Mes frères,
Ce chapitre est considéré à juste titre comme un des plus beaux de la Règle. Il s'ouvre sur une expression qui en latin et en français semble une contradiction dans les termes. Saint Benoît parle d'un zèle d'amertume, mauvais. Or en français comme en latin, le mot zèle n'a jamais une connotation négative. Il signifie l'ardeur à bien faire, la ferveur dans le dévouement, le service. Et ici, il est question d'un zèle mauvais, d'un zèle amer ?
Le mot zèle est en réalité un mot grec qui a été décalqué en latin puis en français. Or en grec, le mot a d'abord un sens péjoratif. Il signifie la jalousie, la contestation, l'émulation, la rivalité et, par extension, l'envie, la haine, la passion, l'ambition. Si nous regardons le correspondant hébraïque de ce mot zèle, nous trouvons une racine qui signifie devenir tout rouge à la suite d'une émotion ou d'une passion.
Le zèle est donc un ébranlement intérieur qui déclenche en l'homme les puissances d'agressivité qui en soi sont neutres. Il les déclenche pour le mal ou pour le bien. Et ce zèle ou cet ébranlement émotif est toujours provoqué à partir de l'extérieur par la présence d'une chose, d'une personne, d'un événement qui met en branle l'émotion qui déclenche les passions, qui dicte un comportement négatif ou positif.
Négatif ? Ce sera par exemple la jalousie qui mettra tout en œuvre pour faire du tort à la personne jalousée, ou bien qui tentera de lui ravir un objet ou une position. Vous savez que cette jalousie est un moteur puissant dans le monde, dans les administrations par exemple. Pas plus tard qu'aujourd'hui, j'ai appris que dans un haut ministère tout était mis en œuvre par une personne pour éjecter un directeur et prendre sa place. Ce qui crée dans le bureau une atmosphère irrespirable.
Cela, c'est le zèle mauvais déclenché par l'ambition, la jalousie ! Mais il y a aussi un comportement qui peut être positif. Ce sera alors la ferveur qui ira jusqu'à l'amour. Je vais rappeler quelques exemples tirés de l'Écriture.
Pour le zèle mauvais dans le sens péjoratif du terme, mais c'est celui qui possédait tout lorsqu'il traquait son rival, David, Il le considérait comme un rival. On peut en dire autant de Dieu. Ce zèle peut habiter chez Dieu. Mais attention ! Ici, naturellement, c'est une analogie. Dieu peut être saisi de jalousie contre les idoles qui le supplantent dans le cœur de son peuple devenu infidèle. Dieu va donc partir en guerre contre les idoles. Comment ? Mais à leurs esclaves, les israélites, qui ont tourné le dos à leur Dieu pour se prosterner devant l'ouvrage de leurs mains. Voilà un exemple de zèle avec un effet négatif chez Dieu de jalousie. D'ailleurs souvent le mot zèle dans l'Ancien Testament sera rendu dans la traduction française par le mot jalousie.
Maintenant dans le sens positif du terme vous avez, c'est très connu, le Prophète Élie qui dit : « Je suis dévoré d'un zèle jaloux pour le Seigneur des armées. » Et ce zèle, cette ferveur, cet amour pour son Dieu lui faisait accomplir des actions prodigieuses. Il n'y allait pas de main morte d'ailleurs !
Il y a aussi le zèle qui possédait le Christ. Ses Apôtres l'ont reconnu lorsqu'ils l'ont vu devenir vraiment alors rouge, bouillant, et chasser du temple ceux qui en avaient fait une maison de trafic. Ils se sont souvenus qu'il était dit de lui : « Le zèle de ta maison, ou la jalousie pour ta maison me dévore. »
Il y a Dieu lui-même qui est armé d'un zèle jaloux en faveur de ses fidèles. Il ne faut pas y toucher. Pas un cheveu de votre tête ne tombera, dit-il, sans que votre Père le permette. Même s'il permet que son fils soit mis à mort et crucifié injustement, il le permet tellement son amour est grand pour les hommes qu'il veut reprendre, qu'il veut redresser, qu'il veut remettre sur la bonne route, dans la route de son amour.
Voilà, mes frères, ce que signifie le zèle. Cela vient d'une racine, maintenant en grec, qui signifie bouillir, bouillonner, être agité. C'est vraiment ce qui se passe à l'intérieur de quelqu'un. Une personne qui n'a pas de zèle, c'est une moule ! Cela ne réagit pas ! Il faut qu'il y ait à l'intérieur de nous du mouvement. Et ce mouvement, c'est à nous de le discipliner pour que ce soit un zèle bon et que ça ne devienne jamais un zèle amer.
Maintenant Saint Benoît, lui, il a emprunté cette expression zèle amer dans l’Écriture. On la trouve en un seul endroit de toute l'Écriture - donc le mot amer accolé au mot zèle - et c'est dans l'Épître de Saint Jacques. Il serait très intéressant d'aller voir sur place ce que l'Apôtre en dit. Je suis allé voir. C'est très intéressant.
Mais je vous en parlerais une autre fois parce que nous devons encore dans notre zèle pour l'Office Divin répéter quelques antiennes.
