2. Les Fêtes.

 

 

 

Homélie : Fête des Saints Fondateurs.           26.01.85

 

      Passer par le trou de l’aiguille.

 

Mes frères,

Nous venons d'entendre la Charte de notre vie. Si nous sommes ici, si nous y restons, c'est parce que nous avons cru en ces paroles que le Christ a murmuré à notre oreille. Il a fallu tout quitter : notre famille, notre région. Nous devons maintenant dans le monastère nous quitter nous-mêmes, abandonner nos idées, renoncer à nos volontés propres et entrer de tout notre être, de tout notre cœur dans les vouloirs, dans les jugements de notre Dieu.

Oui, suivre le Christ est une entreprise démesurée car quoi que nous fassions, quoi que nous disions, nous restons toujours très riches. Il y a en nous des choses qui sont instinctives, qui sont liées à notre nature et auxquelles il ne nous est pas humainement possible de renoncer.

Et ces choses, elles nous engluent. Nous sommes devant le trou de l'aiguille et nous ne parvenons pas à passer. Et pourtant, il faudra passer car de l'autre côté se trouve ce Royaume de Dieu auquel nous sommes appelés, dans lequel nous sommes invités.

 

Eh bien Dieu, lui, va réaliser l'impossible. Il va nous rendre tellement amincis, tellement petits, tellement humbles que le trou de l'aiguille sera encore trop large pour notre contenance, pour notre gabarit tel que Dieu nous aura fait devenir. Et ce miracle sera opéré par notre confiance, par cette foi qui nous permet d'accueillir en nous les pouvoirs même de notre Dieu. Cette impossibilité qui est nôtre aujourd'hui, elle devient un jeu lorsque nous accueillons en nous cette puissance qui réalise l'impossible.

 

Mes frères, nous ne sommes pas comme les patriarches, comme nos ancêtres très lointains qui ont salué de très loin les terres de la Promesse, nous y sommes déjà entrés. Car le Christ notre Seigneur a pris notre nature et il nous a conduits là où nous allons.

Notre vie contemplative, c'est cela ! C'est la pré dégustation de ce Royaume. C'est le voir, non plus à travers le voile, mais déjà de l'autre côté, de l'autre côté du trou de l'aiguille.

Mes frères, nos Saints Pères dans la vie monastique ont réalisé ce prodige parce qu'ils ont cru. Nous-mêmes nous marchons sur leurs traces. Et dans notre fidélité à leur idéal, à leurs enseignements, à leurs exemples, nous aussi nous recevons les arrhes de ce Royaume qui va devenir notre bien pour l'éternité, et qui est déjà pour l'instant déposé entre nos mains.

                                                                                          Amen.

 

Homélie : Fête de la Présentation.               02.02.78

      Introduction à la liturgie.

 

Mes frères,

 

          On nous a déjà présenté le mystère de la fête de ce jour. Il n’y a plus grand chose à dire sinon peut-être ceci : nous allons jouer un mimodrame, nous allons mimer notre démarche monastique dans ce qu’elle a de plus vivant et de plus beau.

 

          Notre vie est une pérégrination en réponse à un appel, une exemia comme disaient les Anciens. Nous quittons un lieu, notre patrie, notre avoir, notre vouloir, lieu symbolisé par cette salle,[1] et nous partons à la rencontre de celui qui nous invite et qui nous attend. Et il nous attend dans son Royaume, ailleurs, dans son Royaume symbolisé par notre église.

          Chez lui, dans son Royaume, tout est différent. Nous allons donc d’abord rencontrer un certain dépaysement, éprouver l’étrange sensation de ne plus être tout à fait nous-mêmes. Ce n’est pas étonnant car, naturellement nous sommes ténèbres tandis que lui, naturellement est lumière.

 

          Lorsque le Christ se dévoile au regard du moine, il se manifeste d’abord comme lumière. Je suis la lumière du monde ! L’expression lumière du monde doit être entendue à la lettre. Nos mentalités platoniciennes pencheraient plutôt vers un sens métaphorique qui est plus commode et moins inquiétant.

          Non, mes frères, le Christ ressuscité, le Christ dans sa chair transfigurée est vêtu de lumière, d’une lumière bien réelle, bien concrète qu’il est presque possible de photographier. Pensez à la scène de la Transfiguration ! Et cette lumière dont est vêtu le Christ rayonne de son être, de sa personne et elle brille d’un éclat quasi insoutenable jusqu’aux extrémités du cosmos en expansion.

          C’est cette lumière qui crée l’univers, qui le porte, qui le fait grandir et s’épanouir. Et le moine commence à déguster les prémices de la vie éternelle le jour où son cœur purifié aperçoit les premiers scintillements de cette lumière. C’est le seuil du Royaume, tout est nouveau ; l’amour devient la loi, l’unique loi et la beauté devient la forme, l’unique forme de la vie.

 

          Nous ne trouverions jamais notre chemin vers cette lumière si dans notre cœur, au départ, n’avait été déposé une étincelle déjà de cette lumière. Et c’est justement cette petite flamme, symbolisée par nos cierges allumés, qui va nous guider avec une sûreté infaillible vers cette source, le foyer dont elle est issue et vers laquelle, en retournant, elle nous entraîne.

          Notre cheminement à travers nos cloîtres obscurs va marquer notre résolution, notre détermination de marcher jusqu’au bout, jusqu’à la rencontre heureuse avec le Christ, avec la lumière ; jusqu’à ce moment où nous-mêmes avec Marie et tous les saints, et ici attention ! je ne pense pas à un lointain aboutissement au-delà de la mort, je pense à aujourd’hui, à notre vie, où avec Marie et tous les saints, nous serons devenus chacun les uns pour les autres, et pour les hommes nos frères, lumière et feu.

 

 

Homélie : Fête de la Présentation.        02.02.79

      La triple muraille à franchir.

 

Mes frères,

 

Aujourd'hui, avec la fête de la Présentation de Jésus enfant au temple, se clôture la solennité de l'Incarnation. Quarante jours se sont écoulés depuis la fête de Noël. Cette quarantaine évoque une perfection atteinte, un accomplissement terminé, et c'est bien ainsi.

 

Tout a été dit au sujet de cet enfant qui est le Messie de Dieu. Il est la lumière des nations et la gloire d'Israël, un joyau serti dans un écrin qui est ce peuple aimé parmi tous les peuples : Israël l'éternel. Et il est la lumière des nations, la lumière des païens. Il est notre lumière, à nous qui devons, qui espérons devenir beaux de sa beauté à Lui. Et cette lumière, elle pénètre dans notre cœur comme un glaive à deux tranchants et elle sépare la moelle des jointures.

Elle dévoile, elle fait venir au jour les pensées les plus secrètes, celles que nous n'osons même pas nous avouer à nous-mêmes. Mais s'il les dévoile ce n'est pas pour nous condamner. Non, il est venu pour les malades, il est venu pour les pécheurs. S'il les dévoile c'est pour purifier notre cœur, c'est pour le rendre d'une transparence semblable à son cœur à lui, une transparence qui permettra à Lui qui est la lumière d'y scintiller et de réjouir à jamais les yeux de Dieu.

Mais cet enfant deviendra aussi un signal dressé au dessus de tous les peuples. Pour lui on mourra et à cause de lui on donnera la mort. Et lui-même devra courir une aventure mortelle, il devra s'enfoncer dans une nuit qui paraîtra l'engloutir ; mais une nuit qu'il parviendra à anéantir, une nuit qui devra le rendre, une nuit qui sera pour toujours et pour tous les hommes le canal à travers lequel on ira vers la lumière qu'il est.

 

Cette année mes frères, pour nous, nous pourrions retenir une chose. La victoire, notre victoire sur le monde avec ses illusions, ses séductions, sur les puissances démoniaques qui habitent notre cœur et qui le rongent, notre victoire définitive nous l'obtiendrons, si nous avons le courage de suivre le Christ à travers cette nuit jusque dans sa mort. C'est cela le projet de la vie monastique.

Si nos Pères de Cîteaux à la suite des tous premiers moines se sont enfoncés dans le désert, c'est pour y affronter la mort, pour la regarder en face. Ils savaient mieux que quiconque qu'ils étaient prisonniers de cette mort. Mais, ils savaient aussi qu'en allant la traquer dans son repaire du désert, ils allaient réussir à s'évader de la mort.

Mes frères, la vie monastique c'est l'espoir insensé de s'évader hors de la prison de la mort. A notre tour, pourquoi n'essaierions-nous pas de franchir le mur de la mort ? Ne sommes nous pas les descendants de ces aventuriers de Cîteaux ? La mort, c'est une forteresse protégée par une triple muraille d'enceinte. Pour nous en évader, nous devons percer chaque muraille, l'une après l'autre.

           

Le premier mur à percer est le mur de la peur, peur de la mort elle-même, peur de la souffrance que nous allons rencontrer, peur de la dégradation dans laquelle nous sommes malgré nous entraînés, peur de tout ce qui nous entoure et qui nous oppresse, et qui nous écrase, et qui nous domine, et qui nous asservit à tant et tant de choses auxquelles nous essayerons d'échapper, des poisons qui nous apportent toujours ce goût de la mort.

La peur de la mort, la peur de la souffrance, Jésus lui-même a dû l'affronter. Jésus a transpiré le sang. Il a dû lui aussi d'abord percer le mur de la peur. Mais lorsqu'avec lui et à sa suite nous avons traversé cette muraille, nous nous trouvons devant une autre.

C'est la muraille de la frustration. Ne plus rien avoir à soi, ne plus rien être soi-même, ni à ses propres yeux, ni aux yeux des autres, ni même aux yeux de Dieu. Ne plus rien posséder, ne plus avoir la possibilité de suivre ses goûts, ne plus pouvoir satisfaire ses besoins. Il y a tant de choses belles, tant de choses bonnes, tant de choses exaltantes à réaliser dans une vie d'homme. Et dans le désert, il n'y a plus rien, frustration physique, frustration psychique. Se sentir englouti par un monstre qui vous digère et puis dégoûté alors, qui vous rejette. Mes frères, percer le mur de la frustration, ce fut le sort de Jonas.

 

Et lorsque nous l'avons franchi, nous nous trouvons devant un troisième mur. C'est le plus haut, le plus épais. Celui-là il est infranchissable. Et pourtant nous devons nous y attaquer à lui aussi. Seul cela ne sera pas possible, seul cela ne sera pas possible ! Mais ne l'oublions pas, ne l'oublions jamais, la lumière brille dans notre cœur.

Et ce troisième mur, c'est le mur de la lassitude : en avoir assez, être découragé, sentir le dégoût qui envahit votre être et qui vous noie, et qui vous asphyxie. Avoir envie de tout laisser là. Sombrer dans le désespoir et préférer mourir, préférer rester à jamais esclave de cette mort. Non, qu'elle me détruise et puis qu'on ne parle plus de rien.

Mes frères, ce fut le sort d'Elie. Mais cette muraille aussi la plus dure, nous devons la percer aussi. Et comme je l'ai dit, avec le secours de la lumière  malgré tout c'est possible.

 

Mais alors, une fois qu'on se trouve de l'autre côté de cette muraille, quel spectacle ! Avec hésitation - on n'ose presque pas y croire - on avance lentement des pas hésitants, on regarde de tout côté, on écoute : c'est la lumière, c'est le chant, c'est la beauté, c'est la liberté, c'est la rencontre avec Dieu lui-même maintenant qui se laisse voir tel qu'il est. Ce Dieu qui déjà au cœur de notre prison nous attirait avec une puissance irrésistible.

C'est Lui, c'est cet attrait qui nous a permis de traverser les murs et de nous évader. C'est la vie, la sienne dans sa beauté et dans sa paix possédée en plénitude. C'est s'abreuver de lui, c'est se nourrir de lui, c'est devenir un avec lui. C'est la vie éternelle, c'est le Royaume de Dieu dans lequel on peut librement s'avancer.

 

Mes frères, pour courir cette formidable aventure, nous avons une sécurité, une garantie, c'est de nous coller au Christ. Lui, il a tenu jusqu’au bout dans l'épreuve et il est en mesure de nous porter secours, un secours efficace et définitif. Oh ce n'est pas nous qui allons remporter la victoire sur la mort, c'est lui qui vainc à nouveau en nous et par nous.

Les solennités de l'Incarnation se terminent aujourd'hui, mais l'Incarnation elle-même continue. L'Eucharistie que nous allons recevoir dans un instant est le gage, les prémices, le germe de cette Incarnation qui se poursuit en nous et qui arrivera à son plein achèvement.

Les cierges que nous avons portés et que nous allons déposer devant l'autel, qui vont se consumer, sont le signe de notre confiance, de notre espoir, de notre certitude. Non, la mort ne l'emportera pas sur nous. Nous vivrons, nous entrerons dans la lumière, nous deviendrons nous-mêmes lumière dans le Christ pour le salut de tous nos frères les hommes.

 

 

Fête de la Présentation du Seigneur.             02.02.81

1. Introduction avant la bénédiction des cierges :

 

Mes frères,

 

Il est possible que nous échappe quelque chose de la signification et des prolongements du rite auquel le Seigneur Jésus a voulu être soumis au quarantième jour de sa vie. Je rappelle que tout premier né de sexe masculin en Israël était consacré au Seigneur, voué à Dieu, propriété de Dieu. Ses parents devaient le présenter 40 jours après la naissance pour le racheter à Dieu. En échange, ils présentaient une bête de petit bétail ou deux colombes, qui devaient être égorgées.

 

Mais le Christ était le Verbe de Dieu, le Fils de Dieu. Il était Dieu lui-même. Alors pourquoi, pourquoi s'est-il soumis à cette formalité qui au fond ne le concernait pas ? D'abord, il a voulu que fût manifesté le fait de son Incarnation. Il a convoqué deux témoins, un homme ­et une femme, Siméon et Anne qui ont reconnu et attesté le fait que Dieu, Lumière du monde, était devenu un homme. Ils ont rendu ce témoignage au nom d'Israël leur peuple. Au nom aussi de toute l'humanité, car mystiquement en leur personne étaient présents et Adam et Eve.

 

Mais il faut aller plus loin encore. Le Christ, Verbe de Dieu si je puis me permettre cette expression, a pris un certain recul par rapport à sa divinité. Il s'est rendu libre d'avancer vers la mort, de descendre, de s'anéantir et d'explorer les abîmes ténébreux de la déréliction absolue creusés par l'anti-Dieu qu'est le péché. En un mot, le Christ a voulu ce jour-là être mystérieusement investi de sa mission rédemptrice et divinisatrice.

 

Et nous mes frères, par notre baptême et notre profession monastique, nous sommes aujourd'hui greffés sur le Christ. En nous avançant dans le cloître faiblement éclairé, nous dirigeant vers notre église illuminée, baignant dans la lumière, nous allons signifier que nous ne renions pas notre appartenance à l'être et à la vie du Christ.

Et nous allons dire par notre démarche, par notre geste, que nous sommes disposés à suivre le Christ, Dieu, dans la Lumière obscure de la Foi, partout où il nous conduit. En sachant que si maintenant nous avons part à ses souffrances, un jour nous aurons part à sa gloire.

2. Homélie à l’Eucharistie :

 

Mes frères,

 

S'il se trouvait des Israélites qui étaient en position de force vis à vis de la loi et des coutumes de leur peuple, c'étaient bien Marie et Joseph. Ils savaient qui était l'enfant qu'ils portaient. Ils savaient qui ils étaient, eux. Et pourtant ils n'ont revendiqué aucun privilège. Ils se sont humblement, simplement pliés à tout ce qui leur était demandé.

Par leurs mains, Dieu lui-même se soumettait à sa propre loi. Il nous montrait par là que la Loi est sainte, qu'elle est pure, qu'elle est source de vie, que l'obéissance est la route qui conduit directement, rapidement jusque dans les appartements intimes de cette maison dont Dieu est l'architecte et le bâtisseur.

Ils nous donnaient un exemple à suivre, mes frères, à chacun d'entre-nous, mais surtout à l'Abbé qui ne doit dire rien qu'il n'ait d'abord, lui le tout premier, mis en pratique. Si la recherche de Dieu est le mobile de la vie contemplative, il nous appartient d'être suprêmement attentif aux signes quasi imperceptibles de sa présence.

 

Il est donc nécessaire que nous ayons un regard pur, un regard qui cherche dans la gratuité, le désintéressement, qui n'escompte pas en sous-main récolté quelques avantages, un regard allumé à cette flamme qui brillait dans les yeux de Marie, de Joseph, qui s'était transmise à ceux de Siméon et Anne, ces deux braves personnes de Jérusalem qui avaient si longtemps attendu.

Et aujourd'hui, ils voyaient de leurs yeux la réalisation de leur espérance, eux qui symbolisent encore aujourd'hui la vie contemplative et pénitente de tous ceux qui cherchent et attendent Dieu.

 

Mes frères, Dieu n'a pas changé depuis lors ! Rappelons-nous l'épisode de l'impôt du Temple. Jésus en est exempt, lui le Fils de Dieu. Il est chez lui dans le Temple. Le véritable Temple, c'est son corps. Mais il s'acquitte de cet impôt, comme il le fait remarquer à Pierre, pour n'effrayer ni ne scandaliser personne.

Plus tard encore, l'Apôtre Paul sera émerveillé de cette humilité du Verbe de Dieu. Il le dira dans ce si beau cantique : " Lui qui était de condition divine, il ne s'est pas prévalu de son rang, mais il s'est anéanti, prenant la condition d'esclave, se faisant obéissant jusqu'à la mort, et la mort sur une croix. "

 

Mes frères, maintenant encore Dieu se manifeste dans l'insignifiant, l'inaperçu, l'inconnu, le méprisé. Nous ne méditerons jamais assez le mystère de sa naissance, de ses premières années. L'idéal, pour nous, est de vivre au diapason de ce mystère. Aime à être ignoré et compté pour rien, nous conseille l'auteur de l'Imitation.

Mes frères, le moine est d'autant plus vrai qu'il vit, qu'il est fidèle au désert de son incognito. Alors en effet, il est tout proche de son Dieu qui se manifeste, lui, dans le désert d'une apparente non-existence.

Au terme des solennités de Noël, retenons ceci : nous anéantir, partager l'anéantissement du Verbe incarné, afin d'être en toute vérité en ce monde les témoins de sa présence inaperçu mais toute puissante. Car ce qui est faible, ce qui n'est pas, chez Dieu est plus fort que tout l'univers.

                                                                                                              Amen.

 

Fête de la Présentation du Seigneur Jésus.      02.02.82

      1. Exhortation à la bénédiction des cierges :

 

Mes frères,

 

Nous nous retrouvons rarement en cette vénérable salle capitulaire.[2] Quand nous y sommes invités, c'est la plus part du temps afin d'y ouvrir une célébration liturgique exceptionnelle. C'est encore le cas aujourd'hui où nous fêtons la Présentation du Seigneur Jésus à son Père dans le Temple de Jérusalem. Nous allons poser des gestes empreints de mystère. Nous les laisserons travailler sur notre sensibilité et notre esprit afin d'être transformés.

La liturgie, en effet, est sacralisation de la durée, apparition de l'éternité dans le temps. Les événements qui ont jalonné l'existence terrestre du Verbe Incarné sont apparitions des réalités qui seront nôtres demain. Et ces réalités, nous les possédons déjà en espérance grâce à notre contemplation aimante. Et nous leur laissons nous donner cette force surnaturelle qui nous permet, à travers les difficultés, de demeurer fidèle et de porter du fruit dans la persévérance.

Notre vie chrétienne et monastique est oblation et ascension en Eglise, c'est à dire dans une communauté appelée pour une mission qui a valeur prophétique et sacramentelle pour l'humanité entière. Elle est offrande de tout nous-mêmes dans la confiance et l'amour. Et elle est croissance continue vers une apothéose de lumière dans le partage conscient de la vie Trinitaire.

 

Les cierges bénis que nous porterons, notre procession à travers l'obscurité de nos cloîtres jusqu'en notre église brillamment éclairée, notre Eucharistie autour de l'autel ­- cette Eucharistie qui nous rassemble en un seul corps - elle signifie et approfondit en nous notre incorporation au Christ pour un avenir de gloire auquel nous associerons tous les hommes.

Mes frères, ouvrons bien grand les yeux de notre cœur, de notre foi ! Laissons la lumière qu'est le Christ y pénétrer afin de nous donner la vision vraie, réaliste des choses. Et ne l'oublions pas, nous sommes en toute vérité, ici, dans notre désert, les prémices du Royaume de Dieu.

      2. Homélie à la célébration :

 

Mes frères,

 

La vie du Christ notre Dieu, de cet homme que les premiers cisterciens prenaient plaisir à appeler le seul vrai Roi et Seigneur et Maître, celui dont nous sommes les heureux bien qu'inutiles serviteurs, la vie de notre Christ n'a pas été une vie double. D'un bout à l'autre elle a été tellement vraie et simple qu'il nous est impossible d'y déceler la moindre dissonance, le moindre dérèglement.

Déjà à ses interlocuteurs, il demandait : Qui parmi vous me convaincra de péché ? Vous est-il possible de vous rappeler une situation dans laquelle je me serais trouvé en dehors de la vérité ?

Cette vie était si pure, si transparente, qu'elle était comme invisible. Le Christ passait inaperçu. Il fallait les yeux illuminés d'un Siméon ou d'une Anne pour voir dans cette vie la merveille préparée par Dieu dès avant la création du monde.

 

En présence du Christ notre sentiment, à nous qui sommes des pécheurs, épouse un mouvement de balancier. Tantôt nous voyons en lui le Dieu, tantôt nous voyons en lui l'homme. Et à la longue, nous ouvrons dans sa personne une fissure dans laquelle fini par se glisser la méfiance et le doute comme si le Christ avait une double face.

­            Et ce mouvement pendulaire s'endort dans le repos lorsque notre cœur unifié dans l'amour parvient à embrasser d'un seul regard et le Dieu dans l'homme, et l'homme dans le Dieu. Mais ne serait-ce pas là un sommet ?

Ne le saurons-nous pas lorsque notre heure viendra où nous pourrons à notre tour nous exclamer : Seigneur notre Maître, maintenant tu peux laisser ton serviteur s'en aller dans la paix car mes yeux ont vu.

 

La vie contemplative, mes frères, est recherche et attente de cette heure. Et lorsqu'elle s'approche, l'Incarnation de Dieu n'est pas un énoncé dogmatique auquel s'accroche une foi titubante. Elle est la réalité première et dernière, l'étoffe de l'histoire et de la vie.

La fête que nous célébrons aujourd'hui, l'événement que nous commémorons n'appartient pas seulement au passé. Il est actuel pour tous les âges du monde et sa richesse est infinie. Il nous présente dans un geste d'éternité ce Christ, le Dieu Incarné, l'Alpha et l'Omega, la figure unique et universelle de laquelle tout sort, et vers laquelle tend tout ce qui existe.

Dans les paroles de Siméon qui retentissent comme un tonnerre, qui emplissent l'univers et l'ébranlent jusque dans ses fondements, ne pouvons-nous percevoir déjà la lente irrésistible dérive du cosmos vers sa transfiguration dans la lumière. Je reviendrai sur ce point au Chapitre de ce soir. Mais laissez-moi conclure, maintenant, en rappelant que l'Eucharistie avec l'oblation des dons sacrés actualise le plérôme, accélère notre marche vers lui.

 

Mes frères, nous sommes dans le mystère. Demandons au Seigneur, comme je le disais tantôt en ouvrant la liturgie, demandons-lui d'ouvrir nos yeux, de les éclairer de sa lumière pour que nous puissions contempler ce mystère, y puiser l'énergie de notre vie et y demeurer pour une croissance vers l'avenir qui nous attend, l'avenir qui nous est promis et qui est une participation plénière, consciente à sa vie qui est paix, qui est amour, pour l'éternité.

                                                                                                       Amen.

 Homélie : Présentation du Seigneur.           02.02.85*

 

      Nous sommes le monde en route.

 

Mes frères,

 

Nous sommes appelés à être lumière dans le Seigneur, à devenir une seule lumière avec le Christ ressuscité d'entre les morts. Prenons bien conscience d'une chose : la réalité première, fondamentale, ce n'est pas ce monde sensible que nous voyons, que nous touchons, que nous maîtrisons. Non, la réalité première, c'est le monde à venir déjà mystérieusement présent.

Ce monde est encore à venir pour la partie de notre être toujours impur, toujours englué dans les passions charnelles. Mais il est déjà présent pour l'œil de notre cœur, cet œil dont la rétine est frappée, illuminée par Dieu qui est lumière. La Présentation du Seigneur est le rappel, mieux, le modèle de notre propre oblation. Spirituellement, nous serons toujours des enfants. ET si par malheur nous ne le sommes plus, nous devons le redevenir, car seuls les enfants ont accès à ce Royaume de Lumière.

Nous ne nous appartenons plus. Nous sommes le bien de Dieu pour une mission qui est la mission même du Christ Jésus à savoir le salut du monde. Le monde, en effet, doit devenir en face de Dieu resplendissement de la gloire qui habite Dieu et qui rayonne de lui. Il doit devenir la manifestation claire, parfaite du Verbe de Dieu qui le crée, qui le tient dans l'existence et qui le transforme instant par instant.

 

Mes frères, lorsque nous-mêmes devenons lumière, nous portons le monde à son achèvement final. Voilà notre mission. C'est pour cela que nous avons été retirés du monde et appelés dans ce désert. O, nous n'avons pas décroché du monde. Nous ne l'avons pas abandonné, mais nous l'avons pris avec nous. Nous le portons en nous. Nous sommes une fraction de ce monde.

Mes frères, n'ayons pas peur de placer notre vocation à ces hauteurs. Et puis laissons Dieu agir en nous. Laissons-le-nous conduire, nous transformer. Nous sommes l'humanité, nous sommes le monde en route, en marche vers la rencontre de son destin final qui est de voir Dieu et de devenir une lumière avec lui.

Mes frères, laissons-nous donc porter, laissons-nous donc conduire par ce Dieu venu à notre rencontre, par ce Dieu qui nous a tant aimés qu'il ne pouvait faire autrement que de venir nous prendre, nous qui nous étions égarés à côté de lui et de plus en plus loin. Nous allons à nouveau partager l'Eucharistie. Mais sachons-le bien, nous allons recevoir en nous un feu. Le prophète Malachie nous montre le Seigneur venant dans son temple et le purifiant de fond en comble.

 

Ce temple, mes frères, c'est nous-mêmes. Nous le savons, sommes le temple de Dieu. Il va à nouveau venir en nous. Nous allons l'accueillir. Nous allons lui faire place nette. Nous lui permettrons de prendre en nous toute la place.

          Et pour que nous ne reculions pas devant cette mission, cette vocation qui est la nôtre, nous nous confierons à la Mère de notre Dieu, car elle, vraiment, elle l'a accueilli dans tout son être jusqu'à lui donner chair.

Mes frères, notre Eucharistie, elle sera l'expression de notre consentement, de notre oui, un oui entier et sans réserve.

 

                                                                               Amen.

 

                                                                                           

Homélie : Fête de la Présentation du Seigneur. 02.02.86

      Une relation correcte avec Dieu notre Père.

