Mes frères,
Depuis toujours je conserve au fond du cœur la nostalgie du temps heureux où la communauté se rassemblait le soir au chapitre pour entendre la lecture qui ouvrait l'Office de Complies. La journée se terminait sur une ambiance de calme et de sérénité, et de paix. Puis, on se rendait ensemble à l'oratoire pour une dernière prière. Et l'on sortait armé pour un repos vigilant et confiant.
Aujourd'hui, déjà depuis des années, nous avons la lecture d'un chapitre de la Règle suivi d'un bref commentaire. Ce n'est pas la même chose. L'ambiance spirituelle est différente. Mais enfin, c'est ce que la Providence met à notre disposition. C'est une richesse que nous devons accueillir avec foi et reconnaissance. On peut très bien imaginer qu'on en revienne à la situation antérieure, c'est à dire donner le chapitre le matin et le soir la lecture de Complies.
Mais c'est un rêve pour l'instant, et on ne se nourrit pas de rêves. Peut-être un jour, mais qui n'est même pas visible au plus loin qu'on regarde, ce serait à nouveau permis. Mais abandonnons ça à notre Dieu.
Pour Saint Benoît, la journée du moine est tenue comme entre deux mains qui sont les mains de Dieu, les mains de notre Christ qui est Dieu avec nous. L'une de ces mains, c'est la Parole et l'autre main, c'est l'écoute.
Le moine ouvre la journée par une triple invocation : Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange. Et il la clôture en écoutant dans le silence ce que Dieu lui répond...le début de l'Office des Vigiles et la lecture de Complies.
Et cette invocation qu'il lance, la toute première qui sort de ses lèvres après le sommeil, c'est une prise de position pour toute la journée. Le moine décide que toutes les paroles qu'il prononcera dans les heures qui suivront jusqu'au soir, seront des paroles dont le but unique est un accroissement de charité. Ce sont des paroles qui baigneront dans la lumière de Dieu.
On comprend la férocité de Saint Benoît qui condamne, mais absolument, les paroles inutiles, les plaisanteries, les bouffonneries. Et alors, je laisse encore de côté les paroles méchantes, les paroles de médisances.
Non, tout cela pour Saint Benoît, ce doit être expulsé. Cela n'a pas de place chez Dieu, surtout chez le moine qui a demandé, par trois fois le matin, que ses lèvres s'ouvrent uniquement pour chanter la louange de Dieu.
Mes frères, il faut bien se rendre compte de ce que nous faisons. Ce ne sont pas des formules vides de sens. Et un jour nous serons, voilà, devant ce Christ qui nous dira : Mais voilà, qu'as-tu fait ? Qu'as-tu fait ?
Mais cela, c'est pour l'ouverture de la journée. Le soir maintenant ? Eh bien, le soir, on écoute dans le silence une parole qui vient d'ailleurs. C'est comme une réponse que Dieu nous adresse. Et ici, l'Abbé lui-même écoute. Tout le monde est sur le même pied. Tout le monde est serviteur. Tout le monde doit recevoir. Tout le monde doit se laisser former par cette Parole qui vient de Dieu.
Mes frères, il y a là une vision monastique qui est très, très belle, et qui est très juste. C'est pour ça que j'ai toujours le regret que la lecture de complies n'existe plus. On ne peut tout de même pas dire : Mais maintenant, on va supprimer le chapitre, etc. et puis on va le remplacer par la lecture de Complies. Non, il manquerait encore quelque chose d'autre alors. Et entre deux maux, il vaut encore mieux choisir le moindre.
Mais retenons ceci: C'est que le moine doit être un écoutant appelé à louer Dieu par toute sa vie. Et pas seulement par les paroles qui sortent de sa bouche, des paroles donc de charité, des paroles de bienveillance, des paroles de luminosité, de limpidité, de pureté, mais par toute sa vie. C'est à dire aussi par sa conduite, par ses gestes, par son travail, enfin par tout ce qu'il est.