Mes frères,
Derrière le texte de notre Règle, nous voyons toujours se profiler la physionomie de notre Père Saint Benoît. Et à l'intérieur de ce texte, nous sentons, si nous y sommes attentifs, vibrer son âme passionnée. Il en va pour la Règle comme il en est pour la Loi de Moïse à l'intérieur de laquelle nous sentons la vie palpitante de notre Dieu, ou bien comme les Béatitudes derrière lesquelles nous voyons se dresser la figure de notre Christ. La Règle de Saint Benoît, tout comme la Loi de Moïse et les Béatitudes, est donc foncièrement vraie. Elle coule en droite ligne de la vie d'un homme qui a vécu en accord profond avec la vérité.
La Règle de Saint Benoît est vraie parce qu'elle nous met en harmonie, en consonance avec Dieu et avec son univers par l'entremise d'un homme qui a été possédé par cette vérité et transfiguré par elle. Le moine arrivé au chapitre 72° est entré à son tour en possession de cette vérité. Pour lui s'est réalisé la promesse du Christ : « L'Esprit que vous avez reçu, si vous vous laissez guider par lui, il vous conduira à la vérité toute entière. »
Ce moine est parti de rien, de son fond de péché, et il s'est laissé conduire par la volonté de Dieu. Il a gravi la rude échelle de l'humilité et il en a atteint le sommet. Et là, il a découvert la Caritas perfecta, la Charité parfaite. Et finalement; il a débarqué ici dans notre chapitre 72° qui est donc comme une explicitation de ce que le moine découvre lorsque avec la grâce de Dieu il atteint le sommet de l'humilité. Ce moine ne connaît plus que l'amour dans une relation vraie avec Dieu, avec lui-même, avec les autres. Et dans ce sens-là, cet homme est vrai.
Voyons ce que dit Saint Benoît. Un tel homme respecte les autres. Il se juge inférieur à eux. Il les prévient d'honneur quelque soit son rang à l'intérieur de la communauté. Fut-il Abbé, c'est lui qui fait toujours le premier geste pour honorer l'autre. Il accepte les autres tels qu'ils sont avec leurs faiblesses, leurs défauts, leurs péchés. Il se donne aux autres sans faire d'exceptions. Il n'a pas de préférence.
Ce n'est pas facile à se donner à tout le monde. Nous avons nos sympathies et nos antipathies naturelles. Mais pour le moine du chapitre 72°, ce n'est pas le cas, il se donne à tous. Il ne cherche pas son propre profit, mais bien ce qui est utile aux autres. Il n'exploite pas les autres. Il ne s'en sert pas comme d'un escalier pour se hausser, lui, à un sommet ...?… utopique. Non, sa place est en-dessous. Il est le serviteur de ses frères. Et enfin, il aime. Il aime les frères, il aime Dieu et il aime son Abbé d'une charité sincère et humble.
Mes frères, Saint Benoît dit cela pour finir et c'est peut-être là qu'on découvre, je dirais, la marque d'authenticité d'une vie monastique vraie : c'est l'amour sincère et humble qu'on porte à son Abbé. Ce n'est pas facile ! Regardez votre conscience, ce n'est pas facile parce que l'Abbé est un homme comme les autres, avec ses défauts, avec ses passions, avec ses failles, avec ses péchés. L'Abbé tient la place du Christ mais il n'est pas le Christ.
Et enfin, au-dessus de tout il y a le Christ auquel on ne préfère absolument rien. Et c'est ce Christ qui unit tous les frères dans ce même amour, le Christ qui s'efforce de les conduire tous par son Esprit vers la vérité entière, le Christ qui les crée, qui crée leur identité personnelle à chacun à l'intérieur d'un Corps qui est le sien. Et ainsi tous, il nous conduit à la vie éternelle.
Mes frères, dans un monastère il y en a qui sont à tous les degrés. Il y en a qui commence. Il y en a qui sont déjà un peu avancés dans l'humilité. Il y en a qui arrive au-dessus. Il y en a qui sont au chapitre 72°. Il Y en a un peu de toutes les catégories. Mais ce qui est essentiel, c'est qu'il y ait au cœur le désir d'arriver à ce sommet qui est la réussite d'une vie consacrée et d'une vie humaine.
Alors, dans ces conditions-là, le monastère devient ce Paradisus claustralis à l'intérieur duquel on goûte déjà la joie de la vie éternelle, c'est à dire de la vie dans la vérité et une charité authentique.
Mes frères,
En conclusion de la Carte de Visite, Dom Emmanuel nous rappelle le Chapitre 72° de notre Règle dans lequel nous voyons l'amour de Dieu et l'amour des frères en acte. Écoutons-le :
Pour conclure, je veux attirer votre attention sur le Chapitre LXXll° de la Règle: " Les frères s'honoreront mutuellement de leurs prévenances. Ils supporteront très patiemment les infirmités d'autrui, tant celles du corps que celles de l'esprit. Ils obéiront à l'envi les uns aux autres. Nul ne recherchera ce qu'il juge utile pour soi, mais bien plutôt ce qui l'est pour autrui. Ils ne préfèreront absolument rien au Christ, lequel daigne nous conduire tous ensemble à la vie éternelle.
Il s'agit donc, mes frères, de la charité dans l'oubli de soi qui est l'âme de notre vie cénobitique. Là où cette charité est vivante et agissante, là règne la concorde et la paix. Chacun peut s'épanouir librement. L'Esprit Saint peut travailler dans le cœur de chacun et lentement le transfigurer. On devrait reprendre chaque ligne de cette citation, mais je me bornerai à en souligner une seule : nul ne recherchera ce qu'il juge utile pour soi, mais bien plutôt ce qui l'est pour autrui.
