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Tendence "New Age"?

Version 2.0 - Chiangmai - Mars 2011

 

-3- L'âme des pierres

Abstract: Chaque pierre est imprévisible. Chaque pierre dit...

Ma première enfance, je l'ai passée dans une région sans pierre naturelle, sans paroi rocheuse à grimper, sans cailloux même. J'ai grandi dans la périphérie d'une ville bâtie sur une terre fertile et modelable, sur une bonne terre à blé... J'ai dû voir des rochers pour la première fois en Wallonie. Ces quelques belles falaises tranchées par des rivières dans les vallons mosans m'ont laissé d'abord sans voix; la beauté dure, immense et simple de ces murailles naturelles m'envoûtait. Plus tard j'ai découvert les Alpes, les beaux pics nus aux crêtes blanches et froides... Dans des livres d'images, j'ai vu les récifs de Bretagne qui se battent avec l'océan et contre lesquels allaient parfois se déchirer des bateaux en déroute... Tout cela m'enivrait sans que je pusse vraiment expliquer pourquoi.

Mon imagination magnifiait ces masses de pierre. Ici je conjecturais sur les problèmes d'une famille d'edelweiss qui louait au flanc d'un ravin l'espace d'un refuge contre l'orage et les regards indiscrets. Là je m'inquiétais des petits du goéland et de l'aigle dans des nids perchés au dessus d'abîmes...

Jeune louveteau, pendant ces camps d'été qui m'écartaient de chez moi, dès que j'apercevais une paroi rocheuse, je guettais la moindre occasion de l'approcher. Je la caressais religieusement d'abord. J'essayais ensuite d'en desceller un morceau. Je touchais alors à la chair que je venais d'écorcher. Je pensais dans mon petit coeur d'enfant que j'étais le premier être humain à voir et à tâter cette pulpe de la montagne dont j'avais arraché le vêtement. J'avais dix ans, mais je savais déjà le gouffre du temps; j'évaluais les millions d'années pendant lesquelles cette chair avait été prisonnière de son habit. J'étais certain de la libérer, de lui offrir lumière, sens et complicité... En touchant cette matière vierge, je me sentais comme immergé dans rien de moins que l'éternité: je me sentais comme mystiquement promu aux rênes d'un pouvoir important aux abysses du temps: je venais d'inaugurer une nouvelle horloge. Entre la pierre dénudée, la lumière que je lui offrais, mon regard, et l'infini du temps il y avait comme une noce dont le souvenir remontera régulièrement à ma conscience tout au long de ma vie.

Quarante ans plus tard, je suis encore périodiquement réenchanté par l'un de ces épisodes de mon enfance que je peux situer très précisément parce qu'il eut lieu dans un endroit particulièrement romantique. Ce jour-là, j'avais écorché une falaise qui bordait une voie de chemin de fer abandonnée et envahies par des plantes... A cent mètres de là, les restes d'une gare peuplée d'oiseau noirs et bruyants... Des ruines médiévales en haut d'une colline proche... Bref, tout un programme où le temps parle autant que ce qu'il défait. Sur cette falaise, j'avais donc failli casser deux de mes ongles... J'y repense et je plonge aussitôt dans cette mystérieuse éternité que peut prendre un moment.

*

Il ne faut pas chercher l'âme des pierres dans les fossiles, dans les talismans, aux théâtres d'anciens miracles ou aux autels consacré par les prêtres de tribus mythiques... Il ne faut pas la chercher dans la minéralogie, la cristallographie ou l'histoire des laves... Il ne faut pas plus la chercher dans la cosmologie ou la théologie... Il n'est plus nécessaire de dresser des menhirs pour marier les forces telluriques et celles des hommes; l'âme des pierres se laisse voir sans artifice et presque sans pudeur dans ces instants rares durant lesquels nous sont donnés gratuitement l'expérience de la complicité de tout avec tout.

Oui, je crois aux forces telluriques! Je crois qu'il y a entre elles et moi quelque amitié à négocier! En parlant ainsi, je n'ai pas l'impression d'être en contradiction avec les religions contemporaines ou les sciences. Je m'avance tout simplement, à visage découvert, jusqu'aux rivages de la Transcendance. Je marche jusqu'à ce point précis où les sciences et les religions se rejoignent et ne sont plus qu'une seule et même chose: l'attache de ma laisse...

Ma laisse est longue assez pour me laisser mendier à Dieu et aux mathématiques ce qui me manque et dont je reçois parfois quelque préscience. Je mendie à la suite de tous les savants et de tous les prêtres qui veulent comme moi décrocher la lune. Tandis que nous négocions avec la Transcendance, alors que les palabres se compliquent, je vois bien que des savants deviennent prêtres et que des prêtres deviennent matheux...

