            Il y a ici, encore une fois, la référence au choix que propose Moïse, que propose Dieu par la bouche de Moïse, entre les deux voies. Je place devant toi deux routes ; une qui conduit à la vie si tu choisis le Seigneur Dieu ; une qui conduit à la mort si tu choisis le monde et ses séductions.

            Alors ce diligere, ce choisir, c’est donc un amour préférentiel qui ne se reprend jamais d’abord, et puis qui cherche à imiter. Ce n’est pas seulement choisir spéculativement mais s’engager sur une route, épouser la bonté de Dieu, admirer sa beauté, se nourrir de son esprit, devenir avec lui un seul être.

 

            Voilà, mes frères, ce que Saint Benoît nous propose. Avant de nous mettre en route, c’est à quoi nous devons porter ce désir, ces intentions dans notre coeur. Et puis le reste alors, mais ça se fait tout seul. Il suffit alors d’utiliser les petits instruments qui se trouvent dans l’atelier, ils ne sont pas difficiles.

            Et puis voilà, ainsi on arrive dans les espaces immenses de la charité qui est, encore une fois, Dieu trois personnes et un être.

 

Chapitre 4, 25-50 : Quels outils utiliser ?      19.01.96

      Prendre sur soi sa faute devant Dieu.

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît termine la péricope qu’il nous présente ce soir sur deux sentences qui s’opposent et se complètent. Il nous recommande de nous reconnaître toujours comme auteur du mal que nous faisons et de nous l’imputer, 4,49. Par contre si nous voyons en nous quelque bien, nous devons le rapporter à Dieu et non à nous-mêmes, 4,47.

            Nous reconnaître toujours comme l’auteur du mal que nous faisons, ce n’est pas un réflexe habituel comme si l’homme était foncièrement mauvais et qu’il ne pouvait sortir de lui que du mal. Non, saint Benoît nous dit que nous pouvons découvrir en nous du bien. Mais alors, nous devons le rapporter à Dieu. Mais pourquoi ?

 

            C’est que le terme que rend ici le latin bonum, le bonum,  le bien, c’est ce qui est conforme à Dieu et à sa volonté. Dieu seul est bon, totalement bon. Le reste, c’est plus ou moins entaché d’erreur.

            Rappelez-vous la réponse de Jésus à ce jeune qui voulait le suivre et qui lui disait : « Bon Maître, que dois-je faire pour avoir en partage la vie éternelle ? ». Et Jésus lui répond d’abord : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Dieu seul est bon ».

            En l’appelant Bon Maître, ce jeune homme reconnaissait sans le savoir que Jésus avait en lui plus qu’une nature humaine. Il portait en lui la source de tout ce qui est bon. Il était Dieu le seul bon.   

 

            Le mal, le malum, comme dit saint Benoît, c’est ce qui est contre Dieu ou à côté de Dieu. C’est le contraire de l’amour car Dieu est bon parce qu’il est amour et que sa volonté ne cherche que le bien de la créature.

            Lorsque Dieu avait tout fini de créer, et même parfois en créant, il s’arrêtait, il regardait et disait : « C’est tout de même bon, c’est tout de même bien, c’est tout de même beau ! ». Car le bon et le beau sont frères et Dieu qui est amour ne veut que notre bien. Il veut faire de nous des êtres bons, il veut faire de nous des créatures qui sont le reflet de sa beauté.

 

            Et le mal, le malum, c’est ce qui est contraire à Dieu et à son amour. Et ce mal est lié à l’infirmité de la nature blessée, traumatisée, malade. Et il est souvent synonyme de péché, pas toujours mais fréquemment.

            Nous avons été entraînés dans le mal parce que nous avons fait confiance au mensonge, à un menteur. Nous, dans la personne du premier homme qui a dévié de la trajectoire et qui a accueilli en son cœur le mal.

            Mais attention ! Nous sommes aussi les membres du Christ, donc nés avec lui, nés en lui. Si bien que le germe de la bonté est aussi en nous. Mais comme saint Benoît nous le dit, nous devons le rapporter à Dieu, 4,47 et pas penser que cela vient de nous.

            Maintenant, se reconnaître toujours comme l’auteur du mal et se l’imputer, 4,50, c’est le rappel d’une sentence de notre Père saint Antoine et, c’est un principe sur lequel les Pères du désert construisaient leur propre vie et celle de leurs disciples.

            Antoine disait à Abba Poemen : « Voici la grande œuvre de l’homme, de tout homme : Prendre sur soi-même sa faute devant Dieu et s’attendre à la tentation jusqu’à son dernier souffle.

            Prendre sur soi-même sa faute devant Dieu, c’est ce que saint Benoît dit ici se reconnaître comme l’auteur du mal qui est en soi et se l’imputer, 4,50. C’est donc assumer la responsabilité de sa faute et innocenter Dieu et les hommes.

 

            Vous le savez, le réflexe premier quand on a commis une erreur dans quelque domaine que ce soit, c’est de rechercher la responsabilité hors de soi. C’est la faute d’un tel, c’est la faute de la machine, c’est de la faute de n’importe qui mais ce n’est pas ma faute à moi. J’ai été pris de court.

            Non, l’origine de ma faute, elle est en moi. Je me l’impute, j’en prends la responsabilité et j’innocente Dieu, les hommes et les choses. C’est là l’exercice de la véritable humilité, l’humilité qui, à son sommet fera que le moine se jugera à toute heure coupable de ses péchés. Oui, coupable ! Et c’est pour ça qu’il se tient devant Dieu dans une attitude de coupable.

            Voyez ! Il faut s’exercer à cela dès le début. Il ne faut pas penser que le douzième degré d’humilité est comme un chapeau, une couronne que l’on reçoit quand on arrive au-dessus de l’échelle. Non, non, il faut avec patience s’y exercer tout de suite. C’est la grandeur du moine, c’est la grandeur de tout homme d’innocenter Dieu et les autres et de prendre sur soi-même sa faute devant Dieu.

 

            Maintenant, Antoine disait qu’il fallait s’attendre à la tentation jusqu’à son dernier souffle. C’est vrai ! La tentation, c’est ce qui nous met à l’épreuve, ce qui nous teste, ce qui est l’occasion pour nous de grandir ; mais peut-être aussi ce sera une occasion de chute. C’est ambivalent !

            Mais la tentation à laquelle Antoine fait implicitement allusion ici, c’est la tentation de rejeter la responsabilité de ses fautes. Jusqu’à notre dernier souffle, c’est ce qui va nous guetter. C’est un réflexe ! Ce fut le réflexe aussi du premier homme : oui, c’est ma femme, c’est la femme que tu m’as donnée. Et la femme dira : oui, mais c’est pas moi, c’est le serpent ! Voilà !

 

            Non, mes frères, nous devons prendre sur nous ce que nous avons fait. C’est là le signe de la maturité spirituelle et d’une taille adulte en Christ. Car qu’a fait le Christ, lui qui n’avait pas de fautes, aucune faute ? Eh bien, le Christ a pris sur lui la faute des autres. Et ça, c’est encore un degré plus haut, lorsque nous prenons sur nous la faute de nos frères.

            Alors ça, je pense que nous ne devons pas trop nous vanter d’y être arrivé, d’être arrivé à prendre sur nous la faute des autres. A ce moment-là, ce n’est plus moi qui vit, c’est le Christ qui vit en moi et qui en moi, à travers moi, poursuit et achève son œuvre, son travail, son labeur de Rédemption.

 

            Mais voilà, mes frères, lorsque Dieu rencontre un moine de ce calibre, non pas un moine arrivé au douzième degré d’humilité mais un moine tout petit qui fait son possible pour se reconnaître tel qu’il est, qui ne recule pas devant la responsabilité de ses erreurs, et de ses fautes, et de ses péchés, lorsqu’il rencontre un homme de cette qualité, alors il peut tout oser avec lui parce qu’il sait que cet homme-là, que ce moine-là n’abusera pas.

 

            Mes frères, n’oublions pas que nous sommes dans la semaine de prières pour l’Unité des chrétiens et c’est bien d’application ici dans la grande Eglise. Oui, nous prions pour que les autres se convertissent parce que c’est à cause de nous  que l’Eglise est déchirée, qu’elle est divisée.

            Non ! C’est de la faute des Orthodoxes, ils n’avaient qu’à faire ceci ! C’est de la faute des Protestants, ils n’avaient qu’à faire çà ! C’est de la faute des Nestoriens, ils ne valent pas grand chose ! Mais nous, voyez, nous sommes quittes de toute responsabilité.

 

            Non, si nous voulons vraiment prier pour que l’unité de l’Eglise se reconstitue, nous devons dire, nous catholiques nous devons dire que nous sommes responsables de la déchirure de l’Eglise autant que les autres et, peut-être encore davantage. Ayant plus reçu, eh bien, on nous réclame plus que les autres.

            Vous voyez, mes frères, faisons-en notre profit, non seulement pour nous-mêmes mais aussi au cours de cette semaine, que notre prière pour la reconstitution de l’Unité de l’Eglise soit une prière de repentir, reconnaissant nos erreurs, reconnaissant nos fautes et assumant en toute lucidité notre responsabilité.

 

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      21.01.96

      L’obéissance aux préceptes du Seigneur.

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît vient de nous confier un …?… d’une remarquable beauté spirituelle. C’est une sentence qui est sortie de son cœur de Père. Nous allons en analyser chacun des termes afin d’en extraire la substantifique moelle. Il nous parle des praecepta Dei que nous devons cotidie adimplere, 4,78. Je cite le mot latin, puis français s’il a son correspondant dans la langue française.

 

            Les praecepta ou les préceptes, c’est en hébreux les ……….., de la racine ……….. pour les hébraïsants parmi nous. Et cette racine signifie régler, ordonner, décider, commander. Il y a en elle une image d’ordonnance, d’équilibre, de solidité, je dirais de stabilité. C’est à l’intérieur d’une stabilité que nous devons accomplir les préceptes du Seigneur.

            Le Psaume 18 en parle également. Il nous dit que le commandement du Seigneur est lumière et qu’il emplit les yeux de clarté. Le précepte du Seigneur doit donc décider de l’orientation  et de la réussite d’une vie. Grâce à lui, l’homme devient lumière comme Dieu lui-même est lumière.

            C’est normal car le précepte, le commandement, le conseil que Dieu nous confie vient des profondeurs de Dieu qui est amour, de Dieu qui est lumière. Lorsque nous le faisons nôtre, nous devenons nous-mêmes un rayon de cette lumière qu’est notre Dieu.

 

            Il est donc bénéfique de les adimplere comme dit saint Benoît en 4,78. Dans la Règle en français, il est dit accomplir et c’est vrai ! Mais le mot latin va plus loin. Il faut les accomplir à fond, non pas à moitié, mais jusqu’au bout et de bon cœur. Ils sont nourriture divine et promesse d’avenir.

            L’obéissance aux préceptes, aux commandements du Seigneur n’est pas avilissement mais elle est libération des passions stériles et des étroitesses peureuses. Un homme qui fait sien les commandements du Seigneur, il devient un homme aux idées larges. Toutes les étroitesses éclatent, elles sautent, elles disparaissent. Il y a une largeur d’esprit et une largeur de cœur égale à celle de Dieu. D’ailleurs saint Benoît dira au sommet de l’échelle de l’humilité que le cœur se dilate. Et c’est vrai !

 

            Dans le mot latin aussi adimplere, il y a comme un enthousiasme, une joie porteuse d’espérance. Nous sommes à ce moment-là sous le souffle de l’Esprit Saint et on ne sait pas où il va nous emporter. Abraham est parti sans savoir où il allait. Celui qui naît de l’Esprit, on ne sait ni d’où il vient, ni où il va. Il participe à la nature de Dieu.

            Et nous devons accomplir à fond le précepte du Seigneur, cotidie, jour après jour. Nous sommes donc dans une aura qui a nom persévérance, ténacité, patience, confiance, fidélité, amour. Jour et nuit sans relâche précise saint Benoît aujourd’hui encore en 4,93. Jour et nuit sans relâche nous devons nous en servir. Et au jour du jugement nous le remettrons au Seigneur. C’est donc une exploration qui n’en fini pas et qui devient dans notre cœur avant goût de la vie éternelle.

Voilà, frères, la beauté de notre vie si nous avons l’audace de nous ouvrir à toute sa richesse !

Chapitre 4, 1-24 : Quels outils utiliser ?        18.09.96

      Une exigence de totalité.

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît nous dit aujourd’hui que la grande œuvre qui attend le moine, une œuvre unique, insurpassable, c’est d’aimer le Seigneur Jésus de tout son cœur, de toute son âme, de toute sa force avant tout, en tout premier lieu, 4,2. Rien ne peut être placé avant cet amour, absolument rien !

            Il y a là une exigence de totalité qui ne laisse aucune place vide. C’est ainsi qu’il faut comprendre ! Lorsque le Christ rappelle que nous devons aimer Dieu de tout notre cœur, de toute notre âme, de toute notre force, il insiste sur le mot tout. Nous ne pouvons donc rien distraire de nous qui soit dirigé ailleurs que vers Dieu.

 

            Cela ne signifie nullement que Dieu soit un potentat devant lequel il faut s’aplatir, un Dieu qui ne nous laisse absolument aucune possibilité de nous épanouir en cherchant ce qui pourrait nous plaire.

            Non, non, non, ce n’est pas ça que ça signifie ! Je vais essayer de dégager ce que le Seigneur déjà dans l’ancienne Alliance, et le Christ Jésus dans la nouvelle attend de nous.

 

            L’amour de Dieu doit mobiliser notre être entier jusque dans les cellules les plus secrètes. Il n’y a jamais concurrence – il ne peut pas y en avoir – entre l’amour de Dieu et l’amour de la création, ou l’amour de la créature. Il ne peut pas y avoir de distorsion. Si l’amour de Dieu prend possession de tout moi, à ce moment-là, je saurai librement aimer à la manière de Dieu.

 

            C’est l’Esprit Saint qui m’apprendra à aimer et, il m’introduira dans des espaces de liberté où l’amour deviendra ma seule respiration et ma seule raison d’être. Il n’y a donc jamais de concurrence , il n’y a pas de conflit entre l’amour de Dieu et l’amour de la créature. Il dit que nous devons aimer le Seigneur Dieu de tout notre cœur. C’est à dire que toutes nos puissances d’affectivité doivent être mises au service de l’amour de Dieu.

            Cela signifie que notre cœur doit être exposé à la lumière de Dieu, à la beauté de Dieu de manière à ce que Dieu dans sa Trinité, Dieu-amour puisse réchauffer notre cœur, puisse le nettoyer et le vider de tout ce qui n’est pas en accord avec lui. A ce moment-là, notre affectivité rendre dans l’ordre. Elle est ce que Dieu a voulu qu’elle soit dès l’origine et, elle est disponible pour toutes les formes d’amour.

 

            Il faut aimer Dieu aussi de toute notre âme. Cela signifie que toutes nos énergies vitales doivent être mises au service de cet amour. L’âme, dans le langage biblique, c’est la respiration de la bouche ; tandis que l’esprit sera la respiration des narines. C’est dans les narines de l’homme que Dieu a insufflé son esprit, pas dans sa bouche.

            Mais à travers la bouche, il y a toute la puissance vitale de l’homme qui peut s’exprimer. La bouche est comme la cheminée d’une chaudière qui laisse échapper des vapeurs, qui laisse échapper le surcroît d’énergie de la machine. Donc notre machine humaine, notre machine vitale avec toutes ses puissances, avec toutes ses énergies, elle doit être mise au service de Dieu.

            Mais encore une fois, lorsque cette mise au service de Dieu a eu lieu, nous sommes mis en possession d’une puissance qui dépasse à l’infini les puissances naturelles de l’homme. L’homme, à ce moment-là, va reconnaître qu’il est le roi de la création, et cela sans orgueil mais dans une grande humilité. Toute la création est pour lui. Et lorsque il pourra chanter le Cantique des créatures, à ce moment-là c’est toute sa joie, tout son bonheur d’être mis en possession de la création entière qui va jaillir de sa bouche.

 

            Et il faut aussi aimer Dieu de toute sa force. C’est la virtus en latin, c’est la dunamis en grec. Ce sont les activités agissantes de l’homme, la force. Tout ce que l’homme peut faire, tout ce que l’homme peut inventer, tout ce que l’homme peut trouver, tout ce que l’homme peut réaliser, tout cela doit être orienté vers un amour de Dieu toujours plus grand, toujours plus pur.

            Donc, c’est l’être entier tel qu’il est sorti du cœur qui doit être en face de Dieu pour le contempler, pour l’aimer et pour se recevoir de lui. Il y a donc une relation qui va permettre à l’homme d’exister, de devenir ce qu’il doit être. Mais il faut que l’homme s’abandonne dans sa totalité. Il ne faut pas qu’il garde dans son cœur un petit coin chez lui qu’il se réserverait par manière de sécurité. Non, il doit tout donner. Et vous aurez là la racine de la pauvreté.