Mes frères, essayons de faire de cette sentence l'inspiration de notre conduite. C'est cela le véritable amour. C'est sortir de soi, c'est s'oublier pour voir ce qui est utile aux autres. Et dans ce qui est utile aux autres, nous trouvons ce qui nous est véritablement utile. Ce n'est pas en cherchant à réaliser nos petites ambitions que nous arriverons à être heureux et à rencontrer le Christ, mais c'est en étant attentif aux besoins des autres.
Ce qui ne veut pas dire que nous devons être importun ni obséquieux. Non, le premier service que nous rendons à nos frères, c'est de les respecter dans leur originalité, dans leur singularité, dans la beauté de ce que Dieu veut réaliser avec eux et en eux.
Donc, mes frères, essayons ! Si nous pouvions déjà retenir de la Carte de Visite que ça, je pense que le Visiteur n'aurait pas perdu son temps.
Mes frères,
Hier, Saint Benoît nous parlait de l'oboedientiae bonum, de cette obéissance qui est un bien, qui est source de bonheur, créatrice de paix et qui nous introduit dans la propre vie de notre Dieu.
Aujourd'hui, il nous parle d'un zelus bonus, 72,4, d'un zèle qui est bon parce qu’il nous conduit à Dieu et à la vie éternelle. Et en contraste, il présente un zelus malus, 72,2, un zèle mauvais qui engendre le malheur car il sépare de Dieu et conduit dans les profondeurs infernales.
Et en quoi consiste ce zelus malus, ce zèle mauvais ? C'est un zelus amaritudinis, nous dit Saint Benoît, un zèle d'amertume. Mais n'oublions pas tout d'abord que c'est un zèle. Il présente donc toutes les apparences de la vertu et il faut être avisé pour le distinguer du bon zèle, pour faire la séparation entre les deux. Quels seront donc, mes frères, les symptômes de ce zèle mauvais ?
Eh bien, il engendre l'amaritudo, l'amertume. Et cette amertume, pour en comprendre la nature, il faut avoir à l'esprit tout l'arrière-fond scripturaire. L'amertume est liée au fiel, elle est liée au venin, elle est liée au serpent, elle est liée à la mort. L'amertume est un produit de l'enfer et elle retourne à l'enfer entraînant avec elle le moine qui s'est ouvert à elle.
Saint Benoît décrit ici le bon zèle, il ne décrit pas le zèle d'amertume et pourtant il est facile à reconnaître. En quoi consiste-t-il dans la pratique ? N'allons pas penser que c'est quelque chose d'étranger à notre petit univers monastique. A non, Saint Benoît en parle ici, donc ça existe dans le monastère.
Ce zèle présente - je le disais il y a un instant - toutes les apparences de la vertu. Il se fait le défenseur de la justice, de la régularité, du droit, des choses comme elles doivent être dans le monastère. Le moine qui est possédé de ce zèle est exactement le contraire de ce que saint Benoît attend d'un vrai moine. Qu'est-ce que Saint Benoît attend d'un vrai moine ? Eh bien, il le dit en deux mots lorsqu'il parle du moine étranger qui arrive dans le monastère : contentus est quod invenerit, 61,7, il est content de ce qu'il trouve sur place.
Eh bien, le moine qui est possédé par le zèle mauvais d'amertume, il n'est pas content de ce qu'il trouve sur place. Il n'est content que de ses propres idées. Il n'est content que de ce qui lui passe dans la tête, de ce qui tourbillonne dans son cœur et son imagination. Il n'est content que de ce que fomente son égoïsme, ce qui pousse sur sa peur, sur son étroitesse d'esprit. Il est tout à fait fermé à l'univers de Dieu qui, lui, est un univers d'espace, un univers de charité, un univers d'ouverture.
Le moine qui est possédé par le zèle amer est refermé sur lui-même. Et alors, de sa citadelle, il épie. C'est un moine épieur. Rien ne lui échappe, ses yeux voyagent partout. Il regarde tout, il voie tout. Il enregistre tout, il amplifie tout. Et alors, que fait-il ? Ce trésor qu'il a découvert et qui est contraire selon son idée à toutes les règles monastiques élémentaires, eh bien il veut le partager avec d'autres. Il va donc rechercher dans la communauté des oreilles complaisantes auxquelles raconter cela, auxquelles exposer la façon de s'y prendre pour réparer la vérité, la justice, pour que dans le monastère tout marche enfin finalement comme ça doit marcher.
Je ne dirais pas qu'il se considère comme un second Abbé - ça c'est l'affaire du mauvais Prieur - mais comme un super Abbé. Et encore mieux qu'un super Abbé, il se considère comme une divinité; Oui! Alors, et c'est là qu'on voit que c'est infernal, parce que il y en a un autre qui s'est considéré comme une divinité, et c'est le démon. C'est là qu'on voit que ce zèle amer vient de l'enfer et qu'il est démoniaque.
Et qu'arrive-t-il ? Eh bien, le cœur de ce moine, il est toujours rempli d'amertume. C'est un homme qui n'est jamais content. Et voilà, il y a quelque chose en lui qui est comme une perpétuelle indigestion. Il a toujours quelque chose sur le cœur à vomir. Et ce qu'il a à vomir, c'est de la contestation parce que ce qui est autour de lui ne marche pas selon ses petites idées. Dans le fond, ce moine possédé par ce zèle d'amertume, c'est un sarabaïte aux petits pieds. Voilà, il canonise et il juge saint toutes ses propres idées. Ce qui lui est contraire, eh bien, ça c'est mauvais.
