Mes sœurs, mes frères,
Je serais très bref ce matin car nous devons prendre la route à 9 H. et nos hôtes doivent encore célébrer l'Eucharistie, puis déjeuner. Mais il y a tout de même quelque chose à dire a propos de ce chapitre.
Saint Benoît, qui est un artiste incomparable comme vous le savez, a serti au fronton de ce chapitre une pierre d'un prix inestimable. Je la vois comme ces perles que les femmes hindoues incrustent sur leur front pour rehausser leur beauté, et la beauté de la femme, et la beauté de la perle.
Saint Benoît dit : oboedientiae bonum, 71,2. On l'a traduit le lien de l’obéissance. Il est difficile de faire autrement. Mais il s’agit de bien autre chose que cette traduction qui me paraît malgré tout très pauvre.
Lorsqu'on parle du bonum, nous devons avoir sous les yeux, immédiatement, le Créateur qui se lance dans cette formidable aventure de placer en face de lui un existant qui serait différent de lui, avec lequel il va pouvoir dialoguer et travailler.
Et à mesure qu'il avance dans son Opus, ce fameux Opus Dei, dans son Œuvre, dans son Travail, il se félicite lui-même en disant : « Bonum est ! C'est bon ! » Et lorsqu'il a terminé, il n'a personne là pour le regarder sinon lui et ce partenaire qu'il a en face de lui. Alors il s'applaudit en disant : « Mais cette fois, c'est vraiment très beau, c'est très bien ! C'est en face de moi quelque chose qui est sorti de mon cœur et qui me ressemble. Il y a en moi le meilleur de moi-même, c'est à dire mon amour.
Voyez ! Lorsque nous parlons du bonum oboedientiae, ~ enfin disons le bien de l'obéissance, voyons tout cet immense spectacle qui s'offrait a Dieu et qui s'offre encore à lui aujourd'hui, et dont maintenant nous sommes une des parcelles. Il faudrait dire la beauté de l'obéissance, le trésor de l'obéissance, voilà le mot, le trésor de l’obéissance pour traduire ce bonum.
Cela sonne un peu étrange aux oreilles charnelles parce que l'homme charnel désire - soyons francs - ce que dans le fond de notre cœur nous désirons, c'est de n'avoir de compte à rendre à personne, de ne dépendre de personne. Je sais ce que je dois faire et je suis assez grand pour me conduire tout seul. Je prends ma vie en main et puis je vais la construire comme il me semble bon.
Alors, là-dedans, pas question d'obéissance. L'obéissance est vue comme une déchéance. Il s’agit de bien autre chose, vous comprenez, l'obéissance est un trésor. Mais pourquoi peut-elle être un trésor ? Et là, ne l’oublions jamais, l’obéissance n’est pas d’abord le propre de la créature, le propre de l’homme. L’homme a été créé image et ressemblance de son Créateur.
Or, l’obéissance est d’abord mais avant tout, et en premier lieu une qualité divine. Le tout premier obéissant, c’est Dieu. Et si nous autres nous sommes obéissants, c’est parce que nous sommes créés à l’image de Dieu. Dès l’instant où cette image a été souillée, détériorée en nous, alors notre obéissance a été déséquilibrée, détraquée.
Voyez ! Lorsque Saint Benoît nous dit que c’est par la route de l’obéissance qu’on retourne à Dieu, c’est logique. Dès l’instant où nous permettons à Dieu de rétablir en nous l’obéissance, il rétablit en nous sa propre image, lui qui est l’obéissance par excellence. Mais comment Dieu est-il obéissant ? Eh bien, c’est parce qu’il est Trinité.
Et à l’intérieur de cette communion Trinitaire, chaque personne se reçoit des autres et elle se restitue aux autres. Aucune des trois personnes ne s’appartient, chacune appartient aux autres. En termes plus techniques, plus théologiques, on peut dire que chaque personne divine est personne parce qu’elle est relation. C’est sa relation aux autres qui la constitue comme personne et comme entité. Voyez que l’obéissance fait partie de l’essence même de Dieu.
Il n’y a donc pour l’homme rien de plus beau, rien de plus noble que d’être obéissant, c’est à dire de se trouver sur terre vis-à-vis de Dieu et vis-à-vis des autres hommes comme chacune des trois Personnes se trouve à l’intérieur de la Trinité, c’est à dire se recevoir de Dieu et des autres et se livrer à Dieu et aux autres sans rien réserver pour soi. Et, à partir de là, resituer un peu toute la Règle de Saint Benoît, toute la Tradition monastique et même le Droit Canonique, n’ayons pas peur de le dire.
Lorsque dans les Constitutions, il faudra parler de l’obéissance, ce sera quelque chose de très, de très sec. Il faut bien parce que nous sommes des êtres enfoncés dans le péché et que ça doit être clair et net ce que nous devons faire dans la pratique. Mais comme nous sommes déjà émergé de ce péché, nous sommes pris par le pneuma, nous sommes pris par l’Esprit.
Et alors, lui nous fait découvrir des choses qu’il est impossible d’expliquer correctement dans des mots, dans des phrases. La véritable vie ne peut pas se couler dans un discours, elle se vit et, c’est la vie elle-même qui est discours.
Voilà, mes frères, ce que je voulais vous dire ce matin. Vous comprenez que je pourrais encore m’étendre beaucoup plus loin, cela pourrait encore durer des minutes et des minutes. Mais comme je le disais, nous sommes assez pressés ce matin. Voilà, nous allons partir.
Mais n’oubliez pas que par la vertu de cette obéissance, nous sommes introduits chez Dieu, nous vivons de la vie même de Dieu. Et dès ce moment, nous sommes a l'intérieur de Dieu et il n'y a plus d'espaces, il n'y a plus de distances. Nous vivons chacun dans le cœur des autres. Nous vivons dans le cœur de Dieu.
