Homélie : Temps de Noël.                        25.12.86*

1. Messe de minuit.­

 

Mes frères,

 

La destinée entière du Christ-Jésus, c'est à dire de Dieu devenu homme, notre destinée à chacun d'entre nous qui sommes greffés sur lui, est signée sans retour dans le fait brut de cet enfant nouveau né couché dans une mangeoire.

Plus tard, bien plus tard, à ses derniers instants, ce même enfant sera couché, cloué sur un bois, une sorte de nou­velle mangeoire. Il va être dévoré par les puissances infer­nales et il gémira : « Moi, je suis un ver, pas un homme, raillé par les gens, rejeté par le peuple. »

Et le moine fidèle qui aura suivi son Seigneur jusqu'au bout, jusque là, dira un jour dans son cœur : Moi, je suis une bête de somme, mais je suis resté toujours avec Toi, et Tu me prendras avec Toi où Tu es.

 

Nous voyons encore une fois, mes frères, qu'à l'intérieur de cette durée globalisante que nous appelons l'éternité, le commencement se confond avec la fin. Les deux se fondent en un. Et à chaque instant de cette durée, tout est à faire et tout est déjà accompli.

Nous comprenons dès lors que le prophète ait pu conclure son chant en proclamant bien haut l'amour invincible du Sei­gneur de l'univers. Cet amour nous précède et nous devons lui emboîter le pas. Il nous suit et il nous pousse en avant. Il n'est rien en notre vie qui ne soit manifestation de cet amour, sollicitation de cet amour.

Dieu désire réaliser pour nous, en nous, la merveille stu­péfiante d'une nouvelle incarnation, sur un mode participé certes, mais pourtant bien réelle. Et en cela, la fête de la nativité est une réalité qui nous éveille chaque matin. Au cours de ces jours bénis nous en prenons une conscience nou­velle qui suscite en nous l'émerveillement et une joyeuse surprise.

 

Mes frères, nous possédons en nous la vie éternelle et cette vie nous absorbe en elle de plus en plus puissamment. Il suffit de nous ouvrir à elle comme une fleur et de l'ac­cueillir. Et cette ouverture de notre coeur, c'est notre obéissan­ce, notre abandon, notre confiance. Nous osons nous évanouir en elle afin de nous retrouver toujours, pour toujours en elle.

Et pour permettre à notre Dieu de naître ainsi dans no­tre coeur, nous devons descendre avec lui dans sa mangeoire, monter avec lui sur sa croix, nous laisser coucher avec lui dans son tombeau. Mais au terme de cet itinéraire étrange, ce sera pour nous la surrection dans la lumière.

Mes frères, nous sommes créés pour cette beauté. Nous le savons, c'est la beauté, rien que la beauté qui sauvera le monde. Et n'ayons garde d'oublier la femme qui a porté en elle et qui nous a donné ce Sauveur. C'est elle la plus belle de toutes les créatures, et elle désire nous revêtir de sa pro­pre beauté.

 

Mes frères, mon souhait en cette fête, ce sera celui-ci : Nous serons fidèles à cette vocation à la beauté et nous de­manderons les uns pour les autres de recevoir cette grâce d'être vraiment donnés à cette mission. C'est la plus belle part de notre vie, la mission de tout chrétien, surtout de tout moine consacré à Dieu plus particulièrement. Et cette mission, c'est d'être révélateur de la beauté de notre Dieu en étant nous-mêmes des êtres beaux, c'est à dire des êtres entièrement voués à l'amour.

 

                                                                                                      Amen.

 

Homélie : Temps de Noël.                         25.12.86

      2. Messe du jour de Noël.

 

Mes frères,

 

Le prophète Isaïe souligne d'un trait vigoureux le pro­fil de notre vie monastique. Le moine est un guetteur. Il voit de ses yeux le Seigneur qui vient, qui est toujours en train de venir. La naissance du Fils de Dieu, elle est d'hier, elle est d'aujourd'hui, elle est de toujours.

Il y a une connexion étroite entre la naissance du Verbe de Dieu et le surgissement de notre cosmos. Il y a interpéné­tration. Il y a action de l'un sur l'autre. C'est le Verbe de Dieu qui crée le monde et c'est le monde qui permet au Verbe de Dieu de nous découvrir la beauté de son visage.