Voilà mes frères, et maintenant si on voulait reprendre tout ce que saint Benoît dit du bon zèle, et bien on verrait que c'est exactement l'image contraire de ce que je viens de dire maintenant. Le bon zèle crée la concorde, il sème la paix, il cultive la charité.
Le moine possédé par le zèle mauvais, il cultive la discorde. Il n'est heureux que dans les intrigues et, l'amaritudo, le venin qu'il a dans le cœur et qui l'empoisonne, eh bien, il n'est heureux - je dirais entre guillemets du bonheur que peut avoir au fond du cœur le démon - que lorsque ce venin, il peut le déposer sur d'autres frères et ainsi leur injecter sa maladie.
Voilà, mes frères, prenons bien garde de ne pas nous laisser posséder par ce zèle d'amertume qui est le zèle des réformateurs aux petits pieds dans les monastères. Mais ces malheureux - car vraiment ce sont des malheureux - ils devraient d'abord prendre conscience de leur maladie, essayer de se guérir eux-mêmes. Mais hélas, ils se prennent tellement pour des gens saints qu'ils n'ont pas besoin de conversion, à leur idée.
Donc, mes frères, prenons bien garde de ne pas être catalogués un jour au nombre de ces hommes parce que voilà ce que nous dirait à ce moment-là notre Juge : haec fecisti et tacui 7,81 ; Voilà ce que tu as fait, moi je me suis tu; pensant que tu allais un jour changer, je t'ai donné tant d'occasion; et maintenant, nous allons régler nos comptes…
Mes frères,
Nous venons d'entendre ce que nous pouvons appeler le testament spirituel de notre Père Saint Benoît. Nous devons le recueillir avec énormément de respect car il y a condensé le plus riche, le plus précieux de son expérience spirituelle. Et ce testament gravite tout entier autour de la réalité la plus belle qui soit, la caritas ou l'amor comme dit Saint Benoît. Il emploie les deux termes.
Et pourquoi la charité ou l'amour est-elle la réalité la plus belle ? Mais parce que Dieu lui-même est amour. Et la vérité de notre union à Dieu, elle se vérifie par la qualité de notre amour. Attention ! L'amour n'est pas nécessairement un sentiment. Tout ce que dans le monde on dit de l'amour, n'allons pas le transposer indûment lorsque nous parlons de Dieu.
L'amour, l'agapè, c'est la Personne même de Dieu, si bien qu'en parler est toujours extrêmement délicat. Car ce qu'on dit peut éveiller dans l'esprit des auditeurs des malentendus, des contrefaçons. Car qu'on le veuille ou non, nous avons de l'amour une conception, une approche qui est mondaine.
On en parle trop dans le monde. Le mot est tellement galvaudé, gaspillé, détourné de son véritable sens que nous ne pouvons pas faire autrement que d'en être blessés nous-mêmes. Nous devons donc maintenant chaque fois rectifier les choses. Et nous ne le pouvons que dans la mesure où nous pratiquions cet amour. Et c'est à ce que Saint Benoît nous invite dans son testament spirituel.
Il est dans son texte question à deux reprises du terme amor et à deux reprises du terme caritas. Je pense qu'il peut être intéressant et utile de saisir ces nuances. Nous allons traduire amor par amour et caritas par charité pour facilité les choses.
L'amour - amor - indique une disposition générale, donc un mouvement profond et constant qui nous porte vers Dieu qui, Lui, est amour, qui n'est rien d'autre qu'amour. Il y a donc là une sorte d'attraction qui s'exerce à partir de Dieu et qui attire l'homme. L'homme a été créé pour pouvoir participer à la nature même de Dieu. Il y a donc une sorte de connaturalité entre les deux. L'homme est naturellement ordonné à l'union à Dieu.
Et l'homme est, je dirais, une fleur de la création qui a commencé en des temps absolument inimaginables. Et avec une patience qui est le propre de Dieu, voici que l'homme est arrivé. Mais pas l'homme abstrait mais des personnes qui ont chacune un nom et qui chacune sont ordonnées à cette rencontre de Dieu et à cette union la plus intime possible avec lui jusqu'à partager sa propre nature à lui. Eh bien ça, c'est ce que nous pouvons appeler l'amour qui est en nous.
Donc cet amour porte le moine, par tout son être il le porte vers Dieu et, il est tout entier formé d'ardeur, de respect, de vénération. Ferventissimo amore dit Saint Benoît 72,6, d'un amour très, très brûlant, fervent. Je pense qu'il parle ici d'ardent, ardeur. Ici il traduit alors par charité, mais c'est un superlatif ferventissimo amore. Il n'est pas possible d'être plus fervent, plus ardent, d'être plus brûlant. C'est cela !
Alors vous avez le respect aussi, la vénération. On ne force pas l'entrée du cœur de Dieu. On est invité mais on doit entrer en communion avec lui de façon très, très polie. La grossièreté, la trivialité, le laisser-aller ne sont pas de mise chez Dieu. Ce n'est pas possible. Et Saint Benoît va dire amore Deum timeant 72,12, qu'ils craignent Dieu. Oui, il dit ici : ils auront pour Dieu une crainte inspirée par l'amour, c'est cela ! Attention, ce n'est pas une crainte qui a à faire avec la peur. C'est la position de l'homme en face de Dieu, c'est le tremblement, le frémissement qui s'empare de l'homme lorsqu'il entre en communion avec Dieu. Alors il est toujours à sa place.