Mes frères,
Habituellement lorsque nous entendons la lecture de ce chapitre, l'attention se porte sur la défense faite par Saint Benoît d'encore parler après l'Office de Complies. Cela se comprend, cette prohibition de la parole pendant les heures de la nuit est capitale dans une vie monastique. La nuit est le lieu d'un mystère, d'une rencontre, d'une lutte.
Rencontre de Dieu, révélation de ses mystères ; rencontre de satan, de ses illusions, de ses phantasmes. Le moine est un veilleur dans le silence. Ne pouvant plus voir, il écoute et il prie, et il cherche Dieu, et il le trouve jusque à l'intérieur de son sommeil.
Mais ce qui est important, c'est de considérer comment se termine la journée du moine. Cette fin de journée a un caractère de solennité, de recueillement, d'émotion même. Et tout est commandé par trois mots latins qui ne sont pas du tout traduits en français, mais que vous allez reconnaître tout de suite car nous les avons encore chantés comme Antienne du Magnificat : mox surrexerint a cena, 42,6. Rappelez- vous : Le Christ se leva après avoir mangé.
Il y a donc ici une allusion directe à la dernière scène. Le mot ici est emprunté à l'Antienne. Nous avons vu que pour Saint Bernard, il en allait déjà de même. Saint Bernard, lorsqu'il cite l'Ecriture, la plupart du temps il la cite à travers ce qu'il a entendu pendant l'Office.
La communauté est donc vue comme la continuation ou le prolongement de ce groupe de disciples qui pour la dernière fois, un soir, partage un souper avec le Christ. Et ce fut le repas du plus grand amour, de l'Eucharistie et du testament spirituel de Jésus.
Que font donc les moines ? Immédiatement après le souper, dit Saint Benoît, mox, bientôt, tout de suite après le souper, ils se réunissent pour écouter le Christ qui va à nouveau
leur parler par la bouche de l'Esprit Saint - l'Ecriture -, ou par le canal de saints personnages, les Conférences, les vies des Pères ou un autre Ecrit édifiant.
Mes frères, aussitôt alors, voyez tout de suite tout s'enchaîne, et nous avons l'image de la dernière scène sous nos yeux. Il est dit : Aussitôt que Jésus a parlé à ses disciples, ils chantent l'hymne, c'est à dire, ayant chantés les Psaumes et les Cantiques habituels du repas pascal, ils se lèvent et ils vont vers un jardin appelé Gethsémani.
Donc, nous avons le repas, nous avons le discours de Jésus, puis nous avons les psaumes et après les psaumes, on se retire. On se retire ? C'est un rappel, ici, discret du drame de la passion et pour nous de la trahison possible au cours de la nuit.
Donc, voyez mes frères, que notre vie ce n'est pas quelque chose de banal, que notre journée se termine tous les jours, qu'elle se termine dans l'ambiance de la dernière scène. O Saint Benoît le savait, Saint Benoît a choisi ses mots. Ce n'est pas par hasard, il savait ce qu'il disait.
Il y a d'autres endroits encore à l'intérieur de la Règle, il suffit d'y être attentif. Mais on passe dessus ainsi parce qu'on connaît presque le texte par cœur et on n'y prête plus attention. Il faut avoir l'esprit éveillé et porter sur ce texte un regard neuf comme si on le voyait pour la toute première fois. Alors on découvre des choses merveilleuses.
Voilà, mes frères, soyons donc toujours très propres dans notre approche de la vie monastique. Nous n'en rions pas, certes, je le sais, mais ne la banalisons pas. Ne devenons pas des gens distraits, des gens de routine. Il se passe tous les soirs depuis le souper jusqu'au moment où nous nous retirons pour prendre notre repos, il se passe un mystère. Soyons-y attentifs !
Vous comprenez aussi un peu mieux maintenant la raison d'un Chapitre, d'une salle Capitulaire. Traditionnellement on avait le cloître de la lecture. Et à Laval, et à Clairefontaine, ce cloître de la lecture existe encore. Et on y fait encore la lecture au soir. Enfin, puisque ici la lecture n'est pas possible, qu'il faut tenir le Chapitre maintenant, que ce soit au moins un local qui ait ce caractère de sacré, qui crée disons un lieu, un espace où on doit sentir une présence.