Le monde est porté en Dieu comme un enfant dans le sein de sa mère. Il grandit. Il fleurit. Il fait germer la sainte­té. Et le jour approche où sa croissance sera terminée et où Dieu sera tout en lui.

 

A ce moment-là, mes frères, nous reconnaîtrons, nous ver­rons vraiment qui nous sommes. Car notre privilège, dès main­tenant, est de contempler cette naissance du monde qui est aussi le nôtre, cette naissance du Christ qui est encore la nôtre, nous qui sommes grains de matière et fils de Dieu.

Mes frères, il y a là une merveille, une beauté qui de­vrait polariser toutes les énergies de notre vie. A côté de cela, voyez-vous, il n'y a rien. Tout est condamné à passer. Tout est condamner à s'effacer, à disparaître. Et le symbole de cette disparition, c'est notre mort phy­sique. Il y a une partie de nous qui doit disparaître afin que la part éternelle puisse surgir, s'affirmer et rayonner dans sa splendeur.

Le mystère de Noël détermine ainsi notre avenir le plus lointain. Il est le gage de notre vie éternelle, éter­nelle parce que divine. L'Evangéliste est formel : Le Verbe de Dieu s'est fait chair pour que notre chair transfigurée puisse participer à la nature de notre Dieu.

 

Dès maintenant, mes frères, je veux dire dès l'instant où nous prenons conscience de cette vérité, de cette réalité, nous savons d'expérience absolue que nous sommes contemporains de la création du monde et que rien ne se fait que nous n'en soyons les témoins. Voilà quelque chose d'assez extraordinaire !

Et pourtant c'est la situation normale d'un fils de Dieu, d'un homme qui est greffé sur le Verbe de Dieu devenu chair. Il s'opère une transfusion de vie de ce Dieu Homme en nous qui devenons par­ticipant de la nature divine, et tous les privilèges de Dieu sont nôtres. Car Dieu n'est pas avare, il ne retient rien pour lui. Lorsqu'il se donne, il donne avec lui tout ce qu'il est, tout ce qu'il fait.

 

Mes frères, nous voici ainsi revenus à notre rôle de guetteur inlassable, heureux. Nous devons être les yeux du cosmos qui regardent les yeux même de notre Dieu. Et dans cet échange réciproque, c'est la vie éternelle qui s'installe. Une transmutation s'opère non seulement en nous, mais dans l'univers.

C'est pourquoi ne nous laissons pas décourager par toutes les laideurs, par toutes les méchancetés, tous les crimes qui nous sont rapportés chaque jour, et qui sont bien réels. Cela est cause de souffrance immense, quasi intolérable. Mais, mes frères, rappelons-nous ce que je vous disais cette nuit : il y a eu au départ pour le Verbe de Dieu une mangeoire d'animaux. Il y a eu pour le terme de sa vie terres­tre une croix avec ses clous.

Mais tout cela était assomption des crimes de l'humanité, mes frères, de sa déchéance, mais ça nous ouvrait la porte à cet avenir éternel qui est de lumière, où tout est pardon, où tout est assumé, où tout est métamorphosé.

 

L'Eucharistie d'aujourd'hui, celle que nous célébrons chaque jour pour condenser en elle toute cette beauté, nous la recevons en nous avec des sentiments de reconnaissance et de repentance car il y a une part de mal en nous également. Et si nous sommes artisans de beauté, nous sommes aussi com­plicité de crimes.

Mes frères, ne perdons pas de vue cette ambivalence qui se dispute notre coeur, mais laissons s'éveiller en nous l'im­mense espérance de Noël, et confions-là à Marie, la mère de notre Christ, celle qui par son oui total nous a tout obtenu.

 

                                                                                                         Amen.

 

 

 

Homélie : Temps de Noël.                         26.12.86

      3. Fête de Saint Etienne.

 

Mes frères, vous me permettrez quelques brèves paroles comme c'est la coutume pendant l'Octave de Noël. Elles seront tou­tes simples. Elles sont tirées de l'expérience multiséculaire de notre Eglise, mais elles débordent largement sur l'humani­té entière. Etienne a té victime du fanatisme religieux.

