Noël 1978.

 

Chapitre : Le mystère de Noël.                   24.12.78

      La liturgie.

 

Mes frères,

 

Je vais vous proposer, et vous serez sans doute d'accord, de vivre la Noël de cette année avec une profondeur particulière, de façon à laisser ce mystère pénétrer en nous et agir puissamment en nous. L'Incarnation du Christ, ou plutôt l'Incarnation du Verbe de Dieu,  c'est l'événement le plus extraordinaire de l'histoire du monde et même de l'histoire du cosmos tout entier. Nous y sommes tellement habitué que cet événement ne nous touche plus. Tout d'abord parce que nous ne savons pas qui est Dieu.

 

Nous savons très bien ce qu'est une idole, nous qui sommes des idolâtres. Mais qui est Dieu nous ne le savons pas. Si nous pouvions seulement le comprendre, le réaliser un tout petit peu dans notre sensibilité, dans notre sentiment et pas seulement dans notre cerveau, alors nous pourrions d'avantage laisser s'infiltrer en nous cette extraordinaire réalité : Dieu a voulu devenir un homme, il a voulu devenir matière, de façon à pouvoir élever tout le cosmos créé dans la sphère de sa Vie Trinitaire.

Lorsque nous sommes devant le Saint Sacrement par exemple, et que nous voyons là une petite hostie, eh bien nous ramenons instinctivement Dieu à la mesure de cette hostie. Alors qu'en réalité, le Christ qui est présent là totalement, c'est le Verbe de Dieu qui est en train à l'instant même de créer, de poursuivre la création de l'univers. Il est en train à l'instant même de pénétrer à l'intérieur de cet univers pour le faire éclater en un grand corps qui sera un jour le sien. Et nous sommes entraînés, que nous1e voulions ou non, dans ce processus de métamorphose. C'est cela que nous devons essayer de vivre, c'est de cela que nous devons essayer de reprendre conscience pendant ces quelques jours de Noë1.

 

Or, nous qui sommes des êtres incarnés, nous ne pouvons en reprendre conscience que par le biais de la liturgie. Mais encore une fois, ce n'est pas ici une question de pénétration intellectuelle, il n'est pas question que ce soit réservé à une élite, une super élite. Il y en a peut être un ou l'autre ici parmi nous ? Je ne sais ? En tous cas ce n'est pas mon cas. Il n'y aurait qu'eux alors qui pourraient pénétrer dans tous ces mystères divins, un second dieu quoi, un peu concurrent de l'autre. Notez bien que c'est cela le péché originel.

Non, nous devons, nous, nous laisser prendre par le mystère et non pas essayer de le saisir et de le maîtriser. Et nous nous laissons prendre par lui dans la liturgie. La liturgie ce n'est que cela. La liturgie, c'est un geste porteur de divin, et pour que ce geste soit efficace, il faut qu'il soit vrai. Il faut qu'il soit éloquent, qu'il soit parlant de lui-même.

 

Nous ne devons pas commencer à construire à côté du geste toutes sortes de choses, encore une fois dans notre cerveau, et essayer de comprendre mais qu'est-ce que cela veut-il bien dire ? Si c'est ainsi, nous perdons notre temps et le geste passe à côté de nous. Car cela demande aussi chez nous une petite dose de simplicité, d'ouverture, d'humilité. Le Royaume de Dieu qui est porté par ce geste liturgique n'est accessible qu'aux petits enfants.

Rappelons-nous toujours bien cela ! Devant l'entrée du Royaume de Dieu il y a un grand panneau qui nous dit : Ici les grandes personnes ne sont pas admises. Il faut bien nous le répéter, je vous l'ai déjà dit, mais c'est ainsi ! Celui qui s'imagine être une grande personne et tout savoir, celui-là reste dehors. Il n'est pas admis.

 

Nous allons essayer de faire de nos diverses c616brations de toute cette semaine un tout bien ordonné, un tout qui va se dérouler suivant un certain ordre. Et ce tout aura un centre. Et ce centre sera, il n'est pas possible d'en mettre un autre, ce centre donc sera la Personne du Verbe Incarné, la Personne de Jésus le Christ. Ce sera donc en terme de théologie le mystère de l'Incarnation.

Et nous pourrions pour mieux le saisir nous aider d'un leitmotiv, d'une formule ou d'un slogan qui a été découvert par Saint Irénée. C'est peut-être la plus belle expression de l'Incarnation qu'on ait trouvé dans un langage d'homme. La voici : La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant ; et La vie de l'homme c'est la vision de Dieu, avec le corollaire obligé Dieu a voulu se faire homme pour que l'homme puisse devenir Dieu. Et voila tout le mystère de l'Incarnation.

Si vous le voulez, nous allons chaque jour réfléchir un peu à ce mystère de façon à nous laisser insensiblement pénétrer par lui. Car la Vie véritable qui est la Vie Eternelle, comme on l'appelle, c'est la Vie de Dieu. Et cette vie de Dieu peut devenir notre partage lorsque nous voyons Dieu. La vie de l'homme c'est la vision de Dieu et, à ce moment-là la gloire de Dieu se manifeste.

 

L'homme est un petit soleil. Il est un petit soleil qui rayonne Dieu lui-même. C'est cela le rôle de l'homme. Voyez maintenant tous les hommes ensembles dans le cosmos. Cela suffit pour que l'univers entier soit transfiguré et que cet univers entier devienne manifestation de cette gloire, de cette lumière, de cet éclat qu'est Dieu dans sa Personne. Or, mes frères, la vision de Dieu, qui est la participation consciente à sa Vie, c'est le but de la vie monastique. On ne vient pas dans un monastère pour autre chose.

Peut être bien n'en a-t-on pas pleinement conscience, mais en réalité c'est pour cela. On va peut être aussi utiliser d'autres formules. On va dire c'est pour chercher Dieu, ou même que c'est pour sauver son âme, ou toutes sortes d'autres locutions qui tournent autour de la véritable locution qui est voir Dieu.

 

Aujourd'hui, par une coïncidence providentielle, c'est la fête du dernier moine à être canonisé. On nous l'a rappelé hier dans le martyrologe. Ce Libanais, Charbel Makhlouf, mort en 1898. Voila un homme qui a vécu la vie cénobitique pendant 20, 25 ans. Comme c'est la coutume dans ces régions, il est entré ensuite dans le désert et là il est disparu, enseveli. Or à ce moment cet homme n'était plus seul, cet homme avait vécu ce que vit le Christ, qui un moment donné disparaît aussi à nos regards

Mais ce Christ peut disparaître à nos regards car il a accompli son cycle terrestre, il a subit sa passion, il est mort, il est ressuscité, il entre chez Dieu. Ce moine Libanais a parcouru le même cycle, il est entré chez Dieu avant de mourir, ce pourquoi il voyait Dieu. Et c'est à ce moment que son rayonnement dans le visible comme dans le secret devient extraordinaire et se répand dans tout l'univers. La canonisation n'a pas d'autre motif que de nous rappeler cela.

 

Pendant ces quelques jours donc, nous allons essayer de revivre ce mystère qui est le nôtre. Car lorsqu'un moine, ne l'oublions pas non plus a rencontré Dieu et commence à le voir dans sa lumière, il ne va pas en jouir de façon égoïste. Ce n'est pas une espèce de coup de force qu'il aurait réussi pour lui tout seul.

Non, le moine est un homme corporatif, c'est une personnalité corporative. Lorsqu'un seul découvre Dieu, une foule d'autres qu'il porte en lui de façon mystérieuse le découvre aussi comme la Vierge Marie portait l'humanité entière en elle au moment où elle recevait le Christ. Alors il n'y a certainement rien d'égoïste dans la réussite pareille d'une vie.

Au contraire, c'est le mystère du Christ qui se reproduit dans un homme et une foule d'homme portée par ce moine. Ce moine en connaît peut être l'un ou l'autre ? Quant à l'immense foule, il ne la connaît pas mais il la connaîtra un jour, et tous ces autres hommes le connaîtront.

 

Et voyez un peu tous ces îlots qui sont pour l'instant dispersés dans le monde et qui ne se connaissent pas. Ils vont s'apercevoir qu'ils sont reliés entre eux par un même océan, qui est l'océan de l’Esprit, qui est l'océan de l'Amour de Dieu. Cet océan les fait vivre, et ils vont se découvrir comme étant un grand corps qui est le Corps mystique du Christ. Voila mes frères la célébration profonde de Noël.

C'est tout autre chose naturellement que de s'apitoyer sur un petit enfant entre un boeuf et un âne, avec une gentille maman et un vieillard, qui là, ne sait pas trop bien ce qui lui arrive. Voyez un peu comment dans notre imagination, dans les images pieuses que nous recevons à l'occasion de la Noël, nous retrouvons encore souvent représentée cette façon-là.

