Version 1.02 Juillet 2016
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Autour et à propos de Isaïe 11

"Le chat sauvage" ou "De la perfectibilité"

Abstract: C'est la perfectibilité de l'homme ET de l'animal qui donne crédit aux espérence les plus folles d'Isaïe.

J'ai toujours vécu sans animaux domestiques. Ce n'est pas qu'ils me fuient. C'est plutôt l'inverse; en général, les chiens et les chats m'aiment bien.

Les chiens sont gentils et capables de sentiments élevés, mais je n'éprouve aucune attirance pour cette stupide allégeance qu'ils veulent nous offrir. Ces parfaits esclaves donneraient leur vie pour un maître méchant et ils aboient parfois avec une obstination dont l'absurdité et la durée confine à l'idiotie; j'ai alors juste envie de les battre pour retrouver le silence qui a plus à me dire.

Personnellement, je préfère les chats.

Une chatte avec ses trois chatons est venue établir son territoire sur mes terres. Je n'aimais pas trop cette arrivée. Je m'inquiétait pour la sécurité des oiseaux, des reptiles et autres batraciens de ma zone; les chats sont connus pour être de redoutables prédateurs! J'ai même pensé tuer les chatons parce que cela ferait trop de bouches pour les possibilités naturelles d'accueil de mon petit verger. Par delà mon verger, au village, il y avait déjà trop de chats au regard des soins que les villageois étaient disposés à leur offrir. Ma chatte, en l'occurrence, chassée de toute part était restée sauvage et une blessure au cou laissait entendre qu'elle dû parfois se battre pour survivre. Bien entendu, je n'eus jamais le courage de tuer les chatons. Facile de parler, moins facile d'agir. Je me donnais pour excuse qu'ils voyaient déjà et avaient acquis trop de conscience que pour m'autoriser à appliquer une telle sentence.

Moins d'un mois après l'arrivée de cette petite famille, je dois bien admettre que ma vie en a été très affectée. La chatte est encore extrêmement méfiante vis-à-vis de moi. Elle avait communiqué sa méfiance à sa progéniture. Mais depuis quelques jours, à force de cadeaux et de douceurs j'arrive parfois à prendre l'un ou l'autre chaton dans mes mains sans qu'il n'y ait terreurs de toutes parts. Je pensais au petit prince de Saint Exupery, à la longue procédure d'adoption de son renard. C'est exactement la procédure que j'ai poursuivie.

La chatte m'apprend des visages de la nature qui m'étonnent. Attiré par un étrange bruit, je fus ainsi le témoin de sa lutte avec un serpent. Impressionnant! Le serpent blessé finit par s'éclipser. La chatte le laissa fuir. Il s'en sortit donc mieux qu'un autre qui fut mangé et dont j'avais retrouvé la tête sur l'herbe quelques jours plus tôt.

Avant-hier il y eut une première crise majeure entre la chatte et moi. Elle venait de capturer le grand caméléon que j'aimais voir se promener sur l'enceinte de mon verger. Le pauvre reptile s'agitait encore dans sa gueule. Je voulus intervenir mais en me voyant arriver, la chatte s'est crispée et j'ai entendu un craquement d'os qui me fit d'abord croire que le supplice du caméléon était finit et qu'il n'y avait plus rien à faire. Je pensais simplement qu'à l'avenir, j'arriverais à adoucir la rage prédatrice du félin en lui donnant plus de nourriture...

Mais le caméléon vivait encore et la chatte mis sa proie sur l'herbe au milieu de ses trois chatons. Elle enseignait à ses petit comment jouer avec la souffrance du caméléon. S'il tentait de fuir, l'un des petits, sous le regard satisfait de sa mère, se ruait pour le rattraper et le croquer de sa bouche sans force et trop petite que pour le tuer.

Ce que j'ai ressenti alors relevait d'un instinct incontrôlable et qui me range systématiquement dans le clan des opprimés et des souffrants; je me ruais vers le lieu du supplice et donnais un très rude coup de pieds à la chatte qui a tenté d'abord de m'attaquer pour se défendre et puis a préféré fuir. Les trois chattons avait eux aussi disparu à la vitesse de la foudre. Je savais que je mettais là en péril des semaines de lent travail d'approche, d'adoption progressive, mais c'était plus fort que moi: je devais faire cesser cette cruauté gratuite avant toute autre considération. Je m'étonnais de l'intensité de cette colère, voire de cette haine, qui remplissait mon coeur vis-à-vis de la chatte. Il me fallut beaucoup de retenue pour ne pas la poursuivre de mes violences. Les chatons recevaient eux d'emblée mon indulgence, non pas parce qu'ils étaient petits et mignons mais parce que, malgré tout, ils n'étaient peut-être encore que les victimes innocentes des manipulations maternelles.

J'avais tout de même remarqué qu'un des trois chatons, celui que j'avais déjà reconnu depuis plusieurs jours pour être le plus doux de la fratrie, le plus intelligent peut être, et le moins craintif vis-à-vis de moi, avait pris un peu de distance par rapport au supplice du caméléon.

