Mes frères,
L'obéissance est un plat succulent préparé par le moine à l'intention de Dieu et de ses frères. Dieu le déguste avec plaisir. Elle est acceptabilis, dit Saint Benoît, 5,29. Dieu la reçoit avec joie. Il est heureux. Il y trouve son plaisir. Les frères savourent longuement ce même plat. Pourquoi ? Parce qu'il est plein de douceur, nous dit Saint Benoît, dulcis, 5,30.
Oui, mes frères, c'est bien vrai. L'obéissance est un mets tout simple qui s'adapte au goût de chacun. Il ressemble à cette manne, à cet aliment mystérieux que Dieu envoyait du ciel aux enfants d'Israël, à ses enfants à Lui qui étaient perdus dans le désert. Et cette manne s'adaptait au goût de chacun. C'était merveilleux !
Or, nous le savons, la véritable manne, le véritable pain descendu du ciel, c'est le Christ Jésus, Dieu lui-même. Ce Jésus, ce Christ, ce Dieu qui a voulu se donner en nourriture aux hommes. Sa chair est le véritable pain. Son sang est la véritable boisson. Il est devenu notre nourriture dans l'acte suprême de son obéissance.
Lui-même se nourrissait exclusivement de la volonté de son père. Il s'est livré aux hommes qui cherchaient sa mort. Il s'est laissé crucifier. Il a poussé l'obéissance jusqu'au point extrême, là où nous même jamais nous ne pourrions aller.
Et ainsi, dans cet acte, il est devenu notre nourriture. Car il a dit : Voilà mon corps et voilà mon sang. Et vous ferez la même chose en mémoire de moi ! L'obéissance du moine est donc un acte sacrificiel intimement lié au sacrifice du Christ, et qui trouve sa source et sa saveur sur l'autel de l'Eucharistie, pas ailleurs.
Je pense que nous devrions de temps à autre méditer ces vérités, nous rappeler que l'obéissance n'est pas le fait des tempéraments faibles. Vous savez, des gens qui sont contents d'être conduits, des hommes qui ne peuvent pas faire autre chose, qui ont des tempéraments d'esclaves.
Il y en a, ça existe ! Et dans l'esprit des gens du monde, ce sont ceux-là qui peuplent les monastères, parce que voilà, ils promettent obéissance jusqu'à la mort, des gens qui n'ont pas de ressort !
Mais attention. L'obéissance du moine étant liée à l' obéissance du Christ, c'est à dire du Verbe de Dieu, l'obéissance du moine devient le fait uniquement de personnalités fortes. Mais alors, c'est l'obéissance dans le sens où l'entend Saint Benoît, une obéissance qui est imprégnée d'amour, qui est enracinée dans la foi, une obéissance qui n'est rien d'autre que l'échos dans le cœur du moine de l'obéissance du Christ lui-même.
Savoir dire oui, c'est le fait d'un homme libre. Et dire non, c'est le fait de l'esclave. Le prédicateur de la retraite et Monsieur Habachi nous ont très bien expliqué cela tous les deux. Et voilà, je suis le troisième, mais je le dis tellement mal. Mais je ne suis pas un grand spirituel comme ces deux éminentes personnalités.
L'autel du sacrifice, c'est le cœur du moine. Personnellement, lorsque je rencontre un frère ici dans le monastère, qui est toujours disponible, qui du premier coup dit oui, et bien j'ai envie de me mettre à genoux devant lui et de lui baiser les pieds. Le Christ habite dans un tel frère. Ne l'oublions pas, cela, la valeur d'un moine, c'est uniquement la qualité de son obéissance, uniquement cela.
Ce n'est pas la vigueur de son intelligence ? Non ! Ce n'est pas son rendement au plan du travail ? Non ! Ce n'est pas l'étendue de ses relations humaines ? Non ! C'est uniquement la qualité de son obéissance. Pourquoi ?
Parce que, je le répète, l'obéissance est impossible sans qu'il y ait dans le coeur un feu d'amour qui n'est autre que l'Esprit Saint. Il est impossible d'obéir si on n'est pas mû par l'Esprit de Dieu. Et on n'est pas mû par l'Esprit de Dieu si on n'est pas greffé par la foi sur la personne du Christ.
C'est cette fameuse spirale dont nous a parlé le Prédicateur, qui fait que cela ne fait que s'amplifier, cela ne fait que s'étendre et de monter. L'obéissance augmente la vigueur de la foi et la puissance de l'amour. La puissance nouvelle de l'amour et la vigueur nouvelle de la foi rendent meilleure, plus forte encore l'obéissance. Et ainsi sans fin. Et lorsque nous serons dans l'éternité, cela continuera ainsi. Cela ne changera rien. On est obéissant non seulement jusqu'à la mort, mais pour toute l'éternité.
Le Christ est constitué dans son être de Christ par son obéissance. Le Verbe de Dieu, indépendamment de son incarnation est constitué dans son être par son obéissance. Sa place au cœur de la Trinité, c'est d'être pur reflet de ce qu'est Dieu le père. Il ne peut être pur reflet que si il se reçoit entièrement du Père dans un acte parfait, divinement parfait d'obéissance.
Eh bien voilà, mes frères, le mets délicieux qui nous est donné de déguster, et que nous pouvons préparer pour chacun de nos frères. C'est tellement beau alors, c'est tellement riche. Et on peut dire alors que la vie monastique est belle et que la vie tout court, la vie de l'homme tout court, elle vaut la peine d'être vécue. En dehors de cela, il n'y a jamais que, je dirais presque, avortement. Un homme, un moine qui ne parvient pas à obéir, oui, il rate sa vie. Il avorte. ce ne sera plus rien. Ce sera rien, rien, rien. Par contre, celui qui grandit dans l'obéissance, parce que l'obéissance est indéfiniment perfectible, celui-là, sa taille, nous ne la connaîtrons jamais.
Le plus grand saint, c'est la Vierge Marie. Et la Vierge Marie, elle a une taille spirituelle qui est encore très, très loin naturellement de la taille de Dieu. C'est certain ! Mais elle a une taille spirituelle telle que nous sommes tous contenus en elle. Elle est la mère de l'Eglise, comme on dit. C'est à dire elle est la mère, non seulement de la tête, Jésus, mais aussi de tout le Corps.
Donc tous les hommes sont contenus en elle. Voyez sa taille spirituelle ! Pourquoi ? Parce que personne n'a obéi comme elle et n'obéira jamais comme elle. Voyez, c'est l'obéissance qui marque aussi la fécondité de quelqu'un.
Voilà, mes frères, retenons bien cela ! C'est demain la fête de la Sainte Trinité qui n'est rien d'autre - si nous la voyons par l'intérieur, non pas par l'imagination mais avec notre foi et notre amour, si nous la regardons avec les yeux du cœur - qui n'est rien d'autre que d'une personne à l'autre une sorte de concours au plus obéissant des trois. Eh bien, mes frères, entrons dans ce jeu, entrons dans cette danse et nous réaliserons notre destinée et le projet de Dieu sur nous.
Mes frères,
Si l'elatio, l'élèvement tue la conversion à sa racine, l'obéissance, elle, est la conversion en acte, la conversion en œuvre. Saint Benoît nous le dit clairement. Le moine sérieux, qui prend sa vocation au sérieux, n'obéit plus à ses désirs ni à ses plaisirs, mais il marche au jugement et au commandement d'autrui, 5,24. Il est donc passé d'un égocentrisme à un éthérocentrisme. Il opère un mouvement. Il ne suit plus sa propre route. Il fait demi-tour et opère une migration en Dieu.
Mes frères, soyons sincères. Nous ne sommes pas libres. Nous obéissons toujours à quelque chose ou à quelqu'un. Nous sommes habités par des besoins, par des instincts qui nous meuvent à notre insu. Ils sont très habiles. Ils nous font poser des actes de vertu, plutôt des actes colorés d’une apparence vertueuse. Mais tous surgissent du fond égoïste de notre être. Ils tendent vers autoexaltation, l’autosuffisance dans l'affirmation de soi et la recherche du plaisir. Et ils donnent l'illusion de la puissance et de la liberté.
Un tout petit exemple de rien du tout qui n'est pas emprunté au monde monastique mais que j'ai expérimenté moi-même lorsque j'étais jeune. C'est le fait en été d'aller marauder des cerises, ou des prunes, ou des pommes chez le voisin. Cela vous donne une impression de vitalité, de force. On est devenu quelqu'un.
En fait, on est dans l'illusion. On a été emporté par son instinct et on est grisé par une sorte de liberté : je suis capable de tout faire. Mais en fait, on est déterminé par ses instincts. C'est eux qui nous possèdent et nous ne nous possédons pas nous-mêmes. Nous sommes esclaves et nous ne nous trouvons jamais.
Alors, mes frères, obéir pour obéir, autant obéir à Dieu, autant travailler avec lui dans un projet qui nous apportera notre délivrance, une délivrance de toutes formes d'esclavage. Saint Benoît nous dit que le moine arrivé au sommet de sa vie spirituelle connaît ce qu'il appelle la dilatatio cordis. Son cœur se dilate. Pourquoi se dilate-t-il ? Mais parce que ce moine goûte la liberté. Il sait, il est un homme libre. Auparavant il était un homme esclave.
Et cela veut dire, esclave, que il n'avait pas la possibilité de respirer librement. Il devait respirer prudemment parce que sa poitrine était écrasée. Mais dès qu'il est libre son cœur se dilate, sa poitrine se dilate, il peut respirer profondément comme il lui plaît. Et ça, c'est le fruit de la conversion.
Ecoutez ! Si je fais ma volonté, je reste enfermé en moi, je tourne autour de moi, je tourne sur moi-même comme une toupie. Mais si je fais la volonté de Dieu, je sors de moi, je m'échappe, je m'évade de la prison de mon moi et je me précipite chez Dieu. J'entre chez lui. Et mieux encore, c'est Dieu qui vient chez moi et qui me donne en cadeau sa propre liberté.
Voilà, mes frères, en quoi consiste la véritable conversion. Et vous voyez qu'elle est tout simplement une question de confiance : oser faire confiance à l'obéissance. Saint Benoît nous dit que c'est une route étroite. Oui, parce que nous sommes naturellement méfiants et qu’il est très difficile de faire confiance. Je ne dis pas de faire confiance à un homme, ni même de faire confiance à Dieu, mais de faire confiance au fait de l'obéissance et de se dire : si j'obéis, je marche vers la liberté quand tout mon instinct me dit : si t'obéis, tu t'asservis !
Voilà, mes frères, dans ce sens là aussi le Christ dit : Celui qui ose perdre sa vie, c'est celui-là qui la trouve ! Et c'est la condition de la réussite pour notre vie !
Mes frères,
Saint Benoît n'est pas seulement un grand spirituel, c'est aussi un grand artiste. Il nous présente aujourd'hui une de ses toiles. Nous pouvons admirer le portrait d'un moine obéissant. C'est pétillant de réalisme, de vie, de lumière. C'est vrai jusque dans le détail. Ecoutez encore :
Renonçant aussitôt à leur propre intérêt et à leur propre volonté, ils quittent ce qu’ils tenaient à la main et laissent inachevé ce qu’ils faisaient. Ils suivent d’un pied si prompt l’ordre donné que dans l’empressement qu’inspire la crainte de Dieu, il n’y a pas d’intervalle entre la parole du Supérieur et l’action du disciple, toutes deux s’accomplissant au même moment, 5,12-19.
L’ordre est exécuté sans trouble, sans retard, sans tiédeur, sans murmures, sans paroles de résistance, 5,30.
Mes frères, nous devrions longuement contempler cette toile, nous laisser pénétrer de sa beauté, afin que puisse s'éveiller en nous des réflexes nouveaux, des réflexes de santé spirituelle. Car il nous faut arriver à une réponse tellement spontanée à ce que Dieu attend de nous que nous soyons pour ainsi dire confondu avec sa volonté.