 

Naturellement oui, il y a quelque chose de vrai là dedans, le sentiment doit aussi entrer en jeu. Ce ne doit pas être encore une fois du cérébralisme sec et inhumain. Non, c'est notre esprit et notre chair qui doivent entrer dans ce mystère. Et c'est pour cela que nous devons essayer de le jouer.

 

La liturgie est une représentation, c’est un mémorial. Cela veut dire que la scène qui est représentée n'est pas du théâtre. Non, c'est autre chose. Elle est la présence de ce qui est arrivé alors. Ce fait de t'Incarnation du Christ est contemporain à toutes les époques. Ce qui est arrivé alors est encore présent et arrive encore aujourd'hui dans le grand corps du Christ qui est en train aussi de naître en chacun de nous. C'est de cela que nous devons essayer de reprendre conscience, et c’est cela que nous devons essayer de revivre.

La célébration des jours qui vont venir, mais surtout de cette nuit et de demain, va se présenter sous la forme de deux tableaux précédés d'un prologue. Le sommet d'intensité dramatique -- j'emploie ce terme dramatique parce que c'est la vérité. Je ne pense pas à une catastrophe. Quand nous nous parlons de drame, c'est toujours dans un sens catastrophique, vu que nous sommes toujours des gens plus ou moins catastrophés nous-mêmes. Non, il faut voir dramatique dans le sens de quelque chose qui saisit, quelque chose qui prend, quelque chose qui touche --.

Le sommet d'intensité dramatique est naturellement au cours de la nuit. La nuit s'y prête d'ailleurs. La Pâque, c'est aussi au cours de la nuit. Lorsque Dieu veut se manifester à quelqu'un, c'est au cours de la nuit. Pourquoi ? Mais parce que la nuit est toujours prégnante des secrets. La nuit n'est pas seulement hostile, elle est aussi maternelle.

Et alors, dans la journée de demain, nous noua laisserons emporter par un dépassement au delà de nous-mêmes et nous essayerons de saisir, de percevoir comme intuitivement, spirituellement, mystiquement, ce qu'est cet univers de Dieu dans lequel nous sommes déjà introduits, mais que nos yeux qui sont chassieux ne parviennent pas à voir. Mais toujours dans notre coeur l'espérance que nos yeux seront un jour guéris et que nous verrons alors face à face comme nous sommes vus nous-mêmes.                   Suit l'explication des offices.

 

Et ainsi je pense, mes frères, que nous aurons bien créé dans la communauté une certaine atmosphère, je n'ose pas dire de relaxation car nous n'en n'avons pas besoin, ni de vacances car ce ne sont pas des vacances, mais une atmosphère de méditation, c'est le meilleur mot, de contemplation, une atmosphère de silence, et de paix qui est le fruit de la Noël, le fruit de cette Incarnation de Dieu.

S'il est venu, or nous en avons tellement parlé ces derniers temps, s'il est venu c’est pour nous accorder ce bienfait qui est le sommet de toute vie humaine, la Paix, la Paix qui est la devise de l’Ordre Bénédictin. Cette Paix qui est, qui est l'équilibre parfait d'un homme qui est dans la vérité, qui est dans l'Amour, qui est uni à tous les hommes, à Dieu lui-même. Et cet homme rayonne de tout son être une lumière qu'il est devenu parce qu'il partage la vie de Dieu et qu'il voit Dieu.

Cette Paix, essayons de la vivre dans cette ambiance que noue allons créer parmi nous pendant une huitaine de jours. Et quand alors nous déboucherons sur l'année nouvelle, je pense que ce rayonnement s'étendra alors sur tous les jours de l'année qui va commencer.

 

La liturgie n'est pas une affaire de cérébralisme, c'est une affaire qui engage tout notre être. C'est notre corps qui est pris, c'est notre corps qui doit répondre et pas seulement un assentiment purement spirituel. Non, c'est de l'extérieur aussi. Et alors, l'agir de Dieu, l'Esprit de Dieu, les énergies de Dieu peuvent se saisir de nous et petit à petit faire de nous d'autre Christ. Alors le mystère de l'Incarnation joue à plein en nous et à travers nous dans le monde entier.

 

 

 

 

Eucharistie du dimanche – Veille de Noël.        24.12.78

 

      1. Introduction à l’Eucharistie.

 

Mes frères,

 

Cette année, le dernier dimanche de l'Avent tombe la veille de la Noël. Nous allons assister à un télescopage des temps et des événements. Dans quelques minutes on va nous annoncer la naissance virginale du Christ et dans quelques heures on nous fera déjà part de sa naissance.

De suite nous sommes ainsi projetés au coeur d'un mystère qui est celui-ci : Voici que naît dans notre temporalité celui dont la génération à l'intérieure de la Trinité est éternelle. Comme le dit si bien Saint Augustin : Le temps de l'éternité entre  dans notre temporel si court - Le jour éternel entre dans notre jour temporel si court.  Voila exactement ses paroles.

 

Mes frères, c'est là tout le mystère de notre vie. A travers ces minutes et ces jours qui peuvent nous paraître si longs mais qui à mesure que notre vie avance deviennent de plus en plus courts, nous devons entrer dans ce grand jour éternel là où la Trinité nous invite à partager sa vie. Mais pour contempler ce mystère, pour le laisser agir en nous il faut que notre regard soit pur. Il faut que nos yeux, les yeux de notre coeur soient débarrassés de tout voile occultant.

Alors si vous le voulez, en cet instant où nous allons déjà d'une certaine façon ouvrir la célébration de Noël, demandons à Dieu de nous rendre pur, de nous rendre sincère, de nous rendre libre de cette liberté qui nous permettra de l'accueillir lui-même en sa personne, lui-même en la personne de nos frères, lui-même en la personne de tous ces hommes qui sont sur notre chemin. Et même des hommes qui sont au loin, même de ceux que nous ne connaîtrons jamais sur cette terre mais dont nous ferons la connaissance plus tard.

 

Mes frères, demandons lui d'enlever de notre coeur toute trace de méchanceté, de malice, qu'il n'y ait plus de place que pour la lumière et pour l'amour. Il a pris notre chair pour la sanctifier, implorons-le donc maintenant avec une confiance renouvelée.

 

      2. Homélie.

 

Mes frères,

 

Nous venons d'entendre l'Apôtre Paul annoncer aux Romains la grande, la merveilleuse nouvelle. Le mystère tenu dissimulé depuis toujours dans le silence vient d'être manifesté au monde entier. Et ce mystère c'est Jésus le Christ. Après deux millénaires, nous devons bien reconnaître que ce mystère est impénétrable. Et comment pourrait-il en être autrement ? Quel homme sera jamais en mesure de se saisir de Dieu, de le maîtriser, de le domestiquer ? Jésus Christ n'est-il pas le Verbe de Dieu ?

Le premier péché n'a-t-il pas été la tentative absurde de forcer le sanctuaire de la Divinité et de le cambrioler ? Et chacun de nos péchés n'est-il pas la répétition stupide de ce geste insensé : ravir ce qui est à Dieu et devenir dieu soi-même ? Mais Dieu est Amour et nous n'avons jamais fini de percer ses desseins qui ne sont que des desseins d'Amour.

Dieu ne nous a pas lancés dans l'existence pour nous tenir indéfiniment à l'écart de sa vie. Et nous nous trouvons alors en présence d'une nouvelle évidence. Ce béatifiant mystère, ce mystère impénétrable peut être connu de l'intérieur par une participation intime, existentielle, par une sorte de fusion avec lui, par une divinisation, une divinisation par assimilation progressive au Verbe Incarné.

 

Nous devons bien le savoir, le Christ est une réalité en mouvement. Voyons la personne de Jésus, mais voyons aussi chacun de ses membres. Cette réalité est en mouvement, en croissance comme un organisme. Et l'homme qui se laisse saisir par ce mouvement, par cette dynamique qui le travaille de l'intérieur, finit par s'unir au Christ dans un sommet, un  culmen qui sont d'authentiques épousailles, épousailles qui sont devenues fécondes pour l'humanité entière.

Or, mes frères, le Christ, le mystère du Christ dans sa totalité, c'est l'Eglise, ce que nous appelons nous l'Eglise, c'est à dire cette assemblée, ces hommes qui ont entendu un appel, et puis qui se sentent attirés et qui accourent pour être agrégés à ce grand corps en devenir. L'Eglise ainsi au fil des siècles s'agrège l'humanité entière et tout homme, tout homme quel qu'il soit, qu'il l'accepte ou qu'il le refuse, qu'il le sache ou qu'il l'ignore encore, tout homme donc est déjà un fragment intégrant de ce grand corps.

 

A l'intérieur de ce corps il y a des cellules privilégi6es. Ce sont le chrétiens. Mais pas encore tous les chrétiens sans exception, mais certains chrétiens seulement, qui eux non seulement ne mettront aucun obstacle à cette croissance du Christ en eux, mais au contraire qui vont s’ouvrir comme une fleur sous la chaleur du soleil, pour laisser en toute liberté le Christ naître et grandir en eux.