Si bien que si je m'en vais là-bas à des milliers de km, vous y venez avec moi, non pas corporellement mais mystiquement, spirituellement, je dirais presque sacramentellement à l'intérieur de mon cœur. Puisque, vous le savez, dans le monastère le premier obéissant, c'est celui qui tient la place du Christ, ce doit être l'Abbe. Donc, vous êtes là en moi, je vous emporte avec moi. Mais en même temps je reste ici parce que je sais que j'habite en chacun de vos cœurs par l'obéissance, cette obéissance que nous nous rendons mutuellement.
Voilà mes frères, je vous remercie de vouloir bien vivre cet idéal monastique qui est notre trésor et qui, à partir de notre petit désert ici, et du désert où chacun d'entre nous habite, il y a quelque chose qui se passe et qui est irremplaçable. C'est cette vie Trinitaire qui, à partir de notre cœur obéissant se répand dans le monde des hommes et même dans le monde matériel.
Voilà, mes frères, ce que nous emporterons au Chapitre Général, car vous le comprenez, c'est à l'intérieur de cette obéissance que nous nous y rendons et que nous en reviendrons.
Mes frères,
Les derniers chapitres de la Règle de Saint Benoît sont chargés de mystère. On dirait que notre grand législateur a voulu entreposer en eux le plus beau, le plus riche et le plus étrange de son expérience spirituelle. Et ces trésors, il ne les a pas protégés derrière une vitrine de musée, une vitrine blindée. On aurait le droit d'admirer ces trésors, mais jamais de les toucher. Non, Saint Benoît ne garde rien pour lui. Il est détaché de ce que Dieu lui a donné.
Il sait très bien que Dieu l'a aimé, qu'il l'a gratifié au-delà de tout ce qu'il aurait pu imaginer. Mais ce qu'il a reçu, c'est pour les autres. Si bien qu'il dispose ses trésors sur une table. Il les expose pour que nous puissions nous-mêmes en disposer. Ils sont pour nous une nourriture et une parure. Une nourriture, parce qu'ils nous confèrent un comportement divin. Et une parure, parce qu'ils nous rendent agréables et à Dieu, et aux hommes.
Et ces trésors, mes frères, ils vont depuis l'obéissance dans les choses impossibles jusqu'aux plus hauts sommets de la contemplation et de la puissance spirituelle, les culmina doctrinae et virtutum, 72,26.
Mes frères, aujourd'hui, il nous introduit au cœur d'une sagesse qui est plus qu’humaine. J'ai en vue ici la seconde partie de notre chapitre, 71, 12-21 : Lorsqu'un frère est repris par l'Abbé, ou par un Supérieur quelconque, est-il dit. Remarquons d'emblée une accumulation de notations minimisantes. Saint Benoît ne veut pas dramatiser, mais en même temps, il ferme toute échappatoire.
Il dit: Si un frère est repris, corripitur, 71,13, réprimandé exactement. S'il est réprimandé, si on lui fait une remarque donc, pro quavis minima causa, 71,12, pour une cause aussi petite qu'elle soit, minima.
Pourquoi? Mais parce que chez Dieu, rien n'est insignifiant. Un moine n'a pas le droit d'établir des distinctions. Mais c'est Saint Augustin qui vient de nous dire ça ! Oui, aujourd'hui à la lecture du réfectoire. Voilà, c'est le Cardinal Duval qui a expliqué cela. Chez Dieu, il n'y a pas de petites choses. Nous n'avons pas à établir des degrés, des distinctions : ça c'est important et je le fais ; ça ce n'est pas si important, donc je le fais à moitié. Non, chez Dieu, rien n'est insignifiant.
Alors il parle d'un quelconque, quocumque priore suo, 71,13, par un supérieur quelconque. Attention ici, ce n'est pas vraiment le supérieur. Saint Benoît emploie le terme de prieur, ici, non pas dans le sens de la fonction priorale, mais de celui qui est le premier. Dans le monastère, ce prieur peut être n'importe qui car chacun est le prieur de l'autre. Pourquoi ? Mais parce que on doit s'obéir à l'envi les uns aux autres. Lorsque j'obéis à quelqu'un qui me demande un service, je considère l'autre comme mon supérieur. Vous voyez, c'est ça que ça veut dire.
Et le véritable moine, il est disposé à rendre service à tout le monde, à obéir à tout le monde. Pour lui, tous les autres frères sont ses prieurs, tous lui sont supérieurs. Il a soin de toujours se mettre le dernier dans le rang. Non pas pour échapper, non pas par ostentation inversée, détournée, mais parce qu'il se considère comme celui dont on peut librement disposer dans le monastère. Tous les autres sont ses supérieurs. Voilà ce que ça veut dire !
Alors il dit encore: s'il est réprimandé, quolibet modo, 71,14, de n'importe quelle manière. On ne discute pas sur la manière dont on est réprimandé, sur la petite remarque qu'on fait. C'est à dire que il n'est pas nécessaire de mettre des gants, ni de faire beaucoup d'entourloupettes pour oser enfin faire une petite remarque à quelqu'un. Non, quolibet modo.
Si leviter senserit, 71,14 ; quamvis modice, 71,16. Ici, c'est si le frère sent légèrement. Ce n'est même pas : s’il ne le voit pas, ou s’il ne l'entend peut-être pas, mais s'il sent qu'il se passe quelque chose, qu'une émotion s'éveille dans le cœur de l'autre. C'est son sens spirituel qui est éveillé. Et aussi peu que ce soit ! Là aussi, il ne faut pas attendre que l'autre explose. Non, il est quelque peu ému. Alors mox, dit Saint Benoît, sine mora, 71,16, tout de suite, sans aucun retard. C'est un réflexe, ceci, qui trahit le bon ouvrier, li mêst’ ovrî, comme on dit en wallon liégeois, celui qui sait ce qu'il doit faire. Son réflexe, que fait-il ? Il se prosterne aux pieds de l'autre.
