Le mot samaritain, qui évoque une personne charitable, à l'image du Bon Samaritain de l'Évangile (Luc, X, 3-35), possède un riche contenu historique. Vivant en Israël, sans être strictement juifs ni arabes, les Samaritains constituent actuellement, comme ils l'affirment, le peuple le plus petit et le plus ancien de la Terre. Au début de 1996, ils étaient 583, répartis entre le territoire soumis à l'Autorité autonome de Palestine, à Naplouse, près de leur lieu historique du mont Garizim - " la montagne des Bénédictions d'Israël ", selon les propos de Moïse -, et les récents établissements dans l'État d'Israël, à Holon, à la périphérie de Tel-Aviv. Jadis, ils risquèrent de disparaître en raison de calamités, d'apostasies et d'une stricte endogamie. En 1917, on comptait 146 individus.
Les assouplissements des contraintes ont amélioré leur situation démographique. Les ouvrages les concernant se sont multipliés depuis que l'historien et astronome Guillaume Postel publia, en 1538, le premier alphabet samaritain et que l'érudit napolitain Pietro Della Valle entra, en 1616, en possession du premier Pentateuque samaritain connu en Europe, mais surtout, plus près de nous, après la diffusion pendant huit décennies du livre de référence The Samaritans de J. A. Montgomery et grâce, enfin, à l'activité d'une association internationale, la Société d'études samaritaines (S.E.S.), fondée à Paris en 1985 par un groupe de savants réunis autour de Dom Guy D. Sixdenier. La S.E.S. a déjà publié les actes de ses travaux et a patronné la publication de deux ouvrages collectifs, A Companion to Samaritan Studies - un ensemble homogène d'articles - et The Samaritans, un dictionnaire encyclopédique, qui constituent maintenant l'abc de toutes les recherches. Au Ve congrès de la S.E.S., qui a eu lieu à l'Università del Sacro Cuore de Milan en juillet 1996, assistaient des Samaritains comme les prêtres Cohen Salluun ben 'Amran et Abd M. Sadqa, responsable numéro quatre de la communauté dans la hiérarchie samaritaine. À la différence des autres Juifs, les Samaritains ont conservé le rôle des prêtres et du grand prêtre en tant que médiateurs entre les hommes, la nation et Dieu ainsi que les traditions relatives au Temple. Le sacerdoce de leurs familles sacerdotales est censé remonter à la haute Antiquité, à Josué et à Aaron.
Les Samaritains reprochent aux Juifs d'avoir réécrit la Torah et d'avoir abandonné le caractère sacré du Garizim au profit de Jérusalem. En effet, les deux textes du Pentateuque, juif (dit massorétique) et samaritain, diffèrent sur environ 6 000 points, rarement importants. Leur nom authentique est Shomerim et tire son origine de la racine shomer, plutôt que de la région de Samarie où ils ont vécu, pour signifier " gardien [de la véritable tradition et de l'Écriture] " dans la stricte fidélité à Yahvé et dans une recherche de rigueur lors de l'exécution des prières et des prescriptions rituelles. Les principaux préceptes de leur foi sont les suivants : un seul Dieu, le Dieu d'Israël ; un seul prophète, Moïse, considéré étrangement comme " le maître du monde " et aussi comme repère eschatologique ; un seul livre sacré, donné par Moïse, Pentateuque ou Torah (et sa version paraphrastique, le Memar Marqah), d'où est tiré leur Décalogue qui fusionne, en un seul commandement initial, l'unité divine et l'interdiction de l'idolâtrie, et qui ajoute à la fin le commandement sur l'édification d'un Temple sur le mont sacré ; ils excluent de la sorte les Livres des Prophètes et les Hagiographes reconnus sacrés par le judaïsme. L'adhésion littérale à la Torah implique aussi la scrupuleuse observance de toutes les règles du sabbat et des normes sur la pureté et l'impureté. Les Samaritains fêtent seulement les sept solennités religieuses indiquées dans la Torah ; sont donc exclues Hanukka et P-urim. Sur le mont Garizim, ils célèbrent les fêtes principales, et celle de la Pâque est devenue une attraction touristique avec le sacrifice rituel de l'agneau et une mise en scène digne des temps bibliques. Ces principes s'enrichissent de la croyance dans le messie, le taheb, un prophète, tel Moïse, qui doit venir dans la lignée de Joseph et se manifester sur le Garizim pour fonder un royaume destiné à durer un millier d'années, afin d'instaurer la Vengeance et la Récompense.