 

Mes frères,

 

Il n'est rien de ce que le Seigneur Jésus ait vécu qui ne soit étranger à notre propre vie. Ne sommes-nous pas des membres de son Corps. Il n'avait nul besoin d'être présenté à son Père, lui qui de toute éternité et pour les siècles repose in sinu Patris, dans le sein de son Père.

Mais voilà, s'il a voulu être offert alors qu'il était un bébé de quarante jours, c'est pour nous. C'est afin de signifier que nous ne faisons qu'un avec lui et que, en lui, nous sommes enfants de Dieu au même titre que lui. Voilà, mes frères, nos lettres de noblesse. Et du même coup, il nous a révélé la splendeur de notre destinée. Nous appartenons à Dieu. Nous sommes sa fierté, son tourment aussi. Il ne peut plus se priver de nous. Et tout dans notre vie doit se comprendre à partir du Père auquel nous avons été remis.

 

Notre éducation chrétienne et monastique consiste en un apprentissage d'une relation correcte avec Dieu notre Père. Cette éducation qui est très lente, qui est très difficile reconnaissons-le, cette éducation est aussi une croissance de la vie divine en nous. Un courant de vie et d'amour vient de Dieu notre Père, arrive sur nous, nous pénètre, nous traverse et nous emporte au-delà de nous.

Mes frères, au sein de la Trinité il y a, nous le savons, une relation constante d'aller et retour entre les Personnes Divines. Eh bien, c'est là notre lieu véritable. Nous sommes dans ce courant qui n'est qu'amour. Une communauté chrétienne, une communauté monastique devrait être aussi apparition de ces relations parfaitement équilibrées, ces relations qui permettent à chacun de s'épanouir dans ce qu'il a de meilleur, qui lui permet de réaliser sa vocation divine.

Mes frères, c'est un idéal qui paraît hors de notre portée. Mais si dans la foi, dans une confiance profonde, absolue nous nous laissons entraîner, transporter par ce courant qui vient d'au-delà de nous, tout se réalise sans difficulté. Et on peut vraiment dire aussi sans problèmes. Dieu est devenu homme en Jésus afin qu’en Jésus tout homme puisse devenir Dieu.

 

Si nous avions toujours ce projet devant les yeux, je le répète, toutes nos difficultés trouveraient bien vite leur solution et toute souffrance deviendrait supportable. Car le terme de notre vie, ce n'est pas ici-bas. Il est bien au-delà de nous. O, je ne veux pas ici présenter la religion comme un opium pour un peuple qui dans le fond serait bien malheureux.

Non, mais je désire rencontrer l'instinct le plus solide qu'il y a en nous et qui nous dit que tout n'est pas fini à travers ce que nous vivons maintenant, mais que à l'intérieur de l'événement, il y a un germe qui doit pousser, et qui doit fleurir et porter un fruit qui, lui, jamais ne passera.

Mes frères, la fête de ce jour nous rappelle cette rencontre entre Dieu et nous, une rencontre qui est - ne le perdons pas de vue - de toutes les heures. Car une fois que Dieu a pris contact avec nous, il ne revient jamais en arrière, il ne nous laisse jamais tranquilles. Toujours il nous sollicite pour que nous nous dépassions, pour que nous transcendions l'événement d'aujourd'hui pour aller au-delà.

 

Mes frères, cette rencontre, elle devient incandescente dans chaque acte d'obéissance que nous posons. Oui, la soumission à Dieu, celle dont nous parle Saint Benoît ces derniers jours, cette remise de nous à Dieu, c'est un feu, c'est une étincelle qui provoque une, explosion, et c'est une explosion de vie divine.

Mes frères, Dieu est un incendie et il est un volcan. Et lorsque nous entrons dans sa volonté, nous laissons cette énergie infinie nous travailler, détruire en nous ce qui doit l'être et fortifier, et cultiver ce qui est promis à l'éternité. Mais au centre de cette rencontre, il y a un relais obligé, c'est la Vierge Marie. C'est elle qui a reçu Dieu. C'est elle qui l'a présenté. C'est elle aussi qui nous reçoit, qui nous offre, qui nous récupère en retour et puis qui veille sur chacune de nos démarches.

 

Ceci, mes frères, ce n'est pas une imagerie pieuse et attendrissante. Non, c'est l'ossature même de notre vie. Nous sommes enfantés, nous sommes mis au monde par une femme qui est la mère de Dieu. Si elle est la mère de la Tête, elle est aussi la mère du Corps, de chacun de ses membres.

Voilà, mes frères, une nouvelle source de sécurité. Tout cela nous est évoqué dans la célébration d'aujourd'hui. Et si nous sommes fidèles, si vraiment nous nous laissons façonner par ces réalités magnifiques, alors chacun de nous deviendra aussi une lumière pour les hommes nos frères, et comme le disait le vieillard Siméon, la gloire du peuple de Dieu, de cet Israël nouveau qui est promis à l'éternité.

 

                                                                                                               Amen.

 

 

Homélie : Fête de la Présentation du Seigneur. 03.02.91

      L’arme de l’Amour.

 

Mes frères,

 

La fête de ce jour est ruissellement de lumière, inondation de paix, gage de salut éternel. Elle est l'apothéose des promesses contenues dans le mystère de Noël. Notre cœur le sent, notre cœur le sait. Chacun d'entre-nous est un Siméon, chacun d'entre-nous est un prophète comme Anne. Nos yeux ont vu, nos yeux voient et nous voudrions partager notre certitude avec le monde entier.

Pourtant, mes frères, nous savons qu'une guerre sans merci ensanglante cette partie du monde qui fut le berceau des civilisations les plus prestigieuses et le berceau d'Abraham, le Père de tous les croyants. Les paroles de lumière et de paix que j'ai l'audace de prononcer peuvent paraître bien creuses, sinon ridicules et mensongères, voir indécentes.

Mais ne nous laissons pas prendre aux apparences. Tous ces hommes qui s'entre-tuent sur cette terre lointaine par rapport à nous mais si proche de notre cœur, tous ces hommes sont frères. Et voilà qu'ils se combattent sur le lieu même de leur commune origine. Le glaive qui transperce à cet instant encore le cœur de Marie notre Mère à tous, traverse le nôtre aussi de part en part et le fait souffrir. Nous nous sentons solidaires de tous ceux qui sont là-bas, qui sont accablés, quelque soit leur camp.

         

Mes frères, laissons notre regard percer le voile des phénomènes enregistrés par les médias. Voyons au-dessus de la mêlée et même au milieu d'elle l'humble présence de celui qui fut présenté un jour au temple de Jérusalem et qui a été salué comme le salut du monde.

Cet enfant d'alors a connu la souffrance et une mort sanglante, une mort injuste, mais il est ressuscité des morts. Nous savons qu'il est la lumière du monde, qu'il est le chemin, la vérité, la vie, que la création nouvelle est toute entière contenue en lui ; qu'il est, lui, la création nouvelle et que tout en lui et par lui est déjà rédimé car tout lui est soumis.

Il possède une seule arme mais elle est invincible, c'est sa propre personne qui est amour, compassion, humilité, douceur, patience. Il prend tout sur lui. Il prend tout en lui. Il rédime et il transfigure chacun. Pour lui, il n'y a pas d'innocent ni de coupable. Il est l'amour et il ne peut faire autre chose qu'aimer.

 

Mes frères, le déchaînement de malice dont nous sommes témoins n'aura pas le dernier mot. C'est l'amour qui aura le dernier mot. Portons notre regard au loin, contemplons la création nouvelle présente dans la lumière qu'est notre Christ, laissons-là nous envahir et gagner à elle, laissons-­là créer en chacun d'entre-nous, et entre-nous, et dans l'univers entier une union qui sera le germe d'une véritable paix.

 

Mes frères, nous laisser envahir par la lumière et unir tout en elle, c'est le défi que nous lance aujourd'hui notre Dieu face, en présence de toutes ces calamités. Ce défi, nous allons le relever dans la foi et l'Eucharistie que nous célébrons sera le gage de notre espérance ; une espérance - comme nous le dit l'Ecriture - qui ne peut nous décevoir.

                                                                                             Amen.

 

Homélie : Fête de la Présentation du Seigneur. 02.02.92

      Les témoins de l’indicible.                                       

 

Mes frères,

 

Le Prophète Malachie vient de nous le rappeler : le Seigneur est semblable au feu du fondeur, à la soude des blanchisseurs. Et il en est bien ainsi. Le Seigneur est amour et l'amour purifie tout ce qu'il touche. Il ne tolère rien qui ne soit lui. Heureux, trois fois heureux celui qui en fait la souveraine expérience.

Elle aurait pu en parler, cette jeune épousée qui entrait dans le temple pour y présenter à Dieu son enfant, son premier né. Elle était chez elle dans l'amour, dans la pureté, dans la lumière, dans la beauté. Il devait rayonner d'elle quelque chose de pas ordinaire.

Et voilà qu'un homme, un vieillard sans doute, un homme au cœur et au regard de prophète et saisit d'étonnement s'approche et reconnaît Celui qui lui parle dans le secret depuis si longtemps. Et voici qu'une vieille femme de 84 ans se joint à lui. Et tous deux se mettent à chanter l'indicible dont ils sont les témoins.

 

Et les autres, mes frères, les autres, ils n'ont rien vu, rien reconnu. Et les autres, c'est le prêtre qui a officié avec ses acolytes ; les autres, c'est la foule des fidèles et des marchands.

Il y a là quelque chose de banal et de tragique. La plus haute sainteté possible, Marie, est présente et personne ne la remarque. Dieu entre dans sa maison et personne ne le reconnaît, personne sauf ces deux vieillards.

Nous touchons ici, mes frères, le réalisme terrible de l'incarnation. Dieu est tellement homme qu'on oublie qu'il est Dieu et on passe à côté dans l'indifférence la plus totale.

 

Dieu s'est soumis à tout ce qui est de l'homme et il a fallu que sa mère obéisse à la même loi. Quelques fussent les méprises, ils sont allés tous les deux jusqu'au bout. Pour l'un, ce fut la mort la plus cruelle et pour l'autre, ce fut un glaive dans son cœur.

Aujourd'hui, mes frères, Dieu se présente à nous dans le frère, dans l'homme, dans la femme, dans le petit, dans le vieillard que nous rencontrons. Je frémis en pensant que nous pourrions passer à côté de lui sans le reconnaître.

Siméon et Anne avaient un cœur d'enfant accordé au cœur de Dieu. Ils étaient de ces petits, de ces naïfs qui sont de pleins pieds dans le Royaume de Dieu. Eux seuls pouvaient reconnaître la toute pure tenant Dieu dans ses bras.

 

Mes frères, demandons à tous les acteurs de cette scène humble et grandiose de nous obtenir la grâce d'un cœur pur, d'un cœur qui voit, d'un cœur qui reconnaît.

                                                                                                                                  Amen.

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Homélie : Fête de la Présentation.              02.02.95.

 

      Vivre d’attente et d’espérance.

 

Frères et sœurs,

 

            Un couple de jeunes mariés entre dans le temple. Elle porte un bébé de six semaines et lui porte deux petites colombes. On les regarde avec sympathie ou avec indifférence. Un homme pourtant, un homme pas comme les autres les a aperçus. Il se produit en lui comme un signal : pas de doute, c’est eux, c’est Lui. Il les reconnaît.

            Il les reconnaît car il les connaît depuis toujours, il les attend depuis toujours. C’est l’heure, c’est la minute tant espérée, tant attendue des années, des années à n’en pas finir. Mais il savait que le jour se lèverait et, c’était le jour d’aujourd’hui.

 

            Sommes-nous, frères et sœurs, à l’exemple de Siméon, des hommes, des femmes de l’espérance et de l’attente ? Tout de suite, brisons nos ...?..., grisons-nous de vitesse, tout de suite. Et on se retrouve avec du vent, avec rien, avec un arrière goût de mort. Tel est le drame de notre ...?... ...?... .

            Sommes-nous dans notre monastère des hommes d’espérance et d’attente ? Espérer quoi ? Attendre quoi ? Attendre qui ? Il n’est pour le moine qu’une seule attente au cœur : attendre l’arrivée, le surgissement, l’apparition du Seigneur Jésus dans son insignifiance d’enfant et dans sa beauté de ressuscité. Alors on sait que la mort peut survenir, elle est dépassée chez les ...?... .

 

            Frères et sœurs, le cœur de la vie monastique, et je dirais, même le cœur de la vie chrétienne est cette inlassable attente. Cette attente qui est une folle espérance ne peut jamais être déçue. Elle ne l’est jamais.

            Mais voilà, attendre, attendre vraiment, c’est d’abord se débarrasser de tout ; c’est ne plus rien avoir, rien en soi, rien autour de soi ; c’est vivre suspendu dans le vide. Omnino nihil, dit Saint Benoît 43,48 et 72,14, absolument rien !

 

            Une telle attente ne serait pas possible si on ne retenait pas déjà dans l’ombre ce qu’on attend. L’Esprit Saint remodèle le cœur, il prépare les yeux, il guide doucement vers l’heure, vers la minute de la découverte et de la rencontre.

            Le moine est un Siméon. Il doit le devenir toujours mieux et inlassablement le rester. Puisse la flamme de l’espérance s’allumer en nous, nous consumer, nous purifier et nous transfigurer sans mesure !

                                                                          Amen.

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Homélie de la Présentation.                       02.02.96

      Lui la tête et nous les membres.

 

Frères et sœurs,

 

            Le Seigneur Jésus ne nous a pas laissé seulement un enseignement oral, c’est par toute sa conduite, par ses moindres gestes qu’il est notre Maître. Ainsi aujourd’hui, il nous montre jusqu’où nous devons nous abaisser. Nous devons descendre jusqu’au plus profond de notre vérité. Il a tout partagé de notre condition humaine pour nous apprendre qui nous sommes, pour nous arracher au pouvoir de la mort, pour nous rendre libres de sa liberté.

            Car nous sommes ses frères. Il a partagé notre chair et notre sang ; nous partageons son être divin. Nous partageons son corps ressuscité et, en lui, nous devenons lumière. En lui, nous piétinons les puissances du mal ; en lui, nous devenons d’authentiques enfants de notre Père commun.

 

            Il vient de nous l’être rappelé : tout premier né de sexe masculin appartenait de droit au Seigneur. Et cela depuis la nuit terrible de la Pâque où Dieu frappa tous les premiers nés de l’Egypte et fit sortir de la condition d’esclavage Israël son fils premier né.

            Jésus, le véritable premier né de Dieu, Dieu lui-même par nature et par essence, n’avait pas besoin d’être racheté. Mais il se soumet volontairement, généreusement à la loi qu’il à lui-même édictée. Il le fait pour bien montrer la réalité de sa naissance charnelle.

            Il proclame ainsi à la face du monde qu’il est le fils de Marie selon la chair et le fils de Joseph selon l’élection. Il savait déjà qu’il se trouverait des hommes pour contester la réalité de sa chair, pour affirmer qu’il n’était qu’une apparence d’homme.

 

            Mais non, en entrant de tout son être à l’intérieur de la loi de Moïse, en se pliant au moindre rite du rachat et de la consécration, en permettant à sa mère de recevoir la bénédiction qui la purifierait de sa grossesse et de son enfantement, il montrait pour jamais qu’il était un homme véritable tout en restant un véritable Dieu, le Dieu unique devenu homme afin que l’humanité toute entière soit élevée en lui et soit, cellule par cellule, totalement divinisée. Il s’est inscrit pleinement dans notre race.

 

            Oui, il est l’un de nous à part entière. Et nous, nous devenons l’un de ses membres à part entière également. Il n’y a pas lui d’un côté et nous de l’autre : nous sommes uns, lui la tête et nous les membres. Et tous ensembles lui et nous le Corps, ce Corps qui doit être un jour présenté à Dieu  absolument pur, ce Corps qui va vraiment prendre sur lui, en lui, annexer à lui le cosmos matériel tout entier afin que Dieu soit tout en toutes choses.

 

            Il a ainsi, frères et sœurs, assumé notre condition mortelle afin de nous insérer dans sa condition d’éternité. Il nous apprend par là que c’est dans un abaissement suprême que nous trouverons notre accomplissement car là, nous le rencontrons, là nous devenons avec lui un seul esprit.

            Si nous entrons par toute notre vie au cœur de ce mystère, et c’est là la vocation chrétienne et surtout la vocation monastique, nous deviendrons frères et sœurs, ne l’oublions pas, un signe de contradiction pour les hommes encore attachés aux valeurs illusoires de ce monde qui glisse – mais ils ne le savent pas – qui glisse vers son néant.

            Le chrétien, le moine descendu au plus bas de l’humilité conteste le monde et il en est le vainqueur. Vous savez que les lois du monde sont la compétition, sont l’efficacité, sont l’enrichissement, sont la croissance indéfinie.

 

                        Le prix qu’il faut en payer, nous le savons aujourd’hui mieux que jamais, c’est l’écrasement d’une quantité d’hommes, c’est l’appauvrissement de la majeur partie de l’humanité. Voilà le prix qu’il faut payer pour cette croissance. Mais là n’est pas le Royaume de Dieu.

            Dieu a établi son Royaume dans une vérité qui est autre, dans une vérité qui est partage complet, qui est charité sans défaillance, qui est accueil, qui est don. Et dans cet univers de Dieu dont le Christ a ouvert les portes, nous sommes tous égaux. Il n’y en a pas qui sont plus grands, il n’y en a pas qui sont plus petits. Nous sommes tous uns à l’intérieur de ce monde, nous sommes tous comme des anges de Dieu.

            C’est là le mystère de notre vocation, mystère que Dieu nous rappelle aujourd’hui. Si nous y répondons, nous vainquons le monde, mais aussi, nous le rachetons, nous le soulevons et l’introduisons en Dieu.

 

            C’est ainsi, frères et sœurs, que la mort n’est pas devant nous, elle est déjà derrière nous. La mort biologique, elle est une force qui nous ouvre à notre réalité essentielle, notre réalité première et notre réalité dernière. La vie éternelle, nous la possédons dès aujourd’hui et, nous chrétiens, nous devons la rayonner sur tous les hommes.

            Puisse Marie notre Mère nous donner de comprendre le mystère de notre vocation et nous donner aussi de la réaliser en plénitude.

                                                                                   Amen.

 

Homélie : Vigile de Saint Jean-Baptiste.        22.06.83

      Jérémie et Jean-Baptiste.

 

Mes frères,

 

Nous l'avons entendu, Jérémie et Jean-Baptiste ont été choisis, appelés par Dieu dès avant leur naissance. Depuis toujours, avant même que Dieu se soit engagé dans l'aventure de la création, de l'accomplissement vers lequel il voulait conduire un rêve qu'il portait dans son cœur, les noms de Jérémie et de Jean-Baptiste lui étaient déjà présents.

Et c'est ainsi qu'il avait déjà dans son projet assigné à chacun d'eux une place pour une mission définie, précise, qui allait faire corps avec leur personne, une mission qui serait leur nom, avec laquelle ils s'identifieraient et qu'ils allaient conduire à son accomplissement avec une fidélité qui ne connu aucune faille.

L'un et l'autre seraient prophète ; l'un pour arracher pour démolir, pour détruire, mais aussi pour construire et pour planter. L'autre pour marcher devant la face de Dieu avec la puissance et le prestige du Prophète Elie.

 

Mes frères, nous avons en Jérémie et en Jean-Baptiste deux des plus grandes figures de l'histoire du monde. Et depuis l'origine, la Tradition a vu en eux des modèles de la vie monastique. Nous allons y revenir dans un instant. La Parole de Dieu a pris possession de leur personne dans les racines les plus profondes jusque sur la couche épidermique. Si bien que l'essence de leur mission était de devenir présence parmi les hommes du Verbe de Dieu.

Cette mission comptait nombre de détails importants, capitaux. Mais tous ces détails dérivaient d'une source unique, d'une évidence première; Jérémie et Jean-Baptiste étaient de façon mystique mais bien réelle comme des pré-incarnations du Verbe de Dieu. D'ailleurs, les contemporains de Jésus ne s'y sont pas trompés. Ils n'étaient pas tellement loin de la vérité lorsqu' ils leur semblaient reconnaître dans Jésus et Jérémie et Jean-Baptiste.

L'agir de Dieu par ces deux hommes atteint l'étendue de la durée et il nous affecte encore aujourd'hui. Par notre vocation monastique, nous les rejoignons, et Jérémie, et Jean-Baptiste, et nous partageons leur destinée. Si nous sommes logiques avec notre vocation, Dieu se saisit de nous pour transformer notre cœur, notre esprit et notre chair en lieu de la Parole et en Temple de l'Esprit. Et ainsi, nous rejoignons et nous partageons leur destinée.

 

Je vais donner quelques exemples. Ce n'était plus Jérémie, ni Jean-Baptiste qui vivaient, c'est la Parole de Dieu qui vivait en eux. Et nous, ce n'est plus nous qui devons vivre, mais c'est le Christ qui doit vivre en nous, lui qui est la Parole de Dieu devenue chair. Et Jérémie et Jean-Baptiste étaient dévorés par un feu qu'ils ne pouvaient contenir.

Et nous-mêmes, si nous nous laissons emporter par Dieu, nous allons être consumés par un brasier qui est l'amour. Comme eux, nous nous laisserons déposséder de nous-mêmes et notre nourriture deviendra la volonté de Dieu portée par la Parole et incendiée par l'Esprit.

Mes frères, la mission de Jérémie et celle de Jean-Baptiste n'est pas loin de la nôtre. Si nous la regardons en face, nous nous y reconnaissons à cette mission qui est de nous laisser prendre, de nous laisser travailler par l'Esprit de Dieu, notre mission qui est d'être nous aussi présence parmi les hommes du Verbe de Dieu porteur de salut, porteur d'amour, de réconciliation et de paix.

Si nous sommes ainsi dans la ligne de l'image présentée à nos regards par la Parole que nous avons entendue aujourd'hui, alors mes frères, nous nous efforcerons de demeurer fidèle, d'une fidélité qui devra persévérer jour après jour et qui nous conduira peut-être là où nous ne voudrions pas aller.

 

Jérémie et Jean-Baptiste sont morts témoins de Dieu, déjà témoins du Christ. Nous aussi, nous nous laisserons mettre à mort, non pas de façon sanglante certes, mais enfin, on ne

sait jamais ? Mais n'allons pas si loin. Nous nous laissons mettre à mort par les événements, une mort que nous vivrons à l'intérieur de nous-mêmes, mais qui nous fera entrer dans la vie qui était la leur, une vie qui n'est rien d'autre que la vie de Dieu et où nous trouverons, comme Jérémie et Jean-Baptiste, une force et aussi un réconfort qui, à partir de nous, ruissellera sur les hommes nos frères.

                                                                                                  Amen.

 

Homélie : Vigile de Saint Jean-Baptiste.        23.06.87

 

Mes frères,

 

Depuis la Haute Antiquité la Tradition Monastique a reconnu en Saint Jean-Baptiste un précurseur de ce qui allait devenir la race des chercheurs de Dieu. La Tradition a été séduite par la rigueur de l'ascèse menée à longueur de vie par cet homme disparu dans les déserts. Elle a été séduite par l'intrépidité de sa foi, une foi demeurée inébranlable jusqu'à l'intérieur du martyr.

J'aimerais aujourd'hui m'arrêter un instant sur un détail dont la beauté s'impose à notre admiration et à notre émulation. Pour bien connaître Jean-Baptiste, nous devons contempler à l'intérieur de sa personne comme en filigrane la figure de Jérémie. C'est ainsi que l'a compris la liturgie sous l'inspiration du Saint-Esprit. Nous verrons dans cette contemplation surgir de suite sous nos yeux le mystère de notre destinée.

Ce qui nous frappe d'abord, c'est une sorte de fatalité. Ni pour Jérémie, ni pour Jean-Baptiste, il ne peut être question de choisir une carrière et de faire sa vie. Non, dès le sein de leur mère, ils ont été mis à part en vue d'une mission. Et il était inutile de résister, inutile de discuter, impossible de reculer. Dieu qui avait choisi, Dieu qui avait décidé était le plus fort.

 

Il en est ainsi pour nous, mes frères, notre vie est le résultat d'une prédestination, d'une élection. Et elle s'impose à nous comme un fardeau et une joie, car elle nous comble au-delà de toute mesure après avoir arraché et détruit en nous tout ce qui doit l'être pour laisser place nette afin que Dieu dans son Etre Un et Trine occupe notre cœur, et dans notre cœur puisse enfin rayonner.

L'existence de Jean-Baptiste, comme celle de Jérémie, est devenue ainsi une sorte de passivité collaborante. L'un et l'autre ont vécu sous l'emprise de l'Esprit Saint qui ne les a pas annihilés, non, mais qui les a portés au sommet de leur puissance, de leur pouvoir.

 

Saint Benoît ne verra pas autrement la vie de son disciple et la place toute entière sous le signe de l'obéissance. Et il use pour cela d'une formule magnifique que nous connaissons tous : ambulare alieno iudicio et imperio, 5,25. Marcher au jugement et au commandement d'un autre. Et cet autre, c'est Dieu lui-même qui a un projet et qui entend le réaliser avec la collaboration de son moine.

A ce moment, mes frères, on voit un homme devenir cet autre. Dieu vit en lui et lui vit en Dieu. Si bien que ce disciple fidèle accède aux côtés de Jean-Baptiste et de Jérémie à la condition de prophète. Et au terme, c'est la mort. Non pas un anéantissement effrayant, mais un éveil à la vie définitive, à la vie véritable, cette vie qui nous a été présentée dimanche en la fête du Corps et du Sang du Christ, cette vie qui est participation pleine, entière, à la propre nature de Dieu.

Et voici le prophète, voici le moine fidèle entraîné dans le bouillonnement du cycle Trinitaire. Il se reçoit de Dieu, et chose étonnante, stupéfiante, Dieu se reçoit de lui. Voilà, mes frères, notre destinée à travers celle de Jean Baptiste. Méditons-là et sachons que Dieu n'est jamais en dessous de ses promesses.

                                                                                                       Amen.

 

Homélie : Vigile de Saint Jean-Baptiste.        23.06.88

Jr. 1, 4-10  *  1P. 1, 8-12  *  Lc. 1, 5-17

 

Mes frères,

 

Dieu entre de mille manières dans la vie des hommes, dans celle des pécheurs comme dans celle des justes. Cela va de l'événement le plus simple à l'irruption la plus déroutante. Chacun reçoit un appel, chacun est investit d'une mission, personne n'est laissé de côté, personne n'est négligé.

Certaines de ces vocations sont mises en relief car elles ont valeur d'exemple, car elles condensent en elles une multitude d'expériences dispersées. A nous de réfléchir pour apprendre à connaître notre Dieu, pour mieux repérer les traces de son amour.

 

Arrêtons-nous quelques instants sur Jean-Baptiste puisque nous célébrons la Vigile de sa Fête. Bien des siècles avant lui, un tout jeune homme, presque un enfant, Jérémie, esquissait dans sa personne et dans son destin tourmenté la figure d'un autre enfant, Jean, qui lui ressemblerait comme un frère.

Jérémie et Jean, si nous les contemplons, nous semblent presque contemporains. Seul le décor a changé, pour le reste c'est la même veine, le même esprit, le même tragique. Mais pour Dieu, c'est la même histoire : celle de la trahison rachetée par la fidélité, celle de la lâcheté compensée par le martyr, celle de la victoire du jusqu'au bout de l'amour.