Il faudrait que lorsqu’on nous voit, on voit immédiatement apparaître la volonté de Dieu, donc Dieu lui-même. Il faut que nous soyons des présences dans ce monde-ci de ce que Dieu désire pour ce monde, c’est-à-dire le salut en terme bien théologique et, plus concrètement, que ce monde soit heureux, que ce monde connaisse le bonheur absolument inconcevable qui est celui-là même de Dieu, et qui est l'être de Dieu.
Mes frères, si nous pouvons ainsi éveiller en nous ces réflexes, nous deviendrons vraiment ce que nous sommes : des ressuscités, des enfants de Dieu, des hommes qui accomplissent vraiment leur vocation humaine. Saint Benoît revient là-dessus dans le dernier chapitre de sa Règle. Il nous dit que les vies et les conférences de nos pères en la vie monastique sont des instruments de vertu pour moines vraiment bons et obéissants, 73,15. Nous serons donc de véritables moines si nous sommes vraiment obéissants.
Aujourd'hui, il nous en faut rappeler la qualité de cette obéissance. Elle doit venir du fond du cœur. Et C'est pourquoi Saint Benoît a quelque chose d'assez étonnant, pour nous du moins. C'est que de vrais moines désirent avoir un Abbé à leur tête : Abbatem sibi praeesse desiderant, 5,26. Ce désir est extraordinaire. Il ne vient pas de notre nature, il nous est inspiré par Dieu lui-même.
Il est la preuve que l'Esprit de Dieu habite dans nos cœurs, car notre égoïsme préfère l'indépendance, l'autonomie dans l'illusion que faire ce qu'on veut est une affirmation de liberté, est une preuve de virilité, est un gage de réussite. Non, il y a un autre désir, c'est désirer vivre sous la conduite d'un autre qui est, au yeux de la foi, le représentant du Christ, ce Christ qui apporte une sagesse nouvelle, une vie nouvelle, celle de Dieu, et cela pour une vraie liberté.
Je pense, mes frères, que il est impossible de savoir ce qu'est cette liberté nouvelle qui fleurit sur l'obéissance, si on n'est pas devenu entièrement perdu dans la volonté de Dieu. A ce moment-là, je puis vous l'assurer, on est ce qu'on peut appeler libre, libre vis-à-vis des hommes, libre vis-à-vis de soi et même libre vis-à-vis de Dieu. On peut se tenir debout devant Dieu parce que on ne fait plus qu'un avec lui.
Voilà, mes frères, ce qui nous est possible si nous entrons sincèrement avec une foi vivante dans cette relation correcte d'obéissance à l'endroit de l'Abbé. De tels hommes, comme le dit Saint Benoît, n'ont rien de plus cher que le Christ. C'est donc une question d'amour, c'est une question de choix : savoir choisir le Christ et non choisir une idéologie, mais choisir une personne et s'attacher à elle.
Mes frères, c'est le moment de descendre dans notre cœur et de voir ce qu'il en est de nous ? Nous avons toujours une conversion à opérer et à parfaire. Nous ne devons jamais nous dire : maintenant c'est arrivé, c'est fini ! Non, si cette pensée monte à mon esprit, c'est bien la preuve qu'il y a encore quelque chose à faire.
Soyons donc convaincus en ce que la grâce de Dieu n'aura jamais fini de nous poursuivre, de nous séduire. Elle nous attire par devant et elle nous pousse par derrière, car elle veut nous conduire là où Dieu nous attend chez lui, au cœur de la Trinité, afin que là, nous goûtions la liberté parfaite dans un amour qui est en nous la respiration même de Dieu.
Mes frères,
Ce soir, Saint Benoît nous introduit au cœur de la praxis monastique. La valeur humaine pour lui ne se mesure pas à l'aune des diplômes, ni des publications, ni de la notoriété mondaine, ni même de la notoriété intermonastique. Elle se définit uniquement par la qualité de l'obéissance.
Pour le comprendre, il faut contempler le moine parvenu au sommet de sa vocation. Ce frère est devenu un seul esprit, un seul vouloir avec Dieu. Ce n'est plus lui qui vit, c'est le Christ son Dieu qui vit en lui. Cet homme est métamorphosé. Sa nourriture, ce n'est plus la satisfaction de ses désirs, de ses ambitions, de ses besoins charnels - je prends charnel dans le sens le plus vaste du terme - de ses besoins terrestres.
Non, sa nourriture pour lui comme pour le Christ, c'est uniquement la volonté de son père. C'est ainsi qu'il grandit en Dieu, qu'il se développe. Il ne finit pas de s'épanouir. Son coeur se dilate aux dimensions du coeur même du Christ, aux dimensions de Dieu, c'est à dire l'infini.
Eh bien, ce frère réalise sa vocation dans toute sa beauté, dans toute sa grandeur, parce qu'il se nourrit exclusivement de Dieu reçu à l'intérieur de sa volonté. Car Dieu n'est pas distinct de sa volonté. Lorsqu'il demande quelque chose au frère, à l'intérieur de cette demande, c'est lui-même qu'il donne avec toute la richesse, avec toute l'humilité aussi, tout l'effacement de son être. Car Dieu, ne l'oublions jamais, est l'être le plus effacé, le plus humble et, j'ose le dire, le plus obéissant.
Le thermomètre qui mesure donc le degré de vie divine, c'est l'obéissance. Saint Benoît accumule des détails qui suggèrent l'humilité qui existe par l'obéissance, la vraie obéissance, entre Dieu et le frère. Le cœur est vide, vidé de soi et toute la place est occupée par l'Esprit divin. Si bien que le frère acquiert des réflexes nouveaux. Ce ne sont plus des réflexes d'homme égoïste, mais des réflexes de fils de Dieu. Entre ce que Dieu demande et la réponse du moine, comme le dit Saint Benoît, il n'y aura même plus d'intervalle, c'est devenu un.
Voici quelques détails qui sont chacun un petit tableau : Relinquentes quae sua sunt, 5,13. Ils abandonnent ce qui est à eux, et cela statim, aussitôt. Ils n'hésitent pas. Ils ne calculent pas. Ils ne réfléchissent pas. Ils ne discutent pas. Dieu demande, aussitôt ils abandonnent ce qui leur paraissait jusqu'alors être leur voie.
Voluntatem propriam deserentes, 15,13. Ils abandonnent leur volonté propre. Ils l'abandonnent, ça veut dire qu'ils la laissent tomber. Elle ne les intéresse plus. Cela va jusque là ! Et alors, exoccupatis manibus, 5,14, ce qu'ils avaient en main, ils le laissent tomber par terre.
Les mains sont libres. Quod agebant imperfectum relinquentes ,5,15. Ce qu'ils étaient en train de faire, ils le laissent là inachevé. On y reviendra plus tard si Dieu le demande, mais pour l'instant il demande autre chose. Cela n'a pas d'importance, je le laisse là. Je vais là où Dieu m'appelle.
Mox, dit-il, cela revient deux fois, 5,7 et 5,13. Mox n'est pas facile à traduire : tout de suite, bientôt, immédiatement. Alors, ce qui marque encore davantage l'unité, uno momento, 5,17. En un seul moment. L'ordre du Maître et la réponse du disciple, les deux choses se font communiter, 5,19, ça se fait en même temps, en même temps.
C'est vraiment un très beau tableau ! Il n'y a pas d'intervalle, dit la traduction, entre la parole du Supérieur et l'action du disciple, toutes les deux s'accomplissant au même moment. C'est instantané. C'est aussi instantané que la manœuvre de l'interrupteur qui donne immédiatement la lumière.
Si bien, mes frères, que se passe-t-il alors ? Je me place dans la situation du moine qui obéit de cette façon. Eh bien, ce frère savoure l'amour dont son cœur est empli et il goûte les bienfaits, la joie d'une liberté totale. Il est totalement libre puisque sa volonté ne fait plus qu'un avec celle de Dieu. Ce qui veut dire que par l'obéissance, il fait tout ce qui lui plaît, tout ce qu’il veut.
Dieu est souverainement libre. Le moine dont la volonté est coulée dans celle de Dieu est aussi libre que Dieu et il fait ce qu'il veut puisqu'il veut ce que Dieu veut. Cela, c'est une expérience qu'il faut réaliser. Et c'est à partir de là qu'on peut opérer des miracles. Je ne veux pas dire des choses fantasmagoriques, spectaculaires, non. Mais bien le miraculum, la chose admirable qui est d'abord la métamorphose du moine, et puis alors si Dieu le veut, son rayonnement dans son entourage, mais peut-être, mais certainement son rayonnement au loin dans l'invisible du Royaume.
Mais, comme dit Saint Benoît, les premiers pas sur cette route ne sont pas faciles. Il faut apprendre l'obéissance. Pourquoi sont-ils difficiles ? Pourquoi, mais parce que on est paralysé par la peur et qu'on est alourdi par la paresse. On a peur de quitter ses sécurités internes.
On se pense à l'abri à l'intérieur de ses désirs, à l'intérieur de ses projets, à l'intérieur de ses œuvres, ces œuvres de ses pensées, de ses imaginations. Si bien que devoir en sortir, prendre le risque d'entrer dans le projet d'un autre, surtout d'un autre qui est Dieu, c'est effrayant et il faut avoir du courage pour faire ça.
Et en outre on est alourdi par la paresse. Pourquoi ? Mais parce que le labeur monastique semble ne conduire nul part. Il est désespérant d'une certaine façon. Il n'y a rien qui change, il n'y a rien qui bouge, c'est toujours la même chose.
Dimanche quelqu'un me demandait, quelqu'un de la communauté, ce qui était à mon avis la note spécifique de la vie monastique par rapport à la vie chrétienne en général ? Et je lui ai répondu sans hésiter : c'est la gratuité. C'est de faire les choses pour rien. C'est de faire les choses qui apparemment sont inutiles, mais qui noient, immergent le moine dans la volonté de Dieu.
Et la volonté de Dieu, elle a sa valeur par elle-même. Si bien que la vie monastique n'a pas d'autres raisons d'être qu'elle-même. Et c'est cet élément de gratuité qui peut nous paraître lourd à certains moments et nous rendre paresseux.
Mes frères, nous devons donc croire au caractère surnaturel de notre vie, nous mettre à l'école de l'obéissance et nous laisser transformer par elle. Au-delà de ces premiers pas difficiles, premiers pas qui peuvent durer longtemps, il y a la joie inexprimable, c'est la propre joie de Dieu, la propre joie du Christ qui disait : ma joie, je vous la donne. C'est un cadeau extraordinaire !
Mes frères, ne cherchons pas à échapper à l'obéissance. C'est une tentation et une tentation, très subtile. Par exemple ceci, on trouvera cela chez des novices ou des jeunes profès : Vite hors du noviciat, au moins alors je pourrais vivre.
Je serai comme un poisson dans l'eau en communauté. Je n'aurais plus ce fameux Maître des novices à mes trousses. Rien que de savoir qu'il est là à côté, et bien ça me paralyse déjà. Au moins je serais libre et j'échapperais à l’obéissance.
Ou bien un emploi. Quand j'aurais un emploi, alors je serai vraiment bien. Je ferais ce que je voudrais, j'arrangerai mon emploi comme je l'entends. Toutes tentations pour échapper à l'obéissance.
Mes frères, n'y cédons pas ! Reprenons le taureau par les cornes et vous verrez, nous verrons que le résultat dépassera nos espérances les plus folles.
Mes frères,
....?.... n'est pas nécessairement l'obéissance dans le sens où l'entend notre père Saint Benoît. La véritable obéissance est le fait des âmes nobles et grandes. Elle convient, comme dit Saint Benoît, à ceux qui n'ont rien de plus cher que le Christ. Cette préférence donnée au Christ n'est pas le fait d'une exaltation passagère ?
