Temps après Pâques.

 

Homélie : 4°Dimanche. C.                         27.04.80

 

Dimanche des vocations.

 

Mes frères,

 

Le Pape Jean-Paul II a décidé que ce quatrième dimanche d'Avril serait une journée mondiale de prières pour les vocations. Hier, on a lu au réfectoire la lettre qu'il nous a adressée.

C'est un problème crucial de notre époque, celui des vocations. Pourtant il ne doit pas nous inquiéter outre mesure car il n'est pas nouveau. Cette crise est récurrente : elle est arrivée autrefois, elle se présentera encore. Après la Révolution Française par exemple, pendant des dizaines d'années le recrutement a été réduit à presque rien.

Je pense que ces crises sont liées à des mutations profondes de l'humanité : nouvelle civilisation, nouvelles cultures, nouvelles façons de voir et de vivre qui surgissent comme cela d'elles-mêmes. Ce n'est pas planifié, ce n'est pas organisé. Non, c'est l'humanité qui évolue.

 

Et alors, il faut que les hommes s'adaptent à leur nouvelle situation. Et pendant ce temps-là il y a comme un arrêt peut-on dire. Non pas de l'appel de Dieu, mais de l'écoute de cet appel : Il n'est plus perçu, il n'est plus capté. Nous vivons dans un monde qui est de plus en plus athée, un monde qui est auto-suffisant, autocréateur.

Il n'est plus nécessaire de recourir à un premier moteur, ni à une cause première, ni à une Providence pour faite avancer le monde. Non, il a en lui, il découvre en lui les puissances qui lui permettent de découvrir son identité. Et ce monde ne nie pas nécessairement Dieu, c'est là aujourd'hui une position qui est dépassée. Car ça ne pose plus un homme de dire qu'il ne croit pas en l'existence de Dieu. Mais on juge que Dieu est devenu une pièce parfaitement inutile : ça ne rapporte pas !

Cette réflexion, je l'ai déjà entendue combien de fois ? Mais ça ne me rapporte rien, Dieu ! On ne peut pas le faire figurer à l'actif d'un bilan. Alors on ne s'en occupe plus et d'ailleurs on ne s'en porte pas plus mal ! On vit bien, on réussit, on est heureux, et tout cela en dehors de Dieu. Voilà je pense comment les choses sont aujourd'hui pour la plupart des chrétiens, je laisse encore de côté ceux qui ne sont pas chrétiens.

Naturellement je ne dispose pas de l'information nécessaire pour émettre une opinion autorisée au sujet de la crise des vacations sacerdotales et religieuses, et vous pas plus que moi. Et pourtant, je pense pouvoir faire état, ici, d'une expérience personnelle, vous l'avez peut-être fait aussi, à propos des jeunes, mais des tous jeunes de la nouvelle génération des jeunes : ceux qui ont maintenant entre 17 et 25 ans, et même un peu au-delà encore. C'est, disons, une nouvelle race qui arrive.

Ce sont des jeunes qui sont religieux, profondément religieux. Ils fréquentent les séminaires et les congrégations. Ils sont déjà un peu engagés dans une vie consacrée. Or dans ces jeunes d'aujourd'hui, on observe un retour à la tradition ! Ils en ont assez de toutes les innovations que leurs anciens, c'est à dire ceux qui sont mettons cinq ans plus âgés qu'eux, ont mis en route et dont ils se nourrissent encore maintenant.

Et ces jeunes qui redécouvrent la tradition, découvrent aussi les pratiques de piété traditionnelles. Par exemple : ils vont ensembles réciter le chapelet. Ils feront le chemin de la croix, la dévotion Mariale, les pèlerinages aux sanctuaires Mariaux ; ça, ce sont les jeunes de la toute nouvelle génération !

 

Une toute petite chose qui me passe justement par la tête maintenant. Je connais un garçon qui a une bonne vingtaine d'années puisqu'il a terminé son service militaire. Il fait des études dans un séminaire et il fréquente l'Abbaye de Scourmont car il pense être plus ou moins appelé à la vie monastique. Et là-bas, on lui a fait prudemment entendre qu'avec une optique telle que la sienne, il ferait peut-être mieux d'aller voir à Rochefort ! Il est possible qu'un jour nous le voyons débarquer ici. Je connais son nom et son prénom. Donc je pourrais le repérer s'il arrive.

Mais c'est pour vous dire : voilà comment sont les jeunes. Et ils ont aussi en plus ceci : une exigence de vérité transparente. Ils ne se contentent plus d'entendre de beaux discours, d'écouter de belles paroles, de beaux sermons. Il leur faut des guides, des hommes dans lesquels ils voient vivre la vérité que ces hommes professent. Il leur faut donc des hommes de Dieu. Ils désirent en rencontrer et lorsqu'ils en rencontrent un, ils s'attachent à lui. Ils retrouvent le sens de la paternité spirituelle et de la vérité.

A mon sens, c'est très beau et il y a là un espoir pour demain. Mais voyez un peu comme la mentalité change en quelques années. Et ça pose des problèmes dans les séminaires où ces deux générations cohabitent maintenant. Et ils ont les mêmes professeurs !

 

Mais pour nous, mes frères, pour ce qui concerne la vie contemplative ? Je vous rappelle ce que je vous ai déjà dit tant de fois : que Dieu désire former des témoins de sa présence aimante, agissante, indulgente parmi les hommes. Donc il désire former des êtres qui soient d'autres Christ, qui portent sur leur visage un reflet de la Lumière qu'est le Christ. Voilà ce que Dieu désire faire de nous dans les monastères !  

Et cela, c'est une exigence absolue de son Royaume. Il est indispensable qu'il y ait toujours de par le monde des hommes dans lesquels fermentent la Vie du Christ ressuscité, et des hommes aussi qui rayonnent cette vie. C'est dans le prolongement de la légende Juive Hassidique, qui affirme que pour que le monde subsiste et ne rentre pas dans le néant, il faut toujours qu'il y ait dans l'univers 36 justes inconnus.

Et c'est vrai ! Il doit y avoir des hommes qui soient le Christ créateur et sauveur, mais le Christ ressuscité là présent. Et le monastère est un endroit où Dieu essaye de façonner de tels témoins.

Nous ne devons pas penser que notre vocation est acquise le jour où nous avons reçu l'habit, où le jour où nous avons émis nos vœux solennels. Notre vocation est toujours actuelle, elle est toujours en devenir. Nous devons toujours davantage être transfigurés, être christifiés. Cela signifie en pratique passer parmi les hommes, passer dans la communauté, passer dans les cloîtres, au réfectoire, au travail, partout, passer en faisant le bien, en portant sur les frères un regard de lumière et d'amour, n'avoir aucune exclusive de cœur.

Si je nourris de l'antipathie, de la haine, de l'aversion pour un seul de mes frères, à ce moment là il y a une main de Dieu qui se pose sur moi et qui va me presser, et qui va m'étrangler. Et au jour du jugement, elle me fera rendre gorge : voilà ce que tu n'as pas fait pour moi ! Et voilà ce que tu as fait de contraire pour moi : tu as fait le mal, dans ton cœur peut-être, au lieu de faire le bien !

 

Dieu désire nous christifier pour que nous passions en faisant le bien comme le Christ le faisait. Dieu désire aussi que nous le suivions jusqu'au bout, jusqu'à la mort, jusqu'à dans la mort peut-être ? Cela veut dire nous donner aux autres, être à leur service, ne pas avoir peur de sacrifier notre temps, nos loisirs, notre tranquillité, notre santé même si nécessaire pour que les autres vivent mieux, et qu'ils vivent davantage.

Et aussi nous laisser christifier en laissant agir en nous la force de la résurrection, cette puissance inimaginable qui comble et qui remplit l'univers, et qui est en nous. Et qui essaye malgré toutes les résistances de traverser nos tissus charnels, nos tissus spirituels, pour que nous devenions un seul être avec le Christ, et que enfin nous puissions vivre comme lui vit.

Voilà, mes frères, en quoi consiste notre vocation ! Et alors, si nous y sommes fidèles, si nous devenons feu et lumière comme le Christ, alors Dieu, s'il le juge bon, si c'est son projet, il peut en toute sécurité nous confier des jeunes qui, à notre contact, deviendront à leur tour des foyers d'amour et de vie.

 

Je voudrais aujourd'hui vous proposer une question qui serait à la fois un examen de conscience et une imploration pour nous-mêmes, et aussi pour tous ceux qui de par le monde sont travaillés par la grâce de Dieu, qui sont appelés, mais qui ne savent pas encore en prendre une parfaite conscience. Et voici cette question : mes frères, sommes-nous tels que Dieu puisse nous faire confiance à ce point ?

                                                                                                                        Amen.

 

Homélie : 5° dimanche après Pâques. C.         27.04.86

            Si tu aimes, tu ne mourras pas !

­

Mes frères,

 

Nous venons de recueillir le testament du Seigneur Jésus. Il nous lègue sa propre vie, sa propre gloire. Il dépose entre nos mains son trésor le plus précieux, l'amour dont il nous aime. Et il attend de nous que nous le partagions avec tous les hommes nos frères sans exception.

 

Mes frères, que sommes-nous ? Et que faisons-nous sur cette terre ? Encore un peu de temps, bien peu de temps, et nous retournerons à la terre dont nous avons été formés. Ce serait désespérant si nous ne disposions pas du trésor de l'amour. Une voix secrète murmure au fond de mon cœur :

L'amour est la vie incorruptible. Si tu aimes, tu ne mourras jamais. Ton corps pourra se dissoudre, mais l'amour façonne à l'intérieur de toi un corps nouveau, un corps spirituel déjà maintenant resplendissant de lumière. Abandonne-toi donc à ce travail que l'Esprit de Dieu opère en toi ! Ouvre-toi à cette lumière comme une fleur qui la boit, qui s'en désaltère, qui s'en réjouit !

 

Mes frères, telle est la nouveauté absolue à laquelle aucun homme, jamais, n'avait rêvé. La Bonne Nouvelle du Royaume, elle n'est rien d'autre. Nous sommes en possession, mes frères, de notre présent et de notre avenir. N'est-ce pas une chose extraordinaire que d'être soi-même le maître de son destin. Et c'est ce qui arrive lorsque nous nous ouvrons à l'Amour qui est notre Dieu, à l'Amour qui s'offre à nous en chacun des hommes que nous rencontrons.

Le Christ Jésus est ressuscité d'entre les morts, et déjà nous ressuscitons avec lui. Notre vie n'est plus soumise aux pulsions passionnelles si nous sommes soulevés, emportés par l'amour qui est Dieu. Notre moi préfabriqué se désagrège. Ce moi qui nous est concédé au moment de notre naissance et qui fait qu'à cette heure-là nous sommes déjà des vieillards, eh bien ce moi se laisse aller, il éclate sous la puissance de l'amour divin.

Et ses éléments sont reconstitués, refaçonnés, transfigurés pour former en nous ce Corps spirituel nouveau. Si bien que nous allons vers notre jeunesse dans la fraîcheur d'un émerveillement renouvelé. Voilà, mes frères, notre vie contemplative, voilà la raison d'être de notre présence dans ce monastère. 

 

Et si vraiment l'amour ainsi peut nous transformer, le monde reconnaîtra que nous sommes les disciples du Christ, et la gloire, oui, l'émerveillement se transmettra ainsi de proche en proche. Il faut que, grâce à chacun d'entre-nous, une fraction du ciel soit déjà présente sur la terre et réjouisse les yeux de chacun.

La vie véritable est ainsi communion dans l'amour. Nous nous recevons les uns des autres et nous devenons images des Personnes Divines qui sont pure relation. Nous formons ainsi tous ensemble cette magnifique cité sainte, unie à Dieu pour jamais. Et notre cœur, si nous sommes attentifs, entend la voix enchanteresse qui nous dit : Voici, je fais toutes choses nouvelles !

                                                                                                          Amen.

 

Homélie : Cinquième dimanche de Pâques – B.    01.05.88   

            Notre vie est en Dieu.

            Act. 9, 26-31 * 1Jn. 3, 18-24  *  Jn. 15, 1-8

 

Mes frères,

 

Le Seigneur Jésus ne pouvait nous dire plus clairement, plus nettement qu'il est notre vie. Nous formons avec lui une seule réalité vivante comme le sarment avec le cep, comme la branche avec le tronc, comme un membre avec le corps. Il est tout entier en nous et nous sommes tout entiers en lui. La source de notre vie n'est pas en nous, elle est en lui, en sa personne physique, en sa chair ressuscitée, mais aussi en chacun des hommes dans lesquels il habite.

Si bien que nous puisons notre vie dans l'Eucharistie certes, dans la volonté de Dieu certainement, mais aussi dans le regard de chacun des hommes que nous rencontrons. Et de même, nous pouvons donner la vie à chacun de nos frères. Tous ensembles, nous sommes les uns dans les autres et nous formons un corps immense.

Nous formons une vigne qui va donner, qui doit donner beaucoup de fruits. Et ces fruits ne peuvent être que la paix, la lumière, l'amour, une gloire qui doit rayonner et devenir le partage de tous. Oui, mes frères, puisque nous sommes dans le Christ, nous avons dépassé les frontières de la mort. Nous devons nous comporter en hommes vivants et ne plus nous replier sur nous-mêmes.

 

Mais alors, pourquoi toujours le péché ? Pourquoi toujours ces morsures qui nous blessent ? Parce qu’instinctivement nous élevons encore des barrages devant cette vie qui nous irrigue. Il y a en nous des recoins qui sont toujours habités par la peur. L'origine du péché, c'est la peur, une peur viscérale qui n'est pas la peur de mourir, qui est la peur de vivre.

Nous avons peur d'abandonner nos sécurités charnelles trop bien connues pour d'autres sécurités, celles d'une vie qui dépasse tout entendement. Et c'est ainsi que nous avons peur de Dieu. Nous préférons nous réfugier dans le culte d'une idole, n'importe laquelle. Nous avons peur les uns des autres. Nous fermons les portes, nous fermons les fenêtres. Et nous avons même peur de notre ombre à nous.

Pourtant, si nous laissons cette vie du Christ triompher en nous, nous aurons - comme vient de nous le rappeler l'Apôtre Saint Jean - nous aurons toute assurance. Nous connaîtrons la sécurité parfaite et nous pourrons alors la rayonner sur les autres hommes.

 

Une contradiction habite donc notre cœur. Nous sommes tout entiers au Christ, mais des nœuds demeurent serrés en nous. Heureusement Dieu est plus grand que notre cœur et la douce puissance de sa vie dissout patiemment tous nos kystes.

Nous allons dans quelques minutes partager une fois encore le Sang et le Corps de notre Christ. Cette vie qui est en Lui, qui est déjà en nous aussi, va nettoyer tout ce qui doit l'être. Elle va rendre notre cœur parfaitement lisse. O, si nous pouvions garder cette pureté dans les heures qui vont suivre et ainsi la laisser dominer toute notre activité.

Mes frères, n'ayons pas peur d'espérer, n'ayons pas peur de nous ouvrir toujours plus largement ­à cette vie. Ce sera la joie de notre Dieu, ce sera notre joie à nous. Rappelons-nous que le Christ nous a dit : Ma joie, je vous la donne. Ma paix, je vous la donne. N'ayons pas peur d'accepter, là est le secret de toute réussite.

 

                                                                                                    Amen.

 

Homélie : 6° dimanche de Pâques. Année C.                            24.05.92

            Des préceptes négatifs.

            Act 15, 1-29 * Ap 21, 10-14,22-23 * Jn 14, 23-29

 

Mes frères,

 

Dans la lettre que l'Eglise de Jérusalem adresse aux païens convertis de l'Eglise d'Antioche, nous remarquons un détail assez déconcertant. Les trois obligations que les Apôtres leur imposent ne sont pas des préceptes positifs mais ce sont des choses à ne pas faire. Il faut s'abstenir de manger des aliments offerts aux idoles, de manger de la viande non saignée, et il faut s'abstenir des unions illégitimes.

Cela parait un peu court et vraiment trop simple. Et pourtant, cette lettre des Apôtres est la toute première charte de la liberté chrétienne, cette liberté qui sera revendiquée haut et clair tout au long de l'Histoire.

Mais la liberté du chrétien n'est pas du libertinage. C'est ce qui est affirmé à travers les interdits posés aujourd'hui. La limite de ma liberté personnelle est celle de mon frère fut-il plus faible, fut-il moins bien informé que moi.

 

Il faut toujours marcher au pas du plus petit, ne rien imposer qui ne soit dur. Comme Saint Benoît le dit si bien, il faut que les forts aient envie de faire davantage et il importe que les plus faibles ne soient jamais découragés. Voilà le grand principe de la vraie liberté chrétienne que l'Apôtre Paul ne cessera de proclamer et qui est encore notre loi aujourd'hui.

Au fond, cette loi, c'est la loi de l'Amour, ce code qui régit Dieu lui-même. Car Dieu ne nous demande rien d'autre que ce que lui-même est. Et s'il est devenu homme et s'il a voulu connaître tous les aléas de notre condition mortelle, s'il a voulu être condamné injustement à une mort cruelle, et finalement s'il est ressuscité dans une vie transfigurée et s'il a été emporté jusqu'au sein de la Trinité d’où il était venu, c'est afin de nous montrer qui nous sommes et ce à quoi nous sommes appelés dès maintenant et pour jamais.

 

Rester fidèle à la Parole du Christ, c'est devenir semblable à Dieu, c'est devenir soi-même et à l'intérieur d'une grande communauté devenir un temple de Dieu. C'est cela la vie éternelle et c'est cela la source d'une imperturbable paix, cette paix, la sienne, qu'il nous a donnée et qu'il nous a laissée.

Le Christ part, mais il ne s'éloigne pas de ses disciples. Il habite toujours sa Parole, il lui est identique. Et lorsque nous recevons cette Parole en nous, nous devenons un avec lui. Nous sommes alors en plein à l'intérieur de la vie Trinitaire. Le Christ par sa Parole nous revêt de son Esprit et nous introduit auprès de son Père.

