Homélie : Noël, messe du jour.                   25.12.92

 

Mes frères,

 

La naissance de Dieu dans notre chair périssable et toujours si fragile nous révèle la réalité la plus bouleversante qui soit: nous sommes aimés au point de pouvoir espérer l'impossible. L'..?.. de la Bonne Nouvelle est que nous sommes appelés à devenir Dieu.

Cela signifie concrètement que nous sommes appelés à partager la nature de Dieu, tout ce qu'il est. Nous devenons éternel, nous devenons amour, nous devenons lumière, nous devenons l'inespéré. Et ce cadeau inattendu est irréversible car les dons de Dieu sont sans repentance.

Mais voilà, y croyons-nous ? Notre cœur est-il tout entier polarisé par cette réalité ? Ou bien est-il dispersé dans les mille et mille soucis de la vie ? L'entièreté du projet de Dieu est enfermé en ces quelques mots que nous venons d'entendre : né de Dieu !

 

Il existe donc une naissance qui ne dépend pas de la volonté charnelle, ni de la volonté de l'homme. Cette naissance est divine dans son origine et dans ses effets. Elle est l'œuvre de l'Esprit-Saint en nous et elle fait de nous des enfants de Dieu. Cette participation à l'être de Dieu ne détruit pas, n'altère pas notre agir d'homme.

Le tout purement humain et charnel de nous n'est pas mis en veilleuse, au contraire, nos facultés dégagées de toutes les tendances anarchiques s'affinent à l'extrême et parviennent au faîte de leur pouvoir.

Les saints sont des hommes maîtres d'eux-mêmes et maîtres du monde. Ils jouissent d'une liberté parfaite car ils sont établis avec Dieu dans la gratuité absolue. Ils ne sont plus conditionnés par rien sauf par l'amour.

 

Telle est, mes frères, la condition d'un homme né de Dieu et qui se laisse conduire jusqu'au terme de cette naissance. Il devient un adulte dans le Christ même si au regard des hommes il est considéré comme un rien. Tout cela le laisse indifférent. Il sait, lui, qu'il est entré dans le Royaume de Dieu et que tout lui a été remis.

 

Telle est, mes frères, le grand, le merveilleux message de Noël. Il nous faut toute une vie pour nous y adapter. Nous devons sans cesse demander à Dieu d'augmenter en nous la foi, cette foi qui est justement la participation à sa vie.

Notre foi doit être une collaboration confiante, amoureuse avec notre créateur, notre créateur qui - ne l'oublions pas - est le Christ Jésus, lui qui a voulu parcourir toutes les étapes de notre existence terrestre jusqu'à la mort pour mieux nous comprendre.

Aujourd'hui, nous célébrons sa naissance dans notre chair et notre naissance à nous en sa nature de Dieu. Que notre eucharistie soit vraiment le cri de notre foi et le chant de notre espérance.

                                                                                                        Amen.

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Chapitre : Fête de la Sainte Famille.            27.12.92

 

Mes frères,

 

La Sainte Famille de Marie, Joseph et Jésus n'est pas une image d'EpinaI devant laquelle nous nous attendririons quelques instants. Non, elle est la manifestation du mystère le plus profond qui soit : le mystère du Dieu avec nous, du Dieu l'un de nous. Et l'un de nous jusque dans les détails les plus insignifiants de toute existence humaine.

 

Je dis insignifiant parce que nous n'y prêtons pas attention, mais ils sont infiniment beaux tous parce qu'ils constituent notre être même et que sans eux nous ne serions pas. N'oublions jamais que l'homme-Jésus est Dieu. Non pas un dieu quelconque à côté d'un autre Dieu, mais il est Dieu lui-même.

Or il a grandi en tant que Dieu dans le sein d'une femme tout comme nous, et cela dans l'inconscience la plus totale. Puis il est venu au monde .Et tout petit il a été nourri, il a été langé, il a été choyé. Il a fait ses maladies d'enfant et il a suscité l'inquiétude chez Marie et chez Joseph bien souvent.

