Chapitre 2, 81-91 : De l’Abbé.                   14.01.84

      Poème !

 

Mes frères,

 

            Je regrette toujours que nous ne soyons pas tous des experts sensibles aux beautés de la langue latine, car nous sommes ici en présence d’un petit poème admirablement scandé. Il faudrait un tableau pour l’écrire pour que nous puissions en voir la structure. Cela doit s’imprimer visuellement en nous.

            Nous avons au centre un groupement ternaire. En français, c’est devenu : Tel a besoin d’être conduit par des caresses, tel autre par des remontrances, tel encore par la persuasion. Caresses – remontrances – persuasions = 3.            Puis nous avons de chaque côté trois groupements binaires, donc 2, avec quelques petites subdivisions.

            Si bien que l’ensemble, voyez  2 – 2 – 3 – 2 – 2 , ça forme une sorte de losange qui va nous présenter le chiffre 7 qui est, vous le savez, le chiffre idéal. Si bien que ce petit morceau, fragment du Chapitre 2 de la Règle, nous présente le tableau de l’Abbé parfait. 7 = perfection = Abbé parfait. Il faudrait avoir le temps d’analyser ça dans le détail. Je me contenterai pour cette fois de vous présenter une vue globale, schématique, synthétique.

 

            Il y a une collection de perles. J’en retiens trois seulement. Une où c’est non seulement scandé, mais c’est rimé. Cui plus committitur plus ab eo exigitur, 2,82. Celui auquel on a confié plus, de celui-là il sera exigé plus !

            Il y a une autre perle qui est très connue : Multorum servire moribus, 2,85. On l’a traduite : s’accommoder aux caractères d’un grand nombre. Oui, c’est plus ou moins ça, mais c’est bien pire : il doit se faire le serviteur, l’esclave des moribus. Comment traduire ça ? Des mœurs, des caractères, des tempéraments, multorum, de beaucoup. Donc il n’y en a pas deux ou trois, il y en a beaucoup.

 

            Et encore une autre : se omnibus conformet et aptet, 2,88. Voyez ! Encore une fois vous avez la rime, ici. Mais traduire comment ? Oui, comment l’a-t-on traduit ici ? Il doit se conformer et s’adapter aux dispositions et à l’intelligence de chacun. Oui, c’est juste, oui. Il doit donc se conformer et s’adapter à tous, omnibus. Il ne peut en laisser aucun de côté.

            Donc, quand on voit cela, rien que cela, rien que ces trois perles – il y en a encore d’autres, mais rien que ces trois là – on a l’impression que l’Abbé doit être un génie et un saint tout ensemble.

 

            Voyez ! Tout d’abord, je reprends la première : celui-là auquel on a confié plus, de celui-là on exigera plus. L’Abbé est un homme qui n’a aucune peur des responsabilités. Il ne se dérobe pas, il ne se cache pas derrière les autres. Il ne dira pas : « Oui, mais c’est la faute d’un tel ! » ou « C’est parce que c’est un tel que ça ne va pas ! ». Non, non.

            Il se présente devant Dieu. Il prends sur lui son propre péché mais aussi le péché de tous ses frères. Il assume pleinement tout ce qu’il fait, non seulement lui mais aussi chacun des frères. Et ainsi, il se présente devant Dieu et il ne se dérobe pas.

            Eh bien, pour faire ça, il faut de la personnalité. Il est déjà si difficile de se présenter devant Dieu tel qu’on est, avec le bien qu’on a fait certes, mais aussi avec le mal qu’on a fait, et le bien qu’on pourrait faire et qu’on ne fait pas…même si on ne sait pas le faire…ce n’est pas rien ! Mais alors, se présenter avec la charge de chacun des frères ? Le prendre sur soi, c’est cela qu’il dit ici. Le Christ n’a pas fait autre chose. Il y a ici ce mystère de la substitution qui joue dans le chef de l’Abbé.

 

            Si je prends le suivant : multorum servire moribus, eh bien ici, voilà, il faut être au service. L’Abbé va donc prendre la forma servi, la forme de serviteur, la forme d’esclave comme l’a fait le Christ. O lui, il n’est pas dans la forme de Dieu, certes, c’est un homme, un pauvre homme comme n’importe quel homme. Mais ça ne fait rien, parmi les hommes, il va encore descendre au plus bas.

            Il n’aura aucune prétention sauf une seule : celle d’être au service de tous ses frères, de leur laver les pieds. Il n’est pas dans le monastère pour être servi mais pour servir et donner sa vie en rançon pour les autres. Voilà, l’humilité du Christ doit revivre en lui.

 

            Et enfin si je prends le dernier : il doit se conformer et s’adapter à tous, alors là, c’est la mort à lui-même. Il doit s’oublier pour épouser les contours psychiques et spirituels de chacun de ses frères. Il doit vraiment se conformer et s’adapter à chacun et à tous.

            Donc, il s’oublie lui-même. Et ça veut dire qu’il n’oblige pas les frères à entrer dans sa forme à lui, mais c’est lui qui se fond, et qui se coule, et qui disparaît dans chacun des frères suivant, comme il est dit ici, la qualité et l’intelligence de chacun.

                        Il y a donc là une marque de respect absolu de l’autre tel que Dieu l’a voulu, tel que Dieu a permis qu’il soit. Et ainsi, grâce à ce respect, à cet oubli, à cette mort à soi-même, il va être possible que l’autre se métamorphose. Car ce n’est pas en faisant violence à l’autre qu’on le changera, mais c’est en donnant sa vie pour lui.

 

            Nous sommes toujours, ici, dans la Règle de Saint Benoît, nous sommes toujours dans le surnaturel pur. C’est pas des trucs humains tels qu’on voudrait. Ce serait beaucoup plus faciles. On essaye parfois des choses humaines. Vous avez de ces monastères où on introduit des méthodes extrême-orientales pour essayer de, voilà, de modifier le comportement des frères. Oui, c’est vrai, c’est facile dans le fond. C’est beaucoup plus facile que de donner sa vie pour les frères.

            Si bien que l’on peut dire, je pense, que tel était Saint Benoît. Je dis : je pense, mais c’est certain ! Tel était Saint Benoît, tel est le Christ, tel est Dieu. Si bien que l’Abbé idéal tel que Saint Benoît le rêve ici, il doit être un homme christifié et un homme divinisé, pas moins ! Parce que ce qui lui est demandé ici, humainement n’est pas possible sauf si on est entièrement transfiguré au Christ.

 

            Voilà, mes frères, je ne dirais pas maintenant : lequel va se mettre sur la liste pour la fois suivante parce que je ne suis pas éternel ? Quand on entend ceci, qu’on voit ceci, on dirait : mais c’est plutôt pour mon voisin, moi ! ! ! Mais si ça tombe sur moi, tant pis ou tant mieux – je ne sais pas – mais enfin je sais qu’à ce moment-là, si je veux répondre à mon devoir, je devrais être comme ça.

 

 

Chapitre 2, 1-28 : Des qualités de l’Abbé.      10.09.84

      Se souvenir de ce que Dieu lui commande !

 

Mes frères,

 

            En regardant ce Chapitre 2 de notre Règle je me suis aperçu que Saint Benoît use ici d'un verbe qu'il applique uniquement à l'Abbé, et cela à quatre reprises dans ce Chapitre 2, et une cinquième fois lorsqu'il parle de l'élection de l'Abbé. Il s’agit du verbe en latin meminisse, c'est à dire se souvenir, se rappeler, faire tourner dans sa mémoire, s'occuper d'une chose, penser à une chose. mais y penser de façon assidue.

            L'Abbé doit ainsi se souvenir sans arrêt de qui il est, qui il est, et en conséquence se conduire correctement en conformité avec son être. Saint Benoît insiste en disant qu'il doit se souvenir toujours, semper, c'est à dire à tous moments, en tous lieux. Il n'y a aucune exception. C'est là un habitus, une façon d'être, une façon de se tenir. une façon de vivre qui doit lui devenir habituelle, à savoir donc qu'il doit se rappeler toujours qui il est.

 

            C'est à lui que s'applique au premier chef une autre recommandation que Saint Benoît donne au début du Chapitre 7 lorsqu'il parle du 1° degré d'humilité, où il dit en latin oblivionem omnino fugiat  et semper sit memor omnium quae praecepit Deus, 7,31. Donc, il doit toujours et absolument, omnino, fuir l'oubli. Et il doit, semper, à tout moment se souvenir de tout ce que Dieu lui commande.

            L'Abbé doit donc, s'il veut être un véritable Abbé. être au moins au premier degré d'humilité. C'est un minimum. Et ce souvenir de ce qu'il est, de la mission qu'il a reçue, doit emplir le champ de sa conscience, ne lui laisser aucun répit, aucun repos. 

 

            Attention ! Cela ne doit pas devenir une obsession maladive et paralysante, ni un motif de vanité ou d'exaltation ou d’orgueil. Loin de là ! C'est plutôt l'humble conviction qu'il a été choisi pour une mission qui le dépasse et dont il devra rendre compte. Saint Benoît le rappelle encore dans ce Chapitre. Il devra, dit-il, rendre un compte exact de deux choses et cela au terrible jugement de Dieu : de sa doctrine et de l'obéissance de ses disciples. 2.13.

            Je m'arrête uniquement à ce mot que Saint Benoît applique ici exclusivement à l'Abbé. Mais il y a encore bien d'autres notations où il indique que l'Abbé doit toujours se souvenir de quelque chose et de quelqu'un. Ce quelque chose, c'est la mission qu'il a reçue ; et ce quelqu'un, c'est Dieu.

 

            Cette pensée est régulatrice de sa conduite et modelante de son être. C'est à dire que la pensée de ce qu'il est doit imprégner tout son être spirituel, mais aussi moral et physique. Ce n'est donc pas une simple souvenance, qu'il se dirait : « Tiens, voilà qu'aujourd'hui c'est le jour de mon élection Abbatiale, donc je suis Abbé ; ou bien s'en rappeler lorsque il a une cérémonie spéciale à accomplir.

            Non, c'est une foi - voilà le mot - c'est un acte de foi qui va devenir le ressort de sa vie et en même temps qui va façonner sa conduite et sa personne. Je pense que pour comprendre ce que je veux dire, il faut être dans la situation et se prendre très au sérieux. Il est redoutable d'être Abbé. Ce n'est pas du tout un honneur. Ce n'est pas non plus une charge. C'est bien pire que ça !

            C'est la livraison de son être à quelqu'un d'autre. Un Abbé ne peut plus s'appartenir. Il appartient au Christ. il appartient aux frères. Il n'a plus le droit d'agir selon ses propres idées. Il doit agir selon ce que l'Esprit Saint lui inspire et selon les besoins de ses frères. Il ne peut plus opérer de retour sur lui-même. C'est un homme livré, c'est un homme qui est mort. Il est mort à ses instincts, même à l'instinct de conservation.    

            Je vous assure que c'est très dur parce que malgré tout la chair est présente et elle est fragile. Et la chair a des sursauts, et la chair voudrait parfois s'échapper. Mais ce n'est plus possible.

 

            Il me revient à l'instant un exemple concret. Un soir, avant l'Office de Complies, la Mère Abbesse de Laval me disait : elle faisait le compte et depuis le matin elle avait reçu chez elle, 28 sœurs auxquelles elle avait parlé. Et chacune avait ses questions, ses problèmes d'ordre spirituel, d'ordre matériel, aussi de santé, de tout, 28 !

            Et chaque fois qu'il y en a une qui sort, il y en a une autre qui rentre. C'est chaque fois nouveau. Il ne faut pas oublier ce que la précédente a dit, mais il faut être entièrement ouvert a celle qui suit et, non pas attendre qu'elle parte parce qu'il y en a encore une autre qui est derrière, mais la recevoir comme si elle était unique et qu'elle n'avait qu'à s'occuper d'elle seule.

 

            C'est cela ne plus s'appartenir ! Je suis encore loin d'être livré comme ça a cet appétit des autres. Il est probable que dans les monastères d'hommes c'est beaucoup plus, enfin je ne dis pas raisonnable car il n'est pas question ici de raison, mais c'est une autre approche, c'est une autre mentalité que la femme.  Mais malgré tout c'est quelque chose, même ici, qui est très prenant.

            Et ce n'est possible que si l'Abbé a toujours en lui ce souvenir, ce souvenir qu'il ne s'appartient plus, qu'il est prisonnier, qu'il n'a plus de volonté propre, qu'il est devenu la chose de Dieu et la chose des frères. Mais c'est sa gloire et sa servitude tout ensemble.

 

            Voilà, mes frères, des petites réflexions qui me sont venues lorsque tout à l'heure je regardais ce Chapitre. Et lorsque je l'entendais lire, je me disais que vraiment, lorsque Saint Benoît a dit ceci, il parlait d'expérience. C'est à cette condition-là qu'il est possible d'être Abbé, c'est à. dire Père.

            Mais ce sera pour une autre fois, dans quatre mois, si j'y pense encore. Mais peut-être qu'à ce moment-là sera encore survenu d'autres choses. Vous savez, chaque fois qu'un fragment de la Règle se présente, il y a tellement de richesses que on pourrait s'y arrêter sans arrêt. Mais voilà, le temps passe, et demain, ce sera un autre.

 

            Mais ça ne fait rien, car ce sont ces petites touches de chaque jour tout au long de l'année qui permettent d’esquisser notre vie, d'en dégager la beauté et de nous encourager a la vivre. Car au bout, il y a cette rencontre avec le Christ.

            Mais ce n'est plus le Christ dans la personne de l'Abbé, maintenant c'est le Christ lui-même qui se laisse voir, et qui vous prend, et qui vous emporte là ou il est dans cette lumière dont plus rien alors ne peut nous séparer ni dans ce monde, ni dans l'autre.

 

Chapitre 2, 44-59 : De l’Abbé.                   12.09.84

      Dans la justice et l’amour du Christ !

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît donne aujourd'hui une bonne leçon à l'Abbé qui vaut également pour chacun des frères car il va de soi que le moine doit imiter en tout son Abbé. Saint Benoît le dit dans le paragraphe précédent : L'Abbé doit par sa conduite montrer aux frères ce qui doit être fait et ce qui doit être évité. 2, 29-43.

 

            Mais aujourd'hui il nous dit que l'Abbé, tenant dans le monastère la place du Christ et permettant au Christ de prendre possession de toute sa personne, l'Abbé donc va régler son comportement sur la justice et l'amour du Christ ; ou mieux, si vous voulez, c'est la justice et l'amour du Christ qui vont se manifester à travers l'Abbé.

            Il ne se laissera donc jamais, dans ses rapports avec les frères, guider par des considérations d'ordre charnel, c'est à dire préférer un frère à un autre pour des raisons de rang social, de naissance, d'aptitudes intellectuelles ou physiques ou même spirituelles, pour des raisons de fortune, de relation avec l'extérieur.

            Non ! Pour un Abbé, ces choses-là ne comptent pas, pas plus que cela ne compte pour le Christ.

 

            Saint Benoît emploie ici un terme qui est très difficile à. traduire en français. D'ailleurs on l'a laissé tomber ou plutôt on a utilisé une circonlocution. Il dit : Non ab eo persona  in monasterio  dicernatur,  2,44. C'est le mot dicernere. On l'a traduit par : Il ne fait pas acception des personnes. C'est autre chose !

            Voyez, l'Abbé porte un regard sur les frères - je dirais un Abbé qui n'est pas fidèle à sa vocation d’Abbé - il porte un regard sur les frères, puis il les sépare. Il établit des distinctions. Il porte un jugement, il opère des choix. Il introduit des discriminations, et cela, par rapport à la qualitas, à la qualité du frère, mais sa qualité humaine, sa qualité charnelle.

            Et Saint Benoît dit : Cela ne peut pas arriver dans un monastère. Il y a un critère de discernement qui est donné par Saint Benoît, et c'est celui-là même que Dieu applique. Il ne peut pas y en avoir d'autres. L'Abbé doit regarder les  frères comme Dieu les regarde.

 

            Ce n'est pas facile, vous pouvez m’en croire ! Un tel regard naît dans l'Abbé lorsque celui-ci est mort à. lui-même, lorsque ce n'est plus lui qui vit, que c'est Dieu qui a pris possession de lui et qui transfigure son cœur. Il y a donc des organes intérieurs : le cœur a des yeux, le cœur a des oreilles.

            Mais ces organes du cœur ne fonctionnent que lorsque ce cœur est devenu adulte. Il faut donc que ces yeux soient ouverts, que ces oreilles soient débouchées. Or, c'est Dieu seul qui peut opérer ce miracle, car c'en est un. C'est une chose admirable. C'est ce fameux cœur pur que Dieu seul peut donner.

 

            Voici donc comment Dieu, lui, voit les personnes. Saint Benoît nous le dit : La seule chose qui nous distingue aux yeux de Dieu, c'est le fait d'être meilleur que les autres en bonnes œuvres et en humilité. 2,55, inveniamur, 2,57, dit Saint Benoît, si nous sommes trouvés meilleurs.

 

            Il est souvent dit dans l'Ecriture que Dieu cherche, il cherche un homme. Et voilà, il en trouve un, invenire. C'est ça qui est là. Quel homme cherche-t-il ? Mais il cherche un homme sérieux qui essaie de vivre comme Dieu lui-même vit, qui se laisse façonner par Dieu à l’image de Dieu, cette image qui a été souillée par le péché et que Dieu veut rétablir.

            Alors Dieu est heureux lorsque inventi, lorsqu'il trouve quelqu'un. S’il nous a appelés ici dans ce monastère, c'est parce qu'il nous a regardés, il nous a trouvés. Et il a jugé que c'était possible, que nous répondions à ses espérances.

 

            Maintenant, à partir de ce critère de discernement, Saint Benoît voit comment l'Abbé regarde à son tour les frères. Il dit : Qu'il n'aime point l'un plus que l'autre si ce n'est celui qu'il trouvera plus avancé dans les bonnes actions et l'obéissance. 2,45. Ici, on traduit plus avancé, et là-bas c'était plus riche. Mais c'est chaque fois le même mot.

            En fait, c'est meilleur, melior, meilleur dans les bonnes œuvres et dans l'obéissance. Là-bas, pour Dieu, c'était dans les œuvres bonnes et dans l'humilité. 2,55. Voyez, c'est exactement la même chose. C'est dans le concret de la vie que les choses se jugent et se voient.

 

            Maintenant il faut, ici, apporter un correctif. Il ne s’agit pas de n'importe quel amour. Ce n'est pas un amour qui naît de la sympathie, sympathie naturelle ou même une espèce de sympathie surnaturelle. Non, il s’agit de la caritas. Et Saint Benoît le dit : Il faut que l'Abbé témoigne à chacun une égale charité. 2,58. C'est l'agapè, c'est autre chose que l’amour.

            La caritas, c'est la nature même de Dieu. Dieu est charité, Dieu est caritas, Dieu est agapè. On a traduit : Dieu est amour. C'est vrai, mais nous n'avons pas dans notre langage un mot adapté pour dire la façon dont Dieu aime. Ce n'est pas possible qu'il y en ait parce qu'il ne nous est pas possible de définir la nature de Dieu dans des mots d'hommes.

           

            La seule façon de comprendre, c'est de regarder un saint, une personne qui est dévorée par cette nature divine et qui manifeste alors à l'extérieur dans sa conduite, dans ses jugements, enfin dans tout son être ce qu'est Dieu et ce que nous appelons l'amour chez Dieu, cette fameuse caritas.

            Alors, chez une telle personne, chez un tel Abbé, la caritas est aequalis, elle est égale pour tous. Chacun en reçoit sa part. Cela ne veut pas dire que c'est partagé, que c'est le même poids pour chacun. Non, chacun reçoit la totalité de cette caritas parce que sa capacité de réception de cet amour, elle est comblée.    

 

            Et c'est ici qu'intervient ce petit correctif dont je parlais tantôt. C'est que aimer de façon divine, c'est permettre à Dieu d'utiliser mon cœur pour aimer.  Mais alors, Dieu a un amour de prédilection pour les faibles, pour les petits, pour les déshérites, pour les égarés, pour les pécheurs. Dieu a voulu devenir homme, non pas pour les anges, mais pour les pécheurs que nous étions. Dieu a tant aime le monde qu'il a donné son fils unique. Et Saint Benoît a un autre endroit nous le dit bien.

            C'est assez long à lire. Je ne vais pas lire tout, ce n'est pas possible. Enfin, simplement quelques mots, la fin de ce Chapitre 27 : Qu’il imite l’exemple de tendresse du Bon Pasteur qui, ayant laissé dans la montagne nonante neuf brebis, se mit en quête de l’unique brebis qui s’était égarée. Il eut de sa faiblesse une si grande compassion qu’il daigna la charger sur ses épaules sacrées et ainsi la rapporter au troupeau. 27, 21-26.     C'est donc cela l'amour ! Cette brebis qui était égarée, le pécheur, le frère qui est défaillant, le frère qui est difficile, mais son appel, disons que son cri d'appel, son cri au secours trahit un vide en lui. Et ce vide est une capacité qui doit être emplie. Elle est remplie par Dieu qui donne tout son amour à cet unique frère.

            Les autres, cela ne veut pas dire qu'il les néglige, loin de là, mais les autres, il les a déjà rassasiés. Il peut donc d'une certaine manière les laisser abandonnés à eux-mêmes pour mettre, pour concentrer toutes ses puissances d'amour, ses puissances divines d'amour sur une seule personne.

 

            Voilà, mes frères, ce qui est demandé à l'Abbé. Donc en d'autres termes, l'Abbé, pour Saint Benoît, il devrait être, il doit être un saint. Mais ce n'est pas toujours comme ça, c'est rarement ainsi. Cela n'est peut-être arrivé que pour Saint Benoît seul ? Mais enfin, il faut tout de même essayer d'arriver jusque là, et pour cela, ne pas avoir peur de donner sa vie pour les autres. Je vous assure que ce n'est pas facile.

            Un exemple bien concret : il peut arriver que vous avez un frère pour lequel vous avez vraiment exposé votre vie et qui, s'il peut vous donner un coup de poignard dans le dos ne manquera pas de le faire.  Mais ça ne fait rien ! Il faut accepter même cela.

            C’est cela donner sa vie, parce que dans ce geste du frère égaré, égaré jusqu'au bout, mais il y a encore malgré tout un appel au secours. C'est sa façon à lui, il ne lui reste plus que celle-là. Eh bien, à ce moment-là, l'Abbé doit donner sa vie.

 

            J'ai eu dernièrement une communication avec un Abbé qui se trouve dans cette situation-là. J'ai bien cru qu'il allait mourir ou bien qu'il allait laisser les choses là ? Non, il reste sur place.

            Eh bien, ça c'est très beau. Il arrive que Dieu demande des choses pareilles. Saint Benoît l'insinue dans son Chapitre. Naturellement il ne peut pas entrer dans les détails. C'est la vie qui montre les détails et qui nous les offre.

            Mais lorsqu'ils sont là, nous ne devons pas être surpris. Le Christ lui-même - ne l'oublions pas - a été mis à mort par ceux-là même qu'il venait délivrer. Et c'est cette mort qui les a sauvés.

           

            Si donc l'Abbé tient la place du Christ, vraiment, il doit s'attendre peut-être à imiter le Christ jusque là et, il ne doit pas s'en étonner. Il faut donc toujours, mes frères, s'incliner devant l'amour déroutant qui guide un Abbé. Et ça doit servir d'inspiration pour les frères car le même courant d'amour circule entre nous tous jusqu'à ce que nous soyons devenus un dans le Christ. Cela arrivera un jour.