Non, elle est la constante d'une vie. C'est pourquoi cette persévérance dans le don que l'on fait de soi à Dieu est la véritable noblesse d'un homme, sa véritable grandeur. Et un tel homme est un obéissant.
Au troisième degré d'humilité, Saint Benoît nous dira que le moine parvenu à cette hauteur se soumet à un supérieur pour l'amour de Dieu. Et cette soumission, encore une fois, n'est pas platitude devant un autre homme. Non, elle est, je le répète, don de soi à Dieu en personne. Elle est inspirée par l'amour, donc la véritable obéissance. En elle, on ne se recherche pas.
On laisse de côté ses sentiments, ses jugements, ses idées, ses goûts. On a un seul souci: s’attacher à Dieu et à son projet. On entre dans une œuvre qui est immense et on y a sa place, une place que personne d'autre ne peut occuper. Dieu ne peut réaliser son projet sans la collaboration d'hommes qui se mettent entièrement à son service. Voilà les obéissants.
Le souci encore est de se cacher dans l'amour de Dieu, s'ensevelir en lui. L'obéissance sera donc une participation à l’œuvre de Rédemption - car c'est de cela qu'il s'agit - où Dieu lui-même s'est caché, s'est enseveli dans une chair d'homme pour se faire obéissant à l'homme.
Pour nous, c'est nous ennoblir que d'obéir à Dieu. Pour Dieu, obéir à l'homme a été se vider de lui-même. Mais c'est aussi une forme d'ennoblissement. Dieu a reçu par son obéissance un rayonnement, une gloire qui était inimaginable auparavant. Et cet acte nous a découvert en Dieu des beautés, des profondeurs, nous a dévoilé la véritable nature de ce Dieu. Mes frères, si nous sommes de vrais obéissants, nous participons à ce mystère.
Elle va donc être inspirée par l'amour, notre obéissance, et déboucher sur un accroissement de l'amour. Elle entraîne la dilatatio cordis, comme dit Saint Benoît, le cœur se dilate. Et puis, elle aiguise et elle fortifie les facultés naturelles. L'obéissance ne dégrade pas l'homme, mais elle l'épanouit. Chez un véritable obéissant, il n'est rien qui ne soit exalté, mais rien du tout.
Cela se comprend. Dieu a voulu créer un être parfait, l'image de ce que lui est. Cela s'est souillé, naturellement. Mais dès qu'on entre à nouveau dans le projet de Dieu, cette image de Dieu dans l'homme se reconstitue, et puis elle se perfectionne sans arrêt. C'est tout l'homme qui est ennobli et qui est exalté par l'obéissance, même l'homme charnel, ne l'oublions pas !
L'Obéissance, nous dit Saint Benoît, doit être acceptable pour Dieu, et alors elle sera douce pour l'homme. Dieu doit pouvoir l'accepter. Il porte un jugement sur notre obéissance. Il l'accepte ou il la rejette. Il la rejette lorsque c'est un simulacre d'obéissance, une parodie d'obéissance. Il l'accepte lorsque il se reconnaît en elle, lorsqu'il reconnaît sa propre obéissance.
C'est sérieux et c'est grave, mes frères, car l'enjeu de cette obéissance, il est double : c'est d'abord le progrès, la réussite du projet de Dieu sur nous-mêmes et sur le monde, et aussi notre propre bonheur. On ne joue pas avec l'obéissance. Si elle est acceptée par Dieu, donc si c'est une vraie obéissance, elle sera douce pour les hommes, pour les frères, et aussi pour l'obéissant lui-même. Elle devient agréable comme une friandise qu'on déguste, qu'on savoure.
Dulcis, dit Saint Benoît. Elle est un miel dans la bouche. Elle a peut-être au début un goût plutôt amer ? Mais lorsque on laisse la propre obéissance de Dieu jouer dans le coeur, prendre possession de toute la personne, c'est la douceur même de Dieu qui envahit l'homme et il ne peut plus s'en passer. On est charmé par elle. On est attiré par l'obéissance. On s'en nourrit comme le Christ qui laissait de côté les nourritures terrestres parce que la volonté de son père était sa nourriture.
Mes frères, Saint Benoît nous dit tout cela. Il y a encore beaucoup de choses à dire, mais écoutons ce qui se passe dans notre cœur, laissons-nous porter par l'ardeur de l'Esprit. L'obéissance n'est pas affaire purement humaine ; même si elle se joue dans l'homme, elle est d'origine divine.
Le premier obéissant, c'est Dieu lui-même dans le Christ. Et nous, par notre obéissance nous accueillons en nous la vie même du Christ, nous devenons un seul esprit avec lui. Et ainsi, il est possible à Dieu de recevoir ce qui lui revient: notre reconnaissance, notre merci parce que vraiment tout vient de lui. Et notre véritable joie, notre véritable bonheur, il n'est jamais qu'en lui.
Mes frères,
Saint Benoît s'étend longuement sur l'obéissance, et ce n'est pas sans raison, car l'obéissance est une vertu, en prenant ce dernier terme dans son sens étymologique : virtus, une force, une puissance.
Et cette virtus se saisit de l'homme tout entier, elle le travaille, elle le transforme et elle lui donne sa stature d'éternité. Elle fait de lui un fils de Dieu, un être spirituel mû par le propre esprit de Dieu. Elle fait de lui un homme nouveau dans lequel la création arrive à sa perfection.
L'obéissance n'est donc pas atrophiante ou dévalorisante. Elle met l'homme debout devant Dieu et devant le monde. Elle fait du moine un homme libre - mais pas n'importe quelle liberté - de la liberté de Dieu.
Si bien que le moine vraiment obéissant, le moine transfiguré par l'obéissance est à l'abri de toutes les pressions, qu'elles viennent de l'extérieur ou qu'elles viennent de l'intérieur. Saint Bernard distingue une triple liberté.
Il a bien analysé l'état de cet homme libre. Mais je ne sais pas s'il a mis cette liberté, ces libertés en relation avec l'obéissance. Il faudrait le demander à nos spécialistes en la matière. Cela allait de soi pour lui certainement car le moine est dans sa constitution même un obéissant.
Cette obéissance crée un réseau de relations ...?... . Nous sommes à l'intérieur d'une communauté où chacun est empoigné par cette puissance qu'est l'obéissance. Elle installe une communion, une communion dans l'amour.
Ecoutez ceci maintenant ! Dans une communauté de moines vraiment obéissants, il n'y a plus de supérieur ni d'inférieurs. Il n'y a plus que des enfants de Dieu qui collaborent à un même projet, à cette fameuse Opus Dei, à ce travail auquel Dieu se livre depuis toujours, depuis qu'il s'est lancé dans l'aventure de la création. Mais des enfants de Dieu qui partagent la vie de Dieu, qui connaissent le projet de Dieu et qui librement collaborent à la réalisation et à la réussite de ce projet.
Pourquoi n'y a-t-il plus de supérieur ? Mais parce que le supérieur lui-même est pétri par l'obéissance. Et s'il est superior, comme on dit en latin, ou maîor, s'il est supérieur ou bien s'il est plus grand que les autres, c'est uniquement parce qu'il est avancé dans la métamorphose opérée par l'obéissance. Il y a donc une hiérarchie.
Mais cette hiérarchie ne met pas un homme, donc le supérieur, au-dessus des autres ni en dehors des autres. Non, elle en fait le chef de file d'une compagnie de frères qui tous sont engagés dans le même travail qui est plus qu'un travail en collaboration - attention ! - parce que la communauté est toute entière construite par l'amour, et animée par l'amour.
Ils travaillent donc en communion à un projet qui est celui même de Dieu. C'est la même vie, la même vie qui est en Dieu, la vie qui est dans ce qu'on appelle le supérieur, et puis la vie qui est dans tous les frères. C'est le même courant de vie en vue d'un même projet. C'est cela le monastère, ne l'oublions jamais ? C'est d'abord et surtout cela !
Un frère me faisait remarquer aujourd'hui qu'il y avait une conscience de la communauté. Donc il y a une conscience clans chaque personne et aussi une conscience de communauté. Et il me donnait quelques exemples qui sont bien vrais. Et ça se comprend puisque nous formons un corps, que ce corps est animé de la même vie et que la source de cette vie est chez Dieu.
Si bien que l'obéissance n'a rien à faire avec l'automatisme ou la servilité. Un animal n'obéit pas. Il répond à des stimuli, donc à des excitations qui lui viennent de l'extérieur ou bien de l'intérieur de lui. Il n'obéit pas.
Un esclave n'obéit pas non plus. Un esclave exécute un travail. Et il le fait parce que il ne lui est pas possible de faire autrement. Il va donc naturellement se montrer obséquieux pour essayer d'échapper à la servitude qui pèse sur lui. Ce n'est pas cela l'obéissance.
L'obéissance est le fait d'un homme libre, et elle rend l'homme toujours plus libre jusqu'à le faire devenir participant de la liberté même de Dieu.
Alors, l'obéissance est libérée dans l'homme par la foi qui reconnaît la voix de Dieu et qui accueille cette voix avec empressement. Elle n'est donc pas une puissance naturelle puisque elle est libérée en nous par la foi, c'est à dire par une participation à la connaissance que Dieu a de lui-même et de son projet.
Je vous assure, mes frères, que l'obéissance nous élève à des niveaux, à des hauteurs dont nous n'oserions même pas rêver si nous étions sains d'esprit. Je veux dire que l'obéissance est le fait des fols en Christ, des hommes qui osent croire que le Christ est Dieu, que eux-mêmes sont des membres de ce Christ, que le Christ vit en eux par son Esprit et que alors tout leur est possible. Ils se perdent à l'intérieur de ce Christ. Et c'est à ce moment-là qu'ils libèrent en eux toutes les énergies que nous appelons l'obéissance.
Alors, cette obéissance, qu'arrive-t-il ? Elle développe dans le moine son intelligence et toutes ses facultés. Mais d'abord elle développe l'intelligence. Cela ne veut pas dire que l'obéissant va être capable de faire toutes les études possibles. Il s'agit d'une autre intelligence, de l'intelligence du coeur qui fait comprendre les mystères de Dieu, les mystères du monde, les mystères de l'homme ; l'intelligence qui donne le discernement et puis surtout qui développe une foule de facultés chez l'homme. Par exemple, l'esprit d'initiative, l'esprit de recherche, une saine curiosité, l'inventivité.
L'obéissance est donc tout cela. Ce n'est pas exécuter bêtement, machinalement un ordre reçu, non, c'est recevoir une mission à l'intérieur de ce projet. Et cette mission, l'assumer avec tout son être ; mais l'intelligence étant aiguisée par l'obéissance, faire tout comme si on n'obéissait pas !
C'est ça le plus paradoxal de la chose. C'est que la liberté, elle est portée jusque là. Dieu est tout à fait libre de la nécessité parce qu’il est Dieu. Eh bien, le moine qui est devenu obéissant, il est aussi libre de la nécessité et il n'a plus du tout l'impression d'obéir. C'est à ce moment-là qu'il est arrivé à son sommet dans l'exercice de l’obéissance.
Si bien que l'emploi, ou comme on dit l'obédience qu'on reçoit, est le lieu où le moine s'épanouit. Il s'épanouit spirituellement et se divinise de plus en plus. Il s'épanouit intellectuellement parce que l'obéissance aiguise de plus en plus son intelligence. Et puis il s'épanouit aussi psychiquement car tout l'équilibre se met en lui. Et la meilleure thérapie des maladies psychiques dont nous souffrons tous il n'y a aucune exception, aucune, aucune, aucune, aucune, aucune, la meilleure thérapie, c'est l'obéissance, celle-là dont je parle maintenant.
Alors, mes frères, nous comprenons que la valeur d'un homme, que la valeur d'un moine va se mesurer à la qualité de son obéissance. Et le gage de sa réussite, ce sera encore son obéissance parce que toutes les énergies divines affluent dans cet homme et elles peuvent le travailler, le façonner, le transfigurer comme elles l'entendent.