Telle est notre vie, telle est la source de notre liberté, telle est la source de notre paix. Un chrétien ne peut jamais être un homme de conflit, ce doit toujours être un homme qui réconcilie, un homme qui aplanit les difficultés, un homme qui répand la paix partout où il se trouve.

 

Rien n'est plus contraire à l'esprit chrétien qu'un homme batailleur, qu'un homme qui s’efforce de tromper les autres, de les attirer dans des pièges, de les dépouiller de leurs biens matériels ou de leur dignité d'homme.

            Mes frères, si nous sommes ainsi de véritables disciples du Christ, nous devenons des pierres de la Jérusalem nouvelle, de cette cité construite au cœur même de la Trinité. Nous devenons un avec l'Agneau qui en est la lumière et nous sommes nous-mêmes lumière en lui et par lui.

Tel est, mes frères, l'accomplissement de notre vie et nous l'inaugurons, cette vie, dès maintenant. Accueillir le Christ dans sa Parole, se nourrir de sa chair et de son sang, c'est devenir lumière. Telle est la sublimité de notre destinée chrétienne, de notre destinée d'homme. Puissions-nous le croire vraiment et ainsi, par notre vie jour après jour, heure par heure, nous laisser transfigurer.

                                                                                                            Amen.

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Homélie de la Fête de l’Ascension.              20.05.82*

            Pour nous !

 

Mes frères,

 

L'Evangéliste nous a dit que le Seigneur Jésus fut enlevé au ciel et qu'il s'assit à la droite de Dieu. Qu'est-ce que cela signifie ? Un conseil : ne tentons pas de forcer le mystère ! Efforçons-nous plutôt de le vivre, contentons-nous de le contempler. Faisant corps avec lui, nous le connaîtrons par l'intérieur et nous serons remplis de joie.

L'Apôtre de son côté nous affirme : Dieu déploie pour nous sa puissance infinie. Ce pour nous doit éveiller en notre cœur un espoir fou. Il doit mettre en branle toutes nos audaces. Si le Christ a été enlevé, emporté vers le haut, au-dessus, au-delà de toutes les possibilités humaines, s'il est entré dans le secret de la Trinité, c'est pour nous. Nous y serons enlevés un jour à notre heure. Et nous le sommes déjà mystiquement, réellement.

 

La vie monastique, mes frères, c'est s'offrir pour être emporté dans l'inconnu merveilleux du monde divin. Et tout un cycle est parcouru et est donné déjà au moment de notre baptême. Et tout doit s'actualiser par après.

Mourir à ce qui n'est pas adaptable à ce divin, naître à la nouveauté de l'Esprit, grandir jusqu'à la taille adulte dans le Christ, passer sur l'autre rive. Etre transporté dans l'univers de Dieu par une foi, une espérance, une charité parvenue à leur point d'achèvement, presque à la déchirure du voile qui nous sépare charnellement corporellement de cet univers Trinitaire.

 

Mes frères, nous y sommes déjà mais notre esprit est assoupi, il est endormi. Vous comprenez que depuis la toute première tradition, le moine doit être un homme éveillé. Il a ses yeux ouverts dans l'attente de cette déchirure par laquelle la lumière en une fois va s'engouffrer, et nous inondant, nous donner la vie nouvelle en plénitude.

Je le répète, il faut suivre toute une trajectoire. Cela commence au baptême où tout est donné en germe et cela s'achève dans la transfiguration, la petite résurrection où tout s'actualise et s'accomplit avant le grand jour de la résurrection générale.

 

Mes frères, voilà le côté dynamique de notre existence. le moine est l'homme du dynamisme, des énergies, du positif. Il ouvre toutes les portes, toutes les écluses au Dieu amour qui réalise son projet, son rêve sur chacun de nous au-delà de tout ce qui est concevable.

Mes frères, cet aujourd'hui qui est le nôtre, il nous est révélé, il nous est rappelé en cette solennité de l'Ascension. Osons y croire, osons le vivre !

                                                                                                                     Amen.

 

Homélie : Fête de l’Ascension.                                                    28.05.92*

            Vivre l’Ascension avec intensité.

 

Mes sœurs, mes frères,

 

En écoutant l'Apôtre Paul, nous avons le sentiment que les premiers chrétiens vivaient l'Ascension de leur Seigneur dans l'univers de la Trinité avec une intensité qui s'est malheureusement bien relâchée depuis lors.

Pourtant, un sursaut ne pourrait-il s'éveiller en nous ? Pourquoi ne pas retrouver cette foi, cette espérance, cet élan ? La Pâque du Seigneur, n'est-elle pas au cœur de notre vie humaine ? Mieux encore, n'en est-elle pas le cœur ?

Nous sommes tout de même plus qu'un amoncellement de molécules, plus que des animaux destinés à la cadavérisation. Tout de nous aspire à une forme impérissable de vie. Pourquoi ne pas espérer au-delà de toute espérance ? Pourquoi ne pas rêver au-delà des rêves les plus fous ? Ne sommes-nous pas faits pour des dépassements sans fin, pour des epekthase sans mesure ?

 

Laissons donc en toute confiance l'Esprit Saint pousser en nous des gémissements ineffables. Il ne demande qu'une seule chose, celle précisément que le Christ, que Dieu veut nous donner : notre transfiguration, notre propre assomption dans la lumière de la Trinité.

L'Apôtre nous parle d'une gloire sans prix qui est notre héritage. Nous sommes ressuscités avec le Christ, nous sommes avec lui au plus haut des cieux, nous sommes les enfants de la lumière et de l'amour. Tout est remis entre nos mains. Alors, pourquoi encore avoir peur ?

Pourquoi encore nous laisser écraser par le doute ? Ne devons-nous pas comme un saint, un grand saint nous le conseille, sortir au grand jour et nous draper dans notre gloire. Elle est nôtre. Nous ne devons pas hésiter à le dire, nous ne devons pas hésiter à le vivre.

 

N'attendons pas demain pour être de vrais chrétiens, des témoins d'un avenir promis à tous les hommes. Un philosophe athée disait qu'il n'était pas possible de devenir chrétien tellement ceux qu'il voyait avaient toujours l'air triste. Est-il permis qu'un chrétien soit triste ?

Quoi qu'il lui arrive, mais son cœur a déjà traversé tout, son cœur est déjà là où est son avenir. Il n'y a plus en pratique de différence, il n'y a plus de cloison, il n'y a même plus de voile entre le présent et le futur. Il est accompli déjà dans tout son être, en espérance certes, mais pourtant de façon bien réelle.

Oui, mes sœurs, mes frères, chaque être de chair quel qu'il soit est un Dieu en puissance, un Dieu en devenir. Mais parmi eux, parmi tous les hommes, le chrétien et entre parenthèses surtout le moine, le chrétien ose dire : c'est arrivé ! C’est accompli ! Il le dit par sa vie qui est déjà l'éternité présente. Il le dit parce qu'il ne veut rien faire d'autre que d'aimer envers et contre tout.

 

Ce n'est pas facile, je le sais, mais ce n'est pas impossible. Il suffit de laisser l'amour qui nous habite, l'Esprit qui nous habite devenir en nous le plus fort, de laisser les énergies divines se déployer librement afin que finalement nous ne puissions rien faire d'autre que d'aimer.

C'est à cela qu'on reconnaîtra que nous sommes disciples du Christ, si à travers toutes les épreuves, à travers tout ce qu'on peut nous faire, tout ce qui peut nous tomber dessus, nous ne cessions pas d'aimer.

            Nous sommes tous membres d'un Corps que Dieu comble totalement de tout. Voilà ce que vient de nous dire l'Apôtre. Et ce Corps dont le Christ ressuscité est la tête est déjà la vie éternelle. C'est un Corps qui est totalement divinisé et nous en sommes les membres. Et cette vie, elle bat dans nos artères et elle nous rend transparents de Dieu. Tels étaient les premiers chrétiens, tels nous sommes. A nous maintenant de le croire et de le manifester.

 

Dans cette Eucharistie, nous recevrons une fois encore la plénitude du mystère que nous sommes. A nous de rayonner humblement ce mystère sur tous les hommes nos frères, sur tous ceux que nous rencontrons, sur tous ceux qui sont au loin, sur tout ceux qui sont près. Car à l'intérieur de ce Corps, rien ne se passe qui ne soit répercuté jusque dans les plus infimes cellules.

                                                                                                           Amen.

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Homélie : Octave de l’Ascension.                  31.05.81

7° dimanche après Pâques. Année A.

Lectures : Act 1, 12-14  *  1P 4, 13-16  *  Jn 17, 1-11     

 

Mes frères,

 

La vie chrétienne est ouverture sur l'avenir. Le chrétien est un homme qui vit dans des espaces toujours plus larges de liberté. Il n'est pas confiné dans un univers étroit, resserré comme dans une cage ou une prison ? Il n'est pas non plus angoissé par le terme inéluctable vers lequel glisse son existence, à savoir : la mort. Il sait qu'il fait partie d'un Corps dont le Chef a brisé les parois de la mort, dont le Chef a reçu toute autorité sur la terre et dans le ciel. Aussi est-il fier du nom qu'il porte, de son nom de chrétien, fier de la mission attachée à ce nom. Et pourtant la souffrance ne lui est pas épargnée. Lui aussi connaît la douleur, les gémissements, les pleurs, les cris parfois ?

Mais il est chrétien et à ce titre il achève en son corps ce qui manque à la passion de son Chef le Christ. Il est soutenu dans sa lutte par la conscience d'un travail à accomplir et d'une vocation à laquelle il doit répondre. Ce travail, cette vocation, c'est d'être parmi les hommes révélation de Dieu qui est amour.

Dieu attend ainsi d'être glorifié sur terre par ceux qui portent le nom de son Fils. A ceci on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, a dit le Christ, si vous avez de l'amour les uns pour les autres.

 

Mes frères, pour vivre cette consigne à la perfection il faut être un contemplatif, c'est à dire il faut admirer sur le visage de chaque homme le reflet du visage du Christ et, il faut soi-même être habité par le Christ. Cette vision et cette inhabitation sont une grâce et un dû attaché au nom de chrétien. Chaque chrétien a le pouvoir de devenir, d'être un contemplatif. Hélas, combien s'en soucient ? Combien le savent tout bonnement ?

Et pourtant, par cette vision, par cette inhabitation, il nous est donné de vivre divinement et de vaincre les puissances dissolvantes du mal. Ainsi, mes frères, si nous pouvons aimer, mais aimer vraiment comme je viens de dire, nous décrochons de ce qui est bassement terrestre et nous commençons à vivre en enfants du Royaume.

Et peut alors se réaliser pour nous ce que le Christ vient de nous dire. Vous avez sans doute remarqué comme moi qu'il parlait de son Ascension. Et alors qu'il en parlait avec ses disciples, alors qu'il s'adressait à son Père, il en parlait comme d'une chose en voie d'accomplissement.

 

Eh bien, il doit en être de même du véritable chrétien. Ouvert sur l'avenir, ouvert sur l'amour, il vit déjà son ascension en Dieu. C'est la raison pour laquelle quoi qu'il lui arrive, il est toujours comblé de joie et il goûte une paix que rien ne peut troubler.

Mes frères, dans quelques minutes nous allons manger la chair du Christ et boire son sang. Puissions-nous, grâce à cette nourriture spirituelle, grâce à cet aliment divin, être porté plus loin, plus haut dans notre montée vers Dieu.

Et ainsi, tout au long de cette journée, tout au long de cette semaine, et si nous sommes généreux, tout au long de notre vie, nous serons des gloires vivantes pour Dieu notre Père. Et à l'heure qui sera la sienne et qui sera aussi la nôtre, il nous récompensera en nous prenant avec lui dans sa gloire.

                                                                                                             Amen.                                                                                                                                                           

 

 

Homélie : 7° dimanche après Pâques.             07.05.89

      Octave de l’Ascension.

               Act. 7, 55-60  *  Ap. 22, 12….20  *  Jn. 17, 20-24

 

Mes frères,

 

Nous venons d'entendre trois paroles qui sont au cœur de notre vie chrétienne et monastique. Nous allons si vous le voulez bien nous y arrêter quelques instants, accueillir ces paroles avec reconnaissance, les laisser nous illuminer.

Une est de la bouche d'Etienne, le premier des martyrs ; la seconde jaillit des profondeurs de l'humanité en quête de son salut ; et la dernière, nous la recueillons des lèvres de Jésus à l'heure où il se séparait des siens.

Face à ses accusateurs qui seraient bientôt ses meurtriers, Etienne s'écrie : Je vois les cieux ouverts et le Fils de l’Homme debout à la droite de Dieu.

 

Mes frères, voir Dieu, voir le Seigneur Jésus dans l'éclat de sa lumière, n'est-ce pas notre ambition, notre désir le plus ardent ? Ce sommet de toute existence d'homme, ce sommet d'un bonheur qui est vie éternelle, il est pour nous si nous n'avons pas peur de mourir.

Mourir, nous le savons, c'est ici et maintenant pour nous disparaître dans les vouloirs de Dieu, obéir jusqu'au bout. Si seulement nous pouvions ne plus hésiter, ne plus reculer, nous verrions nous aussi bientôt les cieux s'ouvrir.

La toute dernière parole de l’Ecriture, celle qui était sans cesse sur les lèvres des tous premiers chrétiens, la voici, elle vient à nouveau de retentir à nos oreilles : Viens, Seigneur Jésus ! Ce n'est pas nous qui allons au Seigneur, c'est lui qui vient à nous. Ce n'est pas nous qui l'avons choisi, c'est lui qui nous a choisis.

 

Le contemplatif doit être un cri immense qui emplit la terre et le ciel, un cri qui est désir tout à la fois véhément et doux : le désir du Seigneur, de sa lumière, de sa beauté. Ce cri, mes frères, est toujours exaucé car sans lui l'humanité s'engouffrerait dans le néant.

Oui, le Seigneur Jésus vient dans la personne de ses saints, d'hommes et de femmes dévorés par l'amour. Dieu, viens Seigneur Jésus, c'est s'offrir à lui pour devenir témoin de sa présence. C'est se renoncer pour lui laisser toute la place.

Et enfin, le sceau de la vérité, le sceau de nos plus folles espérances a été imprimé sur la chair de notre cœur par l'ultime parole de Jésus, une des plus fortes qu'il ait dite : Je veux, je veux que là où je suis, eux aussi soient avec moi et qu'ils contemplent ma gloire.

 

Mes frères, ce je veux du Seigneur n'attend que l'adhésion de notre foi : être avec Jésus au lieu de sa gloire, le contempler dans sa lumière, dans sa divinité, c'est le sommet de notre vie.

Croyez-m'en, mes frères, il en est qui dès maintenant ont reçu cette grâce. Ils en jouissent avant même de connaître la mort biologique. Ils peuvent l'a connaître parce qu'ils se sont donnés, parce qu'ils ont cru, parce qu'ils ont suivi le Seigneur jusqu'au bout.

Ah ! Si ce je veux du Christ hantait notre vie, elle serait vite transfigurée car nous possèderions la clef qui nous permettrait d'en déchiffrer le sens. Tout ce qui nous arrive, le mal comme le bien, le péché comme les actes de vertu, absolument tout, est dirigé par ce je veux.

 

Mes frères, Etienne le martyr, le voyant de l'Apocalypse, nous encouragent. Jésus et son Père veulent nous prendre près d'eux. Ils veulent se donner à nous dans leur beauté. Ils ne demandent qu'une seule réponse : que nous entrions dans leur projet, que nous entrions dans leur amour, dans leur vouloir, ce vouloir qui est le lieu de notre vie.

                                                                                                 Amen.

 

 

Fête de la Pentecôte.                              14.05.78

1. Introduction à la célébration.

 

Mes frères,

Nous célébrons aujourd'hui la solennité de la Pentecôte, qui coïncide avec la fête des mères, et nous n'auront garde d'oublier celle qui est la mère de Jésus. Nous devons aujourd'hui nous laisser saisir par un spectacle de beauté. Le Saint-Esprit est la personne qui nous dévoile, qui nous révèle la transparence, la luminosité et la beauté de Dieu. Dieu est beau parce qu'il est amour et les mères sont belles parce qu'elles aiment. Et nous, nous serons beaux si nous aimons.

Afin de célébrer dignement cette solennité, mes frères, demandons au Seigneur de nous purifier par le moyen de cette eau qui va nous rappeler au terme de ces solennités pascales, une fois encore, notre incorporation dans la mort et la résurrection du Christ.

2. Homélie.

Mes frères,

Il n'est possible de comprendre le fait de la Pentecôte. C'est un mystère qui nous touche de trop près ; il est encore présent et agissant aujourd'hui. La seule façon de l'évoquer quelque peu à travers l'expérience des saints, c'est d'user de quelques images.

La Pentecôte, c'est être happé, sucé et emporté dans des régions inexplorées, inexplorables, des régions dont on ne revient que pour être livré à une ivresse, à un vertige qui lance dans des aventures à l'encontre de toute sagesse d'homme. La Pentecôte, c'est sentir en soi les bouillonnements d'un volcan au pouvoir infini. C’est respirer le feu, c'est devenir soi-même un brasier aux élans intolérables. La Pentecôte, ce sont des nappes, des fleuves, des océans de lumière, qui déferlent, qui engloutissent, qui submergent. Tout disparaît et tout renaît. Il n'est plus ni espace, ni durée ; on est rien et on est tout.

La Pentecôte à l'origine, c'est ceci : Il répandit sur eux son souffle. Un geste anodin, mais tout ce que Dieu fait n'est-ce pas anodin ? Personne n'y prend garde, personne, sauf le regard attentif du dioratique, sinon, personne ne le sait. Cette exsufflation, ce Il répandit sur eux son souffle, c'était en réalité l’événement vers lequel tendait depuis des millions de millénaires le patient labeur de la création.

