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Version 1.02 - Mai 2010

Abstinence et contemplation

Abstract: L'abstinence ne conduit pas nécessairement à une maturation spirituelle. Il faut d'abord en décrypter honnêtement les effets secondaires...

La chasteté n'est pas l'ascèse, l'abstinence sexuelle n'est pas la chasteté, le sexe n'est pas le genre, la morale n'est pas la spiritualité, la spiritualité n'est pas le christianisme... Je conseille vivement le lecteur d'affronter ces distinctions avant de lire cette page qui ne concerne qu'une très petite part de la relation entre la sexualité et la spiritualité.

Comme le désir sexuel est un désir très fort, il peut être embarrassant pour un contemplatif. La maîtrise de la sexualité mérite donc un effort particulier.

Dans certaines traditions religieuses, la gestion de l'abstinence a induit de véritables névroses collectives. L'islam plus encore que le Christianisme a ainsi induit le développement de quelques sociétés purement et simplement tyrannisées par des obsessions sexuelles que n'importe quel voyageur peut remarquer sur place. Je ne mets pas en doute la qualité spirituelle des chefs musulmans ou chrétiens visés ici mais je suis plus réservé quand à leurs méthodes. Plutôt que de conduire leurs ouailles (qui peuvent se chiffrer en millions d'individus) à une chasteté vraie, ils ont parfois induit un malaise culturel contre-productif. Et voilà que des foules d'obsédés se mettent en chasse «d'impurs», des surveillances monstrueuses s'organisent, des pudeurs idiotes se répandent, on cache ou on castre des marbres dans les musées parce qu'ils deviennent capables dans ces peuples désorientés d'exacerber des passions malsaines, la beauté qui ne se déguiserait pas derrière des symboles glacés ou des tonnes de chiffons devient illicite... Bref, on est là devant l'inverse de la paix intérieure, l'inverse d'une avancée spirituelle. Rien qu'angoisses et désirs. Échec donc de la méthode au regard des intentions.

*

Bien enfoncé dans la quarantaine, nourri jusque-là d'idées simples sur la vie contemplative et le monachisme, j'ai voulu devenir moi-même un contemplatif... Qu'allais-je alors faire de ma sexualité? À la suite des traditions monastiques chrétiennes et bouddhistes, j'admettais bien sûr, et sans la moindre hésitation, que le désir sexuel pouvait être encombrant pour la croissance spirituelle. Mais en pratique, quelle serait la meilleure ligne de conduite? Devais-je prendre en compte l'énorme malaise sexuel des musulmans que j'avais pu observer dans l'Iran Khomeiniste? Devais-je prendre en compte les obsessions lancinantes et très désagréables des sectes évangélistes que j'avais pu observer en Asie du Sud-Est et en Afrique Noire? Devais-je me tracasser des mots d'ordre de l'Eglise catholique redevenue plus vigilante depuis qu'elle a été éclaboussée par quelques scandales de moeurs?

Il fallait me méfier des simplismes instinctifs pour partir à la conquête d'une vraie chasteté.

Au début, je pensais devenir trappiste. Or, pour un disciple de saint Benoît (et de Rancé), la question ne se posait pas vraiment. Cette organisation de la vie monastique abolit quasi toutes les formes de tentations sexuelles. La Règle est claire et efficace. Le fils de saint Benoît (dût-il même être un homosexuel) n'a finalement à combattre qu'une manifestation très anodine et très privée de la sexualité: l'envie de se masturber. Les écarts possibles à l'abstinence pure et dure sont donc, par l'efficience de la Règle, réduits à peu de choses et confinés dans une sphère strictement individuelle. Dans ces conditions-là, il n'est même plus tentant de remettre en question l'idée désuete qui veut que la chasteté soit identifiée à l'abstinence et qu'à ce titre, la castration symbolique soit nécessairement vertueuse. (L'eunuque qui s'est rendu tel pour le Royaume (Mt 19) deviendrait donc un idéal spirituel universel, ce que pense saint Paul mais ce que évidemment aucune exégèse sérieuse ne pourrait déduire des paroles de Jésus!). Lorsque je pensais devenir trappiste, j'avais accepté de viser cet idéal. Dans le cadre particulier d'un monastère, cet idéal était à ma portée. J'en voyais les incontestables avantages, et acceptais volontiers les inconvénients pour la simple raison que j'avais déjà un passé sexuel suffisant -me semblait-il- pour être protégé de la niaiserie. Globalement j'avais plus à gagner qu'à perdre ...et de toute façon l'âge qui rabote le désir tous les jours me conduirait insensiblement en une sphère identique!

Tout cela se compliquait un peu dès que je compris que ma vocation à la vie contemplative ne se déploierait pas dans le cadre du monachisme de saint Benoît. Moi qui, tout en gardant des ambitions contemplatives, recouvrais la liberté de concevoir mon propre style de vie, qu'allais-je faire de ma sexualité?