Mes frères,
Saint Benoît nous place à nouveau en présence du sérieux, de la gravité du silence dans une vie monastique. Il ne s'agit nullement d'une prohibition imposée de façon arbitraire comme si seul l'Abbé dans le monastère avait droit à la parole. Il s'agit d'une règle essentielle qui i concerne tout le monde y compris l'Abbé.
Mais pourquoi cette sévérité, cette intransigeance, surtout durant les heures de la nuit ? Pour comprendre, il faut se souvenir de ce qu'est la vie monastique. Il est nécessaire de se reporter aux origines, de remonter à Saint Benoît et plus haut que Saint Benoît. Nous découvrons alors que le silence est étroitement lié à deux états : un état de mort et un état de vision.
En entrant dans le désert - nous sommes tout au début de la vie monastique - en entrant dans le désert, le moine se considère comme mort. Il est mort au monde, à ses habitudes, à ses passions, à ses choix. Rappelons-nous les grands hommes que nous avons rencontrés ces derniers temps, Pambo appelé le Grand, Poemen, Arsène, des hommes qui vraiment au plus profond de leur conscience se considéraient comme morts.
Vous allez dire peut-être ou penser que c'était pathologique ? Pas du tout ! C'était la logique de leur choix, c'était la logique de leur vocation. Ils suivaient le Christ jusque dans la mort pour le rencontrer à l'intérieur de la leur. Oui, ils étaient morts au monde, ils étaient morts pour le monde. Je suis crucifié pour le monde et le monde est crucifié pour moi, disait déjà l'Apôtre Paul. Ils étaient morts aussi à eux-mêmes, à leur volonté propre, à leur passé.
Nous verrons lorsque le Seigneur nous conduira jusque là l'importance des souvenirs dans la vie monastique. Un moine doit être libéré de son passé, donc de sa mémoire, de ses souvenirs, de tout ce qu'il a été, de tout ce qu'il a fait en bien ou en mal.
Il n'est rien de plus pernicieux pour une vie spirituelle que de remuer son passé. Pourquoi ? Parce qu’on est entraîné dans une sorte de vertige qui suce vers le bas. Vous avez dans certaines rivières ce qu'on appelait des gouffres, c'est à dire dans le lit de la rivière tout à coup dans les profondeurs il y a un trou. Et au-dessus de ce trou, on voyait l'eau tourner. Et si on jetait un morceau de bois, le morceau de bois tournait. Et on ne pouvait surtout pas tomber dans l'eau à cet endroit-là parce qu’on aurait été sucé vers le bas dans le gouffre.
Mais symboliquement, voyez un peu le vertige que peut donner les mémoires, les souvenirs, les souvenances qui, petit à petit, sucent le moine vers le bas. Alors, dans ces conditions-là, un mort, eh bien un mort, il n'a rien à dire, rien du tout. Pourquoi ? Parce qu'il se tient en silence devant son Dieu qui le regarde et qui le juge. Saint Benoît nous dit ça tellement souvent.
Attention ! Encore une fois, ce n'est pas pathologique, ce n'est pas terrifiant. Non, c'est un état de grande paix parce que vraiment on est mort. On se tient devant Dieu qui juge, mais c'est l'amour qui juge. On est donc parfaitement en paix. Donc, le silence signale un moine qui a compris le sens de sa vocation et qui est honnête vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis de lui-même et vis-à-vis des autres.
Maintenant, le moine est conduit également au silence parce qu'il est un contemplatif. Il voit l'univers de Dieu dans lequel il a été introduit par le baptême. Il admire le Christ ressuscité dans sa lumière, le Christ transfiguré. Il admire la Sainte Trinité dans le sein de laquelle est entré le Christ. Il admire les saints et les saintes et tout l'agir providentiel de Dieu ici sur terre.
Alors, de toute son énergie il entre dans le projet de Dieu sur lui-même et sur le monde et il sent la vie divine s'emparer de lui et lui donner un être nouveau. Alors dans ces conditions-là, vous comprendrez qu'il ne se laisse pas distraire, il ne se laisse pas dissiper par des bavardages.