Comprenons alors ce qui est dit : Le Christ s'est fait obéissant jusqu'à la mort. Nous devons aller jusque là ! Attention ! cela ne veut pas dire la mort physique pour nous, mais c'est la mort à nous-mêmes de façon à ce que un jour nous ayons conscience - c'est ça vraiment le sommet de tout et nous devons y aspirer - conscience que ce n'est plus nous qui vivons, mais que c'est un autre qui vit en nous, que nous sommes animés par l'Esprit de Dieu et que c'est le Christ qui nous habite.
Voilà, mes frères, où nous conduit l'obéissance. Et je pense que nous devons, comme Saint Benoît nous le recommande, la pratiquer le mieux que nous pouvons. C'est tout un apprentissage à faire. Il faut procéder régulièrement à des recyclages. Nous devons toujours nous considérer comme des novices en matière d'obéissance, mais là est notre salut, là est la réussite de notre vocation.
Mes frères,
Nous avons vu que Saint Benoît mettait à la disposition de son disciple un outil absolument performant. Celui qui l'utilise est certain de construire sa propre vie, de l'embellir de manière à ce qu'elle devienne de plus en plus une demeure à l'intérieur de laquelle Dieu peut se plaire, Dieu peut se reposer.
Nous ne pensons peut-être pas suffisamment à cet avenir qui nous est promis, à savoir être non seulement le Temple de Dieu, mais pénétrer à l'intérieur de son temple à lui. Or, le temple actuel de Dieu, c'est la personne du Christ Jésus. Détruisez ce temple, disait-il à ses adversaires, et moi, je le reconstruit en trois jours.
Mes frères, l'outil que Saint Benoît nous confie nous permet d'exécuter un double travail : d'abord édifier et embellir le temple de notre cœur, mais également permettre à Dieu d'achever le temple immense qui doit accueillir en lui l'humanité entière, à savoir le Corps nouveau du Christ, ce Corps mystérieux qui va réunir toute l'humanité du premier homme au dernier.
Nous avons notre petit travail à faire. Si nous ne le faisons pas, il manquera quelque chose à la beauté de ce temple. C'est pourquoi Dieu compte sur nous. Il n'a pas besoin d'une multitude. Il suffit qu'il en ait quelques-uns mais que ce soit de bons ouvriers.
Mes frères, notre vocation engage donc notre responsabilité. Nous aurions très bien pu dire à Dieu : non, je ne m'engage pas dans ce travail ! Mais puisque nous avons accepté, nous devons être logiques et honnêtes.
Nous imitons ainsi d'ailleurs notre Dieu qui nous a appelés. Car il n'est pas un despote qui vit de la sueur de ses ouvriers ou de ses sujets. Dieu lui-même est le premier de tous les travailleurs, il ne cesse de travailler, que ce soit dans le ciel ou que ce soit sur la terre. C'est ce qui permettait au Christ de travailler même le jour du Sabbat car, disait-il, mon Père est toujours à l’œuvre et moi, je fais ce que .je vois faire à mon Père.
Pourquoi Dieu ne cesse-t-il de travailler ? Eh bien, parce qu'il ne cesse jamais d'aimer. Le grand travail, l'unique travail de Dieu, c'est l'amour. C'est son amour qui édifie tout l'univers. C'est son amour qui réunit tout en un même corps. C'est son amour qui fera qu’au terme de l'Histoire, Dieu sera tout en toutes choses. Travailler et aimer, chez Dieu, c'est identique !
Il doit en devenir de même pour nous. Notre travail, c'est surtout et d'abord notre amour. Celui qui n'aime pas, il peut faire tout ce qu'il veut, tout cela est une bulle de savon qui va crever et disparaître. Saint Paul l'a bien expliqué: je puis faire ça, et ça et ça, et encore ça, si je n'ai pas l'amour, je ne suis rien et ça ne sert absolument à rien. Donc, l'unique travail, c'est l'amour.
Mais comment allons nous voir à l’œuvre ce travail de Dieu, car nous ne pouvons pas improviser, nous devons être des imitateurs du Christ, des imitateurs de Dieu. Nous devons voir ce que Dieu fait de manière à pouvoir le reproduire dans notre vie et autour de nous. Or, Saint Benoît nous le rappelle lorsqu'il dit : praecepta Dei, 4,78, les préceptes du Seigneur. C'est donc à travers les commandements, les instructions, les préceptes que Dieu nous donne que nous voyons Dieu à l’œuvre.
Pour mieux le comprendre, il faut se référer à la racine hébraïque qui a été traduite par ce praecepta latin. C'est une racine qui signifie régler, placer mais en ordre. Nous voyons donc Dieu faire toute chose avec ordre, les placer chacune au lieu qui leur revient ; si bien que l'ensemble, alors, constitue une œuvre de beauté.
Dieu ne lance donc pas son vouloir comme ça au hasard. Non, tout est orienté, tout est dirigé. Si donc j'exécute, si j'entre dans ces préceptes du Seigneur, si j'entre dans ses projets, à ce moment-là, j'agis comme lui et je vois ce que je dois faire.
C'est donc à travers les préceptes du Seigneur que je vois Dieu à l'action, car il ne me demande rien d'autre que ce qu'il fait lui-même.
Le Psaume 18 nous dit bien que le commandement ou le précepte de Seigneur est lumineux. Il est créateur, dispensateur de lumière. Si bien que il clarifie les yeux, il les rend clairs, il leur permet de voir. Si je fais mien le commandement de Dieu, si j'entre dans la volonté qu'il me propose, l’œil de mon cœur se purifie et je peux voir Dieu. C'est là un des résultats, disons un des effets de ce que nous appelons l'obéissance. Saint Benoît vient de nous en dire quelques mots aujourd'hui, mais peut-être que demain je pourrais m'arrêter davantage là-dessus.
Mes frères,
Le grand travail du moine, l’œuvre à laquelle il consacre toutes ses énergies, c'est l'obéissance. Cela ne signifie pas que l'obéissance puisse être une fin en soi, loin de là. Obéir pour obéir, il n'est rien de plus avilissant, de plus dégradant, de plus abrutissant pour un homme. L'obéissance qui ne va pas plus loin qu'elle-même ronge la personnalité. Elle dégrade le psychisme, elle avilit la conscience des hommes.
Il devait en principe exister une race supérieure faite pour commander et des races inférieures faites pour obéir. Et nous savons tous où cela a conduit. Nous ne pouvons pas imaginer ce qui serait arrivé si le National Socialisme s'était imposé à l'Europe. Nous ne pouvons pas l'imaginer, mais nous avons déjà des échantillons quand on sait ce qui est arrivé à certains pays. Nous, nous avons été épargnés, mais je vous assure qu'il y en a qui ont souffert.
J'ai rencontré à Laval une dame qui racontait que, étant Juive, elle avait été déportée avec ses parents et ses grands parents à Auschwitz à l'âge de 14 ans. Le jour même de l'arrivée, les grands parents et les parents ont été conduits à la chambre à gaz. La fille âgée de 14 ans a été jugée bonne pour le travail. Et on l'a fait travailler dans des conditions absolument atroces. Puis les russes approchant, on l'a embarquée dans un train de wagons à bestiaux et on les a conduits au sud de Berlin.
Puis, les russes approchant de Berlin on les à conduites, des femmes, à pied au mois de février, à raison de 30 Km en plein hivers, dans la neige, à travers tout, à ...?… par jour. Ceux qui ne savaient pas suivre étaient abattus sur place. La race inférieure des Juifs était condamnée à être exterminée, dégradée. Comment ? Soit en les tuant directement, soit en les avilissant à l'extrême par l'obéissance. Voyez, mes frères où ça peut conduire !
Mais la véritable obéissance n'est pas ça. La véritable obéissance, la nôtre, c'est une ouverture totale à l'amour. J'obéis parce que j'aime quelqu'un, une Personne, le Christ-Jésus qui m'est apparu sur le chemin, c'est à dire Celui qui m'a donné la vie. Et à lui qui m'a donné la vie, je me donne à mon tour.
Il y a donc dans l'obéissance le don de soi à une personne. Et celle-ci alors se donne à moi dans un mouvement spontané de tout ce qu'elle est. L'obéissance est donc une relation amoureuse entre deux être qui se cherchent, qui s'aiment puis se cherchent. L'un est Dieu lui-même et l'autre est sa petite créature.
Seulement, dès que cette créature est aimée de Dieu elle devient, par le seul fait qu'elle est aimée et qu'elle répond à cet amour, elle devient Dieu elle-même car la vie de Dieu se déverse en elle. Elle l'introduit à l'intérieur jusqu'au plus profond de l'intimité divine. Les énergies divines travaillent en elle, la transfigurent jusqu'à en faire un enfant de Dieu à part entière.
Voilà, mes frères, la véritable obéissance. Ce qui est autre chose que cela, c'est en-dehors, ou à côté, ou pas tout à fait dans la vérité. Nous devons donc toujours corriger notre obéissance, toujours la purifier. C'est ce que Saint Benoît dit ici : sans trouble, sans tiédeur, sans retard, sans murmure, sans parole de résistance, 5,30. Cela doit devenir une habitude, une structure de notre personne.
Mes frères,
Je relève ici chez Saint Benoît une toute petite phrase qui va en sens contraire de nos inclinations humaines et charnelles les plus profondes, les plus viscérales, et c'est celle-ci : Abbatem sibi praeesse desiderant, 5,25, Ils désirent qu'un Abbé soit placé à leur tête.
Aujourd'hui, plus que jamais peut-être, on admet difficilement ou on n'admet pas du tout une exigence pareille. On trouvera que c'est dégradant de désirer qu'un homme soit placé à notre tête. Naturellement, la foi verra dans cet homme le représentant du Christ, le Christ lui-même. C'est vrai, mais la chair tout de même n'y trouve pas son compte car il s'agit dès lors de marcher au jugement et au commandement d'un autre, d'un étranger.
On va donc s'aliéner, on va perdre son identité si on suit ici la prescription de Saint Benoît. Alors on va inventer - instinctivement, ce n'est pas réfléchi - on va inventer un chemin qui permettra de tourner autour de cette exigence, de l'évacuer, de l'annuler tout en donnant l'impression qu'on la respecte.
On va placer le pouvoir de jugement et de décision dans le groupe, dans la communauté comme telle. C'est elle qui va discuter, c'est elle qui va choisir, c'est elle qui va décider. Et alors, c'est l'Abbé qui va faire en sorte que soit exécutée la décision prise en commun. C'est beaucoup plus efficace alors pour tout le monde, du moins pour la grosse majorité de la communauté qui est acquise à l'idée puisque cette idée est le fruit d'un échange communautaire.
On va donc pouvoir alors passer à l'exécution et la tâche de l'Abbé sera beaucoup plus facile. Il lui suffira alors d'organiser l'exécution de la décision prise en commun. Mais à ce moment-là, on n'est plus dans la vie monastique pure. On ne désire plus marcher au jugement et au commandement d'un étranger. Alienus, 5,24, C'est ça que ça veut dire. C'est pas d'un autre, mais c'est d'un étranger, un étranger à soi, un étranger à ses propres inclinations.
Mes frères, Saint Benoît dit ailleurs, c'est dans les Instruments des bonnes œuvres, qu'il ne faut pas trouver son plaisir dans l'accomplissement des désirs charnels - Desideria carnis non efficere, 4,70. Nous avons ici le contraire : désirer qu'un Abbé soit à la tête d'une communauté, un Abbé auquel on va se soumettre totalement. C'est vraiment aller contre les désirs de la chair.