Une approche à la Saint-Ignace? Dans sa Règle, Ignace résout la question du voeu de chasteté en deux lignes. Une espèce de déni sans véritable aménagement contextuel. Cette approche me semblait (dans mon occurrence) un peu surréaliste pour ne pas dire idiote. Même en supposant qu'il me soit possible de switcher ainsi ma sexualité hors d'un monastère sans la transformer aussitôt en une obsession lancinante et contre-productive, il resterait à mesurer le profit spirituel que je pourrais tirer d'un désir 'flottant' ainsi dans le dédale de mes neurones. Après avoir étudié la question, je refusais la lecture simplificatrice de Mt 19 et le spectacle pitoyable du mal-être de certains clercs ayant connu la sexualité avant de faire leurs voeux m'encourageait à être prudent: la méthode jésuite (ou assimilable) n'est probablement pas bonne pour tous. Après lecture de témoignages de certains Pères de l'Eglise (qui eurent au moins le mérite d'être honnêtes), il devient évident qu'une vie d'efforts trop focalisés sur cette question risque non seulement de faire gaspiller une part importante de l'énergie disponible pour satisfaire des ambitions religieuse très secondaires mais surtout peut ne mener à ...rien! Comment de tels hommes courageux et intelligents ne purent-ils comprendre en quelques mois ou quelques années seulement que si Dieu n'avait rien à faire de leur holocauste, Il ne l'aurait pas fait savoir autrement? Cela reste pour moi une énigme... (Mais j'admets que la grâce a des raisons que la raison ne connaît pas!)

Il fallait pourtant que j'en arrive à un engagement clair pour ne pas me trouver trop facilement pris au dépourvu par la sexualité une fois engagé dans ma retraite spirituelle.

En bonne logique il me semblait que ce que je devais viser, c'était de réduire au maximum l'obsession, tout en admettant qu'à toute heure de ma vie, le destin peut me jouer une farce. Lorsqu'un orage de désirs me tombera soudainement sur la tête, pour rester serein, il vaudra mieux alors assumer mon destin humblement que d'entrer dans les manières pathétiques (mais en l'occurrence, me semble-t-il, pas tant spirituelles qu'anxieuses!) des très saints Pachon, Antoine ou autre Augustin. Confronté aux limitations de ma nature, il sera peut-être temps alors de me rappeler que la sexualité peut aussi, parfois, allumer une authentique expérience spirituelle et qu'en face de cette simple évidence, les névroses de certains saints sont tout simplement laides et peut-être même très peu chrétiennes.

Je sentais confusément que les moines bouddhistes théravadiens avaient, en ces matières, trouvé des compromis intéressants. Il ne m'était cependant pas aisé de conceptualiser leurs méthodes clairement en termes occidentaux parce que, même si l'exposé de leurs ambitions est sans ambiguïté, il y a chez eux, dans la pratique, un usage compliqué du silence dès que la Règle n'est pas respectée. (On retrouve d'ailleurs cette difficulté dans le Christianisme oriental moins influencé par Saint Augustin). Chez nous, pour faire simple, dès qu'il y a non-respect de la Règle, la machinerie morale avec sa procédure de réconciliation est mise en branle. Mais dans la spiritualité bouddhiste qui ne prête pas une aussi grande attention au pardon dans la gestion des égarements, on utilise des moyens plus subtilement téléguidés par une pratique pointue de la méditation. Les compromis obtenus semblent apparemment très efficaces; in fine, ces moines théravadiens, tout comme nos trappistes par exemple, semblent extrêmement peu obsédés par la sexualité alors qu'ils ne sont pas enfermés dans un contexte aussi radicalement désexué que nos trappistes (Cf. approche très différente de la clôture monastique dans le bouddhisme).

Il ne me fallait pas chercher midi à quatorze heures; pour moi, la chasteté serait mieux servie par un style de vie qui s'inspirerait à la fois par la Règle de Saint Benoît et par ce que je comprenais confusément de la pratique théravada. En premier lieu donc, fuir les provocations sexuelles. Voilà une raison de plus d'aimer cet isolement auquel je me sentais appelé! La solitude... La clôture... En deuxième lieu, approcher le désir sexuel d'une manière plus technique que morale. Cette approche va d'ailleurs dans le sens du courant symbolique contemporain. Une raison de plus donc d'aimer cette pratique assidue de la méditation du Théravada (le Vipassana) à laquelle je me sentais appelé.

Me pliant à ces règles de conduite simples, l'abstinence, si elle doit gagner, sera quasi naturelle et la chasteté ne sera pas une conquête mais, si Dieu le veut, une grâce: je serai libéré sinon du désir, au moins du désir de désirs qui est plus malin des diables.

Et puis? À Dieu va!

 

paul yves wery - Chiangmay - Avril 2008

Version 1.02 - Mai 2010

 

Voir aussi les textes connexes

- ascèse

- sept mots clés de la contemplation

- Le genre, la chasteté et le christianisme

- Brève histoire du péché de chair dans le Catholicisme.