C'est triste et navrant. C'est une leçon pour nous aujourd'hui. Les hommes qui l'ont condamné et exécuté voulaient à tout prix maintenir l'intégrité du dépôt traditionnel de leur foi et ils se dressaient face à Etienne comme les défenseurs de leur Dieu. Ils pensaient bien sincèrement rendre un culte à leur Dieu.

 

Mes frères, le fanatisme trahit une peur viscérale du changement. Le chef d'accusation formulé contre Etienne était celui-ci : Voilà un homme qui, nous l'avons entendu, affirme que Jésus ce Nazaréen va changer les usages que Moïse nous a légués.

Le fanatique emprisonne Dieu dans le ghetto de ses pro­pres insécurités. Il le domestique. En fait il le nie car il ne lui permet pas d'être Dieu. Il lui dénie le droit d'être Dieu, c'est à dire irruption continue de nouveauté imprévisi­ble. Et ce fanatique devient féroce et impitoyable si on tou­che à son idole. Les martyrs du fanatisme sont légions. Etien­ne fut un des premiers.

Méfiez-vous des hommes, nous dit Jésus. Si vous êtes vraiment mes disciples, si je vis réellement en vous, vous allez les déranger et ils ne le vous pardonneront pas. Dieu est un être dérangeant. Il bouscule les égoïsmes. Il fait monter à la surface les secrets les plus intimes du coeur. C'est pourquoi le fanatique écarte Dieu de sa vie en essayant de l'emprisonner.

 

Mes frères, exposons-nous, pour notre part, à ce feu qui est notre Dieu. Laissons-nous sans cesse remettre en question. Nous serons donc toujours des hommes d'accueil, des hommes d'ouverture. Nous saurons écouter et au besoin nous convertir. Et ainsi nous demeurerons à l'abri de cette plaie sinistre qu'est le fanatisme.

 

                                                                                                    Amen.

 

Homélie : Temps de Noël.                         27.12.86

      4. Fête de Saint Jean.

 

Mes frères,

 

L'Apôtre Jean vient de nous donner le remède qui nous permettra de prévenir le mal pernicieux du fanatisme et tou­tes autres déviations du sentiment religieux. Et ce remède, c'est la joie née de la communion avec chacune des personnes de la Sainte Trinité.

Cette joie, nous venons précisément de la chanter, cette joie pleine, parfaite, accomplie. Cette joie purement spiri­tuelle, elle est une lumière qui nous fait admirer la beauté de notre Dieu, la beauté de chacune de ses créatures, la beau­té de son projet. Et cette joie est extatique.

Elle nous projette hors de nous-mêmes. Elle nous fait dépasser nos frontières naturelles. Elle nous établit au coeur d'une communion universelle dans laquelle chacun se donne à tous et se reçoit de tous à l'image des trois Personnes divines qui sont pur don et pur accueil.

 

Et ainsi, il n'y a plus de place en nous pour la peur. Donc, plus aucune place pour le fanatisme ni rien de tel. L'Apôtre nous dit d'ailleurs que l'amour parvenu à sa perfec­tion bannit toute crainte.

Jean nous propose la joie de vivre, la joie de créer, la joie de contempler, la joie d'admirer. Il nous installe à l'intérieur de la beauté et il nous invite à être avec lui les témoins de cette beauté.

Nous ne refuserons pas cette mission, mes frères. Dieu est sainteté, Dieu est amour, Dieu est vie, Dieu est beauté. En lui se trouve notre lieu, notre paix, notre avenir et no­tre présent.

 

                                                                                                       Amen.

 

Règle : 70 : Corriger les autres.                 28.12.86

      La présomption !

 

Mes frères,

 

Voici un chapitre qui, à première vue, paraît bien anachronique. Il n'est plus guère question aujourd'hui dans les monastères, ni d'excommunications, ni de châtiments corporels. Et pourtant, si nous y regardons de plus près, Saint Benoît nous donne ici un enseignement riche, précieux et pratique. Si bien que ses paroles me semblent parfaitement d'actualité. Pour y voir clair, il faut, comme bien souvent avec lui, se référer à la toute première phrase qui sonne, ici, comme une maxime. Il nous dit : Il faut éviter dans le monastère toute occasion de présomption, 70,3.