Maintenant, qu'est-ce que cela veut dire, tout cela ? Nous entrons maintenant dans le mystère. Eh bien, c'est que Saint Benoît demande qu'on abandonne la dialectique humaine du tort et du raison. On ne discute pas pour savoir où se trouve le droit, pour savoir qui a droit, qui a raison, pour savoir qui a tort. Non, on prend le tort sur soi à priori.
On ne se défend pas. On ne se disculpe pas, mais on se reconnaît coupable. On se reconnaît coupable par un geste, un geste qui est un discours, un geste qui est une parole, un geste qui est éloquent. Il signifie parfaitement ce qu'on a dans le cœur. Mais vous sentez que tout ça, c'est déraisonnable. C'est déraisonnable parce que, oui, n'essayons pas de comprendre, nous sommes dans le mystère.
Que fait le moine à ce moment-là ? Eh bien le moine, il sait qu'il se trouve à l'origine de l'émotion qu'il sent chez son frère, et ça suffit. Il en est responsable, la cause est chez lui. Quelque soit cette cause, il ne la recherche pas. Il prend sur lui tout. Et ainsi, il devient semblable à son Maître le Christ qui a fait exactement la même chose. C'est cela qu'il a fait avec nous. Il a pris sur lui notre indisposition, notre émotion, notre révolte, nos refus et il s'est humilié. Cela veut dire qu'il s'est étendu par terre, à nos pieds. Et nous lui avons marché dessus. Et il en est mort.
Il y a dans cette seconde partie du chapitre une réminiscence implicite mais très claire des quelques lignes du fameux Cantique aux Philippiens, que Saint Paul adressait aux Philippiens, vous savez : Le Christ quoique de condition divine, il s'est vidé de lui-même, et il s'est humilié...etc. Vous connaissez : jusqu'au bout, jusqu'à obéissant jusque la mort, et la mort de la croix.
Voilà, mes frères, un grand mystère qui se trouve ici dissimulé dans ce chapitre si beau. Je pourrais, ici, illustrer à l'aide d'un apophtegme magnifique de Saint Antoine. Ce sera peut-être pour un jour, si Dieu nous prête vie ! Nous n'avons pas encore terminé l'apophtegme concernant l'acédie. Alors, ne pensons pas encore à d'autres.
Mais retenons pour cette fois-ci, mes frères, que nous devons, si nous voulons être de véritables moines, abandonner la dialectique humaine : ne pas chercher à savoir qui a raison et qui a tort, ne jamais vouloir se disculper. Mais automatiquement, dans un réflexe surnaturel qui doit se monter, qui doit s'acquérir, il faut prendre sur soi l'émotion des autres, se mettre du côté du coupable. Et ainsi, par cet acte d'humilité, guérir l'autre, le guérir et en même temps devenir semblable au Christ, être un peu plus christifié et se rapprocher de Dieu et de cette magnifique transfiguration que nous espérons.
Mes frères,
Hier, Saint 8enoît parlait du vice de la présomption. On s'imagine être sorti de la cuisse de Jupiter. On est meilleur que les autres. On fait la leçon à tout le monde. C'est un petit péché auquel sans le vouloir nous cédons très vite, du moins par nos pensées. Nous portons un jugement sur un frère, sur l'Abbé aussi. C'est une forme de la présomption.
Pour échapper à ce défaut, si nous voulons l'extirper, nous devons acquérir ce que Saint 8enoît appelle le bonum oboedientiae, le bien de l'obéissance. Pourquoi est-ce un bien, une richesse ? Parce que l'obéissance est une perle qui possède une vertu magique. Elle anéantit tout ce qui n'est pas conforme à la vérité et elle ouvre le cœur aux espérances les plus audacieuses. Nous ne devons donc pas craindre de tout sacrifier, absolument tout, pour découvrir ce bonum oboedientiae, ce bien de l'obéissance.
Mais d'où vient à l'obéissance ce pouvoir extraordinaire de tout obtenir, de toujours réussir ? Je vais essayer de vous l'expliquer brièvement. Spontanément, naturellement, nous ne connaissons Dieu qu'à travers les représentations que nous nous forgeons de Lui. Ce peut être des abstractions sublimes : l'idée du bien, l'idée du beau, l'idée du bon, l'idée du vrai. Mais le point de départ, c'est toujours nous. La source de ces images est en nous. Nous sommes des idolâtres invétérés.
Il faut dire que la plupart des hommes, même des chrétiens, passent toute leur vie et meurent dans cette situation d'idolâtrie. Il faut donc s'en libérer. On est dans le monastère pour cesser d'être des idolâtres, car l'idolâtrie engendre la peur. Nous avons peur des idoles que nous nous fabriquons. Nous faisons tout pour nous concilier leurs faveurs.
Mais ces idoles sont inexistantes. Nous vivons donc dans des angoisses, des peurs, des craintes qui sont imaginaires en ce sens qu'elles trouvent leur source dans le produit de notre imagination qui est ce faux Dieu. Quelque soit le nom que je donne à ce Dieu, cela n'a pas d'importance, c'est une idole.
Maintenant, comment l'obéissance va-t-elle nous libérer de cette terreur ? Quand l'Apôtre Jean nous dit que Dieu est amour, il jette bas toutes les images, toutes les idoles. Il balaye tous les ... ?... . Car Dieu est amour, cela signifie que Dieu ne possède rien, qu'il ne cherche pas à nous posséder et qu'il ne se possède pas lui-même. Dieu est pure oblativité, il est pur don. Obéir, c'est accueillir ce don qu'est Dieu, c'est accueillir Dieu en tant que don.