Maintenant, le défaut d'amour chez un moine, c'est une contradiction dans les termes. Un moine qui ne serait pas possédé par cet amour, c'est pas un moine. Attention ! Encore une fois, ça ne relève pas du sentiment comme si on devrait toujours sentir qu'on brûle d'amour pour Dieu. Non, ce n'est pas ça du tout, ça n'a rien à faire avec le sentiment. S'il y a du sentiment, c'est bien. S'il n'y en a pas, c'est beaucoup mieux parce qu’alors l'amour est infiniment plus pur.
Saint Jean de la Croix a très bien décrypté ces phénomènes. Et pour lui, plus l'amour est pur, plus il est dans une obscurité, plus il est totalement dans la nuit. A ce moment-là, l'amour arrive à son sommet et, sur ce sommet, il n'y a encore rien. C'est cela le véritable amour! Mais il n'est pas possible d'y aller par ses propres forces. Il faut prendre l'ascenseur. Et cet ascenseur, ma foi, c'est la volonté de Dieu qui nous y conduit, qui nous y élève.
Alors, il est question aussi de caritas. La charité, elle, elle a trait aux relations fraternelles: carnitatem fraternitatis caste ! impendant, 72,12. Il traduit : Ils se rendront chastement les devoirs de la charité fraternelle. Maintenant cette caritas, il faut bien comprendre ce que cela signifie. Saint Benoît en parle à propos des frères et à propos de l'Abbé. Il faut aussi, dit-il, abbatem suum sincera et humili caritate diligant, 72,13. Ils doivent donc avoir pour leur Abbé une charité humble et sincère.
Les frères et l'Abbé sont des êtres qu'on chérit. Caritas vient de l'adjectif carus, donc c'est être cher. On dira mon cher ami, mes chers frères. Ce sont des êtres qu'on chérit. Il ne faut pas avoir peur de le penser, de le dire car cela signifie caritas. C'est donc un sentiment qui vient du cœur cette fois-ci et qui porte à poser des actes concrets. Saint Benoît les énumère ici: il faut se prévenir d'honneur, il faut supporter les infirmités patientissime, avec une patience infinies, les infirmités du corps et de l'esprit, pas les siennes, celles des autres, mais les siennes aussi.
Alors cette caritas nous porte à nous obéir mutuellement et aussi à nous oublier, suivre non pas ce qui nous est utile mais ce qui l'est plutôt aux autres. Donc dans la caritas, il y a quelque chose de très profond en nous qui est touché et c'est l'adfectus. Pas facile de traduire cet adfectus. Il faudrait le laisser comme ça en latin. C'est donc la partie la plus centrale de nous qui est la source, disons qui est la source des émotions. Voilà, je pense que c'est ça.
Il parle de diligere à propos de l'Abbé. Et la dilectio donc la dilection vient justement de cette émotion qui doit habiter le cœur. Cela vient des entrailles. Et là, nous retrouvons ce nom de Dieu qui est très beau et qui a très bonne presse dans le monde musulman. C'est que Dieu est un être qui a des entrailles de miséricorde, des entrailles d'amour. C'est la partie féminine de Dieu, les entrailles. Et Dieu est pris aux entrailles lorsqu'il se trouve devant l'homme. Et il est désarmé. C'est ça la caritas ! Et c'est extrêmement beau lorsqu'on s'y abandonne. Et nous ne devons pas avoir peur de laisser jouer en nous, disons, nos entrailles qui nous font sortir de nous-mêmes et puis qui nous font accueillir l'autre en nous.
A la fin du chapitre, les trois sont unis, les trois personnes sont unies. D'abord Dieu, l'Abbé et le Christ. Saint Benoît dit, 72,12 : ils auront pour Dieu une crainte inspirée par l'amour ; Ils auront pour leur Abbé une dilection humble et sincère. (caritas, il traduit par dilection) ; et enfin ils ne préfèreront rien, absolument rien au Christ.
Voyez l'ordre! L'Abbé se trouve au centre. L'Abbé est vraiment le pivot, il est le médiateur obligé. Tout vient du Christ par l'Abbé et tout reflue à Dieu par l'Abbé. On ne peut pas faire l'économie de l'Abbe dans un monastère. C'est dans la logique de l'incarnation. Dieu est venu à nous dans une chair d'homme et continue à venir à nous par un homme. Et c'est par un homme que nous allons à Dieu, le Christ ressuscité qui nous emmène tous jusqu'au cœur de la Trinité.
Et c'est encore la même chose dans le monastère. C'est par un homme qui tient la place du Christ que les frères vont tous vers Dieu. Il est impossible d'aller tout seul vers Dieu dans un monastère, ça n'existe pas. Il faut passer par l'Abbé.
Et l'Abbé lui-même, par l'intermédiaire de qui, lui, va-t-il vers Dieu ? Eh bien, je vais vous dire quelque chose d'assez audacieux. Mais dans l'esprit de Saint Benoît donc, l'Abbé, c'est un homme qui n'a plus besoin d'aller à Dieu parce qu'il y est arrivé. Il n'a plus besoin du Christ comme médiateur parce que ce n'est plus lui qui vit, mais c'est le Christ qui vit en lui. Il y est !