 

            Comme je vous l'ai déjà dit, une communauté monastique, ce n'est. pas seulement ceux qui sont encore vivants dans le monastère à un moment donné, c'est aussi ceux qui sont déjà morts et qui, entrés dans la Lumière après avoir subi les dernières purifications, maintenant savent ce que c'est qu'aimer, savent qui est Dieu. En eux, la vigueur de l'amour a vaincu. Ils sont devenus lumière dans la lumière, amour dans l'amour.

            Mais ils font encore partie de notre communauté. Et leur énergie spirituelle alors, descend d’eux vers nous, et un courant s'établit. Et ce qu'ils sont devenus, nous le deviendrons un jour.

 

            Voilà, mes frères, la petite leçon que Saint Benoît nous a donnée ce soir. Essayons d'en faire notre profit en nous aimant vraiment surnaturellement de cette caritas qui est Dieu lui-même. Et pas seulement porter les fardeaux les uns des autres, oui - c'est vrai ! - mais pas seulement ça, savoir aussi donner de soi pour les autres, s'exposer pour les autres et ainsi imiter le Christ qui nous aima jusqu'au bout.

 

            Voilà, mes frères, nous allons en faire notre profit.        Et je me recommande à vos prières pour que, comme le disait Saint Benoît hier : qu’après avoir prêché aux autres, je ne sois pas moi-même un jour mis de côté, 2, 37.

 

 

Chapitre 2, 81-91 : De l’Abbé.                   14.09.84

      Meminisse !

 

Mes frères,

 

            Ce soir, Saint Benoît ouvre son paragraphe sur le verbe meminisse que nous avons rencontré au début du Chapitre. Il le reprend deux fois : L’Abbé doit toujours se souvenir de ce qu’il est, et il doit se souvenir de ce qu’il est dit, 2,81.

            Ce qu'on dit de lui doit expliciter ce qu'il est. Le nom qu'il porte exprime l'essence de sa personne. Il s'appelle Abbé. Il faudrait s'arrêter longuement sur le sens de ce mot. Mais ce sera pour une autre fois. Mais malheur à lui et malheur aux frères s'il se glisse une discordance, un désaccord entre le nom et la réalité.

 

            L'Abbé, lorsqu'il accepte cette mission endosse une responsabilité énorme. Saint Benoît le lui rappelle dans ce Chapitre et ailleurs encore dans la Règle a plusieurs endroits. Et cette mission, elle est difficile et laborieuse, dit la traduction française. Difficilis, c'est une route hérissée d'obstacles dont l'origine se trouve dans le péché, le péché de l'Abbé lui-même, et le péché des frères.

            Et cette tâche est ardua. Cela vient du verbe ardeo qui signifie brûler, être en feu. C'est donc un brasier qui dévore le cœur de l'Abbé. C’est donc un travail qui le mine, qui le ronge, et à la limite qui le tue. C'est dur, c'est ardu, c'est pénible ! C'est d'accès difficile ! C'est impossible à accomplir si on ne s’abandonne  pas à ce Christ qui a confié la mission.

 

            L'Abbé n'a pas d'autres issues, d'autres solutions à son sort que de mourir dans le Christ, de se jeter en lui, de ne plus exister, de se fondre, de se noyer dans la volonté de Dieu. Mais vous sentez bien que cette donation de lui, cet abandon ne peut pas commencer le jour où il est choisi par les frères ; ça doit être prépare de longue date.

            Je pense que chaque frère dans une communauté, en soi, pourrait, si Dieu le veut, être choisi comme Abbé à condition qu'il ait vécu cette mort à lui même. C'est la condition première, c'est la condition essentielle. Si ça est acquis, je pense que le reste suivra.

 

            Car le Christ ne se préoccupe pas tellement de l'instrument qu'il possède. Plus cet instrument est dénué de vouloir propre, de jugement propre, plus il est revêtu de la volonté de Dieu et animé par le jugement même de Dieu, et plus il est apte. Il n'est pas nécessaire qu'il ait une intelligence extraordinaire, ni une santé de fer, ni des capacités de caractère et de tempérament hors du commun. Non, il suffit que il soit humble et qu'il se soit laissé posséder par le Christ qui, alors peut réaliser avec lui ce qu'il veut, ce qu'il désire.

            Dieu exigera donc beaucoup de l'Abbé. Saint Benoît le dit : cui plus committitur plus abco exigitur, 2,82. Et cela a été traduit : Il est exigé davantage de celui à qui plus a été confié. Oui, c’est bien traduit, mais à mon avis, Dieu exigera tout de l'Abbé parce qu’il lui a confié tout.

            Il a confié à ses soins ce qu‘il avait de plus cher, des hommes dans lesquels il entend revivre son mystère et manifester sa présence. Et avec un tel désir dans l'intention de Dieu, il n'est pas permis à un Abbé de jouer. Il doit s'efforcer de toute son ingéniosité - ingéniosité surnaturelle, divine que j'oserais dire - s'efforcer de mettre tout son être à la disposition de Dieu pour que ce dessein divin se réalise sur les frères.

 

            Maintenant, si on veut voir un monastère idéal, c'est un Corps. Et ce Corps a une tête en excellente santé. C'est l'Abbé dont le cœur n'est rien moins que le cœur du Christ avec sa sagesse et son amour. Puis, il y a des membres. Et ces membres sont en croissance harmonieuse grâce à la vie qui coule de la tête et qui se répartit dans tous les membres, ces membres qui partagent cette même vie. Et un Corps se constitue.

            C'est la. un spectacle d'une rare beauté dans lequel Dieu trouve son plaisir. Naturellement, ça, c'est le monastère idéal. En fait, lorsqu'on voit ici Saint Benoît, cet idéal n'est sans doute jamais réalisé. Il le sera plus tard.

 

            J'y faisais allusion la dernière fois, il ne faut pas voir le monastère uniquement dans la personne des hommes qui sont vivants dans les locaux qu'ils occupent, mais aussi tous ceux qui sont déjà entrés en Dieu. Si bien que le monastère est beaucoup plus grand que ce que on peut mesurer sur le cadastre. Le monastère est aussi dans cette cité future dont j'ai parlé ce matin, celle qui a Dieu pour architecte et qui est notre véritable demeure.

            Il existe donc un Saint Rémy ailleurs, dans ce monde à venir. Il est beaucoup plus grand, et beaucoup plus vaste, et beaucoup plus beau que celui-ci. Et là se trouve sa vérité. Et nous, nous en sommes un petit morceau encore en voie de formation. Et le jour viendra où nous serons transférés dans cet ailleurs. Et là, nous serons vraiment ce monastère idéal.

 

            Mais aussi longtemps que nous sommes ici, nous devons quand même nous efforcer de plaire à Dieu, de lui donner cette joie de se reconnaître en chacun d'entre nous. Je pense que Dieu est un être qui a besoin d'être encouragé, de trouver aussi un peu de contentement. Car il doit beaucoup souffrir de déceptions. Quand on voit ce qui se passe dans le monde, tous ces hommes qui s’entre-déchirent, qui s’entre-dévorent, même les meilleurs !

            Il y a encore tant de péchés dans nos cœurs. Et Dieu qui est naïf, qui est candide, qui est pur, et qui est Dieu quoi, il pense toujours que voilà, ça n'arrivera plus. Le pardon, lorsqu'il nous pardonne, le pardon chez Dieu, c'est un oubli. Dieu a oublié ce qui s’était passé et il espère, il pense, il est quasi certain que maintenant ça va bien marcher, qu'il n'y aura plus de péché.

 

            Mais voilà, ce péché est toujours là, et ce péché recommence. Alors Dieu est déçu et éprouve de la peine. Et n'allez pas penser ici que je fais de l'anthropomorphisme et que je projette chez Dieu ce qu'on rencontre chez l'homme ?  Non !  Disons plutôt qu'on rencontre chez l'homme ce qui se passe chez Dieu. S'il n'en était pas ainsi, Dieu n'aurait jamais voulu devenir homme pour aller repêcher ses créatures là qu'il aime tellement.

 

            Et aujourd'hui, nous entrons dans le grand jeûne monastique qui va s'étendre sur l'automne et sur l'hiver, et qui va même toucher le printemps, jusqu'à l'éclosion de la grande fête de Pâques. nous entrons dans une sorte de nuit qui figure la descente justement de Dieu dans notre obscurité, dans nos ténèbres, dans notre péché. Et au terme de cette nuit, il y aura un relèvement, une apparition dans la lumière.

            C'est la courbe de notre vie monastique. C'est à cela que nous sommes appelés. Essayons donc de vivre ces mois à venir dans la ferveur, dans une grande espérance et un grand amour.

 

            Lorsqu'on prend au sérieux cette exigence de la croix, cette exigence de la mort à nous-mêmes, à nos instincts, à tout ce qui en nous désire posséder - je parle des instincts égoïstes naturellement, ce qui veut posséder, ce qui veut dominer, ce qui veut réaliser des rêves absurdes - si nous savons mourir à tout cela, nous entrons alors dans cette lumière qui est Dieu lui-même. Il nous est donné de la contempler, de nous en nourrir. Et c'est déjà un début d'exploration de cette cité que Dieu a préparé pour nous chez lui.

 

            Voilà, mes frères, nous allons commencer demain cette longue marche vers Pâques, et nous nous soutiendrons ensemble. S'il y a des éclopés, nous les porterons. S'il y a des plus forts, nous leur demanderons davantage. Mais nous arriverons tous ensemble, car personne parmi nous ne peut rester en arrière.

 

 

Chapitre 2, 92-fin : De l’Abbé.                   15.09.84

      Rendre compte !

 

Mes frères,

 

            Il est frappant de constater combien, dans la conclusion du Chapitre consacré à l'Abbé, Saint Benoît insiste sur les comptes que l'Abbé devra rendre de sa mission. Il y revient à quatre reprises.

 

            Il dit : L’Abbé doit toujours bien penser qu’il a reçu des âmes à conduire et qu’il devra rendre compte à leur sujet, 2,95. Une reddition de compte. Il dit encore plus  loin : Qu’il sache qu’il a reçu des âmes à conduire et qu’il se prépare à rendre compte, 2,103.

            Un peu plus loin : Quelque soit le nombre des frères qu’il aura dû diriger, qu’il sache avec certitude qu’au jour du jugement, il devra rendre compte à Dieu de toutes ces âmes y compris de la sienne propre, 2,103.

            Et finalement Saint Benoît fait allusion à la futura discussio, 2,108, à l'examen qui attend le pasteur au sujet des brebis qui lui ont été confiées.

 

            L'Abbé est donc un gérant et il devra rendre compte de sa gestion. Cela veut dire qu'au jour du jugement Dieu fera comparaître devant lui l'Abbé et tous les frères. Il examinera chacun des frères. Il verra dans quel état le frère se trouvait lorsqu'il l'a appelé au monastère. Et il demandera des explications à l'Abbé : « Ce frère, est-il guérit des maladies qu'il avait en entrant ? Est-il devenu meilleur ? Ou bien a-t-il dégénéré ? Est-il même mort ?

            Il faut que l'Abbé puisse répondre, qu'il puisse se justifier. Et Dieu demandera aussi des comptes au frère. Il demandera compte de son obéissance, de sa docilité, de la façon dont il a reçu les avis de l'Abbé, dont il a recueilli son enseignement, dont il en a fait son profit ? Il y aura donc une discussio, un examen des deux, de l'Abbé et des frères.

 

            Mais ici dans ce Chapitre, puisqu'il est question de l'Abbé, Saint Benoît insiste sur l'examen que devra subir l'Abbé. A un autre endroit il parle de l'examen que devront subir les frères. Je pense que nous devons prendre cela très au sérieux. Il est préférable de ne pas attendre le dernier jour. L'Abbé doit tenir sous les veux à tout moment l'heure ou il sera devant Dieu.

            Mais si cet Abbé est un véritable moine, c'est un homme qui vit toujours en présence de Dieu et il a toujours le moment de sa mort suspendu sous son regard. Il est toujours dans la position de celui qui doit rendre compte. Il n'a pas peur de Dieu. Il peut se présenter devant Dieu et dire : « Voilà Dieu, tous ceux que tu m'as donnés, tu peux les examiner. Examine-moi aussi ! »

 

            « Est-ce que Toi Dieu, Toi qui connais tout, tu peux voir qu'à tout moment j'ai fait ce qui est en mon pouvoir pour les aider, pour les faire progresser ».  Mais avec patience, car il faut savoir attendre, savoir supporter, savoir se taire, être d'une certaine façon très passif mais en même temps, surtout à l'intérieur du cœur, très actif car c'est à partir du cœur que la vie passe dans les frères.

            Il y a des frères auxquels il est impossible de dire la moindre chose. C'est absolument impossible, impossible, impossible ! Est-ce une maladie chez ces frères ? Certainement, et c'est une maladie incurable. Et il y en a des pareils ! Et l'Abbé doit le savoir. Et Dieu le sait aussi. Mais il y a des handicaps psychologiques qui sont aussi contraignant que des handicaps physiques.

            Vous ne savez pas demander à un qui n'a plus de jambes de faire du vélo. Il y en a certains, il est impossible de leur dire quelque chose parce qu'il leur manque en eux un organe qui accueille cette chose. Mais pourtant ils sont appelés par Dieu. Et avec ce handicap, ils doivent aussi progresser dans la vie divine.

 

            Mais tout ça, Dieu le sait. Mais il faut que l'Abbé aussi le sache et qu'il puisse malgré tout, à l'intérieur du péché qui est le sien, dire à Dieu : « J'ai fait ce qui était en mon pouvoir ». Mais ça, il doit pouvoir le dire à tout instant. il faut que cette discussio du jour du jugement lui soit toujours présente à sa conscience. Sans être une obsession, il ne fait rien d'autre que de vivre avec Dieu. C'est ça la vie contemplative dans la personne de l'Abbé !

            Il y a aussi la vie contemplative dans la personne du frère qui, lui aussi, doit vivre en présence de ce Dieu, de ce Christ qu'il doit voir avec les yeux de la foi dans la personne de l'Abbé. Il y a donc un équilibre, un échange qui s'opère. Et c'est à l'intérieur de cet échange que chacun peut avancer et que chacun peut se présenter en toute bonne foi devant Dieu.

 

            Donc, mes frères, soyons toujours bien attentifs à ce que nous faisons. Réglons notre conduite en conséquence et que la règle, notre règle, donc la façon de nous conduire soit toujours l'amour et la confiance. L'Abbé doit faire confiance en chacun des frères. Même quand il sait très bien que le frère n'est pas digne de confiance, il doit quand même lui faire confiance parce qu'il fait, dans ce frère, confiance à la petite flamme divine qui est en lui. Et ce frère mérite alors la confiance.

            C'est très difficile ! Il faut risquer, presque provoquer l'apparition du miracle. Mais d'un autre côté il faut que aussi le frère, dans l'amour, fasse confiance aux autres, à l'Abbé, et qu'il ait aussi confiance en lui-même.

 

            Mes frères, la vie monastique est une lutte. Nous ne devons pas le perdre de vue. C’est une lutte entre les forces du mal, contre le prince du mal qui est un être bien réel. Et ces forces du mal sont agissantes en nous et autour de nous. Hier je pense, l'un d'entre vous me racontait une expérience qu'il avait faite.

            Je ne vais pas trahir la personne, je ne vais même pas répéter ce qu'il m'a dit. Mais enfin, ce frère avait fait l’expérience - je n’entre pas dans le détail- d'une véritable rencontre diabolique. Je pense qu'il avait raison. Et ici à Saint Rémy même ! Donc, n'allons pas nous imaginer que c'est de l'illusion, et pas en rire, et pas le mépriser, c’est bien réel !

 

            Donc, soyons attentifs à cela, mes frères, et restons toujours des lutteurs. N'ayons pas peur. Et lorsque nous aurons à rendre compte nous nous présenterons devant Dieu en disant : « Nous avons fait ce qui était en notre pouvoir. Nous avons reçu beaucoup de blessures, mais nous en avons rendu aussi au démon. Voilà, tu nous avais confié un peu de talents et nous rapportons ce que nous avons pu faire fructifier. Ce n'est pas grand chose, mais nous ne pouvions pas faire davantage ». Et alors Dieu dira : « Mais c'est bon, entre dans la joie de ton Maître ! »

 

 

Chapitre 2, 29-43 : De l’Abbé.                   11.01.86

      Nomen Abbatis !

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît nous parle encore ce soir du nomen Abbatis, du nom d’Abbé que doit porter celui qui a reçu de Dieu la charge de conduire ses frères sur les routes du Royaume. Ce nom d’Abbé retient notre attention sur une énigme que nous allons essayer d'élucider. Cette énigme apparaissait bien lorsque Saint Benoît nous disait :

            On regarde l'Abbé comme tenant la place du Christ dans le monastère ; c'est pourquoi il porte le nom même donné au Seigneur, selon les paroles de l'Apôtre : Vous avez reçu l'esprit des enfants d'adoption qui crie en nous Abba, c'est à dire père. 2,8 * Rom. 8,15.

 

            Comment donc, pour Saint Benoît, le nom de Père peut-il être vu comme le nom même donné au Seigneur Jésus ? L’Abbé tenant donc la place du Seigneur dans le monastère, reçoit aussi le nom de Père, c'est à dire Abba, Abbé. Comment le Christ peut-il être invoqué comme Père ? Là est le problème. Vous avez reçu l'esprit des enfants d'adoption qui crie en nous Abba, c'est-à-dire Père.

            Et bien voilà, à mon sens, non pas l'explication, mais une explication, une interprétation. Le Christ en répandant son Esprit sur ses disciples, les baptise dans la vie divine. Il leur communique sa propre vie de Dieu. Et de cette façon-là, il devient leur géniteur en Dieu. Il devient donc leur Père au niveau de cette vie divine à laquelle maintenant les disciples vont participer, car ils ont reçu en eux l'Esprit que le Christ leur donne avec générosité.

 

            Est-ce que vous voyez cela ? Donc, la vie divine n'arrive pas en nous directement à partir de la source qui est Dieu le Père, mais elle descend en nous toujours par la médiation du Christ qui nous donne cette vie divine en nous faisant le cadeau de l'Esprit Saint. Le Christ lui-même avait dit - c'est rapporté dans l'Evangile de Saint Jean - au dernier jour de la fête, debout dans le temple, il criait : Celui qui a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive. Celui qui croit en moi, de ses entrailles ruisselleront des fleuves d'eau vivante.

            Et le commentateur, donc l'Evangéliste, dit : Il disait cela de l'Esprit qu'allaient recevoir ceux qui croiraient en Lui. Or à ce moment-là, il n'y avait pas encore d'Esprit Saint donné parce que Jésus n'était pas encore glorifié. Voyez, c'est bien cela ! Donc le Christ, du fait qu'il nous engendre à la vie divine, il fait de nous des fils de Dieu par adoption. Il est donc notre Père parce qu'il nous donne sa propre vie, parce qu'il nous engendre en Dieu par l'Esprit Saint.

 

            Et enfin il est, comme le dit le texte de Saint Benoît, il est notre Père, mais pronomine, 2,6. Ce n’est pas à traduire en français. Le pronomine, c’est un pronom. Ici le Christ agit en tant que délégué de son père, mandaté de son père. Il porte donc le nom de Père par lieutenance si je puis m'exprimer comme ça, par délégation. Mais il est quand même effectivement notre Père, parce que c'est à travers lui que nous recevons cette vie divine. Nous sommes ici dans le Royaume de Dieu, donc nous ne devons pas voir des catégories cartésiennes où tout est classé.

            Non, le Christ est en même temps notre frère car il est le fils de Dieu par nature tandis que nous sommes des fils de Dieu par adoption. Mais partageant sa vie, nous sommes tout de même ses frères. Il y a entre le Christ et nous une consanguinité-spirituelle.

            Voyez le paradoxe: il est notre frère et il est en même temps notre Père. Ce n'est pas étonnant car il a dit lui-même : Celui qui fait la volonté de mon père, il sera pour moi et un frère, et une sœur, et un père, et une mère. Donc pour le Christ, celui qui fait la volonté de Dieu est pour lui un père. Voyez donc, toutes nos catégories humaines, charnelles sont bouleversées.

 

            Maintenant, prenons maintenant l'Abbé. Et bien l’Abbé, lui, il est en même temps frère et Père. Il est le frère des autres. Il est un parmi les autres dans sa communauté. Mais en même temps il est leur Père, le Père de ses frères parce que c'est par lui que mystérieusement, mais bien réellement, la vie divine va se répandre dans le cœur de chacun. C'est ce que Saint Benoît va nous dire ici : Il reçoit donc dans le monastère le nom même donné au Seigneur, selon ces paroles de l'Apôtre: Vous avez reçu l'esprit des enfants d'adoption qui crie en nous: Abba, c'est à dire Père.

 

            Mes frères, je pense que c'est très beau et nous ne devons jamais le perdre de vue. Et l'Abbé ne doit jamais s'enorgueillir : Moi, je suis au-dessus, et toutes ces affaires-là que je demande aux autres, ça ne me concerne pas. Le législateur est au-dessus de la loi. Il n'est pas soumis à la loi, il est au-dessus.

            Pas question, ici. Non, il est un frère qui est le Père des autres, cela dans l'ordre du plan divin, comme le Christ est le Père des hommes tout en étant un de leur frère.

 

            Donc je pense que l'énigme est tout de même un peu éclaircie. Mais enfin, il y a toujours une frange très large de mystère parce que nous sommes, encore une fois, chez Dieu, nous ne sommes pas chez les hommes.

 

Chapitre 2, 92-fin : De l’Abbé.                   15.09.86

      L’Abbé saint et pécheur !

 

Mes frères,

 

            Admirons encore une fois le saint réalisme de notre Père Saint Benoît, son courageux optimisme, la vigueur de sa foi, la puissance de son amour. Il a ouvert le chapitre deuxième en affirmant que l'Abbé tient dans le monastère la place du Christ et il le clôture en disant que l'Abbé est un homme affligé de défauts, de vices même - c'est le mot qu'utilise Saint Benoît - défauts et vices dont il a à se corriger.

            L'Abbé est donc à la fois pour Saint Benoît un saint et un pécheur. Il est parmi ses frères apparition du Christ, mais du Christ ressuscité, donc du Christ entré dans une vie impérissable, dans une vie nouvelle, dans une vie de lumière. Mais en même temps, il est un homme qui traîne un moi préfabriqué, lourd, encombrant, dangereux, comme le plus quelconque de ses disciples. Il est donc les deux à la fois. Et ce n'est pas de la schizophrénie, non, c'est de l'humilité.

 

            Lorsque nous serons arrivés au douzième degré d'humilité, c'est à dire dans notre commentaire du douzième degré d'humilité, j'essayerais d'insister sur cette vision paradoxale d'un homme qui est entré dans l'univers de Dieu mais qui n'ose plus lever les yeux parce qu'il est pénétré jusqu'au fond de son cœur par le fait qu'il est un pécheur, donc qu'il commet sans arrêt le péché. Eh bien, Saint Benoît l'insinue déjà ici à propos de l'Abbé.

 

            L'Abbé devra donc être pour ses frères l'exemple vivant de ce que la grâce peut opérer chez un homme, c'est à dire le passage d'un donné charnel brut, vicié par le péché, à un être nouveau libéré de tout égoïsme et entièrement ouvert à une charité sans fond. C'est un vrai passage, c'est un exode, c'est une extase, c'est une sortie de soi.

            On doit passer de soi à hors de soi. On doit cesser d'exister pour soi, on doit exister pour les autres. On doit cesser de chercher en soi la source de sa vitalité, la source même de sa vie pour aller la chercher chez l'autre, dans le coeur de l'autre, mais de n'importe quel autre.  Cela veut dire l'autre pécheur et quelque soit son péché. C'est là que se trouve la source de notre vie.