 

Il s’agit donc ici de la présomption. Mais qu'entend-on par là ? Le présomptueux est un homme qui dans le fond est un voleur. Il s'approprie un bien qui ne lui appartient pas. Il détourne à son profit une qualité, un pouvoir qui appartient de droit à un autre. Et pourquoi agit-il ainsi ? Parce que il s'estime meilleur que les autres. La présomption s'apparente à la vanité et à l'orgueil, et c'est pourquoi elle devient rapidement un larcin. Elle trahit la haute opinion qu'un frère a de lui-même et en même temps la piètre image qu'il se fait des autres.

Maintenant, voyons la forme que cette présomption peut prendre aujourd'hui. Le frère présomptueux ne frappe pas ses frères à coups de bâton, il les frappe à coups de langue. Il se constitue le gardien farouche de l'orthodoxie monastique et il s'instaure l'éducateur des frères soit disant négligeant. Il fait la leçon à tout le monde car il est à l'affût des moindres erreurs qu'il qualifie immédiatement de dérèglement. Le meilleur résultat qu'il atteigne, c'est qu'il se rend insupportable et odieux à tous.

 

N'allons pas penser que ce soit rare. Allez, descendons dans notre cœur. Quel regard portons-nous sur les autres ? Est-ce que parfois, pour ne pas dire bien souvent, leur conduite, leur attitude, leur démarche ne nous énerve pas ? Et à l'intérieur de notre cœur monte la fermentation des pensées. Si ces pensées franchissent la barrière de nos lèvres, à ce moment, voilà, nous tombons sous le coup du chapitre septantième de Saint Benoît. Nous commençons à frapper notre frère de notre langue, soit disant pour le remettre sur le bon chemin, pour lui apprendre à bien se tenir.

Mes frères, attention, la présomption est un vice vraiment pernicieux, vice qui introduit le trouble dans une communauté, la division même. Quand au frère devenu vraiment présomptueux, il finit par se fermer sur lui-même car il se situe au-dessus des autres. Il est sur une plate-forme où il voit tout, où il juge tout. Et puis alors de là, il lance ses ukases. Donc, il se met au-dessus des autres.  Voyez, c'est toujours la vanité et l'orgueil qui sont en lui. Et voilà : comme il est seul enfermé dans son autosuffisance, il s'asphyxie , spirituellement et il dépérit.

 

Alors, mes frères, on comprend la sévérité de Saint Benoît, car lorsqu'il s'agit de ce vice de la présomption, il quitte la procédure habituelle de la correction. Il ne fait pas en privé la remarque au frère. Non, immédiatement il le reprend en public. Ceux qui commettent ces fautes seront repris devant tout le monde tout de suite, 70,8. C'est le seul endroit, je pense, dans la Règle où cela arrive. Pourquoi ? Afin que les autres en conçoivent de la crainte. Il faut que chacun prenne conscience que c'est quelque chose de très sérieux.

Donc voilà, mes frères, prenons bien garde ! C'est que, comme je l'ai dit tantôt, notre cœur n'est pas entièrement pur et notre regard n'est pas parfaitement lumineux. Attention à notre façon de voir les choses et de les juger. Est-ce que nous les voyons avec le regard du Christ ? Est-ce que nous les jugeons comme Dieu les juge ? Ne nous faisons pas le défenseur de Dieu, ne nous faisons pas son avocat, ne prenons pas sa place, car de la présomption on débouche vite dans le fanatisme.

 Donc, prenons bien garde !

 

Homélie : Temps de Noël.                        28.12.86*

      5. Fête de la Sainte Famille.

 

Mes frères,

Les jours de Noël sont un temps privilégié au cours des­quels nous accueillons avec reconnaissance une intelligence plus pénétrante du mystère chrétien et de notre propre iden­tité. Oui, qui sommes-nous ? Et où allons-nous ?