C'est aussi le témoignage d'une solidarité qui ne se dément pas. Ni Jean, ni Jérémie ne pactise avec l'erreur, avec le mensonge. Ils sont véhéments dans leurs paroles, intraitables, incorruptibles. Mais pas un seul instant ils ne tournent le dos à leur peuple, ils ne se séparent de lui.

 

Jean et Jérémie, ce sont deux enfants. Ils sont descendus du cœur de Dieu tout purs. Ils sont là devant une multitude de gens qui ne croient plus à rien, qui se sont laissé entraîner par les concupiscences de la chair. Certes, ils pratiquent encore leur culte. Mais lequel ?

Ils se tournent vers les dieux qui leur apportent le plus de bénéfices. Et ces deux jeunes, ces deux enfants par le cœur sont là debout. Ils parlent. Et le plus stupéfiant, c'est qu'on les écoute ! Le roi de Juda lui-même appelle Jérémie pour lui demander conseil. Et les Publicains, les hommes d'affaires, les militaires, tous viennent à Jean pour lui poser la question :

Voilà, maintenant que devons-nous faire ? Ils sont écoutés parce qu'ils sont des enfants, mes frères. Seuls les enfants sont écoutés. Les grandes personnes, on les a entendus assez.

 

Et voilà que tous les deux, et Jérémie et Jean, sont mort solidaire du péché de tous, rachetant tous leurs frères dans la lumière de leur foi. Ils sont témoins l'un et l'autre, l'un par l'autre de Celui qui prendra sur lui le péché de tous les hommes et qui les en délivrera pour jamais. Dieu lui-même devenu homme devant notre pauvreté, notre pauvreté existentielle, cette pauvreté qui nous rend vide pour ce qui regarde le Royaume de Dieu.

Mes frères, si nous ne sommes pas des pécheurs, le Christ n'est pas venu pour nous. O, ne nous glorifions pas de notre péché, mais n'en soyons pas honteux. Il est la seule parure qui nous convienne, et c'est ce péché qui a attiré le regard de notre Dieu.

­          Mes frères, il y a un peu de tout cela, c'est à dire un peu de candeur, un peu et même beaucoup de péché en chacun d'entre-nous et même en chacun des hommes. Pourquoi ? Il n'y a aucune exception. Pourquoi ? Mais parce que Dieu, le Christ notre Dieu, vit en tous.

Puissions-nous ouvrir notre cœur à cette beauté divine qui nous attire. Laissons-nous séduire par elle et demandons-lui de prendre possession de tout notre être et de nous convertir à cette sagesse des petits qui rendent si grands aux yeux de Dieu, et Jérémie, et Jean le Baptiste.

 

                                                                                          Amen.

 

 

Homélie : Vigile de Saint Jean-Baptiste.        23.06.89

 

Mes frères,

 

Nous ne creuserons jamais assez le réalisme de l'incarnation de notre Dieu. Le Seigneur Jésus tout comme nous était un homme emprisonné dans les limites d'un moi préfabriqué. Tout comme la nôtre, son intelligence avait besoin de lumières, de points de repères, de jalons. Elle devait être guidée pour ne pas s'égarer, pour s'accorder toujours aux moindres vouloirs de Dieu.

 

Aussi Dieu son Père a-t-il placé quelques pas devant lui une parole vivante qui serait un guide sûr, qui tracerait sans erreur la route qu'il faudrait suivre. Et cette parole, c'était Jean le Baptiste de six mois plus âgé que Jésus, son propre cousin, Jean, qui serait aux dires de Jésus lui-même l'homme le plus grand que la terre ait jamais porté.

Nous pourrions longuement écouter la Parole que fut Jean pour Jésus. Nous nous arrêterons ce soir à un écho, le plus beau, le plus tragique aussi. Le martyre de Jean, sa mort injuste et cruelle dans la fleur de la jeunesse, annonçait à Jésus que bientôt, quelques mois plus tard, ce serait son tour et qu'il mourrait torturé dans des circonstances analogues.

Il devrait, lui aussi, rendre témoignage à la vérité, et cela jusqu'au bout. De ce témoignage, il devrait subir toutes les conséquences car les hommes n'aiment pas se trouver en face de la vérité.

 

La vérité leur fait peur, pourquoi ? Parce que les hommes sont tout entier plongé dans les ténèbres et la lumière de la vérité les épouvante. Que peuvent-ils faire alors ? Eh bien, ils veulent l'éteindre, mais la lumière ne peut pas être maîtrisée, elle ne peut même pas s'éclipser.

Jésus, la lumière du monde, la vérité, le chemin, la vie, devait disparaître car les hommes ne voulaient pas de cette vie-là. Ils ne voulaient pas de cette vérité. Ils préféraient leur vérité à eux, la vie illusoire qui germe quelques instants comme un feu follet sur leur égoïsme, sur leurs passions.

Et Jésus a dû affronter ce drame. Il s'est trouvé devant cette échéance et il n'a pas dévié d'une ligne. Mais lorsque Jésus apprenait le meurtre de Jean, déjà il enveloppait Jean dans sa résurrection, il l'emportait déjà avec lui au-delà de l'imaginable dans la lumière qui le transfigurait.

 

Mes frères, nous comprenons bien que notre sequela Christi est aussi une marche à la suite de Jean-Baptiste. Depuis l'origine, les moines ont découvert en lui le premier de leur lignée, non pas seulement parce que Jean vivait au désert dans la pauvreté, la frugalité, la chasteté, mais surtout parce que saisi par Dieu, il descendait jour après jour dans la mort. Il devenait, avec celui dont il était le précurseur, un seul esprit.

          Aujourd’hui, mes frères, notre tour est venu de nous dépouiller de tout, d’embrasser le rien qui est comme une mort. Regardons Saint Benoît, il nous invite à descendre des degrés jusqu’au jour où nous pouvons dire avec Jésus, avec Jean, avec Benoît, avec tous les vrais moines contemplatifs : je suis réduis à un rien et je ne sais pas, je ne sais plus.

Mes frères, ça ne doit pas nous effrayer, car ce rien, c'est le vêtement dans lequel se cache notre Dieu un et trine. Il est un rien parce que nous ne pouvons pas l'appréhender. Et nous ne pouvons entrer en communication avec lui que si nous acceptons nous-mêmes de devenir rien.

 

          Nous allons demander à Jean-Baptiste de nous faire don de sa fidélité à lui, de manière à ce que nous restions fermes jusqu'au bout. Oh, il peut y avoir des moments d'hésitation, des moments de passion, mais c'est dans la ligne de notre nature pécheresse. Cela ne doit pas nous faire désespérer du but à atteindre.

Non, c'est notre route à nous qui sommes, je le répète, des pécheurs. Nous demanderons donc à Jean-Baptiste de rester fidèle et ainsi il pourra déjà dès maintenant se reconnaître en nous et s'en féliciter.

 

                                                                                             Amen.

 

Homélie : Vigile de Saint Jean-Baptiste.                                   23.06.90

      A l’Eucharistie Vespérale.

 

Mes frères,

 

Si nous nous laissons emporter à la dérive sur le fleuve de nos pensées, nous en arriverons peut-être à vouloir gommer de l'Histoire le personnage de Jean-Baptiste. Nous n'en sommes pas encore là. Mais tout de même, à l'occasion de sa fête, c'est peut-être l'occasion de percer le mystère, de comprendre qui est ce Jean. Et pour cela, nous ne devons pas le séparer de son père Zacharie.

 

Nous savons que dans le monde Juif de l'époque - encore aujourd'hui pour les milieux très pieux - le fils est toujours désigné par le nom de son père. On dira : Jean, fils de Zébédée ; Pierre, fils de Jonas ; Jean, fils de Zacharie. Nous allons donc creuser leur nom, car - nous le savons - le nom est une parole, une prophétie qui délimite le destin d'une personne.

Mais cela ne signifie pas que cette personne soit prisonnière de son nom. Au contraire, le nom donné par Dieu est porteur du destin. Si bien que la personne est constamment, je ne dirais pas motivée, mais inspirée par le projet que Dieu a sur elle et sur l'ensemble du monde.

Nous allons voir que Jean et Zacharie condensent dans leur personne le plan de Dieu sur le monde depuis les origines. Ils ont été de leur vivant le sommet, la fine pointe de l'Histoire, rassemblant en eux deux, et le cosmos tout entier, et le rêve de Dieu sur le monde.

 

Zacharie signifie : le Seigneur se souvient ; et Jean signifie : le Seigneur fait grâce. Nous pouvons ajouter, entre parenthèses, qu’Elisabeth, la mère, signifie : le Seigneur l'a juré, le Seigneur l'a promis.

Le Seigneur n'a pas oublié son intention première, celle qui l'a décidé à se lancer dans l'aventure de la création. Dieu s'en souvient toujours. Il a fait au départ une promesse, et cette promesse, il ne l'a pas oubliée. Dieu est fidèle. Il n'a pas changé. Il n'a pas dévié. Il n'a pas reculé. Il ne recule jamais en dépit des apparences.

Maintenant, l'intention de Dieu est annoncée, exprimée par la présence et la personne de Jean. Dieu veut combler de sa grâce l'homme et la création. Il désire les rendre beaux de sa beauté, lumineux de sa lumière. Il entend faire de l'homme et du cosmos le resplendissement de l'amour qu'il est.

Le moment était donc venu où ce projet devait se matérialiser, prendre corps. Dieu lui-même allait devenir chair, homme, matière. Et du même coup, l'homme et l'univers allaient être introduits en Dieu.

Jean, fils de Zacharie, était donc la grâce, le fruit de la mémoire et de la fidélité de Dieu. Il était - ne le séparons encore jamais de son père - il était avec son père l'humanité entière, le cosmos dans sa totalité prêt à recevoir le don extraordinaire de la divinisation, de la métamorphose, de la transfiguration en Dieu.

En ce binôme Jean-Zacharie, l'Histoire ne pouvait aller ni plus loin, ni plus haut. En lui elle s'achevait pour basculer d'un coup dans la nouveauté absolue. Cette nouveauté - je le rappelle - c'est Dieu devenu homme, Dieu prenant de l'intérieur la création entière et l'introduisant jusqu'au cœur de la Trinité.

         

Mes frères, Jean est donc une charnière. Si bien que personne n'a été et ne sera jamais si grand que lui. Vous savez que la Tradition monastique, depuis le début, a vu dans Jean le Baptiste le précurseur de la vie monastique. Non seulement parce qu'il vivait dans le désert, qu'il menait une vie simple, extrêmement frugale, qu'il était totalement axé sur Dieu et son Royaume, mais aussi parce que dans la personne de Jean l'Histoire arrivait à son accomplissement et elle était prête à accueillir Dieu, elle l'accueillait. Et, je le répète, du même coup elle entrait dans l'univers de Dieu pour jamais.

Mes frères, c'est là le but suprême de la vie monastique, de notre vocation. C'est d'être des hommes qui sont à la fine pointe de l'Histoire et qui accueillent ce don merveilleux de la vie divine. Certes, ce don est remis aujourd'hui à tout homme, à tout chrétien d'abord. Mais le moine, lui, il le sait, il le voit, et il n'a d'autre occupation que de faire fructifier cette grâce jusqu'à être en sa personne une cellule divinisée du cosmos. Si bien que il n'est plus une charnière, mais il est un canal à travers lequel la vie divine peut s'engouffrer et se répandre partout.

En cette fête de Saint Jean-Baptiste, rappelons-nous ces merveilles voulues par Dieu, rappelons-nous la grâce qui nous est confiée, la mission qui est la nôtre. Et ensemble, demandons de pouvoir y être fidèles jusqu'au bout.

                                                                                                             Amen.

 

Homélie : Fête de Saint Jean-Baptiste.                                       23.06.92

      Eucharistie vespérale.

 

Mes frères,

 

Nous venons d'entendre une parole que j'estime merveilleuse. C'est la toute dernière : Préparer au Seigneur un peuple capable de l'accueillir. Eh bien, mes frères, ce que Dieu visait par le ministère de Jean-Baptiste, à savoir préparer Israël à l'accueillir quand il viendrait dans une chair d'homme, Dieu le projette pour chacun d'entre nous. Il est bon de nous le rappeler aujourd'hui.

Il veut en effet, comme l'a dit une sainte carmélite, que nous lui soyons chacun une humanité de surcroît. C'est parfaitement dit et c'est parfaitement juste. C'est cela le projet de Dieu : que ce ne soit plus nous qui vivions, mais que ce soit lui qui vive non seulement dans notre cœur, mais aussi dans notre esprit et dans notre corps tout entier.

Nous devons donc accueillir Dieu en nous, Dieu qui désire faire de nous des images de ce qu'il est, à savoir : lumière, et amour, et compassion, et bonté. Et Dieu patiemment nous prépare à cet accueil.

 

Je pense que nous aurions été plus pressés que lui. Voyez, il vient annoncer à Zacharie qu'il aura un enfant, un garçon. Et voilà, il faudra donner le temps pour que d'abord cet enfant soit engendré, et puis qu'il grandisse et qu'il se développe. Il faudra pour cela des dizaines d'années, une trentaine d'années.

Voyons, mes frères, mesurons la patience de Dieu. Dieu a toujours bien le temps et nous, nous sommes toujours des gens pressés. Le signe que Dieu commence à vivre en nous, c'est quand à notre tour nous commençons à ne plus être précipités et à avoir le temps, que nous donnons aux choses, aux événements, aux personnes le temps de grandir et de mûrir.

Et voilà que Dieu ainsi patiemment nous prépare à l'accueillir. Cela ne va pas tout seul car nous sommes tellement bien chez nous que nous occupons toute la place. Et voilà, nous devons lui céder le meilleur de nous et finalement nous devons lui laisser tout de nous.

Il ne veut pas nous anéantir, non, il veut nous élever, nous introduire là où il est. Et il nous prépare par les prophètes qu'il nous envoie car, aujourd'hui encore, il envoie des prophètes, il envoie des anges, il envoie de nouveaux Jean-Baptiste. Et ces prophètes, ce sont les hommes qu'il place à nos côtés, ce sont les événements que nous avons à décrypter.

Il reprochait à ses compatriotes de savoir lire les signes des temps. Voilà, ils savaient s'il allait pleuvoir, s'il allait y avoir de l'orage, enfin quantité de choses, et les gens ne se trompaient pas. Mais voilà, pour les temps du Royaume, pour ceux-là, ils étaient aveugles.

 

Eh bien, mes frères, nous devons, nous, apprendre à décrypter les événements, à voir leur sens profond et à comprendre qu'à travers eux, une fois encore, Dieu nous prépare à l'accueillir. Ne l'oublions pas, ne sommes-nous pas tous des Jean-Baptiste les uns pour les autres ?

Mais si nous le croyons vraiment, alors nos relations mutuelles changent de couleur. Nous sommes pénétrés de respect devant les autres et nous sommes affamés de vérité. Les foules accouraient auprès de Jean pour apprendre de lui ce qu'elles étaient et, elles acceptaient bien simplement ce qu'il leur disait.

Et il en venait de tous les horizons, depuis des soldats jusqu'à des receveurs des contributions, jusqu'à des gens tout ordinaires. Et ils demandaient : qui sommes-nous ? Que devons-nous faire ? Et ils acceptaient ce que Jean leur disait et ils se plongeaient dans les eaux du fleuve pour se laver de leur péché.

 

Et nous-mêmes, mes frères, nous devons attendre des autres une parole de libération car seule la vérité nous donne la liberté. Et alors nous sommes heureux de savoir afin de mieux nous convertir. Etre prophète pour son frère n'est pas une mission facile. Il faut pour cela consentir à être un enfant qui ne sait pas parler.

Pourquoi ? Mais parce qu’alors seulement les paroles de Dieu sont placées dans notre bouche. Et si nous devons abattre, et arracher, et détruire, et démolir, c'est afin de pouvoir bâtir et de pouvoir planter.

Nous devons, comme Jean-Baptiste, naître du miracle, c'est à dire de l'humilité. Car le plus grand miracle vraiment, je le pense, pour un homme, c'est l'humilité, la propre humilité de Dieu qui le pénètre et qui le transfigure. A ce moment, il vient au monde, au monde de la création nouvelle, au monde de la beauté, au monde de l'amour, au monde de Dieu.

 

Et puis, nous ne devons jamais nous arroger des droits qui ne sont pas les nôtres. C'est cela l'humilité toute simple, savoir rester à sa place et attendre.

Et ainsi, mes frères, nous serons des prophètes les uns pour les autres par notre conduite, par notre être même, sans dire un mot. Le silence alors devient parole et devient prophétie la plus vraie, la plus juste et - sans le dire - la plus percutante et la plus efficace.

Alors, mes frères, en cette veille de Saint Jean-Baptiste, espérons et demandons cette grâce les uns pour les autres. Et puisse le Seigneur nous garder toujours pur  dans notre intention et éloigner de nous à jamais toute forme de perversité.

                                                                                               Amen.

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Homélie : Vigile de Saint Jean-Baptiste.                            23.06.94.

      Le Prince des contemplatifs.

 

Frères et sœurs dans le Christ,

 

            La mission, la vocation, la destinée de Jean le Baptiste était toute tracée, nous venons de l’entendre,...........................................................................dès avant sa naissance, dès avant sa conception. Il devait préparer au Seigneur un peuple capable de l’accueillir. Il s’agit bien sûr du Seigneur Jésus, Dieu parmi nous, Dieu qu’il fallait reconnaître, Dieu qu’il fallait accueillir.

            Mais n’était-ce pas trop, n’était-ce pas trop beau ? Dieu le pur, Dieu l’innocent sera donc toujours l’éternel naïf ? Il sait pourtant ce qu’il y a dans l’homme : du péché, de la peur, de la méfiance, du refus. Mais voilà, Dieu est Amour et il ne peut pas ne pas espérer jusqu’au bout.

            Et Jean, l’homme le plus grand que la terre ait jamais porté, Jean est par excellence le Prince des contemplatifs. Et il l’est, non pas parce qu’il vivait au désert et qu’il se nourrissait de deux fois rien ? Non, ce n’est pas pour cela.

            Il est le Prince des contemplatifs parce qu’il avait des yeux pas comme les autres. Jean avait des yeux capables de voir Dieu. Il a vu, il a reconnu, il a proclamé : c’est Lui ! Il a été témoin, il a été Apôtre. Sa mission était accomplie, achevée, réussie.

           

            Or nous, nous aurions imaginé quelque chose d’autre. Nous aurions imaginé un succès de foules comme on dit aujourd’hui. Mais non, Dieu a d’autres vues, d’autres chemins que nous et nous devons à la manière de Jean les adopter, les épouser.

            Il devait préparer un peuple capable d’accueillir le Seigneur. Et le peuple qu’il a préparé, c’était une paire de disciples, mais c’était suffisant. Et ce germe insignifiant allait éclater, emplir le monde, le saisir par le dedans, le projeter vers l’inouï d’une recréation, d’une divinisation jamais montée au cœur de l’homme.

            Dieu nous a appelés au monastère, il nous a appelés à la vie consacrée, il nous a appelés à la vie chrétienne pour nous donner des yeux semblables à ceux de Jean, des yeux pour contempler la divinisation du cosmos en voie d’accomplissement, pour admirer sans fin la lumière qui irradie partout, qui irradie sur nous, qui irradie sur notre visage ; lumière que nous devons réverbérer par notre conduite, par nos paroles, par nos pensées, par nos jugements qui doivent être tous porteurs de cette lumière ; des yeux pour faire de nous des prophètes.

 

            Frères et sœurs, les successeurs de Jean Baptiste, c’est nous. Alors, laissons l’Esprit Saint nous transfigurer et chanter par nous la beauté de notre Dieu, la beauté de notre Christ.

            Ainsi, prophètes de la beauté, prophètes de la lumière, prophètes de l’amour, nous accomplirons notre mission à la suite de Jean. Il a été, il est toujours, il est pour jamais le plus grand de tous les hommes que la terre ait jamais porté, que la terre ait jamais produit.

            Eh bien, à côté de lui, derrière lui dans son sillage nous serons aussi grands. O, non pas grands aux yeux des hommes - les hommes ont des yeux de taupe qui ne peuvent pas voir - mais aux yeux de Dieu et aux yeux de ceux qui reçoivent la grâce extraordinaire d’un regard comme celui de Jean.

 

            Voilà ce que nous allons demander les uns pour les autres au cours de cette Eucharistie, celle d’aujourd’hui et celle de demain. Et nous savons que Dieu attend notre prière afin de pouvoir l’exaucer.

                                                                                       Amen.

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Homélie : Vigile des Apôtres St Pierre et Paul. 28.06.83

      Mieux comprendre l’agir de Dieu.

 

Nous pouvons nous demander, mes frères, ce que les Apôtres Pierre et Paul nous apportent aujourd'hui pour le concret de notre vie chrétienne et monastique. Il y a certes leur foi scellée par le témoignage de leur martyr. Il y a leur enseignement caché dans leurs prédications et leurs écrits. Il y a leur sainteté conquise sur une nature difficile. Mais, à mon avis, il y a peut-être aussi et surtout une lumière sur Dieu, une lumière qui nous permet de mieux comprendre Dieu et son agir déconcertant.

 

Je veux dire ceci : de nos jours, nous avons besoin d'une connaissance autre qu'intellectuelle ou cérébrale. Nous préférons voir Dieu à l'œuvre à l'intérieur d'existences qui dans le fond ne sont pas tellement différente de la nôtre, de manière à ce que nous puissions, saisissant Dieu sur le vif, nous adapter mieux à son agir, avoir des réactions plus saines, plus spontanées, plus vraies.

En Pierre et Paul nous remarquons que Dieu n'a aucun a priori. Il prend ce qu'il trouve. Il se sert de ce qu'il a sous la main. D'un pêcheur sans culture spéciale, il fait le fondement d'un peuple nouveau. D'un persécuteur rabique, il fait le héraut de son message et un amant passionné de sa personne.

D'un Pierre timoré et fuyard, il fait le pasteur de son troupeau. Tandis que d'un Paul intrépide et bagarreur, il fait un père aux entrailles bouleversées de tendresse. Mais comment s'y prend-il pour obtenir de tels résultats ? C'est tout simple. Il les a rendus l'un et l'autre fou du Christ, le Christ par lequel il réalise un projet dont la beauté nous étonne et nous séduit encore aujourd'hui.

 

Il a vidé le cœur de ces deux hommes afin d'en occuper toute la place. Si bien qu'il pouvait tout leur demander. Il pouvait tout faire avec eux. Il n'a en aucune façon violenté leur caractère, leur tempérament. Non, mais il en a mobilisé les énergies pour son amour et pour son œuvre.

Mes frères, laissons-nous à notre tour séduire par la beauté qui brille sur le visage de notre Christ ressuscité. Ce n'est rien moins que la beauté de Dieu.       Permettons à Dieu de vider aussi notre cœur de tout égoïsme pour que y règne en vainqueur uniquement l'amour. A ce moment-là, nous serons capables de faire pour notre Dieu, pour notre Christ, de choses grandes et puissantes à la manière des Apôtres Pierre et Paul.

Mais encore une fois, permettons à Dieu de nous transfigurer, que ce ne soit plus nous qui vivions, mais le Christ en nous. Je le répète, notre Dieu a réalisé ces prodiges avec des hommes tout simples, des hommes comme nous bourrés de défauts. Mais il en a extirpé tout ce qui était vicieux, tout ce qui était contraire à la Loi de l’Amour. Et ces hommes se sont laissés faire parce qu’ils étaient séduits par l’inimaginable beauté du Christ.

 

            Mes frères, voilà ce que Dieu attend de nous dans notre vie chrétienne, dans notre vie monastique. Et à tout instant du jour, il est à l’œuvre pour réaliser ce projet magnifique. Ne mettons aucun obstacle à son travail.

                                                                                                    Amen.

 

Homélie :                                                                                          28.06.85

Messe vespérale des Saints Pierre et Paul.

 

Mes frères,

 

Nous venons d'entendre le Christ ressuscité poser à 3 reprises la même question à son Apôtre Pierre, celui qui allait être le rocher sur lequel il bâtirait l'Eglise, c'est à dire le rassemblement de tous les hommes qui un jour seraient auprès du Christ dans la gloire.

Il lui demande : Pierre, m'aimes-tu ? Et cette question, mes frères, il la pose à chacun d'entre nous bien plus de 3 fois. Et humblement nous répondons, mais avec une certaine crainte : Oui, Seigneur, tu sais que je t'aime.

 

Mes frères, à cette question est lié un fait dont nous devons prendre conscience, que nous ne devons jamais laisser sortir hors de notre attention : si nous aimons le Christ, nous serons un jour conduit là où nous ne voudrions jamais aller. Il nous sera demandé de descendre avec le Christ dans son tombeau, dans cet endroit dont on ne revient plus jamais. Et c'est à l'intérieur de ce tombeau que le Christ ressuscité se révèlera à l'œil de notre cœur. Car dans ce tombeau, il y a le linceul, il y a une lumière.

Mes frères, je vous disais dernièrement que nous vivions dans un monde clos et que, à côté de ce monde, le portant, le pénétrant, il y avait un autre univers, l'univers de notre Dieu, là où le Christ ressuscité règne avec les anges et les saints. Cet univers, pour nous mes frères, il est déjà présent à l'intérieur de notre tombeau.

Le monde est notre tombeau. Et pour nous qui avons choisi de répondre à l'appel du Christ, ce tombeau, c'est notre obéissance, c'est la volonté de notre Dieu. C'est là que nous sommes étendus, nous laissant faire, nous laissant emporter, nous laissant transfigurer.

 

Mes frères, l'Apôtre Paul a fait cette expérience lui aussi. Il a été jeté à bas de sa suffisance. Il était tellement sûr de lui. Et en un instant il est devenu aveugle et il est littéralement tombé mort. Et ce qui l'avait aveuglé, c'était encore une fois cette lumière du tombeau. Dès cet instant, une certitude est entrée en lui que jamais personne n'a pu lui enlever, qu'aucun événement n'a pu ébranler : il avait vu le Christ ressuscité. Il le dit : mon Evangile, je ne l'ai pas reçu d'un homme, je l'ai reçu par une révélation du Christ. C'est à dire - comprenons bien ­- parce que j'ai vu de mes yeux le Christ lui-même.

 

Mes frères, l'expérience de l'Apôtre Paul est celle à laquelle nous sommes invités, nous. Le contemplatif est un homme dont les yeux s'ouvrent et auquel il est donné de contempler à son tour la lumière du Christ ressuscité. C'est une lumière obscure. C'est un rayon de ténèbres, mais qui est pour le moine une évidence absolue qu'aucun ciel de plomb ne pourra jamais ébranler.

Mes frères, la fête des Saints Apôtres Pierre et Paul nous ramène donc au pied de notre vocation de chrétien et de notre vocation monastique. Nous sommes remis face à l'essentiel. Nous ne nous appartenons plus. Nous devons suivre le Christ partout où il nous conduit. Mais nous savons qu’à l'issue de ce voyage, de cet exode il y a l'entrée dans le lieu où lui-même se trouve, où il nous attend, où il nous a préparé une place, et où déjà, si nous sommes fidèles, si nous sommes généreux, nous sommes déjà présents.