Comment expliquer cela ? Tout essai d'explication est forcément bancal. Pardonnez donc mes pauvres et si imparfaites paroles. Voici : Le memra, le Verbe Créateur devient l'homme Jésus-Christ. Et cet homme, Jésus-Christ, est un soir mort sur une croix ; quelques jours après, il ressuscite et il est intronisé Kyrios, Seigneur, Maître absolu de tout ce qui existe. Et voici, qu'il insuffle à quelques hommes, et à travers ces hommes à l'humanité entière, et à travers l'humanité au cosmos tout entier, un nouveau principe de vie : le Souffle qui l'habite, qui l'habite Lui, le Souffle qui l'anime, le Souffle qui le possède.

Et ce Souffle, c'est lui-même une personne vivante aux noms multiples, aux noms qui ne peuvent cerner la richesse infiniment divine de cette personne. C'est l'Esprit Saint, c'est le Vent, c'est le Feu, c'est la Lumière, c'est l'Eau, c'est surtout l'Amour. La mission de cette personne c'est de faire surgir, irrésistiblement mais insensiblement, des cieux nouveaux et une terre nouvelle. Et à l'instant même où Jésus soufflait ainsi ce nouveau principe de vie sur ses disciples, commençaient ce qu'on appelle les derniers temps, ou si vous voulez, la dernière étape.

 

Vous pourrez me rétorquer et non sans raison : Mais qu'est-ce qui a changé ?  Guerres, violences, meurtres, corruptions, exploitations, mais c'est pis que jamais. C'est vrai, c'est pis que jamais, et pourtant il se passe quelque chose. Mais encore une fois, comme c'est un agir de Dieu, personne ne le remarque, personne ne peut le voir puisque l'univers de Dieu est tellement au-delà de nos sens, il ne tombe pas sous l'appréhension de nos sens. L'homme a d'autres centres d'intérêt que de s'occuper de ce que fait Dieu, n'est-ce pas ?

Quo fait donc Dieu ? Il recommence toujours cet événement de la Pentecôte, ou plutôt il le poursuit. Il insuffle à certains hommes son propre Esprit et il les transforme de fond en comble ; à l'extérieur il ne paraît rien, mais au-dedans d'eux c’est le déchaînement d'un ouragan de lumière et de feu. Ces hommes deviennent des torches vivantes d'amour. C'est l'amour qui les possède et ils ne peuvent plus rien faire d'autre que d'aimer.

Ils ne sont justiciables devant aucun tribunal humain, mais par contre tout jugement leur a été remis. Ils peuvent être écrasés, ils peuvent être tués par la haine ou par le mal, ils sont toujours, et infailliblement, vainqueurs car jamais leur amour ne recule, ni ne cède. Bien mieux, leur amour absorbe en lui, tout le mal qui déferle sur eux et il le dissout. Et en le dissolvant, il assainit dans ses profondeurs secrètes l'organisme, le corps que constitue toute l'humanité et ainsi, ultimement il la rédime, il la sauve, et sans même qu'elle sans aperçoive, même si elle ne le veut pas, il la transforme.

 

Mes frères, c'est cela la Pentecôte hier, c'est cela la Pentecôte aujourd'hui, c'est cela la Pentecôte de chaque instant. Et Dieu est toujours, Lui, par son Esprit, à la recherche d'hommes qui sont disposés à vivre cette prodigieuse aventure de se laisser investir et transformer par cet amour.

Nous qui sommes ici réunis, qui avons été baptisés dans l'Esprit Saint, nous y sommes appelés nous aussi, mais en avons-nous pris conscience dans notre vie, le savons-nous seulement ? Avons-nous été sollicités ? Oui, certainement ! Mais peut-être n'avons-nous pas entendu, peut-être n'avons-nous pas compris car nous n'étions pas suffisamment éveillé, notre esprit vagabondait ailleurs.

Et lorsque cet appel, nous le percevons, qu'allons-nous faire ? Aurons-nous peur ? Il est normal d'avoir peur car se profile dans le lointain un spectacle inquiétant, une croix sur laquelle meurt un homme. Ou bien accepterons-nous, allons-nous risquer ?

 

Mes frères, voilà la question qui nous est adressée aujourd'hui en ce jour de Pentecôte qui est le dernier jour du Temps Pascal. Qu'allons-nous choisir ? Qu'allons-nous répondre ? Si nous ne répondons pas aujourd'hui, Dieu nous sollicitera encore demain. Mais il nous a appelés, mes frères, et un jour espérons que nous aurons le courage de répondre : oui, me voici ! Amen !

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Homélie : Fête de la Pentecôte.                                              25.05.80

            Croyons-nous suffisamment ?

 

Mes frères,

 

Jean-Baptiste se tenait sur les bords du Jourdain et il instruisait les Juifs qui venaient à lui. Il leur disait : parmi vous circule un homme que vous ne connaissez pas ; il est plus grand que moi, je ne suis pas digne de dénouer les courroies de sa sandale ; moi je baptise dans l'eau, Lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu, dans l'Esprit qui est un feu.

Ses auditeurs comprenaient. Ils savaient que leurs prophètes avaient vu que le Seigneur Dieu est un feu dévorant. Ils se rappelaient que leurs ancêtres, au pied du Sinaï, avaient vu soudain la montagne s'embraser et trembler sur ses bases au moment où le Seigneur descendait sur elle et la touchait. Et aujourd'hui, à présent, nous-mêmes nous sommes immergés vivants dans ce feu. Mais vous me direz : où est-il ? Nous ne le voyons pas, nous ne le sentons pas ?

 

Mes frères, si nous ne le voyons pas, c'est que nous sommes aveugles et que nous avons un caillou à la place du cœur. Si nous ne le sentons pas, c'est que noue nous tenons prudemment à l'abri derrière le blindage de notre inconscience, de notre insouciance, de notre indifférence. Il est pourtant ici, il est là, il est partout !

Les disciples réfugiés dans la salle haute de leur maison ont bien vu, eux, un fleuve de feu coulé sur eux. Ils ont senti le Souffle embrasé caresser leur visage et pénétrer en eux. Pourquoi eux et pas nous ? C'est très simple. Ils attendaient, ils espéraient, ils priaient, ils croyaient. Et nous mes frères ? Le Christ lui-même l'a dit : Lorsque le Fils de l'Homme reviendra sur la terre, où trouvera-t-il la foi ?

Ce Souffle de feu omniprésent, ce n'est pas une entité allégorique ou bien un absolu quelconque, ou bien une force cosmique impersonnelle. Non, il est une Personne bien concrète, vivante, cette Personne Première qui est source et fondement de toute personnalité qui se puisse nommer sur la terre et dans les cieux. Elle a une multitude de visages, une multitude de noms. Mais il en est un qu'elle nous a révélé et qui est le plus beau : elle est l'AMOUR.

 

Le chrétien, c'est un homme possédé par l'Amour. C'est à cela, dit le Christ, qu'on reconnaîtra que vous êtes miens, si vous vous aimez les uns les autres comme moi je vous ai aimés. Pas n'importe comment !

Le moine est un pneumatophore, un homme qui se meut dans le feu et qui rayonne l'Amour. Les yeux de son cœur contemplent l'océan de feu dans lequel est baptisé le monde. Rappelez-vous la vision de Saint Benoît.  Lui-même est porté par un Souffle, ce Souffle inconnu, mystérieux. Et il ne peut plus rien faire d'autre que d'aimer.

Mes frères, la Pentecôte est la fête de notre avenir. Elle anticipe le jour où tous ensemble, plongés dans le feu, nous formerons un seul Corps dont l'âme sera l'Amour.

 

                                                                                                              Amen.

 

Homélie : Eucharistie vespérale de Pentecôte. 06.06.81*

 

Mes frères,

 

Les textes denses, lourds que nous venons d'entendre nous emportent loin au-delà des contingences de ce bas monde. Ils nous arrachent à la vanité pour nous introduire dans le réel, le réel éternel. A leur façon allusive, symbolique, ils nous disent qu'une cité existe que nos yeux de chair ne peuvent voir : la Jérusalem Nouvelle.

Jérusalem dont le nom signifie pacis visio, vision de paix.

Jérusalem nouvelle, l'antithèse absolue de nos modernes Babel dominées par la cupidité, la rivalité et la cruauté.

            Jérusalem, qui étale ses beautés dans un amour qui la rend belle, qui la rend lumineuse, rayonnante...

 

Mes frères, en elles vivent déjà mystiquement et en espérance les hommes spirituels. Ces hommes, possédés par l'Esprit, portent imprimé sur les tables de leur cœur la loi divine de l'amour, cette loi qui est comme le visa d'entrée de cette cité. Chacun de ces hommes reflète cet amour selon ses capacités, ses talents personnels. Leur ensemble forme un parterre d'une splendeur et d'une richesse sans pareille. La Lumière de Dieu, les feux de l'Esprit vivent et courent en eux comme des flammes aux couleurs variées.

Ces hommes spirituels ont le pouvoir de donner la vie. Ils sont devenus épouse du Verbe et pneumatophores. Ils disposent de la puissance de Dieu qui, elle, peut rafraîchir, donner une jeunesse nouvelle aux ossements les plus desséchés. Ils sont les fontaines et les canaux par lesquels l'Esprit se répand à travers le monde pour le transformer et le diviniser. Tout ce qu'ils demandent s'accomplit car c'est l'Esprit qui crée en eux. Et l'Esprit sait ce que Dieu veut. Et Dieu entend les gémissements inexprimables de l'Esprit.

 

Mes frères, voilà les merveilles qui nous sont promises ! En avons-nous soif ? Ou bien ne nous intéresse-t-elles pas ? Le Christ, notre Sauveur, notre Arbitre, notre Roi et notre Frère désire nous en gorger. Il suffit d'ouvrir notre cœur dans une confiance totale. Et aussitôt les fleuves d'eau vivante jaillissent et nous purifient, et nous métamorphosent. Les fleuves de l'Esprit qui sont lumière, vie, amour.

Mes frères, notre désert monastique deviendra-t-il un jour un jardin de l'Esprit, un paradisus comme l'appelaient nos Ancêtres cisterciens ? Deviendra-t-il une pierre précieuse de la Jérusalem Nouvelle ? Oui, il le deviendra si nous y consentons. Et pour marquer notre accord et notre Foi, nous allons recevoir m'aspersion d'une eau, une eau vivante, car sur elle aura été invoqué l'Esprit qui est donneur de vie.

 

                                                                                                                      Amen.

 

 

Homélie : Fête de la Pentecôte.                 07.06.81*

            Eucharistie du jour.

­

Mes frères,

 

Les Conciles Œcuméniques sont des paliers, des étages dans la croissance de l'Eglise vers la pleine stature de l'âge adulte dans le Christ. Par eux, l'Eglise prend conscience des réalités qui la forment, qui lui donnent consistance et force, qui rajeunissent son éternelle beauté. Ainsi en fut-il au Concile de Constantinople en 381. L'Esprit Saint est à l'œuvre depuis l'origine du monde. Mais aux jours de ce Concile, l'Eglise a pris conscience de ce que réellement était cet Esprit : une Personne divine, la plus mystérieuse, la plus proche, celle qui donne la Vie.

Comme je l'ai rappelé ce matin, résurrection et don de l’Esprit sont les deux versants d'un même événement. Personne ne peut dire : Christ est Seigneur, si ce n'est dans l’Esprit Saint. Et personne ne peut recevoir l'Esprit Saint s’il n'a été au préalable plongé dans la mort et la résurrection du Christ...

 

Mes frères, au soir du premier jour après la résurrection du Christ, Jésus s'est trouvé soudainement présent parmi ses disciples. Il était là, et eux le contemplaient muets d'admiration. Il leur a donné sa paix. Il a répandu sur eux son souffle. Il a commencé à les transfigurer.

Mes frères, ce même Jésus ressuscité, glorifié, est en cet instant même présent ici dans notre assemblée. Les yeux de notre cœur peuvent le regarder, l'admirer, le voir nous donnant sa paix royalement, divinement ; le voir répandant encore sur nous son Esprit.

Oui, mes frères, tout notre labeur ascétique n'a qu'un seul but : cueillir ce fruit le plus précieux de tous qui est l'acquisition de l'Esprit Saint. L'Esprit Saint ! Nous ouvrir à lui, nous désencombrer, faire place nette en nous, lui laisser les mains libres afin qu'il puisse réaliser en nous ce qu'il désire, à savoir : la purification de notre cœur, la divinisation de notre être, notre entrée dans le Royaume de Dieu par une participation consciente à la vie de la Sainte Trinité.

 

Mes frères, tout cela est signifié par la définition Conciliaire : L’Esprit est Seigneur et il est donneur de vie. Le jour de la Pentecôte, ce même Esprit s'est manifesté sous l'aspect d'un vent violent et d'un feu ! Oui, il est un ouragan qui fait s'écrouler les forteresses de notre égoïsme. Il est une flamme qui allume l'incendie de la charité créatrice de communion.

Nous livrer à ce souffle embrasé, c'est nous lancer dans la grande aventure de la sainteté. C'est à dire, naître à une existence nouvelle qui doit croître, qui doit germer, qui doit s'épanouir et nous permettre de nous réaliser pleinement au plan surnaturel, mais aussi au plan de la pure nature.

Pensons à ces anciens anachorètes qui rentraient dans le désert et qui, là-bas retrouvaient la familiarité avec les animaux les plus sauvages comme aux premiers temps de l'homme dans le paradis d'Eden. Et rappelons-nous encore que nos premiers Pères de Cîteaux voyaient dans leur monastère un paradis claustral où il était possible de vivre dans l'harmonie, dans la paix, dans cette paix que le Christ présent au milieu d'eux diffusait de son Etre par son Esprit sur chacun des moines.

 

Mes frères, voici le signe auquel on reconnaîtra qu'un frère est devenu un possédé de l'Esprit : à ce qu'il ne vit plus pour lui. Il est devenu comme l'Esprit Saint. Il est pour les autres. Et c'est cela le ciel, le ciel anticipé : vivre tous les uns pour les autres et former ainsi, tous ensemble, un grand Corps, un Corps qui est membre de ce Grand Corps total qui est le Christ achevé.

Mes frères, il faut que la célébration jubilaire de ce jour laisse dans nos cœurs une marque indélébile qui serait comme une remise à neuf du sceau de notre confirmation. Et je me réfère à cette parole de notre père Saint Benoît : Rechercher d’abord, et en tout, et toujours ce qui est utile aux autres en s’oubliant soi-même. On devient, alors, dans le rayonnement de l'Esprit Saint, donneur de vie, de la vie éternelle qui est amour, qui est l'Esprit et qui est Dieu.

 

                                                                                                               Amen.

 

Homélie : Messe vespérale de la Pentecôte.     29.05.82

            Que faut-il boire ?

 

­Mes frères,

 

Jésus a dit une parole extraordinaire. Il le peut Lui qui est la Parole, la Parole par excellence, la Parole devenue chair d'homme. Car enfin, c'est un homme qui a lancé Parole dans l'univers, un homme comme vous et moi. Homme, il l'est encore, même s'il est entré dans le lieu de la présence invisible, invulnérable, toute puissante. Homme, il le reste. Jésus le Christ est le même hier et aujourd'hui et pour les siècles.

Et cette parole, nous l'avons entendue : Celui qui a soif, qu’il vienne à moi ; et qu’il boive celui qui me donne sa foi ! Voilà bien, mes frères, le type même de la question saugrenue. Il ne faut pas boire quelque chose, il faut boire quelqu’un. Il faut boire un homme et en buvant un homme, boire Dieu.           Et le boire en buvant son sang, le boire en buvant sa lumière, le boire en buvant sa vie.

Et que se passe-t-il alors ? Il arrive que le cœur de l'homme devienne une vasque de laquelle s’écoulent à flots des fleuves d'eau vivante. Et un tel homme oublie la soif des boissons terrestres, des alcools qui étourdissent dans une ivresse factice et qui laissent dans la bouche un arrière goût de mort. C'est le succès, c'est la gloire, c'est la renommée, c'est les affaires, c'est l'amusement, tous ces plaisirs, tous ces idoles vers lesquels si facilement nous courons.

 

Dans le cœur, dans les entrailles - comme dit le texte original - commence à bouillonner une eau, l'eau même qui bouillonne dans les entrailles de Dieu, l'Esprit, l'Esprit Saint qui est une Personne, l'Esprit qui est l'amour.

Vous rendez-vous compte, mes frères, de ce que le Christ nous propose : devenir à l'échelle humaine ce que Dieu est en lui-même, faire jaillir en notre cœur l'Esprit Saint tout comme Dieu le fait.

C'est l'aboutissement normal d'une vie chrétienne bien conduite, d'une vie contemplative correctement vécue. Ce n'est pas pour rien que la Tradition depuis les origines oriente le labeur du moine vers la purification du cœur.

 

Mes frères, nous devons avoir l'audace de croire et aussi l'humilité d'avoir soif. Nous devons nous tenir en présence du Christ notre Dieu, mais du Christ - ne l'oublions pas - qui

est un homme. Et oserais-je dire que pour nous il est surtout un homme. Etre là devant lui, et avec une audace qu'il encourage en nous, le boire comme je le disais tantôt, communier à son sang qui est le breuvage de la vie éternelle, boire sa lumière que nos yeux dessillés peuvent contempler, admirer. Et surtout boire à sa vie en entrant de toute l'ardeur de notre être dans ses vouloirs.

Mes frères, remercions Dieu, remercions le Christ de nous avoir fait cette proposition. Rendons-lui grâce de nous avoir appelés à cette vie. Et reconnaissons que bien souvent hélas, nous ne répondons pas à ses espoirs. Mais dès aujourd'hui, nous mettrons tout en œuvre pour que se réalise en nous le prodige, pour que l'Esprit, cette eau qui bouillonne en vie éternelle, cette eau qui est l'amour puisse prendre naissance en nous, nous envahir, nous transfigurer, déborder sur tous les hommes et devenir source intarissable de vie.