 

            Eh bien, l'Abbé doit être pour ses frères l'exemple de ce passage, si bien qu'il est comme l'Apôtre Paul donné en spectacle. Il ne lui est pas possible de se cacher parce que Dieu l'a pris pour le placer sur une montagne, pour le placer sur un chandelier. Et là, qu'il brille ou qu'il ne brille pas, on le voit. Il est donné en spectacle.

            L'Abbé est une mise à l'épreuve de la foi de ses frères. Les frères seront jugés d'après la vision qu'ils auront de l'Abbé, quel que soit cet Abbé. Pour ça, la foi des frères est mise à l'épreuve. Or la foi, nous le savons, c'est la vie surnaturelle en nous. Il doit être aussi, il est aussi normalement un encouragement pour les frères, un encouragement dans leur remontée vers leur origine qui est Dieu. Ils sont déchus.

 

            L'homme est une sorte d'ange déchu. Il est promis à un destin merveilleux : être fils de Dieu à part entière, donc partager la vie de Dieu. Sa place, sa maison, c'est dans le coeur de la Trinité. Et voilà, au lieu de ça, il est par terre au ras du sol. Et là, il traîne. Le serpent avait été puni en disant : « Toi, tu traîneras sur ton ventre et tu mangeras de la terre tous les jours de ta vie ». Eh bien, c'est un peu le sort de l'homme qui a écouté le serpent. Lui aussi derrière le serpent il traîne avec son ventre par terre et il mange de la terre. C'est un terreux, un charnel, et il doit remonter à sa source qui est Dieu.

 

            Eh bien, il faut pour Saint Benoît que l'Abbé soit le guide de ses frères dans ce sens-là, donné en spectacle comme quelqu'un qui remonte de la terre jusqu'au ciel. Si bien qu'une des plus belles qualités de l'Abbé - je n'ose pas dire que c'est la plus belle parce qu'il est possible qu'on en découvre encore une autre - mais enfin, disons qu'une des plus belles qualité de l’Abbé -, c'est la compassion.

            A l'image du Christ qui a pris sur lui le péché de l'Abbé, le péché des frères, le péché de tous les hommes, à l'image de Marie qui n'a pas reculé lorsque Dieu lui a demandé la même attitude en face du péché, l'Abbé doit avoir de la compassion. Marie ne s'est pas révoltée. Non, elle a fait comme son fils Jésus. Elle a pris sur elle, elle n'a pas condamné.

 

            Ainsi l'Abbé doit prendre sur lui le péché de ses frères, et quelque soit ce péché, comme s'il l'avait commis lui-même. C'est cela la compassion. Ce n'est pas une attitude de condescendance, de dire : « Moi, je suis infaillible, cela ne m'arrivera jamais ». Mais non, c'est une attitude de pâtir avec, de souffrir avec parce que on doit avoir conscience que lorsque un frère commet un péché, il ne le commet jamais seul.

            Nous sommes solidaire à l'intérieur du péché. Et l'Abbé doit sentir cela avec une puissance suraiguë. Alors, il sait compatir. C'est cela la compassion, car il peut comprendre les fautes et les faiblesses de ses frères. Il peut s'en étonner, parce que on est toujours surpris, mais il n'en est pas scandalisé.

 

            C'est dans une apophtegme, voilà : l'Ancien avait vu un frère qui commettait une faute très lourde. Alors, quelle était sa réaction ? Lui aujourd'hui, moi demain ! C'est cela la compassion ! Et c'est ce que dit Saint Benoît à la fin de notre chapitre, ici. Il dit : En travaillant à sauver ses frères, il se sauve lui-même. Saint Benoît dira : en amendant les autres par ses avis, il se corrigera lui-même de ses propres défauts. 2,110.

            Donc en sauvant les autres, il se sauve lui-même. Mais sauver les autres, même en les amendant par ses avis, c'est d'abord prendre sur soi le défaut, le vice, la faute, le péché de l'autre. Et à ce moment-là, il s'assimile au Christ et il se sauve lui-même.

 

            Eh bien voilà, mes frères, c'est à cette solidarité totale que Saint Benoît veut nous conduire. Parce que si ces sentiments doivent être ceux de l'Abbé, ils doivent être aussi ceux de chacun des frères. Il n'y a rien de plus terrible, me semble-t-il, ou de plus dur enfin pour moi personnellement, à porter - mais c'est aussi un défaut chez le frère et il faut le porter - que ce défaut de compassion, ce défaut d'indulgence.

            C'est la dureté parce que celui-là est faible, parce qu'il ne sait pas travailler. Voyez, il n'est pas habile, il n'a pas la main ou bien il n'est pas intelligent. Eh bien voilà, il faut le rejeter, le mettre de côté, il ne faut pas l'accueillir. Vous voyez, tout cela, c'est terrible .

 

            N'oublions jamais, mes frères, que le Royaume de Dieu c'est ceci : Il envoie des hommes, ses serviteurs, tout partout dans les rues, dans les campagnes, sur les chemins, dans les sentiers, et il dit : faites entrer les boiteux, les aveugles, les malades. Enfin tout le monde, faites-les entrer. Il faut que la salle de mon festin soit remplie.

 

            Mes frères, n'oublions pas ! Voyez Saint Benoît, je le répète, tellement réaliste mais aussi avec un optimisme vigoureux nous dit : nous sommes tels, nous sommes des pécheurs, mais la force du Christ sera plus puissante que nos péchés. Je me glorifierai de mes faiblesses, dira Saint Paul, pour que la puissance du Christ habite en moi. Eh bien voilà, mes frères, tel devrait pouvoir parler l'Abbé, tels nous, devrions-nous pouvoir parler chacun pour notre part.

 

Chapitre 2, 1-28 : Des qualités de l’Abbé.      10.01.87

      L’accueil du Christ !

 

Mes frères,

 

            Après nous avoir dit que l'école fondée par lui était destinée aux moines cénobites et à eux seuls, Saint Benoît nous en présente aujourd'hui celui qui en est la tête, celui qui préside à sa destinée et qui en assure le bon fonctionnement. C'est l'Abbé.

            Et de suite il précise, il rappelle l'esprit dans lequel travaille cette école. Et cet esprit n'a rien de mondain. Il n'a rien qui ait trait aux sagesses de ce monde, mais il est entièrement et purement d'ordre surnaturel. L'Abbé n'est qu'un lieutenant. Il tient la place du Christ.

            Si bien que le Christ est en toute vérité l'unique directeur de cette école. Et par le fait même cela signifie que on y reçoit un enseignement qui expose la Loi du Christ, qui l'expose en termes clairs, qui n'expose rien d'autre que cette Loi.

 

            Or, cette Loi nous la connaissons, c'est l'agapè, c'est l'amour de dilection, c'est une charité qui nous apprend à nous comporter correctement avec Dieu et avec les autres. Cet amour de dilection vise à rendre l'homme semblable à Dieu, à restaurer dans l'homme l'image de Dieu.

            Il faut donc que dans les monastères nous apprenions à vivre à la façon de Dieu. Mais ça ne peut s'apprendre à coup de livres dévorés. Il s'agit dans le fond de restituer l'homme à sa destinée vraie qui est de participer à la vie même de Dieu. Il n'est possible de se comporter comme Dieu que si on est divinisé.

            La charité dans l'homme est, nous le savons, l'Esprit Saint qui meut cet homme. Et l'Esprit Saint mouvant cet homme, cet homme-là n'est plus déjà un pur produit de la nature. Il est encore un homme, parce que il le sera toujours pour toute l'éternité, même quand il sera dans son corps ressuscité, mais il y a en lui un moteur qui est Dieu lui-même.

 

            Et il y a donc entrée dans une Sagesse qui n'est pas la sagesse de ce monde, qui lui est même souvent opposée. Cela entraîne une évacuation totale de l’égoïsme encré dans notre chair. Le moine, dans le monastère, il doit être détricoté, puis refaçonné, remodelé, recomposé mais sur un autre modèle, sur le modèle qui est le Christ, c'est à dire l'image même de Dieu dans un corps d'homme. C'est pourquoi le Christ est le véritable directeur de l'école. Lui seul peut dire ce qu'il faut faire.

 

            Maintenant, la réussite de ce travail, elle dépend, vous le comprenez, de l'accueil qui est fait à ce que le Christ demande. Elle est donc toujours en rapport avec la docilité, avec la capacité d'écouter, d'accueillir l'instruction qui est donnée.

            S'il n'en est pas ainsi, eh bien c'est l'échec. Il faut bien le dire, c'est l'échec, on est busé, voilà. Quand va-t-on le remarquer ? Mais on va le remarquer au jugement, comme dit Saint Benoît 1,13, au redoutable jugement de Dieu. A ce moment-là, on va passer notre examen, examen de sortie d'école et d'entrée dans notre véritable état.

            Si nous n'avons pas en nous cette charité qui nous fait agir comme Dieu, mais quasi naturaliter comme dit Saint Benoît, comme naturellement, instinctivement - nous avons en nous l'instinct même de Dieu qui est son Esprit - si ce n'est pas ainsi après x années passée dans notre école, eh bien nous ne réussissons pas l'examen.

 

            Nous pouvons au plan humain avoir recueilli tous les succès, toutes les décorations, tous les diplômes, tous les titres, tout ce qu'on veut au plan humain ; nous pouvons être considéré par tout le monde, adulé, félicité par tout le monde, mais ça c'est la chair, c'est le monde.

            Ce qui compte pour Dieu, c'est : êtes-vous devenus pour vos frères une apparition de Dieu sur terre, une véritable image du Christ ? Est-ce que c'est l'Esprit de Dieu qui est en vous qui transpire à travers vous ? Si c'est oui, eh bien d'accord. Si c'est non, eh bien voilà, vous avez raté. Vous vous êtes fatigué pendant des années dans cette école pour rien.

 

            Mes frères, c'est ça que Saint Benoît veut dire lorsqu'il parle de l'Abbé et qu'il dit : l'Abbé tient dans le monastère la place du Christ, et il ne doit rien enseigner, établir ou commander qui s'écarte des préceptes du Seigneur. Donc le seul enseignement de l'Abbé, c'est de ramener tous ses frères à la Loi du Christ, c'est à dire à cet amour dans lequel on doit de plus en plus entrer, et par lequel on doit être transfiguré.

 

 

Chapitre 2, 60-80 : De l’Abbé.                   13.01.87

      Devenir des hommes nouveaux !

 

Mes frères,

 

            Nous nous imaginons facilement qu'un monastère, surtout s'il est dirigé par un saint, ne peut être peuplé que de frères déjà bien avancés sur les voies de l'union à Dieu. Consacré à Dieu, n'est-ce pas synonyme de pureté, de lumière, de charité ; ce n'est pas exclu, naturellement. !

            Mais la métamorphose de l'homme animal en homme spirituel ne s'opère que très lentement. Nous sommes parfois très exigeants vis-à-vis des autres et vis-à-vis de nous aussi. Nous sommes pris par l'impatience, l'énervement. Nous voudrions que ce soit arrivé avant même que nous n'ayons commencé.

            Saint Benoît nous dit que la métamorphose n'est pas automatique. Elle est le fruit d'un labeur long et patient. Le chemin qui conduit à l'amour parfois est ardu. Et il nous donne aujourd'hui un échantillon de ce qu'on trouvait chez lui.

 

            N'allons pas imaginer qu'il regardait par dessus les murs de son monastère pour aller voir ce qui se passait chez le voisin. Il a rencontré chez lui le tableau qu'il nous donne ici. Rappelez-vous qu'on avait une fois essayé de l'empoisonner pour se débarrasser de lui. Il avait donc dans son monastère des hommes pas faciles à conduire.

            Au centre nous voyons les obéissants, les doux, les patients. Et puis, faisant cercle autour d'eux, il y a les indociles et les turbulents, les négligeants et les rebelles. On a l'impression d'un petit troupeau entouré de loups. C'est présenté ainsi dans le texte, moi je n'invente pas. C'est très, très bien structuré. Le latin est plus dur, plus réaliste que le français. On pourrait s'arrêter sur chacun des mots.

 

            Prenons indisciplinatos, 2,65, par exemple. C'est traduit par indocile, et c'est vrai ! Mais quand on parle d'indociles, nous, nous voyons des gens très remuants. Mais non, c'est ceux qui n'acceptent pas l'enseignement. Ils n'acceptent pas d'être disciples. Ils connaissent mieux que tout le monde, et mieux que l'Abbé naturellement. Alors voilà, il n'y a rien à leur dire. Ils se laissent conduire par leur propre jugement. Ils sont indisciplinés dans le sens étymologique du mot.

 

            Il y a les inquietos, 2,65, traduit par turbulents. Oui, ça va très bien turbulents. Ils n'ont pas de repos. Ce sont des hommes qui courent fourrer leur nez partout pour voir ce qui s'y passe, pour le rapporter, pour critiquer, pour faire toutes sortes de choses qui ne conviennent pas. Aujourd'hui on dirait : c'est pour avoir l'occasion de raconter de belles histoires à la Visite Régulière, ou bien pour envoyer à Rome des lettres menaçantes. Voyez les inquietos !

 

            Enfin je vous dis, si on le voulait, on les voit bouger, ces hommes. Le latin est très vivant. On voit des tableaux qui se dessinent sous nos yeux. Ces hommes alors ils nous sont présents. Certains nous attirent : les doux, les patients, les obéissants. Et puis les autres, ils nous font plutôt peur.

            Mais ce n'est pas encore tout. Saint Benoît insiste. Il y a d'un côté des animi. Ce ne sont pas des ânes. Ce sont des dispositions qui sont presque naturelles - ici l'animus, ce n’est pas l'anima. - des gens qui sont honestiores, 2,73.

            Ces gens, eh bien, ils sont tous simplement honnêtes. Ils sont bien élevés. Ils savent se tenir à leur place, à leur place devant Dieu, à leur place devant leurs frères, à leur place vis-à-vis d'eux-mêmes aussi. Ils commencent à goûter les bienfaits de l'humilité. Ils sont des gens honnêtes, bien élevés humainement et spirituellement. Ce sont des gens nobles dans leur coeur.

            Les intelligents, eh bien oui, ce sont des hommes qui comprennent parce qu'ils entrent dans l'humilité. Ils se tiennent à leur place et ils savent bien qu'ils ne connaissent pas tout. On reconnaît à ceci un homme intelligent : c'est un homme qui reste toute sa vie un disciple. Il désire toujours recevoir des autres, apprendre. C'est ça un homme intelligent !

 

            Alors en face, il y a les - il est vraiment dur Saint Benoît, ici - il y a les méchants, il y a les opiniâtres, il y a les orgueilleux et il y a les désobéissants. Les premiers, on peut leur parler. Ce sont d'honnêtes gens. Ils peuvent se tromper, on peut leur faire remarquer. Les autres, rien à faire avec des paroles. Ils ne comprennent qu’un seul langage, le langage des coups. Cela ils le comprennent.

            Ce sont des animaux, vous voyez, ce ne sont pas encore des hommes. Ce sont des animaux un peu évolués. C'est ce que Saint Paul dit lorsqu'il nous parle des hommes charnels. Ils n'ont pas encore d'intellect. Ce sont des paquets de viande et ils sont bons à être passés à la boucherie pour y être débités. C'est ça les hommes charnels. Et à côté de cela, vous avez les hommes spirituels. Ils sont dans une chair en voie de transfiguration.

 

            Et voilà, mes frères, ne soyons donc pas étonnés, ni scandalisés de ce que Saint Benoît nous dit ici, et de nous dire : « Mais enfin, est-ce qu'il est possible de trouver ça dans des monastères ? » Retenons ceci, mes frères, c'est qu’il y a un peu de tout cela en chacun de nous. Il faut bien nous le dire.

            N'allons pas nous mettre au-dessus de tout pour juger et regarder. Non, il y a des petites pincées de tout cela en chacun d'entre nous. Il y a de l'obéissant aussi, du doux, du patient, de tout. Cela fait un beau petit plat. Si bien que nous avons tous besoin de conversion, tous sans exception. On vient dans le monastère pour guérir de ses maladies, ses maladies spirituelles, mais ses maladies psychologiques aussi.

            On vient dans le monastère pour guérir, pour devenir un homme tel que Dieu a voulu le créer, pour changer de vie donc et puis devenir des fils de Dieu qui savent aimer, qui ne sont plus des harpagons, donc des hommes qui essayent de se saisir. Non, mais ils savent se donner, ce sont des chrétiens, de vrais chrétiens. 

 

            Voilà, mes frères, encore un petit intermède pour ce soir. Essayons de retenir ceci: c'est que nous devons nous convertir, toujours nous convertir, ce n'est jamais fini . Et c'est une des raisons principales pour lesquelles Dieu nous a appelés dans le monastère. C'est pour faire de nous des hommes qui ressemblent à son Christ, des hommes qui ont accepté de faire pénitence et de changer.

 

 

Chapitre 2, 1-28 : Des qualités de l’Abbé.      11.05.87

      L’Abbé et la vie cénobitique !

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît a d'abord présenté les quatre espèces de moines : les cénobites, les ermites, les sarabaïtes, les gyrovagues. Il a terminé en disant qu'il allait organiser, avec l'aide du Seigneur, l'état des cénobites, la plus forte espèce des moines, cette espèce la plus forte par le nombre et par la vaillance.

 

            C'est la communauté cénobitique qui rend le mieux l'image du Christ et de l'humanité en lutte contre les forces du mal, ces puissances de dispersion et de destruction qui ont été injectées dans le cœur des hommes et qui sont toujours au travail. Le monastère est un Corps dont la cohésion est assurée par l'amour, mais qui est mise en péril par le péché, le péché qui sépare et qui disloque.

            C'est pourquoi les cénobites seront des lutteurs, des combattants. Ils s'efforceront toujours de faire grandir l'amour dans leur cœur de façon à ce que le lien de la charité unisse entre eux tous les frères et que la communauté présente l'image, l'esquisse, une apparition d'une Eglise achevée, d'une Eglise parfaite, une Eglise qui est la présence sur la terre de la petite ou de l'immense Société Trinitaire.

 

            Voilà, mes frères, la beauté de notre idéal en tant que communauté. Et tout cela est inclus dans le mot cénobite. Puis, Saint Benoît sans transition parle de l'Abbé. Mais pourquoi ? Mais pourquoi ? Dans notre logique à nous, nous aurions d'abord abordé d'autres points. Voyez dans nos Constitutions, on parle d'abord de la communauté cistercienne, de l'observance, de son organisation, de la façon de vivre. Et c'est seulement à la Constitution 34° qu'on commence à parler de l'Abbé. Saint Benoît, lui, d'entrée en jeu parle de l'Abbé. Mais pour quelle raison ?   

 

            N'allons pas maintenant imaginer que Saint Benoît soit mû par un sentiment de peur ou par un complexe de supériorité. Benoît est abbé. Il pourrait très bien instinctivement se mettre en évidence pour affirmer son pouvoir et se défendre des autres ; ou bien, pour satisfaire une certaine vanité : lui est au-dessus, lui est le premier donc tous les autres sont en dessous. C'est donc d'abord de lui qu'il va parler en premier lieu.     

            Mais ça, ce sont des vues humaines. Saint Benoît est un saint. Et étant saint, il ne pense pas à lui. Il pense d'abord au projet, au grand projet de Dieu, à cet Opus Dei, à ce travail auquel Dieu se livre, ce travail que Dieu portait dans le secret de son coeur avant de se lancer dans la création du monde.

 

            Tout cela était déjà inscrit dans la personne du Verbe, ce Verbe qui allait devenir le Christ Jésus. Eh bien, Saint Benoît vibre à ce projet, il sent se projet, il veut y travailler et, il veut y entraîner des autres. Il pense donc d'abord à Dieu et puis aux frères. 

            Et alors, s'il parle en tout premier lieu de l'Abbé, c'est parce qu'il s'adresse à des cénobites. Car il nous dit, il nous a dit déjà que les cénobites étaient des moines qui combattent sous une Règle et un Abbé, 1,5.

            La vie cénobitique est donc édifiée sur deux piliers : une Règle et un Abbé. L'Abbé étant par sa parole et surtout par sa vie l'interprétation authentique de la Règle. Il est donc nécessaire que Saint Benoît parle d'abord de l'Abbé, du moins de sa façon à lui de voir les choses.

 

            Et je pense que ça doit être la nôtre. Nous verrons, nous le savons déjà mais nous le remarquerons encore, que l'Abbé est présent partout dans la Règle. Il est partout présent. Non pas pour régenter les choses, mais pour dire la vérité, mais pour exprimer la vérité, la vérité pour la communauté, la vérité pour chacun des frères.

 

            Voilà, nous en resterons là pour ce soir. Nous essayerons un peu de creuser cette idée dans les jours à venir et ainsi de mieux comprendre le rôle de l'Abbé. C'est très instructif pour moi, mais aussi pour voir ce que Dieu attend de nous, ce que Dieu attend de chacun d'entre nous.

 

Chapitre 2, 29-43 : De l’Abbé.                   12.05.87

      Le nom d’Abbé !

 

Mes frères,

 

            Le texte français parle de celui qui accepte la charge d'Abbé. Le texte latin, lui, parle du nomen Abbatis, 2,29, celui qui reçoit le nom d'Abbé. Nous savons que dans l'économie chrétienne tout ..?.. d'un nom nouveau entraîne un changement. Il devra à terme faire apparaître une transformation radicale et totale de la personne. Un nom donné par Dieu n'est pas indifférent.

 

            Or ici, le nom d'Abbé, nous devons croire qu'il est donné par Dieu au frère qui a été choisi par les membres de la communauté. Auparavant il était un frère parmi les autres. maintenant, il reçoit le nom d'Abbé. Et il le reçoit en vertu d'une Tradition, une Tradition que nous allons voir dans un instant, qui s'enracine dans la Parole de Dieu dans le Nouveau Testament, donc dans le coeur de Dieu lui-même.

            Et un nom donné par Dieu a toujours une valeur prophétique pour la personne qui le reçoit, pour l'entourage de cette personne. Il insère l'homme dans un projet dont Dieu seul est le maître. Et il va donc définir une mission qui sera toujours un service.      

 

            Abbas est un nom araméen qui a été repris tel quel dans l'Ecriture. Vous le savez, Saint Paul dit : Nous avons reçu l'Esprit d'adoption, l'Esprit qui fait de nous des fils et par lequel nous crions: Abba, Père ! Abba est habituellement traduit par Père. A l'origine de la vie monastique, ce nom a été spontanément utilisé pour désigner le Père Spirituel, pas n'importe quel père, mais le Père Spirituel, le Père Pneumatophore, celui qui est capable d'engendrer à la vie divine.

            On parlera d'Abba Antoine, d'Abba Arsène, d'Abba Poemen, d'Abba Théodore, Abba Isaac. Enfin tous ce sont des Abba parce qu'ils ont autour d'eux quelques disciples qu'ils élèvent vraiment à la vie divine. Aujourd'hui, vous le savez comme moi, et je le regrette, et certainement vous aussi, on use à tort et à travers du terme de Père Spirituel. Tout confesseur maintenant devient un Père Spirituel. A la limite, le psychologue, le psychanalyste deviennent des Pères Spirituels.

 

            Non, il n'y en a qu'un seul. C'est celui qui participant à la paternité même de Dieu est capable d'engendrer à la vie divine. C'est un don reçu, ce n'est pas le fruit d'une science acquise. Alors, si Saint Benoît emprunte à son tour le nom d'Abbé, c'est dans une intention précise, c'est celle de toute la Tradition Abbé-Engendreur.

