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Version 2.06-décembre 2016

Le gamin St Jean

Abstract: plusieurs indices nous laissent comprendre que l'apôtre Jean était encore un jeune enfant lorsqu'il a connu Jésus. Cela nous permet de comprendre mieux certaines lacunes, certaines contradictions et certaines bizarreries du 4e évangile, du Nouveau Testament, et de l'histoire "assumée" des premières communautés chrétiennes.

 

 

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Intuition centrale de cette étude

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Des savants comme Wilkens, Boismard (et d'autres) ont essayé de comprendre pourquoi la composition du quatrième Évangile est confuse. Avec des arguments essentiellement philologiques, ils expliquent une partie de ce désordre (chronologique et stylistique...) par la distinction dans ce texte de différentes strates rédactionnelles. L'intuition de ces savants gagne encore de sa pertinence lorsqu'ils soutiennent que deux de ces strates rédactionnelles (les deux principales) auraient été rédigées par un même auteur (surnommé 'Jean2' par Boismard). Enfin, une étude encore plus pointue du texte laisserait penser que cet auteur principal du 4e évangile aurait retravaillé son propre texte une trentaine d'années après sa première rédaction.

Je veillerai évidemment à ne jamais me mettre en contradiction avec ces thèses. Qui serais-je pour oser contredire des savants de cette carrure-là? Par contre, je pousserai un peu plus loin qu'eux les conséquences de leurs thèses par les effets d'une intuition plus personnelle mais qui est loin d'être infondée comme mon lecteur pourra progressivement s'en rendre compte.

Voici l'intuition : l'auteur principal du quatrième évangile fut un jeune enfant lorsqu'il a connu Jésus (et, bien sûr, un adulte mûr lorsqu'il a rédigé son premier texte grec ainsi qu'un vieillard très vénéré lorsqu'il a corrigé et augmenté son premier récit).

Je me laisse ensuite porter par les conséquences que ces considérations d'âges signifieraient pratiquement. Le corpus évangélique me rend alors une cohérence inédite qui étaye la crédibilité de l'intuition du départ. Je découvrirai alors avec joie que la prise en compte des relations entre les différences de générations dans une société telle que celle de Jésus (une société "agraire" patriarcale dont on a encore aujourd'hui beaucoup d'exemples dans le monde) offre aussi, indirectement, une crédibilité neuve aux thèses géniales des philologues cités plus haut et dont le prestige avait été un peu écorné ces dernières décennies. Last but not least, cette reconstruction des événements sur ces bases encourage l'idée que c'est bien l'apôtre Jean qui fut l'auteur principal du 4e évangile.

 

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Esprit et méthode de travail

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Très généralement on lit le Nouveau Testament en présupposant (consciemment ou non) que tous ses principaux acteurs sont adultes. Cela génère pourtant des difficultés historiques énormes: présence de Jean au pied de la croix, insignifiance du rôle du "disciple préféré" de Jésus lors de la naissance de l'Église, présence de Jean chez Anne, etc. (Cf. la troisième partie de cet article pour les détails).

Pour comprendre cette incohérence de la signification (et non de la forme) du texte, il me suffira de considérer que le rédacteur adulte a tendance à esquiver le fait qu'il n'était «qu'un enfant» lorsqu'il a connu Jésus. Mais par contre, devenu vieillard, et vieillard très vénéré de surcroît, il négligera davantage cette pudeur lorsqu'il corrigera et augmentera son premier texte. (La formule "le disciple que Jésus aimait" résume finalement bien ce que j'essaye de dire ici: cette formule appartient évidemment au texte du vieillard; il aurait été passablement maladroit d'écrire une telle chose lorsque les autres apôtres vivaient encore!)

À l'incohérence stylistique démystifiée par le travail des philologues vient alors progressivement s'ajouter une unité psychologique surprenante qui va devenir tellement nette qu'il deviendra difficile d'imaginer que ce rédacteur n'a pas connu personnellement et intimement Jésus!

À la question de savoir si ce rédacteur 'principal' était vraiment l'apôtre Jean comme le veut la rumeur populaire, par-delà la cohérence psychologique, la critique historique en général semblait ne pas pouvoir statuer. Boismard par exemple, sans être vraiment convaincant, semble plutôt répondre "non" à cause d'arguments historiques mineurs. Ces arguments-là, qui, in fine, sont aussi des hypothèses loin d'être unanimement reconnues dans le monde des savants, s'effacent ici, me semble-t-il, devant un faisceau d'arguments neufs... Pas des preuves bien sûr. Jamais de preuve... En ces matières délicates, on ne peut pas raisonner comme en mathématique!

Il faut bien comprendre ici que si une communauté chrétienne primitive accepte le texte final sans véritable squelette, c'est parce que son auteur est ce vieillard-là et pas un autre! Il fallait non seulement respecter sa volonté mais aussi préserver à tout prix la mémoire de tout ce qui sortait tout droit de son coeur. Lorsqu'il corrige et complète son premier texte, ce vieillard est déjà devenu pour son auditoire un véritable «monstre sacré». Pensez! Le dernier apôtre! Peut-être le dernier témoin direct des prêches du Christ! Il pouvait se permettre non seulement ses erreurs et ses incohérences, mais aussi ses envolées emphatiques, énigmatiques et, surtout, extrêmement paternalistes. C'est ce que sa communauté attendait de lui; ce ton paternaliste et sacralisant (quasi absent dans les autres évangiles canonisés) est toujours le bienvenu dans une secte qui passe le cap de la première génération de fidèles.