Mais non, il se tait, il admire, il regarde, il voit cette beauté et alors lui-même, spirituellement dans l'invisible, il devient lumière, il devient beauté. Si bien que le silence signale un moine contemplatif heureux, équilibré et fils de Dieu en voie d'accomplissement.
Et à partir de là, a contrario, on peut voir que le bavard, le bavardage signale un moine qui n'a pas compris le sens de sa vocation et qui n'est pas honnête vis-à-vis de Dieu, vis-à-vis de ses frères, et vis-à-vis de lui-même et un moine mais qui n'est pas heureux dans le monastère. Pourquoi? Parce que de plus en plus il se referme sur lui-même, il virevolte dans son petit univers et il y étouffe. Alors pour ne pas être étouffé, mais il bavarde.
Donc, mes frères, faisons bien attention! Le silence de notre vie est tellement une chose capitale, essentielle que nous devons faire absolument tout pour nous y exercer et pour y devenir parfait. Je sais que certains ont plus difficile que d'autres, certains ont la langue mieux pendue que d'autres. VOus savez, tout ça, ce sont des défauts naturels. Mais il est possible de les maîtriser, de les maintenir à l'intérieur de limites permises parce que ce n'est pas le mutisme qui nous est demandé, mais c'est la retenue et la discrétion dans les paroles.
Mes frères,
Hier, je n'ai pas eu l'occasion de m'arrêter sur la relation qui existe entre la nuit et la mort, et subsidiairement le silence. Pour comprendre cette relation, nous devons remonter aux origines de l'humanité. Pendant des millénaires, les hommes sont restés dans l'ignorance des lois de la nature. La nuit était vue par eux comme un lieu à l'intérieur duquel les puissances maléfiques pouvaient librement donner cours à leur méchanceté.
Ce retour régulier de la nuit et de l'obscurité était donc pour eux un phénomène inquiétant et effrayant. L'homme était saisi d'angoisse et de peur, il appréhendait toujours un malheur au cours de la nuit. Mais la Révélation est venue corriger cette impression, du moins pour le Peuple choisi, car Dieu s'est révélé comme le créateur de la nuit comme du jour. Si bien que la nuit est en son pouvoir et elle ne peut nuire aux amis de Dieu, ni aux serviteurs du Puissant.
Donc, voyez la nuit comme le lieu des malheurs, comme le lieu de la mort possible et, allons même plus loin, comme le lieu de la mort probable. Mais dans le subconscient collectif de l'humanité, même aujourd'hui, donc pour nous également, la nuit demeure le symbole d'une décréation, le symbole d'un retour au chaos, au désordre, au rien et, elle éveille en nous l'image de la mort. Ce ne doit pas être réfléchi, c'est comme ça, c'est ainsi chez tous les hommes ! L'humanité est toujours, grâce à ce phénomène d'ordre psychologique, elle est toujours reliée à ses origines.
Or le moine, lui, choisit de veiller durant la nuit. Il ouvre la bouche uniquement pour louer Dieu, pour l'invoquer, pour rester en communion avec lui. Lorsqu'il s'éveille et qu'il se lève, il exorcise la puissance mortelle de la nuit. Il manifeste que se mettant en communion avec Dieu, il est déjà vainqueur de la mort comme le Christ l'était.
Rappelons-nous cette toute petite incise de rien du tout dans le récit de la passion du Christ, dans l'Evangile selon Saint Jean. Il a donné la bouchée à Judas. Judas a pris la bouchée et avec cette bouchée satan est entré en lui. Puis, Jésus lui dit : Ce que tu as à faire, fais-le vite ! Alors l'Evangéliste note pour Judas : Il sortit. Dès qu'il eu pris la bouchée, il sortit de suite. Et cette petite note : il faisait nuit. Là vous avez un indice ténu mais bien réel qui relie la nuit au crime, à la trahison, au péché, au danger, à la peur et à la mort.