            Et si vous le voulez, pour mieux comprendre, je m'en vais me livrer à un petit exercice de sémantique. Abba est donc un mot Araméen. Le même mot en langue hébraïque se dit ....……..Et c'est une onomatopée, vous l'entendez bien, qu'on retrouve partout même dans les langues indo-européennes.

 

            Vous avez en latin avus pour dire le grand-père. En flamand vous aurez vader. Ici, c'est pas AV, c'est VA, mais à l'origine, c'est la même chose. C'est un son, c'est le son émis par le souffle de la respiration. Le AV donc, que nous traduisons, nous, par père, donc l'Abba, c'est celui qui possède un souffle et pas n'importe lequel. Il possède le souffle de la vie, de la vie divine, et il peut le donner aux autres.

 

            Lorsque donc un frère d'une communauté reçoit le nom d'Abbé, il reçoit par le fait même le charisme de donner la vie. Mais attention, ce n'est pas quelque chose d'automatique. Ce charisme peut reposer sur lui et demeurer inopérant. Il doit être reçu, dit Saint Benoît, suscipere. Il ne s'agit pas qu'il repose, mais il doit être accueilli, reçu. Le frère doit s'y ouvrir. Il doit vraiment se laisser imprégner par ce souffle, se laisser - comme je le disais - transformer par lui de façon à pouvoir l'expirer. Il doit devenir un pneumatophore, un porteur du souffle. Alors, il est un véritable Abbé.

 

            Le premier naturellement qui possède ce souffle de vie, c'est Dieu, c'est la source de toute vie, c'est Dieu le Père. Le Fils aussi à la vie, et l'Esprit naturellement, mais la source se trouve dans le Père. Et c'est la raison pour laquelle on va donc appeler le frère : Abba. Il y a une référence en lui à Dieu le Père.

            Naturellement, c'est l'Abbé qui tient la place du Christ, c'est certain. Mais il ne faut pas s'arrêter à la personne du Christ. Il faut à partir du Christ remonter jusqu'à la personne du Père dont le Christ reçoit la consistance. Naturellement, il y a de façon subsidiaire l'homme en qui Dieu le Père va déposer son souffle.

 

            Voilà, mes frères, ce qu'est un Abbé pour Saint Benoît et pour toute la Tradition. C'est un homme qui transmet la vie de Dieu dont il est rempli. On dira alors - c'est une expression qui viendra après et qu'on trouve aussi dans les Ecrits monastiques primitifs - fréquemment on l'appellera un Vir Dei, donc un homme de Dieu. Voyez un peu à quelle hauteur il faut situer la mission, l'être même de l'Abbé.

 

            Lorsque je dis cela, vous le savez bien, je ne le dis pas devant n'importe qui, je le dis devant vous, vous le comprenez bien, ce n'est pas pour me mettre en valeur, ni rien du tout, mais c'est pour montrer quel est l'idéal auquel doit tendre le frère qui reçoit le nom d'Abbé, quelle crainte doit l'habiter parce que fatalement, il sera toujours en-dessous de ce que Dieu et les autres attendent de lui.

            Ce sera sa démarche d'humilité à lui, d'accepter ses limites, mais malgré tout de s'ouvrir totalement à cette puissance de Dieu en se disant que la vigueur, la puissance, le dynamisme de Dieu peut se manifester pleinement à travers la faiblesse de l'homme.

 

            Donc voilà, mes frères, encore un petit pas sur la route qui nous conduit vers Dieu. Et demain, si Dieu nous prête vie, nous en ferons encore un autre.

 

 

Chapitre 2, 44-59 : De l’Abbé.                   13.05.87

      Esclave à la manière du Christ !

 

Mes frères,

 

            A l'époque de Saint Benoît, la société était encore structurée sur des modèles hérités du paganisme. Entre autre il y avait des hommes libres et des esclaves. Naturellement, sous l'influence du christianisme, on reconnaissait aux esclaves la qualité de personne. Pourtant, ils demeuraient soumis à des contraintes vis à vis de leur maître, et surtout pour ce qui regardait le travail.

            C'est à eux en effet, et à eux seuls, qu'étaient confiés les travaux durs et pénibles. Jamais un homme libre ne les aurait eu touché du bout des doigts, ces travaux. Notez qu'aujourd'hui, dans notre subconscient collectif qui s'exprime à travers notre vocabulaire, cette distinction existe encore. On parle en effet des besognes serviles qu'on ne peut pas faire le dimanche. C'était autrefois un grand point de la théologie morale : les besognes serviles.

 

            Par contre, il est très honorable d'exercer une profession libérale, une profession réservée en principe aux hommes libres. Et naturellement, à l'époque de Saint Benoît, là, c'était vraiment quelque chose qui séparait les hommes les uns des autres.

            Mais à l'intérieur du monastère naturellement, pour Saint Benoît, toutes ces différences seront nivelées. Pourquoi ? Parce que, comme il le dit bien : Nous sommes tous un dans le Christ, et nous portons tous une aequalis servitutis militiam, 2,53. Et c'est traduit : Nous portons tous les mêmes armes au service d'un même Seigneur.

            Vous voyez, on a escamoté ici le mot servitutis. N'oublions pas que le Christ a choisi, lui, délibérément la condition d'esclave.... Si bien que devenir l'esclave du Christ, c'est à dire se donner à lui de tout son être sans jamais faire de distinction, à l'intérieur de ce que lui demande, c'est un honneur.

 

            Si bien que aujourd'hui, comme le rappelle Saint Benoît, que nous soyons esclaves ou que nous soyons libres, nous sommes tous UN dans le Christ. Ce sont des choses qui pour nous paraissent toutes ordinaires aujourd'hui après près de vingt siècles de christianisme. A l'époque de Saint Benoît, il fallait encore enfoncer cette vérité dans le cœur des hommes. Si Saint Benoît en parle ici, c'est parce que c'était nécessaire.

            Dans cet esclavage librement assumé par le moine, on accède à la dignité et à la liberté des fils de Dieu. Il n'y a pas d'autre route. C'est en devenant esclave à la manière du Christ que je deviendrais aussi fils de Dieu à la manière du Christ. Il n'y a pas d'autre chemin que celui-là.

 

            Enfin, en théorie, c'est très bien. Mais dans la pratique, surtout à l'époque de Saint Benoît, c'est assez difficile parce que, nous nous en doutons bien, ce clivage entre les hommes avait créé un conditionnement invétéré. Si bien qu'il y avait un grand danger que, à l'intérieur du monastère, l'esclave reste l'esclave et l'homme libre reste l'homme libre, que l'homme libre fasse faire son travail par l'esclave. Cela peut encore se trouver aujourd'hui .

            Je connais une situation par exemple - ce n'est pas ici, soyez tranquille - où un frère dira : Est-ce que vous ne pouvez pas faire mon lit ? Est-ce que vous ne pouvez pas cirer mes souliers ? Est-ce que vous ne pouvez pas faire ceci ou ça pour moi ? Et toujours demander ça aux mêmes personnes. Attention, mes frères, à cette mentalité, parce que je vous dis : nous n'en sommes pas éloignés. C'est inscrit dans notre subconscient.

 

            Et alors, il fallait passer de ce conditionnement social à un autre conditionnement, celui de la charité. L'homme libre devait accepter des besognes serviles, tandis que l'esclave, lui, ne devait pas se griser d'une fausse liberté. C'est pourquoi le moine devra vivre du travail de ses mains. Ce travail sera dosé suivant les forces et les capacités de chacun, mais personne n'en sera exempt. Tout le monde devra collaborer à l'économie du monastère, à l'équilibre économique du monastère.

            Ce n'était pas comme ça sans la société civile de l'époque. L'économie reposait uniquement sur les travailleurs-esclaves ou alors certains artisans. Les hommes-libres, eux, ils étaient libres de faire ce qu'ils voulaient. Si dans leurs loisirs, ils voulaient bricoler, et bien, c'était bien. Ils n'étaient pas obligés. Tandis que les esclaves, eux, c'était leur statut : le travail.

 

            Si bien, mes frères, que l'effort de conversion devait porter jusqu'à la racine, à la racine de l'être. Mais je vous le dis encore une fois, pour nous, c'est difficile d'imaginer les choses parce que nous sommes en dehors de tout cela. Mais pour Saint Benoît, cela devait certainement constituer un problème. Et la réussite de cette conversion générale dépendait d'abord de l'Abbé. Pourquoi ?

            Mais parce que l'Abbé étant, par mission reçue de Dieu, le dépositaire du souffle de vie, du souffle de vie divine, il devait répandre ce souffle dans le cœur de ses frères, et cela sans compter, sans faire de distinction. Et le canal qui permettait à ce souffle de vie de toucher chacun, c'était l'amour, la caritas. Il ne fallait pas, comme le dit Saint Benoît, que l'Abbé aime l'un plus que l'autre. Non. Il n'y aura pas d'exception de personnes. Pas plus qu'il n'y a d'exception des personnes chez Dieu, il n'y a pas d’exception des personnes chez l’Abbé qui est dans le monastère le représentant de Dieu.

 

            Aujourd'hui, mes frères, il n'y a plus d'esclaves ni d'hommes-libres. Nous sommes tous libres, en principe. Il n'y a plus qu'un seul esclavage, c'est l'esclavage du péché, l'esclavage de l’égoïsme, l'esclavage des passions, des désirs pervers. C'est de cet esclavage que nous devons être libérés aujourd'hui. Et là encore, il n'y a que providentiellement comme Dieu l'a voulu, il n'y a que le souffle de vie qui vient du cœur de l'Abbé. Mais de cela, je devrais parler une autre fois.

 

            Il y a aussi dans le monastère aujourd'hui, ce qui introduit des différences, c'est l'âge, les âges différents, des intelligences différentes, des degrés d'habileté différents, des santés différentes. Eh bien, il ne faut pas que tout cela introduise, attention, de nouveaux clivages dans les cœurs. L'Abbé ne peut pas aimer un frère parce que ce frère est plus intelligent, ou parce que ce frère est plus habile, ou bien qu'il fait rentrer de l'argent dans le monastère, ou bien qu'il est plus représentatif, je dirais, du moine idéal.

            Non, non, non. Il doit au contraire porter son attention, Saint Benoît le dira, sur ceux qui sont les plus faibles, les plus difficiles, les plus malades, comme dans une famille on doit veiller surtout sur les enfants handicapés, malades, difficiles. Ce sera la bioéthique, je vous en ai déjà parlé autrefois après le passage du père Boné.

 

            Mes frères, mais ce qui se passe normalement dans le cœur de l'Abbé doit se passer aussi dans le cœur de chacun des frères. Il faut que nous soyons tous attentifs les uns aux autres pour qu'il n'y ait pas même chez nous je parle ici pour chacun d'entre vous - qu'il n'y ait pas en vous de, voilà, des sortes de catalogues où on trouve répertoriés les frères suivant leurs qualités réelles ou supposées.

            Non, entre nous tous doit régner un même amour pour que chacun se sente accepté tel qu'il est et encouragé à devenir ce que Dieu attend de lui.

 

Chapitre 2, 60-80 : De l’Abbé.                   14.05.87

      Le cœur de l’Abbé !

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît nous a dit que nous étions tous un dans le Christ, et cela quelque soit nos particularités personnelles, nos singularités individuelles, quelque soit notre niveau de culture, d'intelligence, d'habileté technique, professionnelle, quelque soit notre âge, quelque soit notre origine, quelque soit notre ethnie.

            Tous ces traits qui nous sont propres sont voulus par Dieu qui nous a créés tels parce qu'il nous aime. C'est à cause de cela que nous sommes uniques et que nous sommes beaux. Toutes ces différences subsisteront à jamais. Vous verrez, mes frères, que plus tard lorsque nous serons transfigurés, nous serons encore les mêmes. Nous nous reconnaîtrons les uns les autres, et nous nous admirerons, et nous nous respecterons.

 

            Mais aujourd'hui, ces différences sont assumées et elles sont fondues au sein d'une même vie, la vie du Christ ressuscité. Cette vie nouvelle, divine, fait de nous un seul Corps qui est mû par la charité, par l'agapè. Et cette charité rayonne de ce Corps comme le soleil. Une communauté qui ne rayonnerait plus la surabondance de charité qui l'anime, elle serait un astre mort. Et c'est ainsi que Saint Benoît parle du Corpus monasterii. Chaque membre y a sa place, sa fonction. Et chaque membre est indispensable.

            Nous sommes donc bien réellement et concrètement UN dans le Christ. Et pourtant, c'est une idée qui est encore à faire. De même, nous sommes déjà ressuscités avec le Christ, en lui, et pourtant notre résurrection est encore en voie d'accomplissement. Nous sommes dans les derniers temps depuis que le Christ est ressuscité. Tout est achevé.

 

            Tout est accompli et pourtant tout est encore à faire. C'est là le paradoxe de la condition chrétienne, de notre condition présente. L'unité du monastère, l'unité en Christ, elle est déjà réalisée et pourtant des forces de dispersion sont toujours à l’œuvre en elle.

            Le monastère est le lieu où se vit ce paradoxe de notre condition d'aujourd'hui. C'est le lieu où on s'efforce de le résoudre et de l'annuler. C'est le lieu d'un combat, d'une espérance et d'une victoire.

            Mais il est cependant un lieu où cette unité de tous les frères en Christ, où cette unité est vraiment, mais réellement et définitivement accomplie, achevée, parfaite. Et ce lieu, mes frères, c'est le cœur de l'Abbé. En lui tous les frères sont unis par la charité, par l'amour que l'Abbé leur porte à chacun personnellement et à tous en tant que communauté. Et cette charité ne peut pas faillir.

 

            Le cœur d'un véritable Abbé est donc le lieu où le projet de Dieu est accompli et où la vie triomphe. Et c'est dans ce sens-là que l'Abbé sera vraiment pour ses frères, et parmi ses frères, le vicaire du Christ. Voyez ce qui lui est demandé. C'est surhumain. C'est surnaturel.

            Pour qu'il en soit ainsi, il faut que le Christ ait triomphé en lui ; que ce ne soit plus lui qui vive, mais le Christ qui vive en lui; que ce ne soit plus lui qui respire, mais l'Esprit Saint qui respire en lui. Il faut que la vie déborde de son cœur et atteigne tous les frères dans l'indicible, dans le secret. Mais à l'intérieur de son cœur, là, l'unité est faite. Et c'est le gage de l'unité qui sera réalisée un jour de la même façon, mais sous une autre forme, dans le monde de la résurrection.

            Eh voilà, mes frères, voyez tout ce que Saint Benoît nous dit : ... ? ... quelques petits mots, lorsque ... ? ... nous sommes UN dans le Christ et que l'Abbé doit porter à chacun une aequalis caritas, un amour qui se répand sur tous d'une façon égale.

 

Chapitre 2, 81-91 : De l’Abbé.                   15.05.87

      Au service des hommes !

 

Mes frères,

 

            L'Histoire nous rapporte que Saint Pacôme reçu d'un ange la mission de servir la race des hommes. C'est à partir de cette révélation divine que se construisit et s'organisa lentement ce qui devait devenir la vie monastique cénobitique.

            Et en même temps, nous voyons apparaître un trait essentiel de la physionomie spirituelle de l'Abbé. Il sera au service des hommes assemblés autour de lui, des hommes qui sont venus librement, des hommes qui ont répondu librement à un appel de Dieu qu'ils ont perçu au fond de leur cœur.

 

            Le souffle de vie divine déposé par Dieu dans le cœur de l'Abbé le sera donc au bénéfice des autres. L'Abbé, certes, en sera lui aussi bénéficiaire, le premier bénéficiaire. C'est certain. Il pourrait très bien en abuser. Mais à ce moment-là il ne serait plus un Abbé, et ce souffle s'écarterait de lui.

            Non, s'il l'a reçu, c'est d'abord au bénéfice des autres. Il sera, comme la lecture Evangélique nous l'a rappelé ce matin, il sera au milieu de ses frères comme celui qui sert. Il est là, non pas pour être servi, mais pour servir et donner sa vie.

            Saint Benoît fait sienne cette vision de l'Abbé. Il dit : L'Abbé doit savoir que il a reçu une chose, une rees, difficile et ardua, et rude qui sera de regere animas, 2,84, et - c'est là que je voulais en venir - multorum servire moribus, 2,85. Etre au service du caractère d'un grand nombre.

 

            Lorsque Saint Benoît use du terme mores - qu'on peut traduire par caractères, tempéraments - c'est un mot pluriel. Nous ne devons pas le prendre dans un sens léger, péjoratif comme si Saint Benoît voulait dire qu'il fallait se mettre au service des travers, des manies, des défauts, des tics de ses frères. Non, non, non, les mores, c'est ce qui définit le tempérament, la personnalité de chacun. C'est ce qui fait l'unicité et la beauté de chaque frère. C'est sur ces mores que se construit la vocation d'un moine. C'est à partir de ces matériaux que Dieu entreprend de façonner un saint.

 

            L'Abbé va donc prendre les frères comme ils sont. Il ne doit pas les vouloir semblables à lui. Non, il doit au contraire cultiver ce qu'ils sont de manière à ce que sur ce terreau puisse se greffer une vie nouvelle, la vie du Christ ressuscité. Cela ne doit pas signifier, comme le dit Saint Benoît ailleurs, qu'il doit entretenir et nourrir les vices de ses frères. Non, dans la mesure des es forces, il doit veiller à les extirper, ou du moins à les corriger, à les atténuer.

            Il ne peut pas pactiser avec le mal qu'il voit chez le frère, mais il doit - il y a du mal, c'est certain - il doit le constater, il doit le prendre sur lui. Il doit par le souffle qui habite en lui s'efforcer de, voilà, de chasser ce mal. Mais il ne peut le faire qu'à la façon du Christ, en donnant sa vie.  L'Abbé doit donc embrasser les vues de Dieu sur chacun des frères et servir les frères donc les aider à réussir leur vocation à partir de ce qu'ils sont.

 

            C'est évident en soi, mais ce n'est pas si évident dans la pratique car, comme dit Saint Benoît, c'est vraiment difficile et ardu.  Pourquoi ? Mais la destinée de chacun des frères est une destinée d'ordre surnaturel, mais toujours pleinement incarnée.

            La tentation de facilité, c'est de faire fi de cette incarnation, c'est de considérer les frères presque comme des purs esprits, ou comme des âmes logées dans des corps plus ou moins bien ou mal formés, mais une âme qui finalement serait indépendante de sa prison et qui devrait ne pas en tenir compte et essayer de s'en dégager, de s'en évader.

            Tout cela, mes frères, c'est de l'illusion, c'est une fuite. La réalité, c'est que chaque homme est à la fois esprit et corps. Ce n'est pas un esprit incarné, mais  c’est un corps ....?.… et un corps qui doit être entièrement spiritualisé, donc transformé par l'Esprit Saint qui l'habite. C'est cela le souffle, ce souffle qui doit être répandu, qui doit être entretenu et toujours fortifié.

 

            Voilà, mes frères, c'est ainsi que l'Abbé doit renoncer à des vues trop personnelles, exclusivement personnelles pour emprunter les vues de Dieu qui ne sont pas nécessairement les siennes. C'est pourquoi il doit renoncer à ce qu'il est lui-même. Il doit mourir à lui-même pour, d'une certaine façon, déjà vivre sa résurrection en Christ et ainsi permettre à l'Esprit qui l'habite d'agir en toute liberté et efficacité.

 

            Voilà, mes frères, demain nous terminerons ce chapitre consacré par Saint Benoît à nous présenter un portrait de l'Abbé qui ne pouvait être que son portrait à lui ou le portrait de ces grands prédécesseurs, de ces grands ancêtres dont notre père Saint Pacôme.

 

 

Chapitre 2, 92-fin : De l’Abbé.                   16.05.87

      Conduire des âmes !

 

Mes frères,

 

            Nous venons de l'entendre, l'Abbé ne peut mettre en balance le salut des âmes et la gestion des affaires temporelles. Cela ne signifie pas qu'il puisse, qu'il ait le droit de négliger le matériel. Le domaine de Dieu doit être géré sainement. Nous ne sommes pas ici chez nous. Nous sommes ici chez Dieu. Rien ne nous appartient. Tout appartient à Dieu.

            Nous sommes des gérants, mais le matériel ne peut tout de même pas occuper la première place dans son coeur. Car tout ce qui est d'ici-bas est destiné à passer. Tandis que les âmes, le salut des âmes, ce sont des réalités éternelles.

 

            Je viens justement de lire la deuxième Epître aux Corinthiens : Les choses que nous voyons sont pour un temps, elles sont transitoires, passagères, dit l'Apôtre Paul, tandis que celles que nous ne voyons pas, elles sont éternelles. Il nous met ainsi d'un coup à l'intérieur du domaine de Dieu, dans la foi, dans cette vision crépusculaire qui nous fait percevoir déjà la réalité qui fonde jusqu'à notre univers matériel. Et cette réalité éternelle, Dieu et son projet, et tout l'environnement de Dieu, cette réalité ne passe pas. Tandis que le matériel se détruit. C'est le phénomène de l'entropie. Nous le connaissons tous.

 

            Donc, la mission de l'Abbé, Saint Benoît nous l'a dit hier, il nous le répète deux fois aujourd'hui, c'est de regere animas, 2,96 et 2,102, c'est de conduire les âmes. C'est conduire les frères à la perfection de leur vocation, c'est à dire leur salut.

            N'entendons pas salut dans un sens étroit. Le salut, pour nous, c'est l'accomplissement de notre être spirituel et charnel, l'un ne va pas sans l'autre. Au terme de notre vie, nous connaîtrons la résurrection de la chair. Ce sera une chair spiritualisée. Nous ne pouvons pas imaginer ce que c'est, mais ce sera toujours une réalité charnelle.

            Nous sommes appelés à devenir un seul esprit avec le Christ et un seul Corps entre nous. Si bien que le Corpus monasterii, le Corps du monastère brillera de tous les feux de sa beauté lorsque chacun d'entre-nous sera transfiguré en l'image du Christ ressuscité. 

 

            C'est un idéal, certes, qui est humainement inaccessible. On pourrait penser : mais il ne se réalisera jamais ! Attention, mes frères, dans l'invisible de Dieu cet idéal s'accomplit déjà dans la mesure où la charité règne entre nous. L'Abbé ne travaille donc pas pour son compte propre. Il est au service de Dieu et de ses frères.

            La qualité essentielle de l'Abbé, c'est d'être pour les autres à la manière du Christ. Le lieu de son habitat, c'est l'agapè, c'est l'amour et la lumière. Il ne peut laisser entrer dans son coeur une pensée qui soit étrangère à l'amour. Et quand je dis cela, je sais très bien à quoi je m'engage. Je porte sur moi un jugement, le propre jugement de Dieu.

            Saint Benoît, attention, il le dit aussi : L'Abbé doit être certain que, au jour du jugement, il répondra devant le Seigneur de toutes ces âmes, et de plus, sans nul doute, de la sienne propre. 2,106.

 

            Or, pour pouvoir se tenir droit devant le Seigneur au jour de jugement, l'Abbé doit avoir dès maintenant établi sa maison dans l'amour. C'est à cette condition qu'il se sauve lui-même et qu'il accomplit sa vocation. Donc, le salut de l'Abbé est acquis dans le salut des frères : d'abord le salut des frères, puis celui de l'Abbé. C'est une mission difficile, vous devez bien vous en rendre compte.

 

            Alors l'Abbé, et ici je pense à moi, a grand besoin de la bienveillance et de la prière de ses frères. Alors, je sais que je puis compter sur la vôtre. Et c'est pour moi, je vous prie de le croire, un puissant encouragement pour lequel je vous remercie.

 

 

Chapitre 2, 81-91 : De l’Abbé.                   14.09.87

      Se rappeler, savoir !