Sa conscience s'est éveillée peu à peu. Il a grandi. Il est devenu un gamin avec toutes les ruses des gamins. Il est devenu un garçon, il est devenu un adolescent, il est devenu un jeune homme. Il a dû être éduqué par son père, par Joseph qui lui a, dans la tradition hébraïque multiséculaire, qui lui a transmis son métier.

 

N'oublions pas qu’en Israël tous les hommes, absolument tous devaient pratiquer un métier manuel. Dieu étant le créateur du cosmos, Dieu ayant façonné l'homme avec ses mains, tout véritable juif devait travailler de ses mains. Et Dieu nous a encore donné l'exemple lorsqu’en Jésus il est devenu un artisan de village comme il y en avait des quantités à son époque.

Et nous, mes frères, là-dedans, quoi pour nous aujourd'hui ? Eh bien, cela nous touche d'extrêmement près parce que nous sommes nés de Dieu. Nés de Dieu, cela veut dire que nous avons été aimés, attendus patiemment et passionnément par Dieu qui est amour. Et cela dès avant la création du monde, nous étions déjà présents dans son cœur chacun bien personnellement. Nous sommes nés de Dieu et nous parcourons toutes les étapes de cette naissance.

Ce que nous observons dans le domaine de la génération humaine et de la croissance de l'homme, ce que Dieu lui-même a voulu connaître et parcourir puisqu'il est vraiment l'un de nous, et tout cela est le symbole, est le signe, est un davar, la parole de ce que nous devons vivre au plan de la divinisation, au plan surnaturel.

Nous naissons, nous avons une longue phase de l'attente et puis notre regard s'ouvre, nos oreilles deviennent attentives et, petit à petit nous devons croître jusqu'à notre taille adulte.

 

Voyons notre évolution au plan humain et nous comprendrons alors quelle doit être notre évolution au plan de notre divinisation. Quand on est âgé de 40 ans, on s'imagine vraiment qu'on est arrivé au sommet de sa personnalité. Eh bien, j'ai déjà largement dépassé ce stade, je l'ai connu, eh bien je puis vous dire que à 40 ans on est encore un grand gosse.

Quand va-t-on atteindre la plénitude de notre sagesse humaine ? Je n'en sais rien, je n'en sais rien. Peut-être est-ce au moment où nous approchons mais bien réellement de la mort ? C'est elle la grande maîtresse de vie. C'est peut-être pour ça que Saint Benoît nous demande de l'avoir devant les yeux tous les jours afin qu'elle nous éduque, qu'elle fasse de nous de véritables hommes.

Eh bien, mes frères, il en est de même dans le domaine de Dieu où là, nous ne devons pas trop vite imaginer que nous sommes parvenus à notre taille adulte dans le Christ. N'oublions pas que nous devons parcourir un chemin qui paradoxalement nous semble inverse. Nous devons redevenir de petits enfants.

 

Voyez un peu ! Nous sommes là en plein dans le mystère et il est très difficile d'en discourir. Ce que nous devons faire, ce n'est pas justement d'en parler, mais nous devons le vivre. Et lorsque nous le vivons vraiment, il n'est plus de paroles pour le décrire.

En tout cas, ce qui est certain, si nous sommes nés de Dieu, nous sommes engendrés aussi dans le sein d'une mère qui est la mère de Dieu et qui est la mère de tous ceux qui naissent de Dieu. C'est une nécessité absolue. Voilà, les choses sont ainsi et je pense qu'elles ne sont pas plus mal.

Nous faisons donc partie bien réellement de la famille de Jésus, de Marie et de Joseph. Nous sommes les frères de Jésus, nous sommes les fils de Marie et nous sommes confiés à la vigilance de Joseph.