A la table des négociations, la Puissance de la Transcendance a daigné se laisser représenter par quelques concepts compliqués. Les clercs les savants et moi quémandons l'une ou l'autre faveur. Les ambassadeurs de l'Au-Delà nous concèdent finalement quelques miettes de pouvoir sur le réel, sous quelques conditions qui ressemblent à des rites sacrés. En réponse à notre stricte observance des liturgies désignées, le cosmos finit donc par nous accorder de la lumière pendant la nuit, des fruits en hivers et des glaçons dans les torpeurs de l'été. Les messes scientifiques remplissent tant nos sébiles que quelques imbéciles oublient qu'ils ne sont que des mendiants aux portes de l'ineffable. Ils oublient les longs marchandages et que ce qui remplit leurs coupelles ne leur est pas dû... Ces grands sots pourris d'orgueil croient être les auteurs de ce qu'ils reçoivent. Puisse Dieu, puisse le cosmos, ne pas s'offenser de cette arrogance, de cette impertinence, de cette ingratitude, de cette goujaterie...

*

Il n'y a aucun sacrilège à respecter l'âme des pierres. Il n'y a dans ce culte discret que l'envers de l'idée largement reconnue selon laquelle tout est complice de tout, que chaque silex nous gravite, que chaque silex nous craint. D'aucun me répliquera qu'il n'y a pas d'âme en elles puisqu'elles ne sont pas conscientes. Je réponds que je ne cherche pas des âmes dépourvues de conscience mais que je refuse de nier la conscience des pierres. Aussi minime soit-elle, cette conscience existe qui réagit au monde d'une manière pas tout à fait prévue. Cette indétermination durera le temps qu'il faudra aux sciences pour joindre en une seule formules l'infiniment petit et l'infiniment grand. Ce n'est pas demain la veille! Les logiciens peuvent rêver mais ils ne sont encore aujourd'hui que des dévots remplis de foi et d'espérance!

*

Si l'âme n'est pas ce petit «supplément d'âme» qui nous fait toujours et toujours reporter plus loin la formule totale du cosmos, que pourrait-elle être? Probablement rien. Aucun amour, même divin, ne la relèverait de sa nullité. Les atomes ont une âme, mais une âme tellement frustrée de la parole qu'ils ne pensent qu'à compiler cette âme à la nôtre pour obtenir par symbiose de pouvoir enfin plaider aussi devant l'éternité.

*

Ce que je voudrais dire ici, c'est que pas un seul scientifique sérieux ne pourra jamais prétendre qu'il n'y a rien que du prévisible entre moi et le brin d'herbe que je contemple. Il n'osera pas plus prétendre qu'il n'y a rien que du prévisible entre moi et le moindre caillou, la moindre poussière. Parmi les concepts compliqués qui furent agréés à la table des négociations avec la sphère transcendante, il y a celui du mystère qui nous condamne à l'humilité éternelle. Les autres concepts qui traduisent nos revendications ou nos humbles demandes doivent pleine allégeance à ce concept premier qui sépare irrévocablement l'un de l'autre, la partie du tout, ...l'être de l'être. La Transcendance nous impose comme préalable à tout compromis de reconnaître que la représentation ne sera jamais l'intégralité du représenté. Dans l'aporie native du langage, il y a le germe d'une complicité purement contractuelle entre toutes les choses qui se donnent à apparaître.

Je ne suis pas un insensé mais un sage lorsque je cherche à joindre l'âme des pierres. Ma conscience à quelque complicité à faire valoir avec le moindre caillou...

 

«Loué sois-tu mon Seigneur avec toutes les tiennes créatures»


«Spécialement messire le frère soleil
Lequel donne le jour et par lui tu nous illumines
Et lui beau et rayonnant avec une grande splendeur
De Toi Très-Haut porte signification»


«Loué sois-tu mon Seigneur pour soeur lune et les étoiles
Dans le ciel tu les as formées claires et précieuses et belles»


«Loué sois-tu mon Seigneur pour frère vent
Et pour l'air et le nuage et le serein et tous les temps
Par lesquels à tes créatures tu donnes sustentation»


Loué sois-tu mon Seigneur pour sour eau
Laquelle est très utile et humble et précieuse et chaste»

François d'Assise - "Le Cantique du soleil" (Trad. Pierre Jean Jouve - Pléiade).

 

 

 

«Laudatu sie, mi' Signore, cum tucte le tue creature,»


«spetialmente messer lo frate sole,
lo qual'è iorno, et allumini noi per lui.
Et ellu è bellu e radiante cum grande splendore:
de te, Altissimo, porta significatione.»


«Laudato si', mi' Signore, per sora luna e le stelle:
in cclu l'hai formate darite et preti'ose et belle.»


«Laudato si', mi' Signore, per frate vento
et per acre et nubilo et sereno et onne tempo,
per lo quale a le tue creature dai sostentamento.»


«Laudato si', mi' Signore, per sor'acqua,
la quale è molto utile et humile et pretiosa et casta.»

Saint François d'Assise - "Le Cantique du soleil" (extrait)

 

 

paul yves wery - chiangmai - juin 2008

Version 2.0 - Chiangmai - Mars 2011

 

L'âme des bêtes

L'âme des plantes