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît utilise à deux reprises et à quelques mots d'intervalle les verbes se rappeler et savoir. Ainsi Israël devait se rappeler qu'il était un peuple choisit par Dieu et savoir que cette élection entraînait des obligations et des devoirs. Perdre la mémoire de ces choses, sombrer dans l'oubli, est la source de tout péché.

            Saint Benoît nous dira au début du chapitre de l'humilité que nous devons à tout prix fuir l'oubli, oblivionem omnino fugiat, 7,31. En effet, l'oubli de ce que nous sommes nous fait perdre notre identité, nous fait perdre le sens de notre vie. Et c'est là la descente dans une spirale, la spirale de la dégénérescence spirituelle, humaine même. Et tout au fond, c'est la catastrophe. On s'écrase dans le néant.

 

            Nous vivons, en chrétienté et surtout dans le monastère, portés, entourés par une suite ininterrompue de rappels. Ce ne sont pas des rappels à l'ordre, non, ce sont des rappels qui nous tiennent en éveil. Le plus grand de tous est l'Eucharistie : Faites ceci en mémoire de moi ! à dit le Christ. Aussi notre Office Divin, pensez à tous ces psaumes : ces psaumes dit historiques sont le rappel de ce que nous sommes, de ce que nous pouvons devenir si nous sombrons dans l'oubli.

            Vivre sous le regard de Dieu, vivre dans la lumière de Dieu, c'est écarter de soi la possibilité de l'oubli. C'est vivre, non pas dans le souvenir, dans le passé, non, mais dans le rappel permanent, constant, d'une présence, cette présence de l'amour qui nous entoure, qui nous réchauffe, qui nous fait grandir, qui veut s'emparer de nous et nous transfigurer.

 

            Ici, c'est l'Abbé qui doit se rappeler et qui doit savoir. Il doit se rappeler de deux choses, dit Saint Benoît, se rappeler ce qu'il est et se rappeler le nom qu'il porte. Il doit donc accepter qu'un regard soit posé sur lui, le regard de Dieu, le regard des frères. Il doit laisser ce regard le pénétrer, non pas pour le dominer, le détruire. Il ne doit pas en être complexé, mais ce regard doit le tenir en éveil, doit l'empêcher d'oublier. Il est Abbé, c'est à dire père, engendreur, enseigneur.

            Il est le Vicaire, le Lieutenant du Christ. Saint Benoît nous a dit tout cela au début du chapitre. Il doit en être pénétré. Il doit être le premier à le croire. Il doit être d'accord pour que les autres le voient et le traitent comme tel. L'Abbé doit savoir deux choses : qu'il est exigé davantage de celui à qui plus est confié et que la charge qu'il a reçue est difficile et ardue, 2,84. Laborieuse, dit le texte français; ardue, dit le texte latin. C'est plus que laborieux, c'est vraiment difficile, ardu.

 

            La mission abbatiale ou le nom d'Abbé n'est pas un honneur dont on se pare, ni une gloriole dans laquelle on se prélasse. C'est un devoir de chaque heure, une mission dont il faudra rendre compte. Il sera exigé beaucoup de l'Abbé. C' est une des raison entre autres pour lesquelles sa charge est difficile et ardue. C'est un devoir de chaque heure au sujet duquel il devra rendre un compte rigoureux.

            Il ne doit pas être écrasé par sa mission. Il doit plutôt être porté par elle. Car si il croit vraiment tenir dans le monastère la place du Christ, il sait que l'Esprit du Christ habite en lui et il apprend à s'effacer devant cet Esprit, à permettre à l'Esprit de parler par sa bouche. La bouche parle de l'abondance du coeur. Si le coeur est empli de l'Esprit de Dieu, ça débordera par la bouche d'une façon ou d'une autre tôt ou tard.

           

            Il faut donc que l'Abbé accepte tout simplement d'être pour ses frères présence du Christ dans le labeur de l'exemple et ..?..  ..?.., dans la mort à soi et la mort au monde, dans le don de la vie, de sa vie pour les autres, et aussi dans la merveille de la résurrection. Il doit élever les autres jusqu’à l'intérieur de l'univers de Dieu. Mais pour cela, il doit lui-même y entrer, dans cet univers.

            Cela signifie concrètement que ses réactions doivent être des réactions de foi. Même si la faiblesse humaine fait que parfois le réflexe premier est un réflexe de passion, le second réflexe doit immédiatement corriger le premier. Et ce doit être toujours un réflexe de foi et d'amour.

 

Chapitre 2, 44-59 : De l’Abbé.                   13.05.88

      La loi de l’amour !

 

Mes frères,

 

            Dans l'esprit de Saint Benoît et de la Tradition monastique toute entière depuis ses origines, le monastère doit être sur terre une réplique de ce Royaume mystérieux que nous appelons le ciel.  Nous avons vu hier que le Christ nous a emmenés avec lui auprès de son Père, à l'intérieur de ce ciel. C'est là une réalité d'ordre ontologique concrète, réelle. Nous n'y pensons peut-être pas suffisamment. Pourquoi ?

            Mais parce que nous sommes encore écrasés par le poids de la chair, cette chair qui est destinée à la corruption, qui est toujours très agissante et qui crée comme une muraille entre ce que nous sommes vraiment et ce qu'il nous semble être. Le monastère doit être le lieu où on apprend à se connaître tel qu'on est. 

            Attention ! Je ne pense pas ici à des introspections d'ordre psychologique ou même d'ordre spirituel. Mais nous devons découvrir ici la réalité, la vérité de notre être profond, de notre être éternel qui est, je le rappelle et je le répète, et je ne le répéterai jamais assez, qui est déjà entré dans le ciel, et qui est déjà auprès de Dieu le Père avec le Christ et en Lui.

 

            Vivre suivant cette condition qui est la nôtre est un idéal difficilement accessible justement à cause du poids de la chair. Le rôle de l'Abbé est précisément de prouver par sa conduite que cet idéal n'est pas impossible. C'est cela que souhaite Saint Benoît. Il le dit encore aujourd'hui lorsque il rappelle que pour l'Abbé d'abord, et pour tous les frères ensuite, la loi qui régit le monastère, c'est la charité, c'est à dire la loi même du ciel, la loi même de Dieu.

            Dieu est charité, Dieu est amour. Cela signifie que Dieu ne vit pas pour lui, mais qu'il vit pour les autres. La raison d'être de ce geste extraordinaire, fou, que Dieu a posé, et qui s'appelle la création, la raison de la création, c'est uniquement l'amour. Dieu a créé parce qu'il est l'amour, parce qu'il n'est qu'amour.

 

            La loi dans le lieu qui est le sien, c'est donc l'amour. La loi dans le monastère qui est la réplique sur terre de ce ciel, c'est l'amour. La conduite de l'Abbé doit donc être réglée toujours par cette charité, par cet amour. L'Abbé, dit Saint Benoît, témoignera à chacun une égale charité, 2,57. Il ne fera pas acception des personnes, 2,44.

            La charité, cette charité-là, c'est un amour de dilection, donc un amour préférentiel qui désire le bien réel de chacun des frères. Si l'Abbé était le Christ, mais vraiment le Christ, vraiment, ou bien si le Christ avait été Abbé, chacun des frères aurait eu le sentiment d'être préféré aux autres.

 

            C'est cela l'amour de dilection : chacun doit avoir l'impression d'être aimé comme si il était seul, comme si l'Abbé n'avait que un seul frère à aimer. Et c'est le bien réel alors de chaque frère, qui n'est pas un épanouissement humain, qui n'est pas une réussite humaine, mais qui est l'apparition dans ce frère de ce qu'il est, c'est à dire un fils de Dieu, un être en voie de transfiguration, un être qui respire et qui transpire l'amour.

            L'Abbé devra donc veiller dans la mesure de ses moyens à la croissance de la charité en chaque frère de manière à accélérer le mouvement, le processus d'une métamorphose qui, d'un paquet de chair, d'un paquet préfabriqué va faire un fils de Dieu, donc un homme qui finalement réagit toujours comme le Christ réagissait, comme Dieu lui-même réagit.

 

            Et alors, mes frères, s'il en était ainsi de chacun d'entre nous, vraiment la présence du ciel sur la terre serait réalité. C'est vers cet idéal que nous devons tendre chacun pour notre part, et tous ensemble. D'ailleurs quand on se présente au monastère pour y entrer, instinctivement c'est ce qu'on espère trouver.

 

            Eh bien, je puis dire que c'est déjà présent, mais sous une écorce qui paraît encore bien rude. Et quand on pense à avoir soi-même des yeux nouveaux, donc des yeux d'un homme qui connaît le bonheur de sa propre métamorphose, quand on commence à avoir des yeux de Christ, des yeux de Dieu, on s’aperçoit qu'il en est bien ainsi, que ce Royaume est présent sous les écorces.

 

            Alors, mes frères, demandons au Seigneur cette grande grâce. Demandons-là pour chacun d'entre nous et pour tous, cette grâce de la pureté du cœur. Qu'il purifie notre cœur ! Et lorsqu'il se livre à ce travail qui est sa principale et son unique occupation, lorsqu'il s'y livre sur nous, ne crions pas au scandale. Cela fait mal, c'est certain ! Cela fait mal lorsqu'il arrache hors de nous l'égoïsme, lorsqu'il remet en ordre les passions qui bouillonnent en nous.

 

            Alors remercions-le plutôt et demandons lui de bientôt pouvoir admirer la merveille qu'il réalise en chacun d'entre nous. Et ainsi, nous ne nous arrêterons plus aux apparences qui, je puis vous le dire, sont souvent bien trompeuses. Oui, c'est vraiment une grande grâce de pouvoir admirer la flamme divine qui est dans le cœur de chacun.

 

 

Chapitre 2, 60-80 : De l’Abbé.                   13.09.88

      Des indisciplinés et des turbulents !

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît nous présente ce soir le tableau d'une communauté monastique de son époque. C'était peut-être son propre monastère ? Nous n'en savons rien, il ne le dit pas. En tout cas, il y a un étalage cru, je n'irai pas jusqu'à dire cynique, de la situation réelle que Saint Benoît a connue dans le monde monastique de son temps.

            Il y a des indociles et des turbulents. Le mot latin est beaucoup plus évocateur, il parle des indisciplenati et des inquieti, 2,65. On devrait dire des indisciplinés, c'est à dire des frères qui ne veulent pas se placer dans la position du disciple.

 

            Le tout premier mot de la Règle, c'est Ausculta, Ecoute. Celui qui ne peut pas écouter, celui qui refuse d'écouter n'est pas un disciple. Le propre du disciple, c'est d'écouter, c'est se taire, c'est recevoir un enseignement, de le méditer, de l'assimiler.           

            L'indisciplinati n'accepte pas cette position. Il s'imagine sans doute n'avoir plus rien à apprendre, tout savoir. Ou bien il a peut-être peur d'écouter parce que c'est compromettant, très compromettant pour lui. Il se verrait invité à se convertir, à changer de vie, à modifier son comportement. Il remarquerait ses défauts, ses failles.

            Non, il préfère se boucher les oreilles. Lorsque on traduit par indocile, on rend le sens de indisciplinati. Et ces hommes qui n'acceptent pas d'être enseignés, ce sont des sarabaïtes aux petits pieds. Le meilleur pour eux, c'est ce qui leur passe par la tête.

 

            Saint Benoît parle aussi des inquieti. C'est traduit par turbulents et c'est juste. C'est juste, mais turbulent en français n'est pas tellement péjoratif. On dira d'un enfant qu'il est turbulent pour dire qu'il est en bonne santé. Mais ici, inquieti, ce sont des hommes qui ne connaissent pas le repos, ce sont des agités. Ils ne connaissent pas le repos.

            Cela ne veut pas dire qu'ils sont toujours en mouvement, mais ils sont toujours partout là où ils ne devraient pas se trouver. Ils ont toujours des choses à regarder, des choses à apprendre, des choses à colporter. Ils ne sont pas tranquilles aussi longtemps qu'ils ne savent pas tout ce qui se passe dans le monastère. C'est leur nourriture. C'est agité, c'est une maladie. C'est d'abord une maladie mentale, psychique.

 

            Mais ça peut être aussi une maladie spirituelle, des hommes qui ne sont pas heureux dans le monastère. Alors, pour tromper leur faim de bonheur, ils courent partout et ils essayent de se nourrir en ouvrant les portes de la curiosité, de leur curiosité. Alors, des hommes pareils, ils sèment le trouble, ils dérangent les autres.

            Comme ils colportent les nouvelles vraies ou fausses - car pour eux cela n'a pas d'importance, ce qu'il faut c'est avoir quelque chose à raconter - ils sèment le trouble dans une communauté et finalement ils y détruiraient la paix. Ce sont des gens dangereux, ce sont des gyrovagues en puissance.

 

            Le vrai moine est un homme qui vit dans le quies, dans la paix, dans le repos. Il est dans un lieu, le sien. Même à l'intérieur du monastère, il est à sa place, il est à son rang. Et il y est bien, il est heureux.

 

            Et c'est à cette place-là qu'il converse avec Dieu, qu'il le regarde, qu'il reçoit de lui tout ce dont il a besoin pour grandir spirituellement. Le moine, le vrai moine est un homme tranquille, il est à l'intérieur du quies. Tandis que l'inquietus, celui qui est en dehors du quies, celui-là, c'est un qui déjà dans son coeur ne respecte pas la stabilité.

            Il y a une stabilité à l'intérieur du monastère. Je dois rester à l'endroit qui est le mien. Je n'ai pas à courir partout. Voyez ici, les indociles plutôt genre sarabaïtes tandis que les gens qui courent partout c'est plutôt le genre gyrovagues. Faisons bien attention à cela !

 

 

Chapitre 2, 81-91 : De l’Abbé.                   14.09.88

      Des négligents et des rebelles !

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît parle ici d'un bon troupeau qui doit croître en vertus et en nombre. Hier, nous entendions un tout autre son de cloche. Si vous voulez, nous allons ce soir pendant quelques minutes encore contempler cette communauté composée de moines indociles, turbulents, et comme le dit Saint Benoît un peu plus loin, négligents et rebelles, negligentes et contemnentes, 2,68.

            Les négligents, ce sont ceux qui ne se soucient ni de Dieu ni de leurs frères, ni de la communauté, ni des biens. Ils en font peu de cas. Pour eux, ça ne les intéressent pas. Saint Benoît dit ailleurs qu'il faut considérer chaque objet du monastère comme les vases sacrés de l'autel et les traiter, les manipuler avec autant de soins, 31,22.

            Le négligent se moque de tout cela. La seule chose qui l'intéresse, ce sont ses aises à lui. Mais pour le reste, qu'on ne vienne pas m'ennuyer avec toutes sortes de services qu'il faudrait accomplir ponctuellement et jusqu'au bout. Non, de tout cela il n'en a cure.

 

            Un tel moine sera facilement un contemnent, 2,68, un contempteur. On le traduit par rebelle, ici. Le contempteur, lui, rejette carrément et la Règle et les frères. Il est rempli de lui-même. Il regarde les autres de très haut. Il regarde la Règle de plus haut encore.

            La seule règle qui l'intéresse, c'est sa propre volonté, ce sont ses idées. Quant aux frères, ce sont tous des imbéciles et il est le seul intelligent. Il les envoie donc promener dans son coeur et à l'occasion par un geste, une parole ou regard. Voilà ceux qui méprisent !

 

            De tels hommes entreront facilement en rébellion parce qu'ils vivent tout de même à l'intérieur d'une communauté qui a une ordonnance, qui à un ordre, qui a un rang. Ils s'adaptent difficilement à la vie communautaire. Ils se heurtent à toutes sortes de choses contrariantes. Ils vont donc se révolter. Ce seront facilement des murmurateurs. Ils ne seront .jamais contents.

            Ils critiquent tout : tout y passe, depuis l'Abbé jusqu'au dernier des frères, et aussi tout ce qu'on fait. Ils sont vraiment contre les autres, et alors derrière les autres, contre Dieu. C'est pour ça qu'on traduit à bon droit par rebelle. Mais à l'origine de cette rébellion, il y a le mépris. On méprise les autres.

 

            C'est pourquoi, mes frères, nous devons être en garde. Attention au jugement que nous portons sur les autres. Dès l'instant où je regarde un frère en portant un jugement sur lui, je commence à le mépriser. Je me pose comme étant son juge. Je m'estime supérieur à lui. Un frère humble ne juge jamais un autre.

            S'il regarde un autre - je ne dis pas que c'est pour chanter ses louanges, non - mais il a tout de même toujours de l'admiration dans son coeur. Car derrière l'enveloppe extérieure, il voit la vie divine qui palpite à l'intérieur du frère qui est peut-être encore faible. Mais ça ne fait rien, la vie divine, elle se déploie à l'intérieur de la faiblesse.

 

            La vie divine, quand je dis qu'elle est faible, cela veut dire qu'elle rencontre peut-être tellement d'obstacles, tellement de maladies psychiques, physiques, spirituelles, qu'elle n'a pas l'occasion de déployer toute sa puissance. Mais attention, elle est toute puissante et au dernier jour, c'est elle qui aura le triomphe de son côté.

            C'est pourquoi, mes frères, exerçons-nous à regarder les autres avec les yeux de Dieu. Demandons au Christ de nous prêter son regard. Et ainsi nous serons toujours dans la vérité.

 

            Si je dis à un frère, même le plus, voilà, un de ceux dont Saint Benoît parle ici, si je dis : « Mais voilà, il n'y a tout de même rien à faire avec un pareil ! », à ce moment-là je le méprise. Je le jette en enfer. Je me prends vraiment pour qui ? Mais pour Dieu ! Mais Dieu n'agit pas comme ça. Dieu est compatissant. Dieu est doux. Dieu est patient, il sait attendre.

            On dira : « C'est facile, il a l'éternité devant lui ! » Mais non, Dieu ne vit pas à l'intérieur de notre durée. Dieu est patient parce qu'il voit déjà ce frère entièrement transfiguré dans le monde à venir. Un vrai contemplatif qui commence à percevoir la lumière de Dieu et la beauté du Christ, celui-là raisonne de la même façon que Dieu. Il dit que rien n'est jamais perdu, que du contraire.

 

            Mais il y en a encore d'autres. Saint Benoît les appelle les improbi, ce qui est traduit ici par les méchants, 2,75. Les improbi, ce sont des gens qui n'ont pas de noblesse. Ce sont des gens bas, vils, malhonnêtes, vicieux, mauvais. On dirait que leur plaisir, c'est de faire du mal aux autres. On le traduit, c'est bien traduit par méchant, des hommes méchants. Il y a donc dans le monastère de Saint Benoît, il n'y a que des hommes méchants, mauvais. Attention, encore une fois, tout ça c'est le comportement extérieur !

            Saint Benoît ne juge pas les consciences mais il voit, et il va demander à l'Abbé de prendre en charge des hommes pareils et d'essayer de les convertir, de les corriger par des verges, des châtiments corporels. On y allait pas de main morte alors !

 

            Il y en a encore d'autres, mais il est temps d'aller à l'église prier pour nous-mêmes et prier pour tous ceux qui sont catalogués ici par Saint Benoît. Mais soyons honnêtes et reconnaissons qu'il y a un peu de tout ça en nous. Peut-être pas à un degré visible à l'extérieur ?

            Mais aussi longtemps que notre coeur n'est pas purifié, qu'il n'est pas devenu un diamant dans lequel peut librement jouer la lumière de Dieu, il y aura toujours en nous quelque chose d'indocile, de turbulent, de négligent, de rebelle et même de méchant. C'est pourquoi, prenons-nous nous-mêmes en pitié, prenons les autres aussi en pitié et confions-nous tous à la miséricorde de Dieu.

 

Chapitre 2, 92-fin : De l’Abbé.                   15.09.88

      Effrontés, orgueilleux, désobéissants !   

 

Mes frères,

 

            Il ne doit pas être facile de rendre compte de toutes les âmes qui sont confiées à la sollicitude d'un Abbé surtout lorsqu'il trouve parmi ses brebis des échantillons du genre de ceux que nous présente Saint Benoît.

            Nous sommes arrivés à ceux qu'il appelle des duri, 2,75. Ce ne sont pas des hommes durs, c'est à dire des violents qui ne regardent pas à leurs peines pour s'emparer du Royaume de Dieu, non, ce sont des caboches dures, des têtes dures, des hommes qui ne tiennent qu'à leurs idées. Ils sont effrontés, insolents. Ils n'ont pas d'oreilles, ils sont sourds.

 

            Il y en a d'autres encore, ce sont les superbi, 2,75. Ce sont ceux qui se croient plus haut placés que les autres. Ce sont des gens hautains, arrogants, emplis d'eux-mêmes. Ils regardent tout des sommets humains sur lesquels ils se sont élevés par jactance, par illusion. On le traduit par des orgueilleux, oui, mais c'est encore pire que de l'orgueil, c'est un orgueil ridicule.

 

            Il y a enfin les inoboediens, 2,76, les désobéissants, ceux qui refusent d'obéir. Ils sont affligés d'une sorte de complexe, un complexe de contradiction. Ils se posent contre, contre tout ce qu'on dit, tout ce qu'on fait. Ce sont des réflexes infantile. Ceux qui ne sont jamais d'accord, ils n'ont pas atteint l'âge de 5 ans, pas même 4 ans. Physiquement ils peuvent en avoir 70, mais psychiquement ils ont trois ans. Il faut bien se le dire.

            C'est l'âge, à trois ans, où on s'oppose à tout pour s'affirmer. On dit toujours non. Donne la main à Monsieur ! Non ! Fais ceci ! Non ! C'est une petite crise de croissance. C'est nécessaire à cet âge là. Mais quand on réagit comme cela à 40, 50, 60, 70 ans, vous comprenez que c'est grave.

 

            Mais heureusement, heureusement pour nous, il y en a d'autres également dans le monastère. Saint Benoît en parle. Il y a des oboedientes, 2,66, il y a des moines obéissants; il y a des mites, il y a des moines qui sont doux; il y a des patientes, il y a des moines qui sont patients; il y a des honestiores, 2,73, des hommes qui sont vraiment honnêtes, délicats.           

            Il y a enfin des intelligibiles. Il y a tout de même des gens intelligents aussi, mais sainement intelligent, vraiment intelligent. Cela ne veut pas dire que ce sont des hommes capables de faire des études supérieures. Non, ils ont du bon sens. Ils sont intelligents. Ils connaissent leurs limites. Et ils écoutent. Ils ont le souci des autres. Ils ne récriminent pas. Ils supportent le poids de la vie. Ils créent une ambiance de paix.

 

            Maintenant, quelle en est la proportion ? Vous avez donc deux catégories, deux types de moines : quelle est la proportion à l'intérieur du monastère de Saint Benoît ? Et des monastères de son temps ? Cela, nous l'ignorons, nous ne le savons pas et nous ne le saurons jamais. Notez qu'à l'époque de Saint Bernard, c'était encore la même chose.

            Dans un ou l'autre de ses sermons il en parle, il le dit. C'est encore la même chose à son époque. Et quand on pense qu'il y avait 600 à 700 moines dans son monastère, ça ne peut pas être rien et il a certainement un fameux compte à rendre au jour du jugement pour tous ces régiments d'hommes.

 

            Mais on pourrait se demander : Est-ce que aujourd'hui, c'est encore comme ça ? Il semble qu'on pourrait dire non, ou alors c'est des cas isolés qui seraient plutôt d'ordre pathologique, égarés dans un monastère. Mais on peut dire que le monde, que dans le monde ça existe encore et dans d'énormes proportions même dans les, disons, dans les classes sociales les plus élevées.