 

Prenons bien garde, mes frères ! Ce n'est pas là une image jolie, attendrissante. Non, c'est une réalité divinement concrète, la réalité concrète de notre être d'enfant de Dieu. Et nous devons le savoir, et nous devons le croire. Vivre dans la conscience aigue de cette réalité, c'est le propre du chrétien authentique.

Nous allons devoir rédiger un rapport sur l'état de notre communauté, surtout nous devrons expliquer comment nous nous y prenons pour vivre notre vie contemplative. Eh bien, mes frères, ce sera extrêmement simple. Pourquoi ? Parce que dans la réalité il est impossible de parler de la vie contemplative. Pourquoi ? Parce que voyez, ce sont des détails comme ça, c'est de savoir, de vivre dans la conscience éveillée, la conscience aigue, la conscience vigilante que nous faisons partie d'une famille.

Je ne parle pas de notre famille monastique mais d'une famille qui est proprement divine et que, à l'intérieur de cette famille - qui est la nôtre et qui nous donne vie - de Jésus, de Marie et de Joseph nous sommes introduits dans la grande famille Trinitaire. Il n'y a pas d'autre route, tout le reste est illusion, c'est perte de temps, c'est impasse !

Et cela, mes frères, ce n'est pas de la dévotion, c'est l'essence même - comme je le disais - de notre vie promise à l'éternité. Et cette expérience devrait être chez nous aussi naturelle que l'expérience de notre propre famille charnelle.

 

Alors voilà, demandons, si vous le voulez bien, aujourd'hui cette grâce les uns pour les autres car elle est très grande, elle est très belle et - encore une fois - tôt ou tard dans une vie monastique contemplative bien vécue, on arrive à le savoir et on ne peut vivre que d'elle.

___________________________________________________________________Chapitre : Fête des Saints Innocents.           28.12.92

         

Mes frères,

 

A l'époque de Saint Benoît, on vivait encore dans un univers imprégné par une foi vivante. Un moine équilibré avait tout naturellement du respect pour les anciens, de l'affection pour les jeunes. Et s'il s'en trouvait un dans la communauté qui négligeait ce devoir naturellement chrétien, il était sévèrement réprimandé en public d'abord, et puis on le soumettait à la discipline régulière, c'est à dire qu'on lui infligeait ce qu'il voulait infliger aux autres.

Est-ce que on imagine encore ça aujourd'hui dans nos monastères. Ce serait de suite la révolution, ce serait des plaintes à la Congrégation des Religieux. On ne sait pas ce que ça deviendrait. Il faut savoir et reconnaissons-le bien humblement que au niveau de la foi nous sommes terriblement dégénérés.

Nous sommes devenus des théologiens, c'est à dire des gens qui savent discourir sur le monde de Dieu. Mais voilà, quand ils ont bien discouru, ils sont satisfaits et ils pensent que tout est arrivé. Mais il ne faut pas les toucher, parce que alors ça devient des hérissons et qui s'y frotte s'y pique. Voilà, je pense que nous devrions réfléchir à ça !

 

Regardez, aujourd'hui nous avons célébré la fête de ces enfants tout à fait inconscients qui sont morts comme ça sans s'en rendre compte pour la plupart et sans savoir pourquoi. Et l'Eglise maintenant les considère comme des martyrs, comme des témoins.

Ils étaient en fait des prophètes, ils annonçaient ce qui devait arriver à cet autre enfant qui s'était échappé, qui allait devenir un homme et qui subirait le même traitement de la part des hommes. Et puis après lui, ce serait bien d'autres. Et le premier, c'était ce couronné. Cette couronne, c'était le nom d'Etienne.

Et nous avons là l'affrontement de deux univers, de deux approches différentes de Dieu. Une approche d'abord rationnelle, raisonnée, raisonnable de Dieu. Encore une fois, celle des théologiens, et des philosophes, et des juristes - des scribes comme on disait alors - et des prêtres de l'époque de Jésus.