                                                                                                                         Amen.

 

Homélie : Eucharistie Vigile de la Pentecôte.                   21.05.83

 

Mes frères,

 

Permettons-nous aux Paroles de Jésus de pénétrer à l'intérieur de notre cœur afin de libérer des fleuves d'eau vivante se ruant sur nous pour nous noyer, pour nous emporter vers la véritable vie. L'Apôtre Saint Paul nous dit : Fides ex auditu auditus autem perverbum Christi. C'est à dire qu'il nous recommande, qu'il nous supplie d'ouvrir notre oreille afin que puisse s'établir en nous la foi. C'est le même conseil que nous donne Saint Benoît, vous le savez : nous devons être des écoutants.

Mais qu'est-ce que la foi, sinon construire sa vie sur le roc qu'est le Christ Jésus ressuscité. De fondement solide, inébranlable, indéfectible, nul ne peut en poser un autre que celui qui est là, déjà établi, à savoir : ce Christ ressuscité, glorifié, par qui et pour qui nous sommes.

Dans le désert, les fils d'Israël s'abreuvaient à un rocher spirituel qui les suivait. Et ce rocher, nous dit encore l'Apôtre, c'était le Christ. Un rocher spirituel comme demain notre corps sera spirituel, tout ensemble compact et fluide. Et dans la personne du Christ demeure la plénitude de l'Esprit Saint. Celui qui par la foi est un avec lui, celui-là devient comme lui un roc dont les entrailles débordent d'une eau spirituelle divinisante. Non pas des filets d'eau, mais des fleuves d'eau qui inondent le monde.

 

Mes frères, la vocation du chrétien est telle. Mais osons y croire. Aucune image ! Nous saisissons ainsi l'image d'une réalité que les instruments les plus sophistiqués ne peuvent mesurer : la puissance triomphale de cette Personne Divine qu’est l'Esprit Saint.

Dès l'instant où nous sommes venus dans le monastère, nous nous sommes livrés au pouvoir de cette Personne afin qu’elle puisse s'emparer de nous et que, à l'intérieur de nous, elle puisse faire jaillir cette eau qui va d'abord nous purifier…qui va transfigurer notre cœur…et qui, à partir de notre cœur va commencer à se répandre, à devenir de plus en plus fougueuse jusqu'à ce que bien loin de nous, elle parvienne à susciter la vie.

Voyez cette image encore ! Ce fleuve bordé d'arbres qui donnent des fruits une fois par mois, ces arbres dont les feuilles guérissent les nations. Et tout cela figure les résultats de cette divinisation réalisée dans un homme par l’Esprit Saint.

 

Mes frères, nous savons qu'il en est bien ainsi lorsque nous rencontrons un saint. Nous connaissons leur vie, leur biographie  plutôt. Nous la lisons, nous l'écoutons avec plaisir. Mais est-ce que nous réalisons que le même appel nous est adressé à nous ? Et que nous aussi, nous sommes appelés, promis à une pareille sainteté.

Mes frères, la plupart de ces hommes et de ces femmes ont été inconnus dans leur milieu. Seul Dieu savait ce qu'il réalisait dans leur cœur. Ce n'est qu'après que leur sainteté est apparue aux regards de tous.

Mes frères, nous ne savons jamais avec qui nous vivons. Nous ne savons jamais qui nous rencontrons. C'est pourquoi, soyons toujours heureux de croiser le regard d'un homme, de croiser le regard d'un frère. Car dans cet homme bat le cœur du Christ ressuscité, dans cet homme sourd l'eau spirituelle.

 

Rappelons-nous cela, mes frères, aujourd'hui, demain et tous les jours qui vont suivre. Car c'est la beauté qui nous est offerte et que nous allons accepter parce que là est la route que nous devons suivre. C'est une route étroite, certes, car notre égoïsme doit disparaître. Mais au terme de cette route, c'est le paradis. Car on entre dans l'intimité des trois Personnes Divines. Et nous n'avons plus un cœur d'homme, mais un cœur de Christ. Nous n'avons plus une respiration d'homme, mais une respiration de Dieu. C'est à dire que l'Esprit Saint, grâce à nous, peut se répandre et réaliser, et achever son œuvre.

 

                                                                                                           Amen.

 

Homélie : Eucharistie de la Pentecôte.          22.05.83*

 

Mes frères,

 

L'homme qui est rené de l'Esprit, l'homme qui s'est laissé pénétrer ou transformé par le principe de vie nouvelle lancé par le Christ sur le monde au moment de sa résurrection d'entre les morts, cet homme, chose étonnante ou admirable, participe à la mobilité, à la fraîcheur et à la limpidité de l'eau. Lui-même se trouve partout et en tout agissant, purifiant, illuminant. Il est à l'intérieur d'un corps immense, le corps du Christ total. Et là, il déguste la vie éternelle, divine, incorruptible.

Il n'est pas seul. Il partage la lumière et l'amour avec une multitude indénombrable d'hommes habités eux aussi par le même Esprit. Tous vivent les uns pour les autres. Tous se reçoivent les uns des autres dans le respect, la reconnaissance, la transparence. Tous s'abreuvent au même Esprit, au même amour. Et tous sont les uns pour les autres une boisson doucement enivrante offerte et reçue avec joie.

 

Mes frères, pour arriver à cet état divinement liquide, nous avons besoin d'une sainte et folle audace. Car il faut tout lâcher et plonger dans l'inconnu. Or, nous préférons nos sécurités charnelles. Nous les connaissons. Nous faisons corps avec elles. Nous avons construit sur elles. Par contre, l'Esprit Saint, personne ne sait d'où il vient ni où il va. Nous sommes peut-être trop raisonnables et trop raisonneurs.

La fête de la Pentecôte nous rappelle la présence provocante de l'Esprit Saint, et elle nous invite à nous laisser ensorceler par elle. Puisse notre réponse être une ouverture totale à sa puissance transfigurante.

                                                                                                  Amen.

 

Homélie de la Vigile de la Pentecôte.                                   06.06.84

            Quelle est notre situation à nous maintenant ?

 

Mes frères,

 

En cette Vigile de la Pentecôte, alors que nous sentons agir en nous et autour de nous la présence de l'Esprit Saint, posons-nous une question : Quelle est notre situation à nous maintenant ? Que faisons-nous sur cette terre ? Que faisons-nous dans ce monastère ? Notre intention est-elle de bâtir une ville, de construire une tour dont le sommet pénètrerait à l'intérieur des cieux ? Voulons-nous nous faire une renommée ?

Si tel était notre projet, reconnaissons que le Christ le jette absolument par terre. Et il nous clame sa vérité. Je me suis fait, dit-il, obéissant jusqu'à la mort, et la mort sur une croix. Et Saint Benoît nous dit que si nous voulons réussir notre vie, si nous voulons entrer dans le véritable bonheur, nous devons suivre le Christ, fidèlement, chaque jour. C'est à ce prix, et à ce prix seul que l'Esprit Saint nous sera largement donné.

Le désir fou de pénétrer à l'intérieur des cieux en nous élevant au dessus de nous-mêmes, partir à l'escalade des cieux, les prendre d'assaut, écouter cette voix qui dans notre cœur nous dit à tout moment : vous serez comme des dieux, ne serait-­ce pas là le ressort de notre histoire ?

Mais vraiment, il y a là quelque chose qui a été faussé. Nous voulons réaliser par nous ce qui doit nous être donné. Car Dieu a voulu que vraiment l'homme devienne un Dieu, qu'il connaisse, qu'il aime, qu'il possède à la manière de Dieu. Et ce que cela veut dire, personne ne le sait, sauf Dieu et celui auquel Dieu, déjà dès cette vie, les donne en partage.

Oui, l'histoire, c'est une lente et pénible ascension de l'homme vers un état divin. Et cela à travers des luttes, des reprises, des péchés. Mais Dieu est plus patient et plus fort que la malice de l'homme. Dieu a tout pris sur lui, jusqu'au péché. Et Dieu toujours est amour.

Il y a là un contraste éclairant entre ce qui est Dieu et ce qui est l'homme, l'homme qui s'imagine tout pouvoir parce qu'il maîtrise la matière, parce qu'il maîtrise le cosmos, parce que son intelligence s'élargit chaque jour. Mais cet homme qui malgré tout fini par se retrouver devant l'issue fatale de la mort. Et alors, à quoi lui aura servi tout son effort ?

 

Et il a en face de lui Dieu qui possède tout ce qui peut rendre l'homme éternellement heureux. Et ce Dieu, lui, est respectueux. Il ne veut pas forcer le bonheur de l'homme. Il laisse faire sa créature, mais il ne l'abandonne pas. Et cette créature, il la conduit malgré tout à travers toute chose. Il a voulu lui-même devenir un de ces hommes pour saisir la création par l'intérieur d'elle-même et la remettre sur le chemin qui doit la conduire vers la plénitude de son destin.

A l'intérieur de ce dessein divin, il y a le moine. Et c'est un homme qui a compris et qui accepte de tout recevoir. Si il exerce la violence, c'est contre lui-même, c'est contre son égoïsme, c'est contre les tendances perverses de son cœur. Il sait très bien que le Christ a dit que le Royaume des cieux souffre violence et que seuls les violents s'en emparent. Mais que va-t-il faire ?

Il ouvre son être tout entier, il ouvre les fenêtres de son cœur, de son intelligence, de sa chair pour que le souffle de Dieu entre par toutes les issues, qu'il prenne possession de son être entier et puis alors, qu'il lui donne la véritable violence, la véritable force qui est celle de Dieu, qui est celle de l'Esprit. Et à ce moment, tout devient possible à cet homme qui consent à être ce qu'il est et qui accepte de tout recevoir.

 

Car Dieu est lumière. Dieu est feu. Dieu est eau. Dieu est souffle. Dieu est vent. En un mot, Dieu est Esprit et Dieu est sainteté. Mais qu'est-ce que cela veut dire sainteté ? Cela, signifie que Dieu est absolument autre que ce nous pouvons imaginer ou intelliger.

Et lorsqu'un homme est ainsi saisi par l'Esprit de Dieu, il entre dans cette sainteté, c'est à dire qu'il devient autre. Cela va parfois tellement loin, qu'il n'est plus reconnu par ses frères qui prennent peur de lui, qui l'écartent, qui peuvent le rejeter. C'est ce qui est arrivé au Christ, ce qui est arrivé à nombre de saints. L'histoire est là pour nous le rappeler.

Mes frères, le sommet de toute vie, de tout bonheur, c'est l'acquisition de l'Esprit Saint. C'est cela l'objectif de la vie monastique : devenir un seul esprit avec Dieu, avec le Christ. C'est le terme de notre croissance. C'est le cadeau que Dieu veut nous faire.

Mes frères, dans cette Eucharistie, à nouveau nous prouvons, nous montrons, nous témoignons de notre foi en cette action de Dieu sur chacun d'entre nous. O je le sais, le péché sera toujours là pour nous reprendre, pour essayer de nous reprendre. Mais le souffle de Dieu sera plus puissant.

Nous allons de nouveau nous laisser baigner par l'eau, par cette eau dont le Christ vient encore de nous parler, qui doit jaillir en nous en source de vie éternelle. Mais c'est une eau matérielle que nous allons recevoir, une eau sur laquelle nous allons invoquer la présence de l'Esprit. Et cette eau va exécuter ce qu'elle signifie.

Lorsque nous l'aurons reçue avec foi, il va se passer quelque chose en nous. Nous serons devenus autres, une altérité qui nous rapprochera de l'altérité suprême de Dieu. Notre cœur aura été purifié. Et tous ensembles, nous aimant, partageant la même vie, devenant dans l'Esprit Saint un seul Corps, nous nous aimerons, nous nous aimerons mieux, nous serons capables de donner notre vie les uns pour les autres.

 

Voilà, mes frères, ce que nous rappelle la Fête de ce Jour. Et demain, ce sera la Pentecôte. Nous serons déjà livrés a l'Esprit Saint. Nous lui laisserons toute liberté en nous. Nous lui donnerons le bonheur d'être pour lui des réceptacles fidèles de ce qu'il est, et d'être pour les hommes présence de sa lumière.

 

                                                                                                Amen.

 

Homélie de la Pentecôte.                                                           10.06.84

 

Mes frères,

 

Le Seigneur Jésus vit au milieu de nous et nous ne le savons pas, nous n'en avons pas conscience. Il a soustrait à nos regards la perception sensible de son être jusqu'au jour où notre cœur entièrement purifié sera parfaitement adapté à la transparence, à la limpidité de son corps glorieux à lui. Et à ce moment-là, nous le verrons tel qu'il est. Et notre joie, personne ne pourra nous la ravir.

 

La fête de ce jour est déjà une certitude de la présence toute proche de cette joie. Déjà nous recevons les prémices de notre communion à l'intérieur de l'Esprit Saint. Car la présence visible du Christ ressuscité, nous ne devons pas nécessairement la reporter à un avenir au-delà de nos espérances terrestres, non ! Je reviendrai, nous a dit le Christ, et je vous prendrai auprès de moi.

Oui, mes frères, c'est cela l'espérance, le terme de notre vie chrétienne et surtout de notre vie monastique : que le Christ vienne nous prendre pour nous placer auprès de lui, mais concrètement. Cela signifie que nous devons nous laisser travailler par son Esprit qui est comme son doigt, qui est comme sa main ; lui laisser enlever de notre être tout ce qui est contraire à la pureté de son être à lui, pour que notre cœur devienne semblable au sien, qu'il n'y ait plus en lui que présence rayonnante de l'Esprit qui est amour.

Et à ce moment-là, étant parfaitement accordé à la personne du Christ, nous le verrons.  Certes, ce ne sera pas avec les  yeux de notre chair, mais avec les yeux de notre cœur devenu UN avec le sien.

 

Mes frères, voilà la grande espérance qui nous habite. Et nous savons que la réalisation de ce grand projet de Dieu dépend surtout de nous. Sommes-nous suffisamment ouverts à ce qu'il attend pour nous donner ?

La vie monastique est ainsi une patiente ascension vers l'heure ou l'Esprit devient l'âme de notre existence, la lumière de nos yeux, la respiration de notre cœur. Il se produit comme une spiritualisation de la matière qui devient transparente à la présence active et amoureuse de Dieu.

On perçoit à ce moment l'unité du cosmos et des hommes qui l'habitent. On se reconnaît UN dans l'unité d'un même corps. Et l'Esprit Saint est ainsi le don suprême. Il est la vie éternelle anticipée.

 

Mes frères, nous savons que cet idéal n'est pas quelque chose qui ressemblerait à un beau rêve et qui nous droguerait pour nous faire échapper à la dureté de notre existence concrète.

Nous savons trop bien que c'est à travers cette dureté, cette violence à laquelle il était fait allusion hier, à travers cet affrontement que l'action de Dieu se réalise. Le Christ Jésus est mort sur une croix, condamné injustement... Et il a du même coup exorcisé toutes les rêveries fumeuses.

Mais au moment même où il mourait, il prenait dans sa mort à lui toutes nos détresses. Toutes nos morts personnelles, il les transformait. Il y déposait le germe de sa propre résurrection et déjà il les animait de son Esprit.

 

Mes frères, l'existence monastique, c'est cela vécu réellement au jour le jour, dans le coude à coude fraternel, dans une obéissance qui est notre honneur à nous. Pourquoi ? Mais parce que nous reconnaissons la présence et l'activité de cette vie à l'intérieur de notre don à la personne du Christ, et dans la personne du Christ à la Personne même de Dieu qui est l'origine de tout.

Cette vie qui nous unit, elle va s'exprimer d'une manière très belle dans l'harmonie de nos pensées et de nos gestes. Chacun, tel qu'il est, à sa place participe à l'unique Esprit, à l'unique Amour, pour le bien de tous. Et la croissance de chacun et de l'ensemble est l'œuvre de cet Esprit qui travaille dans le cœur de chacun.

Tel est le sens magnifique de notre obéissance, mes frères, c'est cette collaboration intelligente à ce travail de Dieu. Et c'est un sommet de bonheur et d'honneur pour nous.

 

Cette solennité de la Pentecôte est donc tout à la fois la fête de notre communauté et celle de chacun d'entre nous. Elle est aussi au sein même de Dieu une fête également. Elle est la fête de l'amour qui déborde sur toute la création, qui déborde sur nous, qui nous emplit et qui nous transforme. Car il faut que cet amour nous métamorphose en ce qu'il est, lui.

Et l'Eucharistie que nous partageons en est le signe. Nous sommes tous une famille. Nous sommes de la famille de Dieu. Nous partageons sa vie et en lui nous devenons un seul Corps. Et à l'intérieur de cette unité, chacun atteint le sommet de sa personnalité propre.

Mes frères, c'est cela le paradoxe ! L'obéissance à l'Esprit ne diminue pas quelqu'un, elle l'élève. La perte de soi dans le vouloir du Christ ne diminue personne. Au contraire, elle le porte au faite de ce qu'il est. Mes frères, voilà notre vie, voilà notre fête d'aujourd'hui.

A partir de demain nous rentrons dans ce qu'on appelle le Temps Ordinaire qui symbolise tellement bien notre vie quotidienne sans relief, mais qui sera très belle par l'Esprit Saint qui l'anime, toujours cet Esprit absolument et intérieurement présent. A lui nous nous donnons, et en lui nous trouverons tout ce que Dieu veut nous donner pour sa gloire à lui et pour notre joie sans fin.

                                                                                                      Amen.

 

Homélie de la Vigile de la Pentecôte.                                  06.06.87

            Mystère de Dieu dans son être d’amour.

 

Quel spectacle magnifique, quel spectacle bouleversant, mes frères, Jésus debout dans le temple, Dieu debout dans le temple, debout dans sa maison, debout chez lui. Et Dieu est debout, non pour revendiquer ses droits, mais pour rappeler, pour inviter, pour se donner.