La foi nous dit que nous sommes des enfants de Dieu. La propre vie de Dieu rythme les pulsations de notre coeur. Cet­te vie, nous la partageons tous, si bien que nous sommes des frères promis à une vie qui s'épanouira pendant toute l'éter­nité. Nous ne pouvons maintenant imaginer ce qu'elle sera.

Pourtant, si nous voulons y prendre garde, nous en percevons déjà les signes avant-coureurs à l'intérieur de notre vie per­sonnelle et aussi chez nos frères. Chaque fois que nous voyons fleurir une charité authentique, nous pouvons dire que là est Dieu et sa vie éternelle. Oui, nous marchons vers le monde à venir et certains déjà en aperçoivent les premières lueurs.

 

Ces privilèges qui sont nôtres ne nous mettent pas à l' abri des coups du sort. Dieu lui-même une fois devenu homme n'a pas voulu s'en garantir. Il était à peine né que déjà on cherchait à le faire mou­rir. Il a dû prendre avec ses parents la route de l'exil. Il en a connu les privations. Cet exil a dû s'étendre à plusieurs années. Il a dû en souffrir. Il a dû en être marqué dans son psychisme. Ce n'est pas impunément qu'on est poursuivi dans son enfance, dans sa toute petite enfance.

Et ainsi sa vie, de la mangeoire dans laquelle il a été couché à peine né jusqu'au tombeau de pierre dans lequel on l'a étendu après le crucifiement, sa vie a été ponctuée de contradictions et de rebuffades. Et le jour où Pierre son ami a voulu le protéger, il s'est écrié : que jamais satan ne viendrait à bout de sa patience et de sa paix.

 

Mes frères, le Christ a dû beaucoup souffrir et ses pa­rents également. Mais cette souffrance ne les empêchait pas de goûter au fond de leur coeur un bonheur que rien ne pouvait leur ravir. Pourquoi ? Parce que en espérance, ils vivaient ailleurs. Et le chrétien doit être aussi un homme dont le centre de gra­vité n'est pas en lui mais chez Dieu, un homme dont la nourri­ture n'est pas de réaliser des projets fantastiques mais tout bonnement de se nourrir de la volonté de Dieu, c'est à dire de l'être même de Dieu.

Et si le chrétien est un homme de cette race, il s'agrè­ge à la famille de Dieu dont la toute première cellule est celle que nous fêtons aujourd'hui, cette famille sainte de Bethléem, d'Egypte et enfin de Nazareth. Et la loi de la famille de Dieu, c'est une affection sur­naturelle faite d'estime et de respect. C'est un amour de dilection qui se nourrit de don et d'accueil.

La loi de cette famille divine est le contraire de l'égoïsme, du repliement sur soi, de la peur, de l'agressivité. La famille de Dieu est le lieu de la béatitude et de la paix, de la transparence et de la beauté.

 

Mes frères, voilà ce qui nous est offert par notre voca­tion chrétienne. Voilà ce que nous sommes. Nous devons accueillir cette grâce avec une reconnaissance immense et surtout la traduire dans les actes de notre vie. Le Christ dira un jour : « On reconnaîtra que vous êtes mes disciples si vous avez de l'amour les uns pour les autres. » Et on pourrait compléter : Si vous ne manifestez pas cet amour, s'il n'est pas dans votre coeur, vous n'êtes pas dans mes dis­ciples et un jour je vous dirai : Qui êtes-vous ? Je ne vous connais pas !

Mes frères, notre Eucharistie va fortifier en nous cette vie divine qui fait de nous tous un seul corps, une seule fa­mille. Et nous allons d'abord avant de communier au Corps et au Sang de notre Christ, avant ainsi de nous insérer plus pro­fondément dans sa famille, nous allons proclamer notre foi et notre bonheur d'être chrétien.

 

                                                                                                               Amen.

 

Homélie : Temps de Noël.                         29.12.86

      6. L’attente de Siméon.

­

Mes frères,

 

Siméon était un Israélite de haute noblesse spirituelle. Il possédait cette qualité, cette vertu qui fait les grands hommes de Dieu, les hommes prédestinés à conduire l'Histoire vers son accomplissement final, à l'orienter vers sa finalité essentielle. Siméon était un expectant. Il attendait. Il savait atten­dre. Sa vie était construite sur le double roc de la foi et de l'espérance. Et il attendait...

