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L'Expérience spirituelle - Deuxième partie -

Abstract: L'Expérience spirituelle ne se limite pas aux extases spectaculaires décrites par la littérature mystique. Elle est aussi le fait de moments anodins, pourvu que les appels à une interprétation spirituelle de ces instants anodins soient reconnus. Et si l'appel n'est pas là, il y a aussi quelques efforts qui, sans pouvoir nous offrir des extases, ne sont pas pas vains: la méditation par exemple...

Il y a ces Expériences spirituelles extrêmes, qui bouleversent des vies, qui courtisent les frontières de la psychose: ces «crises» qui sont comme des crises de nerfs et qui font pleurer de joie. Je devais commencer par évoquer celles-là parce que certaines d'entres elles ont profondément marqué voire bouleversé nos cultures (Cf. Paul de Tarse, Thérèse d'Avila et autres Blaise Pascal).

Il ne faudrait pas pour autant négliger la spiritualité en 'mode mineur', celle qui alimente des millions de croyants et dont la production de plaisirs n'est certes pas suffisante pour vivre heureux mais suffisante pour survivre sans vouloir se suicider.

Ici aussi, pour éviter de me perdre dans des abstractions, je dois partir du concret, identifier des faits précis, pour pouvoir y repérer des traits caractéristiques et faire la distinction nette entre ce qui relève du spirituel et le reste.

«...Je suis en train de rouler en moto au coeur du désert égyptien. Un discret appel spirituel, comme un besoin de pisser, me demande d'arrêter. Je m'arrête, j'éteins le moteur et je suis bien, très bien. Je suis tout plein d'une présence qui a un nom: Jésus-Christ. Le plaisir que j'éprouve ici n'a pas grand-chose à voir avec mes désirs. Un plaisir sans désir...»

«...Je me promène en ville. Je rentre dans une vieille église parce que quelque chose en moi de très discret m'invite à y entrer. Je m'assieds. Je murmure peut-être l'une ou l'autre prière machinalement parce que c'est une attitude qui sied au lieu. Mais surtout, je suis bien! Pas de désir satisfait; satisfaction sans objet. Dieu est là. Je ne demande rien. J'ai.»

«...Je termine de faire l'amour. Le plaisir n'a pas été énorme mais qu'importe puisque le désir, lui, a été apaisé. Son corps s'est maintenant endormi encore nu contre mon flanc. Je m'assieds en m'efforçant de le laisser endormis et je le contemple. Dieu est là, non pas entièrement dans la splendeur de ce corps ni dans sa respiration mais aussi dans l'instant, dans mon âme émerveillée, dans cette complicité de tout à tout pour rendre le moment possible et parfait. Je ne désire rien et jouis de recevoir encore... Une paix... Une grande paix...»

La joie est commune à tous ces instants de grâce qui émaillent nos vies sans les transformer. Le silence aussi, qui parle à sa manière, même s'il y a le vent entre les dunes de sables, le bruit des autres dans l'église pas tout à fait vide, la TV allumée chez le voisin... L'absence de désir, la paix, le silence ...et cette 'poix' de Dieu partout, jusqu'au coeur de mes neurones et sans laquelle ce bonheur passager ne serait pas un bonheur spirituel mais un simple repos de guerrier. «Dieu»... «Jésus-Christ»... Pour d'autres «la Vierge» peut-être, mais en tout cas quelque chose d'immensément religieux! Difficile d'expliquer cette 'glu' qui colle vraiment à tout dans ces moments-là. Ineffable... Mais par contre sans ambiguïté et très perceptible... Dieu presque palpable... Dieu se dit dans cette Joie.

«...Je suis plongé dans le silence, concentré sur ce silence et je sais instantanément que je suis dans la chair du religieux - ou qu'au contraire, je n'y suis pas...»

«...Je me lève au coeur de la nuit. Je donne à l'instant autant de solennité que solennité se peut. Debout, à genoux ou en lotus, j'ose enfin dire à mi-voix, comme si j'étais avec d'autres (mais 'je est un autre', n'est-ce pas?): 'Seigneur, ouvre mes lèvres et ma bouche publiera ta louange'. Et parfois, souvent même, Il est là! Je le sais et le sens! Tout mon corps est sous son charme et je réalise qu'un sourire à peine perceptible s'est moulé sur mon visage... Parfois, souvent même, rien. Le vide. Je ne sais plus pourquoi je suis là, dans cette attitude désuète, ridicule. Je L'appelle encore et il ne vient pas...»

De cette énumération de quelques faits tout simples et probablement banaux, je crois pouvoir alimenter une intuition qui me hante depuis toujours malgré son extrême pauvreté argumentative: si je veux bien ne pas trop demander, je peux recevoir, mais en agissant!

Me lever le matin très tôt et dire simplement pour commencer tout: «Seigneur, ouvre mes lèvres...» , c'est à ma portée. Arrêter le moteur et écouter le silence, c'est à ma portée. Entrer et m'asseoir dans une église, c'est aussi à ma portée. Ça ne donne pas toujours des fruits mais ça en donne souvent. Peut-être même de plus en plus souvent si je répète ces attitudes?