Et Dieu nous faisant le cadeau de son être, à travers l'obéissance que nous lui accordons, Dieu vient en nous avec sa beauté, avec sa liberté, avec sa disponibilité, avec l'accueil qu'il est. Il vient à nous avec surtout - enfin je peux résumer ça - il vient avec, je l'ai dit, avec sa liberté. A ce moment-là, il n'y a plus en nous trace de peur ni de crainte.
C'est ce que Saint Benoît nous dit: Au sommet de l'échelle de l'humilité, il n'y a plus place pour la peur parce qu’on est entré dans la charité. On est tellement en communion, en sympathie avec Dieu que on partage ses mœurs, on partage son tempérament, son caractère, ses façons de faire. Ce n'est plus moi qui vit, c'est le Christ, c'est Dieu qui vit en moi. A ce moment-là, je suis libre. Il n'y a plus en moi d'idolâtrie.
Le moine, pour réussir sa vie monastique et arriver à cette union à Dieu qui le fait vraiment homme, le moine alors doit être obéissance à l'état pur. Il obéit à l'Abbé, dit Saint Benoît. Il obéit à tous les frères, omni caritate et sollicitudine, 71,9, en toute charité et empressement. C'est plus que de l'empressement, c'est de la sollicitude, c'est du souci. Son souci est de ne plus s'appartenir. Son souci est d'entrer en contact avec ce Dieu-là qui est tout, ce Dieu qui libère. Que Dieu se présente dans la personne de l'Abbé, qu'il se présente dans la personne du frère, ça n'a pas d'importance. Le souci, c'est de rencontrer cet amour et de devenir un avec lui.
Il faut donc, mes frères, nous efforcer d'atteindre cette réceptivité transparente qui nous permet de devenir lumière en Dieu. Dans l'obéissance - ne l'oublions jamais - nous ne nous dégradons pas, nous ne nous diminuons pas. Au contraire, nous buvons Dieu qui est pure oblativité. Et en buvant Dieu, nous devenons Dieu nous-mêmes. Voilà ce que Saint Benoît nous promet ici à la fin de sa Règle. Nous ne devons pas perdre de vue que ce bonum oboedientiae, que ce bien de l'obéissance, il est pour nous.
Je présente les choses de façon, vous le voyez, très positive, très séduisante. Cela ne veut pas dire que l'obéissance aille de soi. Pourquoi ? Mais parce que comme nous sommes malades, comme nous sommes déséquilibrés, spirituellement je veux dire, redresser notre nature pécheresse, cela demande un effort et cela entraîne de la souffrance.
Il peut arriver que nous ayons plutôt envie de fuir devant la difficulté, devant le labeur, le labor oboedientiae, le labeur de l'obéissance. Mais Saint Benoît nous dit : ne prends pas la fuite si c'est un peu difficile parce que les ~ débuts sont toujours un peu pénibles. Mais alors après, cette route s'élargit, elle devient de plus en plus unie. On ne marche plus, on court ; il arrive des ailes, on vole ; on est sous la mouvance de l'Esprit.
Et étant devenu léger, on est libre et on reçoit dans son cœur des pouvoirs qui sont ceux même de Dieu, des pouvoirs qui ne sont pas une possession, qui ne sont pas un avoir auquel on se cramponne. Non, ce sont ces pouvoirs de l'amour, le pouvoir de se donner, le pouvoir d'accueillir et le pouvoir d'aimer.
Mes frères,
Saint Benoît parle de bonum oboedientiae, 71,2, du bien de l'obéissance. Mais pour quelle raison ? Il nous la donne : parce que c'est par la voie de l'obéissance qu'on va à Dieu. Habiter chez Dieu, vivre chez Dieu, être en sa compagnie, partager tout ce qu'il est, n'est-ce pas le sommet de toute béatitude imaginable ? Or, pour arriver là-bas, il n'y a qu'une seule route, celle de l'obéissance.
L'obéissance est donc un trésor vraiment le plus grand de tous. Dieu est caché à l'intérieur de ce trésor. Et celui qui a trouvé, qui a trouvé l'obéissance, il a trouvé Dieu. Cela, c'est la raison que donne Saint Benoît. Mais il en existe une autre encore dont il ne parle pas, qui est plus riche et plus belle encore, plus belle parce que désintéressée, gratuite.
L'obéissance est un trésor aussi et surtout parce que elle est le moyen par excellence de remercier Dieu de tous les bienfaits dont il nous comble. Dieu nous a enrichis des dons matériels et spirituels les plus beaux. Il ne cesse de nous faire du bien. Je vais donc lui dire merci en faisant de bon cœur et avec joie ce qu'il me demande.
Lorsque la Vierge Marie chante son cantique où elle loue le Seigneur, où elle dit que son âme bondit de joie, c'est parce qu'elle a obéi. Elle est entrée corps et âme dans la volonté de Dieu qui lui est présentée et elle sait, à ce moment-là, qu'elle comble Dieu de joie.
Mes frères, notre obéissance, elle ne doit pas d'abord être vue à partir de ce qu'elle nous apporte, mais surtout à partir de ce qu'elle apporte à Dieu. Or, elle lui apporte la joie. t Je pense que nous devrions ne jamais perdre de vue cette réalité, cette vérité qui est essentielle à toute vie humaine, à toute vie chrétienne, mais surtout à toute vie monastique. L'obéissance peut être ressentie parfois comme une contrainte, comme un fardeau lorsqu’elle va contre notre égoïsme. Mais reprenons vite nos esprits et sachons qu'elle est un trésor dans lequel Dieu est caché et que c’est ce trésor qui procure à Dieu le plus de joie.