Voilà mes frères, c'est la consolation - appelons cela ainsi - que nous emporterons au cours de cette journée qui commence déjà maintenant en cette messe vespérale. Nous la porterons non seulement un jour mais tous les jours de notre vie pour nous-mêmes et pour tous les hommes nos frères.

 

                                                                                                   Amen.

 

 

Homélie : Vigile des Saints Pierre et Paul.                        28.06.86

      Suis-moi !

 

Mes frères,

 

Le récit Evangélique que nous venons d'entendre, un des plus beaux et des plus mystérieux qui soit, s'achève sur une injonction adressée par Jésus à son disciple Pierre : Suis-moi ! Et Pierre a suivi. Il ne savait pas ce qu'il faisait. Dès cet instant, il ne s'appartenait plus. Il devenait le bien de son Seigneur qui lui demanderait tout au nom de l'amour que Pierre avait professé.

Mes frères, dans le monde à venir, les hommes vierges de tout péché suivent l'Agneau partout où il va. C'est leur occupation d'éternité. Pierre, en suivant le Christ de suite, a inauguré ce qui serait son bonheur pour jamais. Son voyage a duré longtemps. Il a passé par bien des chemins jusqu'à l'indispensable croix. Mais Pierre a toujours suivi.

Mes frères, suivre le Christ, devenir un seul esprit avec lui, c'est cela la félicité éternelle. Et elle est à notre disposition dès maintenant. Nous l'avons compris, nous qui avons un jour rencontré le Christ sur notre route. Comme l'Apôtre Paul, nous avons été aveuglés, terrassés, retournés, domptés. Et maintenant, après pour certains d'entre nous bien des années, nous savons que nous avions été mis à part dès le sein de notre mère pour une mission qui se révèlerait à nous heure par heure, mission qui serait notre fardeau et notre bonheur.

Il faut toujours, mes frères, revenir à ce bonheur qu'il y a d'appartenir au Christ.  Et nous marchons ainsi à la suite du Christ sur la via oboedientiae, sur la fameuse route de l'obéissance. Et si nous avons une foi bien éveillée, nous ne claudiquons pas. Nous ne sommes plus des estropiés. Nous sommes fermes sur nos jambes et il nous arrive parfois de pouvoir courir. Nous sommes liés au Christ par l'amour et déjà vêtus de sa lumière.

Mes frères, notre vie chrétienne et surtout notre vie monastique, elle est tellement belle. Demandons au Christ de nous donner un regard pur, des yeux qui peuvent voir ce qui nous est demandé et ce qui nous est donné. Car le don de Dieu à notre personne est inclus dans la demande qu'il nous adresse. Et toujours lui répondre oui, c'est accueillir en soi le meilleur de ce que Dieu est.

Mes frères, en chacun d'entre nous brûle l'esprit de Pierre et de Paul. Sans eux, il n'y aurait pas d'Eglise et nous ne serions pas ici. Leur expérience sera nourriture pour les hommes de tous les temps. Qu'elle soit notre nourriture à chacun d'entre nous aujourd'hui, nous qui suivons le Christ, nous qui sommes embarqués dans une sequela Christi ardente et fidèle.

 

O je sais, ce n'est pas la fête tous les jours. Ce ne fut pas la fête tous les jours ni pour Pierre, ni pour Paul. Mais il ne s’agit pas ici de fête humaine. Il s’agit de la grande solennité de Dieu, que notre cœur comprend, et à laquelle notre cœur vibre déjà. Mes frères, recevoir en soi déjà maintenant la plénitude de la joie, la plénitude de la paix, c'est notre sort si nous consentons à ne faire qu'un avec la volonté de notre Dieu ainsi que l'ont fait Pierre et Paul.

Et maintenant, je vais clôturer sur une exclamation qui, je suis certain, est au cœur de chacun d'entre nous : Je sais à qui j'ai donné ma foi. Et Lui, le Christ mon Dieu, il sait que je l'aime.­

                                                                               Amen.

 

 

Homélie : Vigile des Saints Pierre et Paul.       28.06.88

Ac. 3,1-10 * GaI. 1-11-20 * Jn. 21,15-19.

 

Mes frères,

 

Le Seigneur Jésus est l'homme des folles audaces, le champion des paris insensés. Il voulait se construire une Eglise qui serait son Corps, qui participerait à sa vie, à son bonheur. Et au terme de l'Histoire, cette Eglise rassemblerait tous les hommes dans l'unité d'un même amour, tous les hommes transfigurés, divinisés.

Pour mener à bien cette entreprise, il lui fallait trouver deux éléments : une fondation sur laquelle poser l'édifice et un ciment pour solidifier l'ensemble.

Le premier élément, il est allé le chercher là où personne n'aurait posé ce regard. Il choisit un homme de rien, un impulsif vite gonflé, encore plus vite dégonflé. Mais cet homme a tout de même une qualité : il a un cœur, un cœur immense, un cœur qui sait écouter. Le nom de cet homme est Simon, ce qui signifie précisément : celui qui sait écouter. Et ce cœur, Jésus pourra le vider, le nettoyer, puis l'emplir des trésors d'une science nouvelle : la Science du paradoxe, la Science du scandale, la Science de la croix.

Et lorsqu'au terme de son aventure terrestre Jésus lui demandera à trois reprises: Pierre, m'aimes-tu ? Cet homme, ce Simon devenu Pierre répondra: Seigneur, je t'aime, tu le sais ! Et sur cet indéfectible amour, cet amour toujours vivant dans un homme toujours aussi faible, mais dans un homme fortifié par la puissance de son Sauveur, sur cet homme, le Christ pourra construire. Simon devenu Pierre sera le roc, le roc concave capable de tout porter.

 

Et le second élément est tout autre. C'est une tête, c'est un cerveau froid, un Rabbin fanatique, un persécuteur rabique. Il ne recule devant rien pour défendre ses idées, devant rien. Quand il s'agit de détruire, il ne recule même pas devant le meurtre. Et voici que Jésus capture à l'improviste ce loup benjaminite, et il l'introduit dans sa bergerie au milieu des brebis et des agneaux.

Dans un premier réflexe, c'est la peur, puis vient la surprise, et ensuite l'émerveillement. Saul est devenu son nom, c'est à dire celui qu'on désire, celui qu'on attend, celui qu'on demande. Il est partout. Il a réponse à tout. Il dynamise, il soulève, il rassemble, il unit. Si bien que sur la pierre choisie et posée par le Christ, la construction s'élève, elle s'étend défiant les tempêtes, dominant les siècles.

Et c'est ainsi que Pierre et Paul sont désormais unis, inséparables pour l'éternité.

 

Mes frères, telle est la Sagesse de notre Dieu, folie pour le monde mais imitation pour nous. Faisons-là nôtre, c'est à dire abandonnons-nous à elle. Il nous a tirés de tous les milieux. Qui sommes-nous, sinon des êtres pécheurs, bourrés de passions comme tous les autres hommes ?

Et à partir de là, il va, lui notre Dieu, lui notre Christ, il va s'efforcer de fabriquer des saints, c'est à dire des hommes vidés d'eux-mêmes, totalement dépossédés mais emplis de l'Esprit, des hommes qui voient la Lumière, qui la rayonnent, et qui peuvent tout oser parce que, une nouvelle fois, c'est le Christ qui ose en eux.

Mes frères, tel est le destin de tous les chrétiens. N'allons pas penser qu'il se situe trop haut. Oh non, c'est pour Dieu une chose toute naturelle. Rappelons-nous de ce qu'il a fait de Simon devenu Pierre, ce qu'il a fait de Saul devenu Paul. Que ne fera-t-il pas de nous à condition que nous soyons dociles sous sa main et fidèles à sa volonté ? Mes frères, que cette Sagesse étonnante de notre Dieu soit toujours salut, notre sécurité et notre paix.                                                                                                                                                                             

                                                                                                  Amen.

 

Homélie : Vigile des Saints Pierre et Paul.       28.06.89

 

Mes frères,

 

Remarquons que la toute dernière parole attribuée par les Evangélistes au Seigneur Jésus est celle-ci : Suis-moi ! Cette parole est adressée à Pierre et à travers lui aux autres apôtres, à l'Eglise entière, à chacun d'entre nous. Il s'agit d'une sequela, d'une marche à la suite du Christ qui embrasse notre existence entière et s'attache à tous les détails de la vie de Jésus.

Il ne s'agit donc plus de suivre nos inclinations naturelles mais d'épouser une motion qui vient, de l'extérieur, d'entrer dans un souffle qui est la respiration de Dieu et de suivre. Dans la pratique, cela signifie que nous renonçons à nous-mêmes et que nous faisons à Dieu le don de notre vie.

Notre conduite sera donc, comme celle du Christ, toute imprégnée de compassion et de douceur. Il n'est rien de plus contraire à l’esprit chrétien que la dureté. Là où nous rencontrons la dureté, là Dieu est absent. Cela signifie aussi un témoignage donné à la vérité.

 

Vous savez que le Christ a dit devant Pilate qu'il était venu pour rendre témoignage à la vérité. Nous devons nous aussi être toujours des hommes véridiques, des hommes droits, des hommes qui n'ont pas une face publique et un visage intérieur différent. Nous devons par tout notre être, être en toute circonstance des témoins de la vérité, de notre Christ qui est le chemin, la vérité, la vie.

Cela signifie aussi le don de notre vie à tous sans distinction, aux amis et aux ennemis. Nous n'avons pas d'ennemis, mais il y en a pour qui nous sommes des ennemis. Pour nous, nous ne faisons pas de différence. Tous nos hommes sont nos amis comme tous les hommes sont les amis de Dieu, comme tous les hommes ont été sauvés par le Christ.

Cela signifie encore une certitude qui est chevillée à l'intérieur de notre cœur, la certitude de notre transfiguration et de notre résurrection qui sont déjà toutes deux en train de s'accomplir. Cela signifie, mes frères, la certitude d'une victoire absolue sur toutes les formes de mort. Celui qui aime possède la vie éternelle.

 

C'est à cette condition qu'on mérite le nom de chrétien. En dehors de cela, mes frères, ce n'est que jeux puérils et infantilisants. Il suffit de regarder vivre les Apôtres Pierre et Paul pour comprendre ce qui nous est demandé. Pierre n'hésite pas dans sa foi. Le récit que nous venons d'entendre nous le rappelle. Il obtient l'impossible. Et plus tard, sa foi lui permettra de traverser le martyre. Il aura suivit le Christ jusqu'au bout.

Quant à Paul, il vit une Pâque continue. Il passe sans arrêt de conversion en conversion - la sienne bien entendu! - jusqu'à disparaître à l'intérieur du Christ follement aimé et ne plus faire avec lui qu'un seul esprit. L'Apôtre Paul est un homme d'une seule parole. Il vient de nous dire que pendant tout un temps, de bonne foi, il a suivi ce que son cœur lui inspirait jusqu'au jour où la lumière du Christ l'a jeté par terre. Et lorsqu'il s'est relevé, il était entré dans l'uni vers de la lumière, et il le savait.

Mais ce ni était pas fini. C'était le début de sa conversion et il devait lui aussi aller jusqu'au bout, c'est à dire jusqu'au don total de sa vie dans le martyre. L'un et l'autre étaient portés par l'amour et c'est ainsi qu'ils sont devenus des lumières pour toutes les générations de croyants.

 

N'oublions jamais, mes frères, que notre vie monastique est par excellence une sequela Christi, une marche fidèle à la suite du Christ. Je le rappelle, non pas à la suite de nos idées, non pas à la suite d'une idole qui s'appellerait Christ, mais à la suite du Seigneur Jésus ressuscité d'entre les morts. Nous ne sommes pas venus au monastère pour y faire carrière à l'abri des aléas du monde. Nous y sommes venus pour mourir à notre égoïsme et apprendre la science merveilleuse de l'amour.

Mes frères, confions-nous à ces deux géants que furent Pierre et Paul. Demandons-leur de nous accorder la grâce qui leur a été si largement départie : nous attacher à la Personne du Christ Jésus par une obéissance de plus en plus fidèle. Ainsi nous connaîtrons nous aussi la joie et la paix, la paix qui habitait le cœur du Christ, la joie qui emplissait tout son être.

Et ainsi nous réaliserons l'épanouissement de toute notre personne déjà ici sur terre, mais alors parfaitement dans le monde à venir qui nous est largement ouvert.

                                                                                                 Amen.

 

Homélie : Vigile des Saints Pierre & Paul.                                28.06.96

      Etre les témoins de la vérité !

 

Mes frères, ma sœur,

 

            La fête des Saints Apôtres Pierre et Paul, si nous voulons nous ouvrir à son mystère, nous introduit à nouveau dans la vérité tout entière. Cette vérité, reconnaissons-le, nous nous y accoutumons, nous en dévions, nous l’oublions peut-être ? Son caractère révolutionnaire s’estompe. Cette vérité se banalise. Nous la renions dans les faits.

            Pourtant, elle est le portrait magnifique de la vie. Elle est la vie elle-même dans sa rayonnante beauté. Notre ascèse ne consisterait-elle pas à revenir toujours à elle ? A constamment nous resituer dans son axe très pur ?

 

            Pierre et Paul sont les témoins de cette vérité, témoins jusqu’à la mort sanglante. C’est leur témoignage qui doit nourrir notre élan vital, qui doit fortifier notre assurance. Le chrétien est un homme qui est habité par une assurance absolue. Il est un homme qui sait où il va. Il sait aussi d’où il vient. Il est porté par un souffle qui l’habite et qui lui donne des possibilités qu’aucun autre homme ne peut recevoir.

            Pierre et Paul sont l’un et l’autre l’incarnation de cette vérité toute entière à laquelle nous avons été introduits et que si facilement nous quittons. Ils le sont aujourd’hui encore et pour jamais, ils en vivent pour l’éternité.

 

            Ce ne sont pas de belles figures d’Epinal que nous admirons. Non, ce sont des hommes vivants, ce sont nos frères, ce sont nos pères. C’est d’eux que nous dépendons, c’est d’eux que nous recevons la vie divine.

            Ils nous transmettent le flambeau de ce témoignage. Ils nous invitent à être à notre tour et à notre place les témoins de la vérité, l’incarnation de la vérité, car la vérité non incarnée n’est pas crédible.

 

            Mais quelle est cette vérité qui doit s’emparer de nous et nous métamorphoser ? Elle n’est pas un système de pensées, elle n’est pas une philosophie ou une sagesse, elle est une folie. Elle est la propre folie de Dieu versée à flots dans le cœur de ces deux hommes et, dans le nôtre si nous acceptons !

            Cette folie est un amour que je qualifierais volontiers de suicidaire, un amour déraisonnable, un amour qui ne capitule pas, qui ne recule pas, qui va toujours de l’avant, un amour qui triomphe absolument et définitivement sur une croix. Jésus signifiait à Pierre de quelle mort il devait mourir et Paul n’a voulu rien connaître que Jésus-Christ et Jésus crucifié.

 

            Frères et sœurs, osons-nous accueillir en nous ce paradoxe d’un Dieu crucifié, d’un Dieu réduit à la dernière indigence, d’un Dieu qui ne peut pas se défendre, d’un Dieu qui se laisse mettre à mort ? L’Evangile est un incendie. Il annonce cette folie qui est Dieu dans son être le plus secret. Allons-nous nous tenir à distance de ce brasier ? Ou bien, à la suite de Pierre et de Paul nous jeter en lui ?

 

            Etre témoin de cet incendie, de cette folie, c’est aimer sans mesure et sans fin. Aimer, c’est mourir et ressusciter comme le Christ et, avec lui devenir, à l’exemple de Pierre et de Paul, source intarissable de vie éternelle.

            Telle est, frères et sœurs, la vérité toute entière ! Telle est notre vocation, notre gloire et notre foi !

                                                                                       Amen.

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Homélie : Fête de la Dédicace.                  03.07.94.

      Nous sommes des pierres vivantes.

 

Frères et sœurs,

 

            L’anniversaire de la consécration de notre église nous ramène à plusieurs évidences, toutes polarisées par le terme d’une vie vers lequel nous nous élevons, à savoir notre translation en Dieu, notre epekthase finale, une joie sans limites.                                                                

 

            Nous comprendrons alors - nous le savons déjà aujourd’hui dans la pénombre de la foi - que le temple par excellence est le corps du Seigneur Jésus ressuscité. A l’intérieur de ce temple est incluse la plénitude de la divinité.

            Lorsque nous le contemplons, lorsque nous le touchons, lorsque nous le recevons en nous, nous accueillons notre futur, nous accueillons notre destinée : devenir pour lui à notre tour un temple et être pour l’éternité le rayonnement de ce qu’est Dieu.

            Le temple qu’est le corps du Christ ressuscité est l’Eglise unique dont nos églises de pierre sont la modeste image. C’est vers cette église que nous devons diriger nos cœurs. C’est en elle - comme je viens de le dire - que s’accomplit notre destinée. Elle est le lieu de notre résurrection et notre demeure éternelle.

 

            Nous pouvons aller plus loin et affirmer que chacun de nous est un temple dans la mesure où notre cœur est habité par l’Esprit Saint qui est Amour. Quand nous sommes réunis à l’intérieur de ces murs-ci, tous ensemble nous formons une Eglise dont la tête est le Seigneur ressuscité et dont la respiration est l’Esprit de sainteté.

            Il ne peut y avoir de dissensions entre nous. Nous sommes tous unis par un même ciment : la charité ; nous sommes tous élevés par un même aimant : la foi ; nous sommes tous ensevelis dans un même baptême et une même espérance.

            Nous nous recevons les uns des autres et nous nous donnons les uns aux autres. Nous formons un corps animé d’une même vie divine et nous anticipons l’église de demain, la Jérusalem nouvelle resplendissante de lumière et joyaux de pureté.

 

            N’oublions jamais cette parole du Christ, elle est à prendre au sérieux : « A ceci on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, que vous êtes les membres de mon corps, que vous êtes des personnes vraies, si vous avez de l’amour les uns pour les autres ».

            Telle est notre carte d’identité : l’amour qui nous habite. S’il n’y a pas d’amour en nous, si cet amour est frelaté, attention ! Nous sommes alors ou nous devenons peu à peu des étrangers à nous-mêmes en devenant étrangers à l’Amour.

 

            Pourvu qu’il n’en soit jamais ainsi mais que toujours lorsque on nous voit, qu’on puisse reconnaître à notre regard, à l’intérieur de notre parole notre véritable identité de chrétien, c’est à dire des hommes qui sont habités par l’Esprit, des temples de l’Esprit Saint qui nous unit les uns aux autres et nous permet de respirer la vie divine.

            Notre église de pierre et de bois est donc infiniment plus qu’un lieu de culte. Elle nous accueille et nous dit qui nous sommes. Je le répète, nous sommes les pierres vivantes d’un temple qui n’est pas fait de mains d’hommes, des ressuscités ayant vaincus la mort.

            C’est pourquoi notre église doit être belle et sainte, elle doit être spacieuse et rassurante. Elle doit être solide aussi comme l’éternité à laquelle nous sommes promis. Elle nous emporte plus loin qu’elle au-delà de toute mort jusqu’au cœur de la Trinité.

            L’humanité toute entière - oui, élargissons notre regard - l’humanité toute entière est mystiquement rassemblée entre ces murs-ci. Notre église nous dévoile ainsi toute l’amplitude de son mystère.

 

            Frères et sœurs, permettons à la grâce de Dieu en ce jour de nous intégrer pour jamais à ce mystère et ainsi, notre sacrifice, celui que nous allons offrir, le sacrifice du Seigneur, le nôtre, que nous renouvelons jour après jour, instant par instant, ce grand sacrifice unique permettra à tous les hommes d’accomplir malgré tout leur destin et de se retrouver un jour tous ensemble réunis dans ce temple immense qu’est le cœur de notre Dieu.

                                                                                                                                     Amen.

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Homélie : Vigile de la dédicace. [3]                 06.07.96

      Ainsi par votre amour le fîmes !

 

 

Mes frères,

 

            Lorsque vous avez voulu définir l’esprit dans lequel nous avons ensemble, chacun à notre place, œuvré à la construction de ce temple, vous avez choisi de sceller dans le mur de l’église une pierre portant cette sentence : Ainsi par votre amour le fîmes.

 

            Oui, c’est bien vrai ! La construction de cette église, si elle a été un travail d’homme, elle fut d’abord et surtout l’œuvre de Dieu. Nous avons permis à Dieu de travailler à travers nous. Nous avons mis à sa disposition notre cœur, notre intelligence, nos mains de manière à travailler pour lui et sous son inspiration, jour après jour pendant deux années.

            Nous avons utilisé le projet de Dieu jusque dans les moindres détails. Et vous savez qu’il fut bien des jours où c’est durant le sommeil, durant la nuit, que nous était infusé la solution du problème qui se posait devant nous, une énigme qu’il fallait résoudre et que Dieu nous proposait. Ainsi, nous avons été avec lui créateurs d’une œuvre de beauté.

 

            Oui, cette église est le fruit de l’amour qu’est notre Dieu. Aussi est-elle une bénédiction, une grâce pour tous ceux qui la visitent. Une ambiance l’habite, mieux encore une présence l’habite. Si bien que personne ne sort indemne d’une visite à notre église.

            Nous la fîmes par votre amour parce que nous vous aimons, Seigneur ! Nous nous sommes voués corps et âme à cette tâche parce que nous aimons notre Dieu. Nous sommes des êtres fragiles, faibles, mais il voit le fond de notre cœur et il est amour. Il sait que nous l’aimons, petitement parfois mais vraiment et, cette église en est la preuve.

            Cette église est une confession et, il est légitime de dire : Celui qui se sera prononcé pour moi devant les hommes, moi aussi je me prononcerai pour lui devant mon Père qui est aux cieux.

 

            Eh bien, mes frères, en construisant cette église, nous nous sommes prononcés pour lui. Et maintenant, elle s’élève grande, spacieuse, simple, belle, mystérieuse aussi. Elle chante notre amour du Créateur ; elle chante notre confiance en notre Christ Rédempteur ; elle chante notre repentance pour les fautes qui nous échappent. Elle est notre offrande, celle du meilleur de nous-mêmes, celle de notre vie dans ses profondeurs. Elle est l’offrande de notre présent, elle est l’offrande de notre avenir.

            Nous voulons faire de notre cœur un temple où Dieu soit chez lui, un lieu qu’il pourra orner de mille et une beautés, un lieu où chacun se sentira accueilli, respecté, estimé, aimé.

 

            Il faut, mes frères, que notre cœur n’ait pas de barrière, il faut qu’il soit ouvert comme cette église car il est lui-même un sanctuaire où Dieu peut vivre. Oui, il f          ut qu’il soit ouvert à nos proches et même à tous les hommes. Il faut qu’en nous rencontrant, ils sentent intuitivement que nous sommes les fruits d’un mystère, d’un mystère qui est l’amour, d’un mystère qui nous a donné d’ériger et d’embellir ce sanctuaire de pierre et de bois.

 

            Oui, tous ensemble nous serons une Eglise, une Eglise vivante, promise à une existence d’éternité. Et chacun de nous sera à sa place une pierre, une pierre parfaitement ajustée aux autres, une pierre qui rehaussera la beauté de la totalité de ce temple dont la tête, ne l’oublions pas, est le Seigneur Jésus ressuscité des morts.

 

            Frères et sœurs, notre foi doit s’ouvrir à cette vision d’espérance. Nous allons rester sur elle et, puisse-t-elle nous habiter toujours !

                                                                                                Amen.

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Homélie : Fête de la Dédicace.                  07.07.96*

      Devenir des pierres vivantes !

 

Frères et sœurs,

 

            Le Seigneur nous a rassemblés ce dimanche dans sa maison, autour de son autel, afin que nous puissions en célébrer dans l’action de grâces et la reconnaissance l’anniversaire de sa consécration.

            Dans l’action de grâces, oui, car nous sommes devant un événement extraordinaire. Un édifice de pierre et de bois élevé à travers une longue patience, avec un soin de chaque instant, au creux d’une foi toujours en éveil, est devenu par vertu de l’Esprit Saint la demeure de Dieu trois fois saint.

 

            Nous sommes ici chez Dieu, quasiment dans son cœur, au creux de son amour ; et nous sommes aussi chez nous. Car depuis que Dieu est devenu homme, il n’y a plus de frontière entre lui et nous. Il nous accueille chez lui comme nous l’avons accueilli chez nous.

            Ma maison, est-il dit par le Prophète, sera appelée maison de prières pour tous les peuples. Tous les hommes, sans distinction, sont ici chez eux. Ils doivent le savoir, ils doivent le sentir.

            Ils doivent découvrir en ce lieu sacré une paix qu’ils ne connaissaient pas et retourner à leurs occupations avec un sentiment nouveau, avec un cœur rasséréné, un cœur plus ouvert aux grâces que le Seigneur leur distribue à travers les imprévus de la vie.

 

            Alors, frères et sœurs, soyons aujourd’hui dans la joie et que cette joie soit contagieuse. Autrefois aux jours, aux siècles de grande foi, c’était la kermesse jusque dans les rues. Oui, mes frères, la Dédicace, c’est cela, c’est une fête. Est-ce que nous le réalisons pleinement ? Nous sommes sollicités par tant de choses futiles et nous risquons de passer à côté de l’essentiel. Nos yeux sont distraits par tant de choses qui les séduisent et, ils ne s’attardent plus sur la beauté de Dieu présent parmi eux dans cet édifice, présent dans leur cœur.

 

            C’est pourquoi, cet anniversaire de Dédicace doit être également un jour de repentance. Que faisons-nous de la grâce qui nous est proposée : notre désir de conversion définitive totale et sincère ? Mais nous sommes si faibles, si versatiles, si instables. Alors, ce sont des pécheurs qui viennent chez Dieu.

            Oui, des pécheurs qui savent que Dieu dans le Christ a pris sur lui tous les péchés pour les engloutir à jamais dans le brasier de l’amour qu’il est et faire du pécheur un saint. Car c’est à cela que nous sommes appelés. N’ayons pas peur de ce mot ! Ne l’évacuons pas !

 

            Le saint est un homme séparé de tout ce qui n’est pas amour et lumière ; c’est un homme délivré de tout égoïsme, un homme qui a un regard à l’intérieur duquel chacun peut se sentir accueilli, un regard qui est une fenêtre à travers laquelle l’Esprit de Dieu peut regarder, l’Esprit de Dieu peut rassurer, l’Esprit de Dieu peut sanctifier.

 

            C’est ainsi, frères et sœurs, que chacun d’entre nous peut devenir, et doit devenir un sanctuaire de Dieu, le seul sanctuaire promis à une existence éternelle, réplique du temple qu’est le corps du Christ ressuscité.

            L’Apôtre vient de nous le dire, le temple dont il parlait, c’était son corps, un corps qui aujourd’hui est devenu la tête d’un corps plus immense encore qui, petit à petit, regroupe tous les hommes.

            Cette maison de pierres nous crie ce que nous sommes : des temples vivants où nous pouvons rencontrer Dieu à toute heure. Quand nous le voulons, où que nous soyons, nous le rencontrons au plus profond de nous-mêmes et, nous pouvons devenir avec lui un seul être, un seul souffle, une seule vie, un seul amour.