Et alors ces hommes vont vivre consciemment, avec émerveillement, jusque dans leur chair, le stupéfiant mystère de cette divinisation par assimilation au Verbe Incarné. Et cette naissance, et cette croissance, vont s'opérer dans le sein mystique de celle qui est et qui sera à jamais la Mère de Dieu et la Mère de tous ceux qui sont destinés à devenir des Dieux. Or c'est cela qui nous ouvre sur le dessein de Dieu des perspectives infinies, aucun homme n'échappe à ce sein virginal de Marie.

 

Mes frères, dès aujourd'hui déjà un peu, mais demain surtout et les jours qui vont suivre, nous laisserons ce mystère de la naissance du Christ en nous, en nos frères, nous le laisserons se réfléchir sur nous, sur nous-mêmes comme sur des pellicules vivantes afin qu'il opère en nous tout son pouvoir.

Mais déjà maintenant si vous le voulez, nous allons retenir cette parole, cette parole qui est source de vigueur inépuisable, cette parole qui tomba dans le coeur de Marie pour ne jamais plus en sortir : A Dieu rien n'est impossible ! Et en écho nous répondrons : A moi aussi qu'il me soit fait selon ton vouloir. Amen.

 

3. Introduction à la prière des fidèles :

 

Mes frères,

 

Aujourd'hui partout dans le monde les hommes se préparent à célébrer Noël, des croyants et des incroyants avec des dispositions bien diverses certes, mais de larges pans de l'humanité ne savent même pas que Noël existe.

Demandons à Dieu, demandons au Christ aujourd'hui de verser à flot sa grâce dans le coeur de tous les hommes sans exceptions pour que ceux qui le connaissent comme ceux qui ne le connaissent pas se sentent aujourd'hui et dans les jours qui vont suivre malgré tout un peu meilleurs.

 

 

Noël : Messe de minuit.                           25.12.78

      La fête de l’éternelle jeunesse de Dieu. 

1. Avant la procession d’entrée.

 

Frères et soeurs,

 

Le mystère de l'Incarnation que nous célébrons en ce jour est d'une profondeur insondable. Il nous est impossible d'en cerner en une fois les multiples facettes. Et aujourd’hui, nous arrêterons notre regard quelques instants dans la durée de cette célébration, sur l'une d'entre-elles. Noël, c'est la fête de l'éternelle jeunesse de Dieu. Nous allons contempler ce qu'Il nous révèle de Lui en la personne de Jésus le Christ. Nous allons contempler sa pureté, son innocence, sa transparence, sa beauté, son amour.

 

Les alchimistes des temps passés ont cherché avec passion l'élixir de jouvence. Ce fameux élixir qui devait leur assurer une jeunesse perpétuelle. Ils oubliaient, ou bien ils ignoraient que l'âge d'un homme se mesure à la vigueur du sang spirituel, du sang divin qui circule dans ses veines. La jeunesse d'un homme c'est la jeunesse de Dieu dans cet homme.

Eh bien, cette jeunesse, le germe de cette jeunesse, nous le portons en nous. Comme Saint Irénée nous l'a dit : La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant – et La vie de l'homme, c'est la vision de Dieu - et Si Dieu a voulu se faire homme, c'est pour que les hommes puissent devenir Dieu. Par son Incarnation, Dieu a déposé en nous le germe de sa propre vie la vie éternelle qui est la vie de jeunesse perpétuelle.

 

Nous allons donc célébrer cette Eucharistie pour ce qu'elle est. Nous le ferons dans l'action de grâce, dans la gratitude pour les dons ineffables qu'il nous fait en la personne de son Fils Jésus. Et nous serons heureux.

Mais il y aura aussi au fond de notre être une pointe de regret, car nous savons trop, nous ne le savons que trop, nous ne correspondons pas, nous ne répondons pas avec suffisamment de confiance et de générosité à tout ce qu'Il nous donne, à tout ce qu'Il attend de nous.

Nous penserons aussi à celle, qui elle a été ouverture totale à l’Esprit qui un jour lui a proposé cette merveille unique d'accepter en elle le Verbe de Dieu. Nous penserons à Marie, elle qui est l'incomparable Vierge Génitrice.

 

Nous allons maintenant nous rendre à l'église pour commencer cette Eucharistie. Nous écouterons la Parole de Dieu, puis nous recevrons le Christ en nous et ainsi ensemble nous formerons ce que nous devons être : un seul corps animé d'une seule vie.

Nous retournerons chacun dans notre foyer, chacun aux taches qui nous attendent. Mais nous saurons que nous sommes tous du même sang et qu'un jour nous nous retrouverons tous ensemble dans le Royaume de Dieu pour le louer et le remercier à jamais.

 

 

2. Homélie de la messe de minuit :

 

Frères et soeurs,

 

La solennité de Noël se développe pour nous communautairement en deux tableaux. Le premier s'avance au milieu de la nuit. Nous y sommes pour l'instant. Le second étale ses richesses en plein jour. Nous y serons dans quelques heures. Chacun est une Parole clamée à nos oreilles. Chacun est un geste déployé sous nos yeux. Chacun doit éveiller en nous des ondes de vie, de sérénité, de paix. Chacun à sa manière nous dit qui est Dieu.

Et n'est-il pas souverainement important, n'est-il pas indispensable pour nous, dont la vie est si étroitement liée à celle de Dieu, n'est-il pas indispensable donc de savoir avec qui nous avons fait alliance. Hier, le mystère du Dieu fait homme nous apparaissait dans son imperméabilité absolue. Mais le Dieu de tout Amour se déclarait disposé à nous rassasier déjà dès maintenant par une participation à sa propre nature. Il n'attendait que notre consentement, que notre oui conscient, amoureux, fidè1e.

Et aujourd'hui, maintenant une nouvelle surprise. Dieu se présente à nous, mais dans la nuit. Dieu se présente à nous, mais sous le manteau absurde d'une faiblesse extrême. Mais ne nous laissons pas dérouter. Les façons d'agir de Dieu n’ont rien de commun avec les nôtres. Dieu nous a créé, il nous connaît, il nous jauge à notre véritable mesure et surtout il nous aime. Alors il a mis au point un stratagème, ce stratagème que les Pères ont vu comme une ruse destinée à duper le démon qui nous avait ravis à Lui notre créateur.

 

Nous allons donc essayer très brièvement de contempler cet agir déroutant de Dieu, cette divine pédagogie. Nous baignons dans la lumière qu'Il est, lui, Dieu. Et cette lumière nous ne la voyons pas. Nous vivons dans l'obscurité car nous sommes devenus des êtres de la nuit. Nous ne voyons pas la lumière parce que nous ne voulons pas être vu d'elle. C'est toujours l'antique réflexe d'Adam qui travaille en nous s’échapper par tous les moyens aux regards de Dieu. Oui, échapper aux regards de Dieu.

Et alors nous inventons, nous imaginons une pitoyable, une dérisoire astuce. Nous nous façonnons, nous fabriquons de nos mains des idoles rassurantes qui nous ressemblent, des idoles qui ont des yeux et qui ne voient pas. Elles ne nous voient pas et nous pouvons alors tout à notre aise, en toute tranquillité agir devant elles comme nous l'entendons. Et nous leurs sacrifions allègrement, joyeusement. Voila notre situation !

 

Mais Dieu, lui, ne s'avoue jamais vaincu. Nous, nous devrons un jour capituler devant lui. Mais Lui ne capitule devant personne. Mais il use, il use de ruses que seul l'Amour qu'il est peut inventer. Le voici donc qu'il descend au plus profond de notre obscurité, et là, patiemment il la grignote, il l'use, il la dissout. Divinement il nous apprivoise, il nous calme, il nous séduit.

Et voici que petit à petit les parois granitiques de notre coeur se fissurent, elles finissent par s'écrouler, et le vent de l'Esprit en emporte les poussières. La peur qui nous possédait au fond des entrailles est enlevée et nos pauvres yeux malades peuvent déjà voir filtrer quelques petits rayons de cette lumière qu'il est lui, Dieu. Alors nous commençons a être rempli de bonheur et de paix.

Mais nous ne connaissons pas encore suffisamment Dieu. Il est d'une délicatesse que nous ne pouvons imaginer. Si nous pouvions entre nous avoir cette même délicatesse ! Il ne bouscule rien, il ne dérange rien. Il descend au plus profond de notre obscurité, mais non pour nous bousculer, pour nous dominer, pour nous écraser. Non, Il y descend sous le manteau d'une faiblesse indicib1e. Voyez ! Nouveau né d'une heure, un rien pourrait le détruire. Et au terme d'une effrayante logique, misérable chenille clouée sur une croix. C'est cela Dieu !

