Chapitre 24 : La mesure de l’excommunication.  02.03.84

La miséricorde avant le jugement !

 

Mes frères,

 

Pour comprendre la sévérité de Saint Benoît, nous devons nous rappeler qu'il s’agit de corriger, de redresser, de guérir un frère dont le comportement nuit sérieusement à la communauté, et qui se fait gravement tort à lui-même. Et c'est à l'Abbé de porter un jugement sur la nature, sur l'étendue de la faute. La responsabilité de l'Abbé est donc engagée. Il doit évaluer. Il doit discerner. Il doit peser.

 

Et Saint Benoît lui donne ailleurs, pas ici, une règle d'or. 64. 20-28. Il lui prescrit de toujours super exaltare. C'est un superlatif au carré, à la seconde puissance. Il doit placer au dessus de tout la miséricorde, avant le jugement. Super exaltare misericordiam iudicio. 64.26. Ce n’est presque pas possible de traduire cela en français !

Et puis, il doit haïr les vices - c'est certain ! - mais toujours bien aimer les frères. L'Abbé doit donc être un homme de cœur. Il doit avoir mesuré sa propre faiblesse. Il doit aimer les hommes. Il doit derrière la faute voir le malade, voir le frère qui peut-être par son comportement aberrant lance un appel au secours.

C'est un frère blessé dans son cœur par le péché. Et l'Abbé doit prendre des responsabilités qui sont difficiles, car il doit en même temps protéger la communauté et sauver le frère. Mais il ne le pourra que si il est miséricordieux à la manière de Dieu.

 

Car Saint Benoît a un petit mot qu'il ne faut pas laisser passer. Chez Saint Benoît, il faut veiller à sentir ce qu'il  veut. Il dit : semper, 64,26. Il faut toujours placer la miséricorde avant le jugement, toujours ; donc il n'y a aucune exception ! Pourquoi ? Mais parce qu’on ne pêche jamais par excès de bonté. Il nous sera toujours impossible d'accéder à la mesure de la bonté divine qui est infinie.

Le péché, voyez-vous, ça pourrait être chez un Abbé, d'être trop dur. Il est beaucoup plus facile de sévir d'un coup, de briser quelqu'un que de le supporter avec patience, de le soigner et de le guérir. Briser quelqu'un, c'est la méthode hitlérienne. On l'envoie dans un camp de concentration. Et puis voilà, là, on les liquide en autant de mois. C'est programmé ! Ou bien on lui fait une piqûre, indésirable ! Il est devenu indésirable.

Nous verrons que Saint Benoît prévoit des choses pareilles. Non pas, je dirais, tuer un frère, mais retrancher un  membre malade qui peut, à cause de la gangrène qui l'habite  contaminer le corps entier. Mais ça, c'est autre chose, et nous le verrons par après.

 

Mais retenons ça, mes frères, c'est qu'un Abbé, en présence d'un frère pris en faute, d'un frère qui devient impossible en communauté, il doit avoir pour lui, dans son cœur, que des pensées d'amour et des pensées de salut. Un Abbé, s'il tient vraiment la place du Christ, doit savoir que le Christ est venu non pas pour prendre avec Lui une élite de gens parfaits - il l'a dit d'ailleurs - mais pour sauver des gens qui étaient malades et malheureux.

Et nous sommes tous d'ailleurs de ce côté là. Quelqu'un qui voudrait être trop dur, par le fait même il se juge d'une classe différente. Il n'y a pas en lui de compassion ? Il n'y a pas en lui de commisération. Il n'y a pas en lui d'humilité.

Voilà, mes frères, retenons cela. Saint Benoît distingue des fautes plus graves, des fautes moins graves, mais nous parlerons de cela une autre fois.

 

Chapitre 24 : La mesure de l’excommunication.  01.07.87

      Etre mis au ban de la communauté !

 

Mes frères,

 

A l'époque de Saint Benoît, la peine d'excommunication infligée à un frère était ressentie comme l'équivalent d'une damnation, à cette différence près que le repentir était possible et donc que cette condamnation n'était pas irrémédiable.

Le frère coupable était mis au ban de la communauté. Il vivait encore dans l'enceinte du monastère, mais symboliquement, et par des mesures concrètes appropriées, il ne participait plus à la vie de la communauté. Il n'avait plus part à la communion des frères. La puissance de vie qui animait la communauté ne passait plus en lui.

Si bien que à plus ou moins longue échéance, il était condamné à mourir, à mourir spirituellement, à mourir psychiquement et peut-être même à mourir physiquement ? Si bien que le sentiment grandissant de cette mort provoquait un choc salutaire et amenait le frère à résipiscence.

 

Voilà donc comment se présentait à l'esprit de Saint Benoît et de ses disciples l'excommunication pour les fautes, pour les fautes graves naturellement, pas pour les peccadilles. Je vous le répète, c'était une sorte de condamnation à mort. Mais pour vivre les choses de cette façon, il fallait une grande foi, une foi vivante qui faisait voir en transparence l'univers de Dieu.