Il est peut-être utile de rappeler aussi ici que les sociétés agraires peuvent mieux que nous distinguer dans les "radotages" d'un vieux l'impitoyable lucidité du coeur que n'ont pas nécessairement les adultes. Nonobstant les incohérences que cela peut accidentellement induire dans leurs récits, ces cultures attachent une importance à ces "radotages" que la modernité néglige beaucoup trop au nom d'une certaine rationalité.

Croyant bien faire, cette communauté aura probablement chargé ensuite l'un ou l'autre lettré de remettre un peu plus de cohérence dans les papiers, ...ce qu'ils n'auraient que très partiellement réussi à faire (mais il était peut-être impossible de faire mieux sans détruire la source! Il va sans dire que ces lettrés appartenaient, eux aussi, à la communauté et attachaient la même valeur aux finasseries du témoignage direct!).

A contrario, en tenant compte de ces processus de sacralisation dans une secte naissante, il me semblerait difficile d'admettre que c'est un texte plus ou moins cohérent au départ qui ait perdu de sa cohérence par l'action de mains perverses ou maladroites. Si cela avait été le cas, on percevrait évidemment beaucoup plus clairement les intentions qui auraient motivé ce floutage du témoignage. Dire que c'est l'apôtre Jean lui-même qui fut la source de ce désordre me semble donc, bien plus que les autres thèses, respecter et réconcilier l'apôtre Jean, la communauté qui l'entourait, les intentions des rédacteurs secondaires, la rumeur populaire persistante et, surtout, l'esprit de la critique historique. Les témoins mourant les uns après les autres, on comprend l'empressement de consigner par écrit les amplifications du dernier témoin, nonobstant le fait qu'il fut déjà trop vieux pour la tâche).

Aucune difficulté en revanche pour admettre que ce rédacteur principal vaguement maladroit ait commencé son travail à partir d'un ou de plusieurs documents d'une autre origine et qui, eux, auraient été cohérents parce que trop brefs et trop peu détaillés pour être confus... (des notes permettant aux premiers témoins d'organiser leurs sermons!).

Au premier regard, cette manière d'aborder le quatrième évangile déplaît parce qu'elle sous-entend que Jean n'était ni un grand écrivain ni un grand intellectuel (ce qui serait confirmé par le fait que le vocabulaire du 4e évangile est beaucoup plus pauvre que celui de Mt, de Mc ou de Lc... Cf l'étude chiffrée de Deiss à ce propos). C'est vrai, mais qu'importe puisque tout le monde acceptera qu'il était aussi un immense spirituel. Définitivement et radicalement marqué dans son enfance par un 'gourou' très puissant avec qui -parce qu'il était un enfant à cette époque- il avait pu partager une intimité exceptionnelle, il avait pu dépasser cette respectueuse distance qui handicapait la relation entre les autres disciples et le Maître. (Jean vieillard aimait bien sûr se vanter de cette intimité!). Son génie touchera donc directement le coeur du coeur, là où la raison n'a plus beaucoup d'importance. Le vingt-et-unième chapitre de son texte final est par excellence le témoignage de cette supériorité spirituelle de Jean. Il dissèque là mieux que n'importe quel bistouri de scientifique les abyssales profondeurs du coeur de Jésus.

 

 

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Arguments principaux

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J'ai développé ci-dessus l'esprit de la méthode qui conduit à accepter l'hypothèse d'un «Jean-enfant». Il est temps maintenant d'être plus concret et d'analyser au cas par cas ces petites et grandes incohérences du Nouveau Testament qui s'estompent par l'hypothèse d'un "Jean-enfant". Il y en a beaucoup et ma liste n'est évidemment pas exhaustive. Il y en a tellement qu'à mes yeux le faisceau de présomptions confine à la preuve. J'aimerais parler d'une vérité historique "structurelle" parce que manifestement que tout influe sur tout...

*Argument 1*

Un crucifié meurt par étouffement suite à des crampes provoquées par sa position et son mode de suspension. Ses plaies ne sont pas mortelles et pour l'empêcher de mourir, il suffit de le décrocher. Pour l'empêcher de mourir, on peut aussi lui offrir un point d'appui non douloureux. (Pour le dire court, une personne assise clouée aux mains et aux pieds ne mourra pas ...sinon de faim et de soif beaucoup plus tard si personne ne le nourrit). Quelques soldats avaient donc pour mission d'écarter complices et sympathisants des croix jusqu'à la mort des suppliciés. (Voir analyse médicale de la crucifixion.)

Or, à en croire le quatrième évangile, Jean a pu s'approcher de la croix. Un Jean adulte n'aurait jamais obtenu cette permission! Par contre, dans cette société agraire patriarcale, un enfant et quelques femmes en larmes ne sont évidemment pas susceptibles de prendre les soldats de court. Les autres observateurs n'ont qu'à regarder le supplicié «...de loin...».

Cette thèse atténuerait donc l'apparente contradiction entre les synoptiques (dont les auteurs n'étaient probablement pas présents lors des événements qu'ils racontent et qui sont donc influencés par ce qui s'observe habituellement lors des crucifixions) et l'évangile de Jean à propos de la distance entre les spectateurs et les suppliciés .

« Il y avait là beaucoup de femmes qui regardaient de loin, celles–là même qui avaient accompagné Jésus depuis la Galilée, pour le servir. » (Mt27,55 Trad. "Nouvelle Bible Ségond 2002") 

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« Il y avait aussi des femmes qui regardaient de loin. Parmi elles, Marie–Madeleine, Marie, mère de Jacques le Mineur et de José, et Salomé... » (Mc15,40 Trad. "Nouvelle Bible Ségond 2002")

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« Tous ceux qui le connaissaient, et les femmes qui l’avaient accompagné depuis la Galilée, se tenaient à distance et regardaient ce qui se passait. » (Lc23,49 Trad. "NBSégond 2002")

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 ...contre:

« Auprès de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie–Madeleine. Jésus, voyant sa mère et, près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : Femme, voici ton fils...» (Jn19,25-26 Trad. "NBS 2002")

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*Argument 2*

Venons-en à un autre épisode de la Passion: la séance d'instruction chez le souverain sacrificateur.