 

            Lorsque nous nous engageons dans la pauvreté, c’est à ça que nous nous engageons et, il est possible de vivre dans ces dispositions en étant foncièrement riche. Même si le Christ dit qu’il est plus difficile à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu, qu’il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille, il dit pourtant c’est possible, car à Dieu tout est possible !

            Eh bien, si ce riche se place ainsi dans cette position devant Dieu, eh bien en dépit de sa richesse, il pourra entrer dans le Royaume de l’amour.

 

            Eh bien voilà, mes frères, il est déjà temps d’aller à l’église. Je vous assure que ces choses-là ne doivent pas nous effrayer comme si Dieu exigeait tout de nous. Non, c’est un placement ! Je vais parler en financier : c’est un placement extraordinaire. On place 100 fr. – je vaux 100 fr. – et je recevrai en retour le cosmos tout entier. Et ça, c’est incalculable !

            Je vais recevoir Dieu dans sa beauté, dans son être. Il va me rendre semblable à lui. Entre lui et moi, il n’y aura plus de frontière, nous serons au même niveau. Il sera mon Père et moi je serai son enfant. Mais tout ce qui est de lui sera à moi. Et cela parce que tout simplement j’aurais fait confiance et que je lui aurais tout donné. C’est cela la récompense de la pauvreté.

 

Chapitre 4, 25-50 : Quels outils utiliser ?      19.09.96

      S’enraciner dans la vérité !

 

Mes frères,

 

            Le bouquet que nous présente ce soir Saint Benoît compte vingt-deux fleurs. Seize sont de connotation négatives, six de connotation positives. Mais elles sont toutes belles parce que elles sont des étincelles, comme je le disais hier, des étincelles jaillie des profondeurs de Dieu, un Dieu qui veut faire de nous ses enfants. Il veut se reconnaître en nous ; il veut que nous adoptions ses façons de juger, ses façons de vivre.

 

            Et pour cela, il nous donne des conseils. Il y a des choses à éviter, il y a des choses à accomplir. Et nous devons soigneusement nous tenir sur nos gardes, veiller sur ce que nous pensons, sur ce que nous disons, sur ce que nous faisons. C’est là une qualité que prisaient très fort les premiers moines.

            On pourrait la traduire par tempérance, maîtrise de soi. Il faut toujours être vrai dans ses pensées, dans son cœur de manière à être vrai dans toute sa conduite et dans tout son discours.

            Saint Benoît nous demande de marcher avec les yeux grands ouverts. Nous devons être lucides sur nous-mêmes et sur les autres, mais surtout sur nous de manière à éviter des dangers et avancer sur le droit chemin.

 

            Oui, Saint Benoît désire nous enraciner dans la vérité. Il veut que son disciple devienne un homme lumineux, un homme qui rayonne la vérité parce qu’il s’en nourrit. Il faut que les frères puissent s’appuyer sur nous, sur nos paroles, sur notre exemple. Chacun dans le monastère doit être une lumière pour les autres.

            Et cette vérité dans laquelle nous entrons, cette vérité qui prend possession de nous, elle nous rend beau. Il ne s’agit pas d’une beauté physique mais d’une beauté morale et surtout d’une beauté spirituelle. C’est la propre beauté de Dieu qui doit s’imprimer dans notre cœur.

 

            Et voyez une communauté où tous les frères seraient ainsi à la recherche de la vérité totale, qui seraient toujours en train de veiller à la porte de leur cœur pour ne pas laisser entrer une pensée qui soit contraire à la vérité, à la justice, à l’amour, mais ce serait une communauté dont le rayonnement ne pourrait pas se mesurer. A elle seule, elle compenserait toutes les malversations, toutes les malhonnêtetés, tous les mensonges que distille la société d’aujourd’hui.

 

            Mes frères, Saint Benoît nous fait ainsi toucher ce soir la réalité et la beauté de notre vocation. Nous ne sommes pas seulement ici pour nous, nous sommes d’abord ici pour les autres, pour les hommes ; exactement comme le Christ n’est pas venu dans une chair d’homme pour lui, mais il est venu pour nous et pour tous.

            Il est donc, comme le dit Saint Benoît, des choses qui se font et d’autres qui ne se font pas et notre conduite doit le proclamer clairement. Ce que Saint Benoît attend de l’Abbé, il l’attend de chacun et de tous. Les préceptes du Seigneur, comme il dit, il faut les faire voir par l’exemple. C’est par des actes qu’on apprend aux autres d’éviter ce qui est dénoncé comme contraire à la loi.

            Et c’est un des premiers devoirs de l’Abbé de proclamer la vérité, de dire hautement ce qui est contraire à la loi de la charité. Mais il doit d’abord l’exprimer par toute sa conduite, sinon on ne pourrait pas le prendre au sérieux.

 

            Eh bien, mes frères, il faut que, chacun d’entre nous, nous soyons ce que Saint Benoît attend de l’Abbé, des exemples vivants, des paroles vivantes qui expriment à toute heure ce qui est vrai, ce qui est bon, ce qui est juste, ce qui est aimable, ce qui doit être fait, ce qui doit être évité.

            Et ainsi, le moine devient un chrétien authentique. C’est à dire qu’à l’instar du Christ, il est la voie, la vérité et la vie.

 

            Quand on y réfléchit bien, ce doit être relativement facile. Seulement, il faut y croire. Il faudrait croire que la puissance de la grâce est telle qu’elle est capable d’évacuer de notre cœur jusqu’aux racines même de l’égoïsme, qu’elle est capable de chasser toutes les peurs, qu’elle est capable d’être notre seule et unique sécurité.

            Oui, il faut croire que c’est possible. Et à celui qui croit, tout est donné sans même qu’il le demande. Car lorsque Dieu rencontre quelqu’un qui est ainsi de bonne volonté, il le prend par la main et il le conduit là où ce frère espère arriver.

 

            Je dis que c’est relativement facile, mais à la condition de ne pas lâcher la main de Dieu. Et que ce soit l’hiver, que ce soit l’été ou le printemps et l’automne, que ce soit la nuit ou que ce soit le jour, la main ne quitte pas celle de Dieu et on avance, et on cueille toutes les fleurs que Dieu met à notre disposition, qu'il sème sur notre route. Et Saint Benoît, comme je le disais tantôt, nous en présente un magnifique bouquet ce soir.

 

            Naturellement, c’est très facile en principe mais, malgré tout, ça nécessite un long apprentissage dans l’école qu’est le monastère. C’est une éducation à recevoir et à accepter. C’est dans l’obéissance que nous nous recevons du Christ et que nous pouvons être pour les autres des foyers de charité.

            C’est un travail de conversion qui nous prend à la racine de notre être et qui parvient finalement à transfigurer jusqu’à la dernière fibre de notre cœur. Il faudrait que cela arriva pour chacun d’entre nous longtemps avant notre mort biologique. Ce serait extraordinaire !

 

            Mais attention ! Il faut éviter toute forme de raideur, de crispation, de tension nerveuse. Ce n’est pas à la force du poignet que nous pouvons cueillir toutes ces fleurs. Non, mais nous devons tout simplement dans la confiance les accepter, ouvrir large notre bouche, comme nous l’avons encore chanté ce matin au cours de l’Office de nuit, pour que Dieu puisse l’emplir. Il n’attend que cela, que nous nous ouvrions à lui.

 

Chapitre 4, 1-24 : Quels outils utiliser ?        18.09.97

      Il s’agit d’aimer !

 

Mes frères,

 

            Pour saisir toute l’amplitude du premier instrument que nous propose Saint Benoît, nous devons le resituer à l’intérieur de son contexte. Le Seigneur Jésus l’a lui-même employé sans l’amputer comme l’a fait Saint Benoît.

 

            Et voici l’injonction que nous devons entendre : Ecoute Israël ! Il s’agit d’écouter. Depuis tout un temps, nous nous appuyons fort sur l’écoute. La qualité d’un homme se définit, je le rappelle, par la qualité de son écoute. Ecouter Dieu naturellement, écouter le Christ, écouter l’Esprit, écouter le chant qui monte du fond de notre cœur, écouter l’harmonie des mondes, écouter la création qui se poursuit et qui s’achève sans jamais s’accomplir.

 

            Il s’agit ici d’écouter, de ne rien faire d’autre qu’écouter. Mais il faut écouter quoi ? Eh bien, il faut écouter la déclaration d’amour la plus belle qui soit : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. Il s’agit donc d’aimer, et il faut que les moindres parcelles de notre être soient des étincelles, des énergies d’amour qui se dirigent vers Dieu et qui ayant atteint Dieu vont retomber comme une pluie bienfaisante sur tous les hommes et même sur tous les êtres.

 

            Aimer, ce sera donc se mesurer à l’immense et à l’inouï. Et l’amour, c’est la personne même de Dieu. Se livrer à l’amour, ce sera donc se mesurer à Dieu. Et Dieu, c’est l’immense, le sans frontière, le sans limite. Il n’est pas possible d’enfermer l’amour dans des catégories humaines, dans des catégories créées. Non, l’amour dépasse absolument tout ce que nous pouvons concevoir. C’est l’immense, le sans mesure par excellence.

 

            Et Dieu, c’est aussi l’inouï ! Jamais nous n’avons entendu parler de Dieu. Nous ne savons pas qui il est, on ne nous l’a pas expliqué. C’est impossible d’ailleurs ! Ce que nous pouvons faire, c’est écouter ; et en écoutant, accueillir sa volonté dans notre cœur.

            Et à travers cette volonté, à travers les énergies qui se déploient en nous, appréhender quelque peu qui est Dieu. C’est la grande aventure de la vie monastique et ce sont des découvertes extraordinaires. C’est toute la vie spirituelle, toute la vie mystique et toute la vie éternelle.

 

            Aimer, se livrer ainsi à Dieu qui est amour, c’est aussi prendre le large ; c’est se quitter soi-même et partir. Et prendre le large, c’est aussi prendre de l’altitude. Celui qui aime ignore la mesquinerie, les calculs, les comptes d’apothicaire. Il aime et puis c’est tout. Celui qui aime est généreux, chevaleresque, princier. Rappelons-nous les grands mystiques du Moyen Age qui étaient des hommes au cœur sans calcul, au cœur qui ne soupesait pas, au cœur qui s’ouvrait, qui était pure béance et qui devenait un océan. C’était l’époque de la chevalerie.

 

            On pourrait dire, et ce serait très, très, très vrai, très beau si cela se réalisait, que les derniers chevaliers se trouvent aujourd’hui dans les monastères ; des hommes véritablement nobles parce qu’ils se sont donnés à l’amour sans jamais reculer et qu’ils deviennent eux-mêmes des foyers d’où rayonne l’amour. Et l’amour n’avilit jamais ; il ennoblit celui qui aime. Il le rend lumineux, il le rend beau mais il rend beau aussi ceux qui sont aimés.

 

            Voyez, mes frères, tout ce qui est caché à l’intérieur de cet instrument que nous propose Saint Benoît aujourd’hui après le Christ, après Moïse. L’amour n’habite pas chez les hommes frileux. Il requiert des âmes grandes et fières, c’est à dire des âmes humbles, mais humbles à la manière de l’Apôtre Paul, à la manière d’un Saint Jean de la Croix qui se tenait debout en présence de Dieu et qui recevait dans son cœur l’univers entier.

            L’amour requiert des âmes possédées par l’appel lancinant à quitter tout pour trouver l’indicible, pour trouver l’ineffable, pour trouver encore une fois l’immense et l’inouï. On ne perd jamais en perdant tout pour l’amour. Pour son amour j’ai tout perdu, disait le saint. Ayant tout perdu, il était arrivé au terme, au terme d’un accomplissement inimaginable au départ.

 

            C’est ce que Saint Benoît nous dira en conclusion de sa Règle, pervenies, 73,26. Si tu sais écouter, si tu sais ainsi t’ouvrir totalement à l’amour, eh bien, tu parviendras, tu arriveras là où tu es attendu.

            Et c’est très simple : il suffit de se tenir dans l’amour, sous son souffle, dans sa lumière et la métamorphose de notre être s’opère toute seule. Le seul effort à consentir, c’est à maintenir le cap sur cette lumière, à ne pas quitter la beauté de l’amour, à entrer dans les vouloirs de Dieu, à les accueillir en soi et à les accomplir jour après jour, heure par heure, du mieux que l’on peut.

 

            Et le pire malheur, mes frères, serait de fermer notre fenêtre à l’appel du large et à l’appel de l’altitude. Eh bien, je demande à notre Père Saint Benoît, je demande au Seigneur Jésus et, je demande à celui qui le premier a capté le message, je demande à notre ancêtre, à notre Père Moïse de nous préserver de ce malheur. Et au contraire, de nous ouvrir à ce qui nous est offert de manière à ce que nous puissions ravir de joie notre Dieu, notre Seigneur et tous les saints.

 

Chapitre 4, 51-78 : Quels outils utiliser ?      20.09.97

      Le grand et premier commandement.

 

Mes frères,

 

            Si nous voulons y être attentifs, nous remarquerons que tous les instruments déposés par Saint Benoît entre nos mains viennent d’un trésor, d’un trésor d’une richesse inouïe. Et ce trésor, c’est le grand et premier commandement : Aimer le Seigneur Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa force.

 

            Ce premier commandement, nous en avons déjà parlé avant-hier, est un noyau de lumière qui éclate en une multitude d’étincelles. Et Saint Benoît détaille à plaisir chacune de ces étincelles. Nous pourrions nous arrêter longuement sur chacune d’elles, mais ce n’est pas possible.

            Nous pouvons le faire dans notre privé. On pourrait le faire ici également, mais nous devons peut-être laisser à chacun le loisir de découvrir des choses que lui seul peut voir. Car nous avons chacun nos yeux, nous avons chacun notre regard, chacun notre cœur. Nous recevons chacun notre grâce.

            Et c’est pourquoi il serait bon que chacun prenne de temps en temps une de ces étincelles, et puis qu’il l’admire. Elles sont toutes différentes, mais elles sont toutes parentes. Elles sont toutes sœurs car elles découlent toutes de la même source et en expriment les milles et une beautés.

 

            Et cette source, encore une fois, c’est de pouvoir aimer Dieu. Aimer le Seigneur Dieu, c’est cela que dit Saint Benoît exactement. Si nous pouvons vraiment aimer ainsi le Seigneur, nous le désarmons. Je rappelais avant-hier soir que c’était se mesurer à lui. Eh bien, c’est vrai ! Mais il se laisse vaincre. Il est désarmé quand il rencontre quelqu’un qui l’aime vraiment. A ce moment-là, il ne peut pas se retenir de prendre possession de cette personne et de déverser en elle tout ce qu’il est.

            C’est alors dans le cœur du moine un trésor fabuleux d’une valeur infinie qui lui est confié, qui lui est remis. Et ce trésor est inépuisable, le Christ l’a dit, cela deviendra en lui une source qui jaillit jusque dans la vie éternelle. Et cette source, elle ne peut jamais se tarir, elle est déjà vie éternelle. Et plus on y puise, plus la source devient puissante. On ne parviendra pas à épuiser cette source à force de s’y abreuver ; au contraire, on en élargit les capacités, le volume.

 

            Et ainsi, mes frères, si nous voyons ces jaillissements d’étincelles à partir de cet amour de Dieu auquel nous nous livrons, nous pouvons dire que le moine est appelé à jouer avec les étoiles, car l’amour de Dieu est un feu d’artifice qui gravit toutes les altitudes, toutes les hauteurs, et puis qui retombe en étincelles. Et chaque étincelle est une étoile.

 

            Maintenant remarquons encore, mes frères, un détail. Saint Benoît dit : Aimer le Seigneur Dieu, Dominum Deum diligere, 4,2. Il ne dit pas amare, il dit diligere. Lorsque nous regardons ce verbe, nous remarquons que le Seigneur Dieu a été l’objet d’un choix. La dilectio, c’est le geste de quelqu’un qui à l’intérieur d’une multitude d’objet en choisit un. Il l’a choisi. Dans ce tracé, il y a aussi en arrière le mot élection. Dieu est l’élu de mon cœur. C’est lui que j’ai choisi et je ne recule pas.

            Il y a donc là l’expression d’un sentiment, d’un affectus, d’un affect. On aime Dieu à partir de ses tripes et c’est lui qu’on a choisi. C’est quelque chose qui ne tombe pas sous des analyses de la raison. Le cœur a des raisons que la raison ne connaît pas, disait Pascal. Et c’est ça qu’on retrouve dans ce verbe diligere.

            Amare est plus solennel, c’est plus intellectuel, c’est plus en rapport avec la volonté. On pourrait dire que c’est plus humain, et c’est vrai ! On pourrait dire que c’est plus masculin, voilà ! Tandis que la dilectio, il y a une belle petite note féminine.

 

            Eh bien, encore autre chose : il s’agit d’aimer ainsi le Seigneur Dieu. Et rappelons-nous que le Verbe de Dieu n’avait pas retenu jalousement pour lui le fait d’être l’égal de Dieu. Il est l’expression de ce que Dieu est. Dieu se dit à lui-même et dit devant l’univers qui il est : c’est son Verbe. Eh bien, qu’est-ce qu’il a fait ? Il s’est vidé de lui-même, de sa substance, et il est devenu semblable aux hommes, reconnu comme un homme parmi les autres.