 

Et que se passe-t-il ? Et bien mes frères, l'homme est ainsi fait qu'il projette sur une certaine image de Dieu celle que lui offre la théologie - théologie vous savez purement cérébrale il projette tous ses désirs de sécurité et de réussite, tous ses besoins de rationalité et d'ordre. Le dieu de cet homme est un dieu domestique, il est au service de l'homme, il est une idole. Et regardons-nous bien, regardons-nous bien et voyons si ce n'est pas parfois ainsi pour nous.

Et de l'autre côté, vous avez une approche de Dieu qui est mystique, qui est irrationnelle, qui est dérangeante. C'est l'univers des prophètes, eux dont le coeur est déjà entré à l'intérieur de la création nouvelle et qui voient, et qui entendent des choses qu'il n'est pas permis à un homme de répéter, sauf de le glisser doucement dans l'oreille d'un autre qui est capable de l'entendre.

Oui, c'est l'irruption alors de Dieu dans l'univers des hommes, c'est la folie de Dieu qui se manifeste au cœur d'un homme. Et voilà, c'est Dieu qui se donne à un homme dans la sponsalité et dans l'amour gratuit.

 

Eh bien, entre ces deux approches, entre ces deux univers, c'est une guerre irrémissible. Elle traverse toute l'Histoire et elle traverse aussi notre cœur. Etienne, je prends appui sur lui parce que les enfants d'aujourd'hui étaient encore la plupart du temps inconscients, Etienne voyait le Seigneur Jésus debout à la droite de Dieu. Qu'est-ce que ça veut dire?

Il voyait quelque chose. N'allons pas maintenant imaginer. Non, c'était l'affaire d'Etienne, il témoignait de ce qu'il voyait. Il contemple donc l'univers nouveau, l'univers final et il en témoigne. Par ses paroles, il devient une parousie de l'eschaton, une parousie, une apparition, une manifestation de la création accomplie.

Mais alors les autres, eux, ils ne peuvent pas supporter cela. Ils le nient, ils le rejettent, ils s'enferment dans leur science, dans leur vertu, dans leur suffisance et alors, ils tuent Etienne, ils tuent le témoin mais ils ne peuvent pas atteindre au-delà. Ils font, voilà, comme l'homme qui prend sa température. Il a 40 de fièvre et, pour le nier, il brise le thermomètre. Mais sa fièvre lui reste, sa fièvre est là. Alors voyez ces hommes, ils agissent ainsi à l'endroit d'Etienne.

 

Et alors ce conflit, mais il nous traverse, il traverse notre cœur. Nous sommes séduits par la beauté de Dieu, la beauté de son uni vers, par sa Sagesse à lui qui est folie aux yeux des hommes. Mais d'un autre côté, nous voulons réussir notre vie, la réussir au plan humain. Et pour cela, mais nous sommes contents d'être bien avec Dieu parce que si nous sommes bien avec lui, mais il va nous aider à réaliser nos petits ou grands projets.

Voilà, mes frères, ce que nous sommes dans le réel, reconnaissons-le ! Inutile de nier, cela vaut pour tous. Et si nous sommes ici, c'est justement pour nous exercer à toujours bien choisir. Non pas choisir cette approche de Dieu qui est finalement débilitante et suicidaire pour l'homme, mais une approche de Dieu qui est réelle, pour laisser Dieu prendre possession de nous et non pas pour nous essayer de mettre la main sur lui.

Et alors voilà, toujours choisir Dieu contre nous, c'est le gage de la véritable réussite. Et le reste ? Eh bien ma foi, le reste, c'est illusion, impasse et c'est mort. Celui qui veut garder sa vie, qui veut réussir sa vie, dit le Christ, et bien c'est tout cuit, il la perdra. Par contre, celui qui prend le risque de la perdre, celui-là c'est garanti, il va la réussir, il la sauvera.