Cet épisode est d'autant plus intéressant qu'il est presque 'nécessairement' historique selon les règles de l'exégèse historique. A priori, Ann n'a en effet aucune raison d'être cité dans le récit de la passion puisqu'il n'a aucun rôle important à prendre dans le déroulement normal d'un procès; il n'a pas l'autorité "officiellement" requise. Les synoptiques d'ailleurs ne parlent pas de Ann et préfèrent ne pas compliquer davantage le récit déjà passablement opacifié du procès officiel. Le paradoxe du transfert vers la justice Romaine est déjà en soi suffisamment compliqué à expliquer pour un auditoire qui n'a pas nécessairement conscience de l'existence des coulisses de la justice! C'est sans dire que les motivations de Judas sont déjà tout aussi compliquées à expliquer...

Anne a pris ce rôle dans les événements de la Passion parce que tout ce procès est partagé entre des intrigues stratégiques à caractère officieux et des obligations protocolaires strictes... Entre des motivations privées et des motivations publiques... (cf. l'article intitulé "St Judas" sur ce site). Il fallait donc préparer l'audience publique du matin. On est vraiment avec cet épisode d'Ann dans ce que les journalistes contemporains appelleraient "les coulisses du parquet"!

Il faut ajouter encore que les informateurs habituels de la "bande à Jésus", (les Nicodèmes, Joseph d'Arimathée et autres pro-Jésus de l'élite juive) n'y ont probablement pas été invités! Finalement, il n'y eut comme source valable pour témoigner de ces moments cruciaux que celui que nous supposons avoir été un enfant.

« 13 Ils le conduisirent d’abord à Anne: c’était le beau–père de Caïphe, qui était grand prêtre cette année-là, 14 ce Caïphe qui avait donné aux Juifs le conseil suivant: «Il est avantageux qu’un seul homme meure pour le peuple.» 15 Simon Pierre, ainsi qu’un autre disciple, suivait Jésus. Ce disciple était connu du grand prêtre, et il entra avec Jésus dans le palais du grand prêtre; 16 Pierre, lui, se tenait dehors, près de la porte. L’autre disciple, celui qui était connu du grand prêtre, sortit, parla à la gardienne de la porte et fit entrer Pierre. 17 Alors la servante qui gardait la porte dit à Pierre: N’es-tu pas, toi aussi, l’un des disciples de cet homme? Il dit: Je ne le suis pas. 18 Les esclaves et les gardes se tenaient là; ils avaient fait un feu de braises, car il faisait froid, et ils se chauffaient. Pierre aussi se tenait avec eux et se chauffait. 19 Le grand prêtre interrogea Jésus sur ses disciples et sur son enseignement. 20 Jésus lui répondit: Moi, j’ai parlé ouvertement au monde; j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, là où tous les Juifs se rassemblent, et je n’ai rien dit en secret. 21 Pourquoi m’interroges–tu? Ce dont j’ai parlé, demande-le à ceux qui m’ont entendu; ils savent bien, eux, ce que, moi, j’ai dit! 22 A ces mots, un des gardes qui étaient là donna une gifle à Jésus, en disant: Est–ce ainsi que tu réponds au grand prêtre? 23 Jésus lui répondit: Si j’ai mal parlé, prouve-le; et si j’ai bien parlé, pourquoi me bats–tu? 24 Alors Anne l’envoya, lié, à Caïphe, le grand prêtre. 25 Simon Pierre se tenait là et se chauffait. On lui dit: N’es-tu pas, toi aussi, l’un de ses disciples? Il le nia en disant: Je ne le suis pas. 26 Un des esclaves du grand prêtre, qui était parent de celui à qui Pierre avait tranché l’oreille, dit: Ne t’ai-je pas vu, moi, dans le jardin, avec lui? 27 Pierre le nia encore. Et aussitôt un coq chanta.» (Jn18,15-27 Trad. "Nouvelle Bible Ségond 2002")

 

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La description intellectuellement simplifiée de l'instruction par le disciple plaide déjà vaguement en faveur de son très jeune âge: il raconte l'histoire de la gifle bien sûr, qui dû le choquer... Il insiste outrancièrement sur la 'lâcheté' de Pierre qui l'avait profondément déçu... Mais il résume les questions techniques de culpabilité à quasi rien... N'oublions quand même pas que l'on était dans cet auditoire en présence de personnes instruites, de membres de l'élite. Le problème de l'enfant, c'est qu'il distingue mal l'essentiel de l'accessoire...

La manière dont Jean retrace l'épisode de la gifle (verset 22) a en soit un caractère particulier qui renforce la valeur historique du témoignage; on n'est pas ici devant une reconstruction! La gifle n'est pas le fruit d'une bavure policière, d'une méchanceté gratuite; le soldat n'est ici qu'un sordide 'frotte manche', dont la fatuité n'avait d'égale que la bêtise. Il a d'ailleurs probablement suscité un silencieux embarras dans l'assemblée, ce qui permit à Jésus de le remettre à sa place d'une manière qui peut même paraître humiliante... Il ne faut donc pas confondre cette gifle avec cette véritable bavure, ce tabassage, qui aura lieu après, lorsque l'instruction sera finie (Mt26 67-68 et Mc14 65)...

(Il est à parier que le 'frotte manche', après l'humiliation essuyée publiquement, y aura pris sa revanche!)