            Il s’est fait obéissant jour après jour jusqu’à la mort, et la mort sur une croix. Et alors, Dieu l’a souverainement exalté et lui a donné le nom qui est au-dessus de tout nom. Si bien que toutes créatures dans les cieux, sur la terre et dans les profondeurs se prosternent devant lui en lui disant : Christ est le Seigneur !

 

            Donc, quand nous voyons ici Saint Benoît qui dit qu’il faut aimer le Seigneur Dieu, nous voyons Dieu le Père, nous pouvons voir la Sainte Trinité, mais aussi et d’abord le Seigneur Christ. C’est lui que nous devons d’abord aimer de tout notre cœur, de toute notre âme, de toutes notre force.

           

            Voilà, mes frères, restons-en là pour ce soir ! Je pense que nous avons de quoi nourrir notre réflexion, notre contemplation et peut-être, ce sera l’occasion pour nous de faire de beaux rêves quelque part dans les étoiles ?

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance.             24.05.86

      Un mets délicieux !

 

Mes frères,

 

            L'obéissance est un plat succulent préparé par le moine à l'intention de Dieu et de ses frères. Dieu le déguste avec plaisir. Elle est acceptabilis, dit Saint Benoît, 5,29. Dieu la reçoit avec joie. Il est heureux. Il y trouve son plaisir. Les frères savourent longuement ce même plat. Pourquoi ? Parce qu'il est plein de douceur, nous dit Saint Benoît, dulcis, 5,30.

 

            Oui, mes frères, c'est bien vrai. L'obéissance est un mets tout simple qui s'adapte au goût de chacun. Il ressemble à cette manne, à cet aliment mystérieux que Dieu envoyait du ciel aux enfants d'Israël, à ses enfants à Lui qui étaient perdus dans le désert. Et cette manne s'adaptait au goût de chacun. C'était merveilleux !

            Or, nous le savons, la véritable manne, le véritable pain descendu du ciel, c'est le Christ Jésus, Dieu lui-même. Ce Jésus, ce Christ, ce Dieu qui a voulu se donner en nourriture aux hommes. Sa chair est le véritable pain. Son sang est la véritable boisson. Il est devenu notre nourriture dans l'acte suprême de son obéissance.

 

            Lui-même se nourrissait exclusivement de la volonté de son père. Il s'est livré aux hommes qui cherchaient sa mort. Il s'est laissé crucifier. Il a poussé l'obéissance jusqu'au point extrême, là où nous même jamais nous ne pourrions aller.

            Et ainsi, dans cet acte, il est devenu notre nourriture. Car il a dit : Voilà mon corps et voilà mon sang. Et vous ferez la même chose en mémoire de moi ! L'obéissance du moine est donc un acte sacrificiel intimement lié au sacrifice du Christ, et qui trouve sa source et sa saveur sur l'autel de l'Eucharistie, pas ailleurs.

 

            Je pense que nous devrions de temps à autre méditer ces vérités, nous rappeler que l'obéissance n'est pas le fait des tempéraments faibles. Vous savez, des gens qui sont contents d'être conduits, des hommes qui ne peuvent pas faire autre chose, qui ont des tempéraments d'esclaves.

            Il y en a, ça existe ! Et dans l'esprit des gens du monde, ce sont ceux-là qui peuplent les monastères, parce que voilà, ils promettent obéissance jusqu'à la mort, des gens qui n'ont pas de ressort !

 

            Mais attention. L'obéissance du moine étant liée à l' obéissance du Christ, c'est à dire du Verbe de Dieu, l'obéissance du moine devient le fait uniquement de personnalités fortes.  Mais alors, c'est l'obéissance dans le sens où l'entend Saint Benoît, une obéissance qui est imprégnée d'amour, qui est enracinée dans la foi, une obéissance qui n'est rien d'autre que l'échos dans le cœur du moine de l'obéissance du Christ lui-même.

            Savoir dire oui, c'est le fait d'un homme libre. Et dire non, c'est le fait de l'esclave. Le prédicateur de la retraite et Monsieur Habachi nous ont très bien expliqué cela tous les deux. Et voilà, je suis le troisième, mais je le dis tellement mal. Mais je ne suis pas un grand spirituel comme ces deux éminentes personnalités.

 

            L'autel du sacrifice, c'est le cœur du moine. Personnellement, lorsque je rencontre un frère ici dans le monastère, qui est toujours disponible, qui du premier coup dit oui, et bien j'ai envie de me mettre à genoux devant lui et de lui baiser les pieds. Le Christ habite dans un tel frère. Ne l'oublions pas, cela, la valeur d'un moine, c'est uniquement la qualité de son obéissance, uniquement cela.

            Ce n'est pas la vigueur de son intelligence ? Non ! Ce n'est pas son rendement au plan du travail ? Non ! Ce n'est pas l'étendue de ses relations humaines ? Non ! C'est uniquement la qualité de son obéissance. Pourquoi ?

            Parce que, je le répète, l'obéissance est impossible sans qu'il y ait dans le coeur un feu d'amour qui n'est autre que l'Esprit Saint. Il est impossible d'obéir si on n'est pas mû par l'Esprit de Dieu. Et on n'est pas mû par l'Esprit de Dieu si on n'est pas greffé par la foi sur la personne du Christ.

 

            C'est cette fameuse spirale dont nous a parlé le Prédicateur, qui fait que cela ne fait que s'amplifier, cela ne fait que s'étendre et de monter. L'obéissance augmente la vigueur de la foi et la puissance de l'amour. La puissance nouvelle de l'amour et la vigueur nouvelle de la foi rendent meilleure, plus forte encore l'obéissance. Et ainsi sans fin. Et lorsque nous serons dans l'éternité, cela continuera ainsi. Cela ne changera rien. On est obéissant non seulement jusqu'à la mort, mais pour toute l'éternité.

 

            Le Christ est constitué dans son être de Christ par son obéissance. Le Verbe de Dieu, indépendamment de son incarnation est constitué dans son être par son obéissance. Sa place au cœur de la Trinité, c'est d'être pur reflet de ce qu'est Dieu le père. Il ne peut être pur reflet que si il se reçoit entièrement du Père dans un acte parfait, divinement parfait d'obéissance.

 

            Eh bien voilà, mes frères, le mets délicieux qui nous est donné de déguster, et que nous pouvons préparer pour chacun de nos frères. C'est tellement beau alors, c'est tellement riche. Et on peut dire alors que la vie monastique est belle et que la vie tout court, la vie de l'homme tout court, elle vaut la peine d'être vécue. En dehors de cela, il n'y a jamais que, je dirais presque, avortement. Un homme, un moine qui ne parvient pas à obéir, oui, il rate sa vie. Il avorte. ce ne sera plus rien. Ce sera rien, rien, rien. Par contre, celui qui grandit dans l'obéissance, parce que l'obéissance est indéfiniment perfectible, celui-là, sa taille, nous ne la connaîtrons jamais.

 

            Le plus grand saint, c'est la Vierge Marie. Et la Vierge Marie, elle a une taille spirituelle qui est encore très, très loin naturellement de la taille de Dieu. C'est certain ! Mais elle a une taille spirituelle telle que nous sommes tous contenus en elle. Elle est la mère de l'Eglise, comme on dit. C'est à dire elle est la mère, non seulement de la tête, Jésus, mais aussi de tout le Corps.

            Donc tous les hommes sont contenus en elle. Voyez sa taille spirituelle ! Pourquoi ? Parce que personne n'a obéi comme elle et n'obéira jamais comme elle. Voyez, c'est l'obéissance qui marque aussi la fécondité de quelqu'un. 

 

            Voilà, mes frères, retenons bien cela ! C'est demain la fête de la Sainte Trinité qui n'est rien d'autre - si nous la voyons par l'intérieur, non pas par l'imagination mais avec notre foi et notre amour, si nous la regardons avec les yeux du cœur - qui n'est rien d'autre que d'une personne à l'autre une sorte de concours au plus obéissant des trois. Eh bien, mes frères, entrons dans ce jeu, entrons dans cette danse et nous réaliserons notre destinée et le projet de Dieu sur nous.

 

 

Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance.              22.01.87

      Oser faire confiance !

 

Mes frères,

 

            Si l'elatio, l'élèvement tue la conversion à sa racine, l'obéissance, elle, est la conversion en acte, la conversion en œuvre. Saint Benoît nous le dit clairement. Le moine sérieux, qui prend sa vocation au sérieux, n'obéit plus à ses désirs ni à ses plaisirs, mais il marche au jugement et au commandement d'autrui, 5,24. Il est donc passé d'un égocentrisme à un éthérocentrisme. Il opère un mouvement. Il ne suit plus sa propre route. Il fait demi-tour et opère une migration en Dieu.            

 

            Mes frères, soyons  sincères. Nous ne sommes pas libres. Nous obéissons toujours à quelque chose ou à quelqu'un. Nous sommes habités par des besoins, par des instincts qui nous meuvent à notre insu. Ils sont très habiles. Ils nous font poser des actes de vertu, plutôt des actes colorés d’une apparence vertueuse. Mais tous surgissent du fond égoïste de notre être. Ils tendent vers autoexaltation, l’autosuffisance dans l'affirmation de soi et la recherche du plaisir. Et ils donnent l'illusion de la puissance et de la liberté.

 

            Un tout petit exemple de rien du tout qui n'est pas emprunté au monde monastique mais que j'ai expérimenté moi-même lorsque j'étais jeune. C'est le fait en été d'aller marauder des cerises, ou des prunes, ou des pommes chez le voisin. Cela vous donne une impression de vitalité, de force. On est devenu quelqu'un.

            En fait, on est dans l'illusion. On a été emporté par son instinct et on est grisé par une sorte de liberté : je suis capable de tout faire. Mais en fait, on est déterminé par ses instincts. C'est eux qui nous possèdent et nous ne nous possédons pas nous-mêmes. Nous sommes esclaves et nous ne nous trouvons jamais.

 

            Alors, mes frères, obéir pour obéir, autant obéir à Dieu, autant travailler avec lui dans un projet qui nous apportera notre délivrance, une délivrance de toutes formes d'esclavage. Saint Benoît nous dit que le moine arrivé au sommet de sa vie spirituelle connaît ce qu'il appelle la dilatatio cordis. Son cœur se dilate. Pourquoi se dilate-t-il ? Mais parce que ce moine goûte la liberté. Il sait, il est un homme libre. Auparavant il était un homme esclave.

            Et cela veut dire, esclave, que il n'avait pas la possibilité de respirer librement. Il devait respirer prudemment parce que sa poitrine était écrasée. Mais dès qu'il est libre son cœur se dilate, sa poitrine se dilate, il peut respirer profondément comme il lui plaît. Et ça, c'est le fruit de la conversion.

 

            Ecoutez ! Si je fais ma volonté, je reste enfermé en moi, je tourne autour de moi, je tourne sur moi-même comme une toupie. Mais si je fais la volonté de Dieu, je sors de moi, je m'échappe, je m'évade de la prison de mon moi et je me précipite chez Dieu. J'entre chez lui. Et mieux encore, c'est Dieu qui vient chez moi et qui me donne en cadeau sa propre liberté.

 

            Voilà, mes frères, en quoi consiste la véritable conversion. Et vous voyez qu'elle est tout simplement une question de confiance : oser faire confiance à l'obéissance. Saint Benoît nous dit que c'est une route étroite. Oui, parce que nous sommes naturellement méfiants et qu’il  est très difficile de faire confiance. Je ne dis pas de faire confiance à un homme, ni même de faire confiance à Dieu, mais de faire confiance au fait de l'obéissance et de se dire : si j'obéis, je marche vers la liberté quand tout mon instinct me dit : si t'obéis, tu t'asservis !

 

            Voilà, mes frères, dans ce sens là aussi le Christ dit : Celui qui ose perdre sa vie, c'est celui-là qui la trouve !  Et c'est la condition de la réussite pour notre vie !

 

Chapitre 5 : De l’obéissance.                      24.05.87

      Désirer un Abbé !

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît n'est pas seulement un grand spirituel, c'est aussi un grand artiste. Il nous présente aujourd'hui une de ses toiles. Nous pouvons admirer le portrait d'un moine obéissant. C'est pétillant de réalisme, de vie, de lumière. C'est vrai jusque dans le détail. Ecoutez encore :

 

            Renonçant aussitôt à leur propre intérêt et à leur propre volonté, ils quittent ce qu’ils tenaient à la main et laissent inachevé ce qu’ils faisaient. Ils suivent d’un pied si prompt l’ordre donné que dans l’empressement qu’inspire la crainte de Dieu, il n’y a pas d’intervalle entre la parole du Supérieur et l’action du disciple, toutes deux s’accomplissant au même moment, 5,12-19. 

            L’ordre est exécuté sans trouble, sans retard, sans tiédeur, sans murmures, sans paroles de résistance, 5,30.     

 

            Mes frères, nous devrions longuement contempler cette toile, nous laisser pénétrer de sa beauté, afin que puisse s'éveiller en nous des réflexes nouveaux, des réflexes de santé spirituelle. Car il nous faut arriver à une réponse tellement spontanée à ce que Dieu attend de nous que nous soyons pour ainsi dire confondu avec sa volonté.

            Il faudrait que lorsqu’on nous voit, on voit immédiatement apparaître la volonté de Dieu, donc Dieu lui-même. Il faut que nous soyons des présences dans ce monde-ci de ce que Dieu désire pour ce monde, c’est-à-dire le salut en terme bien théologique et, plus concrètement, que ce monde soit heureux, que ce monde connaisse le bonheur absolument inconcevable qui est celui-là même de Dieu, et qui est l'être de Dieu. 

 

            Mes frères, si nous pouvons ainsi éveiller en nous ces réflexes, nous deviendrons vraiment ce que nous sommes : des ressuscités, des enfants de Dieu, des hommes qui accomplissent vraiment leur vocation humaine. Saint Benoît revient là-dessus dans le dernier chapitre de sa Règle. Il nous dit que les vies et les conférences de nos pères en la vie monastique sont des instruments de vertu pour moines vraiment bons et obéissants, 73,15. Nous serons donc de véritables moines si nous sommes vraiment obéissants.

 

            Aujourd'hui, il nous en faut rappeler la qualité de cette obéissance. Elle doit venir du fond du cœur. Et C'est pourquoi Saint Benoît a quelque chose d'assez étonnant, pour nous du moins. C'est que de vrais moines désirent avoir un Abbé à leur tête : Abbatem sibi praeesse desiderant, 5,26. Ce désir est extraordinaire. Il ne vient pas de notre nature, il nous est inspiré par Dieu lui-même.

            Il est la preuve que l'Esprit de Dieu habite dans nos cœurs, car notre égoïsme préfère l'indépendance, l'autonomie dans l'illusion que faire ce qu'on veut est une affirmation de liberté, est une preuve de virilité, est un gage de réussite. Non, il y a un autre désir, c'est désirer vivre sous la conduite d'un autre qui est, au yeux de la foi, le représentant du Christ, ce Christ qui apporte une sagesse nouvelle, une vie nouvelle, celle de Dieu, et cela pour une vraie liberté.

 

            Je pense, mes frères, que il est impossible de savoir ce qu'est cette liberté nouvelle qui fleurit sur l'obéissance, si on n'est pas devenu entièrement perdu dans la volonté de Dieu. A ce moment-là, je puis vous l'assurer, on est ce qu'on peut appeler libre, libre vis-à-vis des hommes, libre vis-à-vis de soi et même libre vis-à-vis de Dieu. On peut se tenir debout devant Dieu parce que on ne fait plus qu'un avec lui.

 

            Voilà, mes frères, ce qui nous est possible si nous entrons sincèrement avec une foi vivante dans cette relation correcte d'obéissance à l'endroit de l'Abbé. De tels hommes, comme le dit Saint Benoît, n'ont rien de plus cher que le Christ. C'est donc une question d'amour, c'est une question de choix : savoir choisir le Christ et non choisir une idéologie, mais choisir une personne et s'attacher à elle.

 

            Mes frères, c'est le moment de descendre dans notre cœur et de voir ce qu'il en est de nous ? Nous avons toujours une conversion à opérer et à parfaire. Nous ne devons jamais nous dire : maintenant c'est arrivé, c'est fini ! Non, si cette pensée monte à mon esprit, c'est bien la preuve qu'il y a encore quelque chose à faire.

            Soyons donc convaincus en ce que la grâce de Dieu n'aura jamais fini de nous poursuivre, de nous séduire. Elle nous attire par devant et elle nous pousse par derrière, car elle veut nous conduire là où Dieu nous attend chez lui, au cœur de la Trinité, afin que là, nous goûtions la liberté parfaite dans un amour qui est en nous la respiration même de Dieu.

 

Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance.              22.09.87

      La qualité de l’obéissance.

 

Mes frères,

 

            Ce soir, Saint Benoît nous introduit au coeur de la praxis monastique. La valeur humaine pour lui ne se mesure pas à l'aune des diplômes, ni des publications, ni de la notoriété mondaine, ni même de la notoriété intermonastique. Elle se définit uniquement par la qualité de l'obéissance.