 

             Comme il vient de nous être rappelé, nous devons être des pierres vivantes, des pierres taillées, polies, embellies avec amour par Dieu lui-même. Et chaque pierre est unique en son genre, chacune est un chef d’œuvre de beauté ; chacune est placée dans l’édifice à un endroit prévu pour elle et, elle s’ajuste parfaitement aux autres pierres. Si une seule manquait, l’édifice, le temple, le sanctuaire serait déparé. Chacune est en harmonie avec l’ensemble.

 

            Oui, frères et sœurs, nous sommes des pierres vivantes. Ce qui nous fait agir, ce qui doit nous faire agir, ce ne sont pas nos intérêts, ce ne sont pas nos convoitises ni nos passions, c’est l’Esprit de Dieu dont nous sommes le réceptacle ; pouvoir devenir sous son emprise des êtres de souplesse, des êtres d’ouverture, des êtres d’accueil et de don.

            Alors, nous serons de véritables chrétiens, nous serons des hommes accomplis qui ne sont plus des esclaves, mais qui sont parfaitement libres d’aimer. Et ainsi, un immense temple spirituel s’édifie animé par cet Esprit du Christ, un temple rempli de louanges, de joie, de paix, un temple rayonnant la lumière et l’amour.

            Comme ce serait beau s’il pouvait en être ainsi de chacun d’entre nous, s’il pouvait en être ainsi de chaque chrétien ! Oui, n’allons pas nous imaginer que ce sont là des vues utopiques, car c’est là le projet même de Dieu. Et, il attend que nous l’épousions et que nous nous laissions refaçonner par lui.

 

            Frères et sœurs, nous devons ainsi nous aimer, nous respecter, nous admirer les uns les autres ici, en cet instant, en ce lieu et toujours. Telles sont les merveilles que nous chante notre église en ce jour anniversaire. Ne craignons pas de la fréquenter souvent, cette église !

            Les courants telluriques puissants qui la traversent en tout sens ont été sacralisés le jour de la consécration. Ils sont devenus porteurs d’énergies spirituelles auxquelles nous pouvons nous exposer, des énergies qui nous guérissent, qui nous forment une autre sensibilité, une autre vision, qui nous donnent une autre vie.

            Il suffit d’entrer, de s’asseoir et de rester là sans rien dire, sans penser, comme dans un bain de jouvence et, de se laisser pénétrer par toutes les énergies devenues, par la grâce de la consécration, porteuse de vie éternelle.

 

            Voilà, frères et sœurs, ce qui nous est rappelé aujourd’hui ! Laissons pénétrer ces vérités jusqu’au plus profond de notre être et, promettons-nous d’y être fidèles, où que nous soyons, quoique nous fassions, toujours et partout.

                                                                                                          Amen.

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Homélie : Fête de Saint Benoît.                 11.07.82*

      Radicalité et absolu !

 

Mes frères,

Ce matin nous avons vu que Saint Benoît, dès l'origine de la vie monastique, a été habité par une passion qui n'a fait que grandir au fil des ans : Ne plaire qu'à Dieu seul. Dès que des disciples se sont rassemblés autour de lui, attirés par la chaleur et le rayonnement de sa vie intérieure, il s'est trouvé dans l'obligation d'infuser sa flamme à leur âme. Il a du la couler dans des mots humains. Et il a suivi quasi naturaliter, comme naturellement le mouvement imprimé par Dieu à tout ce qui est divin.

Il a donné à son feu une forme, un visage, un nom. Et il a dit : Les moines ne doivent avoir rien de plus précieux et de plus cher  que le Christ. Et ailleurs : ils ne placeront absolument rien avant le Christ.

En passant ainsi du Dieu auquel il voulait uniquement plaire à la Personne du Christ, il révélait que l'Incarnation de Dieu était tout à la fois et le cœur, et l'enveloppe de sa vie entière, et que son ambition dernière était de devenir un seul esprit avec le Christ et ainsi d'entrer dans la Vie Eternelle.

 

Mes frères, Saint Benoît vivait donc à sa façon, d'une façon nouvelle le nous avons tout quitté pour te suivre de l’Apôtre Pierre. Il faut placer la pointe de cette affirmation sur le mot tout, comme chez Saint Benoît pour le seul et sur le rien.

La vie monastique tout comme la vie apostolique porte en elle-même une exigence de radicalité et d'absolu qui se comprend lorsqu'on sait qu'un des plateaux de la balance porte Dieu lui-même.

Mais à un étage plus modeste, plus universellement accessible, retenti aussi un appel au détachement et à la pureté, un appel auquel nous devons prêter attention, un appel qui ne devrait pas être perdu par nous les habitants d'une Europe trop riche.

 

Cet appel, le voici : l'essentiel n'est pas dans l'accumulation des biens, dans les records de production, donc une consommation effrénée, dans un confort raffiné. L'essentiel vibre dans la dégustation paisible de la vie véritable qui est amour, une vie en imitation de la vie même de Dieu.

En ce sens, mes frères, Saint Benoît est vraiment le Patron actuel d'une Europe qui pourrait, si elle comprenait enfin sa véritable vocation, devenir pour le monde entier un foyer de lumière.

Cette Sagesse Bénédictine qui est sagesse apostolique, sagesse chrétienne, sagesse divine, l'auteur du Livre des Proverbes nous en a parlé. L'Apôtre Paul dans l'Epître aux Ephésiens nous l'a décrite. Puissions-nous nous en inspirer ! Puisse cette Sagesse devenir le moteur de toute notre activité.

                                                                                             

                                                                                                          Amen.

 

Homélie : Fête de Saint Benoît.                  11.07.85

      L’hommage de notre gratitude.

 

Mes frères,

 

Vous me permettrez de m'arrêter quelques instants car je voudrais présenter à Saint Benoît l'hommage de notre gratitude pour les trésors qu'il nous partage sans compter : les trésors de sa doctrine spirituelle, les trésors de sa personne.

Car Saint Benoît, comme je vous l'ai rappelé dernièrement, est une fenêtre ouverte sur le Royaume. Et par cette fenêtre nous pouvons admirer ce que Dieu a préparé pour nous qu'il aime. Saint Benoît est une lentille qui dirige sur nous la puissance de la lumière divinisante. Et il nous demande de faire confiance à ce Dieu qui l'a appelé, lui, le premier.

Mes frères, Saint Benoît est vraiment celui par lequel aujourd'hui toute grâce de vie monastique nous arrive. Et pour nous plus particulièrement ici à Saint Rémy, toute grâce arrive à travers ma pauvre et humble personne, moi qui dois être parmi vous un autre Benoît. Saint Bernard le savait lui qui s'écriait : O abbas et abbas ! O quel Abbé ce Benoît, et quel Abbé se trouve ici à la tête d'une communauté !

 

Mes frères, l'Abbé, dans la ligne de ce que le Christ a été lui-même, doit être un serviteur, et vers le haut et vers le bas, le serviteur de Dieu. Il ne vit plus pour lui. Il vit pour ce Christ qui a pris possession de lui et qui à travers lui se manifeste. Il n'y a plus en lui de place pour un désir personnel. Tout son être est devenu désir de Dieu en lui pour lui-même et pour ses frères.

Il est aussi le serviteur de ses frères. Il est parmi eux comme celui qui doit satisfaire ce qui dans leur cœur est saint, ce qui est pur, ce qui est appel vers une vie nouvelle, vers cette vie transfigurée qui doit faire de chacun des frères aussi une apparition du Christ ressuscité.

Voilà ce que je voulais rappeler ce matin. Et cela, nous le devons à notre Père Saint Benoît. Si vraiment chacun d'entre nous veut se mettre au service de tous les autres frères, à l'envi comme dit Saint Benoît, une sorte d'émulation dans le service mutuel, à ce moment notre communauté va devenir ce que l'Apôtre rappelait aux Colossiens : un lieu d'unité, un lieu de paix, une transparence du Royaume de Dieu.

 

Mes frères, c'est à cette vie merveilleuse que nous sommes appelés. En cette fête de Saint Benoît, avançons en cette vie avec confiance, une confiance nouvelle, car Dieu veut nous donner en plénitude ce pourquoi il nous a appelés ici.

 

                                                                                                                   Amen.

 

Homélie : Fête de Saint Benoît.                  11.07.89

      Je suis parmi vous comme celui qui sert.

 

Mes frères,

 

Ne dois-je pas vous adresser quelques paroles en l'honneur de la fête de notre Père Saint Benoît ? Un simple écho de ce que nous venons d'entendre : le Christ a dit : Je suis parmi vous comme celui qui sert.

Saint Benoît a été parmi nous le modèle de celui qui est tout service. Ainsi doit être un Abbé, un véritable Abbé, ainsi doit être un véritable moine. Alors rien d'étonnant si on se perd tout entier dans le service qu'est la Personne du Seigneur Jésus venu, non pas pour condamner le monde, mais pour donner sa vie afin que le monde ressuscite et que le monde vive.

Si nous entrons dans cette vocation qui est la nôtre après celle du Christ, à ce moment-là nous aurons le bonheur de partager toutes ses prérogatives.

 

Nous avons chanté des antiennes magnifiques en l'honneur de notre Père Saint Benoît. Il est dit et il est répété qu'il menait sur terre une vie angélique. Cela peut nous paraître quelque peu irréel ? Et pourtant dès l'origine, la vocation monastique a été vue comme une vie angélique. Mais que devons-nous entendre par là ? Ce n'est rien de désincarné, non, mais c'est une vie qui s'alimente à la lumière qui est Dieu, à la lumière qui est le Christ, et qui insensiblement devient pureté.

Le cœur ne fait plus que distillé la bienveillance, la douceur, la patience, l'accueil, la charité. C'est un cœur dans lequel il n'y a plus même un frémissement qui ne soit pas inspiré par Dieu. Le moine devient sur la terre la présence du Christ, la présence de l'Esprit. Je ne dis pas la présence du Père, parce que le Père est tout entier et dans le Fils, et dans l'Esprit. Les trois Personnes sont inséparables.

Mais alors pour en arriver là, quel chemin suivre ? Eh bien, mes frères, nous le savons. C'est tout simple même si c'est très difficile : il suffit de fonder sa volonté à l'intérieur de celle de Dieu. Et cette volonté, nous la connaissons instant par instant. C'est la raison pour laquelle nous avons le jour de notre profession remis notre existence entre les mains de notre Dieu.

 

          Nous avons chanté aussi que Saint Benoît avait toujours préféré subir les difficultés de cette vie plutôt que d'y échapper. Il y avait un choix : ou bien rechercher les plaisirs de ce monde, même les plaisirs légitimes ou bien y renoncer ; accepter, prendre sur soi le malheur des hommes, ne pas reculer devant la souffrance. Et plutôt que d'être loué par les hommes, se laisser regarder par eux comme un être curieux, même comme un être déséquilibré à la limite, parce que le monde ne peut pas supporter qu'on soit différent de lui.

Mes frères, voilà ce que saint Benoît a fait. Et n'ayant pas reculé devant le mal qui à certains moments s'est acharné contre lui, mais ayant préféré partager le sort du Christ et de donner sa vie jusqu’au bout, à ce moment-là son cœur est devenu un cœur de Dieu, sa vie est devenue une vie angélique et il a pu réaliser pleinement le projet que Dieu avait nourrit pour lui dès avant la création du monde.

Mes frères, Saint Benoît est notre Père. Il nous engendre à cette vie merveilleuse.          Faisons-lui   confiance. Laissons-nous  docilement conduire, laissons-nous docilement former et, il pourra se glorifier d'avoir, ici dans le monastère de Saint Rémy, des fils, des enfants qui sont vraiment de sa race, qui sont vraiment de sa famille.

                                                                                   Amen.

 

Homélie : Fête de Saint Benoît.           11.07.93.

      Le moine ne sait pas attendre !

 

Frères et sœurs dans le Christ,

 

            Le Pape Saint Grégoire le grand nous dit que : en notre Père Saint Benoît habitait l'esprit de tous les justes. Il signifiait par là que le cœur de notre bienheureux Père était devenu un ciel où résidaient les trois personnes divines et, avec elles, la multitude des saints.

            C'est là un prodige d'une beauté sans pareille, c'est là le sommet de toute béatitude en ce monde et en l'autre. Voilà ce qui nous est proposé, voilà ce qui en espérance est déposé entre nos mains.

            Notre imagination, notre intellect, notre génie poétique peuvent se donner libre cours, jamais ils ne pourront atteindre ne fut-ce que la ....?.... de ce mystère. Nous devons fermer les yeux, nous devons nous laisser aimer et croire que tout finira par s'accomplir.

 

            Cette église que nous venons de consacrer évoque avec puissance la vocation sublime qui nous est proposée. Nous sommes destinés chacun pour notre part et tous ensemble à être un cœur où habite la plénitude de la divinité. Et là où est Dieu, là se trouve aussi la foule immense des hommes et des femmes devenus depuis la création du monde un seul esprit avec Dieu. Dieu et les saints nous sont donc plus intimes que le plus intime de nous. Telle est la source du respect sans borne que nous devons professer à l'endroit de nous-mêmes, à l'endroit de tous les hommes.

 

            Oui, frères et sœurs, ne l'oublions pas, nous sommes les réceptacles de Dieu. Et, je le répète, avec Dieu viennent la multitude des saints. Chacun de nous est un temple, chacun de nous est un ciel.

            Lorsque nous pouvons réaliser cette merveille, non seulement au plan de l'intellect mais surtout au niveau de la foi, et que nous la faisons passer dans la pratique de notre vie, à ce moment nous réalisons notre destinée de chrétien, notre destinée d'homme.

           

            Si nous pouvions toujours vivre dans cette lumière, il n'y aurait plus entre nous la moindre discorde, la moindre tension, ce serait le règne de la paix. Oui, ce sera l'état de l'humanité, l'état du cosmos à la fin des temps.

            Mais, ne l'oublions pas, 1'Eucharistie est la parousie de cette fin des temps. Et si nous y participons de tout notre cœur, à ce moment il se produit quelque chose en nous qui portera du fruit à l'intérieur de notre comportement.

            Le ciel n'est pas pour demain. Il est présent en nous et nous en sommes les ...?... Le Seigneur Jésus nous le rappelle expressément aujourd'hui quand il nous parle du monde nouveau et de la vie éternelle. Le monde nouveau, c'est lui et sa lumière ; la vie éternelle, c'est lui et sa résurrection.

           

Or, puisque nous sommes ici dans un monastère, sachons-le, le moine est un homme qui ne sait pas attendre. Il est l'homme du tout de suite. Et en cela, il est bien moderne. Il creuse comme un chercheur de trésor, ou plutôt, il laisse 1'Esprit Saint creuser en lui des espaces à la mesure sans mesure de l'amour qui est Dieu. 

            Il quitte tout, il disparaît, il meurt à lui-même et à tout et, au plus secret de sa solitude, il se retrouve unit à Dieu. Il ne peut en aller autrement puisque son cœur devient un paradis où chaque homme, où chaque femme peut y trouver sa place. Il n'y a plus d'espace, il n'y a plus de distance, il n'y a plus de durée pour lui Il est présent, partout à tout et à tous.

            La création transfigurée est devenue son bien car déjà pour lui,  Dieu s'est fait tout en toute chose. Tel était notre Père Saint Benoît, lui dont le cœur était devenu un ciel ; tels nous pouvons être à notre tour. Il suffit de nous ouvrir à ce cadeau que Dieu a préparé pour nous depuis toujours.

            Notre Eucharistie sera donc le chant de notre espérance et, disons-le déjà, de notre triomphe.

                                                                                                   Amen.

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Homélie : Fête de Saint Benoît.            11.07.96

      L’humanité de Saint Benoît.

 

Frères et sœurs,

            Il convient d’adresser à notre Père Saint Benoît un petit signe le jour de sa fête. Nous devons le féliciter, nous devons le remercier. Sans lui, nous ne serions pas ici et, avec lui nous pouvons tout espérer.

            Ecoutez ce que le Christ vient de nous dire : « Tout homme qui aura quitté à cause de mon nom, des maisons, des frères, des sœurs, un père, une mère, des enfants, une terre, recevra beaucoup plus, le centuple dès maintenant et, pour plus tard, la vie éternelle. »

            C’est grâce à Saint Benoît que ces promesses prennent forme pour nous aujourd’hui, qu’elles irriguent notre vie toute entière, et qu’elles nourrissent notre espérance, et qu’elles nous mettent déjà en possession de ce que le Christ nous a promis.

 

            Un des traits les plus attachants de la physionomie de Saint Benoît est, me semble-t-il, sa propre humanité. Saint Benoît est un homme profondément humain. C’est la preuve indubitable de sa sainteté. Des saints durs sont des saints postiches. Les véritables saints ont un cœur liquide, comme disait le Curé d’Ars.

            Saint Benoît connaît la route qui conduit à Dieu et il la balise avec soins pour nous. Il fait comme … ?… d’un troupeau fragile, vulnérable, inconstant, rétif parfois. Mais il ne s’en offusque pas. Il nous comprend, il nous encourage dans notre marche. Parfois il doit sévir, mais il le fait toujours in spiritu lenitatis, dans un esprit de douceur. Car Saint Benoît est un homme de douceur comme fut Moïse le grand législateur d’Israël, comme fut le Christ lui-même.

 

            Et c’est pourquoi, lorsque nous partageons la douceur de Saint Benoît, nous pouvons avec lui posséder la terre et connaître le véritable bonheur. Car celui qui est doux est aussi pauvre, est aussi juste, est aussi pur, est aussi miséricordieux. Et alors, plus rien ne peut l’atteindre et tous peuvent trouver abri à l’ombre de ce qu’il est.

            Le succès de la Règle écrite par notre bienheureux Père benoît vient en bonne partie  de son caractère de profonde humanité. On sent la bonté d’un saint, la bonté de Dieu, de notre Dieu qui perd ses moyens devant sa créature.

 

            Dieu a tant aimé le monde, il a tant aimé les hommes qu’il a tout sacrifié pour eux. Il a envoyé son propre fils, non pas pour condamner les hommes, mais pour les rassembler, pour les purifier, pour les sauver, pour les introduire jusqu’au plus secret de son bonheur à lui. Nous devons être fiers de notre Règle, fiers de notre Pères Saint Benoît comme nous sommes fiers du Christ, comme nous sommes fiers de Dieu.

 

            Nous voyons ainsi ce que doit être un Abbé digne de ce nom. Ce doit être un homme de cœur, un homme compatissant, un homme doux, patient, indulgent à l’image de Saint Benoît, à l’image de Dieu. J’oserais presque dire qu’un véritable Abbé doit être un homme faible.

            Il doit être un homme conscient de ses limites, un homme lucide sur lui-même, un homme qui ne se prend jamais au sérieux. Il doit être, tout en étant faible, habité par une force qui vient d’ailleurs, une force sur laquelle tous les autres peuvent s’appuyer. Il s’est ouvert totalement à l’Esprit de Dieu, à l’Esprit qui est amour si bien que le Christ vit en lui et l’établit dans la vérité.

 

            Un tel Abbé sait que l’amour est une justice au-delà de toute justice. Et cette justice, elle devient la norme de sa conduite à l’endroit de ses frères, à l’endroit de tous les hommes qu’il porte dans son cœur.

 

            Frères et sœurs, en ce jour, rendons grâce à Dieu de nous avoir donné Benoît. Il a été établi patron de l’Europe, une Europe en devenir, une Europe qui se construit difficilement mais qui avance et qui devient un seul corps, une seule âme. Car l’Europe ne doit pas être uniquement une entité économique, elle doit avoir un cœur, elle doit avoir une âme. Et ce cœur ne peut être que celui de Benoît.

 

            Remercions donc le Seigneur de nous avoir donné un tel Père. Et puis gardons-nous, dans toute la mesure du possible, fidèles à son esprit, fidèles à ce qu’il nous propose, fidèles à ce qu’il nous promet.

                                                                                                  Amen.

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Homélie : Fête de la Transfiguration.            06.08.89

      Participer à la vie même de Dieu.

 

Mes frères,

 

Le fait de la Transfiguration du Seigneur Jésus est une préfiguration, une prophétie de ce qui nous attend le jour où Dieu sera tout en toute chose. A ce moment-là, après la résurrection générale, nous lui serons semblables parce que nous le verrons tel qu'il est. Ne laissons pas courir notre imagination, ce serait trop facile. Disons plutôt tout simplement que nous serons divinisés dans notre être entier. Telle est notre vocation première et dernière.

Nous participerons sans réserve à la vie même de Dieu. Nous entrerons dans le flux et le reflux de l'océan Trinitaire, et chacun d'entre nous sera lumière et amour. L'univers matériel lui-même sera comme illuminé de l'intérieur. Nous le contemplerons dans sa beauté réelle. Il sera tout entier icône de la beauté divine.

 

Et je rappelle ici que les tous premiers moines voyaient dans cette contemplation - qu'ils connaissaient déjà - ce qu'ils appelaient la contemplation première, la contemplation physique. Ils saisissaient l’être des choses à l'endroit même où Dieu les créait. Ils contemplaient ainsi le grand livre de la création. Ils le lisaient. Ils admiraient et ils adoraient la beauté de leur Dieu.

Mes frères, ce ne sont pas là des choses inaccessibles à l'homme d'aujourd'hui. Non, elles sont inscrites dans notre être d'homme et de chrétien. Nous sommes faits pour voir Dieu à l'œuvre chaque jour dans la création et dans les cœurs. La métamorphose de l'univers, et la nôtre donc, se réalise déjà à partir de la Personne du Christ Jésus maintenant ressuscité d'entre les morts.

Par l'Incarnation, Dieu s'est caché au cœur de la matière comme une semence appelée à germer et à tout transformer. La transfiguration du Seigneur nous montre cette merveille en action. Et depuis lors, l'agir mystérieux de notre Dieu n'a jamais cessé. Les yeux de la foi - comme je le disais il y a un instant - peuvent l'admirer à toute heure.

Le chrétien en qui vit le Seigneur peut être, doit être le support charnel, matériel de cette œuvre divine. Et si nous sommes ici dans le monastère, c'est pour y consacrer toutes nos énergies à cet Opus Dei merveilleux dont nous devenons les co-auteurs.

Plus précisément, il s'agit de mettre notre être entier, corps, âme et esprit, à la disposition de la Sainte Trinité afin que l'Incarnation du Verbe de Dieu se poursuive et soit conduite plus près de son terme final, de cette heure - comme je le disais au début - où Dieu sera tout en toute chose.

Lorsqu'il devient tout à l'intérieur de notre cœur, lorsque ce n'est plus nous gui vivons mais que c'est Lui qui vit en nous, pour nous personnellement le but est atteint, mais plus précisément Dieu a réalisé son œuvre. Et à partir de là, petit à petit cette Lumière se glisse dans toutes les fibres, dans tous les pores de la création entière et hâte l'heure de l'achèvement final.

 

Mais que se passe-t-il pour nous dans le concret ? Saint Benoît nous le dit : le cœur se purifie, l'égoïsme disparaît, la charité s'installe. Un décentrement se produit. On se reçoit de Dieu et on se restitue à Lui. Le centre de nos motivations les plus intimes, et les et les plus personnelles, plus secrètes, il n'est plus en nous, il est dans le cœur de notre Dieu.

On est ainsi entraîné petit à petit dans un univers de lumière et on devient soi-même lumière en lui. Cela se traduit à l'intérieur des relations fraternelles, des relations sociales, par la bienveillance, l'accueil, la douceur, la dédramatisation, la paix. On est libre et - même sans le savoir - on rayonne la liberté.

 

Mes frères, voilà ce qui est attendu de chacun d'entre nous qui portons le nom de chrétien et qui dans quelques instants allons communier au corps et au sang de notre Christ, ce corps et ce sang de lumière qui va entrer en nous et qui va irriguer notre être spirituel.

Il y aurait encore beaucoup d'autres choses à dire, vous vous en doutez bien. Mais pour aujourd'hui, restons-en là et prenons la ferme résolution de répondre de notre mieux à tous les espoirs que notre Créateur, que notre Christ a placé en nous.

 

Amen.

 

Homélie : Fête de la Transfiguration.          07.08.94*

      Opposer la muraille de l’amour à la haine.

 

Frères et sœurs,

 

            Le Seigneur nous a rassemblés ce matin pour nous alimenter de sa parole et de sa chair. Cette parole, nous l’avons entendu, elle donne à l’homme une énergie indomptable. Elle lui permet de vivre en harmonie avec les autres et, finalement, elle lui confère le don absolu de la vie impérissable. Il ne s’agit pas d’une vie continuée à la manière de celle-ci, mais de la propre vie de Dieu. Et les cœurs purs savent par expérience que cette vie éternelle, ils la possèdent déjà.

            Mais soyons francs ! Ces paroles nous paraissent singulièrement en porte à faux par rapport à la réalité à laquelle nous nous heurtons. Nous entendons à longueur de jours, nous voyons aussi les horreurs perpétrées à quelques heures d’avion de chez nous. Je pense particulièrement au drame du Ruanda. Nous ne pouvons les ignorer, elles nous crèvent les oreilles et les yeux.

            Et alors Dieu, là-dedans, que fait-il ?

 

            Eh bien, frères et sœurs, Dieu est mis à mort une nouvelle fois dans les corps et les âmes de tant d’hommes innocents. Et aujourd’hui, il nous lance un appel au secours. Allons-nous lui répondre ? Ou bien resterons-nous les complices muets de ces crimes dont lui et des milliers d’innocents sont victimes ?

            Que faire alors ? Nous ne pouvons tout de même pas courir là-bas ? Il ne nous en demande pas tant. Il nous demande, ici et maintenant, d’opposer la muraille de l’amour aux flots déchaînés de la haine.

 

            Ecoutons-le ! Apprenons de lui ce que nous avons à faire ! Mais rappelons-nous d’abord que nous formons tous ensemble un seul Corps dont Lui est la tête et dont l’âme est l’Esprit Saint. La partie de ce Corps qui est encore ici sur cette terre, elle est rongée par le virus du péché, nous ne le savons que trop.

            Et les effets, nous les connaissons, nous les expérimentons dans notre propre vie. C’est le mensonge, c’est l’ambition, ce sont les manœuvres, ce sont les jalousies. Et, n’ayons pas peur de le dire, ce sont les vols, et finalement les meurtres, car il y a des façons de mettre à mort qui ne sont pas sanglantes mais qui sont tout aussi cruelles.

 

            Il nous demande, lui Dieu, d’arrêter cette contagion de la méchanceté et de distribuer dans le grand corps une santé nouvelle. Rappelons-nous ce qu’il vient de nous dire : « Faites disparaître de votre vie les éclats de voix, les colères, les dissensions, toutes les espèces de méchanceté ! Cherchez à imiter Dieu puisque vous êtes ses enfants ! Vivez dans l’amour ! »

 

            C’est un programme simple et magnifique ! Mettons-le en pratique sans plus tarder dans nos familles, sur les lieux de travail, dans nos communautés, partout et toujours ! Lorsqu’on nous voit ou qu’on nous entend, il faut que l’on puisse dire : « Ceux-là, ce sont des chrétiens. Cela se voit, cela se sent parce qu’ils s’aiment. »

 

            Nous allons dans quelques instants partager le Corps et le Sang du Christ, le Corps et le Sang de Dieu. Il nous a dit bien haut que si nous croyons en lui et que, si notre foi va tellement loin que nous prenons en nous, à l’intérieur de notre chair, sa propre chair de Dieu, à ce moment-là nous entrons dans une vie autre, une vie absolument nouvelle qui est la sienne. Et à ce moment-là, nous ne mourrons pas.