 

            J'ai reçu la visite dernièrement d'une religieuse qui travaille dans le social. Cela se fait aujourd'hui. Elles vivent en petites communautés, des petites fraternités dans ces nouveaux appartements qu'on construit en ville, ces blocs de 8,9, 10 étages. Et là-dedans peuvent vivre 7 à 800 personnes. De petites casernes !

            Elle m'a raconté des histoires invraisemblables de ce qui se passait là-dedans. Je lui disais : mais vous devriez écrire un livre là-dessus, car ça, c'est le monde d'aujourd'hui.  Quand on voit ici la ...?... de Saint Benoît, il devait aussi se passer de fameuses choses puisque on a même tenté d'empoisonner Saint Benoît.

 

            Eh bien, mes frères, remercions Dieu puisque les temps ont bien évolués. Mais soyons tout de même sur nos gardes parce que dans le fond de notre coeur, nous portons toujours des virus, des virus qui sont cachés là dans notre égoïsme. Prenons toujours bien garde. Celui qui est debout, qu'il prenne bien garde de ne pas tomber. Remercions Dieu et demandons aujourd'hui la grâce de la fidélité et qu'il nous fasse évoluer toujours vers la douceur - je le répète, qui est cette qualité essentielle du moine - la douceur et la compassion.

 

Chapitre 2, 29-43 : De l’Abbé.                   11.09.89

      L’Abbé enseigneur !

           

Mes frères,

 

            Il est clair que pour saint Benoît l'enseignement oral de l'Abbé doit être la transposition sur le registre verbal de toute une conduite qui doit être en conformité avec la Loi du Seigneur. Il ne faut pas qu'il y ait de discordance entre la parole et l'action sinon l'Abbé serait un fumiste, un charlatan, un menteur.

            Mais soyons tout de même raisonnable. Il n'y aura jamais une équation parfaite car l'Abbé comme ses frères est un être faible, fragile, vulnérable. Il doit lui aussi subir les assauts des pensées des démons de la chair et il doit présenter à ses frères un idéal. Forcément, puisqu'il est un homme, il sera toujours en de ça de cet idéal qui est devant chacun d'entre nous et vers lequel nous devons tendre.

 

            Ce n'est que dans le ciel que nous serons parvenus là où nous espérons aller. Et encore, à ce moment nous aurons toujours des progrès. Nous irons de vertu en vertu comme dit le Psaume. Pourquoi ?

            Mais parce que la beauté de notre Dieu est insondable, sa richesse, sa sagesse, sa vie, sa nature. Si bien que nous serons toujours portés vers l'avant par ce que Evagre appelle un élan d'amour porté à son degré le plus sublime. Nous aimerons, non pas de façon statique, mais de façon dynamique comme tout véritable amour.

            Eh bien, dans la mesure du possible, l'Abbé doit être pour ses frères un exemple de cet amour qui ne cherche en tout que Dieu, sa justice et son équité, son équilibre.

 

            Il pourrait arriver qu'un Abbé ne soit pas dans de telles dispositions. Saint Benoît le prévoit au chapitre quatrième de sa Règle où il dit qu'il faut obéir en tout aux ordres de l'Abbé si même, ce qu'à Dieu ne plaise, il agit autrement, se souvenant du précepte du Seigneur : « Faites ce qu'ils disent, mais ce qu'ils font, gardez-vous de le faire » 4,72.

            Ce serait une situation vraiment difficile pour les frères de bonne volonté d'avoir sous les yeux de mauvais exemples dans le chef de leur Abbé. Mais malgré tout, il faudrait obéir. La place du disciple, c'est l'obéissance ; et la place de l'Abbé, c'est l'enseignement. Mais attention ! Il doit tout de même lui, l'Abbé, obéir en tout au Christ son Maître et au-delà du Christ à la Sainte Trinité. Il doit être le premier obéissant.

 

            Et comme le dit saint Benoît, il devra rendre compte de deux choses : rendre compte de sa doctrine et de l'obéissance de ses disciples. C'est un peu difficile de devoir rendre compte de la façon dont les frères obéissent. Eh bien, je pense que l'Abbé s'en tirera facilement si lui-même a toujours été dans toute la mesure du possible obéissant à la Loi divine. A ce moment-là, il ne pourra pas faire davantage.

            Le monastère n'est pas un camp de concentration où le moindre écart est puni peut-être de mort. Mais non, c'est un endroit où volontairement, en toute liberté, on choisit d'obéir au Christ. Et l'Abbé ne peut pas faire plus que d'encourager ses disciples à marcher sur cette route.

 

 

Chapitre 2, 81-91 : De l’Abbé.                   14.09.89

      Les trois murailles !

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît nous dit que la mission confiée à l'Abbé est une chose difficile et ardue, laborieuse. Et ce qui lui est demandé, c'est de regere animas, 2,84. C'est des âmes, c'est à dire des personnes qui deviennent de plus en plus le temple de l'Esprit et qui doivent être acheminées avec patience jusqu'au Royaume de Dieu, c'est à dire jusque dans le coeur même de la Sainte Trinité. Et cela, dès cette vie.

 

            L'Abbé doit encourager et aider ses frères à franchir une triple muraille. Je vous ai déjà expliqué cela il y a très longtemps, peut-être bien dix ans, mais c'est toujours agréable de le reprendre sur un mode nouveau. Et ces trois murailles sont le mur de la peur d'abord, puis le mur de la lassitude et enfin le mur de la mort.

 

            Le mur de la peur ? Mais c'est la peur d'abandonner toutes ses sécurités. On est bien dans sa peau. On se connaît. On est le complice et l'ami de son moi préfabriqué. Eh bien, il faut abandonner toutes ses sécurités et prendre le risque de partir dans l'inconnu, le risque d'une conversion. On sait que ce sera dur et on a peur.

            L'Abbé doit donc encourager ses frères à surmonter cette peur qui est instinctive. Mais il peut aussi devenir un obstacle sur la route qui conduit à Dieu et un obstacle aussi infranchissable qu'un mur. Il doit donc apprendre à ses frères à abandonner cette peur.

 

            Et lorsque cette muraille est franchie, il y en a une seconde qui est encore plus élevée que la première, et c'est la muraille de la lassitude. Il n'y a rien qui change, il n'y a rien qui bouge, c'est toujours la même chose. On a vraiment vaincu la peur. On s'est donné au Christ, et voilà qu'on piétine. Rien ne se passe, on a toujours les mêmes défauts. On rencontre toujours les mêmes difficultés et le moi préfabriqué est encore bien vivant même si on n'en a plus peur.

            Et on fini par se demander j: à quoi bon ? On se fatigue, on se lasse et on remet tout en question. C'est en terme plus technique la fameuse acédie. On ne sait plus où on en est, on ne sait plus ce qu'on fait. Et l'Abbé doit aider le frère à prendre patience. Per patientiam, dit Saint Benoît, Pr.l19, il faut savoir attendre.

            Il se passe dans l'invisible du coeur des changements qui sont profonds mais qui ne sont pas perceptibles. Et ce qui est fait pour durer toute l'éternité doit grandir lentement. Ce ne peut pas être comme l'arbrisseau de Jonas qui avait poussé en une seule nuit et qui a disparu aussi vite.

 

            Et lorsqu'on a franchi la muraille de la lassitude, il y a la dernière qui est la plus dure de toute, et c'est la muraille de la mort. Il faut donc mourir, mourir à ses volontés propres, à ses idées, à ses plans, à ses projets, à ses goûts, à ses sentiments, enfin à tout ce qui donne un élan naturel à la vie. Il faut mourir à tout ce qui est charnel. Le Christ l'a bien dit, ce matin encore au cours de l'Eucharistie : « Celui qui veut garder sa vie, il est certain de la perdre. Par contre, celui qui prend le risque de la perdre, celui-là est certain de la gagner et de gagner une vie nouvelle, celle même de Dieu, la vie éternelle. »

 

            Et cette mort, elle se trouve partout dans notre vie. Et c'est là peut-être que l'Abbé doit être le plus encourageant pour ses frères. La mort, elle est présente du matin au soir. Elle se présente à nous comme un gouffre dans lequel on tombe et dont on ne sort plus. C'est le gouffre de l 'humilité.

            Et la chiquenaude qui nous y fait tomber à tout moment et toujours plus bas, c'est l'obéissance. Obéir, c'est toujours mourir un peu. Et mourir un peu, c'est devenir plus humble parce que c'est ressembler de plus en plus au Christ qui s'est fait obéissant jusqu'à mourir. C'est le sens de la commémoraison que nous avons fait ce jour, la Croix Glorieuse.

 

            Mais il est une mort qui est peut-être une des plus dures dans notre vie, et c'est celle-ci : c'est lorsqu'on n'en a jamais fini de mourir. La muraille de la mort, elle, doit être franchie. Mais c'est une muraille qui non seulement est très élevée mais aussi très épaisse.

            Si j'ai bon souvenir de mes études d'humanité, je ne sais plus de qui, mais c'est la description de la ville de Babylone. Et je ne sais combien de chars avec les chevaux pouvaient faire la course sur les murailles de Babylone. Imaginez la largeur !

            Eh bien, la muraille de la mort est très épaisse. Et voilà, quand on est au-dessus, il faut encore la traverser dans toute sa largeur.

 

            Et voici, mes frères, une chose qui nous attend tôt ou tard. Il peut arriver qu'un frère pendant des années, pendant 10, 20, 30, 35 ans s'est acquitté d'une charge, d'un emploi avec un dévouement et une compétence vraiment exemplaire. Et voici que un jour par suite de maladie, par suite d'infirmité, par suite de circonstances indépendantes de la volonté du frère, il doit dire : « Maintenant, c'est fini ! » Voilà, il doit être déchargé de son emploi.

            Eh bien, mes frères, ça c'est peut-être une des dernières morts qu'il faut subir dans un monastère. Mais à ce moment-là, lorsqu'on assume bien, qu'on accepte cette volonté inéluctable de Dieu et qu'on y entre, avec souffrance peut-être, mais dans la foi et la charité, à ce moment-là on peut dire que ce frère-là, et bien, il a réussi sa vie monastique.

            Malgré ses défauts, malgré des choses qui restent et qui font partie de notre visage extérieur, on peut dire qu'il a réussi parce que il a alors franchi les trois murailles. Il arrive au bout de la troisième et, de l'autre côté ce sera comme Saint Benoît le dit : les espaces infinis de la véritable charité.

 

Chapitre 2, 92-fin : De l’Abbé.                   15.09.89

      Regere !

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît insiste, il rappelle à l'Abbé que son premier devoir est la Regere animas, 2,84, de conduire des âmes, c'est à dire de guider sur les routes du Royaume vers la ...?… qui est Dieu lui-même, des êtres qui sont promis à une existence éternelle, à un avenir de divinisation, à une participation consciente, pleine, entière, parfaite à la propre vie du Créateur.

            Et c'est la raison pour laquelle l'Abbé ne doit pas donner un soin exagéré aux choses passagères, terrestres et caduques. Il y a ici une opposition entre les ...?… et les choses passagères. D'un côté, il y a des destinées qui sont frappées du sceau de l'éternité et de l'autre côté il y a des choses corruptibles qui sont condamnées à disparaître.

 

            Si donc l'Abbé commence à s'intéresser outre mesure à ces choses terrestres, transitoires et passagères, à ce moment, il oublie de conduire sur les routes de l'éternité les hommes qui lui sont confiés.

            Il y a donc toujours ici un choix qui se décide dans le coeur de l'Abbé : ou bien choisir les choses invisibles qui sont éternelles, ou bien les choses visibles qui sont condamnées à disparaître ? Ou bien il va vivre dans la sphère de la foi et de l'amour, ou bien il va commencer à calculer et à devenir un simple administrateur ? Mais non pas de la maison de Dieu, mais de choses que d'une façon ou d'une autre il s'approprie, qu'il fait sienne.

            Il y a donc là un danger, un piège qui guette l'Abbé au premier chef, mais aussi chacun des frères dans ..?.. ..?.., car si l'Abbé est responsable des animae qui lui sont confiés, chacun des frères est responsable aussi de la façon dont il assume sa vocation et sa destinée.

 

            Il utilise aussi le mot regere. Et pour le comprendre, il faut se référer à la terminologie classique de l'Ancien Testament. On la retrouve au début du Psaume 22 : Le Seigneur me conduit, il ne me manque absolument rien. On traduit : Le Seigneur est mon berger. Il y a donc là l'idée que la communauté monastique est une caravane qui traverse, qui passe. La communauté monastique vit en état de nomadisme. Elle ne se sédentarise pas, elle ne s'installe pas.

            Elle vit dans un lieu. Elle a donc un vœu, une détermination de stabilité dans un lieu. Mais en réalité, c'est à fin de pouvoir spirituellement être plus libre, plus disponible pour ce passage, pour ce voyage, pour cet exode à partir des choses caduques, terrestres et transitoires, passagères et corruptibles vers l'incorruptibilité du Royaume de Dieu.

            Si nous voulons ainsi bien examiner la Règle de Saint Benoît, nous découvrons une quantité de détails qui nous rappellent sans cesse à la vérité de notre état monastique, à sa ... ?.., à sa beauté.

 

            Maintenant si l’Abbé - avec sa communauté naturellement parce que la communauté va suivre l'Abbé - si l'Abbé commence à s'installer dans des choses corruptibles, la caravane freine. Elle s'installe quelque part. Elle perd donc sa spécificité de nomade.

            Elle n'est donc plus en route vers l'au-delà du transitoire, du caduque, du corruptible vers l'incorruptibilité du Royaume de Dieu. Non, elle est comme asphyxiée dans une région polluée. Elle devient alors elle-même une véritable pollution. Elle perd sa raison d'être.

            Elle devient une entreprise comme une autre dont le but n'est pas de passer outre, mais de jouir de plus en plus de ce qui est à la disposition immédiate de chacun.

 

            Mes frères, vous voyez, ce que nous dit ici notre Père Saint Benoît nous touche de très près. Et si l'Abbé devra rendre des comptes, chacun des frères aussi devra rendre des comptes pour la façon dont il aura géré sa vie personnelle, mais aussi de la façon dont ils auront exercé une influence sur l'ensemble du Corps. Car la santé ou la maladie d'un seul affecte l'état de santé du Corps dans sa totalité.

 

            Voilà, mes frères, encore quelques petites remarques qui me viennent comme ceci à l'esprit quand j'écoute la lecture de la Règle. J'ai peut-être l'avantage étant ancien de connaître à peu près par coeur la Règle de Saint Benoît dans son texte original latin.

            Si bien qu'il y a là des tas de nuances qui sont devenues comme familières, mais qui appellent à être éveillées à la conscience de ceux qui n'ont pas pendant des années et des années entendus lire le texte de la Règle en latin.

            C'est pourquoi je suis content de pouvoir à l'occasion ainsi vous éclairer de manière à ce que de mieux en mieux vous compreniez la beauté unique de la vocation à laquelle nous avons été appelés.

 

Chapitre 2, 29-43 : De l’Abbé.                   11.01.92

      La vérité !

 

Mes frères,

 

            Il apparaît, à travers ce que Saint Benoît nous dit ce soir que la qualité première, fondamentale, de l'Abbé dans l'exercice de sa mission, c'est la vérité. En principe, il ne doit pas avoir de discordance entre son enseignement et sa conduite, entre ses paroles et ses actes. Naturellement il faut quelque peu nuancer le caractère abrupt d'une telle affirmation car l'Abbé est un homme faible, fragile, vulnérable, exposé lui aussi à toutes les tentations et à toutes les erreurs. Mais ça n'empêche pas que son devoir est d'être un homme vrai.

 

            L'adéquation entre son discours et son agir ne sera jamais parfaite. Tout en étant foncièrement vrai, il sera toujours à la recherche de la vérité car celle-ci n'est pas une abstraction métaphysique. Elle est une personne. Elle est l'être même de Dieu venu à nous dans la chair du Christ Jésus qui nous a dit : Moi, je suis la vérité: Moi je suis venu sur la terre pour rendre témoignage à la vérité. Et le témoignage que j'en donne, c'est ma propre personne.

 

            Que doit donc faire l'Abbé ? Il doit, me semble-t-il, s'il veut rester dans la ligne de ce que lui propose Saint Benoît, il doit proposer à ses frères l'idéal monastique le plus élevé et le plus beau. II ne peut pas transiger avec cet idéal. Il n'a pas le droit de l'édulcorer. Saint Benoît ne le fait pas. L'Abbé qui est son fils et son successeur n'a pas le droit de le faire.

            Cela ne signifie pas naturellement qu'il ait déjà atteint lui-même cet idéal, mais qu'il le recherche de tout son être et qu'il en a déjà tout de même une certaine expérience. Car s'il en parle, ce ne peut pas être de façon purement spéculative car alors ses paroles ne porteraient pas. Il y aurait en elles quelque chose d'artificiel que les frères sentiraient.

            Il est donc nécessaire qu'il parle exabudantia cordis c'est à dire que ça doit sortir des profondeurs de son coeur qui sait déjà un peu de quoi il s'agit.

 

            Voilà, le devoir de l'Abbé, c'est donc de permettre au Christ d'être la vérité à l'intérieur de son coeur. Cette assimilation au Christ, elle s'opère dans le secret. Elle ne paraît pas au-dehors. Si elle paraissait au-dehors, elle ne serait pas réelle. L'être profond d'un homme est transformé. Il subit une mutation, mais c'est une affaire toujours entre la Sainte Trinité et cet homme. Cela concerne aussi ses compagnons de vie.

            Cela concerne même l'humanité entière, celle d'aujourd'hui, celle d'hier et celle de demain. Mais ce n'est pas un spectacle qui est donné. Dieu est invisible. L'action de Dieu est tout aussi invisible et il arrive bien souvent, pour ne pas dire toujours, que le saint est totalement inaperçu même de ceux qui lui sont le plus proche.

 

            Eh bien voilà, il faut donc que l'Abbé s'ouvre à la vérité qu'est le Christ. Et s'il le fait, ses frères croiront plus facilement qu'il est dans le monastère le vicarium Christi, le vicaire du Christ, le représentant du Christ. Et ainsi leur foi sera plus facile.

            Maintenant, à partir de ces prémices que sont la vérité, on peut déduire un corollaire. C'est que les rapports entre l'Abbé et les frères doivent être régis par l'honnêteté et la bonne foi.  Donc, il faut que la vérité ne soit pas seulement dans le coeur de l'Abbé, mais aussi dans le coeur des frères. A ce moment-là, on peut se fier les uns aux autres.

            Si on veut commencer à jouer au plus malin, que ce soit du côté de l'Abbé ou du côté des frères, mais tout est perdu. On n'est plus dans un monastère, on est dans le monde. On aurait l'impression que le Christ a déserté le lieu et que le monde l'a envahi. Dans le monde, on joue toujours au plus malin ; dans le monastère, ce n'est pas possible.

 

            Naturellement cela ne signifie pas de la part de l'Abbé qu'il doive tout raconter à ses frères, qu'il doive tout dire. Il y en a aujourd'hui qui exigent une transparence totale de l'Abbé, comme on dit. C'est le terme qu'on utilise. Mais ça non plus ce n'est pas sain car il est des choses qui doivent demeurer confidentielles.

            Et cela, les frères doivent le comprendre. Et une telle discrétion n'entame nullement la confiance réciproque. Au contraire, elle l'affermit car le frère sait très bien que les choses qui le concerne ne seront pas divulguée.

 

            Alors, retenons encore ceci : ce qui est destiné à durer, à perdurer, à grandir, à se développer, à s'épanouir, ce qui est destiné à durer se construit sur le terrain de la vérité. Car le Christ est la vérité première et dernière. Tout part de lui et tout s'édifie en lui, même la création matérielle.

            J'irai même plus loin, je dirai même les affaires, même une brasserie, j'irai jusque là. Il faut donc que cette vérité du Christ pénètre tout notre agir à l'intérieur du monastère. La vérité a en effet les promesses de l'éternité. Celui qui fait la vérité, est-il dit, il demeure éternellement.

 

            Par contre, ce qui est bâti en dehors de la vérité finit par se disloquer et périr. Cela vaut pour notre vie personnelle, cela vaut pour la vie d'une communauté. Mais tout ça, encore une fois,  part au premier chef de l'Abbé dont la responsabilité est énorme parce que, comme le dit ici Saint Benoît, comme il le donne à entendre, sa qualité première doit être d'être vrai. 

            Attention. lui dit-il : Pourquoi annonces-tu mes justices et déclares-tu mon alliance par ta bouche, toi qui hais la discipline et rejettes mes Paroles, 2,40 Toi qui apercevais un fétu dans l’œil de ton frère, tu ne voyais pas la poutre dans le tien, 2,43. Et à ce moment, comme le dit Saint Benoît, après avoir prêché aux autres, il sera lui-même réprouvé, 2,37.

 

            Alors, mes frères, ça ne peut pas arriver, ni pour moi, ni pour personne ici. Essayons donc de construire toute notre vie sur la vérité et que nos rapports fraternels soient dominés par un besoin, un désir de vérité. Car encore une fois la vérité, c'est le Christ, la vérité est Dieu et, dans un monastère, il n'y a rien qui tienne, il n'y a rien qui se construise, il n'y a rien qui puisse durer si ce n'est pas totalement imprégné de vérité.

            Nous demanderons cette grâce, elle est déjà ici, c'est pour ça que je puis parler avec tellement de liberté. Nous allons demander pour qu'elle s'affermisse et qu'elle avance toujours plus près de son idéal qui est la Personne même du Christ dans son être de vérité.

 

Chapitre 2, 1-28 : Des qualités de l’Abbé.      10.01.93

      L’Abbé est la tête du corps !

 

Mes frères,

 

            Hier soir, Saint Benoît nous disait son intention d'organiser l'état des cénobites, le coenobitarum fortissimum genus, 1,35, la race extrêmement forte des cénobites, ces hommes qui militent sous une Règle et un Abbé. Et aujourd'hui, il commence par nous parler de l'Abbé.

            Cela semble en contradiction avec la vision théologique actuelle concernant l'Eglise. En effet, le Concile Vatican II a proclamé la priorité du peuple de Dieu. On s'attendrait donc à ce que logiquement Saint Benoît nous parle d'abord de la communauté. Or, il n'en est rien, il parle d'abord de l'Abbé.

 

            Il est donc original en sa personne et en sa doctrine. Et ne pensons pas qu'il refléterait une opinion théologique courante à son époque et que nous devrions rectifier, corriger. Non, il affirme une vision de foi hors de laquelle la vie cénobitique perd tout sens. Elle est comme désorientée ; elle ne sait plus où elle va.

 

            En effet, tout gravite autour du fait que l'Abbé tient la place du Christ. Pour la foi, il est le Christ ; creditur, 2,5, dit Saint Benoît. C'est une question de foi. Ce n'est pas une question de logique, c'est une question de foi.

 

            Or, le Christ, dans l'Eglise, est premier, il est la tête du Corps. Il en est le créateur, le sauveur, le sanctificateur. Toute la vie qui est en lui - la vie divine car il est Dieu - il la partage avec tous les membres de son corps. Elle coule de lui jusqu'aux dernières cellules de ce corps qui devient alors un locus, un lieu où Dieu est tout en toutes choses.

 

            Eh bien, pour Saint Benoît et dans la réalité des choses, l'Abbé qui est dans le monastère, est la personne même du Christ. Aux yeux de la foi, l'Abbé doit être la tête, l'âme, 1'inspirateur et le sauveur du corpus monasterii.

            Si bien que le monastère, le corps que constituent les frères, est donc non pas un groupement, une société d'hommes qui se sont réunis pour atteindre un tel but ; non, le corpus monasterii est une réalité mystique comme l'Eglise est une réalité mystique.