On me faisait remarquer cet après-midi que dans les pays arabes chrétiens comme certaines régions d'Israël, ou au Liban, ou certaines régions de Syrie, ce sentiment d'un univers imprégné de la présence de Dieu dominait aujourd'hui encore toute l'existence des hommes. C'est très, très fort dans les pays Islamiques, mais c'est aussi fort dans les pays chrétiens de ces régions. C'était l'atmosphère dans lequel vivait Saint Benoît.

Or aujourd'hui, le monde est devenu opaque et les réalités divines sont entièrement étrangères à notre Culture. C'est un phénomène que nous devons accepter parce qu'il est là. Nous sommes nés dans cet univers. Nous y vivons encore maintenant. Et il est clair que une peine comme l'excommunication serait entièrement désuète aujourd'hui. On ne la comprendrait pas. On verra ça comme un jeu et peut-être même comme une délivrance. On serait marginalisé officiellement. On pourrait donc faire ce qu'on veut, mener sa vie comme on l'entend.

 

Et pourtant, cette peine de l'excommunication, elle a encore, me semble-t-il, quelque chose à nous dire aujourd'hui, du moins l'évocation de cette peine. Elle nous rappelle deux choses. La première, c'est qu' elle ravive en nous le sens du Corpus Monasterii. Nous formons un Corps, un Corps structuré, un Corps animé. Et l'âme de ce Corps, c'est l'Esprit Saint, l'Esprit Saint qui est amour.

Et quand je parle d'amour, c'est la charité, ce n'est pas un quelconque sentiment de sympathie, ou un esprit de corps, ou un certain sentiment de faire partie de telle communauté dont on doit défendre au moins la façade.

Non, lorsque je parle de charité, c'est la Personne même de l'Esprit Saint, c'est cette Personne qui n'a pas de visage, cette Personne que nous ne pouvons nous représenter et qui, pourtant, est perceptible à notre cœur et même à l’œil de notre cœur lorsque notre cœur devient pur.

Et cette Personne de l'Esprit Saint, elle pénètre chacun d'entre-nous. Elle nous unit comme elle unit, comme elle est elle-même le lien de l'unité au sein de la Trinité. Voilà donc ce qui constitue une communauté monastique ! C'est extrêmement important !

 

Alors, la peine de l'excommunication, elle plaçait le frère en dehors de l'Esprit Saint. Il était éjecté. Si bien que fatalement, comme je le disais tout à l'heure, à plus ou moins long terme il devait mourir, une mort spirituelle qui était l'équivalent de la damnation éternelle.

Eh bien, si nous n'étions pas un Corps, mais un simple groupe, un agrégat d'individus, nous ne formerions pas une communauté et notre Abbaye ne serait pas un monastère. Et c'est une chose qui se perd de vue facilement.

Aujourd'hui, il suffit d'avoir un objectif commun auquel on se donne pour avoir l'illusion de former une communauté. Non, non, la communauté est formée par l'Esprit Saint qui anime les membres, c'est à dire par l'amour effectif qui circule entre les membres. Si ça n'existe pas, c'est pas une communauté, c'est un agrégat.

 

Et deuxième conséquence, c'est que toute faute contre la charité blesse le Corps du monastère, porte atteinte à son intégrité, débilite le Corps. Cela, nous le comprenons. Et c'est la raison pour laquelle la faute contre la charité est, au monastère, est toujours la plus sérieuse.

On peut faire beaucoup d'histoires à côté, mais attention ne blessons jamais la charité parce que à ce moment-là, c'est le Corps même du monastère qu'on attaque. Et en attaquant le Corps, on s'attaque soi-même. Il se produit un effet de boomerang, le projectile qui est envoyé revient. Donc, mes frères, il est nécessaire de toujours veiller sur ses actions, sur ses paroles et même sur ses pensées.

 

L'idéal, c'est de ne même pas avoir une pensée contre la charité. Elles peuvent effleurer, naturellement, elles peuvent chatouiller, elles peuvent ennuyer. Ce sont des tentations, elles sont inévitables. Mais que ça ne pénètre pas à l'intérieur du cœur pour y prendre racine, et puis pour grandir et fleurir et porter des fruits contre la charité. Parce que alors, je le répète, ces fautes sont les plus sérieuses, alors que nous arrêtons, nous, plus facilement à des actions contre la charité, même à des paroles contre la charité.

Mais nous devons aller jusqu'au pensées, parce que à ce moment-là, lorsque dans le cœur il n'y a plus que des pensées de charité, jamais des pensées contre la charité, à ce moment- là, et les paroles, et les actions ne font que rayonner cette charité.

 

Mes frères, voilà, vous voyez qu'il est toujours possible de tirer une bonne leçon bien salutaire même de choses qui aujourd'hui nous paraissent, qui sont étrangères à notre mode de

vie. Et Saint Benoît, je ne le répéterais jamais assez, est une mine inépuisable d'enseignement et d'encouragement. Avec lui, si nous sommes dociles, je puis vous le garantir, notre avenir spirituel est assuré.