Et Jésus crie, Dieu crie. Dieu renverse l'ordre cosmique. Il va le refaire, le refondre. Et le cri de Dieu retentit à travers tous les temps. Il ne se taira qu'à la fin du monde. C'est un cri terrible et silencieux à la fois. Seul peut l'entendre celui qui a soif. L'oreille de l'homme, mes frères, l'oreille de l'homme, c'est sa soif. Celui qui est saturé, blasé, gonflé, celui là n'a pas soif, il n'entend pas. Il est sourd et il en meurt. 

Le cœur de l'homme est profond. Eh bien, Dieu veut y descendre pour le creuser plus profondément encore, pour le nettoyer, pour le purifier, pour y faire jaillir des fleuves, non pas un fleuve, mais des fleuves, des mers, des océans de vie.

 

Nous touchons ici le mystère de Dieu, de son être qui est amour. L'Esprit de Dieu, la personne du Saint Esprit peut jaillir en nous comme elle jaillit au creux de la Trinité. Nous pouvons devenir dans l'Esprit Saint un avec Dieu, lui en nous et nous en lui pour jamais.

Et Jésus lance son cri le dernier jour de la fête des Tentes, le huitième, le plus solennel, le plus joyeux. C'est le jour de la joie, la joie pour le don de la loi, pour le don de l'alliance, pour le don de la filiation divine. Et Jésus proclame que la Loi, c'est Lui ! L'homme qui adhère à Jésus, celui qui s'attache à lui par une foi entière, celui-là, il accomplit toute la Loi et, de plus, il ressuscite d'entre les morts.

Il entre dans la communion des trois Personnes Divines. Il boit une eau qui est lumière, qui est resplendissement de vie, une eau qui est la Personne même de l'Esprit Saint. Et ainsi, il peut réussir sa vie dès ici-bas et pour l'éternité.

 

Mes frères, un vrai contemplatif, il reçoit de Dieu la grâce de voir dès cette vie cette lumière de l'Esprit. Nous savons que c'était l'ambition de nos premiers Pères, nos tous premiers, ceux qui se sont enfoncés dans les déserts pour y chercher cette eau et cette lumière.

Le désert de leur cœur où ils faisaient le vide, où ils permettaient à Dieu de forer, de creuser ; le désert aussi du monde dont ils se retiraient, non par mépris, mais pour découvrir cette lumière, pour en recevoir le cadeau et, à partir de là, dans le secret, la répandre avec profusion sur le monde. Car l'Esprit Saint a besoin de canaux que sont les cœurs purifiés pour atteindre grâce à eux l'univers entier.

Mes frères, entendons-nous le cri du Christ ? Est-il devenu tempête dans notre vie ? Je vous laisse sur cette question. C'est la seule, à mon avis, qui mérité d'être posée dans une vie d'homme.

                                                                                 Amen.

 

Homélie : Eucharistie vespérale de la Pentecôte.21.05.88

 

Où sommes-nous en cet instant, mes frères ? Sommes-nous à la remorque des divagations stériles de notre cœur ? Sommes-nous dans le temple de la Jérusalem nouvelle contemplant le Seigneur Jésus, écoutant, buvant ses Paroles ? Celui qui a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive, et des fleuves d'eau vivante couleront de son cœur.

Est-ce possible, mes frères ? Est-il possible que mon cœur devienne l'endroit d'où jaillit l'Esprit ? Oui, c'est bien possible, mais à une condition : à condition que j'aie soif, que je sois dévoré d'une soif que rien en ce monde ne peut désaltérer. Il faut donc que je découvre en moi un vide immense au sein duquel la création toute entière crie sa souffrance avec moi.

 

Rappelons-nous Babel, carrefour des doutes et des vérités, lieu des entreprises titanesques et des ridicules petitesses. Rappelons-nous la montagne du Sinaï embrasée jusqu'au ciel. Rappelons-nous la vallée remplie des ossements desséchés, la vallée de la désespérance et de la ruine définitive, oui, définitive si Dieu n'était pas amour.

Qui sommes-nous, mes frères, et que faisons-nous sur cette terre, que faisons-nous ici ? Nous sommes faits pour escalader le ciel, pour voir Dieu, pour entendre sa voix, pour nous unir à lui. Or nous ne sommes qu'un misérable paquet de matières étrangères à l'univers de lumière, mortes et pire que mortes.

Nous sommes torturés par la conscience de notre misère, de notre impuissance, et nous basculons d'une illusion dans l'autre. Mais ne serait-ce pas là que Dieu nous attendait ?

 

Celui qui a soif, qu'il vienne à moi et qu'il boive ! N'est-ce pas la soif pour aujourd'hui ? Nous sommes de notre temps. Nous devons être et rester de notre temps. Nous devons porter en nous les aspirations de tous les hommes nos frères, cette soif qu'aucune source de ce monde ne peut assouvir. Et pourtant, des sources, dans ce monde, il y en a autant que l'on pourrait désirer. Mais aucune d'elles ne peut étancher notre soif.

Dieu est devenu homme pour faire de nous des Dieux. Il suffit pour que ce projet réussisse que nous ayons soif d'abord, soif d'infini, soif d'absolu, soif de beauté, soif d'amour, soif de vérité, soif de justice, soif de plénitude.

Et puis, il suffit alors de croire, de s'ouvrir, de se donner. Et aussitôt c'est l'irruption en nous de la vie, de l'incorruptibilité, de tout ce que nous espérons, de tout ce que notre cœur attend. Et ensuite, ce qui est le plus merveilleux, c'est le sentiment, la certitude que des fleuves d'eau vivante se mettent à jaillir, à bondir, à tout noyer dans la lumière, dans la vérité, dans l'amour, dans la joie.

 

Ce que Dieu nous donne alors, c'est sa propre vie. Il nous transforme et il fait que notre cœur devienne le lieu d'où jaillit pour lui aussi la vie. Mes frères, Dieu ne fait jamais les choses à moitié. Si seulement nous pouvions une bonne fois le croire.

Cette prodigieuse métamorphose à laquelle nous sommes appelés, elle est réalisée par cette Personne divine, mystérieuse, que nous appelons l'Esprit. Ce n'est pas une quelconque énergie impersonnelle, non, c'est une Personne bien concrète dont le visage est lumière.

C'est elle qui a inauguré l'œuvre de la création. Elle planait déjà comme un oiseau protecteur au-dessus du nid dans lequel naissait l'univers. Et aujourd'hui encore, c'est elle qui achève, qui poursuit cette œuvre de création. Permettons-lui, mes frères, de travailler aussi en nous !

Que va-t-elle faire? Elle va ouvrir des puits nouveaux au fond desquels nous entendrons chanter une eau, cette eau qui est l'Esprit, cette eau qui n'est autre que cette Personne devenue au fond de notre cœur une eau douce, une eau de lumière qui nous murmure : viens vers le Père !

                                                                                                      Amen.

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Homélie : Fête de la Pentecôte.                  22.05.88

 

Mes frères,

 

La solennité de la Pentecôte est la fête de la beauté. Elle est la manifestation éclatante, permanente d'une beauté qui est la source de toute vie et de tout mouvement dans l'univers. Et cette beauté, c'est la Personne de l'Esprit. C'est elle qui orchestre les énergies du cosmos. C'est elle qui dirige la création vers son achèvement.

Il n'est donc pas étonnant qu'en tous lieux et à toutes époques, la beauté suscite et instruit des chantres qui la célèbrent de tout leur être, de toute leur voix, des chantres qui se réjouissent avec elle de toutes ses œuvres. Le chrétien par état devrait être une harpe sur laquelle l'Esprit Saint improvise des mélodies toujours nouvelles capables de charmer le cœur de Dieu notre Père.

Nous pouvons nous poser une question : Sommes-nous de ces harpes ? Sommes-nous des hommes capables de vibrer à toute heure sous les touches les plus délicates de l'Esprit ? Et ces touches sont la gratuité, la charité, l'inépuisable bienveillance, l'ouverture à tous les hommes quels qu'ils soient. Sommes-nous, mes frères, des instruments bien accordés ?

 

Il est bouleversant, j'en ai déjà fait l'expérience à plusieurs reprises, il est bouleversant d'entendre les chants que l'Esprit joue sur un cœur purifié. Cette beauté surpasse à l'infini toutes les beautés que le monde peut offrir. Puissions-nous avoir des oreilles qui en perçoivent les accents!

Ainsi il est nécessaire qu'il y ait parmi nous toujours des pneumatophores, des hommes, des femmes, porteurs de l'Esprit. Ce sont eux qui conduisent l'humanité vers son accomplissement, qui font d'elle un temple de lumière. N'ayons pas peur de situer notre vocation chrétienne, et notre vocation monastique, sur ces hauteurs.

Nous avons le bonheur, parmi tous les hommes nos frères, de connaître la vérité. Mais c'est aussi une responsabilité très grande. Le monastère est une école où on apprend l'humble et sublime service de la beauté. Nous exerçons les fibres de notre chair, de notre intelligence, de notre volonté. Et le maître qui nous initie est   l'incomparable artiste qu'est l'Esprit Saint.

Mes frères, demandons lui-en ce jour, demandons-lui chaque jour de nous conduire jusqu'au bout de toute docilité afin que nous puissions devenir à notre place des reflets de la beauté, de sa beauté à lui.

                                                                                                  Amen.

 

 

Homélie : Eucharistie vespérale de la Pentecôte.13.05.89

 

Mes frères,

 

La Pentecôte a en soi une valeur d'éternité. Elle révèle que Dieu porte en lui un projet qu'il nourrissait depuis toujours. Nous reconnaissons en cette solennité le sceau imprimé par Dieu sur son œuvre afin d'en signer la réussite.

Jésus a lancé ces paroles décisives au jour solennel qui clôturait la fête des Tentes. C'est le jour de la joie qu'éveille dans le cœur des hommes le don que Dieu a fait de sa volonté, c'est à dire de son amour, de son être et de son Esprit.

Année par année, la Pentecôte réveille donc en nous la conscience d'une réalité toujours présente. Cette réalité est double. Elle est d'abord une personne, celle de l'Esprit de Dieu, et ensuite elle est la présence d'une idée de Dieu.

 

Elle est la présence d'une idée que Dieu poursuit depuis la création du monde, une idée qui a germé dans son cœur et cela dans une gratuité totale. Cette idée, depuis les profondeurs de l'éternité a été couvée. Elle a été enfantée par l'amour, c'est à dire par le Saint Esprit. Et c'est cet amour, cet Esprit qui nous est donné et qui est encore présent, en cet instant comme toujours, parmi nous et en nous.

Nous pourrions nous endormir, vivre dans l'irréel de rêves creux. Car laissée à elle-même la chair s'enroule autour des plaisirs et des soucis de la vie. Il importe de la tenir en éveil, de la secouer périodiquement. C'est ce que fait la liturgie.

La solennité de la Pentecôte nous rappelle que par le don de l'Esprit et déjà avant par le don de la Loi toute imprégnée de cet Esprit, une relation d'un type nouveau s'est établie entre le Créateur et la créature, entre Dieu et l'homme et, à travers l'homme, le cosmos tout entier.

 

Cette relation, mes frères, est de nature sponsale : Dieu a épousé l'homme pour jamais. Non pas l'humanité dans l'abstrait, en général, mais chaque homme personnellement. Et ces épousailles sont irréversibles. A présent le monde est transparent de Dieu et chaque homme devient un foyer de lumière et d'amour. Tel est, mes frères, le projet de Dieu.

La Pentecôte est donc l'accomplissement final de l'incarnation. Tous les hommes y entrent, absolument tous, certains sans le savoir - la plupart sans doute - et d'autres en le sachant. La Personne de l'Esprit Saint est Dieu avec nous, avec chacun des hommes en tout temps et en tous lieux.

 

Nous sommes dans un monastère. Nous avons été appelés à une mission bien spécifique. Le contemplatif doit être ou devenir la conscience qu'a l'humanité de ces merveilles, et une conscience non pas assoupie, mais éveillée.

Le contemplatif voit l'Esprit Saint dans la splendeur et la douceur de sa lumière. Il le voit bien réellement, non pas avec ses yeux de chair mais avec les yeux de son cœur devenu le temple de cet Esprit.

Le contemplatif respire le souffle de cet Esprit, un souffle qui est embaumé et qui donne la vie divine à tous. Le contemplatif sent dans son cœur bouillonner une eau qu'il ne peut contenir. Il aime. Il ne peut plus faire qu'aimer les hommes, les choses, tout sans exception et sans fin.

 

Mes frères, nous sommes peut-être déjà arrivés à ce niveau, ou bien nous n'y sommes pas encore arrivés ? Mais nous devons y parvenir tous. L'Esprit Saint nous y emporte.

Le monastère est donc un lieu où s'accomplit une perpétuelle Pentecôte. Il est un point d'incandescence où cette Pentecôte apparaît sans arrêt. Elle est présente. Elle est - comment dire ? - active, agissante. Elle est comme un volcan qui à partir du monastère lance ses flammes, lance son ardeur et lance la vie à travers l'univers entier. C'est cela, mes frères, avoir reçu l'Esprit et puis le répandre sans fin.

Dieu a besoin de points ainsi où il se produit un impact entre ce qu'il est, c'est à dire amour, Esprit, sainteté, feu, eau, lumière, tempête, et puis à partir de là comme un rebondissement et une répartition partout. Il n'est pas un atome du cosmos qui soit hors de cette beauté.

 

Mes frères, telle est notre vocation personnelle et communautaire. Faisons confiance à Dieu. Nous sommes d'une faiblesse extrême, mais cela n'a pas d'importance. Au contraire, c'est un avantage car nous ne nous appuyons pas sur nous. Nous recevons en nous la totalité de la puissance de Dieu, une puissance d'humilité, une puissance d'oubli, une puissance d'amour et de lumière. Et alors tout devient possible pour Dieu et pour nous. Faisons-lui donc confiance, ce qu'il a commencé en nous il l'achèvera.

                                                                               Amen.

 

Homélie : Vigile de la Pentecôte.                                            02.06.90

            Eucharistie Vespérale.

 

Mes frères,

 

Nous ne pouvons imaginer l'énormité du scandale causé par les paroles que Jésus lança à la foule des Juifs, dans le temple, le jour saint où se clôturait la fête des Tentes :

          Si quelqu'un a soif, qu'il vienne à moi, et qu'il boive, celui qui croit en moi ! Des fleuves d'eau vivante jailliront de son cœur.  (Jn 7, 37-39).

          Ce méprisable paysan galiléen, venu d'on ne sait d'où, ne voila­-t-il pas qu'il se plaçait plus haut que la Loi et plus haut que le Temple !

 

La fête des Tentes, nous le savons, est la plus populaire en Israël. Pendant une semaine entière, on vit dans des huttes, dans des cabanes dressées un peu partout, dans les vergers, sur les places, sur les terrasses des maisons, dans les cours. La terre entière est en liesse. On remercie Dieu pour les derniers fruits récoltés.

Et le dernier jour, le plus solennel de tous, le jour de la     ?    , on rend grâce à Dieu dans une joie immense pour le don qu'il a fait au peuple de la Loi, cette Loi qui fait d'Israël le partenaire de Dieu et le premier de tous les peuples.

Dieu, lui qui a créé le monde, qui a façonné Israël, qui l'a aimé depuis toujours, Dieu habite au milieu de son peuple dans une maison, dans ce temple à Jérusalem. Et c'est de là qu'il répand sur tous la pluie de ses bénédictions.

 

Tel est le sens de la fête des cabanes, de la fête des tentes, de la fête des huttes comme on l'appelle. Et Jésus choisit ce moment pour clamer bien haut, pour crier qu'il est, lui, l'âme de la Loi ; qu'il est, lui, la source de la vie ; qu'il est, lui, le Maître du monde. On ne pouvait concevoir un blasphème plus intolérable.

Nous comprenons sa parole, nous comprenons mieux ce qu'il entendait lorsqu'il disait : Celui qui croit en moi, celui-là comprenait, celui-là s'ouvrait, celui-là admirait, contemplait et se donnait. Les autres étaient scandalisés à l'extrême.

La Loi, mes frères, était et est encore vraiment pour Israël, pour tout homme, le lieu de la rencontre de Dieu, le lieu où l'on reçoit du Créateur la vie éternelle. Mais le cœur de la Loi est une personne qui l'anime, qui lui imprime sa finalité, c'est le Seigneur Jésus. Il n'est pas venu abolir la Loi, la remplacer par autre chose. Il est tout simplement venu la conduire à sa perfection en sa propre personne, Lui qui est l'initiateur de la Loi, qui en est le promulgateur, et qui en est le sommet et la perfection.

 

Croire en Jésus, se donner à lui, aimer comme lui aime, voilà l'accomplissement de la Loi à la perfection. On devient alors soi-même jaillissement intarissable de vie pour l'univers entier. Et cette vie, mes frères, est elle-même une personne, une personne qui achève avec une maîtrise incomparable l'œuvre divine de la création. Elle l'achève en faisant de chaque homme un fils de Dieu, un Dieu.

Et cette personne, nous le savons, c'est l'Esprit-Saint. Il n'est pas possible de dissocier les trois personnes de la Sainte Trinité. Le Dieu-Père d'où tout procède, lui qui est le créateur initial ; le Verbe, lui qui entre dans la création, qui se fait matière, qui se fait chair pour la prendre par l'intérieur et, à partir de ce centre, de ce cœur, insensiblement mais sûrement, la métamorphoser, la transfigurer.

Et finalement la personne de l'Esprit qui est partout, qui est comme la lumière amniotique à l'intérieur de laquelle tout prend vie au plan divin, cette lumière qui est l'amour, cette personne qui est l'amour.

 

Mes frères, mettons-nous un instant dans la peau de ces Juifs qui entendaient la proclamation du seigneur Jésus. Il parlait d'une eau. Mais cette eau vivante ne devait-elle pas couler du Temple, de cette demeure où habitait Dieu et transformer le pays entier ?