Mais nous ne pourrons pas non plus donner la mort, au contraire, nous donnerons la vie par tout ce que nous sommes. Cette vie, elle brillera dans notre regard, elle vibrera sur nos lèvres, elle se communiquera dans chacun de nos gestes. C’est autre chose qu’une honnêteté morale. Même si elle influe, c’est autre chose, c’est la propre vie de Dieu, c’est la vie des enfants de Dieu, des enfants que nous sommes.

Alors, laissons cette vie de Dieu, cette vie d’amour bouillonner en nous. Laissons-là nous envahir et nous transformer en source de vie pour les autres.

 

            Alors, frères et sœurs, n’oublions pas ceci : si le mal s’éteint en nous, il reculera ailleurs. Tel est notre apport à la pacification, à la réconciliation partout où il y a des conflits, au Ruanda, en Bosnie, au Moyen-Orient, partout.

            Dieu appelle ! Allons-nous y répondre ? Allons-nous boucher nos oreilles ? Allons-nous rester dans l’indifférence, repris par nos petits intérêts, par notre petit égoïsme ?

            Frères et sœurs, nous sommes les enfants de Dieu et nous répondrons par l’affirmative à cet appel. Et soyons certains que quelque chose aura changé dans notre monde.                                                                                                                                                               Amen.

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Homélie : Dimanche Vigile de l’Assomption.      14.08.83

Notre assomption.

 

Mes frères,

 

Cette année nous allons poser sur l'Assomption de Marie un regard nouveau, celui d'une intelligence spirituelle renouvelée. Nous ne ferons pas de la théologie dans le sens scientifique ou technique du terme.

En contemplant Marie dans son Assomption, nous ne nous tiendrons pas non plus à distance nous contentant de dire, d'exprimer notre étonnement, notre admiration, mais nous nous laisserons envelopper par le mystère. Nous le laisserons pénétrer en nous de façon à découvrir que l'Assomption est aussi notre condition à nous dès maintenant.

Ce n'est donc pas quelque chose, une expérience qui nous est étrangère ou qui serait remise à plus tard. Non, a commence maintenant. Elle est en route. Elle se réalise ­déjà. Et nous devons bien prendre garde de ne pas la contrecarrer, mais nous exercer plutôt a nous abandonner à elle, presque devenir parfaitement passif sous elle, un peu comme Elie qui a été embarqué dans un char de feu et transporté au ciel en une fois, comme Marie qui a été prise par...voilà.

 

Naturellement nous ne pouvons pas imaginer la chose, mais elle a été aussi élevée là où déjà en fait elle se trouvait. Mais il restait un rien, un petit rien pour qu'elle y soit parfaitement. Mais comment cela va-t-il se faire pour nous ? Nous n'avons pas toujours existé dans notre condition actuelle. Un beau jour le regard aimant et émerveillé de nos parents s'est posé sur nous. Nous étions là.

Mais au fait, nous existions déjà depuis bien longtemps, depuis toujours. Car avant d'être enfanté dans le sein de notre mère, nous étions déjà engendrés dans le cœur de notre Dieu qui depuis toujours, depuis qu'il existe comme Dieu nous portait déjà dans son amour. Et il attendait le moment de nous faire apparaître dans une chair aux regards de tous et aussi de notre propre conscience.

Attention ! Je ne fais pas, ici, du néo-platonisme, comme si nous étions une idée qui un jour, voilà, s'est incarnée.            Non, ce n'est pas ça ! Nous étions aimés. Et l'amour de notre Dieu est à l'origine de notre être charnel. Notre citoyenneté, comme le dit l'Apôtre Paul, elle est donc ailleurs, elle est donc dans les cieux, là d'où nous tirons notre origine véritable. Notre véritable patrie c'est donc chez Dieu, là où Marie est entrée et où elle a été intronisée comme Reine.

 

Mais lorsque je dis que notre patrie est chez Dieu, c'est nous dans notre état actuel, donc dans notre corps, avec notre corps, pas selon un mode arbitrairement désincarné et donc faussement spirituel. Non, c'est dans notre corps, dans notre condition d'aujourd'hui. Le spirituel, je le rappelle, c'est le pneumatique. C'est être habité, mû, transfiguré par l'Esprit Saint. Donc quand on parle de spirituel en chrétienté, c'est toujours en rapport avec le Saint Esprit. Faisons bien attention à la valeur des mots que nous utilisons. Il ne faut pas leur donner une signification qu'ils n'ont pas.

C'est donc un mot très noble, le plus beau, le plus beau que nous puissions accoler à notre être, celui de spirituel. Au cours des siècles, il a été dévalué. Mais essayons de lui rendre sa signification première, la seule valable pour nous. Mais comment cette assomption de notre être va-t-elle se réaliser dans la pratique ? Donc, je parle de notre assomption dès maintenant, qui est en route.

Eh bien, c'est tout simple ! Et Saint Benoît nous le dit : C'est par l'humilité ! Ecoutez ce qu'il dit : Si nous voulons parvenir, velociter, rapidement, très vite à cet état céleste vers lequel nous montons par l'humilité de la vie présente, nous devons alors dresser cette échelle...7,16. Il y a donc en nous une promesse, celle d'un état qui est supérieur à celui que nous connaissons maintenant. Il l'appelle exaltation, grandeur céleste.

 

Dans le fond, ce que Saint Benoît attend ici, c'est une métamorphose de notre être, c'est donc une transfiguration. Appelons ça une assomption. Et elle est déjà en route maintenant puisque nous sommes en train de gravir une échelle qui est celle de l'humilité. Il n'y a pas d'autre route. C'est la seule, la seule possible ! Mais pourquoi humilité ? Mais parce que l'humilité, c'est la qualité divine qui est la plus proche de nous, qui est la plus à notre portée. Je dis donc : l'humilité est une qualité divine dont l'exemplaire parfait de l'humilité pour nous, c'est Dieu lui-même.

Mais disons parmi l'ensemble des qualités divines, celle qui est le plus à notre portée, la plus proche de nous, c'est l'humilité. Et c'est pour ça que Saint Benoît nous la donne en main. Il nous dit : Mais faites ça, et alors sans aucune difficulté vous aurez vite fait, velociter, d'arriver là où Dieu vous attend et où Dieu vous conduit, grâce à cette humilité qui est déjà Lui, participation à ce qu'il est.

On nous dit toujours que Dieu est invisible. Mais en fait, il ne l'est pas. La preuve, c'est que ceux qui lui ressemblent peuvent le voir. Naturellement ils le voient d'une façon qui n'est pas celle dont le verrait un chien ou une vache, ou un chat. Non, non pas d’une façon peccamineusement charnelle, si je puis dire, mais d'une façon spirituellement charnelle, en rendant corps à ce mot spirituel, en lui rendant toute sa valeur.

 

            Donc, dans la mesure où notre cœur est pur, dans cette mesure-là, nous pouvons voir Dieu. Le Christ est formel. Mais pourquoi encore ? Eh bien parce que - écoutez bien ceci, parce que c'est ici que je veux en venir - l'invisibilité est chez Dieu la face tournée vers nous de son humilité. Car Dieu est tellement humble qu'il en devient comme inexistant et invisible.

Et ce n'est pas chez lui démission ou faiblesse, mais c'est comble d'être et de puissance. Donc retenez bien ceci : l'invisibilité chez Dieu, c'est la face tournée vers nous de son humilité.

Alors voyez toutes les conséquences qui en découlent pour nous. Mais voyons d'abord chez la Vierge Marie qui, elle, était la plus humble de toutes les créatures. Mais que s'est-il passé ? Mais Marie à mesure qu'elle entrait davantage dans son humilité, elle s'effaçait, elle disparaissait, elle s'évanouissait jusqu'au moment où elle était tout entièrement assumée dans l'humilité, donc dans l'invisibilité de Dieu. Et c'était cela le mystère de son Assomption. Mais à ce moment, elle était véritablement devenue en tout ressemblance de Dieu et elle pouvait être Reine à côté de Dieu qui lui était le Roi de l'univers.

L'invisibilité – attention ! - qui est inséparable de l'humilité, c'est un autre mot pour dire humilité. Et pour affirmer cela, je retourne encore une fois chez Dieu, où c'est ainsi chez Dieu. L'invisibilité-humilité de Marie a été et est toujours surintensité de présence active. Marie n'est donc pas absente. Non, c'est seulement maintenant qu'elle est présente. Elle l'était aussi auparavant, certes, mais elle l'était localement. Elle l'était dans un tout petit lieu, un petit coin, un petit trou. Maintenant, elle est surintensément présente partout.

 

Descendons, maintenant, et revenons à nous. Le moine, lui, qui entre dans l'humilité, il entre lui aussi dans un mystère d'invisibilité et il inaugure son assomption. Il devient ainsi véritablement fils de Dieu en devenant fils de Marie. Il y a donc comme un parcours. Il y a à disparaître dans l'humilité, à devenir invisible. Dans cette mesure-là on est assumé à l'intérieur de l'univers de Dieu. Mais on l'est à travers une porte dont on ne peut pas faire l'économie, qui est l'humilité-invisibilité de Marie.

Car Dieu lui-même, lorsqu'il a voulu pousser son invisibilité à l'extrême, il a voulu s'incarner dans Marie. Car lorsqu'on voyait le Christ, qui pouvait dans le Christ voir l'invisible qui était Dieu ? L'humilité de Dieu, elle s'est là vraiment mise à notre portée dans ce qu'elle avait de plus beau et de plus séduisant. Car le Christ Dieu devenu homme n'en devenait pas moins invisible même lorsque nous le voyons...

Allons ! Prenons encore un cas aujourd'hui plus facile à comprendre encore. Prenons le mystère de l'Eucharistie où là nous avons sous les apparences d'un peu de pain et d'un peu de vin, mais réellement présent, la Personne du Christ Dieu Incarné. Donc, la Personne de Dieu, elle est là. Mais elle demeure invisible tout en étant sensiblement préhensible. Voyez jusqu'où va l'humilité !

 

Maintenant, cela se passe ainsi exactement lorsqu'il s’agit d'un homme, d'un être humain. Dieu peut vivre en lui tout son mystère, l'homme entièrement divinisé. Mais cet homme alors, il disparaît à l'intérieur de Dieu et Dieu camouffle tout cela. On voit un homme, et à travers cet homme on voit un Dieu. C'est ce qu'on disait du Curé d'Ars. Mais j'ai vu Dieu dans un homme, disait quelqu'un qui avait un cœur assez pur pour le remarquer. Vous voyez ! Notre assomption, elle est déjà en route maintenant. Et dans la mesure où nous entrons dans notre humilité, nous vivons notre assomption parce que nous entrons dans l'invisibilité qui est le domaine où habite Dieu.

Voilà mes frères, l'Assomption de Marie est donc vraiment notre fête à nous. Elle nous touche au plus intime de ce que nous sommes, de ce que nous espérons. Car en elle, nous vivons le réalisme de notre immortalité, j'oserais presque dire de notre éternité. Car, comme je l'affirmais au début, nous vivons depuis toujours dans le cœur de notre Dieu, là où il nous aimait. Si Dieu ne nous avait pas aimés depuis toujours, nous n'existerions pas aujourd'hui. Et s'il nous aime depuis toujours, nous existerons toujours aussi. Nous allons d'éternité en éternité. C'est là notre vocation, c'est là notre destinée.

Mais comme nous étions dans l'invisible à l'intérieur du cœur de Dieu, nous devons à nouveau entrer dans cet invisible. Et nous y entrons par l'humilité. Donc, voilà mes frères, un magnifique programme auquel nous penserons demain lorsque nous fêterons l'Assomption de notre Mère qui, je le répète, était déjà, est déjà la nôtre. Et cette assomption, nous devons y travailler en nous laissant emporter au jour le jour.

 

Voyez maintenant, alors là-dessus on pourrait greffer tout un développement au sujet de l'obéissance, l'obéissance qui est la plus belle de toutes les vertus et qui, encore une fois n'est pas abaissement, n'est pas démission. Non, mais elle est exaltation céleste dont nous parle Saint Benoît parce qu'elle nous fait en réalité entrer dans l'éternité de notre destin qui est la divinisation, qui est d'être vraiment participant à la vie divine, à sa nature, à toutes ses prérogatives, à tous ses privilèges.

Et pour conclure, voyez maintenant dans la pratique : le plus facile et le plus à notre portée, c'est l'humilité.

 

Fête de l’Assomption de la Vierge Marie.        15.08.83

Prise d’habit de Louis.

 

Mon ami Louis,

 

Le Christ notre Dieu, dans son amour délicat, attentif, cet amour dont lui seul a le secret, le Christ a disposé les événements pour que vous receviez l'habit de notre Ordre en cette magnifique fête de l'Assomption. Oui, c'est de sa part une attention très belle et très juste. Car comme vous le savez certainement, depuis l'origine notre Ordre est consacré spécialement à la Vierge Marie et précisément dans le mystère de l'Assomption.

Et ce fut de la part de nos Pères, me semble-il, une intuition géniale et très logique. Car la vie monastique n'est-elle pas dans ce qu'elle a de plus pur une assomption en Dieu par la christification de tout notre être. Or, pour être christifié, il est indispensable de passer par Marie, d'être littéralement et réellement enfanté par elle à cette vie nouvelle, à cette vie divine.

Il n'est pas possible d'en faire l'économie. Saint Bernard nous l'a bien dit. Tout ce que nous recevons de Dieu nous vient par le canal de Marie. Voyez ! Marie d'abord en est emplie, puis ça déborde d'elle sur nous. Son mystère de l'Assomption, j'y ai fait allusion hier, est vraiment ce qui est pour nous le plus encourageant. Car à notre tour là où elle est, si je puis reprendre les paroles de son Fils le Christ, là où elle est, elle désire que nous soyons aussi. Et nous y sommes déjà si nous vivons humblement avec grande confiance dans son sein.

 

Vous avez donc devant vous un magnifique programme de vie. C'est, si je le résume en une formule, c'est être vraiment la proie de l'Esprit de façon à renaître en Dieu. Et pour cela, vous devez renoncer a beaucoup de choses : à vos idées, à vos jugements, à tout ce qui provoque un repliement sur vous. Et vous devrez vous ouvrir à un souffle nouveau, ce souffle qui désire vous métamorphoser. Car ce souffle nouveau est une Personne, ne l'oubliez jamais ! C'est la Personne de l'Esprit Saint, c'est la Personne de l'Amour, c'est ce qui en Dieu est le plus intime, ce qui constitue le cœur même de son être.

Et c'est là dans le cœur de notre Dieu que nous sommes conçus dès avant notre apparition sur cette terre. Et c'est là qu'est notre habitation pour l'éternité. Et ainsi, vous serez progressivement mais sûrement renouvelé jusqu'à ce que le Christ soit entièrement formé en vous. Comme Saint Benoît vient de vous le rappeler, les débuts de cette marche vers le Royaume de Dieu peuvent paraître assez pénibles car il faut se défaire de beaucoup de choses qu'on apporte du monde, des façons de voir, des façons de juger, de réagir.

Mais enfin, ce n'est jamais que les tous débuts car bien vite lorsqu'on se donne à Dieu, le cœur se dilate. Et vraiment, il prend de nouvelles dimensions. Au lieu d'être étroit, enfermé presque dans la prison de l'égoïsme, il prend les dimensions du cœur de Dieu, et pour nous beaucoup plus proche, du cœur de notre Mère. Car un moine achevé, il a des entrailles de mère. Vous voyez ! Et c'est là que vous arriverez ! C'est là que veut dire Saint Benoît lorsqu'il parle de cette dilatatio cordis qui nous attend, qui VOUS attend.

 

Et vous êtes disposé à entreprendre, à courir cette formidable aventure. Et vous désirez inaugurer dès maintenant cette conversion, ce changement qui s'opère en vous. Et pour cela vous avez exprimé le désir de prendre un nom nouveau qui signifiera cette résolution. En adoptant ce nom nouveau, vous aurez tourné le dos au monde et vous entrerez dans une nouvelle famille, la grande famille cistercienne dont vous deviendrez un membre, tout ­petit encore, mais qui va grandir et occuper sa place.

 

Et à partir d'aujourd'hui, vous ne serez plus Louis, mais vous serez Frère Guerric. C'est là le nom porté par un bienheureux originaire de nos régions. Il a été un simple moine d'abord et puis il est devenu Abbé, un grand Abbé. Cela ne veut pas dire que vous-même allez ambitionner de devenir un jour le dirigeant des frères et leur Père. Non, ce n'est pas cela que je veux insinuer. Mais vous allez comme lui entrer dans un certain anonymat, l'anonymat de la Lumière.

Car lorsque soi-même on devient lumière, on disparaît en elle. Et je pense que demain ou après je devrais revenir là-dessus, car je n'ai fait hier que commencer quelque chose. Et je pense qu'entre ce beau jour de l'Assomption et la fête de Saint Bernard il nous est encore possible de réfléchir à ce mystère de Dieu qui doit se répercuter dans notre vie.

Et cette entreprise, vous allez la porter à bien au milieu de frères, dans une communauté d'hommes qui sont habités par le même idéal et qui le poursuivent avec vous. Mais ces hommes sont encore toujours des êtres humains. Ils sont affligés de défauts. Et vous n'en serez pas effrayé ni scandalisé. Vous ne le prendrez pas au tragique. Vous vous souviendrez que vous aussi vous avez des défauts, que vous même malgré les progrès de l'Esprit Saint en vous, vous restez un homme. Heureusement d'ailleurs !

 

Mais dans chacun de vos frères, votre regard cherchera la flamme qui l'habite, qui consume les scories, la gangue, qui purifie. Et nous ne savons jamais ce qui se passe dans un autre. La seule chose que nous pouvons supposer, dont nous devons être certains, c'est que l'amour est à l'œuvre et que un jour, au jour voulu par Dieu, cette flamme sera entièrement libérée et elle fera notre admiration.

Et vous aurez pour charte pour vous avancer sur cette route, la Parole de Dieu. Vous aurez la Règle de Saint Benoît, vous aurez les enseignements de nos Pères, vous aurez les exemples et la prière de tous vos frères.

 

Homélie : Eucharistie vespérale.                  14.08.96

      La mission de Marie.

 

Frères et sœurs,

 

            Le Seigneur Jésus vient de proclamer une béatitude qu’il avait réservé pour ce jour-ci : « Heureux ceux qui entendent la parole de Dieu et qui la garde ! » Oui, molle fois heureux les hommes, les femmes qui ont l’oreille assez fine pour entendre cette Parole de Dieu.

            Elle n’est pas au ciel, si bien qu’il nous faudrait y monter pour la faire descendre jusqu’à nous ? Il ne faut pas franchir les océans pour se la procurer ? Non, elle est dans notre bouche, elle est sur nos lèvres et elle est dans notre cœur.

            La Parole de Dieu est une musique infiniment douce, tendre, harmonieuse, belle et elle résonne à l’intérieur de notre cœur. Ouvrons nos oreilles, les deux oreilles, pour en percevoir la beauté !

 

            Et cette Parole, cette musique, elle n’est pas contraignante, elle ne s’impose pas. Elle s’offre. Nous pouvons l’accepter, la prendre, la faire nôtre ; ou bien, nous pouvons la repousser. Mais heureux ceux qui l’entendent et qui la gardent car elle se saisit de nous. Elle pénètre jusqu’aux fibres de notre corps et elle nous élève. Elle nous élève, elle nous transfigure, elle nous rend beaux comme elle est belle.

           

            Telle fut la vie de Marie ! Cette Parole, cette musique, elle l’entendait sans arrêt. Il n’était même pas nécessaire qu’elle y prête attention. Non, elle résonnait sans fin à l’oreille de son cœur. Elle en était ravie, elle en était nourrie. C’est d’elle qu’elle vivait, c’est pour elle qu’elle existait.

            Elle a fait corps avec elle et, jamais Marie n’a revendiqué pour elle-même la moindre chose. La Parole, cette musique, était sa raison de vivre. Elle était portée par elle, elle respirait en elle. Cette coïncidence entre le plus intime de son être et cette parole musicale lui suffisait. Elle était comblée.

            Elle était déjà passée de la terre au ciel car il n’est pas possible de disjoindre Dieu de sa Parole. Elle avait le sentiment que le monde lui appartenait. Sans pouvoir l’exprimer, elle se savait créatrice de l’univers.

 

            Il ne pouvait en être autrement puisque la Parole de Dieu, cette musique extraordinaire, ne faisait plus qu’un avec elle. Elle était l’instrument privilégié dont Dieu se servait pour poursuivre l’œuvre de sa création, l’œuvre de sa métamorphose en ce que lui est. C’était là la mission de Marie ! Dans son cœur et dans son corps virginal, elle sentait une fécondité sans mesure et sans fin.

            La mort ? Elle n’y pensait pas, c’était pour elle du passé. Elle avait franchit le seuil de la vie. La Parole de Dieu s’incarnait en elle, c’est allé jusque là. Elle est devenue chair de sa chair et la mort était engloutie. Il ne restait plus rien que la vie et la vie impérissable.

            Frères et sœurs, l’Assomption de Marie a commencé le jour de sa naissance et même avant. Elle ne s’est pas produite en un instant. Non, elle a été une croissance lente, irrésistible, une croissance qui a vaincu tous les obstacles. Elle a été comme une naissance, une véritable naissance, une naissance qui a été un détachement progressif et finalement un envol.

            Personne n’a jamais rien remarqué, personne de ce monde. C’était une réalité invisible aux yeux avides des curieux, aux yeux des hommes charnels. Il y avait un seul témoin : Dieu qui admirait, qui se réjouissait, qui devenait de plus en plus tout en elle. Et finalement, Marie elle-même était devenue pure musique et, c’est peut-être là le sommet de sa beauté.

 

            Frères et sœurs, l’Assomption de Marie, pourquoi ne serait-elle pas aussi la nôtre ? C’est jusque là qu’elle est notre mère. Croyons-le ! Croyons-le de tout notre être ! Notre assomption en Dieu a déjà commencé maintenant. Elle a commencé avec l’apparition de Marie sur la terre. Cette parole est une parole de vie. Gardons-là précieusement en nous ! Elle vient de Dieu, elle est notre avenir et elle est notre bonheur.

           

            Oui, frères et sœurs, Heureux ceux qui entendent la parole de Dieu et qui la gardent !

                                                                                                            Amen.

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Homélie : En l’Assomption de Marie.            15.08.96*

      Marie vivait ailleurs !

 

Frères et sœurs,

 

            L’Assomption de la bienheureuse Mère de Dieu dégage devant les yeux de notre foi des horizons merveilleux, des espaces de lumière, de beauté, de douceur, de compassion, de paix, d’amour, de vie.

            C’est la raison pour laquelle toutes les églises de l’Ordre Cistercien, donc également celle à l’intérieur de laquelle nous nous trouvons, sont consacrées dans l’humilité et la richesse du mystère de l’Assomption.

            Et quand on dit mystère, nous le savons, il ne s’agit pas d’une chose incompréhensible mais d’une réalité dont on n’a jamais fini d’explorer la profondeur et la beauté.

 

            Aujourd’hui, nous sommes invités à renouveler notre regard, à l’ouvrir à une lumière capable de transformer notre vie. Marie dans son Assomption nous dit qui nous sommes et où nous sommes. Elle nous invite à percer l’apparente opacité de l’univers matériel pour découvrir en lui la réalité première et dernière, pour entendre la réponse aux questions qui hantent notre subconscient : d’où venons-nous ? Où allons-nous ? Et la mort ? Et après ?

 

            Regardons Marie ! Laissons-nous envahir par la douceur de sa présence. Dès son apparition sur la terre, elle respirait déjà dans l’univers de Dieu. Mais comment pouvait-elle le savoir ? Elle était en tout semblable aux autres femmes de son petit village. Elle était sans doute la plus effacée, la plus humble, mais il y avait chez elle un plus qui la rendait différente. Elle était innocente, pure, candide.

            On pouvait se moquer de sa naïveté, elle ne comprenait pas et elle souffrait en silence. Cette conscience de vivre ailleurs n’a fait que grandir en elle. Elle a éclaté de tous ses feux à l’instant où du plus profond, du plus secret de son être a jailli le magnificat. Ce fut une explosion comme un volcan qui brusquement s’est libéré et qui a dispersé pour l’univers entier le secret de Marie.

 

            Et ce secret, je le répète, c’est qu’elle vivait ailleurs. Elle vivait déjà dans l’univers de Dieu. Et cet univers de Dieu, elle le voyait à travers chaque chose qui tombait sous son regard. C’est cela, frères et sœurs, la réalité première et dernière, l’univers de Dieu présent dans la matière, la travaillant, la métamorphosant, la conduisant à sa plénitude, à sa réussite, la conduisant vers l’heure où Dieu sera tout en toute chose comme il était tout en Marie.

            Et cette conscience de vivre dans cet univers s’est épanouie en Marie jusqu’à embraser le cosmos entier le jour oµ les derniers voiles se sont déchirés pour elle, où elle s’est retrouvée dans le cœur même de la Sainte Trinité. C’est cela le mystère de son Assomption !

            Et nous qui sommes les frères de Jésus le Christ, nous qui sommes les membres, les cellules de son corps, nous qui naissons chacun pour notre part avec le Christ de la chair de Marie, nous partageons en tout le plus remarquable, le plus réconfortant de la vie de notre Mère.

            Nous aussi, comme elle, nous sommes citoyens des cieux ; là en Dieu se trouve notre présence et notre avenir. Le mal nous est étranger tout comme à Marie. Mais s’il exerce sur nous quelque pouvoir – et nous savons, hélas, que c’est beaucoup trop souvent qu’il exerce sur nous quelque pouvoir – c’est parce que nous-mêmes nous nous sommes rendus étrangers à notre véritable nature d’enfant de Dieu.

 

            A nous donc de reprendre et de réintégrer notre vérité. C’est un mouvement de conversion que nous devons opérer chaque jour. C’est en lui que nous avons ouvert cette Eucharistie. Et le moine fait le jour de sa profession, il promet solennellement de travailler à tout instant à la conversion de sa vie. Il promet de faire tout son possible pour s’ouvrir à la réalité qui lui est promise, la réalité déjà présente de l’univers de Dieu à l’intérieur duquel il est invité à entrer avec tous ses frères les hommes.

 

            Frères et sœurs, le chrétien doit donc être un homme attentif, prudent, vigilant. Il doit sans cesse se souvenir de sa véritable identité. Sa patrie, sa vraie patrie, ce n’est pas ce monde-ci soumis à l’entropie et puis à l’extinction. Oui, c’est la même matière, mais une matière habitée, une matière travaillée de l’intérieur, une matière qui est comme le tabernacle, comme l’ostensoir du Dieu qui l’a créée et qui la conduit à son achèvement, à sa métamorphose.

            Oui, notre patrie est le lieu où nous sommes entrés en même temps que Marie dont nous sommes chair de la chair. O, ce ne sont pas là des vues utopiques. C’est la réalité ! Et si nous pouvons nous en imprégner, notre vie prendra une dimension nouvelle ; nous verrons toutes choses comme Marie les voyait. Nous les verrons pour ce qu’elles sont, pour des révélations de ce que Dieu est.