Ils se considèrent comme les Bnai Yisrael, " fils d'Israël ", c'est-à-dire les vrais représentants de la religion originelle, descendants des tribus d'Ephraïm et de Manassé, établies dans le royaume d'Israël-Samarie. Cette entité politique s'est maintenue indépendante jusqu'à la conquête assyrienne de 722 avant J.-C. Les conséquences de la captivité de Babylone restent une question controversée. Pour les tenants d'une interprétation orthodoxe fondée sur le récit biblique (2 Rois, XVII), le peuple samaritain s'est formé à partir de la fusion de populations étrangères, idolâtres et païennes, destinées à peupler la Samarie postérieurement à l'exode d'une bonne partie de sa population. La consommation du divorce idéologique, déjà annoncé, s'est donc réalisée après 538 avant J.-C., au retour de Babylone des Juifs de Judée. L'acceptation irréfléchie de ce récit explique le terme péjoratif de Cutheans (dérivée de la ville de Cuthea) utilisé pour désigner les Samaritains dans une certaine littérature. En revanche, si l'on s'en tient à des documents assyriens, la domination assyrienne ne semble pas avoir affecté la continuité des traditions et l'exode babylonien n'a touché qu'une faible partie de la population de la Samarie. De ce point de vue, on peut dire que probablement deux groupes distincts de population y vivaient côte à côte.
En outre, le récit de Flavius Josèphe est, pour certains, une source historique incontestable quand il affirme que le peuple samaritain s'est constitué vers le milieu du IVe siècle avant J.-C. à cause d'un banal schisme avec Jérusalem. Il en résulte la fondation, par rétorsion, aux alentours de 312 avant J.-C., d'un Temple sur le Garizim, imitation exacte de celui de Jérusalem. Toutefois, l'épisode relaté par Flavius Josèphe prend place au sein de l'idéologie soutenue par les adversaires des Samaritains. Le Temple fut détruit en 128 avant J.-C. par les Juifs de Jérusalem, et la scission, à ce moment, est clairement attestée. Dans les périodes d'accalmie, la population samaritaine a atteint 1 200 000 âmes. Par la suite, sous les dominations étrangères - assyrienne, égyptienne, macédonienne, romaine, chrétienne, arabe et turque -, les Samaritains ont subi des persécutions et connu des conversions comme les autres Juifs. Par exemple, sous Vespasien, pendant la guerre qui mena à la destruction du Temple de Jérusalem en l'an 70, Flavius Josèphe raconte le siège de la montagne sacrée et le massacre de 11 600 Samaritains. Ces derniers tenteront à nouveau de se rebeller et, au IIIe siècle, sous la conduite de leur héros national Baba Rabbah, ils essaieront de renaître politiquement, religieusement et militairement. Les révoltes sous les empereurs byzantins Zénon, en 484, et Justinien, en 529, ont eu un grand retentissement sur l'histoire des Samaritains. Justinien a été accusé d'avoir appliqué la " solution finale " à ce peuple.
La récente ouverture des archives contenant les manuscrits de Qumran, près de la mer Morte, devrait aider à mieux comprendre la formation de la pensée religieuse et philosophique des Samaritains. Or on est censé croire qu'à la base du Pentateuque samaritain se trouve un ancien texte, un texte neutre, appelé proto-samaritain. Ainsi, le texte samaritain comprend deux catégories de contenus : la première est constituée d'un ancien texte ; la seconde, des modifications et des ajouts nécessaires à présenter les éléments caractéristiques propres à la secte samaritaine. Les anciens textes offriraient une tradition palestinienne, qui est différente des enseignements rabbiniques. On entrevoit la source des prescriptions appliquées par les sectes juives, et on y rattacherait aussi les croyances des Falachas et des Caraïtes. De son côté, la Bible des Septante, par certains traits, se rapproche du contenu du texte samaritain.