Certainement elle devait couler du Temple, le prophète ne s'était pas trompé. Il n'avait induit personne en erreur. Mais le Temple véritable, le Temple définitif était le Corps de Dieu. Il était le Corps de Jésus le Messie, c'est à dire l'homme sur lequel avait reposé l'Esprit, l'homme qui avait été entièrement pénétré par l'Esprit. Car c'est l'Esprit qui avait été l'opérateur de sa naissance dans le sein d'une vierge.

C'est ainsi que le Seigneur Jésus, Dieu devenu chair, est seul le donateur de la vie. Lui seul peut la partager à tous. Et c'est d'ailleurs pour cela qu'il est devenu homme, pour que chaque homme, chacun de ses frères, ait la vie et qu'il l'ait en surabondance.

 

Cette vie, mes frères, est une eau, dit-il, une eau de nature spirituelle. Nous ne devons pas laisser courir notre imagination. Non, nous devons essayer d'entrer à l'intérieur de la nouvelle création. Et là, nous verrons ce qu'est une eau spirituelle.

Nous ne pouvons pas y entrer par effraction, à coup de volonté, mais nous devons nous laisser prendre par l'Esprit qui va nous y élever, qui va nous y introduire après nous avoir adapté à cette création nouvelle, après avoir fait de nous une créature nouvelle.

Et alors nous verrons, nous comprendrons que cette eau peut jaillir dans le cœur de chacun, et jaillir tout de suite. Jésus l'avait déjà dit à une certaine femme de Samarie, un jour vers midi. Ils étaient assis tous les deux au bord d'un puits.

 

Mes frères, Jésus ira jusqu'au bout en s'écriant que sa personne habitée par l'Esprit est la boisson de vie éternelle : Qu'il boive, celui qui croit en moi, et de son cœur jaillira une eau vivante.

Mais une condition est requise, qui va de soi : il faut avoir soif. Il faut sentir en soi le besoin lancinant d'une vie impérissable, une vie remplie, une vie accomplie, une vie définitive. Or, ce besoin sommeille dans le cœur de chaque homme et, chacun cherche par tous les moyens à combler ce besoin.

 

Mes frères, il se passe dans le monde beaucoup de choses aberrantes. Mais soyons compatissants, c'est à dire regardons-les avec les yeux du Christ, regardons-les avec des yeux spirituels. Et nous reconnaîtrons que partout, absolument partout, même derrière les choses les plus contraires à ce qui nous semblerait être le droit, et la justice, et l'amour, il y a dans le cœur de l'homme qui croit ce besoin de vie impérissable. Et Jésus seul peut répondre à ce besoin.

Nous, chrétiens, nous avons le bonheur de le croire. Nous avons le devoir d'aller jusqu'au bout de notre foi. Allons-y, mes frères et nous verrons se réaliser la promesse de ce jour : de notre cœur jaillira une eau vivante, une eau qui est la vie qui nous emportera nous-mêmes jusqu'au cœur de la création nouvelle. Et derrière nous, nous entraînerons tous nos frères les hommes.

C'est mon souhait pour cette fête de Pentecôte. Puisse le Seigneur nous ouvrir les yeux, nous donner sa lumière, de façon que nous soyons fidèles jusqu'au bout comme lui l'a été.

                                                                                                Amen.

 

Homélie : Eucharistie vespérale de la Pentecôte.                   18.05.91

      Dieu crie pour rassembler les hommes.

 

Mes frères,

 

Notre Eucharistie Vespérale nous rappelle que la création est toujours en travail d'enfantement. Elle attend la révélation des fils de Dieu, elle attend l'heure bienheureuse où Dieu sera tout en toutes choses. A ce moment, l'univers entier ne sera plus que lumière et louange. Celui qui permet à la création d'accoucher du divin, c'est l'Esprit-Saint, cet Esprit qui est omniprésent quoique invisible, et toujours agissant quoique caché.

Jésus dans la Temple de Jérusalem crie, Jésus crie. C'est Dieu, mes frères, qui crie. Et il crie sans arrêt depuis que l'homme est sur la terre. Mais pourquoi ne l'entendons-nous pas ? Nous ne l'entendons pas parce que nos oreilles sont ouvertes à d'autres cris, aux cris de conflits, de disputes, des cris de compétition et de jalousie, des cris de douleur et d'horreur aussi comme si Dieu n'était pas le premier à endurer le mal, comme si son cri n'était pas d'abord un cri de souffrance.

Mes frères, Dieu crie pour rassembler les hommes. Babel, le Sinaï, le val des ossements sont un seul et même cri. Dieu veut donner aux hommes un seul cœur pour qu'ils puissent parler le langage de la concorde. Il veut leur donner une même loi pour qu'ils puissent vivre dans l'harmonie la loi de l'amour, de cet amour qui est la personne même de l'Esprit.

 

Il veut les éveiller à une vie nouvelle, une vie impérissable, sa propre vie. Il veut faire de chacun un organe de sa Parole de réconciliation, de rassemblement, d'union, de communion. Et il veut que l'humanité entière devienne un seul Corps dont l'Esprit sera l'âme, dont le Christ sera la voie. Et ce Corps unique ne sera plus que resplendissement de la beauté de Dieu. Voilà, mes frères, où Dieu, ce dieu qui crie sans arrêt, veut nous conduire. Mais il veut d'abord nous éveiller.

 

Mais voilà, mes frères, qui a des oreilles pour entendre ? Pourtant la vie de l'homme n'est-elle pas audition avant d'être vision ? C'est déjà vrai du nouveau né et c'est encore vrai de l'adulte. L'acte de contemplation lui-même, il est d'abord et surtout acte d'écoute.

Eh bien, mes frères, l'écoute en nous, c'est la Personne de l'Esprit, cet Esprit de sainteté qui nous a été donné. Cet Esprit est non seulement en nous écoute, mais il est aussi réponse, il est aussi parole. Et il est même plus que parole, à son tour il est cri et cri inexprimable.

Cet Esprit qui nous a été donné, si nous y sommes fidèles, si nous vivons dans sa mouvance, si nous lui permettons d'être en nous écoute et réponse, il devient alors un torrent de vie qui nous transporte au-delà de nous-mêmes jusqu'à l'intérieur de la Trinité.

 

Et ainsi, mes frères, de proche en proche, la création est conduite à son achèvement. Mais voilà, il faut que nous nous prêtions à cette action de Dieu, il faut que nous soyons ouverts à son cri.

Ô, si tous les chrétiens pouvaient être ainsi, je pense que le visage du monde serait métamorphosé et que l'heure de l'accomplissement se rapprocherait de manière foudroyante. Et au terme, mes frères, c'est encore l'Esprit Saint qui avec l'Epoux dira : viens !

Mes frères, voilà les beautés qui nous sont révélées en ces jours de Pentecôte. Demandons les uns pour les autres de comprendre, d'être ouverts et puis de croire, de croire en cette personne, de croire en ces réalités merveilleuses et puis de nous y abandonner à perte de vue, et cela sans délai.

                                                                                                  Amen.

 

Homélie : Eucharistie de la Pentecôte.                                       19.05.91

      Choisir la vie plutôt que la mort.

 

Mes frères,

 

Hier, nous avons entendu le Christ Jésus crier dans le Temple de Jérusalem. Sa voix débordait les enceintes du sanctuaire : elle emplissait l'univers, elle en ébranlait les fondements. Aujourd'hui, nous en percevons encore l'onde de choc et nous savons qu'elle n'a pas fini de se répandre et d'éveiller de nouvelles interrogations. Jamais peut-être l'homme n'a été aussi agité de questions, rongé de problèmes ? Il faut choisir : la réussite plutôt que l'échec, la vie plutôt que la mort.

La réponse, nous la connaissons et nous pouvons la donner. Elle est toute entière contenue dans l'événement évoqué ce jour. Les Apôtres et leurs compagnons, leurs voisins, tout l'entourage, tous ont assisté à l'irruption de l'Esprit, de cette Personne mystérieuse qui est vraiment Dieu avec nous.

Et cette irruption n'a pas cessé, elle dure encore, elle ne cessera jamais. Le ciel est venu sur la terre et y demeure comme en son lieu. Le monde en effet, et le cœur de l'homme en particulier ont été créés pour devenir temple de l'Esprit et être animés d'une vie nouvelle, une vie impérissable.

 

La réponse attendue est celle-ci, mes frères : le monde est plus que le monde et l'homme est bien plus que l'homme. Il est au-delà de tout ce que la science, de tout ce que la psychologie, de tout ce que la conscience peut percevoir, analyser, tenter de saisir.

Il est un au-delà de l'homme qui est l'homme accompli au creux de la Loi nouvelle qui a été répandue sur l'univers le jour où l'Esprit Saint est descendu parmi les hommes.

C'est une loi transfigurante, une loi pacifiante et exaltante car elle n'est pas un corps, elle est une Personne, et une Personne vivante, une Personne qui intègre toutes les lois de la physique et de la morale, qui les vitalise, qui les dynamise, qui leur donne un sens ultime.

 

Hors de la Personne de l'Esprit, mes frères, le monde chavire toujours et il est prêt à basculer dans le non-sens et dans l'absurde, car la Personne de l'Esprit Saint, c'est l'Amour. C'est bien autre chose que ce que l'homme met sous le terme d'amour. Nous ne pouvons pas concevoir ce qu'est véritablement l'amour si nous ne sommes pas devenus nous-mêmes des hommes de l'Esprit.

L'Amour, encore une fois, n'est pas un sentiment, il est une Personne. Et lorsque cette Personne prend possession d'un cœur, il ne le réduit pas en esclavage mais il le dilate à l'infini et il lui donne de devenir à son tour une véritable personne. Car la personne de l'homme ne peut s'accomplir qu'à l'intérieur de la Personne de l'Esprit.

Mes frères, cette Personne de l'Esprit Saint - qui est véritablement Dieu avec nous - peut nous donner ce dont nous avons atrocement besoin pour vivre et survivre, c'est à dire une vie qui n'est pas repliée sur soi mais qui est totale gratuité, qui n'est que accueil et que don, une vie qui est un océan à l'intérieur duquel il n'y a rien qui ne soit pur amour.

Mes frères, c’est le don qui nous a été remis. C’est Dieu qui s’est donné à nous dans son Esprit Saint, Dieu qui s’efface à l’infini, Dieu qui nous respecte sans limite et Dieu qui se donne à perte de vue. Et il veut nous entraîner dans ce mouvement qui est Lui.

 

Telle est, mes frères, la vérité dont le monde a besoin, celle qu'il cherche comme à tâtons. Et, nous chrétiens, nous la possédons. Mais qu'en faisons-nous, mes frères, qu'en faisons-nous ?

Elle devrait nous métamorphoser de façon à ce que par notre seule présence elle soit une clameur, qu'elle soit ce cri que le Christ a une fois lancé dans le Temple de Jérusalem et qui retentit, qui retentira jusqu'à la fin du monde.

Mes frères, nous devons tous demander la grâce de devenir des pneumatophores, des porteurs de l'Esprit, des Temples de Dieu, des témoins irréfutables de cet amour qui nous dépasse à l'infini et qui est notre véritable lieu.

  

                                                                              Amen.

 

Homélie : Eucharistie vespérale de la Pentecôte.                  06.06.92

 

Mes frères,

 

Nous l'avons bien compris, Dieu nous replace devant la réalité du monde d'aujourd'hui. Ce monde tel que nous le connaissons et le monde nouveau tel que Dieu le prépare sont absolument hétérogènes même s'ils ne cessent de se compénétrer.

Le premier est sous la coupe d'un prince qui pratique le meurtre depuis le commencement. Le second évolue sous la mouvance de l'Esprit, d'un Esprit qui le pénètre, qui le féconde et qui le conduit vers la vie éternelle.

Et cette vie éternelle n'est rien d'autre que l'Esprit Saint, l'Esprit qui à ce moment nourrira constamment le cosmos dans sa totalité et, surtout la conscience de ce cosmos qui est l'homme, l'homme ressuscité, l'homme transfiguré, l'homme divinisé.

 

Le premier de ce monde est le lieu de la confusion. C'est une immense cité dont le nom est Babel. C'est le lieu de la duplicité, du chantage, le lieu de la peur, de la guerre et de la haine. Et le second est le lieu de l'unité, de la vérité, de la sécurité, de la paix et de l'amour. Et nous savons que ces deux univers se disputent notre cœur. Et c'est pourquoi notre cœur gémit, et notre cœur crie.

Nous entendons la création entière crier en nous sa souffrance et la nôtre est l'écho lancinant de la sienne. Nous avons soif d'une vie authentique, d'une vie qui ne serait plus que jaillissement spontané de lumière, une vie qui nous unirait dans une communion de plus en plus étroite.

Et cette vie authentique, nous ne parvenons pas à croire vraiment en celui qui est capable de nous la donner, le Seigneur Jésus ressuscité d'entre les morts. Mes frères, si nous pouvions le croire, chacun de nos monastères seraient vraiment un paradis, chacune de nos églises serait le lieu vers lequel afflueraient toutes les nations du monde et la grande Eglise deviendrait identique à l'univers renouvelé.

 

Mais voilà, cette lutte est toujours là et notre faiblesse demeure. Cependant notre espérance ne peut pas faiblir, elle ne peut pas fléchir car Celui qui nous habite - cet Esprit qui nous a été donné - est plus fort que le prince du monde et il finira par l'emporter. Réfléchissons, si vous le voulez bien mes frères, un instant à notre condition de chrétien, à notre condition de moine contemplatif.

Ne devrions-nous pas, mes frères, être l'indéfectible espérance du monde? Le moine contemplatif, le véritable chrétien aussi - naturellement, il ne faut pas établir de cloisonnement entre les deux - le véritable chrétien est un œil qui voit la lumière qu'est l'Esprit Saint.

On dit toujours que l'Esprit Saint est impossible à définir correctement. Laissons cela aux théologiens et demandons-lui d'ouvrir les yeux de notre cœur pour que nous le voyions dans la lumière qu'il est car cette lumière est bien réelle.

 

Vous savez que les tout premiers moines s'enfonçaient dans le désert parce que là se trouvait pour eux le lieu d'où jaillissait cette lumière. Et remontant ainsi jusqu'à la source, ils se laissaient ainsi transfigurer par elle et ils la voyaient. Et cette lumière, c'était l'Esprit.

Le véritable chrétien est aussi une oreille qui écoute la voix d'un souffle mystérieux. Et ce souffle peut parfois prendre les apparences d'une tempête, cela nous sera rappelé demain. Cet Esprit a soufflé sur des ossements desséchés et il y eut un grand fracas. Oui, il y a quelque chose qui pour la foi se disloque quand l'Esprit de Dieu agit, et qui se reconstruit. Et aucune reconstruction ne peut se faire sans mal.

Lorsque les pierres de notre église sont taillées, qu'elles sont façonnées, qu'elles sont sculptées, même si le sculpteur agit avec beaucoup de délicatesse, la pierre souffre. La pierre entend les coups qui éclatent à sa surface mais elle se laisse faire car elle sait qu'au terme elle sera un petit chef d'œuvre.

 

Le véritable chrétien est aussi un cœur qui traverse les espaces et qui se donne sans retour à celui qui n'est pas complice du mal mais qui en est le vainqueur. Oui, le cœur franchit tous les espaces qui peuvent nous séparer de Dieu. Et ces espaces, ce sont, vous le savez, des obstacles, des murailles qu'il faut escalader, qu'il faut même abattre. Il nous est dit que Moïse monta vers Dieu jusqu'au sommet d'une montagne sur laquelle était descendu Dieu dans le feu.

Eh bien, voilà l'itinéraire du chrétien, l'itinéraire du moine : gravir cette montagne, aller de dépassement en dépassement d'epekthase en epekthase pour finalement rencontrer celui qui est le vainqueur de tout mal.

 

Mes frères, nous venons maintenant à notre situation plus personnelle. Dans le silence de notre retraite monastique, nous devons attirer invinciblement à nous tous les hommes. O il n'est pas nécessaire de les voir accourir. Non, nous sommes dans une retraite. Mais dans l'invisible, il doit se passer quelque chose. Et pourquoi ?

Mais parce que le moine contemplatif qui voit la lumière de Dieu, qui entend sa voix, celui dont le cœur monte jusqu'au sommet de la montagne mystique du Sinaï, celui-là, il est présence permanente en ce monde-là du Christ ressuscité. Et l'Esprit Saint lui a donné de renaître à toute heure. Si bien qu'il ne connaît pas la décrépitude, l'entropie du vieillissement.

Si son corps s'en va inévitablement vers la tombe, à l'intérieur de lui l'Esprit Saint chaque jour lui donne un regain nouveau de jeunesse jusqu'à ce qu'il ait retrouvé sa source est la jeunesse éternelle, celle qui même de Dieu.

           

            Et puis, mes frères, le moine contemplatif, s'il a été fidèle, à un moment donné des fleuves d'eau vivante jaillissent en lui. Et alors dans l'invisible - ça, c'est toujours dans l'invisible - des multitudes  viennent s'abreuver et viennent puiser à leur tour une vie qui les régénère.

Mes frères, serait-ce là utopie ? Serait-ce là rêverie ? Mais non, c'est une réalité contre laquelle tout vient se briser. Les apparences extérieures ne doivent pas nous décevoir car chacun d'entre nous conserve ses défauts. C'est sous une apparence de faiblesse - encore une fois ­même une apparence de péché, reconnaissons-le, que les merveilles de Dieu se déploient en toute liberté. Ce qui compte, c'est ce qui ne se voit pas et qui relève uniquement de Dieu.

 

Mes frères, nous devons oser dire que la personne de l'Esprit Saint est omniprésente et qu'elle mine par l'intérieur toutes les puissances de destruction. Elle délivre l'univers asservi. Elle a l'avenir pour elle.