C'est trouver son plaisir, non plus dans une jouissance légitime pour un homme du monde de faire ce qui semble le meilleur, ce qui semble bon, ce qui apporte une satisfaction personnelle, ce qui valorise aux yeux de la conscience et aux yeux des autres, mais au lieu de cela c'est placer son plaisir, son désir, son bonheur dans le fait de marcher au jugement, au commandement d'un autre qu'on désire avoir au-dessus de sa tête.
Mes frères, nous sommes ici - vous le savez bien - dans une attitude de foi et, il n'est pas possible de faire ce que Saint Benoît nous demande ici si l'Esprit Saint ne l'opère pas en nous car cela dépasse les forces de la nature. Ou bien alors on est un esclave et on ne peut pas faire autrement que d'être dans sa position d'esclave. On est alors une chose, on n'est plus un homme.
Ou bien alors on se place dans la position de la foi et celui qu'on regarde, ce n'est plus un homme, mais c'est le représentant de Dieu sur la terre, c'est le Christ lui-même qui a le droit de demander ceci à ses disciples parce que lui-même s'est fait obéissant jusqu'à la mort et la mort sur une croix.
Le Christ lui-même avait quelqu'un au-dessus de lui qui était Dieu le Père. C'est vrai, c'était son Père. Mais attention, c'était un Père exigeant. Et celui-là qui dans le monastère devra aussi exiger de ses disciples, ce sera pour eux un Père. D'ailleurs, on lui donnera le nom d'Abba, Père.
Mes frères, voyez ! Quand nous voulons plonger notre regard dans les soubassements souterrains de nos instincts et que alors nous le posons, après notre introspection, sur notre Règle, nous voyons que si nous ne voulons pas perdre notre qualité d'homme, nous devons vraiment accepter de devenir des fils de Dieu. Pour nous, il n'y a presque pas de milieu : ou bien c'est une sorte de déchéance, ou bien c'est la divinisation.
Nous avons choisi, mes frères, pour nous ce sera de devenir un seul esprit avec le Christ. Et c'est pour cela que nous désirons que lui-même soit au-dessus de nous et que lui-même nous dise ce que nous avons à faire. Car la route qui conduit jusqu'à cette union parfaite avec les trois Personnes de la Trinité, il est seul à la connaître parce que c'est lui qui le premier l'a parcourue.
Mes frères,
Il apparaît clairement aujourd'hui que l'obéissance ne se réduit pas à la simple exécution d'un ordre reçu, mais qu'elle est une collaboration active, intelligente, empressée avec Dieu, avec Dieu qui a un plan, un projet. C'est plus précisément avec le Christ qui poursuit son œuvre de création, d'embellissement et de transfiguration du monde.
Depuis que le Verbe de Dieu, que le Verbe Créateur est devenu homme, il ne peut plus, il ne veut plus se passer de la coopération des hommes. C'est pourquoi dans le monastère, lorsque l'Abbé demande un service, lorsqu'il confie un emploi, lorsqu'il donne un ordre comme dit Saint Benoît, à ce moment-là c'est le Christ lui-même qui attend une réponse de collaboration intelligente.
La preuve que l'obéissance ne se réduit pas à l'exécution de l'ordre, là voici : Même s'il exécute l'ordre reçu. cet acte ne sera pas agréé de Dieu qui voit le cœur de ce moine qui est en train de murmurer. 5, 40 .
Mes frères, l'obéissance est une activité très noble. A mon avis, c'est la plus noble de toutes. Car être le ministre de Dieu, être son officier, être son bras droit ici sur terre, c'est le plus grand honneur que l'on puisse imaginer. Je pense que nous devons toujours avoir ces réalités si belles sous les yeux de notre cœur.
Et si parfois il nous demande des choses difficiles, ce n'est pas pour nous ennuyer, mais c'est parce qu'il sait que nous pouvons nous en acquitter et qu'il veut nous en récompenser avec plus de générosité encore. Si nous sommes généreux, Dieu l'est encore davantage.
Mes frères, nous sommes de toutes petites créatures. Mais dès l'instant où nous entrons ainsi en communion, en relation avec notre Christ dans l'exercice d'une saine obéissance, à ce moment-là nous participons à sa grandeur et à sa gloire. Nous ne devons pas craindre de regarder ces réalités en face parce qu’elles sont l'essence même de notre vie. Et on comprend alors ce qu’Evagre répond à Macaire qui lui demande : Si je te dis une Parole, l'écouteras-tu et la feras-tu ?
Vous voyez, Dieu, ici, va délivrer un message à Evagre. Il va lui donner un conseil. Mieux encore, il va lui prescrire une ligne de conduite. Et Macaire désire savoir quelle sera la réaction d'Evagre ? Et Evagre répond : Ma foi et ma charité ne te sont pas cachées.
Voilà l'essentiel de ce que la Tradition monastique toute entière attend d'un vrai disciple : la foi et la charité. Il faudrait une fois parler longuement de la foi car elle est une vie, elle est une pratique qui doit se saisir de toute notre existence. Mais nous devons vivre et nous ne devons agir que par la foi. Mais enfin, chaque chose en son temps.
Cette fois-ci, Macaire attend de son disciple Evagre la foi et la charité. Elles ne lui sont pas cachées. Macaire connaît son disciple. Il sait qu'il peut tout lui demander, tout lui dire. Macaire est le représentant du Christ et sa parole est une Parole du Christ en personne. Oui, voici la foi en exercice. Evagre attend de son Père une sentence de Sagesse divine. Car la vie divine ne peut être reçue que sur les routes de Dieu. Nous touchons ici le cœur, le centre même de la doctrine Evagréenne qui n'est rien d'autre que la doctrine des Pères du désert. Il faut bien le retenir.
Nous devons être divinisés totalement. Et la vie divine, nous ne pouvons la recevoir que sur les routes de Dieu. Et inutile d'aller la chercher à l'extérieur, c'est parfaitement inutile, on ne la trouvera pas. Or, la route de Dieu, nous y sommes par l'obéissance. Saint Benoît le dira. Il n'y a pas d'autre endroit. Le reste, on perd son temps.
On peut avoir un certain sentiment d'exaltation en faisant sa volonté propre ou en allant chercher des nourritures à côté du chemin de Dieu. Mais ce sont des nourritures empoisonnées. C'est une sorte d'ivresse, une sorte d'intoxication qui détruit l'organisme, qui le débilite et, finalement, qui le conduit à la ruine et à la mort, à la déliquescence. Cela se défait comme un vêtement rongé par les mites, il n'y a plus rien. Tandis que sur la route de Dieu, là se trouve la ...?… vie divine.
Et toute sagesse humaine quelle qu'elle soit est impuissante à donner la moindre, la moindre évocation de l'univers divin. Nous ne pouvons le connaître - encore une fois - que par la foi. La raison raisonnante, la raison laissée à elle-même ne peut rien y comprendre.
Et s’il lui arrive - elle construit beaucoup, elle travaille - de comprendre quelque chose, elle doit bien savoir que ce n'est pas l'univers de Dieu, que c'est une construction purement humaine. L'univers de Dieu est hors de portée de la raison.
Et alors, ce qui nous met en contact avec lui, c'est la foi, toujours cette foi. Mais il y a aussi autre chose, il y a la charité. Mais ça, ce sera pour une fois prochaine.
Mes frères,
Saint Benoît nous dit clairement ce soir que la vie monastique n'est pas une entreprise rationnelle. Elle est une folie amoureuse : ne rien avoir de plus cher que le Christ, absolument rien. C'est donc une affaire de cœur. C'est l'affectivité qui joue, la part essentielle dans la vie monastique. On aime quelqu'un. Et pour l'amour de ce quelqu'un, on laisse absolument tout tomber. On va jusqu'à renoncer à sa volonté. On va jusqu'à se plier au commandement d'un autre dans lequel on reconnaît le Christ.
Mes frères, il s'opère aujourd'hui dans l'Ordre un phénomène qui est, à mon avis, inquiétant. C'est celui-ci : on réduit la vie monastique à une sagesse humaine, à une philosophie, à une sagesse de vie.
On est ensemble. On organise sa journée. On a certes un cadre qui est l'Office, la Lectio, le Travail, c'est certain. Mais le centre de gravité de la communauté n'est plus la Personne du Christ à laquelle on sacrifie tout, mais il se trouve dans la communauté elle-même qui se laisse aller à une sorte de narcissisme collectif.
On est bien entre soi. Tout le monde est au courant de tout. On partage tout, on échange tout. Si bien que chacun à l'impression de diriger la communauté.
Il y a bien à la tête un Abbé. Mais on ne trouve plus ici ce que dit Saint Benoît : qu'ils désirent se soumettre à un Abbé dans un monastère, 5,25. Non, c'est l'Abbé qui doit se soumettre au désir de la communauté qui s'exprime comme ça librement à l'occasion des dialogues qu'on organise très souvent. Et l'Abbé doit être à l'écoute. Il synthétise les désirs exprimés, puis il s'arrange pour qu'ils se concrétisent dans la réalité.
La lettre de l'Abbé Général est arrivée. Et bien, il établit l'état de l'Ordre pour aujourd'hui. Il l'avait fait en 1980 et il le fait dix ans après, en 1990. Et il dit ceci, lui qui circule partout dans l'Ordre, qui sait donc ce qui se passe partout : Il y a aujourd'hui dans l'Ordre une baisse de la vie contemplative.
Eh bien, c'est tout à fait ça. La vie contemplative est en train, non pas encore de s'éteindre ni de s'évanouir, mais elle baisse, elle baisse. Et les échos que je reçois, c'est ça. La vie monastique cistercienne glisse vers un type humain de sagesse. Ce n'est pas de l'épicurisme, mais c'est la sagesse des hommes de la Renaissance. On étudie beaucoup, on travaille bien. On organise quelque chose et ça marche. Et on est heureux et on s'épanouit.
Mais c'est uniquement au niveau humain. Il n'y a plus cette folie qui fait que on oublie tout parce que on n'a rien de plus cher que le Christ et qu'on part à sa suite. Car cet amour, cette folie amoureuse, elle donne à la fois un sentiment de sécurité et un sentiment d'insécurité. Et c'est cette insécurité-là qu'on ne peut plus porter aujourd'hui.
On a la sécurité parce que on devient petit à petit un seul être, un seul esprit avec le Christ dans lequel on se perd littéralement tellement on l'aime. Et d'un autre côté, il y a un sentiment d'insécurité parce qu'il faut lâcher toutes ses sécurités intérieures.
Et, voilà cette aventure formidable, il y en a de moins en moins aujourd'hui qui on le courage de la courir. Et ce glissement ne s'opère pas à partir des jeunes, mais il se fait à partir des anciens. Alors les jeunes qui arrivent, ils sont pris dans le mouvement parce qu'ils n'ont rien à voir devant eux. Il n'y a plus rien . Je pense avoir fait allusion à cela une fois ou l'autre. Mais cela devient de plus en plus sérieux et l'Abbé Général lui-même l'a relevé.
Donc, mes frères, essayons pour notre part de n'avoir dans notre cœur rien de plus cher que le Christ. Car alors, quand le climat est ainsi, on peut tout demander, on peut tout risquer. Voilà, demandons au Christ cette grâce les uns pour les autres.
Et vous savez ce qu'il a dit : Lorsque vous vous mettez d'accord pour demander quelque chose en mon nom, moi je vous l'accorderai. Eh bien, ayons le courage de la demander.
Mes frères,
Saint Benoît attire notre attention sur un détail de la véritable obéissance : elle est douce aux hommes. L'obéissance doit rendre heureux les frères parmi lesquels nous vivons. Elle doit leur être douce. Et c'est un fait d'expérience qu'un moine obéissant rayonne sur les autres une sorte de paix, de sécurité, de bonheur. Et c'est ainsi que l'obéissance, à mon avis, est le premier facteur d'équilibre d'une communauté.