 

Voilà, mes frères, c'est la leçon que nous pouvons retenir aujourd'hui à partir de ce que Saint Benoît vient de nous dire, Ch.70, et à partir de ce que le récit des origines de notre foi nous rappelle.

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Chapitre : La vision de Siméon.                   29.31.92

 

Mes frères,

 

Les récits évangéliques que nous entendons ces jours-ci ne sont pas des reportages qui auraient été réalisés au jour le jour par des analystes fidèles. Non, ils ont été relatés oralement d'abord puis mis par écrit longtemps après la résurrection du Seigneur Jésus. C'est donc dans la lumière de l'événement Pascal que nous devons les écouter aujourd'hui. Il ne faut jamais perdre cela de vue.

Et j'ai rencontré un indice au verset 34 dans les paroles que Siméon adresse à Marie. On traduit comme ceci : Cet enfant est établi pour la chute et le relèvement d'un grand nombre en Israël. Le mot qui a été traduit par relèvement est en réalité anastasis, c'est la résurrection.

Donc voyez, Jésus ressuscite d'entre les morts et il a été établi par son Père juge de l'univers, juge des vivants et des morts. Et voilà, il doit départager les brebis des chèvres. Certains seront précipités dans les profondeurs infernales et les autres, ils seront promis à la résurrection dans la lumière de Dieu, anastasis. Il faut voir les choses comme ça.

 

Et il y a aussi des petites touches qui nous permettent de mieux savoir qui est Jésus. Voilà que cet homme Siméon - dont le nom signifie, je le rappelle, celui qui écoute - il voit dans ce petit enfant celui qui va le juger. C'est le Juge d'Israël. Et il est Sauveur parce qu'il est Juge.

Naturellement on peut là-dessus construire toute une exégèse, mais enfin ce n'est pas notre propos ici. C'est que, vous voyez, vous avez de nouveau d'un côté la chute et de l'autre la résurrection. Toute l'Histoire du Salut est traversée par ce conflit dont il était question hier. Et le point central, le pivot de ce conflit, c'est cet homme Jésus.

Il est, nous est-il dit, un signe, un étendard que l'on va contredire et contester. Et cet aspect de contestation a été brillamment mis en évidence par l'Apôtre Jean dans son Evangile. D'un bout à l'autre Jésus est contesté. Et c'est normal parce que les hommes n'acceptent pas d'être arrachés à eux-mêmes pour adopter une sagesse étrangère.

 

Or, Dieu est l'étranger par excellence, lui qui est le tout autre. Et pour devenir soi-même autre, il faut consentir à mourir à ce que l'on est, d'où le réflexe d'agressivité parce que on a peur de l'inconnu. Il s'agit de recevoir en soi les mœurs divines qui sont toutes centrées autour de l'amour, de l'agapè.

Retenons bien ceci, mes frères, l'amour n'est pas une qualité de Dieu, l'amour est Dieu lui-même. Je pense que quand on a découvert cela, on a fait un très grand pas à l'intérieur de la vie contemplative. Cela signifie que chaque fois que l'on rencontre l'amour, on touche Dieu.

On nous a lu encore aujourd'hui le commencement de cette Epître de Saint Jean où il dit qu'il a vu, qu'il a contemplé, ses oreilles ont entendu, ses mains ont touché. Eh bien, lorsque nous rencontrons l'amour, dans une personne, eh bien à ce moment-là nous voyons, nous entendons et nous touchons la Personne de Dieu.

 

Je pense que ça peut nous aider à mieux accepter les autres tels qu'ils sont et à mieux comprendre que nous formons un seul Corps dont l'âme est l'amour, dont l'âme est Dieu, dont l'âme est l'Esprit.

Mais voilà, je vous le dis, ce n'est pas facile parce qu'il faut vraiment devenir autre. Il faut renoncer à la peur, il faut s'exposer à mourir, il ne faut pas avoir peur des coups et il faut toujours garder dans le cœur le préjugé favorable ; c'est à dire avoir un œil suffisamment pur pour reconnaître l'amour même s'il est caché sous des amoncellements de méfaits, des choses qui ne sont pas bonnes.