Naturellement c'était la nuit de la Pâque, c'était le repas Pascal. Mais alors aussi pourquoi ce repas doit-il être pris au cours d'une nuit ? Parce que c'est au cours d'une nuit que les fléaux, le dernier fléau s'est abattu sur le pays d'Egypte et que les premiers nés ont été tués par l'ange qui traversait le pays. Eh bien, tout cela est inscrit dans le subconscient des hommes et dans le nôtre.
Or nous, nous nous levons durant la nuit et nous ouvrons la bouche pour louer Dieu, pour l'invoquer, pour l'appeler à l'aide, pour lui dire que nous sommes en communion avec lui, que nous l'aimons et que nous nous réfugions à l'intérieur de son être.
Nous savons qu’à l'intérieur de la nuit Dieu est présent de la présence infinie de son amour, de son être qui est amour. Et alors, nous attendons la manifestation de Dieu dans une victoire sur le péché et sur la mort, sur tout ce qui est enclos à l'intérieur de la nuit.
Donc, mes frères, en saine logique, il n’est pas permis au moine d'ouvrir la bouche durant la nuit sinon pour s'adresser à Dieu. La sévérité et l'intransigeance de Saint Benoît est donc logique. Il ne peut pas honnêtement inscrire autre chose dans sa Règle. Le moine s'enferme donc à l'intérieur d'un silence qui est silence de confiance et d'amour.
Ce n'est pas un silence de peur, c'est un silence d'amour. Il meurt durant cette nuit puisqu'il s'endort, mais il sait que déjà il est en voie de résurrection. Il va donc s'éveiller et il ouvrira la bouche pour remercier Dieu, pour lui rendre grâce et pour lui dire qu'il attend tout de lui.
Voilà, mes frères, une facette très belle de notre Office de nuit et du grand silence nocturne, les deux vont ensembles.
Et c'est ainsi, mes frères, que notre vie monastique est chargée de symboles, des symboles qui sont archaïques, depuis l'origine de l'humanité, dès que l'humanité a voulu penser, ayant ...?… le monde en symbole pour s'y retrouver.
Donc notre vie monastique est chargée de symboles qui sont devenus des sacrements et des sacramentaux. Ils sont tous porteurs de réalités divines, depuis l'Eucharistie, là où le symbole devient la réalité même de Dieu, où il devient chair de Dieu ; donc depuis l'Eucharistie qui est le degré suprême, et que voilà puisque nous sommes occupés à cela maintenant, jusqu'à notre jardin clos qui est aussi un univers de symboles qui peut agir sur nous à la manière d'un sacramental.
Mais nous parlerons de cela une autre fois quand l'occasion s'en présentera.
Mes frères,
Dans les conclusions de la Carte de Visite, Dom Emmanuel rappelle la valeur du silence. Ecoutons-le : N'oubliez pas que c'est dans le silence que naissent les grandes choses. Cela vaut aussi pour notre vie et surtout pour notre vie spirituelle. C'est pour cette raison que le silence a une si grande valeur.
Dans le silence naissent les grandes choses, dit-il. Et pourquoi ? Mais parce que dans le silence nous entrons en communion avec Dieu. Nous nous laissons imprégner de sa présence et de son Esprit.
Dieu ne se manifeste pas dans le bruit, ni dans l'agitation, ni dans la fièvre, mais dans le calme, dans un silence à l'intérieur duquel nous pouvons écouter ce qu'il nous dit. Dieu a une voix, et cette voix nous pouvons l'entendre à condition que nous entrions dans un silence de plus en plus profond.
Il faut faire taire en nous toute agitation aussi, ce n'est pas seulement le silence extérieur mais le silence de l'esprit, le silence des pensées, le silence du cœur. C'est ne pas laisser s'infiltrer en nous une pensée chargée de passion, qui peut troubler, qui fait beaucoup de bruit et qui alors nous rend sourd à la Parole de Dieu.
Et nous pouvons alors, si nous entrons dans ce silence, permettre à Dieu de réaliser son projet qui est toujours grandiose. Et son projet, c'est de faire de nous des saints, des images de ce qu'il est. Il veut nous amener au partage de sa vie, de sa gloire et de son bonheur.