Et quand Saint Benoît parle de la peine des murmurateurs, 5,43, c'est la mort, çà, il faut bien le savoir. Les murmurateurs - Saint Benoît se réfère à l'expérience du désert - ceux qui ont murmurés, ils ont laissé leurs os dans le désert, ils ne sont pas entrés dans la terre promise. Et murmurer dans son cœur, c'est ça qui est grave.
Attention ! Il s'agit ici d'un vrai murmure. Cela ne veut pas dire que l'obéissance doit être toujours quelque chose qui nous enthousiasme. Tout dépend de ce qui nous est demandé ?
Mais voilà, du moment qu'on entre dans la volonté de Dieu tel qu'on est, mais sans murmure, alors notre obéissance est acceptée par Dieu et elle sera agréable à nos frères. Douce, comme dit Saint Benoît, dulcis hominibus, 5,30, c'est comme une friandise qu'on déguste.
Mes frères,
Si nous écoutons entre les lignes ce que nous dit Saint Benoît, nous comprenons que l'obéissance n'est pas une démission, qu'elle n'est pas une régression, mais qu'elle est une promotion.
Obéir à Dieu de tout son cœur, avec intelligence et dans un esprit de décision qui ne se reprend pas, c'est devenir libre. Lorsque ma volonté ne fait plus qu'une avec celle de Dieu, je suis libre autant que Dieu peut l'être. Or, Dieu est libre à l'infini. Nous ne devons jamais hésiter à obéir.
Si cela nous fait mal, si nous avons peur, c'est parce que nous sommes encore des esclaves. L'esclave, lui, il se soumet, il n'obéit pas. Il ne peut pas obéir parce que c'est un esclave. Il est dressé. C'est un dressage qu'il a subi, ce n’est pas une éducation.
Par contre, celui qui entre en communion avec Dieu, son seul souci, c'est faire la volonté de Dieu. Cela devient sa nourriture. Et cette nourriture lui devient de plus en plus douce car il n'y a rien en dehors de la volonté de Dieu qui puisse satisfaire le cœur d'un homme.
Beaucoup de chose que nous faisons ou que nous avons envie de faire - que nous ne ferons pas parce que nous sommes dans le monastère et que malgré tout, c'est toujours avec Dieu que nous voulons rester unis - beaucoup de ces choses peuvent flatter notre amour propre, notre égoïsme, notre convoitise, nos passions, nos dérèglements.
Mais cela crée en nous un déséquilibre. Et ce déséquilibre peut aller extrêmement loin jusqu'à nous rendre malheureux à l'extrême.
Par contre, si nous entrons dans les vouloirs de Dieu, alors nous commençons à savoir ce que signifie la liberté. Et personne ne peut nous atteindre, et personne ne peut nous nuire car on est chez Dieu, avec Dieu, au-delà et au-dessus du monde, et au-dessus de nous-mêmes.
L'obéissance est de nature extatique et elle nous projette chez Dieu. Et là, rien ne nous manque. L'obéissance conduit jusqu'au bout. C'est déjà le paradis sur terre. C'est la vie éternelle ...?… ...?… ...?… vouloir de toute l'ardeur de son âme posséder la vie éternelle.
Mes frères,
Si nous nous référons à l'étymologie du mot obéissance, nous constatons que l'obéissance est l'exercice d'un art très beau et très difficile, l'art d'écouter. La vie dans l'Esprit consistera donc d'abord à écouter. Mais écouter quoi et écouter qui ? Il s'agit d'écouter la voix de Dieu. Il s'agit d'écouter Dieu lui-même qui invite à un dépassement et à une communion.
Dieu ne lance jamais des paroles dans le vide. Lorsque Dieu nous demande quelque chose, c'est toujours pour notre avantage à nous. Mais ce peut être pour son détriment à lui car, n'oublions pas, n'oublions jamais que la parole de Dieu, c'est la Personne du Christ Jésus. Et nous savons par où il a dû passer, le Christ, pour nous apprendre ce chemin de l'écoute, ce chemin de l'obéissance.
Et c'est à travers le canal de l'écoute que parvient jusqu'à nous l'onction qu'est l'Esprit. Ce canal est étroit, très étroit, mais il est extrêmement puissant. Cela veut dire qu'à l'intérieur de ce canal, il existe une pression qui est irrésistible si nous lui permettons de s'exercer librement. Et ce canal est parfaitement propre car il est vérité et il est pureté.
Donc, lorsque j'écoute, je me mets dans la vérité de mon être tel que Dieu le voit, tel que Dieu me désire, tel que Dieu le rêve. Et en même temps j'accueille en moi toute la pureté de Dieu, sa splendeur, sa lumière, tout l'amour qu'il est.
Et le contraire de l'écoute, mes frères, comme nous le rappelle Saint Benoît ce soir, c'est le murmure, 5,39. Le murmurateur entend mais il n'écoute pas, son cœur demeure fermé. Et cette occlusion est volontaire. Le murmurateur ressemble au serpent du psaume qui se bouche l'oreille pour ne pas entendre la voix du charmeur expert en incantation.
Vous savez que, est-ce vrai ? je n'en sais rien ! Le psalmiste voyait le serpent qui mettait l'extrémité de sa queue dans son oreille et comme ça il n'entendait pas la voix du charmeur.
Eh bien Dieu, il est un charmeur. Et nous savons très bien - notre instinct charnel nous le dit - que si nous écoutons ses incantations, nous allons devoir nous y abandonner. Nous ne pourrons pas y résister. Non pas que Dieu essaye de nous prendre dans un filet pour nous asservir, mais il désire nous attirer, presque nous séduire par la beauté se sa personne. Car ne l'oublions pas, ce qui nous attire chez Dieu, c'est sa beauté.
Il y a une part en nous - disons notre nom, notre portion d'éternité - qui peut être totalement inconsciente mais qui est pourtant bien éveillée. Et c'est elle qui est appelée à voir Dieu, et qui commence déjà à l’apercevoir, et qui est éblouie par sa beauté.
La vie contemplative réussie sera alors la prise de conscience de plus en plus forte de cette vision de la beauté qu'est Dieu. Mais cette vision est au départ et c'est elle déjà qui nous attire ici et nous y maintient.
Maintenant, Saint Benoît parle de la peine des murmurateurs. En quoi consiste cette peine ? Ce n'est pas un châtiment qui serait infligé par l'Abbé ? Non, Saint Benoît le dirait. C'est infiniment plus grave. C'est la peine qui a frappé Israël lorsqu'il s'est mis à murmurer aux portes même de la Terre Promise. Inutile de rappeler toute la scène.
Mais le résultat a été que Dieu les a faits tourner quarante ans à l'intérieur du désert jusqu'à ce que tous les murmurateurs soient morts. Ils ne sont pas entrés dans la Terre. Donc, la peine du murmurateur, c'est de se voir interdire la Terre bénie du Royaume de Dieu, là où le Christ est Roi et où ses fidèles, ses écoutants sont des Princes.
A l'arrière-plan de ce que nous dit ce soir Saint Benoît, il y a tout le drame de l'humanité depuis l'origine jusqu'à l'accomplissement de l'Histoire. Rappelez-vous ce qui s'est passé avec Adam et Eve, et puis voyez tout le déroulement, voyez l'aboutissement où vous aurez le partage entre ceux qui ont écouté et ceux qui n'ont pas écouté, entre les écoutants et les murmurateurs.
Il s'agit donc, mes frères, pour nous bien concrètement ici dans le monastère, il s'agit donc d'écouter ou bien de ne pas écouter ; il s'agit d'entrer dans le projet de Dieu ou bien de nous accrocher à notre petit projet personnel ; il s'agit de réussir sa vie monastique et humaine ou bien de la rater lamentablement. On peut persévérer dans le monastère jusqu'à la mort et rater sa vie.
C'est pourquoi, mes frères, nous voyons Saint Benoît insister tellement sur cette peine qui frappe les murmurateurs. Je pense que nous devons la prendre très au sérieux.
Maintenant, à partir de là nous pouvons mieux savoir en quoi consiste l'obéissance. Elle est donc une remise de soi totale et confiante à une personne qui est l'amour, non pas à un gendarme, ni un tyran, ni un despote mais à l'amour même, à la beauté même, à la lumière. L'obéissance n'est donc pas cantonnée dans l'exécution matérielle des ordres reçus, mais elle est une qualité.
Elle est la qualité d'un cœur noble qui par l'écoute se met et se maintient en communion avec le cœur de Dieu. L'obéissance est donc une qualité du cœur qui est ouvert, un cœur qui écoute et qui par le fait même de cette écoute entre en communion avec le cœur de Dieu. Et par le canal de cette écoute passe la vie divine avec toute sa richesse.
Mes frères, l'obéissance est donc la porte de la vie impérissable, de la transfiguration et de la résurrection. Saint Benoît nous dira qu'elle est la route. C'est une autre image qui est une image dynamique car, sur cette route, il faut marcher, il faut avancer. Cette route peut être longue. On peut dire aussi qu'elle est une porte. Là, l'image à une autre qualité. La porte s'ouvre et on voit alors les merveilles de la création nouvelle qui se trouvent derrière cette porte ou derrière ce voile.
Eh bien voilà, mes frères, à quoi nous sommes invités. Je pense que notre intention est de devenir expert dans l'art d'écouter. C'est un long apprentissage. Il y a des essais, il y a des erreurs mais cela ne doit pas nous décourager. Le véritable artiste, ce n'est pas un génie comme ça tout à fait exceptionnel, qui ne doit rien apprendre. Au contraire, les grands artistes sont de grands appreneurs. Ils sont appelés à cette vie, mais le don qu'ils ont reçu, ils doivent le cultiver, ils doivent le conduire à sa perfection.
De même, lorsque nous sommes appelés à la vie monastique, nous avons reçu le don de l'écoute. Nous sommes prédisposés à cette écoute. A nous maintenant de cultiver ce don et de devenir de véritables écoutants qui pourront alors partager en plénitude la vie de la Trinité à laquelle nous sommes invités.
Mes frères,
Saint Benoît nous parle d’une obéissance agréable à Dieu et douce aux hommes, 5,30, je traduis littéralement. Acceptabilis peut se rendre par agréable si nous prenons ce terme dans son sens étymologique, c'est à dire en ce qui rencontre l'agrément, ce qui peut être agréé ; mais il y a aussi dans le mot agréable une nuance lumineuse.
C'est une obéissance qui plaît à Dieu, une obéissance qui réjouit le cœur de Dieu, une obéissance qui est un parfum qui embaume les sens, qui rafraîchit les sens, qui ravive leur vitalité, et cela chez Dieu lui-même.
N'oublions pas, n'oublions jamais que pour nous, Dieu, c'est le Christ Jésus. C'est donc un homme qui est peiné, un homme qui se réjouit encore maintenant tout comme nous. Il faut donc que notre obéissance soit agréable au Seigneur.
Mais le moine apporterait-il ainsi par son obéissance quelque chose à Dieu ? Mais certainement, car écouter Dieu, c'est être attentif à sa présence, c'est être éveillé à son amour. C'est donc le réjouir, c'est faire que d'une certaine manière il est davantage Dieu certainement pour nous et aussi pour lui. Car il s’aperçoit que sa Parole éveille un écho dans le cœur de son fidèle.
Et à ce moment-là, Dieu est davantage ce qu'il est, et pour le moine, et pour lui. Il y a ainsi - ne l'oublions jamais - dans l'obéissance une relation de réciprocité entre Dieu et l'homme, un véritable partage presque comme si les deux partenaires étaient sur le même palier, comme s'ils étaient d'égal à égal.
C'est là une façon très audacieuse d'envisager l'obéissance, mais je pense que nous ne devons pas craindre d'aller jusque là. Encore une fois, n'oublions jamais que Dieu s'est abaissé jusqu'à notre niveau jusqu'à être un parmi nous. Et quand il était parmi nous, on ne le reconnaissait pas tellement il nous était semblable.