 

Mes frères, si un jour nous avons le bonheur de parvenir à la plénitude de la Vie Divine en nous, sachons que c'est ainsi que nous devrons être pour nos frères. Mais prenons bien garde aussi que si parmi nous nous rencontrons un homme de cette taille, que nous ne le traitions pas comme en la personne de ces païens, de ces Juifs, nous avons traité Jésus notre Dieu. Frères et Soeurs, voici les merveilles que Dieu opère pour nous.

Mais comprenons le bien : son amour se livre à la discrétion de ces êtres de la nuit que nous sommes. C'est l'impuissance totale de cet amour qui devient pour lui, qui est pour lui l'arme absolue qui lui assure la victoire sur nous. Cet amour finit par enlever de nous toute crispation, tout repli toute peur, tout égoïsme. Cet amour devient irrésistible.

Maintenant peut être nous ne le remarquons pas encore, mais un jour nos yeux s'ouvriront et à ce moment nous serons surpris, nous serons étonnés de voir les merveilles que cet anéantissement de notre Dieu a pu réaliser et en nous, et en tous les hommes.

 

Mes frères, ne méprisons jamais personne. Dieu en s'incarnant, en devenant homme n'a exclu personne de son coeur. Nous devons marcher sur ses traces. Et ainsi frères et soeurs, la naissance du Christ s'opère à nouveau constamment dans la nuit de notre coeur et sous le voile épais de notre chair. Mais nous savons maintenant que notre délivrance est proche et que bientôt paraîtra la gloire indicible de notre Dieu, de notre Dieu devenu homme.

La question est là, toujours. Cette gloire, ne la voyons nous pas déjà poindre à l'horizon ? Restons si vous le voulez sur cette question pour l'instant, la réponse ne tardera pas. Mais en attendant, recueillons toutes ces paroles que l'Esprit nous a envoyé au début de cette liturgie, toute cette Parole de Dieu qui est tombée dans notre coeur.

Méditons-là, conservons-là comme faisait Marie Mère de Dieu, Mère aujourd'hui de tous les hommes. Méditons cette Parole, conservons là précieusement, veillons sur elle car elle grandira en nous et elle deviendra ce qu'elle est devenue en Marie. Elle deviendra une nouvelle manifestation du Verbe de Dieu dans une chair d'homme.

 

Frères et soeurs, c'est à cela que nous sommes appelés. Ne nous estimons pas moindre que ce que nous sommes. Nous sommes des fils de Dieu. Et maintenant tous ensemble chantons et proclamons notre foi, mettons notre confiance en notre Dieu un et trine devenu homme pour f'aire de nous des fils de Dieu.

 

3. Introduction à la prière des fidèles :

 

Frères et soeurs,

 

Jamais un enfant ne fut attendu par sa mère et par son père comme le fut l'enfant Jésus. Lorsqu'il arriva dans le monde, avec quel amour ne fut-il pas accueilli ? Mais aussi nous venons de l'entendre avec quelle cruauté et quelle indifférence de la part des hommes. Il n'y avait pas de place pour eux dans la salle commune.

Maintenant nous allons adresser à Dieu une prière : que dans notre coeur il y ait de la place pour tous les hommes sans aucune exception, ces hommes qui en ont assez de l'indifférence et de la cruauté, ces hommes qui ont tellement faim et soif de paix, de bonheur.

Et nous allons adresser notre prière à Dieu pour ceux qui dans le monde sont responsables de la paix, pour notre Pape Jean-Paul, pour tous les gouvernants et en particulier pour nos Souverains, pour nos amis du Luxembourg. Nous allons prier aussi pour tous les hommes qui en cette nuit vont souffrir d'être seul, de n'être pas aimé, dans les cliniques, dans les prisons.

Pour ceux aussi qui ne pourront fêter Noël parce qu'ils seront retenus par leur travail. C'est grâce à eux qu'en cet instant nous sommes libres de cé1ébrer, ils célèbreront avec nous. Nous ne laisserons personne en dehors de notre amour, tous nous les prendrons et nous les confierons à l'Amour de notre Dieu incarné.

 

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Noël : Messe du jour.                              25.12.78

      Nous laisser saisir !

1. Introduction à la célébration :

 

Mes frères,

 

Nous sommes des fils de Dieu. Nous en prenons conscience davantage en ces jours de Noël. Le sang de la Vie Divine circule en nous, il y bouillonne, il voudrait emporter toutes résistances. Il voudrait nous enlever, nous soulever, nous entraîner sur ses flots comme sur un torrent, jusqu'au coeur de la Trinité, et là, nous rassasier de beauté, de lumière, de béatitude, de paix.

Mais hélas, mes frères, nous avons peur de Dieu. Nous avons peur de nous abandonner aux flots de l'Amour, cet Amour qui pourtant est déjà en nous. Sans cesse nous dressons de nouveaux obstacles, de nouveaux barrages, derrière lesquels nous nous protégeons.

Reconnaissons encore une fois nos maladresses, nos atermoiements, nos erreurs, nos péchés. La liturgie d'aujourd'hui va nous proposer des textes qui sont parmi les plus riches et les plus beaux de toute la Révélation. Laissons l'Esprit dont ils sont porteurs entrer en nous afin qu'il puisse nous travailler comme un levain et nous transfigurer.

 

2. Homélie :

 

Mes frères,

 

Nous vivons maintenant le second panneau du diptyque de notre célébration communautaire de Noël. Il est Esprit et il est Vie. Nous devons nous laisser saisir par lui. Il nous domine et il nous porte. Il est en nous et autour de nous. Les mots, les sons, les couleurs, les gestes sont impuissants à le décrire parfaitement. Tout au plus peuvent-ils maladroitement l'évoquer. Une seule parole peut en rendre compte. Essayons de la laisser éveiller en nous des échos infinis. Lumière éclatante de la gloire de Dieu, tel est Jésus le Christ.

 

Voici quelques heures nos doigts palpaient la nuit : nuit amère et nuit honnie. Nos regards se posaient sur une faiblesse sans nom : faiblesse cherchée et faiblesse subie. Et maintenant nous sommes projetés au seuil d'un univers nouveau, d'un univers étrange. Cet univers n'est pas le nôtre. Il est puissance incommensurable et il est clarté souveraine. Devant lui nous sommes en voie de disparition, et pourtant nous ne saurions pas vivre sans lui.

Comment se fait-il que dans le coeur de chaque homme, dans le nôtre aussi, à travers tous les temps, il y a cette espérance d'un monde qui serait lumineux, d'un monde qui ne serait que lumière ? Pourquoi ? Sinon parce que ce monde existe. Mais s'il existe, où est il ? Il n'est pas loin de nous. Rien ne nous en sépare, rien sinon l'épaisseur de notre péché.  

 

Noël est un événement contemporain à toutes les époques. Noël arrive chaque fois qu'un homme purifié sept fois au feu de l'Amour déchire ce voile et, est admis à franchir le porche inaccessible de la lumière, cette lumière qui est Dieu. Le Verbe s'est fait chair, il a dressé sa tente parmi nous. Ce nous, c'est vous et c'est moi.

Le seul malheur, la seule grande souffrance, c'est que nous ne puissions pas le voir tout de suite, le voir Lui ce Verbe devenu homme, ce Verbe qui est mort mais qui est ressuscité, le voir Lui dans sa lumière, lui qui est la lumière du monde, de ce monde ci et du monde à venir. C'est cela, mes frères, la seule grande souffrance et pourtant Il est ici présent parmi nous devant nos pauvres yeux malades.

Mes frères, le monastère est une fournaise dans laquelle se jette un homme qui ne peut plus supporter de ne pas voir la lumière. Les flammes de cette fournaise brûlent son coeur et le rendent transparent. Et voila que se produit la merveille tant espérée. Un nouveau fils naît à Dieu et ce fils se trouve tout à coup dans la lumière comme le Christ lui-même est dans la lumière, lui qui est, je le répète encore, la lumière de ce monde et la lumière de tous les mondes.

 

Mes frères, n'oublions jamais ceci encore. Chaque fois qu'un homme est admis à entrer de son vivant dans la lumière du Royaume, chaque fois que cette merveille se réalise, alors une foule d'autres hommes, tôt ou tard entrent avec lui ; mieux encore, ils y entrent déjà en lui, car il les porte en son sein comme Marie maintenant encore, noue porte tous dans son sein virginal.

Telle, mes frères est la réalité secrète de Noël. C'est la naissance à la lumière, naissance de toute l'humanité à la lumière, naissance à travers la nuit, naissance à travers la faiblesse, naissance à travers une infinitude de tourments, naissance à nulle autre comparable, naissance pour une joie sans limite, joie de pouvoir enfin voir Dieu dans la personne du Christ Jésus ressuscité.

Mes frères, écoutons la voix des guetteurs ! Ils voient de leurs yeux le salut qui approche. Leur clameur, leur appel retentit en un long cri de joie, il éveille en nous une espérance sans limite.