 

            Pour le comprendre, il faut contempler le moine parvenu au sommet de sa vocation. Ce frère est devenu un seul esprit, un seul vouloir avec Dieu. Ce n'est plus lui qui vit, c'est le Christ son Dieu qui vit en lui. Cet homme est métamorphosé. Sa nourriture, ce n'est plus la satisfaction de ses désirs, de ses ambitions, de ses besoins charnels - je prends charnel dans le sens le plus vaste du terme - de ses besoins terrestres.

            Non, sa nourriture pour lui comme pour le Christ, c'est uniquement la volonté de son père. C'est ainsi qu'il grandit en Dieu, qu'il se développe. Il ne finit pas de s'épanouir. Son coeur se dilate aux dimensions du coeur même du Christ, aux dimensions de Dieu, c'est à dire l'infini.  

 

            Eh bien, ce frère réalise sa vocation dans toute sa beauté, dans toute sa grandeur, parce qu'il se nourrit exclusivement de Dieu reçu à l'intérieur de sa volonté. Car Dieu n'est pas distinct de sa volonté. Lorsqu'il demande quelque chose au frère, à l'intérieur de cette demande, c'est lui-même qu'il donne avec toute la richesse, avec toute l'humilité aussi, tout l'effacement de son être. Car Dieu, ne l'oublions jamais, est l'être le plus effacé, le plus humble et, j'ose le dire, le plus obéissant.

 

            Le thermomètre qui mesure donc le degré de vie divine, c'est l'obéissance. Saint Benoît accumule des détails qui suggèrent l'humilité qui existe par l'obéissance, la vraie obéissance, entre Dieu et le frère. Le coeur est vide, vidé de soi et toute la place est occupée par l'Esprit divin. Si bien que le frère acquiert des réflexes nouveaux. Ce ne sont plus des réflexes d'homme égoïste, mais des réflexes de fils de Dieu. Entre ce que Dieu demande et la réponse du moine, comme le dit Saint Benoît, il n'y aura même plus d'intervalle, c'est devenu un.

 

            Voici quelques détails qui sont chacun un petit tableau : Relinquentes quae sua sunt,5,13. Ils abandonnent ce qui est à eux, et cela statim, aussitôt. Ils n'hésitent pas. Ils ne calculent pas. Ils ne réfléchissent pas. Ils ne discutent pas. Dieu demande, aussitôt ils abandonnent ce qui leur paraissait jusqu'alors être leur voie.

            Voluntatem propriam deserentes, 15,13. Ils abandonnent leur volonté propre. Ils l'abandonnent, ça veut dire qu'ils la laissent tomber. Elle ne les intéresse plus. Cela va jusque là ! Et alors, exoccupatis manibus,5,14, ce qu'ils avaient en main, ils le laissent tomber par terre.

            Les mains sont libres. Quod agebant imperfectum relinquentes,5,15. Ce qu'ils étaient en train de faire, ils le laissent là inachevé. On y reviendra plus tard si Dieu le demande, mais pour l'instant il demande autre chose. Cela n'a pas d'importance, je le laisse là. Je vais là où Dieu m'appelle.

            Mox, dit-il, cela revient deux fois, 5,7 et 5,13. Mox n'est pas facile à traduire : tout de suite, bientôt, immédiatement. Alors, ce qui marque encore davantage l'unité, uno momento, 5,17. En un seul moment. L'ordre du Maître et la réponse du disciple, les deux choses se font communiter, 5,19, ça se fait en même temps, en même temps.

            C'est vraiment un très beau tableau ! Il n'y a pas d'intervalle, dit la traduction, entre la parole du Supérieur et l'action du disciple, toutes les deux s'accomplissant au même moment. C'est instantané. C'est aussi instantané que la manœuvre de l'interrupteur qui donne immédiatement la lumière.

 

            Si bien, mes frères, que se passe-t-il alors ? Je me place dans la situation du moine qui obéit de cette façon. Eh bien, ce frère savoure l'amour dont son cœur est empli et il goûte les bienfaits, la joie d'une liberté totale. Il est totalement libre puisque sa volonté ne fait plus qu'un avec celle de Dieu. Ce qui veut dire que par l'obéissance, il fait tout ce qui lui plaît, tout ce qu’il veut.

            Dieu est souverainement libre. Le moine dont la volonté est coulée dans celle de Dieu est aussi libre que Dieu et il fait ce qu'il veut puisqu'il veut ce que Dieu veut. Cela, c'est une expérience qu'il faut réaliser. Et c'est à partir de là qu'on peut opérer des miracles. Je ne veux pas dire des choses fantasmagoriques, spectaculaires, non. Mais bien le miraculum, la chose admirable qui est d'abord la métamorphose du moine, et puis alors si Dieu le veut, son rayonnement dans son entourage, mais peut-être, mais certainement son rayonnement au loin dans l'invisible du Royaume.

 

            Mais, comme dit Saint Benoît, les premiers pas sur cette route ne sont pas faciles. Il faut apprendre l'obéissance. Pourquoi sont-ils difficiles ? Pourquoi, mais parce que on est paralysé par la peur et qu'on est alourdi par la paresse. On a peur de quitter ses sécurités internes.

            On se pense à l'abri à l'intérieur de ses désirs, à l'intérieur de ses projets, à l'intérieur de ses œuvres, ces œuvres de ses pensées, de ses imaginations. Si bien que devoir en sortir, prendre le risque d'entrer dans le projet d'un autre, surtout d'un autre qui est Dieu, c'est effrayant et il faut avoir du courage pour faire ça.

            Et en outre on est alourdi par la paresse. Pourquoi ? Mais parce que le labeur monastique semble ne conduire nul part. Il est désespérant d'une certaine façon. Il n'y a rien qui change, il n'y a rien qui bouge, c'est toujours la même chose.

 

            Dimanche quelqu'un me demandait, quelqu'un de la communauté, ce qui était à mon avis la note spécifique de la vie monastique par rapport à la vie chrétienne en général ? Et je lui ai répondu sans hésiter : c'est la gratuité. C'est de faire les choses pour rien. C'est de faire les choses qui apparemment sont inutiles, mais qui noient, immergent le moine dans la volonté de Dieu.

            Et la volonté de Dieu, elle a sa valeur par elle-même. Si bien que la vie monastique n'a pas d'autres raisons d'être qu'elle-même. Et c'est cet élément de gratuité qui peut nous paraître lourd à certains moments et nous rendre paresseux.

 

            Mes frères, nous devons donc croire au caractère surnaturel de notre vie, nous mettre à l'école de l'obéissance et nous laisser transformer par elle. Au-delà de ces premiers pas difficiles, premiers pas qui peuvent durer longtemps, il y a la joie inexprimable, c'est la propre joie de Dieu, la propre joie du Christ qui disait : ma joie, je vous la donne. C'est un cadeau extraordinaire !

            Mes frères, ne cherchons pas à échapper à l'obéissance. C'est une tentation et une tentation, très subtile. Par exemple ceci, on trouvera cela chez des novices ou des jeunes profès : Vite hors du noviciat, au moins alors je pourrais vivre.

            Je serai comme un poisson dans l'eau en communauté. Je n'aurais plus ce fameux Maître des novices à mes trousses. Rien que de savoir qu'il est là à côté, et bien ça me paralyse déjà. Au moins je serais libre et j'échapperais à l'obéissance .

            Ou bien un emploi. Quand j'aurais un emploi, alors je serai vraiment bien. Je ferais ce que je voudrais, j'arrangerai mon emploi comme je l'entends. Toutes tentations pour échapper à l'obéissance.   

 

            Mes frères, n'y cédons pas ! Reprenons le taureau par les cornes et vous verrez, nous verrons que le résultat dépassera nos espérances les plus folles.

 

Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance.             23.09.87

      Nous ennoblir dans l’obéissance !

 

Mes frères,

 

            ....?.... n'est pas nécessairement l'obéissance dans le sens où l'entend notre père Saint Benoît. La véritable obéissance est le fait des âmes nobles et grandes. Elle convient, comme dit Saint Benoît, à ceux qui n'ont rien de plus cher que le Christ. Cette préférence donnée au Christ n'est pas le fait d'une exaltation passagère ?

            Non, elle est la constante d'une vie. C'est pourquoi cette persévérance dans le don que l'on fait de soi à Dieu est la véritable noblesse d'un homme, sa véritable grandeur. Et un tel homme est un obéissant.

 

            Au troisième degré d'humilité, Saint Benoît nous dira que le moine parvenu à cette hauteur se soumet à un supérieur pour l'amour de Dieu. Et cette soumission, encore une fois, n'est pas platitude devant un autre homme. Non, elle est, je le répète, don de soi à Dieu en personne. Elle est inspirée par l'amour, donc la véritable obéissance. En elle, on ne se recherche pas.

            On laisse de côté ses sentiments, ses jugements, ses idées, ses goûts. On a un seul souci: s’attacher à Dieu et à son projet. On entre dans une œuvre qui est immense et on y a sa place, une place que personne d'autre ne peut occuper. Dieu ne peut réaliser son projet sans la collaboration d'hommes qui se mettent entièrement à son service. Voilà les obéissants .

 

            Le souci encore est de se cacher dans l'amour de Dieu, s'ensevelir en lui. L'obéissance sera donc une participation à l’œuvre de Rédemption - car c'est de cela qu'il s'agit - où Dieu lui-même s'est caché, s'est enseveli dans une chair d'homme pour se faire obéissant à l'homme.

            Pour nous, c'est nous ennoblir que d'obéir à Dieu. Pour Dieu, obéir à l'homme a été se vider de lui-même. Mais c'est aussi une forme d'ennoblissement. Dieu a reçu par son obéissance un rayonnement, une gloire qui était inimaginable auparavant. Et cet acte nous a découvert en Dieu des beautés, des profondeurs, nous a dévoilé la véritable nature de ce Dieu. Mes frères, si nous sommes de vrais obéissants, nous participons à ce mystère.

 

            Elle va donc être inspirée par l'amour, notre obéissance, et déboucher sur un accroissement de l'amour. Elle entraîne la dilatatio cordis, comme dit Saint Benoît, le cœur se dilate. Et puis, elle aiguise et elle fortifie les facultés naturelles. L'obéissance ne dégrade pas l'homme, mais elle l'épanouit. Chez un véritable obéissant, il n'est rien qui ne soit exalté, mais rien du tout.

            Cela se comprend. Dieu a voulu créer un être parfait, l'image de ce que lui est. Cela s'est souillé, naturellement. Mais dès qu'on entre à nouveau dans le projet de Dieu, cette image de Dieu dans l'homme se reconstitue, et puis elle se perfectionne sans arrêt. C'est tout l'homme qui est ennobli et qui est exalté par l'obéissance, même l'homme charnel, ne l'oublions pas !

            L'Obéissance, nous dit Saint Benoît, doit être acceptable pour Dieu, et alors elle sera douce pour l'homme. Dieu doit pouvoir l'accepter. Il porte un jugement sur notre obéissance. Il l'accepte ou il la rejette. Il la rejette lorsque c'est un simulacre d'obéissance, une parodie d'obéissance. Il l'accepte lorsque il se reconnaît en elle, lorsqu'il reconnaît sa propre obéissance.

 

            C'est sérieux et c'est grave, mes frères, car l'enjeu de cette obéissance, il est double : c'est d'abord le progrès, la réussite du projet de Dieu sur nous-mêmes et sur le monde, et aussi notre propre bonheur. On ne joue pas avec l'obéissance. Si elle est acceptée par Dieu, donc si c'est une vraie obéissance, elle sera douce pour les hommes, pour les frères, et aussi pour l'obéissant lui-même. Elle devient agréable comme une friandise qu'on déguste, qu'on savoure.

            Dulcis, dit Saint Benoît. Elle est un miel dans la bouche. Elle a peut-être au début un goût plutôt amer ? Mais lorsque on laisse la propre obéissance de Dieu jouer dans le coeur, prendre possession de toute la personne, c'est la douceur même de Dieu qui envahit l'homme et il ne peut plus s'en passer. On est charmé par elle. On est attiré par l'obéissance. On s'en nourrit comme le Christ qui laissait de côté les nourritures terrestres parce que la volonté de son père était sa nourriture.

 

            Mes frères, Saint Benoît nous dit tout cela. Il y a encore beaucoup de choses à dire, mais écoutons ce qui se passe dans notre coeur, laissons-nous porter par l'ardeur de l'Esprit. L'obéissance n'est pas affaire purement humaine ; même si elle se joue dans l'homme, elle est d'origine divine.

            Le premier obéissant, c'est Dieu lui-même dans le Christ. Et nous, par notre obéissance nous accueillons en nous la vie même du Christ, nous devenons un seul esprit avec lui. Et ainsi, il est possible à Dieu de recevoir ce qui lui revient: notre reconnaissance, notre merci parce que vraiment tout vient de lui. Et notre véritable joie, notre véritable bonheur, il n'est jamais qu'en lui.

 

Chapitre 5, 29-44 : De l’obéissance.             24.05.88

      Puissance de l’obéissance.

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît s'étend longuement sur l'obéissance, et ce n'est pas sans raison, car l'obéissance est une vertu, en prenant ce dernier terme dans son sens étymologique : virtus, une force, une puissance.

            Et cette virtus se saisit de l'homme tout entier, elle le travaille, elle le transforme et elle lui donne sa stature d'éternité. Elle fait de lui un fils de Dieu, un être spirituel mû par le propre esprit de Dieu. Elle fait de lui un homme nouveau dans lequel la création arrive à sa perfection.

            L'obéissance n'est donc pas atrophiante ou dévalorisante. Elle met l'homme debout devant Dieu et devant le monde. Elle fait du moine un homme libre - mais pas n'importe quelle liberté - de la liberté de Dieu.

 

            Si bien que le moine vraiment obéissant, le moine transfiguré par l'obéissance est à l'abri de toutes les pressions, qu'elles viennent de l'extérieur ou qu'elles viennent de l'intérieur. Saint Bernard distingue une triple liberté.

            Il a bien analysé l'état de cet homme libre. Mais je ne sais pas s'il a mis cette liberté, ces libertés en relation avec l'obéissance. Il faudrait le demander à nos spécialistes en la matière. Cela allait de soi pour lui certainement car le moine est dans sa constitution même un obéissant.

            Cette obéissance crée un réseau de relations ...?... . Nous sommes à  l'intérieur d'une communauté où chacun est empoigné par cette puissance qu'est l'obéissance. Elle installe une communion, une communion dans l'amour. 

 

            Ecoutez ceci maintenant ! Dans une communauté de moines vraiment obéissants, il n'y a plus de supérieur ni d'inférieurs. Il n'y a plus que des enfants de Dieu qui collaborent à un même projet, à cette fameuse Opus Dei, à ce travail auquel Dieu se livre depuis toujours, depuis qu'il s'est lancé dans l'aventure de la création. Mais des enfants de Dieu qui partagent la vie de Dieu, qui connaissent le projet de Dieu et qui librement collaborent à la réalisation et à la réussite de ce projet.

 

            Pourquoi n'y a-t-il plus de supérieur ? Mais parce que le supérieur lui-même est pétri par l'obéissance. Et s'il est superior, comme on dit en latin, ou maîor, s'il est supérieur ou bien s'il est plus grand que les autres, c'est uniquement parce qu'il est avancé dans la métamorphose opérée par l'obéissance. Il y a donc une hiérarchie.

            Mais cette hiérarchie ne met pas un homme, donc le supérieur, au-dessus des autres ni en dehors des autres. Non, elle en fait le chef de file d'une compagnie de frères qui tous sont engagés dans le même travail qui est plus qu'un travail en collaboration - attention ! - parce que la communauté est toute entière construite par l'amour, et animée par l'amour.

 

            Ils travaillent donc en communion à un projet qui est celui même de Dieu. C'est la même vie, la même vie qui est en Dieu, la vie qui est dans ce qu'on appelle le supérieur, et puis la vie qui est dans tous les frères. C'est le même courant de vie en vue d'un même projet. C'est cela le monastère, ne l'oublions jamais ? C'est d'abord et surtout cela !

            Un frère me faisait remarquer aujourd'hui qu'il y avait une conscience de la communauté. Donc il y a une conscience clans chaque personne et aussi une conscience de communauté. Et il me donnait quelques exemples qui sont bien vrais. Et ça se comprend puisque nous formons un corps, que ce corps est animé de la même vie et que la source de cette vie est chez Dieu.

 

            Si bien que l'obéissance n'a rien à faire avec l'automatisme ou la servilité. Un animal n'obéit pas. Il répond à des stimuli, donc à des excitations qui lui viennent de l'extérieur ou bien de l'intérieur de lui. Il n'obéit pas.

            Un esclave n'obéit pas non plus. Un esclave exécute un travail. Et il le fait parce que il ne lui est pas possible de faire autrement. Il va donc naturellement se montrer obséquieux pour essayer d'échapper à la servitude qui pèse sur lui. Ce n'est pas cela l'obéissance.

            L'obéissance est le fait d'un homme libre, et elle rend l'homme toujours plus libre jusqu'à le faire devenir participant de la liberté même de Dieu.