Mais tout ceci n'est pas le plus important. D'autres particularités de ce récit sont plus utiles:

L'abondance des détails, nous laisse au moins la liberté de supposer que le témoin a bien pu rentrer impunément dans la pièce de l'interrogatoire. Certains savent pourtant qu'il est un ami de Jésus puisque autour du feu, on demande à Pierre s'il est lui «...aussi...» disciple de Jésus (verset 17). L'attitude de Pierre durant cet épisode montre, si besoin en est, qu'il est dangereux de passer pour un disciple. Pourquoi n'est-ce pas le cas pour l'autre disciple? Bien sûr, il est de la famille du sacrificateur ...mais n'est-ce pas plutôt et surtout parce qu'il peut profiter, lui, du charme, de l'impunité et de l'insignifiance sociale de l'enfance à cette époque? Tout ce que Jean risque, c'est d'être «grondé» pour ses mauvaises fréquentations. Un adulte, dut-il être un cousin du sacrificateur, n'aurait pu obtenir cette impunité-là, ...et s'il l'avait obtenue, cette impunité, il serait intervenu pour défendre Jésus au cours de cette instruction, ce qu'il n'aurait pas oublié de mentionner ensuite dans son rapport!

On peut donc comprendre, comme le veut d'ailleurs la Tradition, que «...l'autre disciple...» c'est Jean lui-même, encore enfant, et qui, une fois devenu adulte, évite de révéler trop clairement qu'à cette époque, le témoin n'était «qu'un enfant» (ce à quoi le vieillard sera moins attentif...). Ce trop jeune âge l'empêchait de pouvoir intervenir durant l'instruction. Tout ce que le petit Jean a pu obtenir, c'est de faire entrer Pierre en parlant à la concierge (verset 16). On peut comprendre alors combien l'enfant -qui sous-évaluait le danger- a été profondément déçu par la totale «passivité» de Pierre. C'est donc avec le même simplisme enfantin que Jean reprochera à Pierre une lâcheté tout à fait surévaluée (reniement)

 

A propos de la défence de Jésus à l'instruction et au procès juif...

 

 

*Argument 3*

La tradition situe la mort de Jean vers l'an 100. C'est compatible avec l'idée qu'il fut le principal rédacteur du quatrième Evangile (rédacteur que Boismard appelle «Jean2 » sans l'identifier à l'apôtre). Les analyse historico-critiques semblent indiquer que le principal rédacteur a pu remanier son propre texte entre l'an 90 et l'an 125 et plus probablement en 95. (Boismard- Cerf- tome 3, p68) Jésus est né vers l'an -2 voire l'an -7 ou -6 pour certains (Chouraqui, NT p589). Mais surtout il semble bien établi qu'il a commencé sa vie publique durant l'hiver de l'an 26-27. (Aulagnier- cité par la Bible Chrétienne (BC)- Anne Sigier- tome 1, p623) Faites le compte: Même si Jean était très jeune lorsqu'il a rencontré Jésus durant l'hiver 26-27, il devait déjà être un bien vieux monsieur pour l'époque en l'an 100! (Ajoutons à cela que des études médicales sur l'évolution de l'âge de la puberté permettent de supposer qu'en ces temps-là un enfant restait plus longtemps «enfant».)

Si donc Jean avait dix ans pendant l'hiver 26-27, il aurait eu 73 ans en l'an 100... et aurait alors remanié son texte entre 63 ans et 98 ans.

Si Jean était âgé de 15 ans en 27 (à 15 ans on est encore plus que probablement un enfant impubère à cette époque), il aurait eu 78 ans en l'an 100... et il aurait remanié son texte entre 68 et 103 ans.

Au total, même si on joue ici avec des chaînes d'estimations très subjectives, il me semble beaucoup plus raisonnable (au regard de la nature des souvenirs et de la relation qui liait Jésus à ce rédacteur) de considérer que Jean avait une dizaine d'années lorsque Jésus l'a connu. Peut-être moins, et, en tout cas, moins de 15 ans car cela nous conduirait à 18 ans au moment de la passion, or à 18 ans, il n'aurait pu être au pied de la croix et nous aurait donné un autre compte rendu de l'instruction.

 

*Argument 4*

«Alors la mère des fils de Zébédée s’approcha de lui avec ses fils et se prosterna pour lui faire une demande. Il lui dit: Que veux–tu? –– Ordonne, lui dit–elle, que mes deux fils que voici s’assoient l’un à ta droite et l’autre à ta gauche dans ton royaume. Jésus répondit: Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez–vous boire la coupe que, moi, je vais boire? –– Nous le pouvons, dirent–ils. Il leur répondit: Ma coupe, vous la boirez, mais pour ce qui est de s’asseoir à ma droite et à ma gauche, ce n’est pas à moi de le donner; les places sont à ceux pour qui elles ont été préparées par mon Père. Les dix autres, qui avaient entendu cela, s’indignèrent contre les deux frères.» (Mt20,20-28 Trad. NBS2002)

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Le rôle joué par la mère des deux fils de Zébédés dans les évangiles montre que ces derniers étaient encore bien «sous son aile protectrice». Dans une société patriarcale agraire, la mère et plus généralement encore la femme s'efface devant les responsabilités publiques de leurs enfants dès qu'ils atteignent l'âge adulte. Un témoignage de cette réalité peut être retrouvé par exemple en la réponse assez «sèche» de Jésus à sa mère à Cana qui a marqué le rédacteur du 4e évangile (Jn2,4). L'intervention de madame Zébédé auprès de Jésus aurait été peu probable -et de toute façon aurait été censurée par les deux fils eux-mêmes- s'ils avaient été adultes. Qui de nous, adulte, aurait accepté d'être mis ainsi en porte à faux devant les autres par sa mère. Si (comme le suggère Marc) ce sont les fils eux-mêmes qui font la demande, alors cela ne confirme que davantage leur jeune âge et l'on comprend encore mieux pourquoi, après, les autres les grondent!