Il faut le croire, mes frères, car c'est la vérité. Tout le reste à côté n'a pas d'importance. Tout le mystère de Dieu, c'est à dire toute la beauté de son projet sur nous, sur chacun d'entre nous et sur notre collectivité, elle est enfermée comme dans un écrin à l'intérieur de la Personne de Jésus-Christ ressuscité des morts, lui qui vît en nous, et qui veut ressusciter en nous et nous faire ressusciter avec lui. C'est pourquoi la valeur du silence est incomparable. Elle est l'âme d'une vie contemplative authentique.
La beauté suressentielle de Dieu dans la Trinité de ses Personnes et l'unité de son être est enfermée à l'intérieur du silence. Au ciel, nous le savons, on ne parle pas, on ne fait que chanter. Tout est mélodie, tout est chant, tout est musique. Et pourtant en même temps tout est silence.
C'est ça qui est extraordinaire. C'est ..?. parfaite entre le chant et le silence. Nous pouvons déjà goûter cela de façon inco..?. à l'intérieur de notre prière. Il nous semble percevoir quelque chose à la fois de ce silence et de ce chant, c'est lorsque la voix de l'Esprit murmure son amour, l'amour qu'il est, à notre cœur qui écoute et qui reçoit.
Alors, mes frères, veillons à maintenir dans notre monastère une ambiance de silence. Mesurons nos paroles, l'éclat de notre voix. Evitons les bruits, ne claquons pas les portes derrière nous mais conduisons-les à la main. Quand nous entrons ou sortons de l'église, de notre cellule, soyons maître de nous et veillons.
Veillons pour les autres, encore une fois pour les autres, de maintenir cette ambiance de silence à l'intérieur de laquelle il nous sera possible de toucher Dieu, de le recevoir et, ce qui est le plus beau de tout, de l'écouter et de le regarder. Car pour le vrai contemplatif, les yeux se trouvent à l'intérieur des oreilles.
Mes frères,
Nous connaissons la raison de cette exigence quasi démesurée imposée par Saint Benoît au moine voué à la rencontre de Dieu. Si nous devons garder un silence quasi absolu après l'office de Complies durant les heures nocturnes, c'est parce que à ce moment-là le Christ se manifeste avec une intimité beaucoup plus grande.
Rappelons-nous ses paraboles où il nous dit que c'est dans le courant de la nuit qu'il viendra à notre rencontre. C'est la nuit de ce monde, c'est la nuit météorologique, cela ne peut pas être la nuit de notre cœur qui, lui, doit toujours être éveillé et écouter.
Il faut le silence parce que l'arrivée du Christ se manifeste dans un léger murmure. Il ne faut pas que ce murmure soit troublé par des paroles intempestives ou des bruits anormaux. La rencontre du Christ notre Dieu s'effectue pour un moine d'abord par l'ouïe et ensuite par la vision.
Voilà la raison mystique profonde du silence !
Mes frères,
Nous venons d’entendre un des chapitres les plus mystérieusement profonds de notre Règle. Il y est question du silence, surtout du silence nocturne, du silence de la nuit, du silence qui naît de l’obscurité, du silence qui enveloppe le sommeil, du silence qui dispose le cœur à recevoir la Parole de Dieu, à contempler la beauté du Créateur, à contempler tout ce que dans son amour il fait chaque jour, à chaque instant pour nous.
Il y est question d’un vide qui déborde d’une présence cachée, car la nuit c’est le vide. Il existe, nous le savons, une nuit qui nous est particulièrement chère quoiqu’elle nous soit bien pénible : c’est la nuit du cœur, c’est la nuit de l’âme, c’est la nuit de l’esprit.
Ce sont les instants, les jours, les mois, les années parfois où Dieu comme un artiste sans pareil creuse en nous des espaces, crée en nous un vide qu’il pourra remplir de sa présence, qu’il remplit d’ailleurs ; mais nous ne le sentons pas parce que notre sensibilité n’est pas encore suffisamment pure. Tout cela nous est rappelé durant ce silence de la nuit.