Eh bien, il est encore comme ça aujourd'hui. Et nous vivons ici chez lui, il est parmi nous. Si nous avons le cœur suffisamment pur, si nos yeux sont suffisamment clairs, limpides, à ce moment-là nous le reconnaissons parmi nos frères, nous le reconnaissons chez les uns et chez les autres.
Nous devons donc situer l'obéissance, non pas au niveau de la soumission, parce que il n'y a pas moyen de faire autrement, mais à l'étage d'une relation de confiance, d'une relation d'amour entre deux amis. On ne peut rien refuser à Dieu parce que il ne nous refuse rien non plus. En entrant dans ses vouloirs, nous recevons tout de lui et cela le comble de joie. Voilà, mes frères, pourquoi notre obéissance peut être agréable à Dieu.
Mais Saint Benoît nous dit aussi que l'obéissance peut être douce aux hommes. Elle est comme une huile qui pénètre notre être jusqu'au plus intime et qui le rend autre. Le Cantique des cantiques nous dit tout au début que le nom de l'Epoux, que le nom de Dieu, que le nom du Christ est une huile qui se répand, donc une huile qui atteint jusqu'au plus intime de notre être. Et elle pénètre très, très lentement.
Elle produit en nous un effet de douceur. Et cette douceur n'est pas seulement dans le moine qui obéit, mais elle est aussi dans le moine qui commande. L'obéissance est douce pour les deux partenaires.
En effet, les deux communient à l'intérieur de la même douceur et celle-ci a son origine dans la volonté de Dieu, dans l'amour qui est Dieu. C'est donc la douceur même de l'amour qui entre en nous et cet avant-goût de douceur est comme les prémices de la béatitude que nous goûterons un jour. Qu'il est bon et qu'il est doux d'habiter comme des frères tous ensemble, dit le Psaume.
Et c'est bien ainsi. Nous ne sommes pas les uns à côté des autres comme des billes dans un sac. Nous partageons la même vie divine, la même vision de Dieu, la même douceur à l'intérieur d'une volonté commune. Et par l'obéissance, c'est cet immense courant de vie qui passe de l'un à l'autre, qui irrigue tous les cœurs et qui les unit de plus en plus. Si bien que l'obéissance construit une communauté de saints. Et c'est cela que doit être un monastère.
Voilà, mes frères, ce que je voulais vous dire ce matin à partir de ces deux petits mots de Saint Benoît. L'obéissance bien comprise, la véritable obéissance qui est tout à la fois écoute et réponse, elle répand partout l'amour, la douceur, la béatitude. Alors à nous de ne jamais l'oublier !
Mes frères,
Il est extrêmement difficile de traduire littéralement le texte de notre Père Saint Benoît. Auparavant, ce texte était lu dans la langue latine. Si bien que à force de l'entendre. on le connaissait presque par coeur. Il y a donc des expressions qui se sont gravées dans mon esprit et, lorsque je l'entends lire en français, je vois défiler devant moi le texte latin et je peux ainsi remarquer les petites différences.
Voici ce que dit la traduction : ainsi agissent ceux qui aspirent ardemment à la vie éternelle. 5,l9. Et le texte latin est infiniment plus puissant et plus vrai. Il est question de gradiendi amor, 5,20, c'est à dire ceux qui sont possédés par l'amour, l'amour d'une chose bien précise, de monter jusqu'à la vie éternelle, d'avancer en montant jusqu'à la vie éternelle.
Et cette gradation - c'est le mot latin gradiendi - nous montre que la vie éternelle se situe à un autre niveau que le nôtre. Elle est au-dessus, elle est différente, elle est d'une autre nature ; non pas parce que elle est éternelle, mais parce que c'est un autre type de vie. J'imagine volontiers que dans la création nouvelle, nous disposerons aussi d'un vocabulaire nouveau pour exprimer les choses nouvelles qui nous seront données et qui ont pris possession de notre être.
Donc, il sera question de la vie; mais je pense qu’on ne peut pas appliquer à la vie de Dieu, à la vie en Dieu, le mot vie tel que nous l'entendons ici. Fatalement notre vue est brouillée par l'expérience que nous avons de cette vie-ci. Or Dieu est l'amour et Dieu est la vie et il faudrait trouver un autre vocabulaire. Mais c'est impossible !
Et c'est la raison pour laquelle il est parfois préférable de se taire. Il n'est rien de plus quasiment - oserais- je dire - indélicat que de parler de Dieu et de son environnement parce que fatalement nous parlons alors d'une idole.
La seule manière de parler correctement de Dieu, c'est de ne pas en parler, c'est de rester devant lui dans une attitude de silence, d'admiration. C'est cela la contemplation ! C'est un long regard admiratif qui est au-delà de tout vocabulaire, au-delà de toute parole, au-delà de tout discours.
Mais ce qu'on peut faire, c'est écouter ce que Dieu nous dit. Saint Benoît cite ici l'une ou l'autre parole du Seigneur Jésus. Par exemple : Elle est étroite la route qui conduit à la vie ! à cette fameuse vie qui, elle, dira : Je suis la vie !
Et ici, mes frères, nous tombons dans un nouveau piège. C'est que ce Dominus, ce Seigneur, ce Jésus, eh bien, nous ne parvenons pas à réaliser qu'il est Dieu. C'est la grande, grande pierre d'achoppement de toujours. C'est sur cette affirmation qu'a trébuché Arius. Et tous ces Evêques qui lui emboîtaient le pas, nous les comprenons un peu parce que aujourd'hui, nous-mêmes personnellement, nous ne parvenons pas encore à réaliser pleinement que cet homme Jésus est en réalité Dieu.
Donc ce qu'il dit, ce n'est pas parole d'homme, mais c'est une Parole de Dieu. Donc c'est une Parole qui crée, c'est une Parole qui réalise ce qu'elle exprime. Lorsque il dit donc que la route est étroite qui conduit à la vie, elle est encore plus qu'étroite. Quand on dit angustam, 5,2l, c'est encore plus étroit. C'est la même racine qui a donné le mot français angoisse, ou angine. Voyez angine de poitrine ou angoisse.
C'est donc cela, cette route. Ce n'est pas une petite route étroite sur laquelle on pourrait faire de l'alpinisme ou de la gymnastique. Non, c'est une route qui fait peur. C'est un défilé très étroit qui peut donner, je dirais, place à des attaques de brigands. Et il faut oser s'y aventurer car de l'autre côté, c'est la vie ; mais ce n'est pas la vie telle que nous la connaissons, mais c'est Dieu qui est la vie.
Voilà, mes frères, tout ce que nous pouvons trouver dans notre Règle et, c'est la raison pour laquelle nous ne nous lasserons jamais de l'entendre. Et lorsque nous l'entendons et que nous ouvrons notre cœur à cette parole inspirée, cette parole d'un saint, de notre Père Saint Benoît, nous recevons automatiquement la grâce, la force d'accomplir ce que Saint Benoît nous propose.
Mes frères,
L'Abbé ne devrait parler de l'obéissance qu'avec énormément de circonspection, dans une parfaite discrétion et une grande réserve. Pourquoi ? Mais parce que il se trouve du côté du marteau tandis que les auditeurs se trouvent du côté de l'enclume. A mon avis, il ne parlera de l'obéissance en toute honnêteté et avec assurance et persuasion que s'il a lui-même été longtemps du côté de l'enclume et qu'il a senti combien il était dur et pénible de recevoir les coups du marteau.
Mais il en parlera d'autant mieux s'il a récolté les nombreux fruits et surtout, s'il a trouvé la mort sur l'enclume de cette ...?... ...?... comme le Christ l'a trouvé sur la croix. A ce moment-là, Dieu l'aura ressuscité et introduit dans la création nouvelle et lui aura conféré la qualité de prophète.
Voyez, mes frères, tout ce que devrait être un Abbé selon le cœur de Saint Benoît et selon le coeur de Dieu. Et je pense avoir raison. On n'a pas le droit de parler de l'obéissance si on n'est pas mort sous les coups de l'obéissance. Le Christ a eu le droit de parler parce qu'il savait qu'il était orienté vers la croix; il a parlé avant. L'Abbé, lui qui tient la place du Christ, doit parler après sinon tout ce qu'il peut dire flotte dans les sphères abstraites de la spéculation.
Mais cela ne signifie pas que l'Abbé sera écouté et qu'il convertira les cœurs. Le Christ lui-même n'a pas été écouté et il n'a converti que quelques personnes. Mais du moins l'Abbé parlera de ce qu'il connaît comme le Christ parlait de ce qu'il connaissait. Et la suite alors dépend de la qualité du terrain sur lequel tombent les paroles. Il y aura du fruit à cent pour un ou bien il n'y en aura pas du tout, ou on sera dans l'intermédiaire, dans l'entre deux.
Je viens justement de lire dans l’Epître de Saint Paul aux Thessaloniciens une toute petite Parole - rien du tout, mais vraiment rien du tout - à l'intérieur de laquelle bat le cœur de l'Apôtre Paul. C'est un cri de folle espérance et de certitude absolue. C'est un sommet de foi, d'espérance et de charité. Il dit ceci : et nous serons toujours avec le Seigneur ! Voyez un peu !
Eh bien, ça devrait être la devise du moine. Et à ce moment-là, il comprendrait ce que c'est que l'obéissance. Nous serons toujours avec le Seigneur si nous suivons le Seigneur sur son chemin et si nous n'en dévions pas. Si nous marchons toujours à sa suite, si nous sommes toujours sur ses talons, il y aura un moment où nous serons toujours avec lui. Et c'est tout de même mieux d'être avec le Seigneur que d'être avec soi.
Que se passe-t-il au monastère dans notre cœur ? Eh bien, nous voulons être bien casés, nous voulons avoir la paix, nous voulons faire des choses qui nous plaisent, nous voulons réussir notre vie. C'est instinctif, nous ne pouvons pas y échapper; mais nous ne devons pas y succomber. Si nous restons comme ça avec nous, comment pouvons-nous sentir en nous ce désir terrible d'être toujours avec le Seigneur ?
Voilà, mes frères, vous voyez la conversion qui doit s'opérer de rester enfermés en nous jusqu'à échapper de nous pour être avec le Seigneur, mais toujours.
Le Chapitre Général va se pencher sur la dimension contemplative de notre vie, mais est-ce que ce n'est pas ça : être toujours avec le Christ, mais tout de suite ? Ce toujours doit commencer maintenant et, il faut y mettre tous les moyens pour y arriver, pour que ce soit le plus vite possible.
Mais voilà, mes frères, on peut dire que la vraie obéissance est la toute grande vertu monastique. Elle est la porte de la sainteté et de la liberté et, elle est le joyau d'une vie monastique pleinement réussie. Vous allez dire : Celui-là, il parle bien de l'obéissance, mais est-ce que il a laissé sa vie sous les coups de marteau ? Et ça, mes frères, c'est le secret de chacun. Mais je peux simplement vous dire que j'en ai reçu de terribles et, c'est peut-être pour ça que je me porte bien maintenant.
Mes frères,
En parlant de l'Abbé, Saint Benoît nous disait voici quelques jours : qu'il ne doit pas aimer l'un plus que l'autre si ce n'est celui qu'il trouvera plus avancé dans les bonnes actions et l'obéissance, 2,45. Et avant-hier, je pense, nous parlant du moine obéissant, il le décrivait : il suit d'un pied si prompt l'ordre donné, que dans l'empressement qu'inspire la crainte de Dieu, il n'y a pas d'intervalle entre la parole du supérieur et l'action du disciple, toutes deux s'accomplissant au même moment, 5,l9.
En entendant cela, je me suis rappelé qu'il existait un apophtegme qui est certainement la source à laquelle a puisé notre vénérable Père. Je l'ai recherché et je l'ai retrouvé. C'est un apophtegme d'Abba Marc qui est disciple d'Abba Sylvain. Nous allons le parcourir ce matin, si vous le voulez bien. Il nous encouragera à être de véritables disciples de Saint Benoît et de nos Pères.