Mes frères, en ces jours et alors tous les jours qui vont suivre, écoutons attentivement la voix des guetteurs. Amen.

 

3. Introduction à la prière des fidèles :

 

Mes frères,

 

Tous les hommes sans exceptions, consciemment ou inconsciemment cherchent cette lumière dont ils ont faim et soif, cette lumière qui est la personne du Christ ressusciter, cette lumière qui est l'Esprit, cette lumière qui est Amour.

Maintenant, mes frères, prions pour tous ces hommes, n'excluons absolument personne du chant de notre prière.

 

Fête de Saint Etienne.                             26.12.78

1.  Introduction à la célébration :

 

Mes frères,

 

Lorsque nous réfléchissons à ce que en langage d'aujourd'hui on appellerait « L'affaire du diacre Etienne », nous pourrions nous demander ce que nous aurions fait à sa place ?

La réponse n'est pas difficile à trouver. Que faisons nous maintenant lorsque nous nous trouvons en présence du mal, en présence du péché, en présence de la tentation ? Est ce que nous opposons une résistance qui pourrait aller jusqu'au sang, au moins jusqu'au sang de notre âme ? Est-ce que nous élevons le barrage infranchissable de l'Amour ? Ou bien est-ce que nous dressons seulement une petite clôture symbolique si facilement détruite par les vagues de la tentation ?

Mes frères, reconnaissons que nous sommes faibles, que nous sommes malheureux, que nous sommes encore loin de posséder en nous cette flamme qui détruit tout, cette flamme de l'Amour. Tantôt après la lecture de l'Evangile, nous arrêterons un instant pour contempler la figure de Saint Etienne. Pour l'instant demandons à Dieu le pardon, le pardon qui nous permettra de mieux entrer dans le sillage de celui qui a été pour tous les temps le premier des témoins.

 

2.  Homélie :

 

Mes frères,

 

Hier le Verbe de Dieu naissait au monde des hommes. Aujourd'hui le diacre Etienne naît au monde de Dieu. Les Pères ont longuement disserté sur cette coïncidence. Nous en avons encore entendu un d'entre eux nous en parler au cours de l'Office de nuit. Mais pour notre part, plus modestement, nous allons un peu nous arrêter, si vous le voulez, sur un trait du caractère d'Etienne.

On dit de lui qu'il est le protomartyre, le premier des martyres. On pourrait tout aussi bien dire qu'il est le premier des contemplatifs, le protocontemplatif ! Il dit en effet : Je vois les cieux ouverts ! Or, un moine contemplatif est un homme qui voit les cieux ouverts. Il les voit d'abord par l'intensité de sa foi, dans la nuit, dans l'obscurité. Mais comme le dit Saint Benoît : processu vero conversationis et fidei, Pr. 113. Dans la mesure, au fur et à mesure ou il avance dans la vie d'union à Dieu, dans la vie de la foi, cette foi commence à se transformer, elle va au delà d'elle-même.

Le regard devient tellement pénétrant, tellement tranchant qu'il agit à la manière d'un scalpel, d'un rayon laser qui déchire, qui découpe le voile de la chair, le voile derrière lequel se dissimule le Royaume de Dieu. Il en écarte les lèvres et il regarde. Il voit l'univers de Dieu. Et que voit-il? Il voit ce que voyait le diacre Etienne : il voit la lumière de Dieu. Il voit cette lumière qui est la gloire, le rayonnement lumineux de l’Etre même de Dieu et au sein de cette lumière il voit le Christ Jésus ressuscité.

Il voit ce Jésus alors qui est debout, qui domine ferme, qui dirige, qui règne mais avec humilité. Car le Christ est éternellement humble et d'une discrétion telle que les hommes ne s'en aperçoivent pas. Mais aussi avec une puissance telle que les événements les plus adverses, les plus contraires tels que la souffrance, les séparations, les déchirements, la mort, le péché même, tout cela devient par lui des matériaux pour construire son propre corps.

Voila, mes frères, ce que voyait le diacre Etienne et c'est la raison pour laquelle la mort ne l'effrayait pas. Et voila aussi ce que contemple le regard du moine contemplatif à un certain degré d'évolution de sa vie.

 

Mais on peut toujours se poser la question : N'est-ce pas une illusion ? N'est-ce pas un rêve d'estomac creux ? Vous savez dans la vie monastique parfois on peut avoir faim, toutes sortes de faims, alors l'imagination et le rêve se mettent en route pour échapper à la condition présente. Et voilà, on voit toutes sortes de belles choses, et n'y a-t-il pas illusion ?

Eh bien, il y a un critère, un critère infaillible, le critère du discernement que nous trouvons aussi chez le diacre Etienne. C'est le critère infaillible de l'Amour. Etienne n'était plus rien d'autre qu'Amour. Il ne lui vient pas à l'idée de s'opposer à ses adversaires, à ses bourreaux. Il les tance, il les réprimande avec vigueur comme Saint Fulgence nous l'a rappelé au cours de l'Office de nuit. Mais c'était encore Amour de sa part pour essayer de les en sortir. Et d'ailleurs il en a sorti un déjà, 1e jeune homme qui gardait les vêtements, donc qui s'associait plus qu'implicitement, explicitement au meurtre d'Etienne.

Mais non il ne s'oppose pas, lui il les excuse, il ne leurs impute pas cette faute, il demande qu'on leurs pardonne. Et Dieu naturellement ne peut pas résister à une prière pareille, la prière de l'Amour est irrésistible devant Dieu. Et Dieu leurs pardonne.

 

Vous voyez, c'est cela le critère, c'est un coeur qui est devenu tellement beau, tellement pur qu'il ne peut plus sortir de lui que de l'Amour. Alors ce que ce coeur voit, ce ne peut être que la vérité. Etienne devient ainsi le prototype du moine contemplatif. Un coeur qui n'est plus qu'un cristal de pureté, un coeur qui ne peut plus rien faire d'autre que de rayonner à jet continu et sans arrêt l'Amour.

Mais alors un coeur devenu ainsi pur a ce bonheur de voir le Royaume de Dieu, de voir Dieu lui-même. Heureux les coeurs purs, car ce sont ceux-là qui voient Dieu. Et n'allons pas nous imaginer que c'est encore une fois des paroles en l'air. C'est quelque chose de bien réel, car un homme ne pourrait pas tenir contre les assauts du mal, à l'intérieur de lui-même et à l'extérieur de lui-même s'il ne voyait pas le Christ dans sa gloire. Et ainsi Etienne est devenu aussi le premier des témoins.

C'est dans le prolongement de sa confession de foi qu'il est le témoin, qu'il est le martyre. Mais par confession de foi je veux dire ici qu'il n'y a pas de discordance entre ce qu'il est et ce qu'il fait. C'est le même homme. Et ici, il se rapproche un peu de ce qu'est Dieu. Dieu est celui qui est. Il n'y a pas de distinction entre son être et son agir. Il est Amour et tout ce qu'il fait est Amour. Ainsi en est-il d'un témoin au terme d'une Foi tout à fait arrivée à sa fleur et à son fruit. Etienne est donc une illustration d'un Noël réussi.

 

Comme nous l'avons vu hier, Noël, c'est la naissance encore maintenant du Christ dans un homme. Et cette naissance étant achevée, on a un fils de Dieu parfait, un fils de Dieu qui est une couronne dans la main de son Dieu, dans la main de son Père. Etienne signifie couronne. Mais si maintenant nous opérons une rétroversion dans sa langue originale : couronne voulait dire quelqu'un qui est achevé, parfait. C'est un cercle, c'est fini on ne saurait pas aller plus loin. Il est mûr, il peut être cueilli. Il n'est plue digne de vivre dans le monde des hommes.

 

Voila, mes frères, ce que nous pouvons retenir de l'affaire du diacre Etienne, pour nous aujourd'hui. Et je vous souhaite à chacun de pouvoir marcher sur ses traces. Je vous souhaite de pouvoir laisser l'Esprit de Dieu, l'Esprit du Christ travailler en vous jusqu'a ce que vous soyez transformés en un autre fils de Dieu, et qu'ainsi vous soyez aussi chacun dans la main de Dieu couronne de gloire. Et je vous demande simplement d'implorer le Seigneur pour que à moi aussi il accorde une telle grâce.

 

Fête de Saint Jean.                                27.12.78

1. Introduction à la célébration :

 

Mes frères,

 

L'Apôtre Saint Jean nous avertit : Si nous affirmons que nous n'avons pas de péchés, nous nous égarons nous-mêmes et la vérité n'est pas en nous. Mais si nous avouons nos péchés, Dieu qui est juste et qui est bon pardonne tous ces péchés et il enlève de notre coeur tout ce qui Lui fait obstacle.

Mes frères, avouons donc humblement, sincèrement tous nos péchés.