"Les deux fils de Zébédée, Jacques et Jean, viennent lui dire: Maître, nous voudrions que tu fasses pour nous ce que nous te demanderons. Il leur dit : Que voulez–vous que je fasse pour vous? –– Donne–nous, lui dirent–ils, de nous asseoir l’un à ta droite et l’autre à ta gauche dans ta gloire. Jésus leur dit: Vous ne savez pas ce que vous demandez. Pouvez–vous boire la coupe que, moi, je bois, ou recevoir le baptême que, moi, je reçois? Ils lui dirent: Nous le pouvons. Jésus leur répondit: La coupe que, moi, je bois, vous la boirez, et vous recevrez le baptême que je reçois; mais pour ce qui est de s’asseoir à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de le donner; les places sont à ceux pour qui elles ont été préparées. Les dix autres, qui avaient entendu, commencèrent à s’indigner contre Jacques et Jean.» (Mc10,35-41 Trad. NBS2002)

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On ne s'étonnera évidemment plus de ce que le quatrième évangile ne mentionne pas cet épisode plutôt humiliant pour Jean!

 

*Argument 5*

Un autre comportement infantile que le quatrième Evangile ne mentionne pas, c'est la réaction des fils Zébédé après un mauvais accueil de Jésus dans un village de Samarie; ils proposaient en effet rien de moins que "...de faire descendre le feu du ciel pour le consommer" (en supposant sans doute que Jésus allait se charger du problème technique)!

«Comme arrivaient les jours où il allait être enlevé, il prit la ferme résolution de se rendre à Jérusalem et il envoya devant lui des messagers. Ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains, afin de faire des préparatifs pour lui. Mais on ne l’accueillit pas, parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. Quand ils virent cela, les disciples Jacques et Jean dirent: Seigneur, veux–tu que nous disions au feu de descendre du ciel pour les détruire? Il se tourna vers eux et les rabroua. Et ils allèrent dans un autre village.» (Lc9,51-56 Trad. "Nouvelle Bible Ségond 2002")

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Cet épisode est probablement à l'origine du quolibet utilisé par Jésus pour surnommer Jean et son frère: "Fils du tonnerre" (Mc3,17) (et qui n'est pas mentionné par le quatrième évangile évidemment... ce qui indique la connotation plutôt négative du quolibet!). Quolibet gentil mais un tantinet ironique pour ces jeunes apprentis démiurges-justiciers?... D'aucuns ont dit qu'il y avait peut-être là une allusion à un père de sang passablement 'soupe au lait'. Possible, mais même cela n'effacerait pas la probabilité que les deux fils fussent très jeunes à l'époque des faits; ce quolibet-là siérait mal à des adultes.

 

*Argument 6*

La relation affectueuse entre Jésus et Jean, malgré l'époque, n'aurait pas manqué de choquer les disciples, les pharisiens et autres Juifs si ce dernier n'avait pas été un enfant impubère (la morale juive réprouve l'homosexualité). Même dans ces cultures où il est permis aux hommes de toucher d'autres hommes en public (mais surtout pas les femmes, sauf la mère ...Des règles encore observées dans la plus grande partie des sociétés dites "agraires" d'aujourd'hui), la proximité de la dernière scène pose problème. Aucun problème en revanche dans ces cultures s'il s'agit d'un enfant.

Pour me faire comprendre, il me suffit de rappeler les difficultés qu'ont connu les peintres chrétiens pour rendre cette scène visuellement sinon "naturelle" au moins "plausible"...

Tout cela est encore plus flagrant si l'on veut bien se rappeler que tous les évangiles montrent combien la relation entre les disciples et Jésus était imprégnée de craintes, de respects, de considérations hiérarchiques (prosternations, propos tenus à l'écart du maître, peur de l'interroger...). Cette proximité de Jean durant le repas semble d'ailleurs avoir pu embarrasser quelques traducteurs qui a un «...sur la poitrine de...» ont préféré un «...vers la poitrine de...» voire carrément un «...vers Jésus...», élisant du coup la sainte poitrine au nom d'une plus grande clarté d'intention (Traduction de la "Bible en Français Courant" de 1997 ou celle de la "Parole de Vie" de 2000 ou encore celle dite du "Semeur" terminée aussi en l'an 2000. On sent bien l'influence de plus en plus manifeste d'un tabou qui obsède la fin du XXe siècle et le début du XXIe! "Honnit qui mal y pense...")

«Ce disciple se penche alors tout contre la poitrine de Jésus et lui dit : Seigneur, qui est–ce?» (Jn13,25 Trad. NBS2002)

 

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«En se retournant, Pierre voit le disciple que Jésus aimait, celui qui, pendant le dîner, s’était penché tout contre sa poitrine pour lui demander: «Seigneur, qui est celui qui te livre?» Lui aussi suivait.» (Jn 21:20 Trad NBS2002)

 

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*Argument 7*

Revenons aux choses plus sérieuses. Par opposition aux autres évangélistes l'auteur du quatrième évangile ne semble pas avoir été choqué par la nature financière de l'onction de Béthanie. Lorsqu'il cite la valeur de 300 deniers ce n'est pas pour mettre en évidence l'énormité d'un «gaspillage» mais uniquement pour charger Judas d'un vol très conséquent. Il le charge exactement comme un enfant l'aurait fait...