Cette présence de l'Esprit doit être notre joie. Nous pouvons traverser bien des épreuves - épreuves de santé, épreuves spirituelles, épreuves affectives - c'est vrai, mais tout au fond de notre cœur doit toujours régner et la paix, et la joie, la paix que le Christ nous a donnée, la joie qu'il nous a laissée et qui est la sienne. Et c'est la paix et c'est la joie de l'Esprit qui a l'avenir pour lui.

 

L'Art spirituel, mes frères, consiste - nous le savons - à s'abandonner avec confiance à cet Esprit, cet Esprit qui a toujours la fraîcheur de la jeunesse ; il consiste à respirer profondément la lumière rassasiante de l'amour ; il consiste à disparaître dans cette lumière en entraînant avec soi l'univers entier.

Telle est la vocation du chrétien, telle est la vocation du moine contemplatif surtout. Et alors, si nous sommes fidèles, le monde ancien s'en va. Il s'en va de notre cœur d'abord, il s'en va de notre entourage et il fini par s'en aller du monde. Il s'en va avec son cortège de misères et le monde de nouveau apparaît dans sa beauté, ce monde qui est celui même de notre Dieu, notre Dieu qui est Père, qui est Parole et qui est Esprit, Lui qui règne pour jamais et qui attend d'être le tout de notre cœur.

                                                                                                          Amen.

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Homélie : Vigile de la Pentecôte.                29.05.93.

            Eucharistie vespérale.

 

Mes frères,

 

            Le jour solennel où se terminait la fête des tentes était le jour où le peuple d'Israël en liesse acclamait Dieu pour le don de la Loi. Ce jour-là, le grand-prêtre versait sur l'autel une coupe d'eau qui avait été puisée à la fontaine la plus pure de Jérusalem, la fameuse fontaine de Siloé. Et c'est cette eau, cette eau de la Loi - car c'est la Loi qui était figurée par cette eau - la Loi faisait d'Israël le premier né de Dieu, le plus grand, le plus riche de tous les peuples.

 

            Il s'agit naturellement ici d'une richesse spirituelle. Israël était en possession de la Vérité. Israël avait reçu au pied du Sinaï 1'expression parfaite de ce que Dieu attendait de 1'homme, et Israël s'était engagé à épouser ses vouloirs afin que Dieu puisse à partir d'Israël rayonner sur toute la terre, et la transformer, la conduire à son achèvement. Rappelons-nous le Psaume 118 et son éloge sans fin de cette Loi.

 

            Au temps de Jésus, les juifs avaient encore une conscience suraiguë de ces réalités. Eh bien, cette conscience doit être la nôtre aujourd'hui, nous qui sommes les descendants des enfants d'Israël. Et nos frères juifs d'aujourd'hui, lorsqu'ils célèbrent la fête de la joie de la Thora, sont encore bien conscients qu'ils possèdent la vérité.

            Nous devons nous unir à eux et savoir avec eux que nous sommes également les dépositaires de cette vérité. N'oublions pas ce que le Seigneur Jésus a dit : « Pas une lettre, pas une virgule de la Loi ne passera avant que tout ne soit achevé ». Cette Loi va donc accompagner le projet de Dieu jusqu'à son accomplissement total.

 

            Et voici que Jésus pose un geste qui est absolument merveilleux. Debout dans le temple, il lance une parole. Mieux, il la crie parce que tout Israël doit l'entendre, la terre entière doit l'entendre, le cosmos tout entier doit l'entendre : c'est la Bonne Nouvelle par excellence. Il proclame que 1'accomplissement de la Loi confiée à Moïse et à Israël sur le Sinaï, il annonce que l'accomplissement de cette Loi est la Personne même de 1'Esprit Saint. Voyez toute l'image !

            Et cette image, je 1'affirme, exprime parfaitement la vérité. La montagne vers laquelle nous devons nous tourner pour recevoir le don ineffable de l'Esprit, cet Esprit qui est l'Amour, qui est la Charité, qui est 1'Agapè, qui est le couronnement de tout, cette montagne vers laquelle nous devons tourner notre regard et notre cœur, c'est la personne du Seigneur Jésus.

            C'est Jésus dans le temple de Jérusalem, c'est Jésus crucifié, c'est Jésus ressuscité et glorifié, c'est le Jésus concret de l'Histoire, c'est le Jésus Maître absolu de la vie et de la mort. La Loi dans son essence, dans sa source et dans son sommet est une personne vivante. Elle n'est pas un code abstrait.

           

La Loi est la personne de 1'Esprit Saint et elle se communique royalement, somptueusement à ceux qui se tournent vers le nouveau, le vrai Sinaï qui est Jésus et qui lui donne leur foi. Celui qui croit en moi, des sources d'eau vive jailliront dans son cœur et déborderont de lui. Et cette eau, cette eau vivante, c'est - je le répète - la personne même de 1'Esprit Saint.

            Tout homme devenu lui-même porteur de 1'Esprit Saint - car la plénitude de l'Esprit habitait dans le Seigneur Jésus - mais l'homme devenu pneumatophore, l'homme dans le cœur duquel bouillonne l'Esprit, cet homme-là devient à son tour source de vie impérissable.

            Il l'est pour lui-même, il le devient pour les autres. Et cette vie qu'il porte, elle est une eau très pure, pure, limpide, puissante et féconde. Elle est transparente, il n'y a pas en elle la moindre impureté, il n'y a pas en elle le moindre atome de malice. 0n peut s'abreuver à cette eau, il n'y a pas de danger d'être empoisonner. Cette eau n'est pas contaminée, elle n'est pas polluée, c'est l'eau pure de l'Esprit qui est dans le cœur d'un homme. Et cet homme alors, vous le comprenez, il est sur la terre la présence même de Dieu.

 

            Eh bien ma sœur, mes frères, telle est notre vocation de chrétien, notre vocation dans toute sa beauté, dans toute sa richesse. A nous maintenant de la parcourir jusqu'au bout.

 

                                                                                                                                            Amen.

Homélie : Vigile de la Pentecôte.                              21.05.94.

            Pâques et Pentecôte, même événement !

 

Frères et sœurs,

 

            Il existe une certaine analogie entre la Vigile de Pâques et celle de la Pentecôte. C’était beaucoup mieux marqué autrefois où on procédait en ce jour à la bénédiction de l’eau.

            Mais cette similitude souligne une évidence : Pâques et la Pentecôte sont le même événement se déployant durant cinquante jours et culminant dans le don généreux, fastueux de l’Esprit Saint.

 

            La Pentecôte est le point d’orgue de la résurrection du Christ. Nous venons encore de l’entendre. L’Esprit n’avait pas encore été donné parce que Jésus n’avait pas été glorifié. Parce que Jésus n’était pas encore ressuscité, il n’était pas encore rentré dans la gloire de son Père et il ne pouvait pas encore distribuer l’Esprit Saint à ceux qui ouvriraient leur cœur à sa Parole.

            La Pentecôte est la présence indéfiniment perpétuée et puissamment active de la résurrection du Seigneur Jésus. La personne de l’Esprit Saint est indissolublement liée à la personne du Christ. L’Esprit est le témoin par excellence de la résurrection du Seigneur Jésus et il est la promesse de notre propre résurrection.

 

            Un homme dans lequel habite l’Esprit, un homme dont le cœur est devenu temple de l’Esprit, eh bien, un tel homme, il est déjà en train de ressusciter. Il n’y a pour lui aucune crainte à avoir. Le moteur de sa vie, c’est l’Esprit et, tout ce qu’il fait est inspiré par cette personne divine qui a pris possession de lui et qui insensiblement, imperceptiblement le transfigure.

 

            Oui, frères et sœurs, une force agit en nous. Nous ne vivons pas pour nous. Nous ne sommes plus narcissiques, égocentriques, repliés sur nous, attirés par les délices de l’heure. Non, nous vivons pour les autres d’abord et, en vivant pour les autres, nous faisons croître en nous la Vie dans des proportions infinies. Nous passons à un autre type de vie. Ce n’est pas la vie humaine, charnelle en mieux ? Non, c’est une autre vie, c’est la propre vie de Dieu que l’Esprit fortifie sans fin dans nos cœurs.

 

            Oui, notre vie nouvelle, c’est la personne même de l’Esprit Saint. Et cette vie, elle est amour, elle est lumière et elle fait de nous des saints. Même si nous sommes encore parfois débordés par les instincts qui nous habitent, par les passions qui nous assaillent, en réalité nous sommes en train de passer à une vie nouvelle. Notre Pâque s’achève, notre Pâque se poursuit, notre résurrection s’affirme de jour en jour.

            Etre habité par l’Esprit Saint ne nous dépossède pas de nous, ne nous réduit pas à l’état de marionnettes. Bien au contraire, nous parvenons à la cime de notre identité la plus personnelle. Si bien que la mort biologique, elle est la libération totale de nos énergies devenues spirituelles.

 

            C’est dans cet éclairage que nous devons entendre la Règle de Saint Benoît. Il nous dit que le moine doit avoir présent chaque jour sa propre mort. Il ne dit pas cela pour l’effrayer, pour le tenir dans le bon chemin ?

            Non, il veut lui rappeler jour par jour que la mort est une libération de l’Esprit dans le cœur. C’est le moment de l’achèvement de la pâque, c’est la propre résurrection du Christ qui prend possession soudainement de l’homme et qui fait de lui un être absolument nouveau.

            Oui, notre Règle est la mise en œuvre progressive du mystère de Pâques consommé par le partage sans réserve de l’Esprit Saint. Notre Règle nous aide à croire dans la vie de notre Dieu, de notre Dieu qui est amour.

 

            Frères et sœurs, n’ayons crainte d’obtenir le don merveilleux de l’Esprit. Je sais qu’il y a un risque, certes ! Ce que nous sommes avec toutes nos limites, avec tous nos défauts, avec tous nos péchés, eh bien, c’est rassurant. Nous savons que nous sommes dans une petite maison qui est la nôtre. Et recevoir l’Esprit, c’est faire éclater les murailles, faire sauter la toiture.

 

            Alors voilà, il faut un certain courage pour oser croire que Dieu est amour et que en prenant possession de notre cœur, il peut nous conduire au sommet de ce que nous devons devenir, au sommet de la béatitude, et cela sans réserves et pour jamais.

                                                                                                                                Amen.

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Homélie : Eucharistie vespérale Pentecôte.                   25.05.96

            Le nom merveilleux : Dieu-Amour.

 

Frères et sœurs,

 

            L’Esprit Saint est un long, un somptueux discours qui nous dit, qui nous chante, qui nous danse le nom de notre Dieu. Les yeux de notre cœur contemplent la beauté de ce nom et ils le reconnaissent partout. Notre être entier vibre sous la douceur de ce nom. Déjà nous ressuscitons en lui et nous entrons dans la vie.

            Ce nom merveilleux, nous le connaissons puisque nous le voyons, puisque nous le sentons vibrer dans notre chair. Ce nom est Amour. Dieu est Amour. Aujourd’hui encore nous l’entendons soulever l’Histoire et lui donner un sens. Il peut être caché sous des monceaux d’horreur ? C’est que l’homme est pécheur et il le restera jusqu’à la fin.

            Mais il est toujours présent. Il est caché, il peut être invisible au commun des hommes, mais il est là qui repose et qui travaille. Et à la fin, c’est lui qui sera vainqueur même dans le cœur le plus dur, le cœur le plus fermé, le cœur le plus pécheur.

           

            … ? …, si vous le voulez bien, ce cœur, nous venons de l’entendre, la tour de Babel, une entreprise gigantesque du génie des hommes. Et Dieu descend pour voir. N’allons pas penser que Dieu serait jaloux de son autorité, qu’il aurait peur d’être détrôné par les hommes ?

            Non, Dieu sait que la mégalomanie ne peut que précipiter les hommes dans des abîmes de malheurs. Et comme il est l’Amour, il protège les hommes faisant fi de ce péril extrême. Il les protège d’eux-mêmes car ils sont tellement faibles, ils sont tellement ambitieux aussi qu’ils deviennent aveugles et ne voient plus qu’ils s’engagent dans un chemin sans issue.

            Alors il embrouille les idées, il embrouille leur langage et les hommes ne peuvent plus que se séparer et se disperser. Ils vivent les uns à côté des autres, ils ne peuvent plus se rencontrer. Et s’ils entreprennent quelque chose, ce sera toujours finalement dans une intention qui est de profit, qui est d’exploitation, qui est d’écrasement car il ne peut construire sa richesse que sur la pauvreté des autres.

 

            Et voilà qu’un autre jour, bien plus tard, Dieu descend à nouveau mais cette fois pour devenir l’homme qu’il aime. Il devient chair, il devient l’homme. Il prend sur lui tout le péché, toute la terre, toute la cruauté de l’homme. Il veut les rassembler tous en un seul corps et leur donner sa propre vie. Il veut en faire des dieux au cœur d’une cité nouvelle, incorruptible, éternelle.

            Cette cité, c’est son propre cœur. Babel était construite avec des briques cuites au feu et le bitume servait de mortier. Aujourd’hui, la cité nouvelle est construite de pierres vivantes et le ciment qui les unit, c’est l’amour, c’est l’Esprit de Dieu. Voici que le vieux rêve de l’humanité se réalise au-delà de toute prévision imaginable. Les hommes deviennent eux-mêmes cette cité nouvelle. Le Christ Jésus, Dieu lui-même est leur tête. Et l’âme qui les fait vivre, c’est l’Esprit de Dieu, c’est l’Amour !

 

            Et nous voici au Sinaï, une montagne embrasée jusque dans ses racines, une montagne devenue fournaise. N’allons pas croire que Dieu veut terroriser les hommes, loin de là ! Il n’est pas un despote régnant sur un peuple d’esclaves. Dieu est amour !

            Et l’amour est un feu dévorant qui purifie l’homme au plus profond. Et lorsque l’homme sent en lui ce feu, il n’a plus qu’un seul désir, se précipiter en lui et devenir à son tour feu, devenir amour.

 

            Et un autre jour, bien plus tard, l’Esprit de feu tombe sur une maison. Il la secoue, il la fait trembler. Mais il ne la détruit pas, il l’affermit au contraire. Des hommes, des femmes qui habitent cette maison prennent feu à leur tour. Ils sont emportés ensemble dans un autre univers. Ils deviennent pneumatophores, porteurs de l’Esprit, ministres du feu.

            Ils sont devenus amour et, ils vont partir dans le monde entier pour annoncer cette bonne nouvelle que Dieu est amour, et que Dieu a voulu devenir homme, et que Dieu nous emporte au cœur de sa propre vie et que là, nous nous reconnaissons tous frères et sœurs unis indéfectiblement pour jamais.

 

            Une vallée pleine d’ossements ? Dieu ne se réjouit pas de la mort des vivants. Il rassemble, il reconstruit, il ressuscite. Son Esprit anime des hommes nouveaux qui ne sont plus guidés par des instincts charnels mais bien plutôt par un instinct spirituel, une sensibilité qui vient d’ailleurs, une sensibilité qui est plus qu’humaine et qui leur fait toujours choisir infailliblement ce que Dieu veut.

            Ces hommes nouveaux sont engagés sur la route de la vie. L’instinct infaillible de … ? … et d’amour les rend libres de la propre liberté de l’Esprit et, ils savent qu’ils sont les maîtres du monde.

 

            Cet Esprit les transfigure. Il les rempli comme la lumière et ils sont tourmentés par une soif inextinguible qui fait leur force et leur joie. Car l’amour ne recule jamais, l’amour n’est jamais satisfait, l’amour veut toujours aller au-delà. L’amour dilate le cœur de l’homme dans des proportions infinies.

            Et le cœur de cet homme devient un abîme d’où jaillit sans fin des fleuves d’eau vivants. Et ces fleuves irriguent le monde, ils le fécondent, ils lui donnent un avenir.

 

            Voilà, frères et sœurs, le nom merveilleux Dieu-Amour, ce nom qui … ? … partout dans les profondeurs et dans les cieux et au plus secret de chaque chose. Ne nous laissons pas effrayer par tout ce que nous entendons, par tout ce qui nous arrive. Ne nous laissons pas dérouter mais tenons-nous sages, et tranquilles, et calmes ; tenons-nous cachés à l’intérieur de cet amour et permettons à l’Esprit de travailler notre cœur jusqu’au bout.

            Il faut que chacun d’entre nous devienne un petit ciel ici sur la terre. Le ciel est comme l’âme du juste. Permettons à l’Esprit de faire de nous des justes. Et ainsi, à travers les malheurs qui frappent l’humanité, cette humanité ira tout de même vers un accomplissement. Nous devons être l’espérance des hommes et ainsi accomplir en plénitude notre vocation de chrétien.

                                                                                          Amen.

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Homélie : Fête de la Pentecôte.                                                  26.05.96*

            L’Esprit nous prend par la main.

 

Frères et sœurs,

 

            La Pentecôte, c’est abolition des frontières, c’est la destruction des murailles, c’est la disparition des fossés. L’Esprit Saint a été répandu dans nos cœurs et il emplit le monde entier. Déjà Dieu est tout en toutes choses. Encore un peu de patience et ce sera manifesté aux yeux des anges et des hommes.

            En prenant possession du cœur de l’homme et, par lui, du cœur de l’univers, Dieu signe l’accomplissement de son œuvre. Il écrit son nom partout, en lettres gigantesques ou en caractères minuscules, mais il l’inscrit partout. Il imprime sur tous les êtres la face de sa beauté.

            Quand notre cœur sera suffisamment pur, cette beauté, nous la découvrirons et ce sera notre admiration pour jamais.

 

            La Pentecôte, c’est la fête éternelle, celle de Dieu et celle des hommes se confondant au sein d’une unique lumière, d’un même océan de paix et de joie. Les promesses du Christ se réalisent ; nous sommes comblés et la création avec nous. La Pentecôte, c’est la fête de notre élargissement, de notre libération, d’une liberté enfin acquise. Oui, la propre liberté de Dieu bat en nous au rythme de notre cœur.