 

            Ecoutez cette petite histoire ! Vous la connaissez peut-être ? Antoine, le Père des moines, était dans son désert. Et là, il n’y avait rien que des collines, que du sable et quelques palmiers, quelques petites maisons qu’ils avaient édifiées et un puits.

            Et un philosophe, un philosophe grec venu d’Alexandrie, la reine des cités à l’époque, s’avance vers lui et lui demande : « Mais enfin, mon Père, comment peux-tu tenir dans ce désert sans le secours des livres ? »

            Et Antoine de lui répondre : «  O, philosophe, le livre, eh bien il est là devant mes yeux, ouvert, et je peux le lire chaque fois que j’en ai envie. Et chaque fois, c’est toujours ! Telle est la vérité ! Vous voyez qu’elle n’est pas d’aujourd’hui, elle est de toujours.

 

            Frères et sœurs, avoir de plus en plus conscience de cette réalité et en vivre, c’est avoir vaincu et dépassé la mort. L’Apôtre vient de nous le dire : le dernier ennemi que le Christ a anéanti, c’est la mort. Lorsque nous vivons dans le Christ, lorsque nous nous laissons enfanter par Marie, à ce moment-là nous tenons la mort sous nos pieds.

            Telle est la parole que nous adresse en ce jour Marie notre Mère. Puisse-t-elle éveiller en notre cœur de larges échos qui nous emplirons de consolations, qui seront un encouragement pour continuer notre route et qui seront un phare, non seulement pour nous mais pour tous ceux que nous rencontrerons. Ne l’oublions pas !

 

            Une petite phrase que j’ai rencontrée aujourd’hui encore, vous la connaissez sans doute, elle est de Dostoïevski : C‘est la beauté qui sauvera le monde ! Eh bien, laissons-nous imprégner par cette beauté et nous serons des sauveurs.

                                                                                                        Amen.

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Homélie : Fête de Saint Bernard.                20.08.85

      Nous devons devenir Sagesse !

 

Mes frères,

 

Faut-il ajouter quelques mots à ce que nous venons d'entendre? La Parole de Dieu est tellement riche et elle nous a présenté la Sagesse. La Sagesse, c'est une lumière. La Sagesse englobe tout, elle pénètre tout, elle revêt tout de beauté et de splendeur. Devant la Sagesse, on ne peut qu'ouvrir des yeux émerveillés. Or cette Sagesse, mes frères, elle est pour nous. Et nous-mêmes devons devenir Sagesse.

Nous le serons dans la mesure où nous aurons permis à l'Esprit de Dieu de nous transformer en un grain de lumière, cette lumière de Dieu qui nourrissait notre Père Saint Bernard, qui faisait de lui la lampe qui brûle, et qui brille, et qui réjouit tous ceux qui sont dans la maison.

Mes frères, pour devenir nous-mêmes ce grain de lumière, nous devons imiter notre Père Saint Bernard. O, pas dans les aspects extérieurs de sa vie qui est vraiment sensationnelle, extraordinaire, mais dans l'humilité de son cœur. Car ce n'est plus lui qui vivait, c'est le Christ qui avait pris possession de son cœur et qui le dirigeait en toutes ses démarches.

 

Mes frères, notre place, elle n'est pas ici sur la terre. Nos yeux ne doivent pas se détourner de notre véritable patrie qui se trouve au-delà du sensible, cette patrie qui porte notre univers, qui lui donne consistance et qui un jour le transfigurera.

Mes frères, nous serons lumière, si notre cœur vit au-­delà de ce que nous pouvons sentir, si le moteur de notre existence c'est l'Esprit de Dieu lui-même. Appelons cela en termes de théologie, si vous le voulez : foi, espérance, et charité. En fait, c'est l'unique vie de notre Dieu.

Voilà, mes frères, ce que Saint Bernard nous offre aujourd’hui et tous les jours. N'oublions pas que nous sommes ses enfants, que nous nous sommes engagés à marcher sur ses traces. Et soyons certains qu'il est notre guide, qu'il est notre soutien, qu'il nous porte et que, si nous nous laissons faire, si nous nous rendons légers entre ses bras, il nous conduira là où il est déjà arrivé, dans cette lumière qui nous attend et qui, reconnaissons-le, nous séduit.                    

                                                                                                       Amen.

 

Homélie : Exaltation de la Sainte Croix.        14.09.84*

      Notre gloire, c’est la croix !

 

Mes frères,

 

Nous n'avons pas ici de cité permanente. Nous attendons la cité future dont Dieu est l'architecte, cette cité qu'il a préparée pour nous dès avant la fondation du monde. En elle, nous serons comme Dieu, tout entier lumière et chant. Pour y entrer, nous devons franchir l'humble et terrible portail de la croix.

Autrefois, nous avons préféré l'image à la réalité. Nous avons choisi l'illusion du vide, l'illusion de l'égocentrisme plutôt que la plénitude du don de soi. Mais Dieu n'a pas voulu nous abandonner dans cet état. Il a voulu venir à nous, devenir l'un d'entre nous avec toutes nos faiblesses, toutes nos misères, pour prendre notre tête et nous remettre sur la route de cette cité bienheureuse.

 

Mes frères, la croix n'est pas un fétiche qui nous permettrait de dominer le monde. La croix rayonne de gloire parce qu'elle est actuelle; parce que aujourd'hui encore le Christ notre Dieu, dans ses membres, souffre et meurt sur elle; parce que elle est la manifestation permanente de la folie de Dieu, cette folie qui pulvérise toute sagesse humaine.

Et nous avons choisi de croire en ce mystère. Nous avons permis au Christ de le revivre en nous. Nous aussi, nous nous sommes faits, nous nous faisons obéissants jour après jour jusqu'à la mort, jusqu'à mourir s'il le faut. Nous ne briguons ni succès, ni réussite, ni faveur, ni honneur. Nous nous enfonçons dans notre petitesse, dans notre humilité, dans notre rien.

Oui, mes frères, nous savons qu'en ce moment même, lorsque chaque fois que nous nous enveloppons de cette mort dont le Christ a voulu souffrir sur la croix, lorsque nous ne reculons pas devant le sacrifice, lorsque nous nous abîmons à l'intérieur de notre obéissance par amour, nous savons qu'à ce moment la lumière de Dieu nous travaille, et qu'elle nous transforme, et qu'elle nous achemine vers notre destinée de gloire. Nous savons que là où est le Christ aujourd'hui, Nous sommes déjà en espérance avec lui.

 

Mes frères, dans cette Eucharistie, nous redisons à Dieu, nous redisons au Christ notre Seigneur, nous redisons à l'Esprit d'Amour notre confiance inconditionnelle, et aussi notre fierté. Beaucoup de chrétiens aujourd'hui ont honte de la Croix du Christ, et c'est un malheur ! Mais au moment où nous sommes entrés pour cette célébration, nous avons, nous, chantés notre fierté. Nous plaçons notre gloire uniquement dans la croix de notre Seigneur le Christ.

Et cette croix, nous la revivons dans notre chair, dans notre cœur, dans notre esprit. Car c'est par elle, c'est par son humilité que nous parviendrons là où nous conduit le Christ notre Dieu pour partager son honneur à jamais.

                                                                                                                    Amen.

 

Homélie : Fête de la Croix Glorieuse.            13.09.87

 

Mes frères,

 

Rien n'est plus contraire à l'esprit chrétien que le triomphalisme. L'Histoire nous apprend que l'Eglise, hélas, dans le passé, a fréquemment succombé au prestige du pouvoir autocratique. Puisse le Seigneur maintenant l'en préserver à jamais. La foi du chrétien n'est pas à chercher dans une hautaine affirmation de puissance. Elle se cache dans l'humble effacement du service. La fête de ce jour nous le rappelle avec insistance. Dieu ne s'est pas fait homme pour écraser l'homme, mais pour s'abaisser devant l'homme, pour lui obéir, pour se laisser mettre à mort par l'homme sur une croix.

 

Mes frères, Dieu atteint et manifeste la plénitude de son être dans le don total qu'il fait de sa personne. Il ne recule devant rien. Il accepte de devenir une chose. Il se désapproprie jusqu'à devenir un objet. Il entre dans la mort et il devient serpent de bronze au sommet d'un poteau. C'est là qu'il nous attend, c'est là qu'il désire s'offrir à nous, là et nulle part ailleurs.

C'est pourquoi la croix est le signe du chrétien, sa gloire et son honneur. L'Apôtre Paul s'en fait le chantre incomparable. En ouvrant cette Eucharistie, nous avons repris quelques-uns de ces accents chargés d'émotion et de foi : " Nous devons placer notre  fierté, notre gloire dans la croix du Seigneur Jésus car c'est en elle que se trouve la vie, le salut, la résurrection ".

 

Mes frères, avec Paul et comme lui nous devons être logiques jusqu'au bout. Ne nous arrêtons pas à mi-chemin. Nous monnayerons notre foi en la puissance transfigurante de la croix si nous obéissons sans réserve aux moindres vouloirs de notre Dieu.

Notre ensevelissement dans l'obéissance nous méritera un nom nouveau, le nom qui est au-dessus de tout nom, le propre nom du Seigneur. Car dans cette obéissance, nous sommes avec lui et nous sommes en lui, et nous partageons son abaissement certes, mais aussi sa gloire.

Quelques soient les souffrances que nous rencontrons dans le cours de notre vie, au moment que nous sommes branchés sur la volonté de Dieu, que nous avons établi en elle notre demeure, nous sommes en sécurité et la puissance de la résurrection opère en nous. Nous sommes déjà passés au-delà de cette vie. Nous entrons déjà dans la gloire de notre Seigneur.

 

Mes frères, si nous sommes ainsi fidèles à notre vocation chrétienne, nous serons vraiment le sel de la terre. Et avec le Christ Jésus, avec notre Dieu devenu l'un des nôtres, nous travaillerons au salut du monde. Comment ? Mais parce qu’à l'intérieur de notre cœur le monde entier se trouvera rassemblé comme il était rassemblé dans le cœur de notre Christ.

Mes frères, si nous sommes toujours dans cette obéissance à notre Dieu, entre le Christ et nous, il n'y a plus de distance. Nous devenons un seul esprit et nous accomplissons parfaitement le projet de Dieu sur nous et sur nos frères les hommes.

                                                                                                                           Amen.

 

Homélie : Fête de la Croix glorieuse.          17.09.95.*

      Sommes-nous meilleurs que nos pères ?

 

Frères et sœurs,

 

            Si nous avions un cœur suffisamment pur, un cœur suffisamment lumineux, nous serions en mesure de lire les signes des temps car Dieu ne cesse de nous parler, de nous avertir, d’éclairer notre marche vers lui.

            Les contemporains de Jésus étaient aveuglés, leur cœur s’était épaissi et leurs oreilles s’étaient fermées. Ils n’ont rien compris, ils n’ont rien vu. Ils se sont saisis de celui-là même qu’ils attendaient avec une folle impatience.

            Ils se sont saisis de lui, ils l’ont rejeté, ils l’ont crucifié, ils l’ont mis à mort. Serions-nous meilleurs qu’eux ? Je me permets d’en douter. C’est pourquoi, restons soigneusement sur nos gardes car nous ne sommes pas meilleurs que nos pères.

 

            Il y a de cela bien longtemps, trois mille ans environ, Dieu avait prescrit à Moïse de dresser un serpent de bronze au sommet d’un mat. Les fils d’Israël étaient mordus par des serpents brûlants et ils en mouraient. Mais si avec foi ils regardaient vers ce serpent de bronze, ils guérissaient et ils pouvaient continuer à vivre.

            Entre ce moment, pour nous bien lointain, et aujourd’hui il n’y a en fait aucun intervalle. Ouvrons les yeux de notre cœur, les yeux aussi de notre corps et contemplons là devant nous, et sur cette croix, au sommet d’un poteau, un homme torturé, un homme qui se tord de souffrance comme un serpent, un homme qui meurt et qui donne la vie, un homme qui est Dieu et qui est nous.

 

            Avons-nous donc compris ? Nous l’avons avoué au seuil de cette Eucharistie : nous sommes englués dans le péché, nous courrons derrière nos convoitises, nous pensons à nous d’abord et nous sommes devenus tous des malades.

            Alors il nous crie : Ressaisissez-vous ! Vous êtes mes enfants, vous êtes tous des frères et des sœurs. Votre avenir n’est pas dans ce qui tôt ou tard doit périr. Votre avenir est en moi qui suis l’Amour et la Vie.

 

            Dieu nous demande de regarder vers le Christ, de lui faire confiance, de le suivre en tout. La croix, à laquelle est suspendu le Christ, cette croix nous dit que le Christ nous a aimé jusqu’à se vider de lui-même pour épouser le plus faible et le plus misérable de notre condition humaine.

            La croix nous rappelle que Dieu est capable de faire surgir la vie hors de la mort ; elle nous rappelle que les épreuves les plus diverses n’auront pas le dernier mot même si nous devons être écrasés par elle. La croix nous rappelle que tout est déjà réconcilié au-delà des conflits les plus irrémédiables.

 

            Mais revenons un instant dans le désert. Le serpent y donnait la mort et est devenu, élevé sur une potence, remède et source de vie nouvelle. Ainsi, dans la personne du Christ, tout est inversé, tout est bouleversé, tout est renouvelé.

            A l’heure où il meurt, il baigne déjà dans la lumière de la résurrection. Sur la croix, il est et reste plus que jamais le chemin, la vérité et la vie. Croyons-le, frères et sœurs, et notre existence en sera métamorphosée.

 

            Le chrétien est un homme, une femme, qui permet à Dieu d’être Dieu, qui lui laisse les mains libres. Il est un homme qui ne banalise pas le mystère de la croix et sa beauté ; il est un homme qui fait confiance à la puissance résurrectionnelle de l’amour.

            Nous vivons des temps pleins de violences, de guerres, de corruptions, d’insécurités, de sang versé, de larmes qui coulent. Dans ces horreurs, nous voyons la personne du Christ et nous voyons aussi son Corps immense, son Corps écrasé, son Corps torturé ; mais nous voyons aussi le Christ traversant les ténèbres et ressuscitant des mort et nous entraînant nous aussi dans sa résurrection.

 

            Non, le mal ne sera pas le maître, le mal ne sera pas vainqueur ! En participant à cette Eucharistie, prenons en nous ce mystère et ravivons notre espérance. Lire les signes des temps, les déchiffrer, c’est croire au Christ vainqueur du mal et de la mort, au Christ qui est Vie éternelle. Mais reconnaissons-le, il n’est pas facile de croire !

            Lorsque nous sommes absorbés par la souffrance, lorsque un malheur irréparable s’est abattu sur nous, à ce moment-là, nous n’entendons plus rien, nous ne voyons plus rien. Nous sommes littéralement engloutis à l’intérieur de la douleur et les mots ne peuvent rien y changer. Mais, à ce moment-là encore, Dieu qui est amour est présent à l’intérieur de nos doutes et de nos révoltes.

            Oui, jusque là dans le mystère de la croix ! Le Christ en mourant, donc Dieu en mourant sur une croix a pris en lui, à l’intérieur de lui, au plus intime de lui tout ce que nous sommes, et par sa résurrection, il a tout transfiguré.

 

            Ce mystère, frères et sœurs, est figuré sur la croix scellée dans le tympan de cette église. Nous voyons là une croix ornées de douze points lumineux qui représentent la gloire de la croix illuminant l’univers entier, la gloire de la croix proclamée à tous les hommes.

            Au-dessus figurent deux astres de lumière qui représentent la nature humaine et la nature divine du Seigneur Jésus. Et en dessous, on peut observer deux spirales qui sont en réalité deux serpents. Le plus grand, sous le bras gauche de la croix, figure le mal par excellence, le monstre primitif qui cherche à engloutir tous les hommes.

            Et sous le bras droit de la croix un autre serpent, justement le serpent que Dieu a demandé à Moïse d’élever bien haut dans le désert, le serpent qui guérit la monstruosité, qui l’annule, qui du mal parvient à extraire le bien.

 

            Et c’est ainsi que le tympan de notre église nous rappelle que le Christ Jésus, vrai Dieu et vrai homme, mort sur une  croix, ressuscité d’entre les mort, est vainqueur et maître pour jamais et du mal, et du bien. C’est ce que l’Apôtre Paul nous rappelle : Dieu est tellement amour qu’il parvient à faire tout concourir au progrès spirituel, à la vie éternelle de ceux qu’il aime. Or, il aime tous les hommes sans exception.

 

            Voilà, frères et sœurs, le mystère que nous célébrons aujourd’hui. Demandons au Seigneur de nous garder fidèles à notre vocation chrétienne ; demandons-lui d’insuffler dans notre cœur la compassion, la compassion et la douceur pour que nous puissions porter les fardeaux, les souffrances les uns des autres et ainsi tous ensemble parvenir un jour à la vie éternelle.

                                                                          Amen.

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Fête de la Toussaint.                              01.11.80                                   

A. Introduction à la célébration.

 

Mes frères,

 

La Toussaint est une des fêtes les plus chères à notre coeur de croyant. Comme je l'ai dit ce matin, elle est le Royaume de Dieu venant à nous dans sa souveraine et irrésistible puissance. Ce Royaume est ici présent parmi nous. Dans ce sanctuaire, nous ne sommes pas seuls. Ici est le Christ, la Vierge Marie, les saints connus et inconnus en nombre infini, ils sont présents, intensément présents. Implorons leur secours, demandons leur de nous aider à être digne de participer avec eux aux divins mystères.

 

      B. Homélie.

 

Mes frères,

 

Le Christ vient de nous adresser des paroles paradoxales qui feront de nous, si nous y conformons notre conduite, des fils de la résurrection en nous introduisant dans le Royaume de Dieu. Le Christ a le droit de parler ainsi, n'est-il pas le chemin, la vérité, la vie ? N'a-t-il pas dit : Celui qui me voit, voit le Père ?

Le Royaume de Dieu n'est-il pas entièrement condensé en sa personne ? Et à partir de lui, ne se diffuse-t-il pas à travers l'univers entier en chacun de nous, si nous nous ouvrons à lui ? , N'a-t-il pas dit : La vie éternelle, c'est de te connaître, toi, Dieu, seul unique et vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, ton Fils, Jésus le Christ ?

 

Mes frères, le Christ ouvre devant nous un sentier étroit, resserré, abrupt, impraticable. Seul quelques fous s'y engagent et y avancent, une folie sublime qui va faire de ces hommes des dieux. Nous ne sommes pas venus au monastère pour autre chose. Le moine qui se laisse porter au paroxysme de cette folie, il est devenu pure transparence d'un au-delà des êtres. Il est révélation vivante du monde divinisé.

Entre le Royaume de Dieu et lui il n'y a pratiquement plus d'espace, plus d'intervalle. Cet homme est entièrement libre car il est le maître de la création et des événements. Le Christ, en lui, crée et recrée le monde. Cet homme est puissant, car là où le Christ l'a élevé plus rien ne peut l'atteindre. Et il possède la Vie Eternelle, car à la suite du Christ, il a franchi en vainqueur le portique de la mort.

 

Mes frères, aujourd'hui plaçons nous franchement, résolument dans cette visée. Tout au long de cette journée méditons humblement ce que nous venons d'entendre. Essayons de revoir ce spectacle extraordinaire que l'Apocalypse a découvert sous nos regards. N'allons pas trop faire marcher notre imagination, mais contemplons ; ouvrons les yeux, les yeux de notre corps spirituel.

Je rappelle ce que j'ai dit ce matin, ce à quoi j'ai fait allusion un instant en ouvrant cette Eucharistie : le Royaume de Dieu est ici dans ce local. Si notre cœur est suffisamment pur, nous le voyons. Ces paroles étonnantes et rassurantes du Christ, méditons-les humblement aujourd'hui. Elles sont ce que Saint Benoît appelle la via salutis, la route qui va nous conduire au complet épanouissement de notre personnalité humaine et divine. L'Apôtre nous l'a rappelé.

Nous sommes appelés enfants de Dieu, parce que nous le sommes. Et notre destinée, c'est d'être participant à part entière de la nature divine avec tous ses privilèges. Et le premier, c'est d'avoir conscience dans une vision directe, immédiate, que nous sommes devenus parents de Dieu par cadeau.

 

Mes frères, à qui irions-nous ? Nous possédons ce trésor, le trésor de ces Paroles Divines qui sont porteuses de vie. Ouvrons-nous à elles, laissons-nous posséder par elles, les commenter serait les édulcorer. Nous devons les recevoir et les manger. Dans quelques instants, cette Parole, le Christ va dans les Espèces Eucharistiques se donner à nous et s'assimiler à notre être physique aussi bien que spirituel.

Mes frères, ouvrons-nous à ces réalités. Et un jour si nous sommes fidèles, si nous avons suffisamment de foi en ce Dieu, en ce Christ, en ces Saints ici présents, nous serons avec eux pour l'éternité dans la communion, en pleine lumière.

 

                                                                                                             Amen.

 

Homélie de la Toussaint.                         01.11.82*

      La vie véritable, incorruptible.

 

Mes frères,

 

De quoi est-il question dans la solennité de ce jour ? Il est question de la vie véritable, la vie incorruptible, la vie impérissable, la vie dans la Lumière, dans la Paix, dans la plénitude, la Vie de Dieu à notre disposition, à notre portée, gratuitement.

Certains y ont cru. Certains y croient encore. Ils sont rares sans doute, mais ils existent. Cette vie qui n'est pas pour demain, pour un demain lointain, utopique, elle est pour aujourd'hui, elle est pour tout de suite si seulement nous consentons à la recevoir.

Ce n'est pas un ersatz de vie, ce n'est pas une vie aux exigences d'une chair insatiable. Ce n'est pas une vie condamnée à se dissoudre dans une inévitable corruption ? Non, c'est une vie qui vient d'ailleurs, un ailleurs qui est plus réel que la matière que nous touchons, que nous travaillons, un ailleurs qui soutient notre univers et qui lui donne consistance. Cet ailleurs est notre véritable patrie.

 

Mes frères, comme je le rappelais ce matin, nous prenons malheureusement nos ténèbres pour la véritable Lumière. Mais le jour viendra, tout proche si nous le voulons, où nos yeux se dessilleront et où enfin ils pourront voir cette Lumière et ainsi nous transfigurer. Cette vie qui nous est promise, elle est une Personne, une Personne attentive, prévenante, aimante, la Personne de l'Esprit Saint omniprésent, omnipotent, cet Esprit qui est l'Amour.

Ah, mes frères, si nous pouvions seulement réaliser que l'Amour est une Personne ! A ce moment-là toutes nos difficultés personnelles et sociales disparaîtraient. Mais hélas, encore une fois, nous vivons dans la nuit et nous nous cramponnons à nos ténèbres. Si je m'abandonne à cette vie qui est une Personne, si je m'abandonne à elle sans réticence, à sa présence et à son action qui sont tellement plénifiantes que absolument en moi plus aucune place n'existera sauf pour elle et pour sa lumière, à ce moment-là, avec elle, j'aurais reçu tous les biens.

Mes frères, en d'autres termes, nous sommes enfants de Dieu. Mais ce que nous serons n'apparaît pas encore pleinement. Et pourtant cela déjà va transparaître au dehors, même si le monde ne comprend pas. Puisque nous sommes appelés à une telle Vie, à une telle gloire, ne perdons plus, ne perdons pas notre temps à des bêtises.

 

Des enfants de Dieu, mes frères, ce sont des hommes pauvres - nous venons de l'entendre - doux, pacifiques, miséricordieux, affamés de justice, purs, sans aucune trace de malice...des hommes rayonnants, mais aussi - il faut l’accepter - des hommes méconnus, des hommes ridiculisés, méprisés et calomniés. Mais qu'importe, puisqu'ils vivent dans le Royaume de Dieu et que leurs yeux contemplent la Lumière qu'est Dieu.

La vision que nous a décrite l'auteur de l'Apocalypse, cette vision qui était la sienne, nous devons bien comprendre qu'elle est éternelle. C'est à dire qu'elle est d'aujourd'hui comme elle était de son temps. Maintenant encore le trône est dressé devant nous, l'Agneau est présent, ici, parmi nous. Mais voilà, encore une fois, Lui, il est dans la Lumière tandis que nous, nous sommes dans les ténèbres. Mais s'il en est ici qui ont le cœur qui commence à s'éveiller à la Lumière, je suis certain que cet Agneau, ils le voient. Et le voyant, ils deviennent purs comme lui est pur.

Mes frères, nous ne mesurons pas l'immensité de notre bonheur, notre bonheur de vivre, notre bonheur d'être chrétien, notre bonheur d'être ici réunis dans la compagnie de tous les Saints afin de participer à la gloire et à la Lumière de l'Agneau. Dans quelques instants, il va nous incorporer à sa Personne en se donnant à nous comme nourriture. A ce moment-là, mes frères, nous recevrons une nouvelle fois les germes de la vie incorruptible. Cette vie, je le rappelle, elle est à notre disposition. Elle est pour nous. Et si nous consentons à nous livrer à elle sans arrière pensée, en toute confiance, elle fera très vite et pour jamais des hommes nouveaux.

                                                                                                       Amen.

 

Homélie : Fête de la Toussaint                  01.11.97*

      Les 8 portes du Royaume !

 

 

Frères et sœurs,

 

            La péricope évangélique dont nous venons d’entendre la proclamation est appelée communément la charte du Royaume de Dieu. Frères et sœurs, cette appellation n’est pas usurpée. Elle nous présente en effet huit portes magnifiques qui ouvrent l’accès à ce Royaume de lumière et de paix où nous espérons tous entrer un jour, le jour où le Seigneur nous appellera. Chacune de ces portes est couronnée d’une bénédiction : Heureux ! Heureux ! Heureux !

            Il y a huit portes et il y a une seule porte que nous reconnaissons en chacune d’elles. Et cette porte, c’est le Christ Jésus lui-même, lui qui a dit : Je suis la porte des brebis. Celui qui entre par moi pourra aller et venir et il se rassasiera de la vie éternelle. Oui, le Seigneur Jésus a imprimé son empreinte, son visage, sa beauté sur chacune de ces portes.

 

            Heureux les pauvres ! Qui fut plus pauvre que lui ? Les oiseaux du ciel avaient leur nid, les renards dans la campagne avaient leur tanière et lui, il n’avait même pas un endroit où reposer sa tête.

            Et il nous a ouvert largement une porte lorsqu’il a glissé dans le creux de notre oreille ce conseil : Apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. Et depuis lors, la carte d’identité du saint, c’est la douceur et la compassion et, c’est cette douceur qui devient maîtresse de la terre entière.

 

            Et lui, n’a-t-il pas longuement pleuré sur Jérusalem, la ville sainte, le joyaux de toute la terre, le marchepied du trône de Dieu ? N’a-t-il pas pleuré sur son ami Lazare ravi à l’affection de tous, à son affection à lui par cette ennemie redoutable, implacable qu’est la mort ? Mais il savait qu’une Jérusalem nouvelle était toute prête là-bas et que bientôt elle descendrait du ciel et qu’elle recueillerait tous les pleurs, et qu’elle essuierait les larmes de tous les yeux.