Mais qu'attendait-il ? Il attendait la consolation d'Israël. Et sa foi hâtait, provoquait l'avènement de cette con­solation, ou plutôt de ce consolateur dont la venue hantait les rêves d'une humanité avide de salut, de paix, de bonheur. Il n'est donc pas étonnant que Siméon vivait sous la mou­vance de l'Esprit Saint. Il se laissait guider par lui. Il collaborait avec lui par sa fidélité, par la ferveur de son attente. Et ainsi, il devenait co-rédempteur.

 

Mes frères, nous trouvons en Siméon une composante essen­tielle de notre vie. Le moine attend la révélation du Royaume de Dieu, c'est à dire du Christ Lumière au-delà de toute lu­mière. Il attend le Christ. Il attend cette lumière à l'inté­rieur de sa propre vie. Et l'ardeur de cette attente lui per­met de tout supporter, de tout traverser.

Il attend aussi la révélation du Christ chez ses frères. Et rien ne le rebute, rien ne le décourage. C'est cela que si­gnifie aimer. Aimer, c'est attendre, savoir attendre que l'au­tre devienne enfin ce que Dieu veut réaliser en lui, que l'autre devienne une lumière, la lumière du Christ présent dans une communauté, présent dans une société. Et savoir attendre, c'est cela peut-être la meilleure, la plus grande manifestation de l'amour qu'on peut porter à quelqu'un.

Mes frères, une telle attente chez nous en notre propre personne, chez l'autre, une telle attente n'est jamais déçue car elle aboutit toujours. Elle ne vient pas d'une illusion humaine, elle vient de Dieu, elle vient de l'Esprit de Dieu.        Et c'est cette attente qui reposait sur Siméon et qui le portait...

 

Laissons-nous, mes frères, posséder nous aussi par cette attente et qu'elle soit le ressort de notre vie au cours de nos journées et au cours de nos nuits.

 

                                                                                                 Amen.

 

Homélie : Temps de Noël.                         30.12.86

      7. La convoitise spirituelle.

 

Mes frères,

 

Hier, nous avons vu que l'attente patiente du Royaume de Dieu était une composante essentielle de notre vie chrétienne et monastique. Le Royaume de Dieu, c'est la Personne même de Dieu révélée en nous dans ce Christ qui est la lumière du mon­de. Mais notre attente prendra-t-elle jamais fin ?

Il semble bien que non ! Même quand nous serons entrés dans ce monde à venir, nous serons encore et toujours tenu en haleine par une attente dévorante qui sera en fait le noyau de notre béatitude.          Elle prendra la forme,d'un désir toujours éveillé, toujours assouvi, encore et toujours ranimé.

La Lumière de Dieu se lèvera pour nous à chaque instant dans son imprévisible nouveauté. Ce sera pour nous un émerveillement éveillant un nouveau désir, l'attisant sans fin. S'enflammera alors en nous, mes frères, la fameuse convoitise spirituelle dont nous parle Saint Benoît, et nous serons portés vers des sommets de puissance et de paix. Je pense que notre vie monastique trouvera à ce moment-là son accomplisse­ment.

 

Saint Benoît nous demande de nous exercer dès maintenant à ce qui sera, à ce qui est déjà notre vie éternelle. Il nous parle de ces sommets de contemplation et de force. Il nous parle de cette convoitise qui doit nous faire oublier toutes les attirances charnelles. Dieu nous appelle à laisser grandir en nous dès mainte­nant la patience de cette attente, la véhémence de ce désir.

Ainsi, Anne grandit pendant 84 ans pour atteindre sa vraie jeunesse le jour où ses yeux éblouis reconnaissent et contemplent dans cet enfant inconnu, la lumière du monde. Elle a attendu jours et nuits, ne quittant pas la Maison de Dieu, sachant que Dieu tiendrait sa promesse et qu'un jour il se montrerait à elle.