 

2. Homélie :

 

Mes frères,

 

Les premiers prédicateurs de l'Evangile présentaient Jésus comme le témoin fidèle. Jésus lui-même devant Pilate affirmait qu'il était venu comme témoin de la vérité. Et pourtant il savait qu'il jouait sa tête. Saint Jean nous explique ce que Jésus entendait par ses paroles.

Le teste qui nous est rapporté n'est pas facile de traduire en Français. Car n’oublions pas que nous sommes dans un milieu de traditions orales et ce qui est dit de Jésus est plutôt une scène. Chaque mot est un petit jeu dans lequel nous devons essayer d'entrer, même avec notre musculature pour essayer de le comprendre par l'intérieur. Je vais essayer de le rendre ainsi. Il dit :

 

Dieu personne jamais ne l'a vu, mais le Dieu monogène (le latin dira le fils monogène - le grec dit le Dieu monogène) lui qui sans cesse plonge à l'intérieur du sein de son Père, lui il nous l'a raconté, plus exactement lui il nous en a fait l'exégèse. Voila le témoignage de Jésus.

Il est donc le Dieu monogène, et sans cesse il plonge. C'est cela ! Il faut voir le mouvement d'entrer dans le sein de son Père. Et là, nous avons tout le mouvement, car c'en est un, de la génération du Verbe. Il est engendré par Dieu son Père et il y revient sans arrêt pour être engendré de nouveau. Et ce mouvement d'engendrer et celui de retour n'est rien d'autre que la Personne de l'Esprit. Il est engendré dans l'Amour et il revient dans son Père porté par l'Amour.

 

Là nous voyons une petite expérience, la toute première que Jean a faite quand il a rencontré Jésus pour la première fois. Jésus se promenait le long du Jourdain. Jean était là, avec l'Apôtre André et Jean le Baptiste. Jean-Baptiste dit : Voila l'Agneau de Dieu. Les deux disciples l'entendirent et se mettent à suivre Jésus. Lui se retourne et leurs demande : Que cherchez-vous ? Ils disent : Nous voudrions savoir où tu habites ? Et Jésus leurs dit : Eh bien, venez et voyez ! Ils entrent chez lui et passent avec lui la journée.

Vous avez là l'expérience qu'ils ont faite. Et nous retrouvons cette expérience, mais sublimée au niveau de la théologie la plus profonde de la génération du Verbe. Il dira : Venez et voyez ! C'est lorsque vous entrerez chez moi, en moi, que vous verrez et que vous connaîtrez, que vous commencerez à connaître. Et alors, vous pourrez en faire l'exégèse.

Cela veut dire ceci : vous pourrez prendre par la main, et introduire, et conduire, et faire visiter. Jésus leurs a fait les honneurs de sa maison comme lui-même a le bonheur de connaître le Père, son Père. Il va donc noue prendre par la main, nous introduire à l'intérieur de la Divinité et là nous expliquer qui elle est, nous en faire découvrir les richesses absolument inimaginables, incommensurables, inénarrables, ineffables. Il n'y a pas de mots pour les traduire. Et nous retrouvons là encore l'expérience de Jean avec Jésus : Voyez, je vous accueille chez moi !

 

Mes frères, est-ce que nous nous rendons compte que c'est cela que Jésus encore aujourd'hui veut faire pour nous. Est-ce que nous n'avons pas peur ? Est-ce que nous ne sommes pas encore trop marqués par cette mentalité jansénisante qui fait que nous ne pouvons pas nous approcher de Dieu ? Mais si, il nous prend par la main, il nous introduit chez lui et nous dit : Maintenant regardez !

Le chrétien, l'homme même est un contemplatif, il est destiné à l'être. Ouvrons simplement nos yeux, laissons les plutôt ouvrir par celui qui a le pouvoir de placer un peu de boue sur nos yeux et puis alors de nous rendre la vue. Et Jean le théologien est alors capable de devenir un témoin. Un témoin, il le dit, c'est quelqu'un qui a le droit de parler parce qu'il a vu, il a entendu, il a touché de ses mains.

Lorsque Dieu aussi nous introduit chez lui, il nous dote de tout un organisme surnaturel qui nous permet de le voir, de l'entendre, de le toucher. Et de tous les témoins, Jean peut être considéré comme étant le patron, le premier, celui qui a été le plus loin, celui qui a été le plus audacieux parce qu'il était le plus aimé.

Et toutes ces expériences que nous faisons de Dieu, toutes ces expériences que nous pouvons faire à la suite de l'Apôtre Jean et de tous les autres témoins, toutes ces expériences se ramènent en une seule : c'est que Dieu est Amour. Tout se ramène en cela. L'Amour, c'est le coeur du monde, c'est l'âme du monde, c'est l'espoir du monde. C'est l'Amour qui donne consistance au monde. C'est l'Amour qui donne consistance à tous. Et nous devenons vraiment nous-mêmes lorsque nous nous laissons saisir par l'Amour et transformer insensiblement par lui jusqu'à nous-mêmes devenir Amour.

Et c'est ici que nous retrouvons toujours cette mission de premier témoin qui était celle de Jésus. Car sa mission de témoin il la poursuit aujourd'hui, il l'achève, i1 la continue jusqu'à la fin des temps dans des hommes qui consentent, qui acceptent d'entrer pleinement dans le mystère de Noël, ce mystère de Noël qui devrait nous soutenir tout au long de notre vie. Mais hélas, encore une fois, nous sommes timorés.

 

Je pense que la première vertu d'un chrétien et surtout d'un moine, cela devrait être l'audace. Ce sont des hommes qui osent parce qu'ils sont possédés par l'Esprit du Christ. Et cet Esprit est en train de les faire devenir autre que ce qu'ils sont par nature. Mais en les faisant devenir autre que ce qu'ils sont par nature, il leurs fait trouver leur véritable taille d'homme. Ce n'est plus moi qui vit, c'est un autre qui vit en moi et à ce moment là, je deviens témoin à mon tour. Et cela ne sait pas se jouer !

Un véritable témoin ce n'est pas un homme qui répète ce qu'il a appris dans des livres. Oh non, ça ce n'est pas un témoin, ce n'est rien du tout. Non, le véritable témoin est celui qui par sa vie campe devant les hommes celui qui est, le Christ, révélation du Père : Qui me voit, voit le Père ! Un tel témoignage transparaît toujours, les hommes ne savent pas y échapper. Ou bien ils l'acceptent, ou ils le rejettent. Ils ne savent pas rester indifférents.

Mes frères, je pense que nous pouvons voir le monastère comme une sorte d'atelier dans lequel Dieu se façonne des instruments de musique à la sonorité parfaite, à l'accord bien construit. Et sur ces instruments l'Esprit qui est le doigt de Dieu peut jouer une mélodie d'une variété infinie, mais dont le thème est toujours, toujours unique. Ce thème, ç'est Dieu, Dieu qui est beau, Dieu qui est 1umière, Dieu qui est grandeur. Et tout cela parce que Dieu est Amour.

 

Mes frères, voyez un peu, si nous pouvions devenir de tels instruments dans lesquels l'Esprit de Dieu pourrait jouer en toute liberté. Si chacun d'entre nous pouvait être ainsi, voyez un peu quel orchestre serait un monastère, et quel retentissement n'aurait-i1 pas dans le monde. Oh, certainement pas dans le monde de la chair, mais dans le monde invisible de l'Esprit, dans ce Royaume de Dieu qui est en train de se construire, qui est porté, qui est animé et qui grandit sous la puissance de l'Amour qui est Dieu.

Dans quelques instants nous allons recevoir en nous l'Eucharistie. Et l'Eucharistie, ce n'est rien d'autre que ce Jésus ressuscité qui désire poursuivre en nous son travail de témoin de Dieu. Et nous allons le recevoir, il est un feu. Il a dit : Je suis venu pour jeter le feu sur la terre. Laissons-nous emporter par ce feu qui doit bouillonner dans nos veines, qui doit nous purifier et qui doit faire de nous, chacun à notre place, de véritables témoins qui seront pour les hommes des phares, des lumières, un réconfort.

Et ils seront tout cela pour les hommes qui ont des yeux pour voir. Mais ils en ont tous n'est-ce pas pour voir. Dans le coeur de tout homme, même dans le coeur de l'homme le plus déchu, il y a une petite étincelle. Et cette petite étincelle est tenue en vie par le feu qui brûle dans l'âme de l'un ou l'autre homme.

Mes frères, essayons de devenir ces feux qui peuvent ainsi porter le monde et le conduire vers la plénitude de sa taille dans le Christ, vers la plénitude de son bonheur et de sa joie.

 

Fête des Saints innocents.                        28.12.78

1. Introduction à la célébration :

 

Mes frères,

 

Lorsque le Christ naît au monde des hommes, il déchaîne immédiatement l'hostilité contre sa personne. Il en est encore de même aujourd’hui car il ne cesse pas de naître au monde des hommes. Et quelle société, quel compagnonnage peut-il y avoir entre lui et le péché ? Or mes frères, reconnaissons le bien humblement maintenant au seuil de cette Eucharistie,  nous sommes encore trop souvent dominés par le péché.