Alors que voulez-vous, l'opposition au Seigneur Jésus dont Siméon parle ici encore, elle habite notre cœur comme celui de tous les hommes. Les pensées de nombreux cœurs seront dévoilées, dit le prophète, et les nôtres aussi viendront au jour.

 

Alors, si ces pensées pouvaient toujours être des pensées de bienveillance, de douceur, de compassion, d'amour, ce serait merveilleux. Nous serions déjà en voie de résurrection. Jésus dira lui-même : L'arbre est jugé à ses fruits. Alors puissions-nous chacun pour notre part toujours porter des fruits de résurrection.

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Chapitre : Etablir sa demeure chez Dieu.        30.12.92

      Anne, un prototype de la moniale.

 

Mes frères,

Quand nous entendons la lecture de ce chapitre 72° de la Règle, nous savons que nous approchons de la fin d'un quadrimestre et de la fin de l'année. Nous approchons ainsi de la fin de notre vie et il nous sera dit à ce moment : Tu as entendu ce chapitre autant de fois au courant de ta vie. Et voilà, qu'en as-tu fait ?

Et nous n'aurons qu'une seule chose à dire : j'aurais pu faire mieux, c'est certain ! Mais ô mon Dieu, je sais que tu es l'amour et je me présente devant toi tel que je suis. Je n'ai rien du tout et je me jette comme ça dans le feu de ta miséricorde. Et là, d'un seul coup, je serai transfiguré.

Et c'est cela, mes frères, que nous devons faire tout de suite. Nous devons essayer de le faire. Il ne faut pas trop nous épucer, vous savez, nous analyser, etc. Non, 'il faut se jeter dans la miséricorde de Dieu tel qu'on est et lui fera le reste.

 

Et nous avons entendu ce matin l'histoire de cette brave femme de 84 ans. Il y en a un ici qui va bientôt arriver à cet âge canonique qui est l'âge de la sainteté. Et c'est l'âge auquel on découvre peut-être alors la Personne du Christ dans toute sa beauté. Et nous voyons que cette femme qui s'appelle Anne, c'est à dire la grâce, la beauté, cette femme a choisi de vivre dans la Maison de Dieu. Elle entend le servir dans les jeûnes, dans les prières et dans la séparation du monde. Elle a établi sa demeure chez Dieu.

Elle est donc en somme un prototype de la moniale, d'autant plus qu'elle attend. Elle attend la rédemption d'Israël, elle attend la manifestation de Dieu. Elle est donc une neptique, elle veille. C'est une éveillée, une attentive. Elle ne dort pas, elle ne se laisse pas assoupir, spirituellement s'entend. Et finalement elle voit. Donc son attente est comblée.

Et elle voit Dieu dans enfant ce qui est bien le sommet de la un foi: voir Dieu dans un homme, le reconnaître dans l'impuissance d'un garçon de 6 semaines.

         

          Et je vous assure que pour en arriver là, il faut être mort à soi-même, il faut avoir abandonné ses yeux humains, ses yeux d'adulte. Il n'y a que le petit enfant qui reconnaît le petit enfant.

Mettez deux enfants tout petits là. Ils sont avec leurs parents. Eh bien, il n'y a rien à faire, ils vont laisser tomber les parents. Ils vont se rencontrer, ils vont se retrouver, ils vont se reconnaître.

Et ici, Anne, à 84 ans, elle reconnaît Dieu enfant, le Dieu qui est toujours jeune, le Dieu qui est toujours en état de jeunesse. Car le Verbe de Dieu est engendré toujours. C'est son être d'être l'engendré. Et alors Anne qui est redevenue une petite fille, elle le reconnaît. Voilà, elle est donc une vraie contemplative et elle peut nous servir de modèle.