«3 Marie, donc, prit une livre d’un parfum de nard pur de grand prix, en répandit sur les pieds de Jésus et lui essuya les pieds avec ses cheveux; la maison fut remplie de l’odeur du parfum.
4 Un de ses disciples, Judas Iscariote, celui qui allait le livrer, dit alors: 5 Pourquoi n’a–t–on pas vendu ce parfum trois cents deniers pour les donner aux pauvres? 6 Il disait cela, non parce qu’il avait le souci des pauvres, mais parce qu’il était voleur et que, tenant la bourse, il prenait ce qu’on y mettait. 7 Mais Jésus dit: Laisse–la garder cela pour le jour de mon ensevelissement. 8 Les pauvres, en effet, vous les avez toujours avec vous; mais moi, vous ne m’avez pas toujours.»
(Jn 12,3-8 NBS2002)

Texte à comparer avec la version de Matthieu:

«6 Comme Jésus était à Béthanie, chez Simon le lépreux, 7 une femme s’approcha de lui. Elle tenait un flacon d’albâtre plein d’un parfum de grand prix et, pendant qu’il était à table, elle répandit le parfum sur sa tête. 8 En voyant cela, les disciples s’indignèrent: A quoi bon ce gaspillage? 9 On aurait pu vendre cela très cher et en donner le prix aux pauvres. 10 Jésus s’en aperçut; il leur dit: Pourquoi tracassez–vous cette femme? Elle a accompli une belle œuvre à mon égard; 11 les pauvres, en effet, vous les avez toujours avec vous ; mais moi, vous ne m’avez pas toujours. 12 En répandant ce parfum sur mon corps, elle l’a fait pour mon ensevelissement. 13 Amen, je vous le dis, partout où cette bonne nouvelle sera proclamée, dans le monde entier, on racontera aussi, en mémoire de cette femme, ce qu’elle a fait. 14 Alors l’un des Douze, celui qu’on appelle Judas Iscariote, se rendit chez les grands prêtres 15 et dit: Que voulez–vous me donner pour que je vous le livre? Ils le payèrent trente pièces d’argent. (...)» (Mt 26,6-15 NBS2002)

(Pour comparer d'autres traductions, cliquer ici)

Un enfant n'a évidemment pas le même sens des valeurs qu'un adulte. Mais il y a plus ici. Si c'est en enfant que Jean a concrètement connu Jésus, il n'a jamais dû comme les autres le faire passer du registre «d'homme normal» à celui de «prophète», ou «Messie». Pour faire court, disons que pour Jean, Jésus a toujours été son dieu! Rien donc, ni avant ni après sa Résurrection, ne sera trop coûteux pour son culte. Il ne ressentira jamais le besoin de justifier ou dénoncer ce que le bon sens des autres apôtres dénonçait ce soir-là: 300 deniers, c'est énorme! C'est l'équivalent d'un an de salaires! Lorsque Jean sera devenu vieux, cette valeur énorme ne sera d'ailleurs même plus susceptible de choquer son entourage puisque les chrétiens auront alors déjà relégué aux oubliettes de l'indifférence ces trivialités de la vie matérielle pour mieux servir les exigences du sacré.

Lorsque Jean prête à Judas des intentions de vol, on est dans une logique infantile. L'accusation est absurde puisque de toute façon cet argent ne faisait pas et n'aurait probablement pas fait partie de la bourse dont il avait la gestion (le mode conditionnel utilisé par Judas fait partie de ce qu'en rhétorique, on appelle une «hypothèse d'école» pour mieux dénoncer le scandaleux gaspillage). Cette accusation de voleur paraît encore plus infantile si l'on veut bien reconnaître que l'appartenance aux 12 et la responsabilité de la bourse (Jn12,6) sont des signes de confiance accordés par Jésus à Judas. Pourquoi, soixante ans plus tard, Jean ne s'efforcerait-il pas de rectifier le tir? Retournons la question: pourquoi s'étalerait-il sur cette déplaisante vérité? Par souci d'historicité? Personne n'en demandait autant! Un «judas-voleur» liquidait une question qui, comme le poids des 300 deniers, n'intéresse déjà plus personne à une époque où la Rédemption était devenue le principal mobile de la crucifixion. Pourquoi réhabiliter Judas? Fallait-il plonger la jeune Église dans cette sinistre querelle de l'onction de Béthanie? Que pouvait-on y gagner? Noyer dans d'inutiles explications historiques la dimension théologique de la Passion? Justifier celui qui avait provoqué la mort du Christ? Salir un petit peu plus quelques-uns des apôtres déjà martyrisés et béatifiés depuis et qui étaient d'accord avec Judas au moment de la dispute? (J'invite mon lecteur à lire l'article consacré à la trahison de Judas pour aller plus loin dans l'analyse.)

 

*Argument 8*

On attribue habituellement à la jeunesse de Jean le fait qu'il soit arrivé au tombeau avant le «vieux» Pierre (47 ans à la passion si l'on se réfère à l'étude de Aulagnier (cité par BC, tome1, p623) - Cet âge aussi mériterait une solide analyse transactionnelle du groupe des 13!).

Peut-être bien qu'en l'an 30 Jean était en effet déjà assez vieux pour s'essouffler moins vite que son aîné, mais il semble tout de même que malgré son excitation du moment, il fut encore trop jeune pour oser entrer seul dans le tombeau ouvert ...d'autant plus que le linge abandonné là, à portée de regard, pouvait simplement laisser croire que le cadavre nu en décomposition de son "père symbolique" pouvait être vu quelques coudées plus loin. Le petit Jean souffrait là d'un genre de peur qu'un enfant n'arrive jamais à dominer. Oserions-nous penser, comme certains exégètes l'ont dit, que c'est par respect pour les cheveux gris de Pierre qu'il a renoncé pendant ces secondes folles à recevoir la confirmation de l'éventuelle résurrection de son maître adoré? Soyons réalistes!