Et de cette joie, mes frères, nous ne priverons pas notre Dieu. Si nous sommes des hommes bien nés, si nous ne sommes pas des profiteurs, nous nous efforcerons toujours de porter notre Dieu au comble de sa joie. Mais on pourrait dire : il est Dieu, il n'a pas besoin de cela ? S’il en a besoin. S'il n'en avait pas besoin, il ne nous aurait pas créés ; s'il n'en avait pas besoin, il ne nous aurait pas offert ce trésor de l'obéissance.
Dieu nous ressemble. Regardons ce qui se passe en nous et nous comprendrons alors qui est Dieu et ce qui se passe chez lui, car nous sommes à son image.
Mes frères,
Saint Benoît nous parle de l'oboedientiae bonum, 71,2, de l'obéissance qui est un bien. Vous savez que dans les Psaumes, il est souvent question des biens promis. Ce sont tous les biens qui nous seront donnés dans le monde à venir, au sein de la création nouvelle. Ils seront notre partage parce que nous serons en pleine communion avec le bien par excellence qui est Dieu. « Personne n'est bon que Dieu » disait Jésus lui-même. Et toute la création, Dieu l'a dit, elle est bonne, elle est belle, elle est un bien parce que elle est sortie de son cœur qui est amour.
Et voilà que pour Saint Benoît, l'obéissance est un de ces biens, un bien qui a une valeur éternelle et qui nous est déjà donné dès cette vie en plénitude. Il nous suffit d'ouvrir la main et d'ouvrir notre cœur pour le recevoir. Mais en quoi l'obéissance peut-elle être un bien ? On peut avancer une multitude de raisons et nous les connaissons toutes. Saint Benoît en donne une ici, celle de la voie qui nous conduit à Dieu, 71,5.
Mais il y a, me semble-t-il, un motif à cette bonté de l'obéissance. On n'en parle jamais, on n'y pense jamais et je vais me permettre de l'exposer en quelques mots ce soir. L'obstacle à l'obéissance, nous le savons, c'est la volonté propre. Saint Benoît nous dit que nous devons haïr notre volonté propre, l'avoir en aversion, odire, 4,71.
Et c'est vrai, car notre volonté propre est l'expression de notre ego le plus féroce, de notre égoïsme, de nos illusions aussi car il nous semble qu'en faisant ce qui nous plaît, ce qui peut nous paraître le meilleur mais au plan spirituel - nous sommes dans un monastère - il nous semble que nous allons arriver à quelque chose.
En réalité, c'est l'illusion parfaite car tout ce qui vient de l'ego, de l'égoïsme n'a absolument aucune consistance. C'est condamné à ne pas être. C'est une apparence, en réalité cela n'existe pas. Donc, il faut haïr la volonté propre. Et pour être certain qu'elle soit bien en aversion, Saint Benoît dit : Ne faites rien d'après vos sentiments, vos idées, mais faites toujours contrôler. Ce qui vous passe par la tête, faites le contrôler par un Ancien qui va vous dire si ça vient du fond propre ou si ça vient d'une inspiration divine.
Mais ceci, c'est un préambule pour nous dire qu'il y a en nous une autre volonté que la volonté propre. C'est la volonté qui est l'expression de notre véritable moi, c'est à dire celle qui exprime notre nom, notre nom secret, notre nom unique, notre identité la plus personnelle. Donc, c'est une volonté qui est parfaitement libérée de tous les liens avec l'égoïsme. Elle est étrangère à l'égoïsme. C'est notre volonté rectifiée, notre volonté pure, à l'état de pureté. Et cette volonté, elle est en nous, elle nous habite.
Elle est occultée par toutes sortes de nuages, par de la poussière. Elle peut être toute petite, réduite presque à rien par la volonté propre qui, elle, domine. Mais, elle est tout de même présente. Et alors, que se passe-t-il dans l'obéissance ?
Eh bien, l'obéissance n'est rien d'autre que l'accord parfait, que l'harmonie entre cette volonté bonne et la volonté de Dieu, et l'être de Dieu. Si bien que le saint, regardons le saint car là nous avons la perfection que nous devons atteindre, nous avons la vérité et nous ne nous trompons pas, regardons le saint et nous remarquons que cet homme fait toujours sa volonté, toujours sa bonne volonté. Attention, cette volonté qui définit son identité d'éternité, il la fait toujours à l'intérieur de l'obéissance qui le met en harmonie parfaite avec le projet de Dieu.
Donc, cet homme est parfaitement libre. Il n'a aucune contrainte, ni intérieur, ni extérieure parce que sa volonté est animée par l'Esprit de Dieu qui la porte toujours vers le meilleur, et ça dans l'obéissance. Et c'est la raison pour laquelle l'obéissance est un bonum, elle est un bien, elle est un trésor qui nous est confié.
Au début, naturellement, il y a toute une éducation pour faire revenir à la surface cette volonté primordiale qui est quasiment d'avant le péché et qui est toujours là, toute une éducation qui est assez pénible, il y a du dépouillement, il y a du renoncement, enfin il y a beaucoup de choses. Il y a surtout la lutte contre la fameuse volonté propre qui est une autre volonté.
Mais une fois que notre volonté primordiale a repris le dessus, à ce moment-là, le moine fait toujours sa volonté. Il n'a plus la moindre sensation de faire la volonté d'un autre, il fait toujours sa volonté. Pourquoi ? Parce que sa volonté coïncide parfaitement avec la volonté de Dieu et cela à l'intérieur de l'obéissance.