Il me restait maintenant à achever le grand reptile agonisant d'un coup de bêche et à mesurer les dégâts relationnels avec les chats.

Je haïssais la chatte et simultanément me rendais compte qu'elle obéissait à une règle de survie. Cette bête et ses petits avaient faim et je m'en rendis compte lorsqu'en allant remettre la bêche à sa place deux des trois chatons se sont rué vers les morceaux de chair pour les manger. Je finis même par éprouver de la pitié par rapport au désarroi que cette chatte devait maintenant ressentir à mon endroit car elle ne devait évidemment rien comprendre à cette violence soudaine de celui qui avait semblé jusque-là le seul humain à vouloir plutôt la protéger. J'ai alors ressenti une tristesse énorme pendant certainement quinze minutes,. Puis ce fut un désarroi. J'aimais le caméléon et regrettais son trépas, mais ce n'était pas lui, ni même la cruauté de la chatte qui m'attristaient. J'étais devenu la proie d'un ressentiment, d'une espèce très particulière de nausée, à cause de l'ordre de la nature. Une fois encore, je ne supportais plus que la souffrance -pardon, la cruauté!- aie été inscrite dans sa structure.

Je ne sais pas pourquoi ce banal épisode de la vie de la nature m'indisposait aussi profondément ...ou plutôt, oui !, je sais: cette inscription de la cruauté dans la sphère de la délicatesse, de la tendresse, de la beauté... Insupportable mélange! Depuis quelques semaines, j'avais pu observer à quel point la tendresse fait partie de la vie familiale des chats; devais-je maintenant accepter que la férocité y prenne aussi sa place?

Je méditais ainsi, terrassé par le poids du réel.

Je méditais sur la liberté de changer l'ordre du réel. Je pensais au petit garçon d'Isaïe dans les temps accomplis.

«Le loup habitera avec l'agneau, le léopard se couchera près du chevreau. Le veau et le lionceau seront nourris ensemble, un petit garçon les conduira. La vache et l'ourse auront même pâture, leurs petits, même gîte. Le lion, comme le boeuf mangera du fourrage. Le nourrisson s'amusera sur le nid du cobra. Sur le trou de la vipère, le jeune enfant étendra la main. Il ne se fera ni mal, ni destruction sur toute ma montagne sainte, car le pays sera rempli de la connaissance du Seigneur, comme la mer que comblent les eaux.» Isaïe 11,6-9 - Traduction TOB

Peut-être que la chatte était prête à me laisser transformer sa propre nature, au moins dans une certaine mesure, pourvu que j'y travaille et pourvu qu'elle n'aie pas faim.

J'étais renvoyé à la radicalité de l'imperfection des espèces souffrantes: l'abolition de ces souffrances était probablement un devoir absolu et la perfectibilité des espèces, notre seul espoir.

Cela faisait déjà plusieurs mois que je me rendais bien compte que la perfectibilité n'était pas un propre du genre humain (contrairement à ce que Rousseau avait pensé). Mille indices laissaient entendre que le monde animal en est aussi pourvu et nos villes se peuplent ainsi d'une faune qui su s'adapter voir franchement tirer profit des réalités urbaines. Les chats carnivores après tout réclament moins de tuer que de manger des protéines et ils acceptent volontiers les préparations que nous leur tendons. Je me suis laissé dire que des nouvelles générations de chats ne tracassent plus les souris et que les rapaces qui viennent loger sur Notre-Dame sont en train de changer radicalement le menus de leurs ancêtres.

De toute évidence, la perfectibilité des chats n'est pas nulle, mais elle demande comme celle de l'homme tant de travail pour devenir opérationnelle et globalement cohérente que le désespoir rode. L'ampleur de la tâche donne le vertige.

Pendant que ses frères mangeaient la chair du caméléon, le troisième chaton me regardait de loin et tout à fait étrangement, je pus l'approcher sans qu'il ne tente d'abord de s'enfuir. C'était inhabituel et pour le moins paradoxal puisqu'il venait d'être témoin de ma colère. Je lui apportais à manger et il se laissa caresser comme les autres chatons le feront moins d'une heure plus tard. Il me semblait que ma colère les avait plus rapprochés que séparé de moi. Et même la mère, que j'avais pourtant battue, et qui, certes, ne se laissait pas plus toucher qu'avant, acceptait une proximité que je croyais être supérieure à celle d'avant la crise. Je comprenais mal cette évolution, mais je devinais pourtant qu'il y avait eu dans notre dispute comme l'expression d'un désir confus de toute chair souffrante. La sauvagerie des bois ne profite qu'à très peu d'âmes vivantes.

 

paul yves wery - Chiangmai, juin 2009

Version 1.02 -juillet 2016

 

(J'ai reçu ces photos par un courriel transféré.

Je n'en connais donc pas l'auteur, hélas.

Je ne désespère pas obtenir ce nom.

Un lecteur pourra-t-il m'aider?...)