"Ils couraient tous deux ensemble. Mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau; il se baisse, voit les bandelettes qui gisent là; pourtant il n’entra pas. Simon Pierre, qui le suivait, arrive. Entrant dans le tombeau, il voit les bandelettes qui gisent là et le linge qui était sur la tête de Jésus; ce linge ne gisait pas avec les bandelettes, mais il était roulé à part, dans un autre lieu. Alors l’autre disciple, qui était arrivé le premier au tombeau, entra aussi; il vit et il crut. Car ils n’avaient pas encore compris l’Ecriture, selon laquelle il devait se relever d’entre les morts. Les disciples s’en retournèrent donc chez eux. (Jn 20,4-10 Trad. NBS2002)

 

Autres traductions TOB - Semeur - Jérusalem - Colombe - Segond - Chouraki - Osty - Deiss - yyy - zzz

 

*Argument 9*

Jean n'a pas eu d'autorité notoire lors de la naissance de l'Église. Il est hors des grands débats qui opposent surtout Pierre, Paul et Jacques (le «frère de Jésus» par opposition à Jacques le majeur, frère de Jean). Pourtant, l'affection particulière que Jésus avait pour lui et la forte personnalité qu'il manifestera plus tard aurait permis à Jean d'être absolument essentiel dans ces débats s'il avait eu à cette époque déjà l'âge d'un soldat. Après la Résurrection, Jean est pourtant resté dans la sphère des décideurs que furent Pierre et Jacques... C'est même lui qui a accompagné Pierre lors de ses premières missions (Actes3 et 4). (Ce qui, en soi, est un autre argument de la jeunesse de Jean; il était bien normal que ce soit "le petit" qui accompagne le titan Pierre...)

 

 

***

Il y a quelques contre-arguments qui viennent directement à l'esprit lorsque l'on pense à un Jean enfant. Je ne veux pas esquiver ces difficultés. Il me semble d'ailleurs toujours possible de les dépasser.

 

*Argument 10 (contre-argument)*

«Puis il dit au disciple : Voici ta mère. Et dès cette heure–là, le disciple la prit chez lui.» (Jn19,27 Trad. "NBS2002") 

Jean, après avoir reçu Marie pour mère dit donc qu'il «la prit chez lui». Où se situe ce «chez lui»? N'est-ce pas simplement chez les Zébédé puisque la mère de Jean semblait, elle aussi, suivre Jésus et devait donc avec les autres femmes du groupe bien connaître Marie. Il nous serait même permis de penser que ce fut Marie qui prit en charge Jean les premières années, avant une inversion des rôles, puisque Jean, en rédigeant son texte longtemps plus tard, ne se serait pas exprimé autrement au vu de ce que représente une femme dans une culture agraire patriarcale.

 

*Argument 11 (contre-argument)*

A la première lecture, l'appel des deux disciples de Jean-Baptiste pourrait aussi paraître incompatible avec un "Jean-enfant". Et pourtant...

«35 Le lendemain, Jean était de nouveau là, avec deux de ses disciples; 36 il regarda Jésus qui passait et dit: Voici l’agneau de Dieu. 37 Les deux disciples entendirent ces paroles et suivirent Jésus. 38 Jésus se retourna, vit qu’ils le suivaient et leur dit: Que cherchez–vous? Ils lui dirent: Rabbi -ce qui se traduit: Maître- où demeures–tu? 39 Il leur dit: Venez et vous verrez. Ils vinrent et virent où il demeurait; ils demeurèrent auprès de lui ce jour-là. C’était environ la dixième heure. 40 André, frère de Simon Pierre, était l’un des deux qui avaient entendu Jean et qui avaient suivi Jésus.... » (Jn1,35-39 Trad. NBS2002)

Ce passage du quatrième évangile laisse entendre que Jean fut "disciple" de Jean-Baptiste à l'époque du baptême de Jésus... Aurait-il formulé de texte autrement quelques décennies après les faits s'il avait été à l'époque simplement un enfant accompagnant André (plus vieux) en visite chez le Baptiste? Aurait-il aimé se faire passer pour «un enfant désoeuvré» comme on dit aujourd'hui? «Disciple» est un mot pour le moins déplacé au regard de la légèreté avec laquelle Jean-Baptiste s'est débarrassé d'eux au profit de Jésus. Après tout, Jean-Baptiste a continué à travailler avec ses "vrais" disciples. Si l'apôtre Jean avait été un «vrai» disciple du Baptiste, les choses ne se seraient pas passées de cette manière... Jean (suivit en cela par les grandes traditions ecclésiales), ignore ou feint ignorer que Jean-Baptiste n'était pas entièrement abandonné à la cause de Jésus et qu'il ne pouvait donc pas lui donner ses vrais disciples. Luc et Matthieu n'avaient pas la moindre raison d'inventer ce passage où ils mentionnent que par la suite Jean-Baptiste en prison a envoyé quelques-uns de ses «vrais» disciples pour interroger Jésus sur son identité!

«Or Jean, dans sa prison, avait entendu parler des œuvres du Christ. Il envoya ses disciples lui demander : Est–ce toi, celui qui vient, ou devons–nous en attendre un autre? Jésus leur répondit: Allez raconter à Jean ce que vous entendez et voyez: Les aveugles retrouvent la vue, les infirmes marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts se réveillent et la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres.» (Mt11,2-5 Trad. NBS2002 )

«Les disciples de Jean lui racontèrent tout cela. Jean appela deux de ses disciples et les envoya demander au Seigneur: Est–ce toi, celui qui vient, ou devons–nous en attendre un autre? Arrivés auprès de lui, les hommes dirent: Jean le Baptiseur nous a envoyés te demander: «Est–ce toi, celui qui vient, ou devons–nous en attendre un autre?» A ce moment même, il guérit beaucoup de gens de maladies, d’infirmités et d’esprits mauvais, et il rendit la vue à de nombreux aveugles. Et il leur répondit: Allez raconter à Jean ce que vous avez vu et entendu: les aveugles retrouvent la vue, les infirmes marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts se réveillent, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres.» (Lc7,18-23 Trad. NBS2002)

En bonne logique, si Jean-Baptiste avait pleinement compris Jésus comme étant le Messie, dès le départ, il ne se serait pas contenté «d'envoyer» Jean et André à sa suite de Jésus, mais bien tous ses disciples... Or beaucoup des disciples de Jean-Baptiste non seulement ne sont pas devenus chrétiens mais même ont prêché une «autre religion» après la mort de leur maître.