 

            Alors, l'obéissance est libérée dans l'homme par la foi qui reconnaît la voix de Dieu et qui accueille cette voix avec empressement. Elle n'est donc pas une puissance naturelle puisque elle est libérée en nous par la foi, c'est à dire par une participation à la connaissance que Dieu a de lui-même et de son projet.

 

            Je vous assure, mes frères, que l'obéissance nous élève à des niveaux, à des hauteurs dont nous n'oserions même pas rêver si nous étions sains d'esprit. Je veux dire que l'obéissance est le fait des fols en Christ, des hommes qui osent croire que le Christ est Dieu, que eux-mêmes sont des membres de ce Christ, que le Christ vit en eux par son Esprit et que alors tout leur est possible. Ils se perdent à l'intérieur de ce Christ. Et c'est à ce moment-là qu'ils libèrent en eux toutes les énergies que nous appelons l'obéissance.

 

            Alors, cette obéissance, qu'arrive-t-il ? Elle développe dans le moine son intelligence et toutes ses facultés. Mais d'abord elle développe l'intelligence. Cela ne veut pas dire que l'obéissant va être capable de faire toutes les études possibles. Il s'agit d'une autre intelligence, de l'intelligence du coeur qui fait comprendre les mystères de Dieu, les mystères du monde, les mystères de l'homme ; l'intelligence qui donne le discernement et puis surtout qui développe une foule de facultés chez l'homme. Par exemple, l'esprit d'initiative, l'esprit de recherche, une saine curiosité, l'inventivité.

 

            L'obéissance est donc tout cela. Ce n'est pas exécuter bêtement, machinalement un ordre reçu, non, c'est recevoir une mission à l'intérieur de ce projet. Et cette mission, l'assumer avec tout son être ; mais l'intelligence étant aiguisée par l'obéissance, faire tout comme si on n'obéissait pas !

            C'est ça le plus paradoxal de la chose. C'est que la liberté, elle est portée jusque là. Dieu est tout à fait libre de la nécessité parce que il est Dieu. Eh bien, le moine qui est devenu obéissant, il est aussi libre de la nécessité et il n'a plus du tout l'impression d'obéir. C'est à ce moment-là qu'il est arrivé à son sommet dans l'exercice de l'obéissance .

 

            Si bien que l'emploi, ou comme on dit l'obédience qu'on reçoit, est le lieu où le moine s'épanouit. Il s'épanouit spirituellement et se divinise de plus en plus. Il s'épanouit intellectuellement parce que l'obéissance aiguise de plus en plus son intelligence. Et puis il s'épanouit aussi psychiquement car tout l'équilibre se met en lui. Et la meilleure thérapie des maladies psychiques dont nous souffrons tous il n'y a aucune exception, aucune, aucune, aucune, aucune, aucune, la meilleure thérapie, c'est l'obéissance, celle-là dont je parle maintenant.

 

            Alors, mes frères, nous comprenons que la valeur d'un homme, que la valeur d'un moine va se mesurer à la qualité de son obéissance. Et le gage de sa réussite, ce sera encore son obéissance parce que toutes les énergies divines affluent dans cet homme et elles peuvent le travailler, le façonner, le transfigurer comme elles l'entendent.

            Comprenons alors ce qui est dit : Le Christ s'est fait obéissant jusqu'à la mort. Nous devons aller jusque là ! Attention ! cela ne veut pas dire la mort physique pour nous, mais c'est la mort à nous-mêmes de façon à ce que un jour nous ayons conscience - c'est ça vraiment le sommet de tout et nous devons y aspirer - conscience que ce n'est plus nous qui vivons, mais que c'est un autre qui vit en nous, que nous sommes animés par l'Esprit de Dieu et que c'est le Christ qui nous habite.

 

            Voilà, mes frères, où nous conduit l'obéissance. Et je pense que nous devons, comme Saint Benoît nous le recommande, la pratiquer le mieux que nous pouvons. C'est tout un apprentissage à faire. Il faut procéder régulièrement à des recyclages. Nous devons toujours nous considérer comme des novices en matière d'obéissance, mais là est notre salut, là est la réussite de notre vocation.

 

Chapitre 5, 1-23 : De l’obéissance.              22.09.88

      Faire comme Dieu !

 

Mes frères,

 

            Nous avons vu que Saint Benoît mettait à la disposition de son disciple un outil absolument performant. Celui qui l'utilise est certain de construire sa propre vie, de l'embellir de manière à ce qu'elle devienne de plus en plus une demeure à l'intérieur de laquelle Dieu peut se plaire, Dieu peut se reposer.

            Nous ne pensons peut-être pas suffisamment à cet avenir qui nous est promis, à savoir être non seulement le Temple de Dieu, mais pénétrer à l'intérieur de son temple à lui. Or, le temple actuel de Dieu, c'est la personne du Christ Jésus. Détruisez ce temple, disait-il à ses adversaires, et moi, je le reconstruit en trois jours.

 

            Mes frères, l'outil que Saint Benoît nous confie nous permet d'exécuter un double travail : d'abord édifier et embellir le temple de notre cœur, mais également permettre à Dieu d'achever le temple immense qui doit accueillir en lui l'humanité entière, à savoir le Corps nouveau du Christ, ce Corps mystérieux qui va réunir toute l'humanité du premier homme au dernier.

            Nous avons notre petit travail à faire. Si nous ne le faisons pas, il manquera quelque chose à la beauté de ce temple. C'est pourquoi Dieu compte sur nous. Il n'a pas besoin d'une multitude. Il suffit qu'il en ait quelques-uns mais que ce soit de bons ouvriers.

 

            Mes frères, notre vocation engage donc notre responsabilité. Nous aurions très bien pu dire à Dieu : non, je ne m'engage pas dans ce travail ! Mais puisque nous avons accepté, nous devons être logiques et honnêtes.

            Nous imitons ainsi d'ailleurs notre Dieu qui nous a appelés. Car il n'est pas un despote qui vit de la sueur de ses ouvriers ou de ses sujets. Dieu lui-même est le premier de tous les travailleurs, il ne cesse de travailler, que ce soit dans le ciel ou que ce soit sur la terre. C'est ce qui permettait au Christ de travailler même le jour du Sabbat car, disait-il, mon Père est toujours à l’œuvre et moi, je fais ce que .je vois faire à mon Père.

 

            Pourquoi Dieu ne cesse-t-il de travailler ? Eh bien, parce qu'il ne cesse jamais d'aimer. Le grand travail, l'unique travail de Dieu, c'est l'amour. C'est son amour qui édifie tout l'univers. C'est son amour qui réunit tout en un même corps. C'est son amour qui fera que au terme de l'Histoire, Dieu sera tout en toutes choses. Travailler et aimer, chez Dieu, c'est identique !

            Il doit en devenir de même pour nous. Notre travail, c'est surtout et d'abord notre amour. Celui qui n'aime pas, il peut faire tout ce qu'il veut, tout cela est une bulle de savon qui va crever et disparaître. Saint Paul l'a bien expliqué: je puis faire ça, et ça et ça, et encore ça, si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien et ça ne sert absolument à rien. Donc, l'unique travail, c'est l'amour.

 

            Mais comment allons nous voir à l’œuvre ce travail de Dieu, car nous ne pouvons pas improviser, nous devons être des imitateurs du Christ, des imitateurs de Dieu. Nous devons voir ce que Dieu fait de manière à pouvoir le reproduire dans notre vie et autour de nous. Or, Saint Benoît nous le rappelle lorsqu'il dit : praecepta Dei, 4,78, les préceptes du Seigneur. C'est donc à travers les commandements, les instructions, les préceptes que Dieu nous donne que nous voyons Dieu à l’œuvre.

 

            Pour mieux le comprendre, il faut se référer à la racine hébraïque qui a été traduite par ce praecepta latin. C'est une racine qui signifie régler, placer mais en ordre. Nous voyons donc Dieu faire toute chose avec ordre, les placer chacune au lieu qui leur revient ; si bien que l'ensemble, alors, constitue une œuvre de beauté.

            Dieu ne lance donc pas son vouloir comme ça au hasard. Non, tout est orienté, tout est dirigé. Si donc j'exécute, si j'entre dans ces préceptes du Seigneur, si j'entre dans ses projets, à ce moment-là, j'agis comme lui et je vois ce que je dois faire.

            C'est donc à travers les préceptes du Seigneur que je vois Dieu à l'action, car il ne me demande rien d'autre que ce qu'il fait lui-même.

 

            Le Psaume 18 nous dit bien que le commandement ou le précepte de Seigneur est lumineux. Il est créateur, dispensateur de lumière. Si bien que il clarifie les yeux, il les rend clairs, il leur permet de voir. Si je fais mien le commandement de Dieu, si j'entre dans la volonté qu'il me propose, l’œil de mon cœur se purifie et je peux voir Dieu. C'est là un des résultats, disons un des effets de ce que nous appelons l'obéissance. Saint Benoît vient de nous en dire quelques mots aujourd'hui, mais peut-être que demain je pourrais m'arrêter davantage là-dessus.

 

Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance.             23.09.88

      Obéissance amoureuse !

 

Mes frères,

 

            Le grand travail du moine, l’œuvre à laquelle il consacre toutes ses énergies, c'est l'obéissance. Cela ne signifie pas que l'obéissance puisse être une fin en soi, loin de là. Obéir pour obéir, il n'est rien de plus avilissant, de plus dégradant, de plus abrutissant pour un homme. L'obéissance qui ne va pas plus loin qu'elle-même ronge la personnalité. Elle dégrade le psychisme, elle avilit la conscience des hommes.

            Il devait en principe exister une race supérieure faite pour commander et des races inférieures faites pour obéir. Et nous savons tous où cela a conduit. Nous ne pouvons pas imaginer ce qui serait arrivé si le National Socialisme s'était imposé à l'Europe. Nous ne pouvons pas l'imaginer, mais nous avons déjà des échantillons quand on sait ce qui est arrivé à certains pays. Nous, nous avons été épargnés, mais je vous assure qu'il y en a qui ont souffert.

 

            J'ai rencontré à Laval une dame qui racontait que, étant Juive, elle avait été déportée avec ses parents et ses grands parents à Auschwitz à l'âge de 14 ans. Le jour même de l'arrivée, les grands parents et les parents ont été conduits à la chambre à gaz. La fille âgée de 14 ans a été jugée bonne pour le travail. Et on l'a fait travailler dans des conditions absolument atroces. Puis les russes approchant, on l'a embarquée dans un train de wagons à bestiaux et on les a conduits au sud de Berlin.

            Puis, les russes approchant de Berlin on les à conduites, des femmes, à pied au mois de février, à raison de 30 Km en plein hivers, dans la neige, à travers tout, à ...?… par jour. Ceux qui ne savaient pas suivre étaient abattus sur place. La race inférieure des Juifs était condamnée à être exterminée, dégradée. Comment ? Soit en les tuant directement, soit en les avilissant à l'extrême par l'obéissance. Voyez, mes frères où ça peut conduire !

 

            Mais la véritable obéissance n'est pas ça. La véritable obéissance, la nôtre, c'est une ouverture totale à l'amour. J'obéis parce que j'aime quelqu'un, une Personne, le Christ-Jésus qui m'est apparu sur le chemin, c'est à dire Celui qui m'a donné la vie. Et à lui qui m'a donné la vie, je me donne à mon tour.

            Il y a donc dans l'obéissance le don de soi à une personne. Et celle-ci alors se donne à moi dans un mouvement spontané de tout ce qu'elle est. L'obéissance est donc une relation amoureuse entre deux être qui se cherchent, qui s'aiment puis se cherchent. L'un est Dieu lui-même et l'autre est sa petite créature.

            Seulement, dès que cette créature est aimée de Dieu elle devient, par le seul fait qu'elle est aimée et qu'elle répond à cet amour, elle devient Dieu elle-même car la vie de Dieu se déverse en elle. Elle l'introduit à l'intérieur jusqu'au plus profond de l'intimité divine. Les énergies divines travaillent en elle, la transfigurent jusqu'à en faire un enfant de Dieu à part entière.

 

            Voilà, mes frères, la véritable obéissance. Ce qui est autre chose que cela, c'est en-dehors, ou à côté, ou pas tout à fait dans la vérité. Nous devons donc toujours corriger notre obéissance, toujours la purifier. C'est ce que Saint Benoît dit ici : sans trouble, sans tiédeur, sans retard, sans murmure, sans parole de résistance, 5,30. Cela doit devenir une habitude, une structure de notre personne.

 

Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance.              22.09.89

      Désirer se soumettre !

 

Mes frères,

 

            Je relève ici chez Saint Benoît une toute petite phrase qui va en sens contraire de nos inclinations humaines et charnelles les plus profondes, les plus viscérales, et c'est celle-ci : Abbatem sibi praeesse desiderant, 5,25, Ils désirent qu'un Abbé soit placé à leur tête.

 

            Aujourd'hui, plus que jamais peut-être, on admet difficilement ou on n'admet pas du tout une exigence pareille. On trouvera que c'est dégradant de désirer qu'un homme soit placé à notre tête. Naturellement, la foi verra dans cet homme le représentant du Christ, le Christ lui-même. C'est vrai, mais la chair tout de même n'y trouve pas son compte car il s'agit dès lors de marcher au jugement et au commandement d'un autre, d'un étranger.

            On va donc s'aliéner, on va perdre son identité si on suit ici la prescription de Saint Benoît. Alors on va inventer - instinctivement, ce n'est pas réfléchi - on va inventer un chemin qui permettra de tourner autour de cette exigence, de l'évacuer, de l'annuler tout en donnant l'impression qu'on la respecte.

 

            On va placer le pouvoir de jugement et de décision dans le groupe, dans la communauté comme telle. C'est elle qui va discuter, c'est elle qui va choisir, c'est elle qui va décider. Et alors, c'est l'Abbé qui va faire en sorte que soit exécutée la décision prise en commun. C'est beaucoup plus efficace alors pour tout le monde, du moins pour la grosse majorité de la communauté qui est acquise à l'idée puisque cette idée est le fruit d'un échange communautaire.

            On va donc pouvoir alors passer à l'exécution et la tâche de l'Abbé sera beaucoup plus facile. Il lui suffira alors d'organiser l'exécution de la décision prise en commun. Mais à ce moment-là, on n'est plus dans la vie monastique pure. On ne désire plus marcher au jugement et au commandement d'un étranger. Alienus, 5,24, C'est ça que ça veut dire. C'est pas d'un autre, mais c'est d'un étranger, un étranger à soi, un étranger à ses propres inclinations.

 

            Mes frères, Saint Benoît dit ailleurs, c'est dans les Instruments des bonnes œuvres, qu'il ne faut pas trouver son plaisir dans l'accomplissement des désirs charnels - Desideria carnis non efficere, 4,70. Nous avons ici le contraire : désirer qu'un Abbé soit à la tête d'une communauté, un Abbé auquel on va se soumettre totalement. C'est vraiment aller contre les désirs de la chair.

            C'est trouver son plaisir, non plus dans une jouissance légitime pour un homme du monde de faire ce qui semble le meilleur, ce qui semble bon, ce qui apporte une satisfaction personnelle, ce qui valorise aux yeux de la conscience et aux yeux des autres, mais au lieu de cela c'est placer son plaisir, son désir, son bonheur dans le fait de marcher au jugement, au commandement d'un autre qu'on désire avoir au-dessus de sa tête.

 

            Mes frères, nous sommes ici - vous le savez bien - dans une attitude de foi et, il n'est pas possible de faire ce que Saint Benoît nous demande ici si l'Esprit Saint ne l'opère pas en nous car cela dépasse les forces de la nature. Ou bien alors on est un esclave et on ne peut pas faire autrement que d'être dans sa position d'esclave. On est alors une chose, on n'est plus un homme.

            Ou bien alors on se place dans la position de la foi et celui qu'on regarde, ce n'est plus un homme, mais c'est le représentant de Dieu sur la terre, c'est le Christ lui-même qui a le droit de demander ceci à ses disciples parce que lui-même s'est fait obéissant jusqu'à la mort et la mort sur une croix.

            Le Christ lui-même avait quelqu'un au-dessus de lui qui était Dieu le Père. C'est vrai, c'était son Père. Mais attention, c'était un Père exigeant. Et celui-là qui dans le monastère devra aussi exiger de ses disciples, ce sera pour eux un Père. D'ailleurs, on lui donnera le nom d'Abba, Père.

 

            Mes frères, voyez ! Quand nous voulons plonger notre regard dans les soubassements souterrains de nos instincts et que alors nous le posons, après notre introspection, sur notre Règle, nous voyons que si nous ne voulons pas perdre notre qualité d'homme, nous devons vraiment accepter de devenir des fils de Dieu. Pour nous, il n'y a presque pas de milieu : ou bien c'est une sorte de déchéance, ou bien c'est la divinisation.         

            Nous avons choisi, mes frères, pour nous ce sera de devenir un seul esprit avec le Christ. Et c'est pour cela que nous désirons que lui-même soit au-dessus de nous et que lui-même nous dise ce que nous avons à faire. Car la route qui conduit jusqu'à cette union parfaite avec les trois Personnes de la Trinité, il est seul à la connaître parce que c'est lui qui le premier l'a parcourue.