Donc voilà, mes frères, ce trésor fameux qui est à notre disposition. Mais exerçons-nous, à notre petite mesure exerçons-nous à le pratiquer, c'est un quelque chose qui nous est confié. Et dans la vie éternelle, donc dans le monde à venir, c'est ça qui constituera notre bonheur, c'est à dire de toujours faire ce qui nous plaît mais en ne faisant jamais que ce qui plaît à Dieu. Les deux modes de plaisance coïncident ici parfaitement et c'est ce qui fait que Dieu épanouit les saints.
Dieu ne les écrase pas. Dieu est tellement humble, tellement effacé qu'il se met tout à fait derrière. Et le saint a le sentiment de toujours faire ce qui lui plaît. Mais encore une fois, attention ! Ce n'est pas un "plaît" qui vient du fond mauvais, égoïste, non, c'est un "plaît" qui est en parfaite harmonie avec le "plaît" de Dieu lui-même.
Donc voilà, mes frères, ce bonum, ne le dilapidons pas mais essayons vite et sans perdre de temps, comme dit Saint Benoît, de libérer en nous ce qu'il y a de meilleur de façon à ce que l'obéissance soit vraiment notre plus grand trésor, et maintenant, et pour les siècles à venir.
Mes frères,
Pourquoi cette obéissance omniprésente dans le monastère ? Nous devons non seulement obéir au Supérieur, mais nous devons nous obéir les uns aux autres ? La vie monastique est donc totalement tissée par l'obéissance. On peut même dire que le monastère est une schola oboedientiae, une école où on apprend à obéir au même titre qu'il est une schola caritatis, une école où on apprend à aimer. L'obéissance et l'amour sont donc corrélatif et à un certain degré de perfection, ils se confondent. Le Christ n'a-t-il pas dit : « J'aime mon Père et j'accomplis tout ce qu'il m'a demandé. »
L'obéissance est omniprésente dans le monastère parce qu’elle-même ne se distingue pas de l'écoute. La vie du moine, nous devons bien le savoir mes frères, nous devons nous en pénétrer, elle se condense toute entière dans le fait d'écouter. Le moine est un écoutant. Il est à l'écoute de Dieu dont il guette la voix à travers les mille et un détails de la journée. Adam fuyait la voix de Dieu et le moine la recherche. Adam était dominé par la peur et le moine est mû par un désir amoureux. Adam était esclave de la chair et le moine est un serviteur de l'Esprit.
N'oublions pas, mes frères, que étymologiquement parlant, obéissance signifie écoute. On ne se rassasie jamais d'écouter Dieu et de se nourrir de Lui. Et on ne se dégoûte jamais d'obéir et de se conformer avec la volonté de Dieu.
L'obéissance est habituellement ressentie comme quelque chose de diminuant, à la limite comme quelque chose de dégradant. On essaye d'échapper à l'obéissance parce que on essaye d'échapper à un homme qui est sensé être au-dessus de nous. C'est ainsi dans le monastère, soyons-en conscients parce que c'est ainsi dans le monde. J'ai travaillé dans le monde avant d'entrer dans le monastère et je connais très bien les réactions et les tactiques des ouvriers, des employés, des fonctionnaires pour échapper à l'emprise d'un pouvoir que l'on ressent comme tyrannique.
Et quand on arrive dans le monastère, on est, voilà, on est vraiment complexé, traumatisé par ces mauvaises habitudes qui ont été prises. Et notez bien qu'il en est de même des enfants vis-à-vis de leurs parents à partir d'un certain âge, pas quand ils sont tout petits. Mais à partir de l'adolescence, etc., on veut secouer le joug de l'autorité parentale. Donc, l'obéissance a toujours une certaine coloration négative et, voilà, on pourrait remonter aux origines de l'humanité où l'homme n'a pas pu supporter cette prééminence de Dieu sur lui.
Alors voilà, je pense que nous devons essayer de bien réfléchir et de comprendre que l'obéissance est au contraire ce qu'il y a de plus ennoblissant car elle est écoute. C'est écouter mais quelque chose d'extrêmement beau, d'absolument beau. C'est écouter un concert ou une mélodie, ou un chant au-delà duquel il n'y a rien de plus beau. Et ce chant, c'est Dieu car Dieu s'il est lumière, il est aussi chant.
Il y a là trois Personnes Divines qui ne sont pas immobiles mais qui sont sans cesse en relation d'amour. Et cette relation d'amour s'exprime pour nous au niveau d'un chant. Dans la création nouvelle, voyez le Livre de l'Apocalypse, on ne fait que chanter parce qu'on est tous pris dans ce chant Trinitaire qui est amour, et qui est beauté, et qui est lumière.
Eh bien, l'obéissance, c'est l'entrée à l'intérieur de ce monde par ce qu'elle est d'abord et exclusivement écoute. Savoir écouter, et puis alors recevoir en soi ce qu'on a entendu, se laisser travailler par lui et puis y entrer et devenir de plus en plus écoute, et de plus en plus réponse, et de plus en plus chant. Voilà, c'est pourquoi on n'est jamais rassasié d'écouter, qu'on ne se dégoûte jamais d'écouter. Et dans la pratique maintenant cela signifie obéissance.
Un malin esprit pourrait très bien interpréter ce que je dis de cette façon-ci : Voilà, il se trouve du bon côté, donc il est en train de jeter un brouillard artificiel pour que les frères soient bien sages et puis qu'ils obéissent correctement ! Non, ce n'est pas ça, car le premier à obéir dans le monastère, c'est l'Abbé, à obéir aux frères. Saint Benoît le dit bien : il doit omnium servire moribus, 2,85, il doit se mettre au service du caractère de chacun. Car chacun est typé et il faut prendre chacun tel qu'il est et, à partir de ce qu'il est, il faut lui permettre de s'épanouir en Dieu.