            Le corpus monasterii est une ecclesia. N'oublions jamais que les premiers cisterciens désignaient leurs monastères comme des Eglises. Ils avaient, eux, le sens de cette réalité mystérieuse qui est un monastère. Au cours des temps, cela s'est peu à peu estompé mais, je pense que l'heure est venue de retrouver cette vérité et d'en vivre.

 

            Si bien que l'Abbé ne peut jamais se désolidariser des frères qui sont comme son corps. Il porte leurs péchés à la façon du Christ a été fait péché pour la multitude. Donc, l'Abbé doit savoir que lui aussi a été fait péché pour rédimer tous ses frères.

            Quand il en aura conscience, à ce moment-là, il sera arrivé au douzième degré d'humilité, car il se tiendra devant Dieu dans l'attitude pécheur qui porte non seulement ses propres iniquités, mais aussi, surtout, et d'abord celles de tout son Corps, le Corps qui est monastère.

 

            Le premier devoir de l'Abbé est donc de devenir un saint. Pour eux, je m'efforce de devenir un saint, disait le Christ à son Père avant de commencer sa passion. Voilà ce qu'on entendait dans la bouche du Christ, lui qui était le Saint par excellence.

            Mais il voulait dire par là qu'il se consacrait totalement à la mission qui lui était confiée et qu'il n'en dévierait pas. Et il faisait cela pour les membres de son corps.

 

            Tel doit être aussi le sentiment de l'Abbé ! Vous voyez que ce n'est pas rien. C'est tout autre chose qu'un administrateur ; c'est tout autre chose que le premier des frères, celui qui arrange les histoires dans un monastère. Non, il est une réalité mystique exactement comme le Corps.

            Et les frères prendront conscience de leur appartenance mystérieuse à ce Corps dans la mesure où ils sont en communion avec l'Abbé. Et c'est la raison pour laquelle la peine de 1'excommunication est mortelle pour un frère.

            Nous autres, nous avons perdu tout cela de vue ; nous vivons dans un monde rationnel, dans un monde relativiste, dans un monde cartésien. Mais nous devons essayer de nous ressaisir et de voir les choses comme elles sont, dans leur beauté.

 

            Eh bien, de là découlent toutes les qualités que doit avoir l'Abbé, à commencer par l'humilité. Car il doit savoir que ce n'est pas lui finalement qui va vivre, mais que c'est le Christ qui doit vivre en lui, à travers ses défauts, à travers ses limites, à travers ses impuissances, à travers sa vulnérabilité, à travers ses peurs, à travers tout, c'est le Christ.

            N'oublions pas que le Christ, au moment d'entrer dans sa passion, a eu terriblement peur. Il a tellement eu peur qu'il a voulu presque prendre la fuite. Mais voilà, non, son propos était de se consacrer jusqu'au bout à sa mission.

 

            Eh bien voilà, mes frères, telle est la réalité que Saint Benoît nous découvre aujourd'hui ; mais seule la foi permet de la découvrir et d'en vivre. Alors, je pense qu'il faut toujours beaucoup prier pour l'Abbé car il y va du bien de tous. En priant pour l'Abbé, on prie pour soi. Et en priant pour soi, on prie pour tous les frères, et on prie pour l'Abbé car nous formons une unité dans le cœur de Dieu.

 

Chapitre 2, 29-43 : De l’Abbé.                   12.05.93

      Qu’aurions-nous fait ?

 

Ma sœur, mes frères,

 

            Quand on est Abbé, peut-on entendre de telles paroles sans être impressionné?  Je me rappelle cette parole de Saint Bernard qui parlant de Saint Benoît et se voyant en face de lui disait : « Voilà au moins un Abbé ! » Et moi, devant lui, que suis-je comme Abbé ? Et c'était Saint Bernard ! Il prenait donc au sérieux ce que notre saint législateur enseignait.

            Et il m'est venu ce matin un idée que je vais vous partager en toute simplicité. C'est un peu drôle sans doute, mais enfin vous savez de qui elle vient. Elle vient de votre serviteur mais, peut-être au-delà, elle vient de 1'Esprit Saint qui, vous savez, est en Dieu la folie.

 

            Si nous avions vécu à l'époque du Christ, si nous avions été au nombre de ses disciples, comment aurions-nous réagi ? Mais aujourd'hui, pouvons-nous poser cette question ? Notre plus grand bonheur ne serait-il pas de vivre sans arrêt dans l'intimité du Seigneur Jésus ?

            Nous savons qui il est. Nous savons que après notre résurrection d'entre les morts, et cela pour toute l'éternité, c'est lui, et lui seul qui sera la source et l'accomplissement de notre béatitude. Nous serons comblés, rassasiés en lui, rassasiés d'être avec lui. Alors, sachant tout cela, si nous avions vécu à son époque lorsqu'il allait et venait sur le terre d'Israël, est-ce que çà n'aurait pas été le sommet de notre bonheur ? Nous nous serions attachés à lui sans le lâcher.

            Voilà, c'est ce que nous pensons certainement. Autant commencer tout de suite à être complètement heureux. autant commencer tout de suite d'être branché sur lui, à vivre dans sa lumière, à devenir soi-même lumière et beauté, la sienne.

 

            Eh bien, voici maintenant où commence la folie : on devrait, dans le monastère, pouvoir se dire en toute sincérité : je suis pleinement heureux de vivre dans la compagnie de l'Abbé ! Il est, aux yeux de ma foi, il est le Christ en personne.

            Le Christ Jésus, lorsqu'il était sur notre terre, on lui reconnaissait des défauts. Il était aussi un homme limité, sinon son incarnation eut été un leurre, une duperie. D'ailleurs certains l'ont mal jugé et l'ont condamné. Donc, il n'était pas évident qu'il fut Dieu, qu'il fut l'accomplissement de toute béatitude possible.

 

            Eh bien, il devrait en être de même pour l'Abbé. Il faudrait que le regard de notre foi fut assez pur, assez transparent que pour voir en lui, derrière le voile des défauts, des déficiences, de voir la personne même du Christ ressuscité qui rayonne sa lumière et qui métamorphose ceux qui se donnent à lui.

            C'est cela le principe même de la vie cénobitique et de la présence d'un Abbé dans le monastère ! Sinon on pourrait très bien s'en passer, il suffirait d'organiser la société monastique sous une forme démocratique quelconque, avoir un président de république qu'on peut remplacer tous les ans, tous les deux ans. Non, la mission de l'Abbé dans le monastère, elle est d'ordre mystique.

 

            Mais maintenant, maintenant si on se place dans la peau de l'Abbé, il doit savoir que il devrait pour bien faire être un saint, c'est à dire avoir conscience que ce n'est plus lui qui vit mais que c'est le Christ qui vit en lui et que, à ce moment, il doit être pour ses frères la source, l'origine de leur épanouissement, de leur bonheur, et de leur sécurité, et de leur paix.

 

            Voyez un peu, si on veut aller jusqu'au bout de notre vision de foi, voyez un peu à quelle hauteur nous devons nous élever, moi de mon côté et vous du vôtre ! Et à cela, nous devons nous aider mutuellement.

            Je sais bien que c'est totalement hors de portée des forces humaines, mais rien n'est impossible à l'Esprit de Dieu. Et encore une fois, la sagesse de Dieu, elle peut paraître folie au regard des hommes, mais en réalité elle est l'unique sagesse possible pour un homme.

            Il faudrait pouvoir se dire :  mon plus grand bonheur, c'est de vivre à côté de cet Abbé, et de vivre avec lui ; et mon plus grand bonheur, ce serait de mourir avant lui pour que au moment de sa mort à lui, eh bien, je le retrouve parce qu'il n'est pas possible de vivre hors de lui - encore une fois - parce qu'il est pour moi la personne du Christ ressuscité.

 

            Voyez quelle exigence, mes frères ! Mais je pense que j'énonce là une vérité qui est essentielle. Encore une fois, c'est un idéal humainement inaccessible, mais en dehors de cet idéal, la vie cénobitique, elle n'a pas de raison d'être. Nous ne sommes pas dans le monastère pour devenir des hommes parfaits.

            Nous sommes dans le monastère pour ressusciter d'entre les morts parce que nous vivons dans la communauté du Seigneur Jésus présent dans un homme qui est l'Abbé. Voilà , Il ne faut pas penser que je suis prétentieux en disant cela. l'énonce simplement une vérité qui me paraît nous crever les yeux du coeur parce qu'elle s'impose.

 

            Eh bien, nous allons , si vous le voulez bien, essayer d'en faire une réalité, que cela ne reste pas comme ça dans le ciel des idées, mais qu'elle s'incarne en chacun d'entre nous, que je sois ce que je dois être, que vous soyez ce que vous devez être.

            Et que, non seulement vous soyez heureux de vivre avec l'Abbé, mais aussi à partir de là heureux de vivre les uns avec les autres, de pouvoir se dire : « Je veux commencer mon ciel ici, et mon bonheur, je le trouve dans mes frères à partir de cette origine qu'est l'Abbé. Je pense que c'est là vraiment le sommet de la vie cénobitique. Nous allons prier afin que nous nous approchions tout de même de cet idéal.

Chapitre 2, 92-fin : De l’Abbé.                   15.05.93

      La foi de l’Abbé et des frères !

 

Ma sœur, mes frères,

 

            En conclusion de ce chapitre concernant les qualités de l'Abbé, je voudrais ce matin vous partager quelques réflexions qui sont montées dans mon coeur après l'office de nuit. Vous voyez, c'est tout chaud !

 

            Pour bien faire, l'Abbé doit être passé de l'autre côté du voile. Il doit librement arpenter les espaces infinis du royaume promis par le Christ et, il doit pouvoir dire aux autres : « Voilà comment on vit dans l'univers merveilleux qu'est Dieu lui-même. »

            Mais de leur côté, les frères doivent être avides de connaître à leur tour cette vie nouvelle. Ils doivent croire que là est leur véritable vocation, ils doivent mettre tout en œuvre pour la réaliser.

 

            Il existe donc une dialectique permanente entre l'expérience de l'Abbé et la foi des frères. L'expérience de l'Abbé est la foi parvenue au sommet le plus haut ici bas et la foi des frères est une confiance sans borne en la Parole de Dieu.

            Et cette foi, elle est source d'espérance et d'amour, elle est la possession commencée de ce qui est promis. 0n comprend que le creditur de Saint Benoît est le pivot autour duquel tourne toute la Règle et le fondement sur lequel tout se construit.

            Naturellement, tout cela est un idéal. C'est ainsi que les anciens voyaient l'Abbé, c'est ainsi que les frères réagissaient en sa présence.

 

            Nous sommes à nouveau entrés dans l'intimité de Macaire l'Egyptien qui a été un des plus grands Abbés de tous les temps. Et nous sentons de suite quand nous sommes en sa présence que cet homme connaît déjà la petite résurrection. Il est à l'intérieur du Royaume de Dieu et il parle avec autorité de ce qu'il voit et de ce qu'il vit. Et nous remarquons que ses disciples sont suspendus à ses paroles et qu'ils les suscitent même : « Dis-moi une parole pour que je vive ! »

 

            Nous devons permettre à l'Esprit Saint de purifier insensiblement notre coeur jusqu'à ce que nos yeux contemplent dans les personnes, dans les choses, dans les événements l'action de l'amour de Dieu sur chacun.

            Car les choses parmi lesquelles nous vivons, les hommes que nous rencontrons, les frères que nous côtoyons, les événements qui se passent regardent chacun d'entre nous, exercent leur action sur chacun d'entre nous parce que tous sont créés par l'amour qui est Dieu. Il n'existe rien d'indifférent.

 

            Et la contemplation consiste précisément, non pas à savoir cela, mais à le voir et à s'y prêter, et à entrer dans toutes ses actions et dans tous ses mouvements de manière à devenir de plus en plus souple et, grâce à cette souplesse, de pouvoir passer par la toute petite porte qui ouvre sur le Royaume de Dieu.

            Lorsque cela se passe ainsi, l'Abbé et les frères deviennent ensemble un couloir, un passage par lequel l'humanité transite pour accéder à Dieu. Nous sommes en effet mystérieusement unis à tous les hommes de tous les temps.

 

            Je ne sais plus où j'ai lu cela dernièrement, mais c'était justement cela qui était rappelé. Le véritable chrétien, celui qui se laisse métamorphoser par Dieu, il est contemporain de tous les hommes et de tous les temps. Le but de la vie chrétienne n'est pas de faire cette expérience, ce serait encore une extrême et subtile recherche de soi. Non, c'est le constat d'un fait, les choses sont ainsi.

 

            Si bien que notre mission ici dans notre monastère, elle est d'ordre cosmique. Elle est celle du Christ se poursuivant et s'épanouissant en nous, en chacun d'entre nous et dans le corps que constitue le monastère.

            C'est pourquoi, ma sœur, mes frères, nous devons croire qu'il en est bien ainsi et nous devons permettre à 1'Esprit Saint d'accomplir en nous ses merveilles. N'allez pas vous imaginer que je plane trop haut. Non, c'est cela la véritable vie dans le Christ. Et si nous sommes dans le monastère, c'est parce que Dieu veut réaliser en nous cette beauté.

 

            Et quelque soit notre âge, quelque soit le temps passé dans le monastère, nous devons nous dire que ça n'est jamais pleinement achevé. C'est toujours en route car l'achèvement, c'est la personne même du Christ en nous.

            Et le Christ étant Dieu, ce n'ai jamais, mais jamais terminé et ce ne sera jamais terminé de toute l'éternité. Ce sera là une des facettes les plus subtiles, les plus fines, les plus délicates et les plus ravissantes de notre béatitude éternelle.

            C'est pourquoi ayons soin de nous y mettre tout de suite. Ne laissons pas passer un jour, ne laissons pas passer un heure, ni une minute sans nous consacrer, sans nous ouvrir à cette action de l'Esprit.

 

Chapitre 2. 29-43 : De l’Abbé.                   12.05.96

      Le nom d’Abbé !

 

Mes frères,

 

            Voyons un peu ce que nous dit Saint Benoît ! Il parle d’un frère qui a reçu le nomen Abbatis, le nom d’Abbé. Ce n’est pas une étiquette sans garantie du contenu. Il faut que le produit réponde à sa présentation. Il s’agit ici du nom dans le sens biblique du terme, donc ce qu’il y a de plus profond, de plus intime, de plus vrai dans la personne.

            Il faut donc que le frère soit Abbé dans la réalité de ce que signifie ce terme. Il faut que en lui soit amorcé une métamorphose. Il doit arrivé tôt ou tard, le plus tôt possible, à traduire dans toute son existence ce nom nouveau qu’il a reçu et qui est celui d’Abba, c’est-à-dire de Père.

            Il doit vraiment, de par la nouvelle nature qu’il a reçue, être parmi ses frères celui qui reçoit la vie d’en haut et qui la diffuse dans tout le corps du monastère.

 

            Il y a ici un petit mot qui n’a pas été traduit, à mon sens, correctement en français. On dit : celui qui accepte la charge d’Abbé, 2,29. On a laissé tomber nomen, le nom d’Abbé. Mais suscipit ne veut pas dire accepter. C’est un geste !

            C’est quelque chose, donc ici un nom, qui a été déposé dans les mains de quelqu’un. Donc les paumes sont en dessous, suscipere, du nom, du fardeau, ou du cadeau, ou de la grâce qui a été confiée, qui a été déposée.

 

            Il faut que ce frère ait conscience du changement qui s’opère en lui dès l’instant où il reçoit ce nom nouveau. Saint Benoît l’a dit hier. Il dit que l’Abbé doit se souvenir sans cesse du nom qu’il porte, 2,3. Cela doit s’inscrire dans sa conscience. Il ne peut plus penser ni réagir comme un homme manœuvré par les passions. Ce doit être fini ! Il doit se conduire comme un fils de Dieu, comme le Christ dont il est dans le monastère la manifestation visible.

 

            Vous vous rendez compte, mes frères, que c’est là un idéal hors de portée des forces humaines. Il faut vraiment que le Christ aide ce frère qui n’est pas plus fort qu’un autre, qui peut être plus faible encore que les autres. Mais c’est à l’intérieur de cette faiblesse, du moment qu’elle est ouverte, qu’elle est reconnue, que le Christ doit pouvoir agir et se manifester.

            Saint benoît dit que cela doit se remarquer dans les factis, 2,31, dans les faits, dans les actes, dans la conduite. Et ainsi l’Abbé doit montrer clairement à tous ce qu’il faut faire et ce qu’il faut se garder de faire. Il est comme la lampe qui éclaire ceux qui sont dans la maison.

 

            Par lui, on doit savoir qu’on est et qu’on vit chez Dieu. Il suffit de le regarder pour discerner la vérité, pour comprendre ce que Dieu demande et pour avoir la force de le faire. Car une force doit sortir de l’Abbé, force qui guérit et donne la santé.

            A moins naturellement qu’on ne ferme les yeux, qu’on ne ferme son cœur, qu’on ne se barricade dans son égoïsme. A ce moment-là, tout glisse comme sur une coupole de forteresse et il ne se passe rien alors dans le cœur du frère. Et il va se passer finalement ce que Saint Benoît disait hier : La mort frappera ces brebis qui ont été rebelles aux soins de leur pasteur. 2,27.

 

            Mes frères, à partir de ces prémisses, vous vous rendez compte que la charge abbatiale n’est pas une décoration que l’on reçoit. C’est une des mission les plus redoutables qui existent et l’on n’en prend conscience que lorsque on s’y trouve. Quand on regarde de l’extérieur, on se dit :  « Mais cela, je le ferai bien. C’est un ministère, un emploi parmi d’autres. Dans le monastère, on est quasiment interchangeable ! »

            Non, ce n’est pas ainsi ! C’est autrement redoutable ! Et l’Abbé doit être tel à tout moment, même quand il est seul. Il ne joue donc pas un rôle. Il ne revêt pas une tenue ou un nom lorsqu’il se trouve en public. Même lorsqu’il est tout seul, il doit être Abbé ; il l’est toujours.

            Il ne peut pas se composer un personnage, ce doit être naturel chez lui ; mais un naturel qui est le fruit d’une métamorphose, d’un changement profond chez lui, ce quasi naturaliter dont parle Saint Benoît. Ce n’est plus lui qui doit vivre, mais le Christ en lui.

 

            Tout cela, c’est très, très beau mais c’est terrible parce que ça se construit sur une mort préalable. Il faut mourir à son égocentrisme, mourir à ses façons de juger, mourir à ses façons d’agir pour accepter en soi, pour recevoir en soi de nouvelles façons d’être qui sont d’ordre surnaturel.

            Voilà, mes frères, ce que pour Saint Benoît doit être un Abbé. Mais il faut dire que dans la pratique bien concrète du Droit Canonique ou du Droit des Constitutions, aujourd’hui c’est bien changé.

 

            Je posais justement la question, il n’y a pas tellement longtemps, à un Abbé que je rencontrais. Et il me disait : « Oui, c’est comme ça ! » Aujourd’hui, un Abbé, c’est un administrateur. Il doit avoir des compétences. Il doit pouvoir administrer une brasserie, ou une exploitation agricole, ou n’importe quoi.           

            Et puis, il est mandaté pendant un certain temps. Lorsque son mandat est expiré, voilà, on met un autre à sa place qui fera peut-être encore mieux. Cela se réduit à un niveau très bas.

 

            Le fait que l’Abbé soit vraiment investi d’un nom nouveau échappe aujourd’hui. La plupart des jeunes Abbés aujourd’hui n’ont pas connu cela. Moi, j’ai encore eu ce privilège. Eh bien voilà, peut-être bien que c’est une race qui est en train de s’éteindre ? Et puis nous verrons surgir quelque chose d’autre.

 

            Confions tout cela à Dieu car c’est lui qui est le Maître de l’Histoire et il conduit son Eglise et ses enfants par les routes les meilleures. Même s’il y a parfois des détours, même si parfois on s’enfonce dans des impasses, il finit toujours par délivrer et par sauver. Car le nom de Jésus signifie cela : Dieu sauve de toutes les situations.

 

Chapitre 2, 1-28 : Des qualités de l’Abbé.      13.05.97

      1. Les bons et les mauvais levains !

 

Mes frères,

 

            En écoutant la lecture de notre Règle, mon attention a été accrochée par une phrase de Saint Benoît. Et si vous le voulez, je vais vous partager en toute simplicité ce que j’ai ressenti. Il était question de l’Abbé, comme aujourd’hui encore, ou l’Abbé ne doit pas faire acception des personnes dans le monastère, 2,44, etc.

 

            Mais pour Saint Benoît, l’Abbé est un visage, un visage qui condense toutes les beautés que Saint Benoît a contemplé dans les Abba du désert, ces grands hommes, ces grands Maîtres spirituels, tous issus de notre Père Saint Antoine, l’ancêtre commun. Et ça vraiment, c’est l’Abbé, ce sont les Abbés !

            Et pour nous, l’Abbé par excellence, c’est Saint Benoît lui-même. Mais attention ! Quand nous voyons Saint Benoît, rappelons-nous toujours que dans sa personne, dans son cœur, il porte déjà une longue Tradition d’hommes qui ont cherché Dieu, qui l’ont rencontré, et qui maintenant sont entrés dans la lumière où ils nous attendent.

 

            Car l’Abbé pour Saint Benoît, comme pour les premiers Abbés, doit être le réceptacle de la sagesse, de cette sagesse qui est une expérience, une tradition qui s’est petit à petit sédimentée dans les cœurs, et puis qui a affleuré, et puis qui doit être partagée. Elle ne peut pas être retenue jalousement.

            Et cette sagesse, sagesse des anciens moines, elle remonte encore plus haut, elle remonte jusqu’au trône de Dieu d’où elle coule à flots parmi les hommes  ; et elle recherche des cœurs qui soient ouverts à sa présence et qui soient ouverts à son action. Ce seront les Sages !

 

            Et les premiers moines s’appelaient les vrais philosophes. Ils recherchaient cette Sagesse. Il faut dire qu’ils l’ont trouvée. C’était la Sagesse incarnée alors qui est le Verbe de Dieu et qui s’est mise à notre disposition pour nous communiquer ce qu’il a de plus riche, ce qu’il a de plus beau, sa nature divine. A ce moment-là, on est devenu un véritable spirituel, un véritable homme de Dieu.

 

            Eh bien, voici la petite phrase de notre Père Saint Benoît. Il s’agit donc de l’Abbé. Il dit que l’Abbé par ses instructions doit répandre dans les âmes de ses disciples comme un levain de la divine justice, 2,12. C’est cela !

            Donc, l’Abbé doit enseigner, docere, il doit organiser la vie de son monastère, il doit donner à ses disciples les instructions. Et notez bien que instruction, c’est le contraire de destruction. L’instruction, c’est ce qui fait grandir ; la destruction, c’est ce qui fait périr.

 

            L’Abbé doit donc par ses instructions, il doit conspergere. C’est traduit ici en français par répandre. En fait, il faut voir le geste : il doit asperger, il doit arroser, il doit, oui, disons répandre dans le cœur de se disciples, dans le mens. Saint Benoît dira que notre mens au moment de la psalmodie doit comporter avec nos paroles,19,12.

            Il ne faut pas qu’il y ait dans nos paroles le contraire de ce qui est dans notre cœur. Cela ne veut pas dire qu’on n’a pas le droit d’avoir des distractions, loin de là ! Mais il faut que nos paroles soient en harmonie avec ce que nous croyons, ce que nous vivons au plus profond de nous. Il y a donc là une exigence de vérité, c’est cela que ça veut dire !