 

 

 


Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance.             23.09.89

      Collaborer avec Dieu !

 

Mes frères,

 

            Il apparaît clairement aujourd'hui que l'obéissance ne se réduit pas à la simple exécution d'un ordre reçu, mais qu'elle est une collaboration active, intelligente, empressée avec Dieu, avec Dieu qui a un plan, un projet. C'est plus précisément avec le Christ qui poursuit son œuvre de création, d'embellissement et de transfiguration du monde.

            Depuis que le Verbe de Dieu, que le Verbe Créateur est devenu homme, il ne peut plus, il ne veut plus se passer de la coopération des hommes. C'est pourquoi dans le monastère, lorsque l'Abbé demande un service, lorsqu'il confie un emploi, lorsqu'il donne un ordre comme dit Saint Benoît, à ce moment-là c'est le Christ lui-même qui attend une réponse de collaboration intelligente.

            La preuve que l'obéissance ne se réduit pas à l'exécution de l'ordre, là voici : Même s'il exécute l'ordre reçu. cet acte ne sera pas agréé de Dieu qui voit le cœur de ce moine qui est en train de murmurer. 5, 40 .

 

            Mes frères, l'obéissance est une activité très noble. A mon avis, c'est la plus noble de toutes. Car être le ministre de Dieu, être son officier, être son bras droit ici sur terre, c'est le plus grand honneur que l'on puisse imaginer. Je pense que nous devons toujours avoir ces réalités si belles sous les yeux de notre cœur.

            Et si parfois il nous demande des choses difficiles, ce n'est pas pour nous ennuyer, mais c'est parce qu'il sait que nous pouvons nous en acquitter et qu'il veut nous en récompenser avec plus de générosité encore. Si nous sommes généreux, Dieu l'est encore davantage.

 

            Mes frères, nous sommes de toutes petites créatures. Mais dès l'instant où nous entrons ainsi en communion, en relation avec notre Christ dans l'exercice d'une saine obéissance, à ce moment-là nous participons à sa grandeur et à sa gloire. Nous ne devons pas craindre de regarder ces réalités en face parce que elles sont l'essence même de notre vie.  Et on comprend alors ce que Evagre répond à Macaire qui lui demande : Si je te dis une Parole, l'écouteras-tu et la feras-tu ?

 

            Vous voyez, Dieu, ici, va délivrer un message à Evagre. Il va lui donner un conseil. Mieux encore, il va lui prescrire une ligne de conduite. Et Macaire désire savoir quelle sera la réaction d'Evagre ? Et Evagre  répond : Ma foi et ma charité ne te sont pas cachées.

            Voilà l'essentiel de ce que la Tradition monastique toute entière attend d'un vrai disciple : la foi et la charité. Il faudrait une fois parler longuement de la foi car elle est une vie, elle est une pratique qui doit se saisir de toute notre existence. Mais nous devons vivre et nous ne devons agir que par la foi. Mais enfin, chaque chose en son temps.

 

            Cette fois-ci, Macaire attend de son disciple Evagre la foi et la charité. Elles ne lui sont pas cachées. Macaire connaît son disciple. Il sait qu'il peut tout lui demander, tout lui dire. Macaire est le représentant du Christ et sa parole est une Parole du Christ en personne. Oui, voici la foi en exercice. Evagre attend de son Père une sentence de Sagesse divine. Car la vie divine ne peut être reçue que sur les routes de Dieu. Nous touchons ici le cœur, le centre même de la doctrine Evagréenne qui n'est rien d'autre que la doctrine des Pères du désert. Il faut bien le retenir.

 

            Nous devons être divinisés totalement. Et la vie divine, nous ne pouvons la recevoir que sur les routes de Dieu. Et inutile d'aller la chercher à l'extérieur, c'est parfaitement inutile, on ne la trouvera pas. Or, la route de Dieu, nous y sommes par l'obéissance. Saint Benoît le dira. Il n'y a pas d'autre endroit. Le reste, on perd son temps.

            On peut avoir un certain sentiment d'exaltation en faisant sa volonté propre ou en allant chercher des nourritures à côté du chemin de Dieu. Mais ce sont des nourritures empoisonnées. C'est une sorte d'ivresse, une sorte d'intoxication qui détruit l'organisme, qui le débilite et, finalement, qui le conduit à la ruine et à la mort, à la déliquescence. Cela se défait comme un vêtement rongé par les mites, il n'y a plus rien. Tandis que sur la route de Dieu, là se  trouve la ...?… vie divine.

 

            Et toute sagesse humaine quelle qu'elle soit est impuissante à donner la moindre, la moindre évocation de l'univers divin. Nous ne pouvons le connaître - encore une fois - que par la foi. La raison raisonnante, la raison laissée à elle-même ne peut rien y comprendre.    

            Et s’il lui arrive - elle construit beaucoup, elle travaille - de comprendre quelque chose, elle doit bien savoir que ce n'est pas l'univers de Dieu, que c'est une construction purement humaine. L'univers de Dieu est hors de portée de la raison.

            Et alors, ce qui nous met en contact avec lui, c'est la foi, toujours cette foi. Mais il y a aussi autre chose, il y a la charité. Mais ça, ce sera pour une fois prochaine.

 

Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance.              22.01.90

      La folie d’aimer !

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît nous dit clairement ce soir que la vie monastique n'est pas une entreprise rationnelle. Elle est une folie amoureuse : ne rien avoir de plus cher que le Christ, absolument rien. C'est donc une affaire de cœur. C'est l'affectivité qui joue, la part essentielle dans la vie monastique. On aime quelqu'un. Et pour l'amour de ce quelqu'un, on laisse absolument tout tomber. On va jusqu'à renoncer à sa volonté. On va jusqu'à se plier au commandement d'un autre dans lequel on reconnaît le Christ.

 

            Mes frères, il s'opère aujourd'hui dans l'Ordre un phénomène qui est, à mon avis, inquiétant. C'est celui-ci : on réduit la vie monastique à une sagesse humaine, à une philosophie, à une sagesse de vie.

            On est ensemble. On organise sa journée. On a certes un cadre qui est l'Office, la Lectio, le Travail, c'est certain. Mais le centre de gravité de la communauté n'est plus la Personne du Christ à laquelle on sacrifie tout, mais il se trouve dans la communauté elle-même qui se laisse aller à une sorte de narcissisme collectif.

            On est bien entre soi. Tout le monde est au courant de tout. On partage tout, on échange tout. Si bien que chacun à l'impression de diriger la communauté.

 

            Il y a bien à la tête un Abbé. Mais on ne trouve plus ici ce que dit Saint Benoît : qu'ils désirent se soumettre à un Abbé dans un monastère, 5,25. Non, c'est l'Abbé qui doit se soumettre au désir de la communauté qui s'exprime comme ça librement à l'occasion des dialogues qu'on organise très souvent. Et l'Abbé doit être à l'écoute. Il synthétise les désirs exprimés, puis il s'arrange pour qu'ils se concrétisent dans la réalité.

 

            La lettre de l'Abbé Général est arrivée. Et bien, il établit l'état de l'Ordre pour aujourd'hui. Il l'avait fait en 1980 et il le fait dix ans après, en 1990. Et il dit ceci, lui qui circule partout dans l'Ordre, qui sait donc ce qui se passe partout : Il y a aujourd'hui dans l'Ordre une baisse de la vie contemplative.

            Eh bien, c'est tout à fait ça. La vie contemplative est en train, non pas encore de s'éteindre ni de s'évanouir, mais elle baisse, elle baisse. Et les échos que je reçois, c'est ça. La vie monastique cistercienne glisse vers un type humain de sagesse. Ce n'est pas de l'épicurisme, mais c'est la sagesse des hommes de la Renaissance. On étudie beaucoup, on travaille bien. On organise quelque chose et ça marche. Et on est heureux et on s'épanouit.

 

            Mais c'est uniquement au niveau humain. Il n'y a plus cette folie qui fait que on oublie tout parce que on n'a rien de plus cher que le Christ et qu'on part à sa suite. Car cet amour, cette folie amoureuse, elle donne à la fois un sentiment de sécurité et un sentiment d'insécurité. Et c'est cette insécurité-là qu'on ne peut plus porter aujourd'hui.

            On a la sécurité parce que on devient petit à petit un seul être, un seul esprit avec le Christ dans lequel on se perd littéralement tellement on l'aime. Et d'un autre côté, il y a un sentiment d'insécurité parce qu'il faut lâcher toutes ses sécurités intérieures.

 

            Et, voilà cette aventure formidable, il y en a de moins en moins aujourd'hui qui on le courage de la courir. Et ce glissement ne s'opère pas à partir des jeunes, mais il se fait à partir des anciens. Alors les jeunes qui arrivent, ils sont pris dans le mouvement parce qu'ils n'ont rien à voir devant eux. Il n'y a plus rien . Je pense avoir fait allusion à cela une fois ou l'autre. Mais cela devient de plus en plus sérieux et l'Abbé Général lui-même l'a relevé.

 

            Donc, mes frères, essayons pour notre part de n'avoir dans notre cœur rien de plus cher que le Christ. Car alors, quand le climat est ainsi, on peut tout demander, on peut tout risquer. Voilà, demandons au Christ cette grâce les uns pour les autres.

            Et vous savez ce qu'il a dit : Lorsque vous vous mettez d'accord pour demander quelque chose en mon nom, moi je vous l'accorderai. Eh bien, ayons le courage de la demander.

 

Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance.             23.01.90

      L’obéissance est douce.

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît attire notre attention sur un détail de la véritable obéissance : elle est douce aux hommes. L'obéissance doit rendre heureux les frères parmi lesquels nous vivons. Elle doit leur être douce. Et c'est un fait d'expérience qu'un moine obéissant rayonne sur les autres une sorte de paix, de sécurité, de bonheur. Et c'est ainsi que l'obéissance, à mon avis, est le premier facteur d'équilibre d'une communauté.

 

            Et quand Saint Benoît parle de la peine des murmurateurs, 5,43, c'est la mort, çà, il faut bien le savoir. Les murmurateurs - Saint Benoît se réfère à l'expérience du désert - ceux qui ont murmurés, ils ont laissé leurs os dans le désert, ils ne sont pas entrés dans la terre promise. Et murmurer dans son cœur, c'est ça qui est grave.

            Attention ! Il s'agit ici d'un vrai murmure. Cela ne veut pas dire que l'obéissance doit être toujours quelque chose qui nous enthousiasme. Tout dépend de ce qui nous est demandé ?

 

            Mais voilà, du moment qu'on entre dans la volonté de Dieu tel qu'on est, mais sans murmure, alors notre obéissance est acceptée par Dieu et elle sera agréable à nos frères. Douce, comme dit Saint Benoît, dulcis hominibus, 5,30, c'est comme une friandise qu'on déguste.

 

Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance.              23.05.90

      Pas d’hésitation  !

 

Mes frères,

 

            Si nous écoutons entre les lignes ce que nous dit Saint Benoît, nous comprenons que l'obéissance n'est pas une démission, qu'elle n'est pas une régression, mais qu'elle est une promotion.

 

            Obéir à Dieu de tout son coeur, avec intelligence et dans un esprit de décision qui ne se reprend pas, c'est devenir libre. Lorsque ma volonté ne fait plus qu'une avec celle de Dieu, je suis libre autant que Dieu peut l'être. Or, Dieu est libre à l'infini. Nous ne devons jamais hésiter à obéir.

            Si cela nous fait mal, si nous avons peur, c'est parce que nous sommes encore des esclaves. L'esclave, lui, il se soumet, il n'obéit pas. Il ne peut pas obéir parce que c'est un esclave. Il est dressé. C'est un dressage qu'il a subi, ce n’est pas une éducation.

 

            Par contre, celui qui entre en communion avec Dieu, son seul souci, c'est faire la volonté de Dieu. Cela devient sa nourriture. Et cette nourriture lui devient de plus en plus douce car il n'y a rien en dehors de la volonté de Dieu qui puisse satisfaire le coeur d'un homme.

            Beaucoup de chose que nous faisons ou que nous avons envie de faire - que nous ne ferons pas parce que nous sommes dans le monastère et que malgré tout, c'est toujours avec Dieu que nous voulons rester unis - beaucoup de ces choses peuvent flatter notre amour propre, notre égoïsme, notre convoitise, nos passions, nos dérèglements.

            Mais cela crée en nous un déséquilibre. Et ce déséquilibre peut aller extrêmement loin jusqu'à nous rendre malheureux à l'extrême.

 

            Par contre, si nous entrons dans les vouloirs de Dieu, alors nous commençons à savoir ce que signifie la liberté. Et personne ne peut nous atteindre, et personne ne peut nous nuire car on est chez Dieu, avec Dieu, au-delà et au-dessus du monde, et au-dessus de nous-mêmes.

            L'obéissance est de nature extatique et elle nous projette chez Dieu. Et là, rien ne nous manque. L'obéissance conduit jusqu'au bout. C'est déjà le paradis sur terre. C'est la vie éternelle ...?… ...?… ...?… vouloir de toute l'ardeur de son âme posséder la vie éternelle.

 

Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance.             23.01.92

      Ecoute ou murmure ?

 

Mes frères,

 

            Si nous nous référons à l'étymologie du mot obéissance, nous constatons que l'obéissance est l'exercice d'un art très beau et très difficile, l'art d'écouter. La vie dans l'Esprit consistera donc d'abord à écouter. Mais écouter quoi et écouter qui ? Il s'agit d'écouter la voix de Dieu. Il s'agit d'écouter Dieu lui-même qui invite à un dépassement et à une communion.

            Dieu ne lance jamais des paroles dans le vide. Lorsque Dieu nous demande quelque chose, c'est toujours pour notre avantage à nous. Mais ce peut être pour son détriment à lui car, n'oublions pas, n'oublions jamais que la parole de Dieu, c'est la Personne du Christ Jésus. Et nous savons par où il a dû passer, le Christ, pour nous apprendre ce chemin de l'écoute, ce chemin de l'obéissance.

 

            Et c'est à travers le canal de l'écoute que parvient jusqu'à nous l'onction qu'est l'Esprit. Ce canal est étroit, très étroit, mais il est extrêmement puissant. Cela veut dire qu'à l'intérieur de ce canal, il existe une pression qui est irrésistible si nous lui permettons de s'exercer librement. Et ce canal est parfaitement propre car il est vérité et il est pureté.   

            Donc, lorsque j'écoute, je me mets dans la vérité de mon être tel que Dieu le voit, tel que Dieu me désire, tel que Dieu le rêve. Et en même temps j'accueille en moi toute la pureté de Dieu, sa splendeur, sa lumière, tout l'amour qu'il est.

 

            Et le contraire de l'écoute, mes frères, comme nous le rappelle Saint Benoît ce soir, c'est le murmure, 5,39. Le murmurateur entend mais il n'écoute pas, son cœur demeure fermé. Et cette occlusion est volontaire. Le murmurateur ressemble au serpent du psaume qui se bouche l'oreille pour ne pas entendre la voix du charmeur expert en incantation.          

            Vous savez que, est-ce vrai ? je n'en sais rien ! Le psalmiste voyait le serpent qui mettait l'extrémité de sa queue dans son oreille et comme ça il n'entendait pas la voix du charmeur.

 

            Eh bien Dieu, il est un charmeur. Et nous savons très bien - notre instinct charnel nous le dit - que si nous écoutons ses incantations, nous allons devoir nous y abandonner. Nous ne pourrons pas y résister. Non pas que Dieu essaye de nous prendre dans un filet pour nous asservir, mais il désire nous attirer, presque nous séduire par la beauté se sa personne.  Car ne l'oublions pas, ce qui nous attire chez Dieu, c'est sa beauté.

            Il y a une part en nous - disons notre nom, notre portion d'éternité - qui peut être totalement inconsciente mais qui est pourtant bien éveillée. Et c'est elle qui est appelée à voir Dieu, et qui commence déjà à l’apercevoir, et qui est éblouie par sa beauté.

            La vie contemplative réussie sera alors la prise de conscience de plus en plus forte de cette vision de la beauté qu'est Dieu. Mais cette vision est au départ et c'est elle déjà qui nous attire ici et nous y maintient.

 

            Maintenant, Saint Benoît parle de la peine des murmurateurs. En quoi consiste cette peine ? Ce n'est pas un châtiment qui serait infligé par l'Abbé ? Non, Saint Benoît le dirait. C'est infiniment plus grave. C'est la peine qui a frappé Israël lorsqu'il s'est mis à murmurer aux portes même de la Terre Promise. Inutile de rappeler toute la scène.

            Mais le résultat a été que Dieu  les a faits tourner quarante ans à l'intérieur du désert jusqu'à ce que tous les murmurateurs soient morts. Ils ne sont pas entrés dans la Terre. Donc, la peine du murmurateur, c'est de se voir interdire la Terre bénie du Royaume de Dieu, là où le Christ est Roi et où ses fidèles, ses écoutants sont des Princes.