 

Vous voyez tout ce qu'on peut découvrir à l'intérieur d'une petite péricope évangélique. Si ce récit a été retenu par la Tradition, ce n'est pas sans motif. Et voilà, il a été retenu entre autre pour nous aujourd'hui. Mais Anne vivait séparée du monde et nous pourrions peut-être nous arrêter deux minutes sur cet aspect de séparation du monde.

 

Comme le dit l'Apôtre, nous l'avons entendu ce matin, tout ce qui est dans le monde, c'est convoitise de la chair. Ce n'est pas seulement la chair charnelle, c'est l'homme dans son aspect. L'homme charnel, c'est convoitise des yeux : tout voir, tout connaître, tout savoir, tout épier, tout espionner, et puis tout, tout, voilà, tout posséder. Ce que je ne puis posséder, disons, parce que je n'en suis pas propriétaire, je peux le posséder par les yeux.

Et enfin, une chose qui est difficile à traduire. Cela a été traduit « l'orgueil de la richesse », mais c'est autre chose. Le mot grec est une assonance. C'est la vantardise, c'est la jactance, c'est la hâblerie, c'est l'imposture de la richesse, de l'avoir. Et ça, c'est le monde, c'est le monde des affaires, c'est le monde du business.

Alors voyez un petit peu quand un monastère est entraîné là-dedans ! Heureusement je puis le dire et vous le savez, nous ne le sommes pas. Même si nous vendons de la bière et que nous respectons les lois du marché, nous restons toujours à notre petit niveau. Et je pense que tous ceux qui viennent ici le sentent et le savent à commencer par les agents qui viennent régulièrement nous contrôler.

 

Et voilà, il y à l’ opposé du monde. Il le dit ici : Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui. Parce qu’à l'opposé du monde, il y a Dieu, Dieu qui est manifesté dans le Christ. Et c'est tout le contraire de ce qui fait l'attirance du monde pour l'homme pécheur : la chair, les yeux, la jactance.

Chez Dieu, dans le Christ, c'est la chasteté de la chair, c'est l'humilité du regard et c'est la rectitude de la vie. Alors voilà, c'est encore toujours ce fameux conflit. Il faut balancer, il faut choisir entre les deux.

Si bien que la séparation du monde, c'est la séparation des vices qui empoisonnent le monde. Aimer le monde, c'est devenir complice de ses dérèglements.

 

Et voilà, le monde, nous le savons, il glisse dans la corruption et dans la mort ; tandis que celui qui s'attache à Dieu entre dans la vie impérissable, ce qui a été dit ici. Le monde s'évanouit avec toute sa convoitise et celui qui fait la volonté de Dieu demeure pour l'éternité.

Il y a un seul véritable amour du monde où il est dit que Dieu a tant aimé le monde. C'est l'amour qui ne juge pas le monde, qui le prend en pitié et qui veut le sauver.

          Et nous, si nous sommes séparés du monde, ce n'est pas par mépris du monde. C'est pour ne pas être complices des dérèglements du monde, mais c'est surtout pour l'enfermer dans notre cœur. Et si notre cœur devient pur, à ce moment-là, le monde qui est dans notre cœur va se trouver transfiguré lui-même.

 

La transfiguration finale du cosmos à la fin des temps, elle sera l'œuvre des saints, c'est à dire du Christ vivant dans le cœur de certains hommes et de certaines femmes. Et s'Il nous a invités dans sa Maison ici comme la vieille dame Anne, eh bien, c'est pour réaliser cette merveille en nous et grâce à nous.

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Table des matières

Homélie : Noël, messe du jour.                   25.12.92. 1

Chapitre : Fête de la Sainte Famille.            27.12.92. 2

Chapitre : Fête des Saints Innocents.           28.12.92. 4

Chapitre : La vision de Siméon.                   29.31.92. 6

Chapitre : Etablir sa demeure chez Dieu.        30.12.92. 7

Anne, un prototype de la moniale. 7