Les fouilles archéologiques du site de Sichem, au voisinage de l'actuelle ville de Naplouse, ont mis au jour l'habitat hellénistique du IIe siècle avant J.-C. et révélé l'existence au sommet du mont Garizim d'un périmètre sacré, le temenos, à côté duquel un temple aurait été construit ; il subsisterait en dessous des soubassements de l'église élevée en 484 par l'empereur Zénon. Un mur entourait le sommet de la colline. Les archéologues y ont trouvé les restes des nombreux animaux, agneaux et chèvres, sacrifiés chaque jour et aussi une amphore en or décorée, 1 000 pièces de monnaie, 150 inscriptions en quatre langues (ancien hébreu pour les écritures officielles, comme celle Beit Yahvé, " la maison de Dieu " ; araméen et grec pour les dédicaces du sanctuaire ; et samaritain). Les premiers résultats montrent clairement que le temple avait un escalier et deux portes, composant une structure identique à celle du temple de Jérusalem.
La présence des Samaritains ne s'est pas limitée à la Palestine et à sa région continentale limitrophe ; en effet, à partir du IVe siècle avant J.-C., elle s'est propagée en Égypte et, ultérieurement, tant à Athènes que dans les îles et villes de la Méditerranée alors colonisées par les Grecs. Les dernières communautés ont survécu longtemps : à Alep jusqu'au XVIIe siècle, et au Caire l'extinction est attestée en 1761.
À la différence des autres Juifs, ils se sont toujours bien accommodés avec les Arabes, à tel point qu'ils ont influencé certaines pratiques liturgiques musulmanes, en contrepartie, ils ont adopté certaines des habitudes de leurs voisins. La langue arabe est leur langue maternelle, même s'ils continuent à prier en ancien hébreu, puisqu'ils n'ont jamais adopté l'écriture carrée de l'hébreu moderne.
L'éventualité d'une Palestine indépendante satisfait la communauté de Naplouse, dont un responsable a été nommé au Parlement palestinien : Yasser Arafat s'est préoccupé pendant l'intifada de la protection de " nos frères Samaritains " ; plus récemment, il a rendu visite à ses chefs religieux ; enfin, lors du vol de deux précieux livres saints, c'est à lui que la communauté s'est adressée dans l'espoir de les retrouver plus facilement. Différente est l'attitude des Samaritains d'Holon : ils se sentent israéliens et ont obtenu de l'État hébreu la prérogative d'acquérir la nationalité israélienne, de profiter de la loi du retour, de valider officiellement certains actes et verdicts de leurs rabbins et d'effectuer le service militaire à Tel-Aviv dans le respect des solennités religieuses samaritaines. Ils recommandent de ne pas répéter la séparation de leur communauté de celle de Naplouse, comme ce fut le cas lors de la création de l'État d'Israël en 1948 et jusqu'à la guerre de 1967. L'accomplissement des devoirs religieux sur le mont Garizim, au moins lors du sacrifice annuel de Pesakh (Pâque), sinon aussi de Suqqot (la fête des Tabernacles) et de Shavuot (Pentecôte), exige un libre passage entre Tel-Aviv et Naplouse. Aussi, revendiquent-ils la constitution à leur profit d'un corridor internationalement reconnu, en contrepartie, peut-être, d'un autre corridor unissant à Israël les communautés juives enclavées en Palestine. La crainte de compliquer le terrible imbroglio moyen-oriental s'est encore accrue lorsque s'est produit, le 7 septembre 1996, un accrochage entre l'armée israélienne et les Samaritains de Naplouse.
Vittorio MORABITO - Synthèse rédigée pour la version 2006 de l'encyclopédie Universalis