Nous savons aussi que le moine est un homme de silence, un taciturne, un silencieux. Il n’a rien à dire. Le moine n’a rien à dire et c’est pourquoi il se tait. S’il venait à parler, sa parole pourrait être une trahison ou une profanation. Il n’est pas possible de parler correctement de Dieu. Il n’est pas possible d’exprimer avec des mots humains les réalités du monde nouveau ; ou bien alors il faudrait être un inspiré, il faudrait être un prophète. Mais peut-on se targuer d’avoir reçu ce charisme ?
Alors le moine préfère le silence, un silence empli d’une présence indicible, un silence qui est un havre de sécurité et de paix. Le moine aime le silence parce qu’il est un amant de la vérité. Non pas d’une vérité partielle, d’une vérité amputée, d’une vérité tronquée, mais de la vérité toute entière, de cette vérité dans laquelle le Christ par son Esprit l’introduit heure par heure.
Il s’est laissé prendre par la main et il se laisse conduire docilement. C’est là aussi un des très beaux aspects de notre obéissance, cette écoute de Dieu et de sa volonté, cette écoute qui nous saisit par le plus profond de notre personne et qui nous introduit dans la vérité, la vérité toute entière.
Et nous pourrions faire nôtre, mes frères, cette sentence magnifique de Léonard de Vinci. Ecoutez-là ! La vérité n’est jamais là où on la crie, la vérité n’est presque jamais là où on parle.
C’est une assertion propre à donner le vertige. La vérité n’est jamais là où on crie. Saint Benoît le sait lorsqu’il dit que le sot en riant élève la voix, 7,158. Il crie. Clamosa voce, dit Saint Benoît, 52,9, une voix qui clame. Pourquoi ? Parce que le sot désire persuader de sa vérité à lui et il divague à côté de la vérité.
La vérité n’est presque jamais là où l’on parle. Dans les discussions, on réduit la vérité à une chose. Chacun amène son point de vue, ses arguments en faveur de ses positions. On assène des mots pour assommer les autres, pour les amener quasi à leur corps défendant là où soi-même on a établi sa demeure, une petite demeure, une petite cabane dans laquelle le petit ego s’estime être un roi.
Ou bien on bavarde, on tue le temps et, quoique l’on fasse, finalement on blesse la charité. Dans l’abondance des paroles, on n’évite pas le péché, nous rappelle Saint Benoît. Nous nous sommes arrêtés là-dessus voici quelques jours à peine, le 08.07.96.
Dans un cas comme dans un autre, mes frères, que l’on crie ou que l’on parle, on oublie que la vérité n’est pas une chose mais qu’elle est une personne. Et cette personne, celle du Seigneur Jésus, de Dieu avec nous, elle est aussi et l’amour et la vie. Et devant elle on se tait, on l’admire, on la respecte, on l’aime, on se laisse aimer par elle, on se laisse introduire dans son intimité. Et cela se fait avec plus de facilité et plus d’intensité durant les heures nocturnes alors qu’aucune forme extérieure ne vient distraire.
Telles sont, mes frères, les profondeurs du chapitre de ce jour. Laissons-les durant ce dimanche travailler en nous, creuser davantage à l’intérieur de notre cœur afin que la vérité puisse y établir sa demeure, qu’elle puisse occuper toute la place et nous emporter au plus secret de ce qu’elle est. Et cette vérité, je le rappelle, c’est la personne du Seigneur Jésus, de ce Dieu qui a voulu devenir homme pour que nous-mêmes nous puissions devenir Dieu.
Et devant cet enjeu, mes frères, la parole paraît tellement petite et le cri absolument dérisoire !
Table des matières
Chapitre 42: Du silence après Complies. 20.11.85
Chapitre 42 : Du silence après Complies. 21.03.86
Chapitre 42 : Du silence après Complies. 21.07.89
Le silence est une règle essentielle.
Chapitre 42 : Du silence après Complies. 22.07.89
Chapitre 42 : Du silence après Complies. 11.02.90
Chapitre 42 : Du silence après Complies. 20.11.90
Chapitre 42 : Du silence après Complies. 21.07.96