Et à cet instant même, Anne devient lumière. Elle devient porteuse de lumière et elle ne peut se retenir de parler de l'enfant, de son expérience. Elle ne peut se retenir d'en parler à tous ceux qui comme elle attendent la libération de Jérusalem, c'est à dire l'apparition de cette Jérusalem nou­velle dont le flambeau serait l'Agneau, ce petit enfant déjà présent résumant en lui toute la nouveauté de la Jérusalem éternelle.

 

Mes frères, nous comprenons que le vieil Apôtre Jean au terme de sa vie, ayant réussi son expérience d'homme, nous comprenons qu'il nous conseille de ne pas porter notre amour vers le monde, ni vers ce qui se trouve dans le monde. Nous sommes une flamme. Nous nous élevons, nous grandis­sons. Laissons à cette flamme toute liberté et ne l'éteignons pas, ne l'étouffons pas par les désirs de notre nature char­nelle. Ils doivent disparaître avec notre chair.

Le monde s'effiloche, il disparaîtra. Mais la Parole de notre Dieu demeure éternellement et c'est dans la lumière que ce monde une fois dissout renaîtra pour prendre sa forme dé­finitive, car Dieu sera tout dans la moindre de ses parcelles.

Mes frères, voilà la beauté de notre vocation chrétienne, de notre vocation monastique. Ne la négligeons pas et entrons dans cette Eucharistie qui nous donne tous ses trésors, et avançons dans notre patience, dans notre attente sans jamais nous lasser.

 

                                                                                                          Amen.

 

Homélie : Temps de Noël.                         31.12.86

      8. Le dernier jour de l’année.

 

Mes frères,

 

La liturgie clôt l'année civile en nous reportant au com­mencement de toute chose, et même au-delà de ce commencement. Elle nous immerge en Dieu. Elle nous dit que l'univers est un produit d’une parole sortie d'un amour qui est Dieu. Elle nous dit que cet univers est destiné à être le réceptacle de la lumière qui est Dieu. Dieu l'a créé image de sa beauté. Dieu l'a même assumé à l'intérieur de sa propre vie lorsqu'il est devenu lui-même chair d'homme, petit, infime fragment de matière.

La liturgie de ce jour nous dit aussi que chacun d'entre nous est né dans le coeur de Dieu. Chacun a été connu, aimé, choisi avant même que Dieu se lança dans la grande aventure de la création. Elle nous dit que nous sommes éternels, que les plus belles espérances sont déposées en nous et qu'elles attendent de germer.

Dieu, lui, attend que nous vivions en accord avec ce que nous sommes, que la vérité brille en notre personne, que nous soyons des êtres de lumière dans lesquels il se reconnaît. Nous ne sommes pas insignifiants à ses yeux. Chacun de nous est un trésor unique pour lequel il a risqué sa vie. Au­cun homme ne peut être insignifiant à nos yeux car chacun d'eux est porteur de Dieu, chacun est porteur d'un avenir voulu par Dieu.

 

Mes frères, c'est ainsi que à partit de ce tout premier commencement notre existence, notre vocation se comprend et s'explique. Et l'accomplissement final, nous

le verrons un jour, rejoindra l'origine. Et là, nous serons à notre place, chacun à notre place. Nous verrons Dieu et nous chanterons sa beauté pour l'éter­nité.

                                                                                                                       Amen.

                                                                                                                 
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Table des matières

Homélie : Temps de Noël.                        25.12.86*. 1

1. Messe de minuit. 1

Homélie : Temps de Noël.                         25.12.86. 2

2. Messe du jour de Noël. 2

Homélie : Temps de Noël.                         26.12.86. 3

3. Fête de Saint Etienne. 3

Homélie : Temps de Noël.                         27.12.86. 4

4. Fête de Saint Jean. 4

Règle : 70 : Corriger les autres.                 28.12.86. 5

La présomption ! 5

Homélie : Temps de Noël.                        28.12.86*. 6

5. Fête de la Sainte Famille. 6

Homélie : Temps de Noël.                         29.12.86. 8

6. L’attente de Siméon. 8

Homélie : Temps de Noël.                         30.12.86. 9

7. La convoitise spirituelle. 9

Homélie : Temps de Noël.                         31.12.86. 10

8. Le dernier jour de l’année. 10