 

            Qui plus que lui a eu faim et soif de la justice ? Non pas de n’importe quelle justice, non pas de la justice des hommes qui ne comprend rien, mais de la justice à lui, la justice de l’amour qui va infiniment plus loin que toute justice. Il en a eu tellement faim et soif qu’il en est mort car les hommes ne peuvent s’accoutumer de la justice de Dieu. Mais s’il est mort, c’est pour ressusciter et être intronisé juge du cosmos entier.

 

            Et il est par excellence le miséricordieux, lui qui comprend chacun des hommes par son intérieur et qui jamais ne condamne. Il s’est proclamé la lumière du monde, une lumière d’une pureté au-delà de toute pureté. Et en elle, nous pouvons enfin nous baigner, nous pacifier, nous régénérer, obtenir un cœur pur qui enfin pourra contempler les merveilles de Dieu.

 

            Et n’est-il pas le pacifiste par excellence, lui qui dans sa paix a réconcilié l’univers du ciel et de la terre et qui attend que nous soyons avec lui des artisans de réconciliation et de paix. Non pas des pétroleurs qui allument des incendies, qui attisent les discordes, qui jettent le discrédit ; mais des artisans de paix qui savent réconcilier parce qu’ils possèdent dans leur cœur la propre paix de Dieu.

            Quant aux persécutions, aux insultes, aux calomnies, qui en a été abreuvé autant que lui ? Et c’est encore lui aujourd’hui qui souffre dans ses disciples torturés. Il n’est pas un endroit au monde où il n’y ait toujours une attaque ou l’autre contre sa personne.

 

            Eh bien, frères et sœurs, quelle porte allons-nous choisir pour entrer dans le Royaume de Dieu ? Eh bien, nous répondrons à la manière de la petite Thérèse de Lisieux que nous les choisissons toutes ; toutes, même la dernière, même cette porte toute petite, toute étroite à l’intérieur de laquelle nous devrions nous glisser, la porte de l’incompréhension, la porte des soupçons, la porte des ragots, la porte des regards que l’on sent juger, et déjà condamner, et déjà rejeter.

 

            Mais pour être certains de ne pas nous tromper, nous aurons soin de choisir l’unique porte. Nous serons comme notre Sauveur : tout amour ; nous aimerons de tout notre être, nous aimerons de toutes nos forces sans mesure et sans fin, sans jamais nous laisser rebuter.

            Nous ouvrirons notre cœur à l’admiration, à l’émerveillement devant les hommes, devant leurs travaux, devant l’univers, devant la nature. Devant le plus petit et devant le plus grand, nous serons accueil.

            Et en accueillant en nous la beauté que Dieu sème partout, à ce moment-là, nous entrerons par l’unique porte qui a marqué sa beauté sur chacune des huit portes. Et ainsi, nous serons accueillis.

 

            La grande épreuve, la toute grande épreuve que nous devons tous traverser, n’est-ce pas le déroulement de notre vie semée de grands échecs parfois, de souffrances, de deuils, de peines, de travaux, de labeurs ?

            Oui, cette vie, elle est vraiment la toute grande épreuve que chacun doit affronter. Mais nous laverons nos vêtements dans le sang de l’Agneau. C’est la raison pour laquelle nous sommes ici pour partager l’Eucharistie, pour devenir mystiquement un seul corps qui nous permettra de grandir et de repartir plus fort et plus sûr.        

            Ainsi, la vie du Christ bouillonnera en nous et déjà sur cette terre le Royaume de Dieu sera pour nous. Nous en serons les témoins et notre vocation de chrétien, notre vocation d’homme sera accomplie.

                                                                                    Amen.

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Homélie : Fête du Christ-Roi.                     23.11.86

      Solidarité dans la misère et la gloire.

 

Scène étonnante, mes frères ! Qui aurait pu l'inventer ? Voici un crucifié proclamé roi par un brigand crucifié à côté de lui. Quelle solidarité dans la misère, mais aussi quelle solidarité dans la gloire, car il lui a été répondu : aujourd'hui, tu seras avec moi dans le paradis, dans ce Royaume qui est le mien et où ne peuvent entrer que ceux qui comme toi ont reconnu leur misère et qui s'abandonnent à celui qui est le maître de tout, le maître des cœurs, mais aussi le maître du pardon et le maître du don total.

 

Mes frères, notre année liturgique se termine ainsi en une apothéose. Et il en est ainsi chaque année. Cela revient mais ce n'est jamais la même chose. Nous sommes chaque fois élevés plus haut, nous sommes chaque fois portés plus près de l'issue de notre vie qui est la rencontre de cet être merveilleux qui est Jésus de Nazareth notre Roi.

Il s'agit bien de l'homme Jésus, cet homme qui est né d'une femme, la Vierge Marie. Il a vécu notre condition en toute chose excepté le péché. Il a peiné, il a travaillé et, nous l'avons vu, il a terminé sa vie sur une croix comme un condamné. Tout le monde l'a rejeté, le clergé de l'époque, les gouvernants de l'époque. Personne ne l'a reconnu sauf un bandit !

Mes frères, faut-il donc que nous entrions dans le tréfonds de notre misère pour que nos yeux s'ouvrent à la réalité et que nous puissions enfin percevoir la lumière, la contempler, nous en réjouir, nous en nourrir. C'est cela le prodige de l'humilité, de cette descente dans la vérité de ce que nous sommes à cause de notre péché, et alors du don de nous à celui qui a pris sur sa personne notre péché, qui l'a porté sur la croix du condamné, à notre place, pour nous.

 

Mes frères, Jésus de Nazareth est vraiment le Roi de l'univers, non seulement de l'univers matériel que nous pouvons étudier, que nous essayons de maîtriser, mais aussi de tous les univers spirituels. Il est le Roi parce qu'il est le Créateur, l'organisateur, le guide, le propriétaire.

D'un côté il y a Lui, et de l'autre côté il y a le reste. Mais entre les deux il y a une intense solidarité. Car si Jésus est homme, il est aussi Dieu, Dieu devenu matière, Dieu devenu chair, Dieu ayant assumé en son être toute sa création pour que finalement il devienne, lui, tout en toute chose.

Voilà, mes frères, ce qui est le plus beau : une tête, Dieu, et puis un corps, l'univers ; cette tête devenue l'univers et l'univers étant devenu la tête. C'est un même organisme vivant. Et nous, qui sommes des grains de matière, nous sommes la conscience de ce qui arrive.

 

Mes frères, lorsque nous disons que Jésus est Dieu, reconnaissons-le, cela devient une banalité sur nos lèvres. Nous ne savons plus ce que nous disons. Cela ne nous impressionne plus. Or, il faudrait que cette affirmation bouleverse nos vies comme elle a retourné celle du brigand.

La lumière de Dieu, vous voyez, cette lumière qui est Dieu, elle ne luit pas dans les réussites humaines aussi belles même soient-elles, parce que ces réussites, elles nous plongent dans l'insouciance.

La lumière qui est Dieu, elle brille dans l'humilité, dans l'obscurité de ces croix quotidiennes grandes et petites que nous rencontrons, qui semblent nous blesser, qui parfois nous défigurent, mais qui en réalité sont les instruments qui nous portent à notre véritable naissance, cette naissance par laquelle nous devenons UN avec le Roi de l'univers, étant entièrement nous-mêmes divinisés.

 

Mes frères, oui, si le Christ Jésus est pour nous vraiment le Roi, le Roi du cosmos, nous devons nous-mêmes renoncer à être de petits rois dans notre milieu, et  même le petit roi de notre vie personnelle. C'est en nous incorporant à lui par une obéissance sincère, entière, de chaque instant que nous signerons la véritable réussite de notre vie.

­          Mes frères, le paradis est à notre portée comme il était à la portée du brigand. Il est a notre portée et un rien nous sépare de lui. Et ce rien qui nous sépare, c'est une certaine méfiance. Mais si nous parvenons à faire une confiance totale à Dieu, à notre Roi, à celui auquel nous nous sommes donnés, dès ce moment, nous entrons dans le paradis et nous y sommes. Et plus personne ne peut nous en faire sortir, car dès l'instant où le Christ nous a pris auprès de lui, nous sommes hors de portée de toutes les atteintes du mal.

Voilà, mes frères, ce que nous pouvons retenir pour aujourd’hui. Laissons l'Eucharistie, laissons notre Roi prendre possession de nous. Abandonnons-nous à sa conduite. Soyons les serviteurs de ce Roi qui est notre Dieu. Et ainsi, nous aurons accompli notre vocation d'homme, de chrétien et de moine.

 

                                                                                              Amen.

Homélie : Fête du Christ-Roi.                     20.11.88

      En chacun vit l’espérance de cet univers d’amour.

 

Mes frères,

 

La liturgie dévoile aux yeux de notre cœur les secrets et les mystères de l'Histoire. Elle promène sa lumière dans les bas-fonds de notre monde de ténèbres. Elle la projette au loin, dans les lointains du monde à venir, de ce Royaume merveilleux peuplé de saints et de saintes qui sont tous des princes et des princesses.

Aujourd'hui, elle nous révèle que sous les épiphénomènes enregistrés par nos sens et diffusés partout se construit un univers nouveau dont le foyer est la Personne du Christ ressuscité d'entre les morts. Cet univers est immergé dans le feu vivifiant et rafraîchissant de la Trinité Sainte.

Cet univers est communion dans l'amour, intensité de présence, accueil et don réciproque, rassasiement des besoins les plus nobles de chacun, couronnement de toute beauté possible. Il sommeille dans le cœur de tout homme comme une espérance qui est un appel et une invitation.

 

Par contre, le monde que nous connaissons habituellement - celui de la matière et de la chair brute - est le monde de la juxtaposition d'individus cloisonnés dans leur peur, le monde de l'anonymat général et de l'absence. C'est un monde vide où il n'y a personne. On y étouffe dans ce monde, on n'y est pas libre. Il est peuplé de choses, d'objets, d'intérêts antagonistes qui s'affrontent, qui se détruisent. Il n'y a personne.

Il faut descendre dans des profondeurs inaccessibles à nos instruments de mesure pour y découvrir une présence, celle d'une Personne unique qui a tout pris sur elle pour tout rédimer, pour tout sauver, et finalement pour tout transfigurer. Cette présence affleure parfois dans le regard d'un saint.

Elle est celle du Christ Jésus, le Régent du cosmos, le Maître de l'Histoire, lui qui métamorphose tout par l'intérieur. Il est descendu au plus bas de toutes les profondeurs - personne n'est en dessous de lui - et de cet abîme, il est remonté. Et pourtant, il n'en est jamais absent.

 

Mes frères, c'est ainsi que la pâte de ce monde est travaillée par lui dans l'invisible. Et au terme, Dieu sera tout en toute chose. La domination du Christ ressuscité n'est pas celle d'une force brutale qui domine, qui terrorise et qui écrase.

 Elle est celle de la douceur, de la compassion, de la miséricorde, de la paix. Elle manifeste le respect infini de Dieu pour toute créature, son inépuisable patience, son humilité sans fond.

C'est dans ce sens seul que le Christ Jésus est le Roi de l'univers, de l'univers entier, depuis les abîmes les plus ténébreux jusqu'aux cimes de lumière.

 

Et nous, chrétiens, nous devons être pour les hommes de tous bords, réalité de cette présence discrète, attentive, aimante. Nous le serons si, comme je le disais ce matin, nous revêtons les insignes du Christ, les insignes de notre Roi, si nous sommes à notre tour des princes dans son Royaume. Et les insignes que nous devons revêtir, c'est l'agapè, c'est l'amour, la charité, cette lumière et cette beauté qui pour jamais demeurent invaincues et invincibles.

Mes frères, nous serons fidèles à notre vocation, mais nous demanderons à notre Christ de nous donner sa force, qu'à travers notre faiblesse, notre fragilité, notre vulnérabilité, sa présence transperce, transparaisse et que, grâce à nous, son Royaume de lumière, son Royaume de Charité, son Royaume de bonté progresse dans notre propre cœur, dans celui de nos frères et au loin, partout. Car pour la charité de Dieu, il n'y a pas d'espace comme il n'y a pas de durée. Elle est éternelle.

 

                                                                                                    Amen.

 

Homélie : Fête du Christ-Roi. [4]                  25.11.90*

      Le Fils de l’homme siègera sur son trône de gloire.

 

Mes frères,

 

"Le Fils de l'homme siègera sur son trône de gloire" vient de nous dire l'évangile. Mais imaginons un instant que nous célébrons cette Eucharistie dans une église latine ou byzantine du 4 ème ou du 5 ème siècle. Au fond de l'abside, juste dans l'axe de l'autel, nous verrions un trône majestueux, taillé dans la même pierre que l'autel et l'ambon, car il possède la même dignité que ceux-­ci. Ce trône est bien plus qu'un simple siège de présidence. Il porte d'ailleurs un nom propre, il s'appelle l'étimasie.

Lorsqu'on entre dans une église, le regard doit s'arrêter au bout de l'abside sur le trône de gloire. Lorsqu'on entre dans une vraie église, au bout de celle-ci, on doit voir le terme de l' histoire des hommes et le dernier acte de celle-ci : le jugement dernier. C'est pourquoi, lorsqu'on entre dans une église, on doit être saisi par un effroi sacré qui nous fait nous écrier avec le patriarche Jacob : "Terribilis est locus iste, comme ce lieu est redoutable".

Le trône de l'étimasie doit toujours être vide dans l'attente du retour du Fils de l'homme. Ce trône ne peut être occupé que lors de la célébration eucharistique car celle-ci anticipe vraiment le retour du Seigneur. Pendant toute la liturgie de la Parole, le trône de l'étimasie est occupé par le célébrant qui agit in persona Christi, tandis qu'à l'ambon la Parole de Dieu juge le cœur de chacun, ouvrant ou fermant l'accès à l'autel. On ne peut passer à l'autel qu'après avoir comparu devant le trône et entendu les paroles qui viennent de l'ambon.

 

On ne peut célébrer l'Eucharistie que si la loi d'amour évangélique a été pratiquée. On ne peut célébrer l'Eucharistie si un affamé de pain terrestre ou de pain spirituel se trouve devant nous. On ne peut célébrer l'Eucharistie si les malades physiques, psychologiques ou spirituels ne sont pas soignés. On ne peut célébrer l'Eucharistie si les étrangers, les prisonniers et les spoliés ne sont pas secourus.

Mes frères, le trône de l' étimasie qui devrait se trouver dans l'axe de l'autel nous rappelle la nécessité de la loi d'amour pour participer au festin du Royaume. C'est assis sur le trône de l'étimasie, dans sa cathédrale d'Antioche, que l'évêque saint Jean Chry­sostome disait : "On n'a pas le droit de rencontrer Dieu dans le sacrement de l'autel, si d'abord on ne l'a pas rencontré dans le sacrement du frère".

Confiants dans la miséricorde de Dieu, portons jusqu'au Père l'espérance du monde et les appels de sa misère.

                                                                                      Amen.

 

Homélie : Fête du Christ-Roi.                   26.11.95*

      Une royauté d’amour !

 

Frères et sœurs,

 

            La Parole de Dieu à laquelle nous venons d’ouvrir les portes de notre cœur nous remplit d’une espèce de vertige parce qu’elle nous permet d’entrer dans la réalité la plus secrète de l’être profond de cet homme Jésus, lui que nous n’avons pas connu mais que nous connaissons aujourd’hui parce qu’il est le Roi de l’univers. Il est notre Roi.

            Et c’est un homme, ne l’oublions jamais, un homme comme nous qui a connu nos joies, nos peines, nos difficultés, nos malheurs et qui finalement a connu la mort. Mais cette mort, il l’a vaincue et, c’est pourquoi il est définitivement le Roi de l’univers.

 

            L’Apôtre vient de dessiner sous nos yeux le portrait de ce Roi Jésus, l’homme Jésus – j’insiste sur le fait que c’est un homme – Jésus est l’image du Dieu invisible. Dieu, personne ne l’a jamais vu, mais lorsque nous regardons Jésus, nous voyons Dieu. Ce n’est rien d’extraordinaire alors Dieu ? Non, ce n’est rien de fantastique. Dieu est tout simplement l’amour. Et cet amour habite l’homme Jésus et il transparaît à nos yeux.

            Jésus est celui auquel tout, absolument tout dans les cieux et sur la terre appartient car tout a été créé par lui, et tout a été créé pour lui. C’est à dire que insensiblement mais infailliblement l’univers entier, quel que soit son expansion, se ramène à un seul objet qui est d’être comme le vis-à-vis de Dieu, le vis-à-vis de l’homme Jésus qui en est le maître et qui en même temps toujours en prend possession.

            Tout subsiste en Jésus. Il est le commencement, il est la fin, il est l’aboutissement. Il est le premier né d’entre les morts. Si bien que toute chose a en lui son accomplissement total. Et quand on dit toute chose, c’est d’abord nous. Il nous est impossible de nous accomplir, de nous achever, d’être parfaitement heureux en dehors de lui.

 

            Dans ces conditions, nous comprenons qu’il soit vraiment le Roi de l’univers. Mais il ne l’est pas à la manière d’un roi constitutionnel, un de ces rois que nous connaissons aujourd’hui. Non, il est Roi dans le sens étymologique du mot, c’est à dire qu’il est celui qui dirige tout, celui qui a tout dans sa main. Mais ce sont des mains qui ne sont pas des mains de despote, ce sont les propres mains de l’amour.

            Il conduit tout à son terme. Il est Roi parce qu’il métamorphose tout, il transfigure tout, il ne retient rien pour lui ; sa propre beauté, il la projette sur l’univers entier qui est comme la révélation de ce qu’il est. Il ressuscite les morts. Il est le premier né d’entre les morts. Il a voulu passer par le goulot de la mort pour nous dire qu’au-delà de ce canal, il y a la vie éternelle qui est Lui.

            Il est le Roi parce qu’il est le juge des hommes et des anges et qu’il ne laisse rien se perdre. Il l’a dit : « Celui qui aura donné ne fut-ce qu’un verre d’eau à un homme assoiffé, eh bien, ce ne sera pas perdu pour lui ». Il est Roi parce qu’il est l’amour vers qui tout monte et en qui tout se rejoint. L’amour ne disloque pas, l’amour ne détruit pas ; l’amour unit, l’amour construit.

 

            Eh bien, frères et sœurs, Roi, il l’était dans le sein de Marie déjà ; il l’était dans l’étable de Bethléem ; il l’était sur les bancs de l’école à Nazareth ; il l’était dans son atelier de charron ; il l’était sur les routes de Galilée ; il l’était devant Pilate et il l’était quand il mourrait sur la croix.

            Cela a duré une bonne trentaine d’années et personne ne se doutait de rien. Il y avait peut-être sa mère ? Il y avait peut-être Joseph ? Il y avait peut-être l’un ou l’autre privilégié qui avait le cœur suffisamment pur  que pour reconnaître la réalité de Jésus ? Sinon personne ne savait rien.

 

            Et aujourd’hui, mes frères, qui s’en doute ? Constatons-le, il est comme inexistant. Il demeure lui-même, et pourtant c’est lui le Roi. Une onction de lumière ruisselle de son être et se répand sur chacun de nous. C’est à l’intérieur de cette onction que nous respirons et que nous vivons. C’est par elle que nous somme en voie de résurrection et que nous entrons dans la vie éternelle. Le contemplatif, c’est un homme qui voit cette grandiose réalité et qui en vit. Si les yeux de chaque chrétien pouvaient s’ouvrir à leur tour, le monde en serait métamorphosé.

 

            Béni sois-tu, Père, toi qui a caché cela aux sages et aux savants et l’a révélé aux tous petits ! Voilà ce que Jésus s’est écrié un jour ! C’est pourquoi, frères et sœurs, n’ayons pas peur d’être du côté des petits, des pauvres, des pécheurs. Ce n’est pas aux chefs, ce n’est pas aux théologiens de l’époque que Dieu a révélé qui il était. Il l’a révélé à un bandit, à un condamné à mort crucifié à son côté.

            Peut-être est-il nécessaire de toucher le fond de la détresse pour reconnaître en Jésus le Roi qui mystérieusement nous introduit dans un accomplissement infiniment au-delà de nos rêves les plus fous. Aujourd’hui, tu seras avec moi dans le paradis !

            Cette parole, frères et sœurs, elle retentit à nos oreilles aujourd’hui encore. Qu’est-ce que le paradis ? Mais le paradis, c’est la personne du Seigneur Jésus, c’est comme je le disais voici un instant, c’est cette onction de lumière qui rayonne, qui ruisselle de sa personne et à l’intérieur de laquelle nous baignons. Si les yeux de notre cœur s’ouvrent à cette merveille, alors nous sommes réellement avec Jésus dans le paradis.

 

            Il fallait que l’année liturgique se clôtura sur la solennité du Christ Roi de l’univers. Notre vie n’est pas une succession de hasard plus ou moins heureux ou malheureux. Elle est orientée vers un sommet, un sommet qui parfois peut nous paraître gouffre, et un gouffre sans fond.

            Notre vie est orientée, elle est guidée, elle est conduite vers un accomplissement inespéré car elle est portée par les yeux d’un homme, d’un homme comme nous ; les yeux d’un homme qui a connu tous les chemins du labeur, de la souffrance et de la mort ; les yeux de l’homme-Jésus ressuscité, Roi de l’univers, Roi dont nous sommes les frères et les sœurs et qui nous prend auprès de lui.

 

            Oui, frères et sœurs, jour après jour, quoi qu’il arrive, nous montons vers une plénitude de vie et l’Eucharistie que nous partageons aujourd’hui en est la promesse et le gage.

 

                                                                                                                   Amen.

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Table des matières

 

Homélie : Fête des Saints Fondateurs.           26.01.85. 1

Passer par le trou de l’aiguille. 1

Homélie : Fête de la Présentation.               02.02.78. 2

Introduction à la liturgie. 2

Homélie : Fête de la Présentation.        02.02.79. 3

La triple muraille à franchir. 3

Fête de la Présentation du Seigneur.             02.02.81. 5

1. Introduction avant la bénédiction des cierges : 5

2. Homélie à l’Eucharistie : 6

Fête de la Présentation du Seigneur Jésus.      02.02.82. 7

1. Exhortation à la bénédiction des cierges : 7

2. Homélie à la célébration : 7

Homélie : Présentation du Seigneur.           02.02.85*. 8

Nous sommes le monde en route. 8

Homélie : Fête de la Présentation du Seigneur. 02.02.86. 10

Une relation correcte avec Dieu notre Père. 10

Homélie : Fête de la Présentation du Seigneur. 03.02.91. 11

L’arme de l’Amour. 11

Homélie : Fête de la Présentation du Seigneur. 02.02.92. 12

Les témoins de l’indicible. 12

Homélie : Fête de la Présentation.              02.02.95. 13

Vivre d’attente et d’espérance. 13

Homélie de la Présentation.                       02.02.96. 14

Lui la tête et nous les membres. 14

Homélie : Vigile de Saint Jean-Baptiste.        22.06.83. 16

Jérémie et Jean-Baptiste. 16

Homélie : Vigile de Saint Jean-Baptiste.        23.06.87. 17

Homélie : Vigile de Saint Jean-Baptiste.        23.06.88. 18

Jr. 1, 4-10  *  1P. 1, 8-12  *  Lc. 1, 5-17. 18

Homélie : Vigile de Saint Jean-Baptiste.        23.06.89. 19

Homélie : Vigile de Saint Jean-Baptiste.                                   23.06.90. 21

A l’Eucharistie Vespérale. 21

Homélie : Fête de Saint Jean-Baptiste.                                       23.06.92. 22

Eucharistie vespérale. 22

Homélie : Vigile de Saint Jean-Baptiste.                            23.06.94. 24

Le Prince des contemplatifs. 24

Homélie : Vigile des Apôtres St Pierre et Paul. 28.06.83. 25

Mieux comprendre l’agir de Dieu. 25

Homélie :                                                                                          28.06.85. 26

Messe vespérale des Saints Pierre et Paul. 26

Homélie : Vigile des Saints Pierre et Paul.                        28.06.86. 27

Suis-moi ! 27

Homélie : Vigile des Saints Pierre et Paul.       28.06.88. 28

Ac. 3,1-10 * GaI. 1-11-20 * Jn. 21,15-19. 28

Homélie : Vigile des Saints Pierre et Paul.       28.06.89. 29

Homélie : Vigile des Saints Pierre & Paul.                                28.06.96. 31

Etre les témoins de la vérité ! 31

Homélie : Fête de la Dédicace.                  03.07.94. 32

Nous sommes des pierres vivantes. 32

Homélie : Vigile de la dédicace.                  06.07.96. 33

Ainsi par votre amour le fîmes ! 33

Homélie : Fête de la Dédicace.                  07.07.96*. 34

Devenir des pierres vivantes ! 34

Homélie : Fête de Saint Benoît.                 11.07.82*. 36

Radicalité et absolu ! 36

Homélie : Fête de Saint Benoît.                  11.07.85. 37

L’hommage de notre gratitude. 37

Homélie : Fête de Saint Benoît.                  11.07.89. 38

Je suis parmi vous comme celui qui sert. 38

Homélie : Fête de Saint Benoît.           11.07.93. 39

Le moine ne sait pas attendre ! 39

Frères et sœurs dans le Christ, 39

Amen. 40

Homélie : Fête de Saint Benoît.            11.07.96. 40

L’humanité de Saint Benoît. 40

Homélie : Fête de la Transfiguration.            06.08.89. 42

Participer à la vie même de Dieu. 42

Homélie : Fête de la Transfiguration.          07.08.94*. 43

Opposer la muraille de l’amour à la haine. 43

Homélie : Dimanche Vigile de l’Assomption.      14.08.83. 45

Notre assomption. 45

Fête de l’Assomption de la Vierge Marie.        15.08.83. 47

Prise d’habit de Louis. 47

Homélie : Eucharistie vespérale.                  14.08.96. 49

La mission de Marie. 49

Homélie : En l’Assomption de Marie.            15.08.96*. 50

Marie vivait ailleurs ! 50

Homélie : Fête de Saint Bernard.                20.08.85. 52

Nous devons devenir Sagesse ! 52

Homélie : Exaltation de la Sainte Croix.        14.09.84*. 53

Notre gloire, c’est la croix ! 53

Homélie : Fête de la Croix Glorieuse.            13.09.87. 54

Homélie : Fête de la Croix glorieuse.          17.09.95.*. 55

Sommes-nous meilleurs que nos pères ?. 55

A. Introduction à la célébration. 57

B. Homélie. 57

Homélie de la Toussaint.                         01.11.82*. 59

La vie véritable, incorruptible. 59

Homélie : Fête de la Toussaint                  01.11.97*. 60

Les 8 portes du Royaume ! 60

Homélie : Fête du Christ-Roi.                     23.11.86. 62

Solidarité dans la misère et la gloire. 62

Homélie : Fête du Christ-Roi.                     20.11.88. 63

En chacun vit l’espérance de cet univers d’amour. 63

Homélie : Fête du Christ-Roi.                   25.11.90*. 65

Le Fils de l’homme siègera sur son trône de gloire. 65

Homélie : Fête du Christ-Roi.                   26.11.95*. 66

Une royauté d’amour ! 66

Frères et sœurs, 66

 

 



[1] Il s’agit de l’ancien Chapitre des frères, Chapitre actuel de la communauté.

[2] Ancien Chapitre des frères convers.

[3] Eucharistie annuelle pour les bâtisseurs de l’église.

[4] Transcription de mémoire !