On disait d'Abba Sylvain qu'il avait à Scété un disciple nommé Marc qui avait une grande obéissance. Il était calligraphe.
C'est à dire qu'il avait une belle écriture et que son emploi était copier des manuscrits, soit pour le monastère, soit pour l'extérieur.
Et le vieillard l'aimait à cause de son obéissance.
Voyez, Saint Benoît !
IL avait onze autres disciples qui souffraient de ce qu'il l'aimait plus qu'eux.
Voyez la jalousie ! Donc, en tout, Abba Sylvain avait douze disciples comme le Christ qui en avait également douze. Et nous savons que le Christ, parmi les douze, il y en avait encore un qu'il aimait davantage. Sans doute parce qu'il était aussi plus obéissant ?
Les Vieillards des environs en l'apprenant s'en chagrinèrent et ils vinrent une fois chez lui pour l'en accuser.
Aujourd'hui on dirait : les Abbés de la région. Ils viennent donc pour adresser des reproches à Abba Sylvain.
Les prenant avec lui, il alla frapper à chaque cellule, disant : Frère un tel, viens ici car j'ai besoin de toi. Et aucun d'eux ne le suivit tout de suite.
Ils s'amènent mais, voilà, quand ils en ont envie !
Arrivant à la cellule de Marc, il frappa et dit : Marc. Lui, entendant la parole du vieillard, bondit aussitôt dehors ; et le vieillard l'envoya en diaconie.
Donc, il l'envoie à un petit travail !
Et il dit aux vieillards : Pères, où sont les autres frères ? Il entra dans la cellule de Marc et il prit son cahier. Il remarqua qu'il avait commencé à former la lettre oméga mais qu'entendant le vieillard, il n'acheva pas de l'écrire. Alors, les vieillards dirent : Vraiment Abba, celui que tu aimes, nous l'aimons nous aussi et Dieu l'aime.
Donc vous voyez, mes frères ! Vous allez peut-être penser : C'est une belle histoire mais nous autres, nous ferons quand même comme nous en aurons envie. Nous n'allons pas pour ça changer nos bonnes habitudes. Car enfin, c'est à longueur de journées que nous sommes appelés par Dieu. La cloche ou la sonnerie nous appelle pour l'Office, ou bien quelqu'un ; et bien voilà, nous faisons quelque chose, il a bien le droit d'attendre.
Mes frères, je ne sais pas, ce raisonnement-là, si jamais nous venons à le tenir, eh bien il n'est pas juste. Saint Benoît nous parlant du moine vraiment obéissant disait qu'il n'y avait pas d'intervalle entre la parole du Supérieur et l'action du disciple, toutes deux s'accomplissant au même moment ; ainsi agissent ceux qui aspirent ardemment à la vie éternelle. 5,20.
Et je m'étais arrêté là-dessus. C'est le gradiendi amor, les degrés par lesquels on monte, l'escalier par lequel on monte à la vie éternelle ; on entre dans la création nouvelle, on entre chez Dieu.
Eh bien, je bondis, moi, dans cet escalier ; je n'ai pas de temps à perdre. Pourquoi ? Parce que c'est l'amor qui me possède et qui me talonne. Je veux de suite, moi, comme disait l'Apôtre Paul hier, être avec le Christ, le Seigneur, pour toujours et tout de suite.
Eh bien voilà, mes frères, je pense que nous pouvons en prendre de la graine. Voilà, nous sommes en train d'écrire une lettre, ou prendre des notes, ou je ne sais pas quoi, enfin n'importe quoi et il v a le timbre qui sonne. Eh bien, n'achevons pas notre mot, il y a quelqu'un qui nous appelle. Et si nous sommes prompts à répondre à sa parole, eh bien, il va nous aimer.
Cela veut dire qu'il va infuser en nous sa propre vie, son propre esprit de plus en plus. Il va avoir les yeux sur nous et il n'aura pas de cesse qu'il ne nous ait en tout rendu semblable à lui. Vraiment Abba, répondent donc les Abbés de la région à Abba Sylvain, celui que tu aimes, nous l'aimons nous aussi et Dieu l'aime. C'est parce que Dieu l'aime que nous devons l'aimer.
Eh bien voilà, mes frères, retenons cette petite leçon pour ce matin. Nous sommes toujours dans la semaine de prières pour l'unité des Eglises. Si cette Eglise s'est disloquée comme ça très vite tout en restant une - c'est là le mystère et le paradoxe - eh bien c'est parce que on n'a pas comme ça avec assez d'empressement écouté la voix du Seigneur. On a écouté ses propres idées, ses propres sentiments au lieu d'écouter ce qu'il disait.
Voilà. essayons d'offrir pour cette unité à retrouver un jour, d'offrir notre désir d'être nous-mêmes toujours promptement à l'écoute de ce que Dieu nous demande.
Ma sœur, mes frères, [1]
Hier, vous vous en souvenez, je clôturais le chapitre en disant que l’existence du moine montait vers une pentecôte, vers l’heure où le Saint-Esprit aurait pris possession de la personne dans sa globalité, dans son intégralité et en aurait purifié le cœur. A ce moment, le moine sera devenu un spirituel, un pneumatique.
Il vivra alors perpétuellement sous la motion de l’Esprit Saint. Il aura encore ses défaillances, il aura encore ses péchés, certes, mais ce n’est pas ça qui annulera le mouvement de fond, la lame de fond qui le soulève. Ce qui l’entraîne, c’est l’agapè, c’est l’amour et ce ne sont plus les pulsions instinctives.
La Pentecôte n’est donc pas en premier, elle est un couronnement et, elle est précédée d’une passion et d’une mort. Et Saint Benoît le dit à la fin de son Prologue. Le latin est beaucoup plus percutant et il dit ceci : « passionibus Christi per patientiam participemur, ut et regno eius mereamur esse consortes, Pr. 118 ». Participons par la patience aux souffrances du Christ, aux passions du Christ, passionibus, pour ainsi mériter d’avoir place dans son Royaume, comme il est dit.
Mais non, c’est consortes, partager son sort dans son Royaume ! Dans le Royaume, il n’y aura pas de différence entre le Christ et nous puisque nous serons devenus une cellule parfaite de son Corps. Et c’est la même Vie qui irriguera et la tête et le membre.
Et concrètement ? Concrètement, le passage du repliement sur soi à l’altruisme, de l’égocentrisme à la charité s’opère par le canal de l’obéissance. Il s’agit dans l’obéissance de s’accrocher à Dieu comme un chaland à un remorqueur. L’obéissance est le lien qui nous permet de réussir l’impossible. Il suffit de se laisser tirer. Nous n’avons pas, nous, à faire le remorqueur. Nous sommes un simple chaland et nous nous laissons tirer.
Et cette obéissance, le fait que nous restons accrocher à Dieu, nous permet de réussir l’impossible. Car entrer dans l’univers de Dieu, devenir un seul esprit avec le Christ, c’est l’inconnu absolu. N’essayons pas de faire fonctionner notre imagination, c’est impossible ! Nous restons toujours enfermés à l’intérieur de l’humain, à l’intérieur du charnel.
Nous pouvons être Docteur dans toutes les théologies possibles, celles des anges et celles des hommes, nous restons enfermés dans le créé, nous restons enfermés dans le limité, dans le fini.
Or, devenir un seul esprit avec le Christ, c’est autre chose. Il nous faut franchir l’infranchissable abîme qui sépare l’humain du divin. Il nous faut pour cela, mais vraiment, se laisser prendre à bras le corps, lâcher tout et se laisser emporter.
Or, ça requiert une fameuse dose de confiance et de courage. Et c’est cela la Foi ! La véritable Foi, c’est se donner tout entier à cet amour qui se révèle à nous dans la personne du Christ Jésus. C’est cela la foi, la foi qui est le cœur de l’obéissance.
Et pour oser ainsi se laisser ranger par un autre, fut-il Dieu, on doit être possédé, dévoré par un désir auquel Saint Benoît fait allusion aujourd’hui. C’est : « ad vitam aeternam gradiendi amor, 5,19 » le désir, l’amour, le désir de monter, gradiendi, vers la vie éternelle. C’est le désir de la vie éternelle.
Alors là, vous voyez le caractère de passion, de souffrance, de mort qui est inscrit à l’intérieur de l’obéissance, à l’intérieur de notre vie et qui est le préalable obligé à la manifestation de l’Esprit, donc à la Pentecôte. Mais il faut, comme le dit Saint Benoît, vraiment être possédé par le désir de la vie impérissable, de la propre vie de Dieu.
Au début, on n’a pas conscience de çà. On ne saurait jamais l’exprimer parce que on ne dispose pas du vocabulaire ni de l’expérience. Mais il y a des indices que il en est bien ainsi. Et ce que Saint Benoît dit, il faut alors que le postulant, le novice soit possédé vraiment, qu’il ne recule pas, qu’il ait le souci de l’Opus Dei, des choses rebutantes, de l’obéissance, c’est ça !
Et cela se trahit, cela se manifeste à l’extérieur dans des détails. Et à l’intérieur de ces détails, on peut voir qu’il y a dans le cœur un moteur et que ce moteur, c’est le désir, le désir de devenir un seul esprit avec le Christ, un seul être avec Dieu.
Donc la Pentecôte, dans la vie du moine, c’est donc le fastueux de cette vie éternelle, un don sans retour, sans retour. Et ça se comprend bien : lorsque Dieu a pris le moine, qu’il l’a élevé dans son univers, que ce moine de façon bien, bien, bien consciente sait qu’il est chez Dieu, Dieu ne peut plus reculer. C’est arrivé, on ne peut pas revenir en arrière.
De même, lorsque le Verbe de Dieu est devenu homme dans la personne du Christ, c’est irréversible. On ne peut pas annuler cela. Et lorsqu’un moine est ainsi devenu vraiment un seul être avec le Christ, on ne peut pas reculer. C’est un état fixé une fois pour toutes.
On pourrait dire en termes de théologie scolastique de hier - je ne sais pas si on dit ça maintenant encore - on appellera ça : quelqu’un est confirmé en grâce. C’était la terminologie qu’on utilisait.
Si bien qu’au fond, l’obéissance est l’expression de ce désir fou mais irrépressible : devenir un seul être avec Dieu et pour cela traverser la mort. Et ça, c’est le mystère de Pâques dans lequel nous nous jetons.
Et ce que dit Saint Benoît au dessus de l’échelle, on va voir ce qui va arriver, dignabitur demonstrare, 7,188, on va voir ! Personne ne le sait, le moine lui-même ne le sait pas. Il est dans l’inconnu et pourtant c’est un inconnu très, très, très connu. Mais voilà, il n’y a pas de mots, là, corrects pour le traduire.
Eh bien, mes frères, demandons à Dieu de nous accorder cette grâce parce que après celle-là, il n’y en a pas d’autre !
Table des matières
Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance. 24.05.86
Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance. 22.01.87
Chapitre 5 : De l’obéissance. 24.05.87
Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance. 22.09.87
Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance. 23.09.87
Nous ennoblir dans l’obéissance !
Chapitre 5, 29-44 : De l’obéissance. 24.05.88
Chapitre 5, 1-23 : De l’obéissance. 22.09.88
Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance. 23.09.88
Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance. 22.09.89
Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance. 23.09.89
Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance. 22.01.90
Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance. 23.01.90
Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance. 23.05.90
Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance. 23.01.92
Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance. 24.05.92
Chapitre 5, 1-28 : De l’obéissance. 22.01.93
Chapitre 5, 29-fin : De l’obéissance. 23.01.93
Chapitre 5 : De l’obéissance. 24.01.93
Un apophtegme sur l’obéissance.
Chapitre 5 : De l’obéissance. 23.05.94