 

3. Homélie :

 

Mes frères,

 

Lorsque le Christ prend possession d'un homme, lorsqu'il naît et grandit dans un homme, il ne faut pas s'imaginer qu'il l'introduit dans un univers aseptisé, conditionné, ouaté, un univers où tout serait bon, un univers où tout serait bien, un univers où tout serait beau. Non. C'est plutôt le contraire qui arrive.

Car à mesure que s'installe dans un homme la pureté, la transparence, la lumière, la beauté, comme par un jeu d'équilibre qu'il faudrait rétablir, comme par un jeu de bascule, en même temps surgissent des marécages qui portent les noms de cruauté, de bassesse, de lâcheté, de laideur.

Lorsqu'un homme est brûlé par le feu de l'Esprit, lorsqu'il est purifié par ce feu, il découvre avec horreur qu'en lui sommeille un Hérode, un Hérode qui est prêt à tout pour assouvir ses instincts de domination.

 

Ecoutez bien ceci, mes frères ! Si nous ne sommes pas disposés à donner notre vie pour un autre, à donner notre vie pour un frère, alors nous sommes prêts à le tuer. Oh, nous ne verserons pas son sang comme Hérode l'a fait, mais nos paroles, nos regards, nos gestes, nos pensées peut-être ne seront-ils pas autant d'attentats contre le frère ?

Aussi longtemps que l'autre n'est pas devenu pour moi un père, une mère, un frère, une sœur, tant qu'il n'est pas devenu celui qui me donne à moi-même, celui grâce auquel je suis ce que je suis, aussi longtemps n'est-ce pas que ce n'est pas arrivé, eh bien, il est pour moi un rival, il est pour moi un concurrent, il est pour moi un adversaire.

Et tôt ou tard, je ferai ce qui est en mon pouvoir pour l'écarter, pour le neutraliser. Il n'y a pas de place sur la terre pour lui et pour moi en même temps. Un des deux doit disparaître, et celui qui disparaîtra, ce sera l’autre.

 

Mes frères, si nous voulons analyser ce qui se passe dans notre coeur lorsque des pensées s'élèvent contre celui que nous coudoyons, contre l'homme que nous rencontrons, c'est tout cela qui se passe en nous ; c'est Hérode qui est là et qui sommeille, c'est Hérode qui prend peur et c'est Hérode qui se défend.

Chez un saint, il se passe un phénomène qui est assez étrange. En lui cohabite en même temps, au même moment, l'Esprit de Dieu le Christ et un démon, ce démon qui est le moi. Or l'égoïsme est peut être rasé, mais les racines de l'égoïsme sont toujours là, et ces racines doivent rester là.

Car pour l'homme possédé ainsi par l'Esprit de Dieu, pour cet homme qui sent encore en lui les racines de l'égoïsme, c'est un tourment terrible mais infiniment bienfaisant. C'est cela qui lui donne des entrailles de miséricorde pour les autres, c'est cela qui lui donne la pureté du regard et, c'est cela qui va l'introduire dans la vérité et dans une paix plus vaste que tous les océans.

 

Mes frères, naturellement, tels que nous sommes, nous ne sommes pas du côté du Christ. Ne nous faisons pas d'illusion, nous sommes du côté d'Hérode. Le Christ est seul, et effroyablement seul. Si Pierre n'avait pas renié, il est possible que les événements aient pris une autre tournure. Le Christ serait-il mort ? Mais il fallait que Pierre renia, car Pierre était lui aussi du côté d'Hérode et Jésus devait être seul.

Le massacre de ces enfants par le tyran Hérode c'est une parabole en actes, mais une parabole à l'envers. Tous les enfants meurent et le Christ seul échappe ; et plus tard le Christ seul meurt et tous les hommes échappent. Il devait en être ainsi. Le grand Prêtre n'avait-il pas prophétisé en disant : Il est préférable qu'un seul meure et que tous les autres ne périssent pas.

 Vous voyez ! Il y a toujours ce clivage : le Christ seul, et nous autres tous, Hérode, de l'autre côté. Mais alors le Christ a lancé une gageure que lui seul pouvait trouver. C'est celle-ci : naître en Hérode et faire de Hérode un autre Christ. C'est à cela que l'Esprit de Dieu veut et peut arriver. Car ne l'oublions pas, n'oublions pas cette parole qui est tombée dans le coeur de Marie : A Dieu rien n'est impossible ! Même pas cela !

 

Mes frères, pour vivre Noël, pour vivre Noël aujourd'hui et jusqu'à la fin des temps, il a fallu au Christ une fameuse dose de courage. Et pour que nous puissions, nous, vivre Noël aujourd'hui, il nous faudra aussi beaucoup de courage. Ce courage nous sera donné, mais il ne nous sera pas donné en une fois, pour toute notre vie en un paquet. Non, il nous est donné jour après jour, heure après heure, mais il nous est donné. Et nous devons avoir confiance, et nous devons savoir que le Hérode que nous sommes doit devenir un jour un autre Christ.

Amen.

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Homélie : Et qu’attendait Siméon ?               29.12.78

 

Mes frères,  

 

Il y avait à Jérusalem un homme appelé Siméon. La tradition en fait un vieillard parce qu'il fait allusion à sa mort qu'il estime proche puisqu'il a vu le Messie du Seigneur. En fait il n'est dit nulle part que c'est un vieillard. Tous les âges sont bons pour mourir, dès qu’on a obtenu, dès qu'on a vu ce qu'on attendait.

Mes frères, ne devons nous pas voir la mort comme la plénitude de la réalisation de ce que nous sommes ? N'est-elle pas Noël achevé ? N'est-elle pas le fruit qui est mûr et qui se détache de l'arbre de ce monde pour tomber dans l'autre monde où il est attendu ? Et tous les âges sont bons pour mourir dès qu'on est mûr.

 

Et cet homme de Jérusalem s'appelait Siméon. Il portait un nom, un nom qui ne lui a pas été donné par hasard. Ce nom, déjà dès l'instant où il a été donné à cet homme, ce nom contient en germe tout le destin de cet homme. Et ce destin va au jour le jour grandir, se déployer, apparaître aux regards de tous, aux regards de l'homme lui-même qui en sera le premier étonné.

C'est un destin, c'est un homme qui est voulu par Dieu, qui est aimé de Dieu, qui est porté par Dieu vers un but que Dieu seul connaît. Il ne peut pas le révéler de suite pleinement car ce serait trop beau pour cet homme. Mais l'homme le porte déjà dans son nom et s'il parvient à déchiffrer son nom il parvient à déchiffrer son destin.

Et ce nom est aussi un programme. Ce nom va le guider sur cette route où Dieu le conduit. Ce nom sera déjà une Tora, une loi à laquelle il devra obéir pour être fidèle. L'identité entre la personne et le nom donné par Dieu c'est la sainteté. Quel était ce nom ? Ce nom est Siméon, c'est à dire celui qui écoute, mais qui d'abord écoute.

 

Le premier qui écoute, le grand écoutant, au fond le seul écoutant, les autres n'étant que des échos de ce premier écoutant, c'est Dieu lui-même. Dieu est tout écoute et l'oreille de Dieu c'est son Esprit. Dieu écoute avec une suprême attention parce qu'il est amour. Voyez comment ! Il écoute au début de la création. L'Esprit plane au dessus du chaos et délicatement son aile caresse les eaux. Il écoute, Dieu, les remous du chaos.

Un jour il descend, cet Esprit, sur une jeune fille. Il l'enveloppe comme d'un manteau, comme d'un voile, et il écoute les battements du coeur de cette jeune fille. Le chaos primitif, lui, attendait, Marie attendait. Et voici aujourd'hui, l'Esprit, cet Esprit encore, repose sur homme. Il est au dessus de lui et il écoute ce que dit cet homme. Il écoute les soupirs de cet homme qui porte le nom de celui qui écoute. Et voici deux écoutes qui se répondent.

Mais qu'attendait le chaos ?

 

Le chaos attendait que soit déposé en lui un germe qui allait foisonner la vie, un germe qui déjà était Amour et qui devait au cours de milliers, de millénaires, conduire l'univers à un point de maturation, où une fleur qui était cette Vierge Marie allait aussi attendre. Mais qu'attendait-elle?

Mais elle attendait que le germe de vie soit la Vie elle-même et qu'elle descende en elle, qu'elle descende en elle cette Parole qui soutenait, qui transformait le chaos, qui le faisait évoluer, mais qu’elle soit en son coeur et que le Verbe de Dieu prenne en elle une chair d'homme et qu'il devienne matière au sens de la nature.