 

 

Chapitre 24 : La mesure de l’excommunication.  01.03.93

L’appréciation de la faute.

 

Mes frères,

 

Il est un détail extrêmement important qui vous a peut-être frappé comme moi : Saint Benoît nous dit que la mesure du châtiment devrait être proportionnée à la faute commise, 24,2. Cette appréciation des fautes dépend du jugement de l'Abbé.

Eh bien, mes frères, à partir de là, on peut conclure que l'Abbé doit être un saint. Car, comment voulez-vous apprécier la mesure d'une faute si on n'est pas habité par l'Esprit de Dieu ? Lui seul est capable de scruter le fond des cœurs et de jauger la responsabilité de la personne.

 

Je pense que ce que l'Abbé doit faire ici, ce n'est pas tant châtier le moine fautif mais plutôt protéger la communauté. Car, si une faute patente est laissée comme ça à l'abandon, si l'Abbé ferme les yeux trop souvent - il peut fermer les yeux une fois ou l'autre - une habitude mauvaise peut s'installer à l'intérieur de la communauté.

C'est à dire que ce qui est en soi une faute peut très bien devenir quelque chose d'habituel, quelque chose qui à la limite deviendrait licite si l'Abbé ne réagit pas. Mais il s'agit ici du châtiment ? Alors, comment adapter la punition à la hauteur de la faute ?

 

Eh bien, je pense qu’ici aussi nous devons regarder l'Abbé comme étant quelqu'un d'exceptionnel. Je me reporte à l'époque de Saint Benoît parce que aujourd'hui les choses ne sont pas exactement les mêmes. Il y a des personnes - et dans le monde des supérieurs - qui ont très difficile de porter un jugement objectif, un jugement de charité sur la personne qui a commise une faute. Il faut bien savoir que, la plupart' du temps, celui qui commet une faute n'en n'a pas tellement conscience. La psychologie aujourd'hui a un peu exploré les profondeurs de l'âme humaine; et on y découvre des abîmes d'inconscience ou bien des pulsions qui sont quasiment irrésistibles.

 

Voilà, je vais vous donner un exemple : vous avez un garçon ou une fille qui, enfants, ont été maltraités, mais vraiment, vraiment maltraités, fort. Ils n'ont pas d'autre expérience dans leur enfance et leur jeunesse que celle-là. Si bien que lorsque dans le monastère ils voient un frère, une sœur qui commet une faute qui en soi est tout à fait anodine, cela peut déclencher des colères et des scènes.

Par exemple, parce que ce frère, ou cette sœur, n'a pas remis exactement, exactement à sa place un objet dont on pourrait avoir besoin soi-même, un objet qui est à la disposition de tout le monde. Voilà, on ne l'a pas remis à sa place et on en a besoin, et on ne le trouve pas. Mais, on sait très bien que c'est un tel qui l'a utilisé et qui l'a mis ailleurs.

Mais cela peut déclencher des colères, des colères et des scènes qui alors terrorisent le soi-disant coupable qui avait fait cela par inadvertance, sans savoir.

 

Alors, cette personne qui se déchaîne, ce frère qui se déchaîne, mais voilà, l'Abbé doit tout de même une fois ou l'autre intervenir. Voyez le dilemme devant lequel il se trouve !  Il Y a des personnes qui commettent des fautes ainsi parce qu'ils  ne peuvent pas faire autrement. Leur degré de culpabilité est nul, mais enfin, ils troublent l'ordre social.

Voyez tout çà ! Tout çà, c'est ce que dit Saint Benoît ici : l'appréciation est laissée au jugement de l'Abbé. Et si l'Abbé ne fait rien, on dira : “ Mais enfin, il permet tout! ” C'est très, très difficile dans certaines situations.

Et c'est pour ça que l'Abbé doit véritablement, idéalement, être un saint en ce sens qu'il est capable de porter les reproches que les frères lui adressent et en même temps porter la maladie du frère qui, lui, est malade depuis toujours. C'est çà la brebis malade, une brebis incurable psychologiquement parlant !

 

Enfin, je donnais là un petit exemple qui n'est pas tiré d'ici parce qu’il n'y a personne ici qui soit à ce point là. Mais je connais des situations pareilles dans des monastères et c'est extrêmement pénible pour la personne elle-même, pour l'Abbé et pour la communauté.

C'est çà qu'on peut dire se porter les uns les autres et alors vous accomplissez la loi du Christ. Porter, se porter les uns les autres !

 

Mais voilà, mes frères, vous voyez, je ne parviens pas à trouver un jour où je pourrais enfin parler de cette histoire de pureté de dévotion. Mais ça viendra, ça viendra si Saint Benoît ne nous met pas encore comme ça quelque chose dans le cœur.

 

Table des matières

Chapitre 24 : La mesure de l’excommunication.  02.03.84. 1

La miséricorde avant le jugement ! 1

Chapitre 24 : La mesure de l’excommunication.  01.07.87. 2

Etre mis au ban de la communauté ! 2

Chapitre 24 : La mesure de l’excommunication.  01.03.93. 4

L’appréciation de la faute. 4