L'Abbé n'a pas le droit - c'est d'ailleurs impossible - de remodeler les frères. Non, Dieu les a créés tels et voilà, il faut les prendre tels. La seule chose qu'on peut faire, c'est de les nettoyer, de les décrasser pour que leur beauté personnelle s'affirme de plus en plus.
Maintenant, s'obéir les uns aux autres, cela signifie pratiquement pour nous aujourd'hui - transposons ce que nous dit Saint Benoît dans notre Culture et dans nos mœurs actuels - s'obéir les uns aux autres signifie donc pratiquement d'abord reconnaître et entendre le Christ dans le frère qu'on rencontre. A ce moment-là, on est dans la relation vraie. Puis, ce sera manifesté sa sympathie par un salut, par un geste, par un sourire. On a reconnu le Christ dans le frère et on ne peut pas rester indifférent.
Et alors, c'est se recevoir mutuellement tels qu'on est car le Christ se manifeste sous une infinité de beautés. Le Christ, ne l'oublions pas, c'est la Parole de Dieu. Donc, en recevant le frère tel qu'il est, j'écoute, je reçois une Parole unique, originale et très belle. Alors, c'est accepter l'autre dans sa singularité, dans son unicité, dans son originalité, dans sa différence. La différence peut d'une certaine manière au plan de la chair nous effrayer. Nous sommes beaucoup plus rassurés lorsque nous trouvons le frère qui nous est semblable.
C'est très, très fort aujourd'hui, je ne dis pas dans le monastère mais dans le monde. Car un des plus grand problème qui se pose actuellement ici en Europe Occidentale, c'est la rencontre de races différentes. Si je me trouve devant un turc, ou devant un africain, ou devant un algérien, ou devant un musulman, ou devant un juif, enfin ceux qu'on rencontre le plus maintenant ici, eh bien il y a dans l'homme un réflexe de crainte. Pourquoi ?
Mais parce qu'il est différent. Il a un autre physique, il a une autre culture, il a une autre religion, il a une autre approche du monde. Alors, mais voilà ! Et les autres alors, que font-ils ? Mais ils ont le même réflexe. Ils ont tendance à se resserrer les uns sur les autres et à créer des ghettos, des îlots où ils sont entre eux, où ils se protègent.
Vous voyez, c'est très difficile d'accepter l'autre dans sa différence. Eh bien, c'est aussi une forme d'écoute et d'obéissance mutuelle dans le monastère lorsque je reçois chacun des frères tel qu'il est avec, voilà, il est rond, il est carré, il a tel degré de culture, d'instruction, de tout ce qu'on veut. Mais ça ne fait rien, il est pour moi unique, il est beau, il est le Christ qui se présente à moi. Et voilà, je l'écoute, je l'accepte et je l'aime tel qu'il est.
Et puis alors naturellement tout ça doit se concrétiser encore de façon plus matérielle par les services qu'on peut se rendre les uns aux autres. Il y a des services qui sont demandés et des services mais qui ne sont pas demandés mais qu'on sent qu'il faut rendre. Et voilà, c'est cela s'obéir les uns aux autres. Et si nous vivons de cette façon-là qui est très belle, le monastère devient de mieux en mieux un paradisus claustralis, celui-là dont parlaient les premiers cisterciens, le paradis qu'est le cloître, c'est à dire une porte du ciel. On apprend ici des mœurs qui seront les nôtres lorsque nous serons au-delà de la résurrection.
Eh bien voilà, qu'il en soit ainsi de mieux en mieux. Et c'est mon souhait et ma prière pour chacun d'entre vous et pour moi aussi en ce dernier dimanche de l'année.
Mes frères,
Pourquoi devons-nous nous obéir les uns les autres ? Eh bien, c'est parce que nous sommes au service les uns des autres. Chacun de nos frères est notre supérieur, chacun de nos frères peut nous demander un service. Et nous devons le lui rendre avec empressement dans la mesure naturellement où cela ne contredit pas des instructions qui ont été données à un niveau plus élevé, soit celui de l'Abbé, soit celui d'un responsable subordonné à l'Abbé.
Mes frères, je pense qu'il est très important pour nous de prendre conscience que nous sommes solidaires, que nous formons un seul corps. Et à l'intérieur d'un corps humain, tous les organes sont interdépendants. Ils sont tous au service les uns des autres. Il n'y en a pas un qui soit supérieur à l'autre même si dans la pratique il nous apparaît à nous que certains organes soient plus précieux. Et la science, la médecine nous apprend aujourd'hui que les organes les plus précieux sont dissimulés, ils sont cachés, ils sont à l'intérieur de notre corps.
Une toute petite glande de rien du tout comme un petit pois est indispensable pour réguler tout le fonctionnement de notre organisme. Et cette petite glande, personne ne la voit. Elle est là inexistante, inconnue, invisible, mais c'est elle qui dirige le fonctionnement de tout notre organisme.
Eh bien, dans le monastère, il peut en être ainsi. C'est peut-être le frère auquel personne ne pense, le frère auquel on ne prend pas garde, qui est loin d'être l'Abbé dans le monastère, c'est peut-être grâce à lui que le corps entier est en bonne santé.
Voilà, je pense que ce petit chapitre de Saint Benoît est très éclairant à ce sujet et nous en retirons une petite leçon ce soir.
Mes frères,
Saint Benoît parle de l'oboedientiae bonum, 71,2, le bien de l'obéissance. Et il n'a pas tort car l'obéissance est un trésor sans prix. Elle est tellement précieuse que Dieu l'a voulue pour lui et, il a préféré mourir plutôt que de l'abandonner. Et maintenant, il nous l'a confiée comme son bien le plus cher. Elle est un bien car elle nous introduit dans le bonheur par excellence qui est le partage de la vie divine. Nous ne pouvons pas imaginer en quoi consiste cette vie divine ; et le contemplatif qui a reçu la grâce de la partager est incapable de la décrire, il peut seulement l'expérimenter.