Naturellement ça c'est un idéal vers lequel tout Abbé doit tendre. Mais je pense bien que ça devait être le cas certainement chez Saint Benoît. Sinon il y a des choses qu'il a dites et qu'il n'aurait pas pu dire.
Eh bien voilà, mes frères, ce testament de notre Père Saint Benoît, accueillons-le, avec foi et gratitude. Et dans toute la mesure de nos forces, et en comptant sur la grâce, efforçons-nous chacun pour notre part et tous ensemble de le mettre en pratique.
Mes frères,
L'amour dont parle Saint Benoît rayonne de lui-même dans le regard, dans les gestes. Tout coule naturellement, il n'y a rien de forcé. Écoutez ce qu'il nous dit ! Il utilise d'abord le superlatif ferventissimo amore, 72,6, un amour très chaud, un amour bouillant, un amour incandescent, ferventissimo amore. Et aussi patientissime, 72,9, il faut supporter les infirmités des corps, et des mœurs, et des esprits, et des caractères. Et cela patientissime, avec la plus grande patience, une patience qui ne se lasse jamais. On ne peut pas en venir à bout, elle est toujours là. C'est une patience qui est le reflet dans le cœur d'un homme de la propre patience de Dieu, lui qui ne se lasse jamais.
Écoutez ce qu'il dit encore, je prends le texte français. Ils s'honoreront mutuellement de leurs prévenances. Mais tout de même le latin est plus percutant pour ceux qui comprennent : honore se invicem praeveniant, 72,7. Ils vont donc se prévenir les uns les autres. De quoi ? Mais de respect, d'honneur !
Par exemple, ils cèderont le passage, ou ils vont ouvrir la porte. C'est çà ! C'est vraiment ici une course, une émulation à celui qui manifestera le plus de respect pour les autres. C'est tout autre chose que de détruire l'honneur d'un frère. On peut lancer une insinuation, une blague, etc, mais dans le fond, on a donné un coup de canif à la réputation d'un frère, à son honneur.
Il dit encore ceci : Ils s'obéiront à l'envie les uns les autres. Saint Benoît est tout de même bien : oboedientiam sibi impedant, 72,10. Donc ils vont, ce n'est pas s'obéir, c'est beaucoup plus que ça, ils vont s'offrir les uns aux autres le bien de l'obéissance. C'est un partage. Le bien le plus précieux que nous possédons dans le monastère, c'est de pouvoir partager la volonté de Dieu, de nous aider les uns les autres à entrer dans cette volonté et à nous en nourrir.
Et alors ceci, mes frères : Nul ne recherchera ce qu'il juge utile pour soi, mais bien plutôt ce qui l'est pour autrui. Donc s'oublier pour autrui. Oui, je sais, ça m'est utile, ou je préfèrerais que ce soit ainsi, mais enfin c'est peut-être plus utile encore à l'autre, une autre solution. Eh bien ma foi, je cède. Je ne suis plus attaché rien. Je suis chez Dieu, j'ai un frère devant moi et je fais ce qui est utile à ce frère en m'oubliant moi-même.
Voyez tous ces petits détails bien pratiques qui entretiennent une ambiance de confiance, une ambiance de chaleur à l'intérieur d'une communauté !
Ils se rendront chastement les devoirs de la charité fraternelle. C'est la même chose de fait que pour l'obéissance. C'est le même verbe qu'il utilise impendant. La caritas fraternitatis : Ils vont se rendre les uns aux autres de façon très chaste, sans vouloir mettre la main sur l'autre, sans vouloir le posséder, les devoirs d'une charité qui vient vraiment du cœur, celle qui doit régner entre frères, celle qui va régner entre eux.
Ils auront pour Dieu une crainte inspirée par l'amour. Amore Deum timeant, 72,12. Et ça, c'est une perle ! Littéralement ça se traduit ils craindront Dieu avec amour. Donc, on doit toujours craindre Dieu. Non pas en avoir peur, mais on se tient devant Dieu tel qu'on doit l'être à sa place, Dieu à sa place et moi à la mienne. Mais entre les deux circule l'amour : le sien pour moi puisque Dieu est amour, et puis moi qui le lui restitue à ma petite manière d'homme. Mais tout de même, il en est heureux.
Et puis, ils auront pour leur Abbé une dilection humble et sincère. C'est traduit par dilection, mais ici c'est l'agapè, c'est la charité. Il faut aimer son Abbé. On ne doit pas le supporter, on ne doit pas le tolérer ? Non, non il faut bien véritablement l'aimer, et il faut l'aimer caritate, donc la charité. Il n'est pas nécessaire d'éprouver de la sympathie pour lui, non, mais c'est un amour encore une fois qui vient du cœur. Et alors au-dessus de tout naturellement, c'est le Christ qu'il faut préférer à tout, lui qui daigne nous conduire ensemble à la vie éternelle.
Eh bien voilà, mes frères, l'instrument, le moyen que moi je proposerais. Et je pense qu'il résume tout ce que les uns et les autres nous avons proposé : que tout ce que nous faisons soit animé par un amour sincère, amour pour Dieu, amour pour les frères, amour pour l'Abbé. Et que baignant ainsi dans cette atmosphère d'amour, finalement nous aurons bien chaud parce que l'amour c'est Dieu, l'amour c'est l'Esprit Saint, et l'amour, mais l'amour c'est l'incandescence et c'est le feu.