            Si vraiment nous sommes ouverts à cet Esprit, il ne nous est plus possible d’être refermés sur nous. Nous ne sommes plus emprisonnés dans nos égoïsmes et dans nos instincts. Nous sommes libres de la propre liberté de l’Esprit, de cet Esprit qui souffle partout sans qu’on sache d’où il vient, sans qu’on sache où il va.

 

            Ainsi en est-il de tout homme qui est rené de l’Esprit. Et ce devrait être le privilège de chaque chrétien, le privilège de chacun d’entre nous. Dieu n’est pas un potentat se repaissant des applaudissements de ses cohortes d’esclaves, non ! Dieu n’est pas un gendarme, Dieu n’est pas celui qui nous attend au coin d’un chemin pour nous prendre en défaut et nous condamner. Non, Dieu est amour.

            Et puisqu’il est amour, il n’exerce absolument aucun pouvoir. Qu’il y a-t-il de plus désarmé que l’amour ? Sa puissance, c’est l’humilité et la douceur ; sa richesse, c’est la dépossession totale ! Tout ce qu’il est, il nous le partage sans rien retenir pour lui. Il a donné à l’Esprit Saint de faire de nous des dieux partageant en plénitude la nature divine.

            Entre Dieu et nous, il n’y a plus d’étages, il n’y a plus de portes. Nous sommes sur le même niveau. Il n’y a plus aucune cloison entre lui et nous. C’est un partage réciproque et constant. S’il est devenu homme, c’est pour faire de nous des dieux. L’Esprit Saint nous a vraiment pris par la main pour nous conduire dans la vérité toute entière. Nous sommes établis au cœur du mystère. Dieu est notre Père, nous sommes ses enfants, nous sommes de sa race et, tout ce qu’il est, nous le sommes.

            Oui, la Pentecôte, c’est le triomphe de la vie, de la vie nouvelle. Il suffit de nous laisser porter par elle.

            Vivre, c’est aimer, c’est ne plus s’appartenir, c’est se recevoir des autres. Vivre, c’est aimer au sein d’une communion universelle sans qu’aucun homme, aucun être ne soit laissé dehors. Vivre, c’est permettre à Dieu d’être Lui en nous et en chacun.

            Vivre, c’est être enfin nous en plénitude et pour jamais. Vivre, c’est être toujours bienveillant, c’est être accueillant, c’est être le dernier de tous. Vivre, c’est s’agenouiller aux pieds de chaque homme pour reconnaître en lui la présence de l’Esprit et la recevoir en nous.

 

            C’est cela la Pentecôte ! C’est cela la merveille opérée par l’Esprit Saint dans le secret ou au grand jour ! Cette beauté, soyez-en sûrs, n’occulte pas la laideur qui souille encore le visage de notre monde, qui souille encore notre être à chacun d’entre nous.

            Mais soyons sans crainte ! Cette laideur cache une beauté qui, comme je le disais il y a quelques instants, finira par apparaître. Oui, mais en attendant, cette laideur est source de souffrance et, Dieu ne finit pas d’en souffrir lui-même infiniment plus que nous car il est l’amour premier et dernier.

 

            Frères et sœurs, ayons confiance ! La Pentecôte est à l’œuvre et déjà la victoire est acquise. Soyons pour nos frères des être d’optimisme ! Attirons les regards sur les beautés, sur le bien qui s’opère dans le monde et qui trop souvent, hélas, n’est pas mis en évidence ! Gardons-nous d’attirer les regards sur le mal, cela ne sert à rien !

            Concentrons plutôt nos énergies sur ce qui est bien, sur ce qui est bon, sur ce qui est beau. Et ainsi, petit à petit, la victoire de l’Esprit Saint, la victoire de l’Amour s’affirmera partout. Oui, ne l’oublions pas, Christ est à jamais invaincu, à jamais invincible. Et le Christ nous l’a dit : « Gardez confiance, n’ayez pas peur ! J’ai vaincu le monde et son prince. 

 

                                                                                       Amen.

 

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Homélie : Fête de la Sainte Trinité.                                      25.05.86

            Espérer avoir part à la gloire de Dieu.

 

Mes frères,

 

Les paroles de l'Apôtre Paul, je les entends résonner longuement dans mon cœur. Ecoutez-les avec moi : Notre orgueil à nous, c'est d'espérer avoir part à la gloire de Dieu. Oui, mes frères, notre orgueil, notre assurance, ce qui fait tenir haute notre tête face aux hommes, aux anges, aux démons, face aux épreuves et aux détresses, c'est la certitude inscrite en nous d'avoir déjà part à la gloire de notre Dieu, UN et TRINE.

L'espérance en effet, c'est la façon pour aujourd'hui de posséder Dieu dans la source même de son être ; c'est d'être rassasié de sa richesse et de sa gloire ; c'est de tenir déjà dans nos mains, nos mains qui sont prises dans les siennes, le cosmos tout entier.

Rappelez-vous la prière que Jésus adressait à son Père quelques instants avant d'entrer dans sa bienheureuse passion. Père, disait-il, Père, je veux que ceux que tu m'as donnés soient avec moi et qu'ils voient la gloire que tu m'as donnée car tu m'as aimé dès avant la création du monde. Et cette gloire qui est tienne, cette gloire qui est mienne, je la leur ai donné à eux pour qu'ils soient uns en nous comme nous-mêmes sommes uns.

 

Mes frères, cette gloire qui est devenue la nôtre, c'est donc notre immersion au sein de la Trinité. Nous savons que dans nos veines coule un sang de Dieu, qu’entre Dieu et nous il n'y a plus d'espace. Nous sommes unis dans la lumière pour l'éternité.

Ce n'est plus nous qui vivons, c'est le Christ qui vit en nous. Le Christ qui est Dieu devenu homme pour nous laver de nos péchés, pour purifier notre cœur, pour nous faire traverser avec lui la mort et pour nous ressusciter en lui.

Et le signe de cette gloire qui est devenue nôtre, c'est l'agapè, c'est la charité qui bouillonne dans notre cœur, cette charité - vie même de Dieu - qui nous confère des yeux nouveaux, des pouvoirs nouveaux, une sagesse nouvelle qui est celle de l'Esprit.

 

Mes frères, la Fête de la Trinité, ce n'est pas une froide solennité théologique, c'est la fête de la Vie. Car les 3 Personnes divines sont la vie. En dehors d'elles, il n'y a rien. Ce sont ces Personnes divines qui donnent consistance à tout le créé.

Et cette vie, elle nous saisit, elle s'empare de nous pour nous introduire dans la chorégraphie qu'elle dessine instant par instant. Et nous avons le bonheur de l'improviser avec elle. Là, mes frères, se situe la vérité toute entière. Là, est notre destinée, notre gloire et notre beauté. Rien n'est rejeté de la création, absolument rien. Tout est assumé, tout est transfiguré, tout est porté à sa perfection. Le chrétien, c'est un homme qui voit tout cela et qui sait, et qui peut dire à ses frères : Venez, venez voir avec moi !

 

Mes frères, oui, la Trinité est devenue notre palais de lumière, ce palais est notre demeure. Ne le quittons jamais. Laissons la charité s'emparer de nous afin que les hommes nos frères, émerveillés par la lumière qui rayonne de nos gestes, soient attirés, et que eux-mêmes reconnaissent cette gloire à laquelle ils sont promis, la gloire du Père, la gloire du Fils et la gloire de l'Esprit Saint, et cela pour l'éternité.

 

                                                                                            Amen.

Homélie : Fête de la Sainte Trinité.                          10.06.90

            L’Être le plus intime et le plus secret de Dieu.

 

Mes frères,

 

Le mystère de la Sainte Trinité nous permet de contempler Dieu dans son être le plus intime et le plus secret. Et voilà que nous ne pouvons rien en dire par excès de lumière et par excès de proximité.

Car Dieu est d'abord lumière, une lumière qui réjouit le cœur, une lumière si pure qu'il n'est pas de mots pour en parler. Cette lumière est notre vie, elle est notre avenir, elle est notre béatitude éternelle. Cette lumière, nous la buvons, nous la respirons. Elle nous comble et nous ne pouvons rien en dire.

Et puis, Dieu est trop proche. C'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être. Mieux encore, nous sommes son image. Il nous est impossible de prendre du recul par rapport à lui. Nous ne pouvons que nous recevoir de lui dans une humilité sans fond et nous restituer à lui dans une action de grâce sans fin.

 

De toute part, nous sommes cernés par le sans-parole. Et avec Evagre le Pontique, nous pouvons nous exclamer : C'est dans le silence que doit être adoré l'Indicible. Oui, mes frères, l'humble et reconnaissante adoration est la seule attitude vraie en présence de Dieu, de notre Dieu à la fois Trinité et Unité.

Mais notre conduite doit révéler que nous sommes l'image de ce Dieu au sein de la création. Et pour nous en convaincre, regardons un instant le saint, un homme parvenu à la pureté du cœur. Cet homme est comme Dieu, beauté, compassion et amour. L'amour est en lui le sceau du Saint Esprit, un amour total, absolu, démesuré, infini. Car Dieu est amour.

Et Dieu a tant aimé le monde qu'il a envoyé son fils, son fils unique, non pas pour juger le monde, mais pour que le monde par lui soit sauvé, pour que le monde retrouve sa pureté première et qu'il soit conduit à sa pureté finale.

         

          Le cœur d'un saint est devenu liquide, pure compassion. Il est liquide par excès de connaissance des hommes, de leurs misères, de leurs espérances, de leurs désillusions, de leurs souffrances.

Et le cœur d'un saint nous dit qui est Dieu, qui est le Christ. Il nous le dit dans la connaissance qu'il a de lui-même, du monde, de la sainteté, du péché, du salut possible. Et le saint est enfin douce et fascinante beauté. Il dit par tout son être que Dieu est Père, qu'Il est beauté. Non pas une beauté écrasante, annihilante, mais une beauté qui élève, une beauté qui encourage, une beauté qui transfigure.

Dieu est beau. Il est beau parce qu'il est la lumière, une lumière qui rassasie et qui rend meilleur, cette lumière qui est en Dieu et qui confectionne les saints. Oui, le saint est comme Dieu notre Père : tendresse, accueil et don.

Mais Dieu est aussi - dans son Unité et sa Trinité - l'origine et le lieu de toute communion entre les hommes. Au terme de la création, Il sera tout en toute chose et nous serons un en Lui, chacun dans son altérité, chacun se recevant de tous et se donnant à tous.

 

Mes frères, l'Eucharistie que nous partageons en cet instant, notre communion' au corps et au sang du Christ va nous introduire au cœur de la Trinité, à la source de notre vie, à l'origine de notre éternité.

Nous la recevrons, nous la partagerons dans l'action de grâce et en demandant à notre Dieu de nous rendre vraiment semblable à lui, que nous soyons vraiment pour tous nos frères les hommes l'apparition de son image.

                                                                                                                     Amen.

 

 

 

 

Homélie : Fête du Saint Sacrement.                        21.06.87

 

Mes frères,

 

Nous l'avons entendu, Jésus nous promet la vie éternelle. N'allons pas imaginer une quelconque survie indéfiniment prolongée. Jésus ne nous donne pas une leçon de biologie ou de mécanique. Il nous parle de la vraie vie qui est éternelle.

Or, cette vie n'est pas un phénomène observable. Elle est une Personne concrète, une Personne qui est la vie. Et Jésus nous en révèle l'identité. Cette Personne est celle de Dieu son Père. La vie éternelle consiste donc à être UN avec Dieu, à participer tellement à la personne de Dieu que soi-même on en est divinisé.

Ne jugeons pas cette affirmation outrancière. Dieu a voulu devenir homme pour que l'homme puisse devenir Dieu. Saint Thomas nous l'a encore expliqué au cours de l'Office de cette nuit. Et c'est ce que Jésus nous dit expressément aujourd'hui.

 

Et le moyen choisit par Dieu pour réaliser cette prodigieuse métamorphose, c'est un aliment nouveau inouï : la substance divine elle-même devenue chair et sang en la personne du Christ Jésus, ce Christ qui est Dieu assumant notre condition mortelle afin que, partageant jusqu'au bout notre vie - ­sauf le péché - succombant à cette puissance d'entropie qui nous conduit à la mort, y succombant dans des conditions injustes pour lui, atroces en soi, Jésus alors nous prend, il nous donne ce que lui-même est.

Et afin que ce soit bien vrai, bien réel, il se fait nourriture et il se fait boisson afin que étant absorbé en lui, devenant ce qu'il est, nous soyons à notre tour divinisés. Les auditeurs de Jésus dans cette synagogue de Capharnaüm où il parlait, ont été bouleversés. La plupart ont trouvé que c'était invraisemblable et ils sont partis sans retour.

Ils étaient bien les descendants de ces hommes qui pendant quarante ans avaient été nourris d'une nourriture que Dieu leurs donnait gratuitement, pour laquelle ils ne devaient pas se fatiguer et qui, n'ayant pas fait confiance jusqu'au bout, ne sont pas entrés dans la vie.

Car les auditeurs de Jésus n'ont pas eu la sagesse de croire, ni la patience d'attendre. Et c'est la veille de sa passion que Jésus a accompli sa promesse. Nous en sommes bénéficiaires dans ce que nous appelons aujourd'hui l'Eucharistie. Manger la chair du Christ et boire son sang, c'est dévernir avec lui un seul esprit et participer à la puissance de sa résurrection. Nous devenons aussi tous ensembles un seul corps dont l'âme est l'amour.

Mes frères, nous devons toujours être éveillés à ces réalités. Nous sommes tous les membres d'un seul corps. Nous partageons tous la même vie divine. Nous sommes tous promis à la même résurrection, et pourtant, nous gardons notre personnalité unique. Et elle est originale et unique dans toute sa splendeur et sa beauté dans la mesure où elle est vraiment intégrée à cet ensemble, à ce corps qui est un corps de Dieu.

Mes frères, nous sommes dans la Trinité et la Trinité est en nous. Nous participons à la vie de Dieu. Notre récompense - si j'ose utiliser ce nom - notre récompense, la récompense de notre fidélité est déjà acquise. Veillons seulement à demeurer stables jusqu'au bout afin que un jour nous puissions nous retrouver dans la pleine vision de notre Christ, de notre Dieu, dans la lumière de la vie éternelle.

                                                                                            Amen.

 

 

 

Table des matières

Temps après Pâques. 1

Homélie : 4°Dimanche. C.                         27.04.80. 1

Homélie : 5° dimanche après Pâques. C.         27.04.86. 3

Si tu aimes, tu ne mourras pas ! 3

Homélie : Cinquième dimanche de Pâques – B.    01.05.88. 4

Notre vie est en Dieu. 4

Act. 9, 26-31 * 1Jn. 3, 18-24  *  Jn. 15, 1-8. 4

Homélie : 6° dimanche de Pâques. Année C.                            24.05.92. 5

Des préceptes négatifs. 5

Act 15, 1-29 * Ap 21, 10-14,22-23 * Jn 14, 23-29. 5

Homélie de la Fête de l’Ascension.              20.05.82*. 7

Pour nous ! 7

Homélie : Fête de l’Ascension.                                                    28.05.92*. 7

Vivre l’Ascension avec intensité. 7

Homélie : Octave de l’Ascension.                  31.05.81. 9

7° dimanche après Pâques. Année A. 9

Lectures : Act 1, 12-14  *  1P 4, 13-16  *  Jn 17, 1-11. 9

Homélie : 7° dimanche après Pâques.             07.05.89. 10

Octave de l’Ascension. 10

Act. 7, 55-60  *  Ap. 22, 12….20  *  Jn. 17, 20-24. 10

Fête de la Pentecôte.                              14.05.78. 11

1. Introduction à la célébration. 11

2. Homélie. 11

Homélie : Fête de la Pentecôte.                                              25.05.80. 13

Croyons-nous suffisamment ?. 13

Homélie : Eucharistie vespérale de Pentecôte. 06.06.81*. 14

Homélie : Fête de la Pentecôte.                 07.06.81*. 15

Eucharistie du jour. 15

Homélie : Messe vespérale de la Pentecôte.     29.05.82. 16

Que faut-il boire ?. 16

Homélie : Eucharistie Vigile de la Pentecôte.                   21.05.83. 17

Homélie : Eucharistie de la Pentecôte.          22.05.83*. 18

Homélie de la Vigile de la Pentecôte.                                   06.06.84. 19

Quelle est notre situation à nous maintenant ?. 19

Homélie de la Pentecôte.                                                           10.06.84. 20

Homélie de la Vigile de la Pentecôte.                                  06.06.87. 22

Mystère de Dieu dans son être d’amour. 22

Homélie : Eucharistie vespérale de la Pentecôte.21.05.88. 23

Homélie : Fête de la Pentecôte.                  22.05.88. 24

Homélie : Eucharistie vespérale de la Pentecôte.13.05.89. 25

Homélie : Vigile de la Pentecôte.                                            02.06.90. 26

Eucharistie Vespérale. 26

Homélie : Eucharistie vespérale de la Pentecôte.                   18.05.91. 28

Dieu crie pour rassembler les hommes. 28

Homélie : Eucharistie de la Pentecôte.                                       19.05.91. 30

Choisir la vie plutôt que la mort. 30

Homélie : Eucharistie vespérale de la Pentecôte.                  06.06.92. 31

Homélie : Vigile de la Pentecôte.                29.05.93. 33

Eucharistie vespérale. 33

Mes frères, 33

Homélie : Vigile de la Pentecôte.                              21.05.94. 34

Pâques et Pentecôte, même événement ! 34

Homélie : Eucharistie vespérale Pentecôte.                   25.05.96. 36

Le nom merveilleux : Dieu-Amour. 36

Homélie : Fête de la Pentecôte.                                                  26.05.96*. 38

L’Esprit nous prend par la main. 38

Homélie : Fête de la Sainte Trinité.                                      25.05.86. 39

Espérer avoir part à la gloire de Dieu. 39

Homélie : Fête de la Sainte Trinité.                          10.06.90. 40

L’Être le plus intime et le plus secret de Dieu. 40