«Pendant qu’Apollos était à Corinthe, Paul, qui était passé par le haut–pays, descendit à Ephèse. Il y trouva quelques disciples et leur dit: Avez–vous reçu l’Esprit saint quand vous êtes devenus croyants? Ils lui répondirent: Nous n’avons même pas entendu parler d’un Esprit saint. Il dit: Quel baptême avez–vous donc reçu ? Ils répondirent : Le baptême de Jean. Alors Paul dit: Jean a baptisé d’un baptême de changement radical; il disait au peuple de mettre sa foi en celui qui venait après lui, c’est–à–dire en Jésus. Sur ces paroles, ils reçurent le baptême pour le nom du Seigneur Jésus. Paul leur imposa les mains, et l’Esprit saint vint sur eux; ils se mirent à parler en langues et à s’exprimer en prophètes. Ces hommes étaient une douzaine en tout.» (Ac19,1-7 Trad. "NBS2002")

Si Jean-Baptiste est devenu un personnage important dans l'épopée évangélique, c'est bien moins à cause de la théologie du Baptiste lui-même que de l'affection que Jésus lui portait. C'est aussi (et surtout) à cause de cette obsession presque maniaque des communautés primitives d'assurer une lignée prophétique palpable entre l'Ancien et le Nouveau Testament (ce qui est devenu évidemment peu compréhensible, voire lourd à 'avaler' pour la modernité qui sait qu'on peut faire prédire un peu près n'importe quoi à un texte aussi riche et aussi grand que l'Ancien Testament).

 

 

***

 

 

Pourraient suivre une longue liste de tout petits indices dont l'ensemble permet d'appuyer la thèse d'un Jean enfant. C'est à une approche des textes plus globale qu'analytique que j'invite maintenant.

 

*Argument 12*

Le petit «chouchou» de Jésus, comme le veut la logique possessive de l'enfance, n'a ni apprécié ni retenu que Jésus a dévolu une tendresse pour d'autres que lui. Il ne parle pas de ces enfants que Jésus a fait venir à lui, ni de ce garçon de Naïm qu'il a rendu à sa mère. Il n'aime pas parler de Jacques, son grand frère. Mais par contre il évoque avec complaisance mille prosternations ou autres distances protocolaires destinées à montrer par contraste combien son intimité à Jésus était exceptionnelle (l'apothéose étant évidemment le " nolli me tangere " de Jn20,17 envoyé à Marie de Magdala (" Ne me retiens pas " TOB " Ne me touche pas " Jérusalem, Colombe, Ségond,... " Cesse de t'accrocher à moi " NBS2002)... (cf. étude consacrée à ce texte)

C'est aussi l'enfant qui aimera relever le ton paternaliste des propos de Jésus (les autres évangélistes insistent moins sur ces métaphores pastorales qui leur donnent fonction de brebis dociles, de moutons conformistes!)... Le vieux Jean, après plus de soixante années de méditation, pourra retrouver sans en rougir tous ces délices qu'a pu ressentir le petit enfant pur qu'il était lorsqu'il écoutait ces métaphores dans les bras de Jésus.

Etc.

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Conclusion

***

L'exégèse historico-critique nous autorisait à penser que l'auteur principal du quatrième évangile s'y est pris à deux fois pour rédiger son texte. Après la lecture de cette thèse, plus on lit le quatrième évangile, plus on se rend compte qu'effectivement il est plausible et même très probable que deux rédacteurs principaux ont rédigé cet évangile et que ces deux-là semblent être une seule et même personne à deux moments différents. Si cet auteur fut l'apôtre Jean lui-même (ce qui n'est malgré tout encore qu'une hypothèse), le fait qu'il fut enfant lorsqu'il a connu Jésus expliquerait (bien mieux qu'un délai sans plus entre sa première et sa deuxième rédaction) pourquoi les climats affectifs des deux rédactions ne sont pas identiques.

En d'autres mots, pour rédiger cet évangile, une sensibilité d'adulte ne suffit pas. Une sensibilité de vieillard ne suffit pas non plus. Il fallait aussi ces miettes fabuleuses d'une enfance bouleversée. Il me semble permis de penser que, d'une manière très globale, le quatrième évangile, ou du moins la dernière de ses deux principales rédactions ("Jn2b" selon la terminologie de Boismard) relève d'un vieillard qui raconte des souvenirs qui ont bouleversé son enfance. Le «petit Jean» à l'âge où l'on se cherche un nouveau père a été absolument remué, presque écrasé par cette puissante personnalité de Jésus qui de surcroît, par une tendresse paternelle, lui donnait un statut très enviable. Le vieillard qui en parle plus de soixante ans après a retenu l'ombre du Dieu dont il avait la faveur plus que l'homme... Il n'y a donc plus lieux de s'étonner du caractère emphatique, pompeux, solennel, un peu paranoïde et superstitieux (utilisation surabondante des chiffres sacrés dans la composition) de son texte destiné à des assemblées qui elles-mêmes sacralisaient le dernier survivant de l'Épopée Christique.

paul yves wery - Bruxelles - 1994

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