Et il sait pour sa part qu'il n'y a pas de bonheur au-delà de celui-là. C'est le bonheur par excellence qui est tout entier plénitude, paix, liberté. Enfin, je pense qu'il n'y a pas de mots à l'intérieur de notre univers pour exprimer, ne fut-ce que de loin, en quoi consiste le partage de la vie divine. Alors, pourquoi avons-nous peur d'obéir jusqu'au bout ? Nous voulons bien obéir un peu, même beaucoup, mais obéir jusqu'au bout, jusqu'à l'extrémité ?
Eh bien, c'est parce que l'obéissance nous paraît être une démission de nous-mêmes et un avilissement. Marcher au jugement et à la volonté d'un autre, fut-il Dieu, est vécu comme une privation de liberté et comme le reniement de notre qualité d'homme. Tout cela se joue dans l'instinct charnel et nous n'en avons pas nécessairement conscience ; on peut même dire que nous n'en avons pas conscience du tout. C'est un réflexe qui est lié à notre condition de pécheur.
Que s'est-il passé aux origines de l'humanité ? Nous ne le saurons jamais exactement. L'Écriture nous présente cela sous la forme mythique d'un refus d'obéissance à une prescription reçue de Dieu. Qu'en a-t-il été ? Nous ne le saurons pas, mais nous pouvons le soupçonner à partir de ce que nous vivons maintenant. Et c'est, comme je le, disais il y a un instant, c'est ce réflexe de peur. Nous avons peur de nous avilir, nous avons peur de perdre ce qui fait notre qualité d'homme à savoir notre foi libre. Mais non, l'obéissance n'est pas un avilissement. Elle est bien au contraire un ennoblissement, elle est l'unique et véritable ennoblissement.
De temps en temps au "Moniteur" paraît une liste de personnes qui ont été ennoblies par le roi. La plupart du temps, ce sont des chefs de grandes entreprises ; ce sont aussi parfois des personnes qui se sont signalées par leur dévouement à une cause humanitaire. Mais vous vous rendez bien compte que cela, c'est extrêmement artificiel. C'est un titre qu'on reçoit, qui est mérité naturellement - il ne faut pas le nier - mais le véritable ennoblissement, il est à l'intérieur, il est la noblesse du cœur.
Et l'ennoblissement que nous confie Dieu lorsque par l'obéissance nous partageons sa vie, cet ennoblissement fait de nous des dieux, les régents du monde présent et à venir. Le monde est tout entier dans la main des saints. Et les saints sont la plupart du temps inconnus. Nous avons eu le privilège d'avoir un roi qui, on le dit maintenant publiquement, qui était un saint. Nous l'avons encore contemplé hier de tout près, nous l'avons entendu parler et, nous avons bien senti que cet homme n'était pas comme les autres, qu'il dépassait le commun de l'humanité.
Eh bien voilà, c'est cela ! L'action des saints n'est jamais inutile mais elle peut être sans résultat tangible dans l'immédiat ; mais elle n'est jamais sans résultat au plan du royaume de Dieu. Et cela, nous devons le croire. Et un jour, nous le découvrirons.
Oui, mes frères, épouser la volonté de Dieu, c'est épouser Dieu lui-même et c'est participer à tout ce qu'il est. L'obéissance est inaccessible aux prises du démon, de la chair et du monde. Il peut être attaqué, il peut être blessé, il peut être même tué, il est hors prise. Ce fut le cas du Christ et il demeure à jamais l'exemplaire par excellence de ce que nous pouvons être. Rien ne peut toucher, rien ne peut atteindre l'obéissant, rien. Il est libre de la liberté même de Dieu et personne n'a le moindre droit sur lui. L'obéissant vit de la lumière qui est Dieu et l'amour le possède.
En dehors par contre de l'obéissance, aucune véritable réussite humaine n'est possible. Cela vaut pour tout homme mais à fortiori pour ceux qui dans les monastères ont promis solennellement de se consacrer à cet idéal de la rencontre de Dieu par le chemin de l'obéissance, comme nous le dit encore aujourd'hui Saint Benoît.
Maintenant, s'obéir les uns les autres, c'est être à l'écoute les uns des autres, c'est puiser sa propre vie dans le cœur des autres. Imaginez ce que cela peut représenter dans la pratique. Eh bien, c'est littéralement faire descendre le ciel sur la terre, c'est devenir lumineux les uns pour les autres.
Eh bien, mes frères, c'est dans ce sens que le monastère peut être appelé un paradisus claustralis, un jardin clos, un jardin à l'intérieur duquel est présent de façon tangible le Royaume de Dieu. C'est un fameux idéal parce que nous sommes des hommes fragiles, faibles, vulnérables, peureux, pécheurs ; et c'est à partir de ce matériau que Dieu veut réaliser ce prodige.
Eh bien, mes frères, .c'est par l'obéissance que nous y parvenons. Essayons de le croire et puis d'entrer vigoureusement avec foi sur ce chemin et, aidons-nous à le parcourir jusqu'au bout.
Table des matières
Chapitre 71 : S’obéir mutuellement ! 29.04.84
Chapitre 71 : S’obéir mutuellement. 29.08.85
Quand on vous fait une remarque !
Chapitre 71 : S’obéir mutuellement. 29.08.87
Chapitre 71 : S’obéir mutuellement. 29.08.88
Remercier Dieu par l’obéissance.
Chapitre 71 : S’obéir mutuellement. 29.04.91
Chapitre 71 : S’obéir mutuellement. 29.12.91
Chapitre 71 : S’obéir mutuellement. 29.04.92
Pourquoi nous obéir les uns les autres ?
Chapitre 71: S’obéir mutuellement. 29.08.93