Et qu'attendait Siméon ? Oui, il y avait un homme à ce moment qui s'appelait Siméon. Et cet homme, il était sur la terre à ce moment précis ce que Dieu était au ciel. Rappelez-vous ce que nous demandons chaque jour si souvent : Qu'il en soit sur la terre comme il en est au ciel !

 

Et Siméon écoutait. Il était l'oreille d'Israël à ce moment, Israël qui avait été formé pour écouter. C'était sa vocation d'écouter. Jour après jour, il se répétait à lui-même : Ecoute Israël, le Seigneur ton Dieu est le seul Seigneur, écoute ! Israël était l'oreille du monde qui écoutait Dieu, qui le recevait, et qui recevait en lui l'Esprit ! Et voici que cette oreille se ramasse dans un seul homme : Siméon qui écoute. Il écoute parce qu'il attend. Et qu'attendait Siméon ?

Il attendait la consolation d'Israël. Il attendait la paraclèse d'Israël. Et qu'elle était cette paraclèse d'Israël ? Ce n'était rien d'autre que la réalisation de cet immense espoir qu'Israël puisse enfin devenir l'écrin, l'écrin qui allait recevoir le Messie, qui allait recevoir cet homme qui serait le lien parfait entre le ciel et la terre, entre le Seigneur et les hommes. Israël recevrait en lui le Verbe de Dieu. Israël dans sa chair deviendrait un petit corps pour Dieu, ce corps grandirait aux dimensions de l'humanité entière.

Mais dans ce temple de chair devenu le temple de Dieu, il y aurait toujours un Saint des Saints, et ce Saint des Saints serait Israël. Voici la consolation qu'attendait Siméon, la consolation qu'il espérait. Et c'est pour cela qu'il était l'écoutant. Et l'Esprit lui parlait. Et l'Esprit lui disait : « Le moment est venu, va, c'est aujourd'hui ! » Il va et il voit.

 

Mes frères, il est indispensable qu'il y ait encore aujourd'hui sur la terre des Siméon. Car l'espérance qu'est cette attente, elle a un pouvoir extraordinaire. Elle a le pouvoir de provoquer l'événement. L'espérance est déjà l'événement rendu présent et il devient tellement présent qu'un moment donné il se réalise. S'il n'y a pas d'attente, s'il n'y a pas d'espérance, il n'arrive rien.  

Il faut qu'il y ait encore sur terre des écoutants. Et c'est pour quoi Dieu, nous dit Saint Benoît, cherche dans la multitude un homme qui voudra devenir son operarius, son ouvrier, celui qui consentira à espérer, à attendre, à écouter. Et lorsqu'il a trouvé quelqu’un qui dit : Eh bien, moi je suis d'accord. La toute première parole alors que Saint Benoît, l'oracle de l'Esprit lui adresse est : Ecoute ! Toujours écouter n'est-ce pas.

 

Mes frères, le moine, c'est l'homme qui écoute. Son rôle dans l'humanité, c'est d'écouter, surtout si c'est un moine contemplatif. La contemplation, ne l'oublions pas, avant d'être vision, elle est d'abord audition. Et que va-t-il attendre cet homme ?

Il va attendre de devenir à son tour l'écrin de l'Esprit, recevoir en lui cette lumière qui est le Verbe de Dieu pour en être transformé. Et alors un jour aussi, le grand événement qu'il espère se produit : la lumière de Dieu apparaît à ses yeux et le Christ ressuscité, il le voit et il converse avec 1ui. Il peut le tenir dans ses bras, le palper, et dire : Maintenant tu peux aussi, si c'est ton bon plaisir, me laisser aller car enfin je l'ai vu.

 

Mes frères, c'est cela Noël ! C'est Noël encore une fois qui se perpétue et qui continue jour après jour dans nos vies. Nous laisser devenir écoute entière, écoute parfaite, écoute d'une délicatesse qui ne laisse rien passer. Et cette écoute, elle devient notre travail, ce que Saint Benoît appellera encore obéissance. Mais obéir cela veut dire écouter, étymologiquement c'est écouter. Ce n'est rien d'autre qu'écouter, donc de suite répondre. La vigueur de notre obéissance est toujours l'intensité de notre écoute et de notre attente.

Mes frères, Noël c'est cela, c'est attendre, c'est écouter, c’est recevoir en soi la lumière, la laisser grandir jusqu'a ce que nous soyons totalement transformé en elle. Amen.

 

Homélie : La Prophétesse Anne.                   30.12.78

      Beauté née du regard de Dieu.

 

Mes frères,

 

Hier nous avons rencontré dans le temple un homme de Jérusalem du nom de Siméon. Cet homme était la réplique terrestre, lui qui portait le nom de j'écoute, il était la réplique terrestre du grand écoutant dont la demeure est dans le ciel. Dieu, dont l'oreille qui est l'Esprit touche, caresse, pénètre pour ausculter, pour saisir les battements d'un coeur, les désirs qui font battre un coeur. Et ces désirs, pour les combler lorsqu'ils sont dans la ligne du plan que Dieu a sur un homme, du plan que Dieu a sur l'univers.

Et Siméon l'écoutant terrestre était, lui, attentif à l'écoute de l'Esprit, à l'écoute des secrets de Dieu. Et Dieu les lui révélait. Dieu l'a conduit dans le temple et Dieu lui a permis de prendre dans ses bras celui-là même que Siméon écoutait, attendait.

 

 Et aujourd’hui, nous rencontrons une femme très âgée elle, elle a 84 ans. Cela veut dire qu'elle a parcouru 1 fois le pèlerinage mystique des 12 portes de la cité sainte. Chaque porte est une pierre précieuse sur laquelle est ciselée le nom d'une des tribus d'Israël. Et sa porte à elle portait le nom d'Aser. Aser est celui qui est heureux, qui est divinement, infiniment heureux, et qui veut combler de bonheur celui qui consent à entrer par cette porte.

 Anne, au terme de ses pèlerinages, a mérité ainsi d'entrer dans le sabbat de sa vie. Elle se repose maintenant. Elle ne vit plus que de Dieu et pour Dieu. Jour et nuit elle se repose en lui, elle ne le quitte jamais.

Et cette femme, elle s'appelle Anne, fille de Phanuel, ce qui veut dire traduit dans notre langue, d'abord assez grossièrement puis après plus poétiquement : la grâce fille du visage de Dieu, de la face de Dieu ; plus harmonieusement elle s'appelait : beauté née du regard de Dieu, Dieu qui est la beauté souveraine, Dieu que aucun oeil ne peut voir s'il n’ouvre cet oeil.

 

Et voila que Dieu rencontre là sur cette terre d'Israël qui lui est si chère un homme qui lui est oreille, écoute, attente et, à côté de lui une femme qui est oeil, regard, vision, toute attentive, elle, à la beauté qu’elle porte en elle, qui vient de son créateur, le Beau.

Et cette beauté de Dieu se trouve toute entière dans son regard, ce regard qui est flamme de feu, une flamme insoutenable - on ne peut pas voir Dieu sans mourir - mais une flamme qui purifie, une flamme qui fortifie aussi, une flamme qui fait rester debout, une flamme qui ouvre l'oeil de l’homme.

Et l'homme peut alors sous le regard de ce Dieu qui est beauté devenir beauté lui-même et prendre le nom de beauté née du regard de Dieu. Voila, telle était cette femme ! Et elle se reposait en Dieu, et elle ne le quittait pas.

 

Et elle se met à parler. Elle parle, elle est prophétesse. Elle parle par sa vie, elle parle par son être. Elle va aussi parler par le son de sa bouche. Elle parle de ce qu’elle voit, elle parle de la beauté qu'elle admire, de la beauté qui est en elle.

Et elle en parle à ceux qui attendent la rédemption, la dé1ivrance de Jérusalem. Elle n'en parle pas à tout le monde. Elle en parle à Siméon et à tous les Siméon qui sont à Jérusalem, ceux qui attendent et ceux qui espèrent la délivrance de Jérusalem. Jérusalem qui sera enfin libérée des liens de la chair pour devenir la Jérusalem de l'Esprit, cette cité nouvelle qui va descendre du ciel parée comme une fiancée pour son époux. Voila de quoi elle parlait à ceux qui attendaient.

 

Mes frères, le mystère de Noël ne finit jamais. Il travaille encore en nous maintenant, il travaillera tous les jours de notre vie. Mais nous devons le laisser agir, nous devons nous ouvrir à lui, nous devons nous laisser transfigurer par lui car il est regard de Dieu sur nous, regard qui veut faire de nous aussi une beauté, regard qui fait naître et grandir en nous la personne de Jésus Christ.  

Mes frères, ouvrons nous à cette espérance car elle est vraie. Et qu'un jour nous puissions aussi porter ce nom qui était celui d'Anne, tous et chacun d'entre nous, beauté née du regard de Dieu.                                                                                                   

                                                                                                           Amen.