 

            Donc ici, c’est le mens, c’est le cœur, c’est cet organe qui permet au moine d’entrer en relation consciente avec Dieu. Donc c’est là qu’il va ensemencer le fermentum, 2,11, le levain, le ferment de la divine justice.

            Eh bien, mes frères, quand j’ai entendu ça, j’ai tout de suite pensé à d’autres levains, à d’autres ferments dont nous parle le Christ lorsqu’il nous dit : « Attention ! Soyez prudents, mettez-vous à l’abri du ferment des pharisiens et du ferment d’Hérode, le levain des pharisiens et le levain d’Hérode ! »

 

            Il existe donc des levains qui sont pervers, des levains qui feront tourner la pâte, des levains qui empoisonnent le cœur et qui, par le poison qu’ils distillent, le feront mourir, des levains qui conduisent à la perdition. Il y a le levain des pharisiens et le levain d’Hérode. Ce sont deux levains antagonistes, mais ils sont aussi mauvais l’un que l’autre. Oui, c’est ça ! Et alors, lequel choisir, ils sont tous les deux mauvais ? Et Saint Benoît dira : il y a le levain de la divine justice.

 

            Mais voyons un peu le levain des pharisiens, ce que ça peut bien être ? Eh bien, les pharisiens étaient vraiment les « saints » de l’époque (entre guillemets naturellement), des hommes irréprochables. On ne trouve aucun défauts en eux. Leur vie est en conformité parfaite avec la Parole de Dieu, avec la Loi de Moïse, avec toutes les prescriptions de la Loi et aussi de la Tradition orale. Ce sont des hommes qui peuvent se montrer partout, on n’a rien à leur reprocher.

            Voilà, ce sont les pharisiens ! Et ce sont des gens honnêtes. Les Evangiles nous donnent des pharisiens parfois une image un peu grotesque qui nous fait un peu peur. Oui, mais en général les pharisiens étaient tout de même des gens sérieux, sincères. Et pourtant, le levain des pharisiens, il faut s’en écarter, il ne faut pas devenir comme eux.

            C’est que le pharisien tombait dans le piège qui guette les gens parfait : une certaine autosuffisance. Ils étaient vraiment des gens bien, quoi ! Ils n’étaient pas comme ceux-là ! Pensez à cette parabole du pharisien et du publicain.

 

            Et puis, il y a le levain d’Hérode. C’était l’Hérode qui avait fait condamner Jésus. Ce n’était pas le vieil Hérode, lui aussi naturellement, mais le jeune ne valait pas mieux que son père. Il était pire encore peut-être ?

            Et le levain d’Hérode, c’était les vues et les ambitions charnelles. C’était le succès, c’était la réussite, c’était les relations, c’était la puissance financière, c’était la puissance économique et politique, c’était le levain d’Hérode !

            Et ça donnait, ce levain donne une illusion de valeur. Aujourd’hui on dirait : j’ai une voiture avec une plaque signalétique spéciale, et comme ça, j’ai le sentiment que je suis quelqu’un. Le levain d’Hérode, quelqu’un qui a réussi !

 

            Mais ce levain-là fait illusion et rapetisse l’homme et, finalement, il le rend abject. Le levain d’Hérode est exactement le contraire du levain des pharisiens. Ils sont aussi dangereux l’un que l’autre. Mais à choisir entre les deux, je préférerais encore – je ne sais pas – je préférerais encore le levain des pharisiens parce que là, il y aurait encore une possibilité, disons à la suite d’un choc, une possibilité de conversion. Tandis que le levain de la magouille politique, et financière, et charnelle, et aussi les intrigues et les corruptions, là je pense que quand on est dedans, il n’est plus possible d’en sortir.

 

            Voilà, mes frères, les deux levains. Ces deux levains mortels, l’Abbé doit les rejeter avec vigueur, c’est certain ! Mais alors, il y a le levain de la divine justice. Eh bien, nous reviendrons là-dessus une autre fois.

 

 

Chapitre 2, 1-28 : Des qualités de l’Abbé.[1]     19.05.97  

      2. Le levain de la divine justice !

 

Mes frères,

 

            Nous étions restés sur les deux levains que le Christ notre Dieu proscrit absolument  : le levain des pharisiens et le levain d’Hérode. S’introduisent-ils dans les monastères ? Je préfère me taire car je ne voudrais pas vous exposer à des jugements qui pourraient être erronés.

            L’Apôtre Paul nous parle lui aussi des levains que nous devons absolument proscrire. Il nous dit de nous débarrasser des vieux levains, les levains de la malice et de la corruption et de nous contenter d’un pain sans levain, le pain de la Pâque, qui est un pain de simplicité et de vérité. Et c’est le pain, ce pain sans levain que l’Esprit Saint va ensemencer.

            Il va l’ensemencer d’un germe divin pour qu’il devienne déjà ici sur terre une apparition de l’univers de Dieu. Et lorsque Saint Benoît demande à l’Abbé de saupoudrer le cœur de se disciples du levain de la divine justice, c’est cela qu’il veut dire. C’est ce levain qui doit faire du cœur de chacun un temple où Dieu se sente chez lui pour faire de chacun un ciel.

 

            Mais pour que l’Abbé puisse faire cela avec succès, il est nécessaire que lui-même soit ensemencé de ce levain, ce levain qui est la divine justice, qui est la justice même de Dieu. Quand nous parlons de justice, ne pensons pas à un tribunal, à un juge, ou à une sentence qui est prononcée. ( passage inaudible, racine hébraïque)

            Mais pour que l’Abbé en soit pénétré, il faut donc que sa parole, que son enseignement déborde de l’abondance du cœur. Ce ne peut pas être livresque, purement livresque parce que dans les lèvres on ne trouve pas le ferment de la divine justice. Les lèvres peuvent aider à exprimer une pensée, à la dégager, à la préciser, éventuellement à la corriger mais le levain proprement dit se communique d’homme à homme. Et ce doit être le charisme de l’Abbé.

            Il faut donc toujours prier pour l’Abbé pour qu’il réponde vraiment à la vocation qui est la sienne et qui est unique dans le monastère. Ce que je dis maintenant le précise encore.

 

            Alors, l’Abbé aura besoin à l’intérieur de sa mission d’une patience infinie, d’une patience à la mesure de la patience de Dieu. Il doit se contenter, comme dit Saint Benoît, de conspergere, de saupoudrer, d’asperger, d’arroser, d’ensemencer. Le reste ne lui regarde pas, cela se fait tout seul. Saint Paul le dit aussi à propos de la prédication. Il dit :  Moi, j’ai planté ; Apollos a arrosé ; et c’est Dieu qui a donné la croissance. C’est la même chose ici, l’Abbé ne doit pas attendre de voir le résultat de son travail. La divine justice qui va être semée dans le cœur des frères, elle se développe dans le secret sous l’action de Dieu ;

            Donc l’enseignement de l’Abbé, ce n’est donc pas un dressage, ce n’est pas comme dans une compagnie militaire où tout le monde doit faire le même geste au même moment, au même commandement. Non, c’est un travail secret dont Dieu seul est l’auteur, le seul !

 

            Et maintenant, quel est donc ce levain de la divine justice ? Eh bien, mes frères, ce sont des choses comme Dieu le voit, comme il les aime et comme il les veut. L’Abbé ne peut, comme le dit Saint Benoît, ne rien faire, ni ne rien disposer, ni ne rien enseigner qui soit en dehors de ce que Dieu désire. Il faut donc que l’Abbé soit constamment à l’écoute de ce que Dieu veut.

            Il doit capter des ondes ou des harmoniques qui viennent de l’univers de Dieu. Il doit donc être branché en permanence sur Dieu, être sur la même longueur d’onde, et puis les recevoir dans son cœur et les disperser, les répandre sur le cœur de ses disciples.

 

            Et cette justice est radicalement différente de celle de scribes et des pharisiens. D’ailleurs le Christ le dit sans cesse : Si votre justice ne dépasse pas celle-là, vous n’entrerez pas dans le Royaume de Dieu. C’est à dire qu’il ne faut pas être meilleur que ces hommes qui sont absolument parfaits. Il n’est pas possible d’être meilleurs qu’eux.

            Non, il faut décrocher et monter à un autre étage. C’est l’étage d’une simplicité qui est totale ouverture et totale confiance et qui permet alors à l’Esprit Saint de métamorphoser un homme, d’en faire un fils de Dieu et non pas un fils de la Loi. Alors cela, c’est impraticable, c’est impraticable en dehors de la foi.

            Il faut vraiment se laisser prendre par le poignet ou par la main et se laisser tirer à l’étage du Seigneur comme les primitifs représentaient l’Ascension du Seigneur. C’est vraiment cela, il faut monter ailleurs.

 

            Alors, Saint Benoît nous donne un exemple au quatrième degré de l’humilité et il reprend les termes mêmes du Seigneur Jésus dans son discours sur la montagne. C’est le praeceptum Domini, 4,113, un seul précepte sans restrictions aucunes. Ils doivent être conduits à la perfection mais avec patience dans les adversites et les iniuriae. C’est traduit par injures, mais ce ne sont pas des injures.

            Il ne faut pas penser qu’on va s’insulter les uns les autres, qu’on va nous traiter de tous les noms pour voir si nous sommes au quatrième degré de l’humilité ! Non, ce sont des choses qui nous heurtent personnellement et qui nous donnent l’impression d’être placés dans une situation injuste qui nous fait du tort, une impression ? Donc on demeure passif !

 

            Et alors, en quoi cela consiste-t-il ? Si on nous a fait quelque chose, un frère peut-être sans le savoir, ou l’Abbé lui-même, ou n’importe qui, au lieu de crier, de riposter, d’écrire à Rome, de se plaindre au Père Immédiat, d’attendre la Visite Régulière pour raconter l’affaire. Non, pas de problème, patience !

            Et alors, dit-il, si on leur enlève leur tunique, eh bien ils abandonnent leur manteau. Ils ne prendront ni l’un ni l’autre une fois qu’ils seront dans la tombe. Ils n’emporteront ni leur tunique ni leur manteau au ciel. Ils emporteront uniquement leur poids de patience et leur poids d’amour, leur poids de charité.

            On leur enlève leur emploi, ils ne vont pas s’endormir une demi minute plus tard à cause de cela. Ecoutez, j’ai encore ceci, j’ai encore cela, si vous voulez les prendre avec le reste ? Et alors si on les réquisitionne pour faire mille pas, eh bien, ils en font deux mille. Ils donnent une bonne mesure qui déborde. Ils n’en font pas neuf cent nonante neuf, non, ils en font deux mille.

            Et alors, avec l’Apôtre Paul, ils supportent les faux frères. Il sait très bien que ce frère-là a raconté des histoires sur lui à la Visite Régulière. Il le supporte. Et alors, ils disent du bien de ceux qui disent du mal d’eux. C’est traduit : ils bénissent ceux qui les maudissent, 7,118. Mais il faut voir cela dans le sens littéral : ils disent du bien de ceux qui disent du mal d’eux.

 

            Eh bien voilà, mes frères, c’est ça la divine justice ! Et sans aller si loin que ce qui est dit, essayons tout de même d’agir et même de penser en conformité avec la manière dont Dieu qui est l’amour voit et …?… . Essayons !

            Et notre devise devrait être que l’amour devrait être découvert en tout et partout parce que dans le monastère, c’est la seule chose qui est importante, et c’est la seule chose qui est importante dans notre vie personnelle car c’est le seul et unique trésor que nous emporterons et qui nous constitue déjà maintenant dans notre être de fils de Dieu. L’homme vaut ce que vaut son cœur.

 

Chapitre 2, 1-28 : Des qualités de l’Abbé.      10.09.97

      La lumière qui divinise !

 

Mes frères,

 

            Saint Benoît termine l’allocution qu’il nous adresse ce soir sur un ton sévère qui, pour lui, est définitif. Je pense que nous ne le prenons pas au sérieux ? La Règle de Saint Benoît, c’est un monument, un document qui est réservé à quelques savants, à quelques moines qui n’ont pas autre chose à faire que d’étudier ces histoires, mais ça ne concerne pas le commun, le commun du troupeau.

            Et puis voilà, on verra bien ! En attendant, l’Abbé peut toujours parler, c’est son rôle ! Mais ça entre par une oreille et ça sort encore plus vite par l’autre. Et puis, on continue et finalement parfois on le prend en grippe et on voudrait bien qu’une fois il se taise !

 

            Mes frères, je dis ça parce que je crois que c’est ainsi pour certains. Pour l’un ou l’autre d’entre nous ici, c’est comme ça, c’est comme ça ! Oui, haïr son Abbé, le détester, le vouer aux gémonies, ce n’est tout de même pas autre chose que ce que Saint Benoît dit ici en 2,27. Et au terme, mais voilà, ce sera la mort, c’est à dire la condamnation à mort.

            A ce moment-là, chacun aura reçu ce qui lui revient. Mais encore une fois je vous le dit, prenons bien au sérieux ce que nous dit Saint Benoît parce que vraiment les choses sont sérieuses et elles sont graves.

 

            Il nous a dit, je l’ai rappelé dimanche, que le moine devait jusqu’au terme de son existence garder une âme de disciple, un cœur de disciple. Et pour cela, il doit être un écoutant. Personne n’est au-dessus de la Règle qui est la Maîtresse de vie du moine. Si on ne la prend pas pour Maîtresse de vie, on n’est pas un moine, tout simplement. On est un intrus dans le monastère. C’est une Maîtresse de vie !

            Eh bien, on doit être à son école jusqu’au bout ; personne n’est au-dessus, pas même l’Abbé. Le disciple le plus fidèle, le plus docile, ce doit être l’Abbé ; le meilleur écoutant de la communauté, ce doit être l’Abbé. Et c’est à cette condition-là que les frères peuvent lui faire confiance et écouter ce qu’il dit.

 

            Mais il ne suffit pas, nous dira Saint Benoît aussi, il ne suffira pas d’écouter. Il faut aussi tenir les yeux ouverts. Il ne faut pas les tenir ouverts sur n’importe quoi. Nous n’avons pas des yeux qui filent de tous les côtés pour alimenter le premier degré d’orgueil, comme dit Saint Benoît, qui est la curiosité.

            Non, nous avons des yeux pour admirer, pour s’émerveiller ; des yeux qui cueillent la beauté partout et puis qui s’en nourrissent ; des yeux qui ne sont pas, encore une fois, les instruments d’une curiosité malsaine mais plutôt des yeux qui sont aveugles sur le mal ou tout ce qui pourrait conduire au mal.

            Il nous faut si nous voulons être de véritables disciples de Saint Benoît, même de véritables chrétiens, il nous faut des yeux d’enfants. Pour ça le Christ, encore une fois, est radical. Si nous n’avons pas ce cœur d’enfant, ces yeux d’enfants, nous n’entrerons pas dans son Royaume. Et ça, il faut bien se le dire, il faut le savoir !

            Et s’il nous a appelés dans le monastère, c’est pour que nous puissions passer du stade de la grande personne suffisante, prétentieuse, qui n’a pas besoin d’être instruite et qui doit instruire les autres, donc pour passer de ce stade-là au stade de l’enfant qui est ouvert, qui sait qu’il n’a rien, qui sait qu’il doit tout recevoir ; et puis qui a des yeux naïfs, des yeux innocents qui savent admirer la moindre petite chose.

 

            Il y en a encore un qui est venu ici avec sa maman dernièrement. J’ai eu l’occasion de le voir. Ce petit enfant qui avait cinq ans et demi, mais il s’intéressait à tout. On est allé faire un tour autour de l’étang, mais tout l’intéressait, des choses que nous autres nous ne voyons plus. C’était remarquable !

            Eh bien, nous devons être comme ça ! Nous devons avoir un cœur aussi sain, aussi pur que celui d’un enfant. Et voilà, c’est le long et patient travail de l’ascèse monastique. Il faut se prêter à ce travail de purification qui ne peut être pour nous que l’œuvre du Saint Esprit dans notre cœur.

 

            Et Saint Benoît nous dit que nos yeux doivent être ouverts sur quelque chose ou sur quelqu’un. Et c’est, dit-il, sur la deificum lumen, Pr, 25, sur la lumière qui divinise, la lumière qui doit faire de l’homme un Dieu. A quoi bon être un homme parfait si je ne deviens pas un enfant de Dieu ? On ne vient pas au monastère pour être sans péchés, pour être parfait.

            Non, on y vient pour être un enfant de Dieu, ce qui est inaccessible aux forces de l’homme. Il peut simplement s’ouvrir et accueillir. Et pour cela, il garde les yeux sur la lumière qui divinise. Mais cette lumière, quelle est-elle ? Et pourquoi faut-il la regarder ? Eh bien, cette lumière est Dieu lui-même dans sa Trinité.

 

            Je rappelle cette anecdote qui nous a été rapportée par Evagre. Evagre et son ami Amonas avaient remonté le Nil pendant 18 jours pour aller consulter Jean de Nicopolis, le voyant de la Thébaïde, pour lui demander : Mais quelle est cette lumière que notre cœur commence à percevoir ?

            Mais voilà, on ne peut pas donner de réponse, on ne peut pas la décrire parce que cette lumière qui divinise, ce ne peut être que Dieu lui-même. Et le cœur de l’homme, le cœur du moine lorsqu’il est docile, lorsqu’il conserve une oreille de disciple, ce cœur finit par voir cette lumière. Et à ce moment-là, tout peut arriver pour lui, il a franchi un seuil.

 

            Et cette lumière est partout présente et particulièrement elle est présente dans le cœur. Le cœur de chacun d’entre nous est le sanctuaire de la divinité. Et le mouvement qui est attendu de nous, c’est de nous retirer des vanités de ce monde pour entrer dans le lieu du cœur. Ce sont des expressions un peu mystérieuses, oui, se retirer des vanités de ce monde, ça, nous comprenons. Mais entrer dans le lieu du cœur ? Cela signifie, mes frères, acquérir, recevoir la maîtrise de son regard. Les yeux ne s’ouvrent plus sur n’importe quoi !

            Les yeux restent ouverts d’abord sur cette lumière qui divinise. Et cette lumière, elle se trouve d’abord dans le cœur. Eh bien, c’est là que les yeux regardent. Et les yeux du cœur qui sont ouverts sur cette lumière ont leur effet jusque sur les yeux physiques. Cela ne veut pas dire que le regard est absent, mais le regard est d’abord, même le regard physique, il est d’abord comme tourné vers l’intérieur.

            Rappelez-vous notre frère Gérard, pour ceux qui l’ont connu d’un peu près, rappelez-vous les yeux du frère Gérard ! Eh bien, c’était ça ! Les yeux de son cœur contemplaient une lumière et les yeux de son corps étaient captivés, étaient comme retournés vers l’intérieur.

 

            C’est que voir la lumière de Dieu dans les êtres, dans les hommes, dans les choses, c’est à dire découvrir à partir du cœur, encore une fois ; le cœur étant le ciel de Dieu. Le cosmos tout entier est enfermé à l’intérieur du cœur. On va à la fin de ce mois célébrer le centenaire, surtout dans les Carmels, du décès de Sainte Thérèse de Lisieux. Eh bien elle, elle le savait, elle le disait.

            Ce qu’elle faisait dans son petit Carmel, ce qu’elle faisait dans son jardin où elle se promenait, cela avait une répercussion immédiate à l’autre bout du monde parce que tout le monde, le monde entier était enfermé dans son cœur qui était devenu une flamme d’amour.

 

            Mais voilà, mes frères, restons-en là pour ce soir parce qu’il est temps d’aller rendre grâce à Dieu pour tout ce qu’il nous accorde et lui demander pardon pour les faiblesses, les erreurs, les péchés qui nous échappent encore. Mais il est infiniment bon, il est l’amour ; et il est patient, il nous attend toujours. Et il espère que si ça ne va pas aujourd’hui, eh bien, ça ira mieux demain.

            Alors, mes frères, essayons de faire notre possible pour ne pas le décevoir !

 

 

Table des matières

Chapitre 2, 81-91 : De l’Abbé.                   14.01.84. 1

Poème ! 1

Chapitre 2, 1-28 : Des qualités de l’Abbé.      10.09.84. 2

Se souvenir de ce que Dieu lui commande ! 2

Chapitre 2, 44-59 : De l’Abbé.                   12.09.84. 4

Dans la justice et l’amour du Christ ! 4

Chapitre 2, 81-91 : De l’Abbé.                   14.09.84. 7

Meminisse ! 7

Chapitre 2, 92-fin : De l’Abbé.                   15.09.84. 10

Rendre compte ! 10

Chapitre 2, 29-43 : De l’Abbé.                   11.01.86. 11

Nomen Abbatis ! 11

Chapitre 2, 92-fin : De l’Abbé.                   15.09.86. 13

L’Abbé saint et pécheur ! 13

Chapitre 2, 1-28 : Des qualités de l’Abbé.      10.01.87. 15

L’accueil du Christ ! 15

Chapitre 2, 60-80 : De l’Abbé.                   13.01.87. 17

Devenir des hommes nouveaux ! 17

Chapitre 2, 1-28 : Des qualités de l’Abbé.      11.05.87. 18

L’Abbé et la vie cénobitique ! 18

Chapitre 2, 29-43 : De l’Abbé.                   12.05.87. 20

Le nom d’Abbé ! 20

Chapitre 2, 44-59 : De l’Abbé.                   13.05.87. 21

Esclave à la manière du Christ ! 21

Chapitre 2, 60-80 : De l’Abbé.                   14.05.87. 24

Le cœur de l’Abbé ! 24

Chapitre 2, 81-91 : De l’Abbé.                   15.05.87. 25

Au service des hommes ! 25

Chapitre 2, 92-fin : De l’Abbé.                   16.05.87. 26

Conduire des âmes ! 26

Chapitre 2, 81-91 : De l’Abbé.                   14.09.87. 27

Se rappeler, savoir ! 27

Chapitre 2, 44-59 : De l’Abbé.                   13.05.88. 29

La loi de l’amour ! 29

Chapitre 2, 60-80 : De l’Abbé.                   13.09.88. 30

Des indisciplinés et des turbulents ! 30

Chapitre 2, 81-91 : De l’Abbé.                   14.09.88. 31

Des négligents et des rebelles ! 31

Chapitre 2, 92-fin : De l’Abbé.                   15.09.88. 33

Effrontés, orgueilleux, désobéissants ! 33

Chapitre 2, 29-43 : De l’Abbé.                   11.09.89. 35

L’Abbé enseigneur ! 35

Chapitre 2, 81-91 : De l’Abbé.                   14.09.89. 36

Les trois murailles ! 36

Chapitre 2, 92-fin : De l’Abbé.                   15.09.89. 37

Regere ! 37

Chapitre 2, 29-43 : De l’Abbé.                   11.01.92. 39

La vérité ! 39

Chapitre 2, 1-28 : Des qualités de l’Abbé.      10.01.93. 41

L’Abbé est la tête du corps ! 41

Mes frères, 41

Chapitre 2, 29-43 : De l’Abbé.                   12.05.93. 42

Qu’aurions-nous fait ?. 42

Ma sœur, mes frères, 42

Chapitre 2, 92-fin : De l’Abbé.                   15.05.93. 44

La foi de l’Abbé et des frères ! 44

Ma sœur, mes frères, 44

Chapitre 2. 29-43 : De l’Abbé.                   12.05.96. 45

Le nom d’Abbé ! 45

Chapitre 2, 1-28 : Des qualités de l’Abbé.      13.05.97. 47

1. Les bons et les mauvais levains ! 47

Chapitre 2, 1-28 : Des qualités de l’Abbé.     19.05.97. 49

2. Le levain de la divine justice ! 49

Chapitre 2, 1-28 : Des qualités de l’Abbé.      10.09.97. 52

La lumière qui divinise ! 52

 

 



[1] Suite du 13.05.97