Et Saint Benoît nous propose de nous exercer. Voilà, ça ne vient pas tout seul. Exerceant monachi, 72,7. Il faut que les moines s'exercent à cela. Ils doivent s'y exercer, c'est un entraînement. Quand on voit ce que les coureurs cyclistes s'imposent comme entraînement pour décrocher un maillot, qu'ils auront peut-être ? Le mal qu'ils se donnent. Ils auront leur nom dans les journaux, et leur photo. Ils seront heureux et leur famille aussi.
Et nous, pour décrocher cet amour, nous devons aussi nous exercer. Il faut donc entretenir, cultiver. Et la vraie chaleur, elle découle donc de la vie, la vie de Dieu, la vie fraternelle bien comprise et elle a une saveur de paradis. Or, la vie véritable, c'est l'amour qui est Dieu.
Mes frères,
Nous savons que notre Père Saint Benoît est pétri de culture biblique. Il en use avec une extrême liberté. Il en a le droit car il est entré dans l’univers de Dieu et il participe à la vision des … ? … , des personnes et du monde.
Il emprunte aux thèmes qui parcourent toute la bible depuis le Deutéronome et les Psaumes jusqu’au Christ lui-même, le thème des deux voies, des deux routes, des deux chemins.
Le Christ l’a rappelé : le chemin qui conduit à la vie, il est étroit, il est ardu, il est escarpé et bien peu l’emprunte. Par contre, le chemin qui conduit à la mort, il est large, il est aisé et tout le monde s’y précipite.
Saint Benoît ne parle pas de chemin, mais il parle de zèle. Il a opéré une petite transposition qui est plus en rapport avec la conscience de chacun de nous. Zèle est un mot grec qui signifie bouillonnement. C’est le bruit d’une chaudière qui bout. C’est donc l’ardeur, la ferveur. Et il y a une ardeur qui est bonne qui pousse le moine à rechercher, à pratiquer les vertus et qui élève jusqu’au cœur même de Dieu, jusqu’à la vie éternelle.
Mais il existe aussi un zèle, donc une ferveur, une ardeur pour le mal, pour le vice, pour les vices au pluriel. Et ce zèle-là précipite le moine dans la perdition. Saint Benoît place donc son disciple à une croisée de chemins. Il faut, voilà, se décider : d’un côté, on peut tourner le dos à Dieu et se diriger sur l’enfer ; ou bien on peut tourner le dos aux vices et se diriger vers Dieu.
Lorsque Saint Benoît parle de l’enfer, nous ne devons pas imaginer un lieu, un endroit de tortures. Non, l’enfer, c’est être étranger à la vie de Dieu, c’est d’être étranger à Dieu. C’est être tellement centré sur soi qu’il n’est plus possible d’établir une relation avec qui que ce soit. L’enfer, nous le portons en nous. De même que nous sommes le sanctuaire, le temple de Dieu, que nous sommes le ciel, que le ciel est en nous là où est Dieu, de même en nous il y a aussi une section de nous, une partie de nous que nous pouvons qualifier d’infernale.
On lui donne un nom moins effrayant et ce sera l’égoïsme. Les vices, c’est tout ce qui fleurit sur l’égoïsme, et ne pensons pas à des choses nécessairement malsaines. Sur l’égoïsme fleurit l’ambition, la convoitise, le désir de se faire reconnaître supérieur aux autres, le besoin de dominer, d’exercer un pouvoir, de cueillir des honneurs, le besoin d’être applaudi ; le besoin d’être un centre, un pôle vers lequel on regarde et vers lequel on se dirige.
Le moine devient alors une sorte de dieu, un petit dieu pour lui naturellement ; et puis peut-être aussi pour les autres qui, entrant en relation avec le petit dieu que je suis, vont eux aussi se sentir encouragés dans la route qu’ils ont empruntée et qui va les conduire, ou qui les a déjà conduits, à cet état d’auto divinisation, d’autosuffisance.
Mes frères, s’il ne s’opère pas dans le cœur du moine une fameuse conversion, à ce moment-là il est en train de construire dans son cœur une cellule qui sera mortelle. Vous comprenez qu’une telle vie peut paraître bien réelle et bien concrète car elle permet de sentir les choses, elle permet d’en jouir. Elle permet de se sentir fort. Mais pourtant, c’est une illusion !
Car cette vie-là, fermée sur elle-même, ne peut qu’aboutir à une asphyxie. D’ailleurs, l’homme qui cultive en lui cette vie, un tel homme est presque toujours, pour ne pas dire toujours, habité par l’angoisse, une certaine angoisse, l’angoisse de perdre cette possession qu’il a accumulée. Mais il ne le laisse pas paraître. Son angoisse, il la noie, il l’étouffe en se donnant davantage encore aux passions qui le possèdent.
Par contre, il y a l’autre vie. C’est la vie dont nous parle ici Saint Benoît. Et cette vie, qui est la vie de Dieu, la vie éternelle, elle paraît irréelle, irréelle parce que on ne la sent pas. On a l’impression qu’elle n’a pas de quantité. En fait, elle n’en n’a pas car Dieu n’est pas quantifiable. On ne peut pas peser Dieu, on ne peut pas l’enfermer dans quoi que ce soit. Et de plus, cette vie, elle exige une foule de renoncements. Alors, il est très tentant de choisir la facilité.