            A l'arrière-plan de ce que nous dit ce soir Saint Benoît, il y a tout le drame de l'humanité depuis l'origine jusqu'à l'accomplissement de l'Histoire. Rappelez-vous ce qui s'est passé avec Adam et Eve, et puis voyez tout le déroulement, voyez l'aboutissement où vous aurez le partage entre ceux qui ont écouté et ceux qui n'ont pas écouté, entre les écoutants et les murmurateurs.

 

            Il s'agit donc, mes frères, pour nous bien concrètement ici dans le monastère, il s'agit donc d'écouter ou bien de ne pas écouter ; il s'agit d'entrer dans le projet de Dieu ou bien de nous accrocher à notre petit projet personnel ; il s'agit de réussir sa vie monastique et humaine ou bien de la rater lamentablement. On peut persévérer dans le monastère jusqu'à la mort et rater sa vie.

            C'est pourquoi, mes frères, nous voyons Saint Benoît insister tellement sur cette peine qui frappe les murmurateurs. Je pense que nous devons la prendre très au sérieux.

 

            Maintenant, à partir de là nous pouvons mieux savoir en quoi consiste l'obéissance. Elle est donc une remise de soi totale et confiante à une personne qui est l'amour, non pas à un gendarme, ni un tyran, ni un despote mais à l'amour même, à la beauté même, à la lumière. L'obéissance n'est donc pas cantonnée dans l'exécution matérielle des ordres reçus, mais elle est une qualité.

            Elle est la qualité d'un cœur noble qui par l'écoute se met et se maintient en communion avec le cœur de Dieu. L'obéissance est donc une qualité du cœur qui est ouvert, un cœur qui écoute et qui par le fait même de cette écoute entre en communion avec le cœur de Dieu. Et par le canal de cette écoute passe la vie divine avec toute sa richesse.

 

            Mes frères, l'obéissance est donc la porte de la vie impérissable, de la transfiguration et de la résurrection. Saint Benoît nous dira qu'elle est la route. C'est une autre image qui est une image dynamique car, sur cette route, il faut marcher, il faut avancer. Cette route peut être longue. On peut dire aussi qu'elle est une porte. Là, l'image à une autre qualité. La porte s'ouvre et on voit alors les merveilles de la création nouvelle qui se trouvent derrière cette porte ou derrière ce voile.

 

             Eh bien voilà, mes frères, à quoi nous sommes invités. Je pense que notre intention est de devenir expert dans l'art d'écouter. C'est un long apprentissage. Il y a des essais, il y a des erreurs mais cela ne doit pas nous décourager. Le véritable artiste, ce n'est pas un génie comme ça tout à fait exceptionnel, qui ne doit rien apprendre. Au contraire, les grands artistes sont de grands appreneurs. Ils sont appelés à cette vie, mais le don qu'ils ont reçu, ils doivent le cultiver, ils doivent le conduire à sa perfection.

            De même, lorsque nous sommes appelés à la vie monastique, nous avons reçu le don de l'écoute. Nous sommes prédisposés à cette écoute. A nous maintenant de cultiver ce don et de devenir de véritables écoutants qui pourront alors partager en plénitude la vie de la Trinité à laquelle nous sommes invités.

 

Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance.             24.05.92

      Etre agréable à Dieu !

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît nous parle d’une obéissance agréable à Dieu et douce aux hommes, 5,30, je traduis littéralement. Acceptabilis peut se rendre par agréable si nous prenons ce terme dans son sens étymologique, c'est à dire en ce qui rencontre l'agrément, ce qui peut être agréé ; mais il y a aussi dans le mot agréable une nuance lumineuse.

            C'est une obéissance qui plaît à Dieu, une obéissance qui réjouit le coeur de Dieu, une obéissance qui est un parfum qui embaume les sens, qui rafraîchit les sens, qui ravive leur vitalité, et cela chez Dieu lui-même.

            N'oublions pas, n'oublions jamais que pour nous, Dieu, c'est le Christ Jésus. C'est donc un homme qui est peiné, un homme qui se réjouit encore maintenant tout comme nous. Il faut donc que notre obéissance soit agréable au Seigneur.

 

            Mais le moine apporterait-il ainsi par son obéissance quelque chose à Dieu ? Mais certainement, car écouter Dieu, c'est être attentif à sa présence, c'est être éveillé à son amour. C'est donc le réjouir, c'est faire que d'une certaine manière il est davantage Dieu certainement pour nous et aussi pour lui. Car il s’aperçoit que sa Parole éveille un écho dans le cœur de son fidèle.

            Et à ce moment-là, Dieu est davantage ce qu'il est, et pour le moine, et pour lui. Il y a ainsi - ne l'oublions jamais - dans l'obéissance une relation de réciprocité entre Dieu et l'homme, un véritable partage presque comme si les deux partenaires étaient sur le même palier, comme s'ils étaient d'égal à égal.

 

            C'est là une façon très audacieuse d'envisager l'obéissance, mais je pense que nous ne devons pas craindre d'aller jusque là. Encore une fois, n'oublions jamais que Dieu s'est abaissé jusqu'à notre niveau jusqu'à être un parmi nous. Et quand il était parmi nous, on ne le reconnaissait pas tellement il nous était semblable.

            Eh bien, il est encore comme ça aujourd'hui. Et nous vivons ici chez lui, il est parmi nous. Si nous avons le cœur suffisamment pur, si nos yeux sont suffisamment clairs, limpides, à ce moment-là nous le reconnaissons parmi nos frères, nous le reconnaissons chez les uns et chez les autres.

 

            Nous devons donc situer l'obéissance, non pas au niveau de la soumission, parce que il n'y a pas moyen de faire autrement, mais à l'étage d'une relation de confiance, d'une relation d'amour entre deux amis. On ne peut rien refuser à Dieu parce que il ne nous refuse rien non plus. En entrant dans ses vouloirs, nous recevons tout de lui et cela le comble de joie. Voilà, mes frères, pourquoi notre obéissance peut être agréable à Dieu.

 

            Mais Saint Benoît nous dit aussi que l'obéissance peut être douce aux hommes. Elle est comme une huile qui pénètre notre être jusqu'au plus intime et qui le rend autre. Le Cantique des cantiques nous dit tout au début que le nom de l'Epoux, que le nom de Dieu, que le nom du Christ est une huile qui se répand, donc une huile qui atteint jusqu'au plus intime de notre être. Et elle pénètre très, très lentement.

 

            Elle produit en nous un effet de douceur. Et cette douceur n'est pas seulement dans le moine qui obéit, mais elle est aussi dans le moine qui commande. L'obéissance est douce pour les deux partenaires.

 

            En effet, les deux communient à l'intérieur de la même douceur et celle-ci a son origine dans la volonté de Dieu, dans l'amour qui est Dieu. C'est donc la douceur même de l'amour qui entre en nous et cet avant-goût de douceur est comme les prémices de la béatitude que nous goûterons un jour. Qu'il est bon et qu'il est doux d'habiter comme des frères tous ensemble, dit le Psaume.

            Et c'est bien ainsi. Nous ne sommes pas les uns à côté des autres comme des billes dans un sac. Nous partageons la même vie divine, la même vision de Dieu, la même douceur à l'intérieur d'une volonté commune. Et par l'obéissance, c'est cet immense courant de vie qui passe de l'un à l'autre, qui irrigue tous les cœurs et qui les unit de plus en plus. Si bien que l'obéissance construit une communauté de saints. Et c'est cela que doit être un monastère.

 

            Voilà, mes frères, ce que je voulais vous dire ce matin à partir de ces deux petits mots de Saint Benoît. L'obéissance bien comprise, la véritable obéissance qui est tout à la fois écoute et réponse, elle répand partout l'amour, la douceur, la béatitude. Alors à nous de ne jamais l'oublier !

 

Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance.              22.01.93

      Gradienti amor !

 

Mes frères,

 

            Il est extrêmement difficile de traduire littéralement le texte de notre Père Saint Benoît. Auparavant, ce texte était lu dans la langue latine. Si bien que à force de l'entendre. on le connaissait presque par coeur. Il y a donc des expressions qui se sont gravées dans mon esprit et, lorsque je l'entends lire en français, je vois défiler devant moi le texte latin et je peux ainsi remarquer les petites différences.

            Voici ce que dit la traduction : ainsi agissent ceux qui aspirent ardemment à la vie éternelle. 5,l9. Et le texte latin est infiniment plus puissant et plus vrai. Il est question de gradiendi amor, 5,20, c'est à dire ceux qui sont possédés par l'amour, l'amour d'une chose bien précise, de monter jusqu'à la vie éternelle, d'avancer en montant jusqu'à la vie éternelle.

 

            Et cette gradation - c'est le mot latin gradiendi - nous montre que la vie éternelle se situe à un autre niveau que le nôtre. Elle est au-dessus, elle est différente, elle est d'une autre nature ; non pas parce que elle est éternelle, mais parce que c'est un autre type de vie. J'imagine volontiers que dans la création nouvelle, nous disposerons aussi d'un vocabulaire nouveau pour exprimer les choses nouvelles qui nous seront données et qui ont pris possession de notre être.

 

            Donc, il sera question de la vie; mais je pense que on ne peut pas appliquer à la vie de Dieu, à la vie en Dieu, le mot vie tel que nous l'entendons ici. Fatalement notre vue est brouillée par l'expérience que nous avons de cette vie-ci. Or Dieu est l'amour et Dieu est la vie et il faudrait trouver un autre vocabulaire. Mais c'est impossible !

            Et c'est la raison pour laquelle il est parfois préférable de se taire. Il n'est rien de plus quasiment - oserais- je dire - indélicat que de parler de Dieu et de son environnement parce que fatalement nous parlons alors d'une idole.

 

            La seule manière de parler correctement de Dieu, c'est de ne pas en parler, c'est de rester devant lui dans une attitude de silence, d'admiration. C'est cela la contemplation ! C'est un long regard admiratif qui est au-delà de tout vocabulaire, au-delà de toute parole, au-delà de tout discours.

            Mais ce qu'on peut faire, c'est écouter ce que Dieu nous dit. Saint Benoît cite ici l'une ou l'autre parole du Seigneur Jésus. Par exemple : Elle est étroite la route qui conduit à la vie ! à cette fameuse vie qui, elle, dira : Je suis la vie !

 

            Et ici, mes frères, nous tombons dans un nouveau piège. C'est que ce Dominus, ce Seigneur, ce Jésus, eh bien, nous ne parvenons pas à réaliser qu'il est Dieu. C'est la grande, grande pierre d'achoppement de toujours. C'est sur cette affirmation qu'a trébuché Arius. Et tous ces Evêques qui lui emboîtaient le pas, nous les comprenons un peu parce que aujourd'hui, nous-mêmes personnellement, nous ne parvenons pas encore à réaliser pleinement que cet homme Jésus est en réalité Dieu.

 

            Donc ce qu'il dit, ce n'est pas parole d'homme, mais c'est une Parole de Dieu. Donc c'est une Parole qui crée, c'est une Parole qui réalise ce qu'elle exprime. Lorsque il dit donc que la route est étroite qui conduit à la vie, elle est encore plus qu'étroite. Quand on dit angustam, 5,2l. c'est encore plus étroit. C'est la même racine qui a donné le mot français angoisse, ou angine. Voyez angine de poitrine ou angoisse.

 

            C'est donc cela, cette route. Ce n'est pas une petite route étroite sur laquelle on pourrait faire de l'alpinisme ou de la gymnastique. Non, c'est une route qui fait peur. C'est un défilé très étroit qui peut donner, je dirais, place à des attaques de brigands. Et il faut oser s'y aventurer car de l'autre côté, c'est la vie ; mais ce n'est pas la vie telle que nous la connaissons, mais c'est Dieu qui est la vie.

 

            Voilà, mes frères, tout ce que nous pouvons trouver dans notre Règle et, c'est la raison pour laquelle nous ne nous lasserons jamais de l'entendre. Et lorsque nous l'entendons et que nous ouvrons notre cœur à cette parole inspirée, cette parole d'un saint, de notre Père Saint Benoît, nous recevons automatiquement la grâce, la force d'accomplir ce que Saint Benoît nous propose.

 

Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance.             23.01.93

      Etre toujours avec Dieu.

 

Mes frères,

 

            L'Abbé ne devrait parler de l'obéissance qu'avec énormément de circonspection, dans une parfaite discrétion et une grande réserve. Pourquoi ? Mais parce que il se trouve du côté du marteau tandis que les auditeurs se trouvent du côté de l'enclume. A mon avis, il ne parlera de l'obéissance en toute honnêteté et avec assurance et persuasion que s'il a lui-même été longtemps du côté de l'enclume et qu'il a senti combien il était dur et pénible de recevoir les coups du marteau.

            Mais il en parlera d'autant mieux s'il a récolté les nombreux fruits   et surtout, s'il a trouvé la mort sur l'enclume de cette ...?... ...?... comme le Christ l'a trouvé sur la croix. A ce moment-là, Dieu l'aura ressuscité et introduit dans la création nouvelle et lui aura conféré la qualité de prophète.

 

            Voyez, mes frères, tout ce que devrait être un Abbé selon le coeur de Saint Benoît et selon le coeur de Dieu. Et je pense avoir raison. On n'a pas le droit de parler de l'obéissance si on n'est pas mort sous les coups de l'obéissance. Le Christ a eu le droit de parler parce qu'il savait qu'il était orienté vers la croix; il a parlé avant. L'Abbé, lui qui tient la place du Christ, doit parler après sinon tout ce qu'il peut dire flotte dans les sphères abstraites de la spéculation.

            Mais cela ne signifie pas que l'Abbé sera écouté et qu'il convertira les cœurs. Le Christ lui-même n'a pas été écouté et il n'a converti que quelques personnes. Mais du moins l'Abbé parlera de ce qu'il connaît comme le Christ parlait de ce qu'il connaissait. Et la suite alors dépend de la qualité du terrain sur lequel tombent les paroles. Il y aura du fruit à cent pour un ou bien il n'y en aura pas du tout, ou on sera dans l'intermédiaire, dans l'entre deux.

 

            Je viens justement de lire dans l’Epître de Saint Paul aux Thessaloniciens une toute petite Parole - rien du tout, mais vraiment rien du tout - à l'intérieur de laquelle bat le coeur de l'Apôtre Paul. C'est un cri de folle espérance et de certitude absolue. C'est un sommet de foi, d'espérance et de charité. Il dit ceci : et nous serons toujours avec le Seigneur ! Voyez un peu !

            Eh bien, ça devrait être la devise du moine. Et à ce moment-là, il comprendrait ce que c'est que l'obéissance. Nous serons toujours avec le Seigneur si nous suivons le Seigneur sur son chemin et si nous n'en dévions pas. Si nous marchons toujours à sa suite, si nous sommes toujours sur ses talons, il y aura un moment où nous serons toujours avec lui. Et c'est tout de même mieux d'être avec le Seigneur que d'être avec soi.

            Que se passe-t-il au monastère dans notre coeur ? Eh bien, nous voulons être bien casés, nous voulons avoir la paix, nous voulons faire des choses qui nous plaisent, nous voulons réussir notre vie. C'est instinctif, nous ne pouvons pas y échapper; mais nous ne devons pas y succomber. Si nous restons comme ça avec nous, comment pouvons nous sentir en nous ce désir terrible d'être toujours avec le Seigneur ?

            Voilà, mes frères, vous voyez la conversion qui doit s'opérer de rester enfermés en nous jusqu'à échapper de nous pour être avec le Seigneur, mais toujours.

 

            Le Chapitre Général va se pencher sur la dimension contemplative de notre vie, mais est-ce que ce n'est pas ça : être toujours avec le Christ, mais tout de suite ? Ce toujours doit commencer maintenant et, il faut y mettre tous les moyens pour y arriver, pour que ce soit le plus vite possible.

 

            Mais voilà, mes frères, on peut dire que la vraie obéissance est la toute grande vertu monastique. Elle est la porte de la sainteté et de la liberté et, elle est le joyau d'une vie monastique pleinement réussie. Vous allez dire : Celui-là, il parle bien de l'obéissance, mais est-ce que il a laissé sa vie sous les coups de marteau ? Et ça, mes frères, c'est le secret de chacun. Mais je peux simplement vous dire que j'en ai reçu de terribles et, c'est peut-être pour ça que je me porte bien maintenant.

 

Chapitre 5 : De l’obéissance.                      24.01.93

      Un apophtegme sur l’obéissance.

 

Mes frères,

 

            En parlant de l'Abbé, Saint Benoît nous disait voici quelques jours : qu'il ne doit pas aimer l'un plus que l'autre si ce n'est celui qu'il trouvera plus avancé dans les bonnes actions et l'obéissance, 2,45. Et avant-hier, je pense, nous parlant du moine obéissant, il le décrivait : il suit d'un pied si prompt l'ordre donné, que dans l'empressement qu'inspire la crainte de Dieu, il n'y a pas d'intervalle entre la parole du supérieur et l'action du disciple, toutes deux s'accomplissant au même moment, 5,l9.