Contempler un beau corps endormi à mon flanc après le plaisir sexuel, c'est malgré tout un peu plus compliqué parce qu'il y a une troisième personne. C'est comme lorsque je suis en présence d'un prisonnier ou d'un malade en qui Jésus, dit-on, se niche. Dans ces situations qui rassemblent plus de monde, j'observe souvent en moi un peu trop de désirs, d'interpellations, de compassion, de devoirs pour que le bilan spirituel soit in fine très intéressant - quoique puisse en penser les théologiens. En d'autres mots, lorsqu'il y a trois personnes dans la partie, je constate souvent, hélas!, que je suis déjà descendu au-dessous de l'altitude requises par ma nature pour éprouver de la joie spirituelle. (C'est dommage car que serait sinon mon zèle pour être plus aimable!)

Et l'art alors, que je disais être susceptible de privilégier l'expérience spirituelle en 'mode majeur'?

L'art est autant dans le «regard» que dans le «regardé». L'échappée dans l'oeuvre d'art favorise certainement une qualité du «regard» qui déborde largement le «regardé» et privilégie l'accès à la profondeur des mystères spirituels.

Parlant d'art, je dois aussi évoquer sa troisième dimension: à côté du «regard» et du «regardé» il y a encore «l'acte créateur»! C'est sa dimension la plus forte, la plus contemplative, la plus sincère. Elle précède le «regard» et le «regardé», au moins dans le chef de l'artiste (c'est plus complexe évidemment mais peu importe ici). La créativité est à mes yeux la plus intrigante des relations avec le Bon Dieu. Mystique en herbe ou grand spirituel, l'artiste sait qu'il se querelle avec son Créateur: danse des visages et des masques, des illusions et des allusions. Il écorche Dieu pour en sucer la moelle. La lutte peut se résoudre en une étreinte.

Si je veux déconstruire la spiritualité en 'mode mineur' je dois aussi m'attarder plus sur ce que la méditation a à offrir. (En Orient, la méditation est en première ligne dans le travail spirituel!) La méditation dont je parle ici est un effort de lucidité pour distinguer le méditant de ce qui par lui n'est qu'accidentel ou n'appartient qu'à son milieu. En fait ce travail qui est un travail de lucidité est par nature, un moyen de «libérer» la composante purement spirituelle des autres composants de ma vie. Aujourd'hui, je ne pense plus que la pratique de a méditation puisse par elle-même produire la joie spirituelle. Je pense plutôt qu'elle dispose à ne plus bloquer cette production dont l'initiative émane d'un mystère (qui donc, contrairement à ce que serait une énigme, ne sera jamais sous ma totale maîtrise).

Il est clair pour moi qu'effectivement le vipassana (seule forme de méditation à laquelle j'ai été initié) est un excellent moyen pour essayer de libérer le coeur de mon coeur (au moins momentanément) de ses enchaînements psychologiques, sexuels, physiques, sociaux et intellectuels.

Plus loin encore, le vipassana permet de disséquer l'intimité du «noyau dur» de mon 'je'. Lorsque je déshabille mon 'je' de tout ce qui en lui est 'accidentel' (donc en 'je' ou par 'je' mais pas 'je') comme la douleur, le froid, l'ennui, l'envie de dormir, l'anxiété, l'impatience (...), le 'je' tout nu se révèle être une 'circulation' plus qu'une 'substance immuable', une relation dynamique entre diverses parties dont deux au moins me resteront à tout jamais mystérieuses et distinctes. C'est manifestement d'une complicité entre "je" et ces deux altérités-là qu'émane ma joie et c'est pour cela qu'il est vain d'espérer en avoir une parfaite maîtrise.

Oui, le méditant risque bien de découvrir qu'il y a au coeur de son identité, au coeur de ce qui établit sa frontière avec le monde des autres, une circulation avec un Autre qui est en moi: MON «Non-Être», MON «manque d'être»... Cet «Autre» qui est en moi et lui donne impermanence, vie, il a le même rôle en moi que ce que «les autres» font de moi par rapport à l'existence cosmique. Cet «Autre», je le sens très impliqué dans ma jouissance spirituelle (qu'elle soit en mode mineur ou majeur). Cette jouissance est toujours le résultat imprévisible d'une confrontation entre soit le «je» et le «non-je au sein du je», soit le résultat deux fois imprévisible d'une confrontation du «je» avec un «toi» dans la figures plus compliquées de la jouissance spirituelle à trois. Mais le «je» mobile et imparfait aspire à retrouver en «je» ou en «toi» cette vacuité mystérieuse pour s'y déployer comme une goutte dans l'Océan.

Tout cela semble aussi confus que les spéculations sur la Trinité; je m'écarte trop de l'évidence simple qui devrait rester au coeur de ces pages. Pardonnez-moi. Oubliez-moi.

Partez vous-même, en payant même de quelques efforts s'il le faut, dans cette sphère spirituelle qui vous attend toujours. Vous risquez d'y faire parfois de bonnes rencontres...

 

paul yves wery - Belgium - February 2007

Version 1.02 - Chiangmai - Février 2009

Version 1.03 - Chiangmai - Mars 2011

 

Première partie de cet article

Troisième partie de cet article

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