Cette vie qui semble irréelle, c’est l’Esprit Saint qui habite le cœur et qui est tourné vers Dieu. Car l’Esprit Saint procède du Père, il nous est donné par le Fils, il est en nous et il retourne à l’intérieur de la source et du canal sans arrêt. Et il essaye de nous entraîner avec lui dans ce mouvement. Il va donc créé en nous une disposition qui, au lieu de nous enfermer sur nous-mêmes, va nous décentrer, va nous permettre de vivre en dehors de notre petit moi.
Et c’est là quelque chose d’assez paradoxal. Car c’est dans la mesure où je me laisse travailler par cet Esprit et entraîner par lui, cet Esprit qui m’habite et avec lequel je vis à l’intérieur de moi dans le ciel de mon cœur, c’est alors que je vais me détacher de tout le dehors. Cela ne veut pas dire que je vais le mépriser, non, au contraire, je vais l’admirer comme étant création de Dieu et aussi réceptacle de Dieu, mais je ne veux pas le posséder. Et ne possédant plus rien, je ne suis possédé par rien et par personne.
Voilà, mes frères, les deux zèles, pas des ailes pour voler mais le bon zèle et le mauvais zèle. Eh bien, il nous faut choisir entre les deux. Et le choix, il est toujours présent, il est toujours à refaire. Chaque fois que l’obéissance nous propose quelque chose – et l’obéissance nous propose des choses du matin au soir – chaque fois qu’elle nous propose quelque chose, je dois choisir. Cela ne veut pas dire que c’est à chaque fois une discussion en moi, que je dois peser ? Non, finalement le choix devient comme une seconde nature et je choisis toujours la bonne route. Je choisis le bon chemin, je suis possédé par le bon zèle, mais c’est tout de même malgré tout un choix.
Ce carrefour au centre duquel nous établit Saint Benoît, il a la même propriété que la pierre mystérieuse qui suivait les hébreux dans le désert. Cette pierre, nous dit l’Apôtre Paul, c’était le Christ ! Cette pierre qui abreuvait les assoiffés, cette pierre qui permettait aux fils d’Israël de rester en bonne santé, de rester fort.
Eh bien, le carrefour de Saint Benoît, il ressemble à cette pierre. D’abord, elle nous accompagne partout ; comme je le disais, il nous provoque partout, il nous sollicite partout et il est le lieu d’une tension. Car à propos de cette pierre, les hébreux ont murmuré : ils ne recevaient pas assez d’eau à leur gré, ou il n’y en avait plus assez ! Voilà, ils murmuraient, ils ne faisaient pas confiance.
La pierre peut être donc une pierre de tentation, une pierre de scandale. Bienheureux, à dit le Christ, celui qui ne sera pas scandalisé à cause de moi, celui qui ne tombera pas à cause de moi, de moi qui suis la pierre ! Mais c’est aussi la pierre qui va permettre à Dieu de tester la valeur du peuple et de le faire grandir, de tester notre propre valeur et de nous faire croître.
La tentation est toujours bénéfique, mes frères, elle nous permet de devenir plus fort, de devenir plus vrai, plus proche de notre mission et de notre beauté. Et le choix bien concret – d’après ce que nous dit aussi Saint Benoît, mais nous n’avons pas le temps de tout revoir - ce choix se décide à l’intérieur des contacts fraternels.
C’est le frère qui est la pierre de touche. C’est le frère qui va me révéler à moi – si je veux être lucide – sur quelle route je me trouve, quel est le zèle qui m’habite. S’honorer mutuellement, se supporter très patiemment, 72,7, s’obéir à l’envi les uns les autres, ne pas rechercher ce qui est utile pour soi mais plutôt ce qui l’est pour autrui, et ainsi ! Et ainsi, mes frères, ne l’oublions pas !
Choisir pour ou contre le frère dans le sens où nous parle ici Saint Benoît, c’est choisir pour ou contre Dieu, c’est choisir pour ou contre le Christ. Car mon frère, c’est le Christ qui m’apparaît. Mon frère avec tous ses défauts, peut-être mon frère qui est animé d’un zèle qui n’est pas bon, c’est le Christ qui se présente à moi et qui appelle au secours, et qui a besoin de mon aide, de ma prière, de ma prévenance, de mon respect, de mon amour et aussi de mon admiration.
Parce que le frère au zèle impur qu’il est aujourd’hui, il ne le sera pas toujours, il sera autre demain. Et c’est mon regard, le regard d’amour que je pose sur lui qui peut le faire changer, qui peut lui montrer qu’il a une valeur en soi, une valeur que je reconnais.
Voilà, mes frères, encore une fois, c’est le respect fraternel, c’est la charité fraternelle qui nous maintient à l’abri de toute illusion. C’est pourquoi, comme Saint Benoît nous le recommande ce soir, efforçons-nous de toujours la pratiquer de notre mieux.
Table des matières
Chapitre 72 : Du bon zèle. 30.04.85
Chapitre 72 : Du bon zèle. 30.04.87
Chapitre 72 : Du bon zèle. 11.02.90
Chapitre 72 : Du bon zèle. 30.04.91
Chapitre 72 : Du bon zèle. 30.12.91
Chapitre 72. Du bon zèle. 30.04.95
Chapitre 72 : Du bon zèle. 30.04.96
Se laisser travailler par l’Esprit.