 

            En entendant cela, je me suis rappelé qu'il existait un apophtegme qui est certainement la source à laquelle a puisé notre vénérable Père. Je l'ai recherché et je l'ai retrouvé. C'est un apophtegme d'Abba Marc qui est disciple d'Abba Sylvain. Nous allons le parcourir ce matin, si vous le voulez bien. Il nous encouragera à être de véritables disciples de Saint Benoît et de nos Pères.

 

            On disait d'Abba Sylvain qu'il avait à Scété un disciple nommé Marc qui avait une grande obéissance. Il était calligraphe.

 

            C'est à dire qu'il avait une belle écriture et que son emploi était copier des manuscrits, soit pour le monastère, soit pour l'extérieur.

 

            Et le vieillard  l'aimait à cause de son obéissance.

 

            Voyez, Saint Benoît !

 

            IL avait onze autres disciples qui souffraient de ce qu'il l'aimait plus qu'eux.

 

            Voyez la jalousie ! Donc, en tout, Abba Sylvain avait douze disciples comme le Christ qui en avait également douze. Et nous savons que le Christ, parmi les douze, il y en avait encore un qu'il aimait davantage. Sans doute parce qu'il était aussi plus obéissant ?

 

            Les Vieillards des environs en l'apprenant s'en chagrinèrent et ils vinrent une fois chez lui pour l'en accuser.

 

            Aujourd'hui on dirait : les Abbés de la région. Ils viennent donc pour adresser des reproches à Abba Sylvain.

 

            Les prenant avec lui, il alla frapper à chaque cellule, disant : Frère un tel, viens ici car j'ai besoin de toi. Et aucun d'eux ne le suivit tout de suite.

 

            Ils s'amènent mais, voilà, quand ils en ont envie !

 

            Arrivant à la cellule de Marc, il frappa et dit : Marc. Lui, entendant la parole du vieillard, bondit aussitôt dehors ; et le vieillard  l'envoya en diaconie.

            Donc, il l'envoie à un petit travail !

 

            Et il dit aux  vieillards : Pères, où sont les autres frères ? Il entra dans la cellule de Marc et il prit son cahier. Il remarqua qu'il avait commencé à former la lettre oméga mais qu'entendant le vieillard, il n'acheva pas de l'écrire. Alors, les vieillards dirent : Vraiment Abba, celui que tu aimes, nous l'aimons nous aussi et Dieu l'aime.

 

            Donc vous voyez, mes frères ! Vous allez peut-être penser : C'est une belle histoire mais nous autres, nous ferons quand même comme nous en aurons envie. Nous n'allons pas pour ça changer nos bonnes habitudes. Car enfin, c'est à longueur de journées que nous sommes appelés par Dieu. La cloche ou la sonnerie nous appelle pour l'Office, ou bien quelqu'un ; et bien voilà, nous faisons quelque chose, il a bien le droit d'attendre.

 

            Mes frères, je ne sais pas, ce raisonnement-là, si jamais nous venons à le tenir, eh bien il n'est pas juste. Saint Benoît nous parlant du moine vraiment obéissant disait qu'il n'y avait pas d'intervalle entre la parole du Supérieur et l'action du disciple, toutes deux s'accomplissant au même moment ; ainsi agissent ceux qui aspirent ardemment à la vie éternelle. 5,20.

            Et je m'étais arrêté là-dessus. C'est le gradiendi amor, les degrés par lesquels on monte, l'escalier par lequel on monte à la vie éternelle ; on entre dans la création nouvelle, on entre chez Dieu.

            Eh bien, je bondis, moi, dans cet escalier ; je n'ai pas de temps à perdre. Pourquoi ? Parce que c'est l'amor qui me possède et qui me talonne. Je veux de suite, moi, comme disait l'Apôtre Paul hier, être avec le Christ, le Seigneur, pour toujours et tout de suite.

 

            Eh bien voilà, mes frères, je pense que nous pouvons en prendre de la graine. Voilà, nous sommes en train d'écrire une lettre, ou prendre des notes, ou je ne sais pas quoi, enfin n'importe quoi et il v a le timbre qui sonne. Eh bien, n'achevons pas notre mot, il y a quelqu'un qui nous appelle. Et si nous sommes prompts à répondre à sa parole, eh bien, il va nous aimer.

            Cela veut dire qu'il va infuser en nous sa propre vie, son propre esprit de plus en plus. Il va avoir les yeux sur nous et il n'aura pas de cesse qu'il ne nous ait en tout rendu semblable à lui. Vraiment Abba, répondent donc les Abbés de la région à Abba Sylvain, celui que tu aimes, nous l'aimons nous aussi et Dieu l'aime. C'est parce que Dieu l'aime que nous devons l'aimer.

 

            Eh bien voilà, mes frères, retenons cette petite leçon pour ce matin. Nous sommes toujours dans la semaine de prières pour l'unité des Eglises. Si cette Eglise s'est disloquée comme ça très vite tout en restant une - c'est là le mystère et le paradoxe - eh bien c'est parce que on n'a pas comme ça avec assez d'empressement écouté la voix du Seigneur. On a écouté ses propres idées, ses propres sentiments au lieu d'écouter ce qu'il disait.

 

            Voilà. essayons d'offrir pour cette unité à retrouver un jour, d'offrir notre désir d'être nous-mêmes toujours promptement à l'écoute de ce que Dieu nous demande.

 

Chapitre 5 : De l’obéissance.                      23.05.94

      Le lien de l’obéissance !

 

Ma sœur, mes frères, [3]

 

            Hier, vous vous en souvenez, je clôturais le chapitre en disant que l’existence du moine montait vers une pentecôte, vers l’heure où le Saint-Esprit aurait pris possession de la personne dans sa globalité, dans son intégralité et en aurait purifié le coeur. A ce moment, le moine sera devenu un spirituel, un pneumatique.

            Il vivra alors perpétuellement sous la motion de l’Esprit Saint. Il aura encore ses défaillances, il aura encore ses péchés, certes, mais ce n’est pas ça qui annulera le mouvement de fond, la lame de fond qui le soulève. Ce qui l’entraîne, c’est l’agapè, c’est l’amour et ce ne sont plus les pulsions instinctives.

 

            La Pentecôte n’est donc pas en premier, elle est un couronnement et, elle est précédée d’une passion et d’une mort. Et Saint Benoît le dit à la fin de son Prologue. Le latin est beaucoup plus percutant et il dit ceci : « passionibus Christi per patientiam participemur, ut et regno eius mereamur esse consortes, Pr. 118 ». Participons par la patience aux souffrances du Christ, aux passions du Christ, passionibus, pour ainsi mériter d’avoir place dans son Royaume, comme il est dit.

            Mais non, c’est consortes, partager son sort dans son Royaume ! Dans le Royaume, il n’y aura pas de différence  entre le Christ et nous puisque nous serons devenus une cellule parfaite de son Corps. Et c’est la même Vie qui irriguera et la tête et le membre.

 

            Et concrètement ? Concrètement, le passage du repliement sur soi à l’altruisme, de l’égocentrisme à la charité s’opère par le canal de l’obéissance. Il s’agit dans l’obéissance de s’accrocher à Dieu comme un chaland à un remorqueur. L’obéissance est le lien qui nous permet de réussir l’impossible. Il suffit de se laisser tirer. Nous n’avons pas, nous, à faire le remorqueur. Nous sommes un simple chaland et nous nous laissons tirer.

            Et cette obéissance, le fait que nous restons accrocher à Dieu, nous permet de réussir l’impossible. Car entrer dans l’univers de Dieu, devenir un seul esprit avec le Christ, c’est l’inconnu absolu. N’essayons pas de faire fonctionner notre imagination, c’est impossible ! Nous restons toujours enfermés à l’intérieur de l’humain, à l’intérieur du charnel.

            Nous pouvons être Docteur dans toutes les théologie possibles, celles des anges et celles des hommes, nous restons enfermés dans le créé, nous restons enfermés dans le limité, dans le fini.

 

            Or, devenir un seul esprit avec le Christ, c’est autre chose. Il nous faut franchir l’infranchissable abîme qui sépare l’humain du divin. Il nous faut pour cela, mais vraiment, se laisser prendre à bras le corps, lâcher tout et se laisser emporter.

            Or, ça requiert une fameuse dose de confiance et de courage. Et c’est cela la Foi ! La véritable Foi, c’est se donner tout entier à cet amour qui se révèle à nous dans la personne du Christ Jésus. C’est cela la foi, la foi qui est le coeur de l’obéissance.

 

            Et pour oser ainsi se laisser ranger par un autre, fut-il Dieu, on doit être possédé, dévoré par un désir auquel Saint Benoît fait allusion aujourd’hui. C’est :  «ad  vitam aeternam gradiendi amor, 5,19 » le désir, l’amour, le désir de monter, gradiendi, vers la vie éternelle. C’est le désir de la vie éternelle.

            Alors là, vous voyez le caractère de passion, de souffrance, de mort qui est inscrit à l’intérieur de l’obéissance, à l’intérieur de notre vie et qui est le préalable obligé à la manifestation de l’Esprit, donc à la Pentecôte. Mais il faut, comme le dit Saint Benoît, vraiment être possédé par le désir de la vie impérissable, de la propre vie de Dieu.

 

            Au début, on n’a pas conscience de çà. On ne saurait jamais l’exprimer parce que on ne dispose pas du vocabulaire ni de l’expérience. Mais il y a des indices que il en est bien ainsi. Et ce que Saint Benoît dit, il faut alors que le postulant, le novice soit possédé vraiment, qu’il ne recule pas, qu’il ait le souci de l’Opus Dei, des choses rebutantes, de l’obéissance, c’est ça !

            Et cela se trahit, cela se manifeste à l’extérieur dans des détails. Et à l’intérieur de ces détails, on peut voir qu’il y a dans le coeur un moteur et que ce moteur, c’est le désir, le désir de devenir un seul esprit avec le Christ, un seul être avec Dieu.

 

            Donc la Pentecôte, dans la vie du moine, c’est donc le fastueux de cette vie éternelle, un don sans retour, sans retour. Et ça se comprend bien : lorsque Dieu a pris le moine, qu’il l’a élevé dans son univers, que ce moine de façon bien, bien, bien consciente sait qu’il est chez Dieu, Dieu ne peut plus reculer. C’est arrivé, on ne peut pas revenir en arrière.

            De même, lorsque le Verbe de Dieu est devenu homme dans la personne du Christ, c’est irréversible. On ne peut pas annuler cela. Et lorsque un moine est ainsi devenu vraiment un seul être avec le Christ, on ne peut pas reculer. C’est un état fixé une fois pour toutes.

            On pourrait dire en termes de théologie scolastique de hier - je ne sais pas si on dit ça maintenant encore - on appellera ça : quelqu’un est confirmé en grâce. C’était la terminologie qu’on utilisait.

 

            Si bien que au fond, l’obéissance est l’expression de ce désir fou mais irrépressible : devenir un seul être avec Dieu et pour cela traverser la mort. Et ça, c’est le mystère de Pâques dans lequel nous nous jetons.

            Et ce que dit Saint Benoît au dessus de l’échelle, on va voir ce qui va arriver, dignabitur demonstrare, 7,188, on va voir ! Personne ne le sait, le moine lui-même ne le sait pas. Il est dans l’inconnu et pourtant c’est un inconnu très très très connu. Mais voilà, il n’y a pas de mots, là, corrects pour le traduire.

 

            Eh bien, mes frères, demandons à Dieu de nous accorder cette grâce parce que après celle-là, il n’y en a pas d’autre !

 

 

Table des matières

Chapitre 4, 1-25 : Quels outils utiliser ?        18.01.84. 1

Apprendre un métier !. 1

Chapitre 4, 25-50 : Quels outils utiliser ?      19.01.84. 3

Situations contrariantes !. 3

Chapitre 4, 51-77 : Quels outils utiliser ?      20.01.84. 5

La Babel monastique. 5

Chapitre 4, 78-100 : Quels outils utiliser ?     21.01.84. 8

La miséricorde de Dieu. 8

Chapitre 4, 51-77 : Quels outils utiliser ?      20.09.84. 10

Entendre les Saintes Ecritures !. 10

Chapitre 4, 51-77 : Quels outils utiliser ?      21.05.85. 11

Les fins dernières !. 11

Chapitre 4,51-77 : Quels outils utiliser ?       20.01.86. 14

Le désir de la Vie !. 14

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      21.01.86. 16

Accomplir les préceptes !. 16

Chapitre 4, 1-24 : Quels outils utiliser ?        19.05.86. 17

Splendeur de la charité !. 17

Chapitre 4, 25-20 : Quels outils utiliser ?      20.05.86. 18

Exigence de vérité !. 18

Chapitre 4, 51-77 : Quels outils utiliser ?      21.05.86. 20

Enraciné dans la vérité !. 20

Chapitre 4, 1-24 : Quels outils utiliser ?        18.09.86. 22

Aimer le Seigneur Dieu !. 22

Chapitre 4, 25-50 : Quels outils utiliser ?      19.09.86. 25

Quelle sorte de colère ?. 25

Chapitre 4, 51-77 : Quels outils utiliser ?      20.09.86. 27

Le jour du jugement !. 27

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      21.01.87. 29

Fuir l’élèvement !. 29

Chapitre 4, 25-50 : Quels outils utiliser ?      20.05.87. 30

De l’égoïsme à la charité. 30

Chapitre 4, 1-24 : quels outils utiliser ?         18.09.87. 32

Aimer une personne !. 32

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      21.09.87. 35

L’atelier claustral. 35

Chapitre 4, 25-50 : quels outils utiliser ?       20.05.88. 37

La colère !. 37

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      21.09.88. 38

Un outil performant !. 38

Chapitre 4, 51-77 : Quels outils utiliser ?      20.09.89. 39

Etre saint !. 39

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      21.09.89. 40

La jalousie !. 40

Chapitre 4, 1-24 : Quels outils utiliser ?        18.01.90. 42

L’unité. 42

Chapitre 4, 25-50 : Quels outils utiliser ?      19.01.90. 43

La colère !. 43

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      21.01.91. 45

Le péché contre l’amour. 45

Chapitre 4, 1-24 : Quels outils utiliser ?        19.05.92. 45

1. Aimer Dieu de tout son cœur !. 45

Chapitre 4, 25-50 : Quels outils utiliser ?      20.05.92. 47

2. Mais aimer aussi les frères ! 47

Chapitre 4, 51-77 : Quels outils utiliser ?      20.01.93. 49

La mort.. .. .. 49

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      21.01.93. 50

Le sommet de l’humilité !. 50

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      22.05.93. 51

Pas de nanisme spirituel !. 51

Chapitre 4, 1-24 : Quels outils utiliser ?        29.05.94. 53

Avant tout, aimer Dieu !. 53

Chapitre 4, 25-50 : Quels outils utiliser ?      19.01.96. 55

Prendre sur soi sa faute devant Dieu. 55

Chapitre 4, 78-fin : Quels outils utiliser ?      21.01.96. 58

L’obéissance aux préceptes du Seigneur. 58

Chapitre 4, 1-24 : Quels outils utiliser ?        18.09.96. 59

Une exigence de totalité. 59

Chapitre 4, 25-50 : Quels outils utiliser ?      19.09.96. 60

S’enraciner dans la vérité !. 60

Chapitre 4, 1-24 : Quels outils utiliser ?        18.09.97. 62

Il s’agit d’aimer !. 62

Chapitre 4, 51-78 : Quels outils utiliser ?      20.09.97. 64

Le grand et premier commandement. 64

Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance.             24.05.86. 66

Un mets délicieux !. 66

Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance.              22.01.87. 68

Oser faire confiance !. 68

Chapitre 5 : De l’obéissance.                      24.05.87. 69

Désirer un Abbé !. 69

Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance.              22.09.87. 70

La qualité de l’obéissance. 70

Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance.             23.09.87. 72

Nous ennoblir dans l’obéissance !. 72

Chapitre 5, 29-44 : De l’obéissance.             24.05.88. 74

Puissance de l’obéissance. 74

Chapitre 5, 1-23 : De l’obéissance.              22.09.88. 76

Faire comme Dieu !. 76

Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance.             23.09.88. 78

Obéissance amoureuse !. 78

Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance.              22.09.89. 79

Désirer se soumettre !. 79

Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance.             23.09.89. 81

Collaborer avec Dieu !. 81

Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance.              22.01.90. 82

La folie d’aimer !. 82

Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance.             23.01.90. 83

L’obéissance est douce. 83

Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance.              23.05.90. 84

Pas d’hésitation  !. 84

Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance.             23.01.92. 85

Ecoute ou murmure ?. 85

Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance.             24.05.92. 87

Etre agréable à Dieu !. 87

Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance.              22.01.93. 88

Gradienti amor !. 88

Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance.             23.01.93. 89

Etre toujours avec Dieu. 89

Chapitre 5 : De l’obéissance.                      24.01.93. 91

Un apophtegme sur l’obéissance. 91

Chapitre 5 : De l’obéissance.                      23.05.94. 93

Le lien de l’obéissance !. 93

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Suite du Chapitre du jour précédent, le 19.05.

[2] Copie du Chapitre de la fête de la Sainte Trinité.

[3] Copie du Chapitre de la Pentecôte.